Ce n'est écrit nulle part » actuel http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 La vie des livres: traces de loup à Oslo http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/08/29/la-vie-des-livres-traces-de-loup-a-oslo/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/08/29/la-vie-des-livres-traces-de-loup-a-oslo/#comments Mon, 29 Aug 2011 16:53:45 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1673 viedeslivres-oslo-loup

Traces norvégiennes

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Le contemporain et la crise: une relation nécessaire? http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/05/13/le-contemporain-et-la-crise-une-relation-necessaire/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/05/13/le-contemporain-et-la-crise-une-relation-necessaire/#comments Fri, 13 May 2011 12:30:01 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1426 Si on veut lire le texte que j’ai écrit en marge de mon entrée « Le sacrifice selon le DVG« , on  peut se reporter au site de l’OIC, où il a été publié.

En voici les premiers paragraphes:

Quand j’ai lu pour la première fois René Girard au début des années 80 (dans un cours donné par André Vanasse sur la poétique de Dostoïevski), la portée de ses hypothèses sur le désir triangulaire, ainsi que sur le bouc émissaire et la crise sacrificielle dans les sociétés antiques m’avait grandement impressionné. J’admirais l’efficacité de ses thèses et l’éclairage immédiat qu’elles apportaient sur un état social sur lequel je ne m’étais pas encore interrogé, mais qui a, depuis, pris place au cœur de mes recherches. Cet état, c’est la crise et la violence qui lui est associée.

Je n’ai pas travaillé sur les sociétés anciennes à la manière de Girard, j’ai opté plutôt pour les formes contemporaines de la littérature et de la culture, mais la notion de crise m’a semblé pouvoir s’appliquer d’une façon tout aussi efficace. J’avais remarqué, par exemple, qu’on ne cessait de la reprendre, cette notion, et de la réintroduire à tout propos : crise de tout et de rien (crise du pétrole des années 70, crise de la masculinité des années 80, crise de la fin du livre des années 90, crise du passage à l’an deux mille, crise économique, crise politique – je donne ces exemples pour montrer le spectre très large de son utilisation). Elle apparaissait vraiment comme un leitmotiv. À tout moment, pour tout sujet, la crise était invoquée, façon de marquer l’urgence d’une situation et la nécessité d’agir. Frank Kermode avait déjà déclaré à cet effet que « C’est une particularité de l’imagination de se croire toujours à la fin d’une ère. » Ce à quoi, on se doit de répondre : c’est une particularité de l’imaginaire contemporain de se croire toujours en état de crise.

(lire la suite)

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Le blogue littéraire: le vilain petit canard http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/12/22/le-blogue-litteraire-le-vilain-petit-canard/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/12/22/le-blogue-litteraire-le-vilain-petit-canard/#comments Wed, 22 Dec 2010 22:21:11 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1289 En septembre 2007, sans autre intention que de me distraire d’un roman en cours d’écriture, j’ai ouvert un blog, quel vilain mot, j’ai donc ouvert un vilain blog et je lui ai donné un vilain titre, plutôt par dérision envers le genre complaisant de l’autofiction qui excite depuis longtemps ma mauvaise ironie.
Éric Chevillard

Supposons qu’on veuille rendre compte des  modalités de la création littéraire dans le cyberespace. Non pas de la présence de la littérature sur Internet (librairies virtuelles, sites de maisons d’édition, bibliothèques), mais bien des entreprises ou des projets personnels à caractère littéraire qui se déploient actuellement sur le réseau (je précise littéraire plutôt qu’hypermédiatique, qui est au cœur du projet du NT2). On commencera par s’intéresser à la situation des blogues. Pourquoi les blogues ? Simplement parce que les logiciels sont faciles d’utilisation, qu’ils ne requièrent aucune expertise en informatique et peuvent être téléchargés gratuitement. Ils permettent à des internautes, tout comme le papier l’a longtemps fait (sous forme de feuilles volantes, de carnets et de cahiers), de se mettre à écrire sans autre souci que celui d’enligner des mots et des idées. Il permet à des projets d’écriture de voir le jour et de connaître une première diffusion.
Cette diffusion, indépendante de tout dispositif de validation, pose des problèmes de reconnaissance. Non pas des problèmes identitaires, vécus en soi et pour soi, mais de reconnaissance par l’autre, voire par l’Autre, de cette identité. Comme le signale Simon Brousseau,  dans ses Soubresauts, « l’institutionnalisation très faible des blogues et l’absence de canon que cela entraîne impliquent un rapport à la littérature en marge de l’imprimé, où les acteurs de la blogosphère agissent à la fois en tant qu’auteurs et en tant qu’instances de légitimation.  […] Le brouillage des différents rôles qui fondent habituellement la littérature, à savoir les écrivains, les lecteurs et les différentes institutions qui régissent les rapports entre ceux-ci, est à la fois ce qui fait l’intérêt des blogues littéraires et ce qui rend leur statut précaire. »L’intérêt pour la forme  est l’expression même d’une identité en mouvement; tandis que la précarité est la difficulté de cerner ouvertement, par l’établissement de traits  stables et récurrents, les fluctuations de cette identité. Il n’y a pas un usage unique des blogues, dans un contexte de création littéraire. Les blogues remplissent de nombreuses fonctions, ils s’insèrent dans de multiples projets.
Ainsi, il y a les blogues littéraires en bonne et due forme, des projets d’écriture qui n’ont d’autre fonction que celle de permettre justement une écriture. Mentionnons Les Soubresauts, Twist’n Serve, Albertine retrouvée, Le dernier des Mahigan, etc. On retrouve ensuite les blogues en amont d’un projet littéraire en format livre. Certains projets ont commencé comme des blogues littéraires et ont donné lieu par la suite à des publications, tel que Un taxi, la nuit de Pierre Léon Lalonde, tandis que d’autres sont rédigés dans l’optique d’une publication. La main, le souffle, d’Annie Dulong, publie les réflexions et les remarques de l’auteure engagée dans un processus de création littéraire. Ce sont des avant textes, rendus disponibles avant même que le texte ait été complété et publié. Sur un mode ironique, Écrire un roman, le making of d’un livre, de Pierre-Marc Drouin, exploite aussi cette idée d’un avant texte auto-représentatif.
Dans la même veine, on remarque l’existence de blogues en amont d’un travail de recherche, qui font la preuve, par leur existence même, que la forme du blogue constitue bel et bien un espace de création, de réflexion et d’écriture. On peut citer L’épée du soleil de René Audet, qui se sert de son blogue comme d’un lieu de recherche et de diffusion sur la littérature contemporaine et la culture numérique. Paule Mackrous, dans Effet de présence /Effect of presence, intervient quant à elle, en marge de sa thèse, sur les effets de présence engendrés  dans les arts hypermédiatiques, la cyberculture et la remix culture.
Les blogues peuvent aussi servir de complément numérique à des projets littéraires, procédant ainsi à une véritable extension du domaine de la lutte (pour emprunter une expression consacrée). Des sites comme ceux de Chloé Delaume ou de Karoline Georges en offrent des exemples probants.
Ils servent enfin de base à des projets d’écriture collaborative, tel que le site de La Traversée, l’atelier de géopoétique du Québec.
L’extrême limite semble être atteinte par Le tiers livre de François Bon, projet gargantuesque, qui réunit avec ses quinze sections les diverses manifestations web de cet auteur. Ce n’est plus un projet d’écriture, mais un projet de vie complexe et total. Au lieu de raconter l’histoire d’homme qui a décidé de mettre sa vie intellectuelle sur un réseau, la déployant en temps réel, François Bon a choisi de le faire pour vrai. Ce n’est plus une fiction, mais un projet de vie.
Ce n’est là qu’un rapide échantillon des pratiques d’écriture sur le web, de même qu’une catégorisation improvisée. Mais elle permet tout de même de brosser un premier portrait de ce qui s’écrit, au fil des jours, dans une perspective qu’on peut désigner comme littéraire, si par ce terme on entend, non pas ce qui est reconnu par l’institution et doté d’une valeur, mais bien cet intérêt, cette fascination pour le texte, son écriture et sa lecture, et pour tout ce que le langage permet de convoquer par le biais de ces choses toutes simples que sont les mots.

