Bloc Presentation
Bloc Oeuvre
Présentation de Conte de syntaxe internaute par Marianne Cloutier:
C’est par une narration minimaliste que ce conte prend forme, au gré du défilement des images et des phrases. Ces phrases ne sont pas celles de l’artiste, mais des échantillons de commentaires laissés par des internautes anonymes sur un des sites de partage les plus utilisés du Web: YouTube. Anyse Ducharme s’approprie ici le contenu de cette plateforme pour en faire son matériau à création: elle y puise textes et vidéos qui seront ensuite filtrés, transformés et mutés pour produire une œuvre hybride, métadiscours sur sa source originelle.
Les médias qui composent l’œuvre s’engendrent les uns les autres dans une connectivité d’emblée insoupçonnable: le son naît de l’image et l’image du texte. Par une série de manipulations et le passage par divers logiciels, le code issu d’une image fixe captée à même la vidéo initiale sera transformé en données audios, comme si dans une confusion des sens nous pouvions entendre l’image. Ces mêmes captures vidéos seront également corrompues, trafiquées par l’insertion d’une ou de plusieurs phrases à même le code de l’image, faisant ainsi apparaître ces compositions aux couleurs vives qui forment la trame visuelle de l’œuvre. Ces phrases courtes, qui se réduisent parfois à une simple expression, à quelques mots ou symboles, sont les commentaires inscrits sous les vidéos YouTube par des internautes, et qui réapparaissent au sein de l’image mutée du conte. Certains passages textuels donneront l’impression d’une cohérence, d’un véritable dialogue, qui ne sera pourtant qu’illusoire puisque toujours construit. Accentué par l’abstraction des images qui y sont associées, le caractère absurde des commentaires l’emportera.
Comme le titre le laisse deviner, les extraits de textes choisis témoignent du peu d’attention généralement accordée par les internautes à la syntaxe et au vocabulaire, soulignant le niveau de langage utilisé sur ce type de plateforme d’échange. En ce sens, l’œuvre se veut un témoignage actuel de «l’état des lieux», voire même d’une «culture du Web»: des pratiques qui y sont courantes, des traces qui y sont laissées par des intervenants sans identité ou aux identités trafiquées. L’anonymat participe notamment des interprétations multiples de ce qui est «donné à voir» ainsi que du jugement de cet Autre qui aura décidé de s’exposer et de se mettre en scène. Ces traces traduisent les interactions possibles entre internautes – interactions souvent maladroites, souvent banales – reflétant avant tout le désir de marquer son passage, de laisser quelque chose de soi. Ce conte hypermédia raconte l’histoire fabriquée d’identités croisées au hasard sur les réseaux, de ce qui a été, ou de ce qui aurait pu être. Il raconte le parcours du code et de l’information, le détournement et le devenir possible des données aux potentialités multiformes.