Ce n'est écrit nulle part » Non classé http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Naked City redux. Épitaphe (20/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-epitaphe-2020/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-epitaphe-2020/#comments Mon, 08 Jun 2015 03:15:58 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2320 Dernier épisode: Naked City Redux. Éclipse encore (19/20)

 

Sur ces mots se termine Naked City Redux, texte de 1979.

La dernière feuille de la liasse était déchirée aux trois quarts. Je n’ai aucun moyen de savoir si le récit se poursuivait au-delà de ces derniers mots ou si d’autres pages complétaient l’ensemble. J’ai examiné avec soin l’agrafe, elle ne m’a rien révélé de précis. Le métal était en partie rouillé et le papier légèrement taché; c’est tout.

Je m’étais habitué, avec les années, à cette fin ouverte, à ce personnage sans nom trimballé en camionnette, aveugle au destin qui se prépare. Des REPRÉSENTANTS s’occupent de lui. Je l’imagine encore sur la rue Dorchester, avant qu’elle devienne René-Lévesque, à l’angle de la rue Saint-Denis, au coin de l’hôpital Saint-Luc. Il fait froid. Le temps est maussade. La vie hésite.

Ma transcription, lente et laborieuse, est maintenant complète.  Duncan est mort et mon narrateur se laisse mourir, incapable de suivre les mouvements de sa propre pensée. Que voulais-je faire en reprenant ce récit vieux de plus de trente-cinq ans? Je ne sais plus. Revisiter le passé, c’est certain. Retrouver un peu de ce désespoir qui m’habitait et que je regarde maintenant comme une contrée depuis longtemps quittée. Assurément. Mais quoi d’autre?

Un demi-siècle sépare l’univers de Duncan Kleist du mien. Naked City, la série télé, était diffusée sur l’une des trois chaines américaines que le câble permettait de syntoniser. J’écris ces notes directement à l’écran et elles sont destinées à un site web. Je ne regarde plus la télé depuis des années. Les beats sont de l’histoire ancienne.

Pendant que mes doigts pianotaient sur le clavier, j’écoutais en boucle le vieux disque de King Crimson, In the Court of the Crimson King. Ce microsillon de 1969 ne m’a jamais quitté. Les chansons y sont complexes, tragiques et la voix de Greg Lake leur donne une liquéfiante gravité. Sur « Epitaph », qui résonne encore dans mes écouteurs, elle devient même lumineuse. C’est l’hymne que chantonne mon héros, seul dans sa cellule recouverte d’yeux. Les paroles en sont apocalyptiques et elles résument sans peine le sentiment qui l’habitait. Qu’en reste-il maintenant? Je ne sais quoi répondre. Rien n’est plus fugace qu’une impression.

Confusion will be my epitaph
As I crawl a cracked and broken path
If we make it we can all sit back and laugh,
But I fear tomorrow I’ll be crying,
Yes I fear tomorrow I’ll be crying
Yes I fear tomorrow I’ll be crying.

 

 

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Naked City Redux. L’éclipse (17/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/06/naked-city-redux-leclipse-1720/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/06/naked-city-redux-leclipse-1720/#comments Sat, 06 Jun 2015 14:40:40 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2287 Dernier épisode: Naked City Redux. Dernier acte: l’éclipse (16/20)

Apocalypse d'Angers (XIVe siècle)

 

Un homme et une femme sont venus ce matin. Les REPRÉSENTANTS. Ils ont dû me laver car j’étais sale et puais, de la charogne a-t-elle dit, une véritable puanteur a-t-il répondu, et ils avaient raison, depuis mon arrivée dans cette cellule je ne m’étais pas lavé une seule fois, mes mains étaient dégoutantes, les pieds noircis par la crasse, ils ont dû me laver car je ne le faisais pas moi-même, ils croyaient que c’était une grève, que toute cette puanteur était une contestation de ma part, une nouveau crime social; j’ai eu beau leur expliquer que mon corps était propre et que je me lavais à sec avec la main gauche, que mes mains, mes doigts, mes ongles étaient propres sauf les trois derniers que je n’avais pas encore consommés, et qui devaient être épargnés.