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Soif de réalité http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/11/18/soif-de-realite/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/11/18/soif-de-realite/#comments Thu, 18 Nov 2010 14:58:15 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1220
Fleur de correction à génération spontanée

Fleur de correction à génération spontanée

En travaillant sur le figural, je suis tombé sur cette citation, vieille de 25 ans, du philosophe Michel Guérin. Elle m’a ramené à cette réflexion que j’essaie de conduire sur le présent, sur notre « soif de réalité » contemporaine (le Reality Hunger de David Shields). C’est une réflexion qui  implique non seulement de déterminer la spécificité du regard contemporain, mais encore de comprendre ce que l’idée même de regard implique.
« Qu’appelle-t-on ‘réalité’? » se demande Guérin.  Il avance en guise de réponse que : « la réalité, c’est ce qui transcende le langage, existe en dehors de lui. La condition pour que je puisse nommer une chose, c’est qu’elle préexiste à son énonciation. Serait donc réel, à la fois ce dont je peux parler et cela qui existe indépendamment du langage. » ((Michel Guérin, Qu’est-ce qu’une œuvre?, Arles, Actes sud, 1986, p. 117). Nous ne sommes donc pas dans une conception solipsiste du langage. Il existe pour le sujet pensant une réalité autre que lui-même, qui est bien une condition sine qua non pour penser notre rapport au réel et, par extension, l’imaginaire contemporain.
Par rapport au langage, continue Guérin, « le réel apparaît ainsi d’une part comme condition (parler, c’est parler des choses), d’autre part comme extériorité inépuisable et irréductible (il y a plus dans le réel que dans les mots qui le représentent, en sont l’ab-bild). À première vue, cela est clair et le langage semble remplir au mieux sa mission quand il se met au service de la réalité sur laquelle, pour ainsi dire, il est ‘gagé’. » (p. 118)
Le signe renvoie à des objets, qui sont présents à notre esprit, et ils sont la contrepartie cognitive des objets du monde. Si on peut penser à des objets qui ne sont pas présents dans le monde, c’est parce qu’au départ nous avons appris à parler des objets du monde, à les rendre présents à notre esprit, de façon à parler du monde.  Nous avons appris à nous les représenter, à faire comme s’ils étaient là pour élaborer des modèles et des théories sur le monde qui les abrite. C’est une conception réaliste du langage.  Évidemment, les objets immédiats, ces contreparties imaginées des objets du monde, sont des versions par la force des choses simplifiées de ces objets. Mais, tant que le lien semble être préservé entre les deux, entre les objets du monde et leur version imaginée, tout reste stable.
« Mais les difficultés se pressent dès qu’on introduit un nouveau paramètre, d’ailleurs inévitable : le temps. Tout ce qui existe existe dans le temps, est pro-duit, affecté et emporté par le temps. Nous nous trouvons alors devant le paradoxe suivant : c’est la constante éclipse de la réalité qui conditionne son énonciation. (p. 118; je souligne)
Nous sommes ainsi au cœur des processus sémiotiques. Nous faisons usage de signes, nous parlons, dessinons, gesticulons afin de rendre présent l’absent. L’absent, c’est le transformé.  Le disparu, l’éloigné, le différent, le différé.
La réflexion de Guérin lui permet de pose l’importance de la notion de figure, seule capable de permettre une prise en charge de cette différence.  La figure est une entité sémiotique complexe qui permet de dire l’absence. La proposition de Guérin est fondée sur le désarrimage entre langage et réalité. Celle-ci ne reste jamais stable, elle se transforme constamment, elle est en constante éclipse et ne peut être saisie que dans ce mouvement même, qu’à cette condition.
Est réel ce dont je peux parler. Mais ce réel, qu’elle est sa pérennité? Quelle est sa durée? Si le réel change constamment, si le réel est, de par sa nature même, un flux, un mouvement dont on perçoit la vélocité, le dynamisme, la force, comment alors en parler? On ne peut en parler qu’à la condition de le laisser échapper, de le laisser passer. Et c’est essentiellement en retard qu’on peut parler de ce réel. On ne peut en parler que dans son inactualité, dans cette éclipse qui en caractérise le flux.
J’en tire quelques leçons.
Le sujet contemporain n’est pas inactuel par choix idéologique, par une posture savante qui le conduirait à se retirer du monde (c’est la posture adoptée par Giorgio Agamben dans Qu’est-ce que le contemporain? Posture que je critique dans Réflexions sur le contemporain II), mais par définition, parce que tout sujet qui énonce quelque chose est nécessairement inactuel par rapport à la chose dont il veut parler. Le moment est déjà passé. L’éclipse a déjà eu lieu. Nul ne peut arrêter le temps, sauf en pensée. Mais cette dernière possibilité est une opération langagière et non dans le réel.
Si l’époque contemporaine se distingue du fait qu’elle tend le plus possible à écraser l’un sur l’autre « ce qui est en train de s’effectuer et sa représentation » (Régine Robin, La mémoire saturée, Paris, Stock, 2003, p. 415), comme si les deux pouvaient se confondre, « sans lacune, sans distorsion temporelle, dans un présent perpétuel » (p. 415), on comprend tout de suite que cette réunion est nécessairement asymptotique. Jamais, la ligne de l’événement et celle de sa représentation n’en feront qu’une seule. Et c’est dans cet écart, quelque minime soit-il, que vient se loger l’angoisse de notre régime d’historicité contemporain. C’est parce que nous croyons à cette fusion de l’événement et de sa représentation – c’est le mythe par excellence de la société du spectacle et de la culture de l’écran qui en est le dispositif premier (et les événements du 11 septembre 2001 n’ont rien fait pour démentir cette possible fusion, l’événement et son spectacle médiatique surgissant dans un même temps) –, que l’écart entre les deux, écart impossible à combler, est une telle source d’anxiété.

Notre soif de réalité vient du fait que notre esprit ne peut jamais être véritablement désaltéré.

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Habiter l’événement : Les Failles et le 11 septembre 2001 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/11/08/habiter-l%e2%80%99evenement-les-failles-et-le-11-septembre-2001/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/11/08/habiter-l%e2%80%99evenement-les-failles-et-le-11-septembre-2001/#comments Mon, 08 Nov 2010 15:33:30 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1213 santacruz-lormaprieta

Santa Cruz, 1989

« Le sentiment de la catastrophe est sans doute la première figuration au plus profond de nous de la faille de l’imaginaire. »
Annie Lebrun

La fiction nous permet d’habiter toute sortes d’événements, des plus intimes aux plus officiels et historiques. Elle nous permet d’explorer les formes de l’agir humain. Paul Ricœur affirmait avec raison que la fiction est un laboratoire où nous explorons les possibilités de l’action humaine.
Mais est-ce que tous les événements peuvent être habités? Et avec la même facilité? Je pense aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Une des difficultés à habiter cet événement et à le représenter de l’intérieur en est le caractère compact. On peut difficilement s’insérer en pensée et en fiction dans cet événement, du fait de sa durée restreinte et de sa puissante charge émotive. On est avant, ou alors après. En amont, rien ne permettait de l’anticiper, et sa description initiale par de nombreux commentateurs comme phénomène inouï ou inimaginable en est l’indication la plus claire.  En aval, l’effondrement a déjà eu lieu et on est dans l’après-coup. La présence de ruines vient nous le rappeler. Une autre difficulté en est l’échelle. Ce n’est pas une attaque à échelle humaine, on l’a dit et répété. Ce sont des édifices qui ont été frappés de plein fouet et dont le spectacle de l’effondrement a transformé nos vies. Si on veut examiner les destinées humaines qui ont été du même coup soufflées, il faut changer littéralement d’échelle. Une troisième difficulté en est le caractère spectaculaire et déjà hautement médiatisé. Comment s’approprier cet événement? Comment l’habiter sur un mode restreint, celui des drames humains?
Du 11 septembre 2001, je n’aurai été qu’un témoin-spectateur rivé, comme bien des gens, à mon écran de télévision. Je n’étais pas un acteur privilégié, je n’étais pas sur place, comme certaines de mes connaissances. Je ne pouvais pas en parler directement, les décombres n’avaient pas encore été déblayés, tout était confus. Pourtant, j’ai voulu très tôt rendre compte du sentiment apocalyptique que j’ai ressenti à la vue des tours qui s’effondraient.
J’avais un projet de roman déjà en chantier, projet qui est devenu à la suite de ces événements d’une incroyable urgence. Si j’avais pu hésiter à m’y investir durant l’été, incertain de sa pertinence, les attentats m’y ont ramené avec la plus grande force. Et si je ne pouvais habiter cet événement, je pouvais hanter un lieu équivalent, en bien des points similaire, du moins en termes fictionnels ou romanesques.

6,9

6,9

Le sentiment de catastrophe ravivé par le 11 septembre, je pouvais l’exprimer. J’ai étudié une année à Santa Cruz en Californie au milieu des années quatre-vingts. Et en 1989, j’étais à Montréal quand un tremblement de terre de 6,9 sur l’échelle de Richter a frappé Santa Cruz, la baie de Monterey, ainsi que la baie de San Francisco, causant d’importants dommages dans une région densément peuplée. J’ai assisté aux conséquences du séisme à la télévision, tétanisé par les images qui étaient retransmises. Je connaissais tous ces lieux, je les avais fréquentés, j’avais habité sur une des rues très durement touchées. Ce monde dévasté avait été le mien, et le sentiment de catastrophe était incommensurable.  En fait, il n’a connu une semblable amplitude qu’au moment de la transmission des attentats du 11 septembre 2001. Ce dernier événement est ainsi venu alimenter mon projet de roman qui portait sur Santa Cruz et qui devait déjà se terminer au moment du tremblement de terre. Le 11 septembre 2001 lui a redonné son urgence, en ranimant le sentiment apocalyptique qui en était à la source.
Les failles de l’Amérique est mon roman du 11 septembre. Écrit, construit et déployé à la lumière des attentats, et en écho à leur très grande force symbolique.
Les deux événements, le tremblement de terre et l’attentat terroriste, ont un point en commun sur le plan romanesque : ils résistent à être aisément habités en fiction. Comment intégrer à une intrigue un événement qui est totalement imprévisible (sauf peut-être pour de très rares informés), qui ne dure que quelques instants (des secondes, voire quelques heures à peine), et dont l’expérience a été partagée par d’innombrables personnes? Comment se l’approprier? Comment le narrativiser? Puisqu’on ne peut être que dans l’avant ou l’après, comment en assurer la présence tout au long d’un récit? Par quel moyen éviter l’artificialité de son inclusion, qui peut sembler trop facilement à l’intervention intempestive d’un deus ex machina? L’événement est une rupture brutale et inattendue. Si l’attentat terroriste peut toujours être habité de l’intérieur, en adoptant, même si le choix peut paraître suspect, la perspective des terroristes, un tremblement de terre se produit rapidement et ne peut qu’être subi.
Pour déjouer ce problème, j’ai choisi dans Les Failles de rendre omniprésent le séisme. Chacun de mes huit chapitres, tous narrés à la première personne (on lit le journal du héros, qui écrit sa vie compulsivement à l’ordinateur), s’ouvre sur une section dite objective (et par conséquent narrée à la troisième personne), qui relate les diverses conceptions et théories sur les tremblements de terre élaborées à travers les âges, depuis la Grèce antique.
Le premier chapitre s’ouvre ainsi sur une description du tremblement de terre de Santa Cruz. Cette partie montre ce qu’il reste de la maison de Thomas Cusson au moment de son retour. Il était parti de Santa Cruz, la veille, et n’a rien ressenti du tremblement de terre, ou à peine. Il a appris la nouvelle à la radio et est revenu de toute urgence chez lui, pour ne trouver que des ruines. Il a tout de même la perspicacité de fouiller dans les décombres, où il retrouve son ordinateur. Il se rend à un resto où il peut le mettre en marche et, dès l’instant où le traitement de texte s’ouvre, on commence à lire le journal qu’il a rédigé. La première entrée nous ramène 13 mois plus tôt au moment de son arrivée à Santa Cruz où il commence un doctorat en histoire de la conscience.
Dès les premières pages du roman, les points d’arrivée et de départ du récit sont donnés au lecteur. Le tremblement de terre vient circonscrire les limites du texte. Quand il se produira à la fin du roman, il n’apparaîtra pas comme le caprice ultime d’un deus ex machina, mais la conséquence inscrite dès le début d’un long processus narratif.
Comme je voulais que le tremblement de terre soit toujours présent à l’esprit du lecteur, je ne me suis donc pas contenté de l’inscrire comme borne du roman, j’ai imposé sa réalité par une structure en progression « sismique » (cf. Les nombres des Failles), mais aussi en la ramenant au début de chacun des chapitres. Le chapitre deux s’ouvre sur une description des séismes héritée de l’Antiquité, quand ils étaient conçus comme l’expression de la colère des dieux. Le trois débute avec le tremblement de terre de Lisbonne en 1755; le quatre débouche sur le séisme de San Francisco de 1906. À partir du cinq, c’est le tremblement de terre de Santa Cruz qui est décrit, en fonction d’une perspective de plus en plus resserrée, et cela jusqu’à examiner dans le détail les conséquences du séisme sur la maison de Thomas.