Les REPRÉSENTANTS ne voulaient rien entendre, ils m’ont levé de force, m’ont trainé dans les douches, m’ont mis la bouche sous le jet d’eau; non, non, leur ai-je dit, non encore, ne touchez pas à mes ongles, il y en a trois, il est impératif de ne pas y toucher, ce sont mes ongles fétiches, mes ongles hallucinogènes, mais ils ne voulaient rien entendre, et ils ont entrepris de me laver sous la douche, les cheveux, le visage, les aisselles, les pieds, le sexe, ne touchez pas à ça, non, les fesses, vous êtes ridicules, on ne me touche pas, je ne suis plus un enfant, j’ai passé depuis longtemps l’étape de l’écolier lisant des bédés dans les bus, hé non ça va pas, mais ils ne m’écoutaient pas, ils étaient venus me chercher, c’était pour mon bien, ils voulaient me livrer propre de la tête aux pieds, et ils se sont même attaqué à mes mains, à mes doigts, à mes ongles, MES ONGLES,  on va te décrotter ça, disaient les REPRÉSENTANTS en riant, ce sera propre propre propre comme à Noël, j’ai résisté de toutes mes forces, je les laverais moi-même mes ongles, je les grignoterais moi-même, petit à petit, une rognure à la fois histoire de dégager à faible dose le produit que j’y avais déposé, mais il fallait qu’ils comprennent que cela prendrait du temps, une semaine peut-être, cinq jours au bas mot, je ne pouvais me les ronger tout d’un coup, c’était inhumain, mortel même, le troisième œil allait éclater pour sûr, je les suppliais, laissez-moi partir, ne me touchez pas, oubliez mes ongles, ils ne vous regardent pas, ils sont à moi et à Gloria Christmas.

J’ai supplié, j’ai promis, juré même et, pour toute réponse, ils ont saisi ma main droite,  l’homme surtout, la femme me retenait par la taille, et ils m’ont forcé à la prendre dans ma bouche. Tu veux te les ronger tes ongles? Alors ronge-les, tiens ta main, la voilà! Tu la veux? Tu veux cette puanteur de main? Avale-la. Elle est à toi. Prends et mange. D’abord elle sera douce comme le miel, mais bientôt elle remplira tes entrailles d’amertume. Et ils m’ont mis la main dans la bouche grande ouverte. Et ils l’ont laissée là, dans ma bouche, comme si j’étais chez le dentiste, pendant plus de vingt minutes! Tout le temps qu’il fallait pour que le venin se dégage de l’ongle et se répande dans mon corps, descende le long de ma gorge et du larynx, glisse par l’œsophage jusque dans mon estomac et pénètre peu à peu dans mon système sanguin. Troisième œil, here we come.

Une figure inattendue apparut dans la cellule. Une femme, le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne d’étoiles. Gloria Christmas! Elle était enceinte, elle criait, comme dans les douleurs d’un enfantement. Un être, rouge feu, plein de têtes et de cornes, vint se poster devant elle, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Je fermai les yeux. C’en était trop.

 

Prochain épisode: Naked City Redux. Un moment à couper au couteau (18/20)

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NCR. En attendant la suite de l’épisode – I (3/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/15/ncr-en-attendant-la-suite-de-lepisode-i-320/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/15/ncr-en-attendant-la-suite-de-lepisode-i-320/#comments Fri, 15 May 2015 14:52:25 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2135 Dernier épisode: Naked City Redux. Halluciné (2/20)

 

Ce qu’il faut savoir.

Duncan Kleist a passé de long mois en cure de désintoxication dans un hôpital psychiatrique. Il s’en est sorti. Après quelques épisodes de grand abattement, isolé dans sa cellule, avec pour seul compagnon l’image mentale de son amour d’enfance, Gloria Christmas. Il a lu des polars, des Dashiell Hammett et des Ross Macdonald, il a même feuilleté Maggie Cassidy, le roman de Kerouac. Il aurait voulu écrire, mais on lui avait confisqué ses crayons, pour qu’il ne se blesse pas avec leur pointe aiguisée, et ses cahiers Canada, pour qu’il n’en avale pas toutes les feuilles provoquant ainsi une occlusion intestinale.

Il n’avait pas non plus ses poèmes. Les témoins de sa descente aux enfers dans les bars de Greenwich Village, il les avait donnés en garantie à un barman, pour éponger ses dettes. Et il se retrouvait maintenant orphelin, unique idahoain parmi les citadins. Parti depuis longtemps de l’état de la pierre précieuse.

Idaho, mot inventé, terme imaginaire, même les Soshones, proches voisins des Païutes et des Utes, n’en avaient jamais entendu parlé.

Duncan, poète de génie, alcoolique fini, était en fin de parcours. La cirrhose avait détruit son foie, ses organes digestifs ne suffisaient plus, son système complet s’affaissait. Pour cette raison, il voulait récupérer ses poèmes, son œuvre. Et en faire un don à Gloria. Gloria Christmas. Les lui donner, parce qu’elle saurait ce qu’ils signifient, elle comprendrait ce qu’il avait vécu. Gloria, sa muse, lirait entre les lignes, découvrirait la beauté derrière ses mots hirsutes. Elle saurait lire.

Il s’est rendu à quelques pieds d’une boite aux lettres, sa liasse de poèmes en main. Mais, il est mort frappé à la tête, ses textes tombés dans une bouche d’égout.

C’est triste, mais c’est comme ça.

Naked City est implacable.

Un corps, une boite aux lettres, une poubelle pleine, une distributrice de timbres, un lampadaire, une bouche d’égout et un corps. Mort.