*

Le séisme de terre de Santa Cruz a été pour moi un substitut adéquat aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Je ne crois pas en avoir fini avec ces événements et la violence qu’ils impliquent, mais j’ai été en mesure dans Les Failles de reproduire le sentiment de catastrophe qui m’a habité au moment de l’impact du deuxième avion sur la tour du World Trade Center. J’ai mis en scène une violence que nul ne pouvait prévoir, reprenant à ma façon, et en fonction d’un jeu d’équivalences personnel, un événement qui continue à marquer nos vies.

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« Les neuf queues d’Hubert Gariépy » de Rémy Potvin : Q 3 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/21/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-de-remy-potvin-q-3/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/21/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-de-remy-potvin-q-3/#comments Sat, 21 Aug 2010 15:27:34 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1079 rp-jeunessedesinsectes

Voici maintenant la troisième des neuf queues d’Hubert Gariépy, telle que rédigées par Rémy Potvin (texte reproduit de plus en plus  avec la permission de l’auteur). Je me permets, à ce sujet, de faire remarquer à mes lecteurs que je ne suis ici que le messager. Ce sont les textes de Rémy que je publie, et non une quelconque élucubration de ma part. Je ne suis pas en train de perdre ou de m’enfler la tête, je rends service. Ce n’est pas la même chose.

Or donc, attablés devant des Black and Tan et des verres de Glenmorangie, Hubert et Rémy regardent la faune locale. Toutes ces femmes et une seule queue, oui. Décidément, c’est une manie.

Hubert reprend son énumération.

— Ma quatrième queue sera ornée. Une queue baroque, rococo à ses extrémités, avec des tatouages jusqu’au bout du gland. D’immenses dessins en feront le tour.

— Un tatouage sur ta queue ?

— Imagine un arbre ou une plante qui prend racine dans mon sexe et qui se développe à la grandeur de mon corps. Pas un tatouage cheap fait dans un tattoo parlour de la rue Sainte-Catherine. Non, un tatouage dessiné par un artiste, une forme ésotérique aux pouvoirs insoupçonnés. J’irai chercher les encres dans les endroits les plus reculés. En Malaisie et en Thaïlande. Le bleu viendra de Turquie, le rouge, du Pérou, et le vert, des forêts amazoniennes.

— Ça servira à quoi ?

— Tu te souviens de L’homme tatoué de Ray Bradbury, le recueil de nouvelles ? Les personnes qui contemplaient les tatouages du héros étaient projetées littéralement dans l’histoire qui en était à l’origine. Elles étaient hypnotisées et revivaient les scènes comme si elles y étaient.

— C’était une fiction…

— Mes neuf queues aussi ! Et celle-là sera au cœur d’une œuvre d’art. Je vois des lignes rouges et noires, des dorures et des veines nacrées, comme si mon sexe était un arbre de vie. Et ce n’est pas tout. J’ajouterai des boucles et des piercings. Des tiges d’acier qui traverseront le gland et des anneaux de métal qui encercleront les testicules. À la base de ma verge, je me ferai mettre des cerceaux, tu sais, comme les femmes en Afrique qui se font étirer le cou avec des colliers.

— Tu ne penses pas que cela fera fuir les femmes ?

— Au contraire. Ma queue ainsi dotée sera une merveille et les femmes ne pourront s’empêcher de vouloir l’adorer. Il suffira qu’elles en aperçoivent ne serait-ce que l’ombre pour les faire entrer en transe. L’aura dema queue, spécimen unique au monde, sera incommensurable ! On en fera une religion. On viendra prier à mes pieds. C’est la nouvelle incarnation du Phallus Hubertus.

— Tu y vas fort.

— Ma queue tatouée deviendra le symbole par excellence de la culture et, ainsi, de l’idéal humain. Qu’est-ce qui nous sépare de l’animal ?

— Pas grand-chose, si j’écoute ma blonde…

— C’est la culture. L’art. Nous maquiller ou nous tatouer le corps sont des façons de signifier notre appartenance non seulement à un groupe, mais plus fondamentalement encore à l’espèce humaine. Ma queue tatouée sera l’incarnation même de notre espèce ! Ce n’est pas rien, je t’assure.

— Tu ne crains pas d’avoir l’air ridicule ?

— Et les Maoris ? Leurs tatouages enveloppent leur corps comme un gant. Le mien sera simplement orné en plus d’or et de jade. Je serai un dieu.

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« Les neuf queues d’Hubert Gariépy » de Rémy Potvin : Q 2 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/20/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-2/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/20/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-2/#comments Fri, 20 Aug 2010 13:27:11 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1060 rp-géometriedudesordre

Je sais que tout ceci est mêlant, mais voici donc la deuxième queue d’Hubert Gariépy, qui est dans les faits sa troisième (si je me fie au texte de Rémy Potvin que je remercie à l’avance pour sa précieuse collaboration). Je trouvais que la deuxième manquait un peu de, comment dire de, enfin de, bon, je fais mieux de me taire. Après, juste pour vous avertir, ce sera la quatrième et la sixième.

Hubert et Rémy sont toujours au même bar, l’île noire, ils éclusent les bières comme dans un polar de San Antonio (qu’est-ce qu’il vient faire là, lui ?). Une autre femme remarquable passe tout près de leur table et Hubert reprend de plus belle son énumération.

— La troisième queue, reprend Hubert après une brève hésitation, c’est la queue de rechange.

— Comme un pneu ?

— En quelque sorte. C’est une queue de reprise.

— La première a une crevaison et on la remplace par une queue de secours ?

— Tu ridiculises tout.

— On dirait que tu cours après !

— Ma queue de rechange n’est pas là pour suppléer à un membre déficient, tu sauras, mais pour assurer le deuxième acte. Elle entre en action pour relancer les ébats, une fois le premier acte complété.

— Histoire de tirer un deuxième coup.

— C’est plus que ça. Le deuxième acte auquel je pense n’est pas mécanique ou narcissique, ce n’est pas la performance qu’il vise, mais l’ouverture, le don. C’est un acte gratuit, excédentaire. Il survient quand plus personne ne l’attend, mais il est là, comme un élément de surprise.

— Ce n’est qu’une façon de faire l’amour plus longtemps. Tu pourrais prendre du Viagra, et ça reviendrait au même.

— Je ne sais pas, je n’en ai jamais pris.

— Il paraît que tu peux le refaire aussitôt après, sans période de repos. Tu as fait ce que tu avais à faire et ton sexe est encore à l’attention. Le service n’est jamais interrompu.

— Ce n’est pas pareil… Pour moi, l’interruption est essentielle, elle permet d’établir un rythme, elle structure la séquence. Ce n’est pas un exploit qui est recherché, mais la culmination d’un rituel.

— Et si la femme ne veut pas ?

— Pourquoi ne le voudrait-elle pas ?

— Parce qu’elle en a eu assez…

— Qu’est-ce que tu racontes ? Pourquoi en aurait-elle assez ? Si tu lui promets un deuxième acte qui répond à ses besoins précis, pourquoi refuserait-elle ? Tu comprends, le premier acte est spontané, il se déroule sur lemode de l’urgence. Les instincts sont assouvis. Le deuxième est libéré de toute cette charge animale, il est pure émotion. Voluptueux.

Sado-maso. Ce que tu veux.

— Carole…

— C’est parce que tu ne sais pas t’y prendre. L’important est de lui donner ce qu’elle recherche, et pas ce que tu veux qu’elle désire.

— Trop compliqué, ton truc. Et puis, les deuxièmes fois ne sont jamais aussi intenses que les premières.

— C’est là où tu te trompes. Tu te souviens du film de

Christopher Nolan ?

Memento ?

— Je pensais plutôt à The Prestige, avec Christian Bale et Scarlett Johansson.

— J’ai moins aimé.

— Ce n’est pas grave. L’important, c’est la conception du tour de magie que le film met de l’avant.

— Le prestige, qui donne son titre au film.

— Exact. Un tour de magie comporte trois étapes. La première, c’est la promesse. Le magicien montre quelque chose d’ordinaire, un oiseau, un chapeau, une femme ligotée. Cette promesse est une forme d’érotisme, c’est montrer et cacher en même temps. L’oiseau est-il vrai, le chapeau, normal? Notre regard est attiré. La deuxième étape est le tour en tant que tel, la disparition de l’oiseau sous un foulard, la femme coupée en deux dans une boîte en carton. Cette étape est cruciale, l’acte est consommé, tu comprends. Il n’y a pas de magie sans tour de passe-passe. Mais le tour n’est pas complet, car il faut encore que l’oiseau réapparaisse, que la femme redevienne complète. C’est ça, le prestige, le dernier tour d’écrou, la partie du tour qui scelle le spectacle en donnant au public ce qu’il ne savait pas attendre. Si le prestige est réussi, la salle est définitivement conquise.

— Et alors ?

— Ma queue de rechange, ce n’est rien d’autre que ça, le prestige.

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http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/20/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-2/feed/ 2
« Les neuf queues d’Hubert Gariépy » de Rémy Potvin : Q 1 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/18/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-1/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/18/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-1/#comments Thu, 19 Aug 2010 00:09:03 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1048 L'île noire

Tel que promis (lors de la dernière entrée), voici la première des neuf queues d’Hubert Gariépy, telle que rédigée par Rémy Potvin (reproduit vraisemblablement avec la permission de l’auteur).

Imaginez, histoire de planter le décor, l’auteur, Rémy et son ami, Hubert, assis au bar de l’île noire (je ne sais pas s’il s’agit de l’ancien local sur la rue Ontario ou du nouveau sur la rue Saint-Denis ; disons, pour trancher, l’ancien). Le bar est bondé, Hubert remarque une femme… remarquable, et déclare, de son rire rabelaisien,  « Toutes ces femmes, et une seule queue ! » Ce à quoi répond Rémy : « Que ferais-tu si tu en avais neuf au lieu d’une seule ? Neuf queues ? » Hubert ne répond pas immédiatement, il laisse filer quelques pintes qui descendent comme du sable, puis entreprend de décliner ses neufs queues.

Q1

— La première queue, finit par dire Hubert en prenant un air de conspirateur, sera une queue de sécurité.

— Une queue en forme de marge de crédit ? Comme ça, si jamais tu épuises tes réserves, tu auras des fonds disponibles ?

— Très drôle…

— Je te reconnais là : mon éditeur, l’homme du plan B.

— C’est mieux que d’être une tête brûlée.

— Ta queue de sécurité est un corps de réserve ! Quand l’originale tombe au combat et ne peut plus se relever, tu l’appelles en renfort…

— As-tu fini ? Je pensais plutôt à une sauvegarde informatique.

— Comme un ordinateur ?

— Oui, elle serait l’ultime protection, si jamais tout lereste s’enrayait. Tu le sais comme moi, avec les machines, il faut toujours prendre ses précautions.

— Neuf queues… et ta première serait une queue de sécurité ?

— Si je veux m’éclater avec les huit autres, je préfère commencer par en mettre une de côté.

— Pas très excitant, ton choix.

— Mais nécessaire. C’est la queue qui assure la perpétuation des queues.

— Tu parles d’une queue étalon ?

— Comme la verge, oui. Mais plus en même temps. C’est une queue en forme de ruban de Möbius. Une queue qui se continue d’elle-même et qui fait en sorte que la série ne s’arrête jamais.

— Tu parles d’une queue de serpent !

— Tu penses à l’Ouroboros. La mienne ne fait pas dans le cannibalisme, c’est par sa nature même qu’elle assure la perpétuation des queues. Le raisonnement est simple. Si jamais toutes les queues venaient à disparaître ou à dépérir à la suite d’une longue maladie, il en resterait toujours une, l’ultime queue, la queue de la fin des queues. Elle serait protégée dans un coffre-fort, enrubannée de soie et logée dans un écrin à température contrôlée électroniquement. Le coffre-fort serait, quant à lui, déposé dans une chambre scellée hermétiquement à plus de cinq mètres du sol. Il serait muni d’une porte capable de résister à une bombe atomique.

— Il faut dire nucléaire. Parce que tout est atomique. Une bombe atomique, ça ne veut rien dire. Ton chandail est atomique, ta queue est atomique.

— Qu’est-ce que tu racontes ? De toute façon, on s’en fout ! Atomique ou nucléaire, à fusion ou à fission, l’important est de prévoir. Je disais donc : une porte capable de résister à l’onde de choc et aux radiations d’une bombe. Si jamais l’humanité entière devait disparaître, il resterait au moins une queue pour relancer l’espèce. Ce serait la queue du début d’une nouvelle humanité.

— Et comme ce serait ta queue, tu en serais le dieu.

— Évidemment. On me vénérerait comme le début de toutes choses. Je serais le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

— Le Phallus Hubertus…

— L’origine du monde. Hé ! Hé !

— Il y a un hic à ton raisonnement.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Pour que ta queue essaime à tout vent, après un désastre planétaire, cela te prend un complément. Il te faudra des femmes, et pas n’importe lesquelles. Des femmes en état de procréer. Parce que, s’il ne reste que ta queue, et pas une seule femme pour compléter le cycle, tu n’iras nulle part. La planète restera une terre stérile. Une queue seule ne peut enfanter le monde.

Fin de la Q1

(et pour amadouer l’auteur, rien de tel qu’un peu de publicité… On trouvera donc à la suite de ses queues quelques-uns de ses vieux titres parus aux éditions aléatoires.)

rp-jourdelondres

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http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/18/%c2%ab-les-neuf-queues-d%e2%80%99hubert-gariepy-%c2%bb-q-1/feed/ 0
Argyle Street : réconciliation, injure et trahison http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/15/argyle-street-reconciliation-injure-et-trahison/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/08/15/argyle-street-reconciliation-injure-et-trahison/#comments Sun, 15 Aug 2010 21:27:47 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1037 À quoi ressemble une migriane quand elle déferle

À quoi ressemble une migraine qui déferle

Ça sonnait à la porte.

Je m’attends à tout, quand on sonne à la porte. Suspense, fonction pivot, moment de risque du récit. (Un structuraliste sommeille en moi et se manifeste dès que mon attention faiblit.) Il y a beaucoup de témoins de Jéhovah qui arpentent les rues de Villeray. J’ai une migraine, je ne sais pas si je vous l’ai dit.  Ce sont aussi parfois des mendiants qui font du porte-à-porte en prétextant une maladie intestinale subite. Le reste du temps, ce sont des vendeurs du temple, aiguiseurs de couteaux, agents d’assurances, trafiquants de biscuits pour les scouts,  et c’est à peine si je me donne la peine d’ouvrir. Deux « peine » en une seule phrase, c’est beaucoup. J’entends mon pouls dans mon oreille gauche, ça me donne le cafard. Et ça me ruine le style.