 

Duncan Kleist (joué par Burgess Meredith)

 

Prochain épisode: Naked City Redux.  Deuxième mouvement, dit longiligne (4/20)

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Tentative d’épuisement d’un lieu parisien http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/#comments Fri, 21 Nov 2014 15:56:08 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1989

À Georges et à Philippe, maître du désordre

En octobre 2014, le dieu Google s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. À différents moments de la journée, il a pris des photos de ce qu’il voyait: les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien.  Mais un regard, une perception divine, unique, vibrante impressionniste, variable. Les innombrables variations imperceptibles du temps, de la lumière, du décor, du vivant. Autobus, chiens, passants, touristes. Après, il est remonté dans son Google Street Car et il est reparti. Vers la place des Vosges. Ou vers Clichy. On ne sait plus.

La date 19 octobre 2014 (un dimanche, 40 ans plus tard)
L’heure 10 h. 45
Le lieu : Tabac Saint-Sulpice
Le temps : Pluie fine, genre bruine
Passage d’un balayeur de caniveaux
Par rapport à la veille, qu’y a-t-il de changé?  Au premier abord, c’est vraiment pareil.  Peut-être le ciel est-il plus nuageux? Ce serait vraiment du parti pris de dire qu’il y a, par exemple, moins de gens ou moins de voitures. On ne voit pas d’oiseau. Il y a un chien sur le terre-plein. Au-dessus de l’ Hôtel Récamier (loin derrière ?) se détache dans le ciel une grue (elle y était hier, mais je ne me souviens plus l’avoir noté). Je ne saurais dire si les gens que l’on voit sont les mêmes qu’hier, si les voitures sont les mêmes qu’hier? Par contre, si les oiseaux (pigeons) venaient (et pourquoi ne viendraient-ils pas) je serais sûr que ce seraient les mêmes.
Beaucoup de choses n’ont pas changé, n’ont apparemment pas bougé (les lettres, les symboles, la fontaine , le terre-plein, les bancs, l’église, etc.) ; moi-même je me suis assis à la même table.

Des autobus passent.  Je m’en désintéresse complètement.
Le Café de la Mairie est fermé.  Le kiosque à journaux aussi (il n’ouvrira que lundi).
(il me semble avoir vu passer Éric, se dirigeant vers le parking).
Passe une ambulance pimponnante, puis une dépanneuse remorquant une D.S. bleue.
Plusieurs femmes traînent des cabas à roulettes.
Arrivent les pigeons; ils me semblent moins nombreux qu’hier.
Afflux de foules humaines ou voiturières. Accalmies. Alternances.
Deux « Coches Parisiens » sortes de cars à plates-formes passent avec leurs cargaisons de Japonais photophages.
Un car Cityrama (des Allemands? des Japonais?) .
La pluie s’est arrêtée très vite ; il y a même eu pendant quelques secondes un vague rayon de soleil.
Il est 11 heures et quart.
A la recherche d’une différence.
Le Café de la Mairie est fermé (je ne le vois pas; je le sais parce que je l’ai vu en descendant de l’ autobus).
Je bois un Vittel alors que hier je buvais un café (en quoi cela transforme-t-il la Place?)
Le plat du jour de la Fontaine St-Sulpice a-t-il changé (hier c’était du cabillaud)? Sans doute, mais je suis trop loin pour déchiffrer ce qu’il y a écrit sur l’ardoise où on l’annonce.
Deux cars de touristes, le second s’appelle «Walz Reisen»: les touristes d’aujourd’hui peuvent-ils être les mêmes que les touristes d’hier (un homme qui fait le tour de Paris en car un vendredi a-t-il envie de le refaire le samedi ?)
Hier il y avait sur le trottoir, juste devant ma table, un ticket de métro; aujourd’hui il y a, pas tout à fait au même endroit, une enveloppe de bonbon (cellophane) et un bout de papier difficilement identifiable (à peu près grand comme un emballage de « Parisiennes » mais d’un bleu beaucoup plus clair).

Passe une petite fille avec un long bonnet rouge à pompon (je l’ai déjà vue hier, mais hier elles étaient deux) ; sa mère a une jupe longue faite de bandes de tissus cousues ensemble (pas vraiment du patchwork ).
Un pigeon se perche au sommet d’un lampadaire des gens entrent dans l’église (est-ce pour la visiter? Est-ce l’heure de la messe?).
Un promeneur qui ressemble assez vaguement à Éric Lint repasse devant le café et semble s’étonner de me voir encore attablé devant un Vittel et des feuillets.
Un car : « Percival Tours ».
D’autres gens entrent dans l’église.
Les cars de touristes n’adoptent pas tous la même stratégie : tous viennent du Luxembourg par la rue Bonaparte ; certains continuent dans la rue Bonaparte ; d’autres tournent dans la rue du Vieux-Colombier : cette différence ne correspond pas toujours à la nationalité des touristes.
Car Wehner Reisen.
Car de flics.

Il est temps que je retourne dans ma voiture.

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