Quand on a sonné, j’étais à mon bureau en train de transcrire une longue citation trouvée dans un livre sur l’idiotie. J’ai de ces sujets de préoccupations, je ne vous dis pas. Je ne vous le dis pas.

Je lis : la représentation classique de la volonté, c’est soit une substance métaphysique, soit une faculté du sujet. On peut y voir dans tous les cas la cause de nos actes et une forme d’identité. L’idiot, en tant qu’être indéterminé et agissant de façon non causée, est évidemment privé de ce centre, de ce fondement, de ce vouloir unique d’où procéderaient toutes choses. Pas de volonté : cela signifierait que l’idiot flotte comme un bouchon sur le courant des phénomènes. Vaste programme… C’est de la part de Valéry. Enfin je veux dire de Valérie, de Valérie Deshoulières. Et ma migraine est une hypoténuse qui se fiche directement dans mon cerveau droit (je suis gaucher).

J’en étais rendu là dans mes réflexions sur la volonté de l’idiot quand on a sonné. Je me suis trainé les pieds jusqu’à la porte et, stupeur et tremblements, tourterelles sans cols, c’était Rémy. Rémy oh-non-pas-encore-lui Potvin. C’était Rémy un peu. Rémy pas de point, l’auteur du roman Argyle Street. Pourquoi je m’obstine à écrire le nom de cette rue en anglais, dieu seul le sait, peut-être parce qu’elle est dans la partie anglaise de la ville et que cela fait plus américain. Il n’y a pas à dire, l’idiot flotte comme un bouchon sur le courant des phénomènes.

Après notre rencontre tendue au marché Jean Talon, après ce qui ressemblait à une prise de bec, je ne m’attendais surtout pas à le voir apparaître à la maison. D’autant plus que je ne lui avais pas donné mon adresse. Mais en cette ère d’Internet tout ce trou sans peine tout se trouve la centaine tout se trouve sans peine ok merci. Alors la merci. Je sens une migraine attaquer mais le fronton, mes lobes frontaux. Point. Qu’est le château qu’est ce que je raconte. Qu’est-ce.

Nous nous nous sommes installés de chaque côté de l’ilot de la cuisine (le troisième « nous », c’est pour le fantôme qui n’arrête pas de me zyeuter), je lui ai donné un café, des biscuits, et j’ai ouvert la porte arrière de façon à ce qu’il puisse voir la cour. Je lui ai offert de nous installer, lui, moi et le fantôme, sous la pergola. La table est ronde, elle risquait de ne pas trop grincer quand elle se mettrait à tourner. Mais Rémy n’était pas d’humeur belliqueuse. Il se voulait plutôt un compris compris quoi compris quand tri incompris dans la voie là voilà. Ah, quelle migraine. Tout ce qu’il avait voulu c’était qu’on parle de son roman, qu’on transforme le vide initial en un plein, me plaît, quel qu’il soit, en appelait quel qu’il soit. Il regrettait d’avoir réagi et laissé un commentaire sur le site.

Nous avons parlé de choses et d’autres, l’humeur était bâtie une Bahlsen Bahlsen avait à un est arrêtée à Vienne arrêtait a été cinq ne rien n’avait fait entendre vraiment à distance se tenait à ce devrait être un revers à cette fin. J’ai quelle adresse les Français et les lesbiennes qui écrivent un charabia. Ce n’est pas qu’une qu’il venait de me de réaliser un. Ouf, il faut vraiment que je prenne un deuxième cachet. Ce n’est pas moi qui ai écrit ces derniers mots, c’est l’idiot en moi qui flotte comme un bouchon sur le courant des phénomènes.

Mais revenons à nos moutons. Rémy voulait me montrer d’autres photos du quartier mis en scène dans son roman. Nous avons donc continué à regarder ses clichés aux couleurs fades, développés par un Jean Coutu en mille neuf cent quatre-vingt quelque, et parlé de la ville, de ce Montréal qu’il aime et ne quittera jamais.

Je m’égarais dans mes pensées, oubliais le temps qui file, comptais les chats qui traversaient la cour arrière, l’une des seules à permettre le passage de la ruelle à la rue, via notre entrée de garage, je comptais aussi les avions à réaction qui passent au-dessus de nos têtes, surtout en fin d’après-midi quand les vols intercontinentaux atterrissent à Dorval. Ils font un bruit d’enfer et on ne s’entend plus. Rémy parlait, discourait, professait, se répétait, se repentait et, de plus en plus, se rapetissait, comme si toutes ses paroles le vidaient de l’intérieur.

Ne le lui dites pas, mais je ne l’écoutais pas. Je ne l’écoutais pas. Je ne sais pas exactement ce que je faisais mais ce n’était pas de l’écoute c’était de l’inattention, une posture du corps ouverte favorisant l’intimité mais en même temps une absence totale de présence d’esprit de ma part, comme si nous n’existions pas dans le même univers et que son monde et le mien étaient complètement différents.

Pour me prouver le sérieux de sa démarche, il avait sorti une grosse enveloppe brune de sa mallette.  Il y avait des plans, des dessins et des croquis, des pages et des pages de notes, un schéma complexe d’équivalences entre les Tableaux d’une exposition de Moussorgski et la structure de son roman, des débuts de chapitre, des fiches techniques de toutes sortes, des cahiers de notes, d’étranges cahiers de notes de style Clairefontaine, qu’il semblait avoir remplis avec tout ce à quoi un écrivain peut penser quand il est dans un processus de création. Il a appelé ça : ses carnets. Voilà mon carnet Argyle Street.

Mon carnet. Le numéro 29.

J’en prendrai un gros avec une frite tant qu’à y être.

Pendant ce temps je pensais aux idiots et à leur absence de volonté. Je regardais Rémy, je nous regardais tous les deux en fait tous les trois puisqu’il faut bien compter le fantôme entre nous comme une présence, et je me demandais lequel de nous deux ou trois était l’idiot, lequel de nous deux ou trois agissait et lequel était incapable de le faire. Peut-être que l’idiot ce n’était pas Rémy mais plutôt moi, l’auteur de ces lignes, foudroyé par une Michael une migraine qui transformait mon cerveau en un cadeau de Rome en une quête de Rome en un kit de drums manipulé par l’ancien batteur de Led Zeppelin. Qui est-ce qui flotte encore comme un bouchon sur le courant des phénomènes?

C’est Beegee.

J’ai laissé parler Rémy,  je lui ai donné à boire et à manger,  j’ai laissé filer le temps et après quelques heures d’insomnie, car j’avais vraiment l’impression que d’écouter Rémy ressemblait à une insomnie, de celle qui nous tient éveillé aux alentours de 4h00 du matin, puis je me suis levé pour lui signifier que notre rencontre était terminée, que j’étais très content que nous nous soyons réconciliés, lui, moi et le troisième nous, mais qu’il était temps que j’aime, il était temps que Jeanne, que j’aille me reposer. Aïe.

Ce n’est qu’après son départ que j’ai remarqué  une liasse de papiers dactylographiés. Il avait dû la laisser tomber par mégarde. Les feuilles étaient pliées en deux, je les ai dépliées et j’ai commencé à les lire. Ce n’était pas un extrait de Argyle Street, son roman, mais des extraits d’un projet en cours. Il n’avait donc pas cessé d’écrire, malgré ses dires.

La liasse portait un titre : « Les neufs queues d’Hubert Gariépy ». Chez les élus cépages puissants partaient vraiment très belles. Quoi?

J’aurais dû replier les feuilles et jeter le tout aux poubelles, j’aurais pu téléphoner à Rémy pour l’avertir de son oubli, j’ai choisi plutôt de lire le texte et, maintenant, je me sens sur le bord d’une nouvelle trahison. Je pourrais rester les deux mains dans les poches, attendre que le beau temps se morpionne, prendre une sangria en laissant les oranges de côté, mais voilà, ça me démange, samedi dimanche. J’ai un ordinateur et un numériseur, cela doit servir à quelque chose. Alors, tel qu’en mon âme et conscience je m’autorise à ce type de manœuvres pas totalement cachères, j’ai décidé sans plus tarder de reproduire des extraits du texte de Rémy Potvin, texte orphelin, victime d’une chute sous une pergola.

Je serai sa famille d’accueil.

Je m’excuse à l’avance auprès de Rémy de ma décision de faire paraître ici, dans ce lieu convivial mais peu fréquenté, des extraits d’une œuvre à venir mais je me dis que c’est peut-être le plus bel hommage que je pouvais lui rendre, c’est-à-dire de faire connaître son texte avant même qu’un éditeur s’en soit emparé et, comme il aime à le dire, ait commencé à le détruire.

On trouvera donc ci-après quatre des « Neuf queues d’Hubert Gariépy ». Et pour ceux qui se demandent qui est ce sombre individu, Hubert Gariépy est le nom de l’éditeur de Rémy Potvin.  C’est lui qui a édité Argyle Street.  J’espère seulement qu’il a un bon sens de l’humour, car son ami n’y est pas allé avec le dos la cuillère. J’aurais dit normalement « n’y est pas allé de main morte », mais comme il est question de queues, je n’ai pas voulu sombrer dans la facilité.

Voilà ce que j’avais à vous raconter entre deux pulsations.

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Réflexions sur le contemporain III. L’écume du contemporain http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/09/27/reflexions-sur-le-contemporain-iii-lecume-du-contemporain/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/09/27/reflexions-sur-le-contemporain-iii-lecume-du-contemporain/#comments Sun, 27 Sep 2009 15:07:48 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=393
Le philosophre moderne en plein musement (désolé Sam!)

Le philosophre moderne en plein musement (désolé Sam!)

(Cette entrée a paru initialement sur Salon double, le 14  septembre 2009)

Le contemporain est un objet difficile à cerner.

Ce n’est pas un territoire, simple à circonscrire et à baliser, c’est un temps, et plus précisément le temps présent. Or, le présent, notre présent, n’est pas un temps homogène; il est fait de temporalités différentes, de tensions multiples et de vecteurs pluriels. Pour Paul Zawadzki, «Les temps sociaux se structurent dans la multiplicité, l’hétérogénéité et la conflictualité1». Et il a raison d’affirmer que Chronos obsède notre époque. Nous ne sommes pas seulement dans le temps, nous sommes fascinés par le temps et sa perception, par notre place dans le temps, par la place de notre temps dans l’histoire humaine, par le jeu des temps qui se croisent et s’interpénètrent.

Pour Jean-François Hamel, il est évident que « Dans une même époque, tout n’est pas immédiatement présent, il y a toujours aussi des fragments de passé et d’avenir qui coexistent et s’amalgament dans des configurations toujours nouvelles. On est contemporain d’une chose quand on est avec cette chose dans le même temps, mais ce temps n’est pas seulement le présent : c’est aussi un certain passé et un certain avenir. On peut être contemporain de ce qui a été et de ce qui sera en même temps que contemporain de ce qui est. À vrai dire, une époque n’est pas une réalité homogène : c’est un rassemblement de fragments temporels hétérogènes qui parfois s’accordent de manière organique, parfois provoquent des anachronismes2».

Notre relation au temps est faite d’une négociation complexe, où ce que l’on gagne d’un côté, on le perd systématiquement de l’autre. Parfois, le passé semble se faire de plus en plus lointain, et c’est le futur qui pousse de tout son poids sur le présent, orientant son développement. Les progrès technologiques nous incitent à rêver de jours meilleurs, où tout sera résolu, même s’il y a là une utopie, un leurre dangereux. À d’autres moments, c’est le passé qui paraît s’éterniser et qui ne desserre pas ses griffes sur le présent, neutralisant le futur et l’éloignant comme une aube impossible à rejoindre. La tradition fige les institutions et projette un monde qui ne parvient plus à se renouveler. Il arrive aussi que le passé et l’avenir pressent fortement sur le présent, ou alors se font tous les deux distants et inaccessibles, et le présent entre dans une crise, où tout paraît boulonné, où les horizons d’attente se disloquent. Ce ne sont jamais que des perceptions, fondées sur ces rapports imaginaires que nous entretenons avec le réel, mais elles teintent la conception de notre propre temps.

D’ailleurs, ce présent, comment le construit-on? De haut en bas ou de bas en haut? Cette réalité qu’est notre présent se déploie-t-elle à partir de principes que les événements du monde rendent manifestes, ou est-ce plutôt que les événements par le jeu des contingences créent notre réalité ? Celle-ci découle-t-elle d’une vision du monde ou se construit-elle à partir des faits ?

Quel que soit le modèle impliqué, le présent se construit nécessairement dans la relation du sujet au monde, et l’imaginaire en est l’interface par excellence. C’est une interface extraordinairement complexe où de multiples vecteurs entrent en tension, où les liens entre attention, attente et mémoire se multiplient, constituant de la sorte un paysage d’une grande complexité. Le temps y apparaît soumis à de multiples situations de rupture, qui requièrent des sutures que l’imaginaire s’empresse de pourvoir. Avant de passer à la question cruciale de la définition du contemporain comme véritable régime d’historicité (sujet d’une prochaine réflexion), il convient d’examiner brièvement la relation entre le contemporain et le passé.

*

Dans sa réflexion sur le contemporain, présentée sur Salon double, René Audet propose que «Le contemporain commence au point de rupture entre historicité et actualité», et que  «Le contemporain se situe hors de l’histoire, narrativement parlant» Arrêtons-nous quelque peu sur ces assertions, afin d’en bien comprendre les tenants et aboutissants.

La première de ces deux propositions stipule que c’est l’immédiateté du moment présent, son étonnant achèvement (aussitôt commencé, aussitôt terminé), de même que son perpétuel inachèvement (il renaît au moment même où il meurt), qui provoquent la rupture entre historicité et actualité. C’est que l’instant présent est paradoxal : il s’achève dans le mouvement même de son amorce. Il n’a aucune densité, c’est une ligne verticale qui vient briser la ligne horizontale du temps. La rupture surgit dans la relation entre les deux plans. Mais la question de savoir où «conduit» la période contemporaine est délicate (René Audet complète sa première prémisse en affirmant qu’il «est facile de discuter de la période contemporaine et de voir où elle conduit — pour l’instant, elle s’arrête là, maintenant, au moment de la lecture de ce texte.»). Doit-on dire que cette période conduit au temps présent ou, au contraire, qu’elle en émane ou en provient. La flèche du temps est-elle dirigée vers le temps présent ou au contraire s’en éloigne-t-elle?

Cette première assertion propose une dynamique précise à trois termes : contemporain, histoire et actualité, où les deuxième et troisième apparaissent comme des vecteurs en opposition. Le résultat de leur tension est d’ailleurs présenté comme étant le contemporain.

On remarque d’emblée le choix des mots de René Audet. Pour lui, le contemporain ne commence pas au point de réunion de l’historicité et de l’actualité, mais de rupture. En quoi est-ce une rupture? Pourquoi n’est-ce pas une simple jonction, une relation? Poser qu’il y a rupture est sûrement une façon d’expliciter la tension au cœur de la définition même du contemporain, de ce présent qui est le nôtre et qui ne se déploie pas sans ses zones de relations précarisées. Le contemporain est au point de rupture, parce qu’il est un temps en crise, un temps où les disjonctions se multiplient. Et c’est un temps qui requiert une suture, ce que les représentations culturelles permettent, ce que l’imaginaire comme interface implique.

Si l’expression utilisée avait été « jonction » plutôt que « rupture », l’assertion de René Audet aurait présupposé que l’histoire et l’actuel sont faits pour être joints, qu’il y a là une relation naturelle, ayant de fortes chances d’être entérinée. Or, le choix du terme de rupture nous indique plutôt qu’il n’y a rien de naturel entre les deux termes. Nous ne sommes pas dans une représentation rassurante du temps, où les jonctions peuvent être facilement actualisées et représentées; nous sommes plutôt confrontés à une conception vectorielle, où les relations entre passé et futur créent une tension.

Par contre, s’il n’y a pas de jonction, la rupture n’est pas non plus une pure béance. Le contemporain n’est pas une masse de données, d’événements et de situations à l’état brut ou qui résistent à tout traitement. Pour exister, le contemporain se doit d’être sémiotisé par un sujet ou une communauté interprétative, il se doit d’être intégré à un processus de description et de compréhension. S’il y a ruptures, événements, modifications du cours des choses, ces faits doivent être objets de perception, ils doivent être interprétés et soumis à un jeu d’interprétants qui leur donnent sens et fonction. De cette façon, la prémisse de René Audet peut être reformulée : le contemporain commence au point de suture entre historicité et actualité.  Et cette suture est nécessairement orientée vers l’un ou l’autre des bornes du temps présent, à savoir le passé ou le futur.

Il manque, on le voit maintenant, un terme à l’assertion de René Audet. Il n’y est question que du passé par le biais de l’historicité. Or, l’actualité du temps présent ne peut être appréhendée qu’en fonction de ses deux bornes, l’histoire ou le passé, l’avenir ou le futur. Il en va de notre façon de comprendre comment nous construisons notre réalité. Celle-ci découle-t-elle d’une vision du monde, héritée du passé, ou se construit-elle à partir des faits qui témoignent d’une nouvelle situation?

De la même façon, si «le contemporain se situe hors de l’histoire, narrativement parlant», il se déploie tout de même à la jonction du passé et de l’avenir, et il se manifeste par le biais d’une mise en récit ou en discours. Il ne peut y avoir de contemporain sans une sémiotisation des données du temps présent, sans une construction de cette réalité qui nous sert d’interface avec le monde. Il est essentiellement un objet de pensée et, par la force des choses, il engage à une interprétation et à une projection. Il est un produit, le résultat du jeu d’un ensemble de forces et de tensions. Le contemporain est, en tant que construction, ce qui permet de rattacher le présent au passé, maillon d’une chaîne qui se continue jusque dans l’avenir.  S’il est hors de l’histoire, il cherche pourtant à la réintégrer, à en faire partie. Les productions culturelles actuelles permettent de donner à ce contemporain une identité. Elles participent de son imaginaire, elles en sont une manifestation.

*

Le contemporain est l’écume de l’actualité.

Plus qu’à Boris Vian, l’expression fait référence à la figure que déploie Peter Sloterdijk dans le troisième tome de ses sphères, Écumes3. L’écume, «cette liaison éphémère de gaz et de liquides» (p. 24), lui permet de penser la complexité, car chacune des bulles de l’écume, chacune des sphères générées par le mélange de molécules liquides et gazeuses, représente un équilibre instable et éphémère. L’écume, c’est «presque rien, et pourtant : pas rien. Un quelque chose, et cependant : seulement un tissu formé d’espaces creux et de parois très subtiles. Une donnée réelle et pourtant : une entité qui redoute le contact, qui s’abandonne et éclate à la moindre tentative de s’en emparer. C’est l’écume telle qu’elle se montre dans l’expérience quotidienne.» (p. 23)

Le contemporain est une telle écume générée par la rencontre du présent et de ses temps limitrophes. Il est produit par l’union de l’actuel, cette masse fluide dont les vagues nous emportent sans coup férir, et de cet étonnant mélange de potentialités que représente le futur et de rémanences d’un passé qui s’accroche encore. Il est difficile à manipuler, parce que éphémère, n’existant réellement que le temps que dure le présent.

Le contemporain, comme l’écume, n’existe par contre que s’il y a vie, c’est-à-dire dynamisme, agitation, mouvement, réaction, forces contradictoires… « Dès que cesse l’agitation du mélange, celle qui assure l’acheminement d’air dans le liquide, la majesté de l’écume retombe rapidement sur elle-même. » (p. 24) Le contemporain ne s’impose à notre esprit que parce que l’agitation du temps présent en commande la saisie.

L’écume a trop souvent servi de «métaphore à l’inessentiel et à l‘intenable. […] Ça enfle, ça fermente, ça tremble, ça explose. Que reste-t-il?» (p. 24) Pourtant, le contemporain le dit bien : l’écume est le signe de l’agitation du monde, le résultat des mélanges et des tensions qui fondent notre réalité. L’écume est un langage et il parle des forces qui en provoquent l’apparition. Essayer d’en rendre compte ne peut procéder que par un «procédé global d’admission du fortuit, du momentané, du vague, de l’éphémère et de l’atmosphérique – un procédé auquel participe les arts, les théories et les formes de vie, chacun avec ses propres types d’engagement.» (p. 30) En rendre compte ne peut procéder que par une théorisation de l’imaginaire qui seul permet de considérer le rapport au monde comme une interface, et les diverses production culturelles comme des manifestations de son action nécessairement polymorphe.

Le contemporain est un précipité. D’où peut-être l’illusion que notre modernité s’y précipite, fascinée par sa propre image.

1 Paul Zawadzki, « Les équivoques du présentisme », Esprit, juin 2008, p. 114.
2 Tiré d’un texte pour le séminaire « Construction du contemporain », UQAM, automne 2006.
3 Peter Sloterdijk, Écumes, Paris, Hachette, 2005, [2003].

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