Ce n'est écrit nulle part » Australie http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Mirage. Ultime mouvement http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/08/03/mirage-ultime-mouvement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/08/03/mirage-ultime-mouvement/#comments Mon, 03 Aug 2009 13:15:13 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=381 IMG_2639-low

Le mont Uluru, la nuit, est une masse indistincte.
Déjà peu loquace, il se tait quand la terre poursuit sa rotation et que notre regard, n’ayant plus à se protéger de ce soleil qui donne vie et lumière, se perd dans l’infinité de l’univers.
Il nous rappelle que le Temps du rêve est un mythe, que son ère est ancienne et que ses figures ne nous apparaissent plus qu’à travers d’innombrables distorsions qui en brouillent les traits, peut-être même jusqu’à l’anamorphose.
Le mont Uluru est un mirage qui, la nuit, retourne là où se terrent les illusions.
Et le savoir auquel il semblait donner accès, cette révélation d’une relation nécessaire entre des termes issus de cultures et de philosophies différentes, se retrouve fragilisé.
Mais la fragilité est le propre de l’existence.

*

Uluru…
Le temps du voyage est depuis longtemps passé. Et le mont est retourné dans cette cage à souvenirs que d’aucuns nomment la mémoire.
Une cage comme un panier percé.
Déjà, il n’y reste plus que des miettes.

*

(Saint-Sauveur, dans les Laurentides)
À force de regarder la clairière devant ma fenêtre, à force  de laisser mes yeux en découper les contours, la clôture de perches de cèdre, les lupins, les iris et les lys qui en ponctuent les angles, les épinettes fragiles, les cordes de bois qui délimitent le terrain, elle s’est imprégnée dans mon esprit. Même si je ne suis plus devant ma fenêtre, je n’ai qu’à fermer les yeux pour en revoir les couleurs et les formes.
Le paysage m’habite tout autant que je le hante.
En cela, son souvenir est beaucoup plus stable que l’est celui du mont Uluru, que je n’ai vu que quelques heures.
Les photographies sont là pour témoigner de ma présence à ses pieds. Mais le mont n’est plus qu’un mirage de couleurs et de formes assoupies dans mon esprit. Je ferme les yeux et je ne le vois plus. Je cherche à travers mes souvenirs, et je ne capte que de fragiles spectres sans importance.
Sa présence en moi est liée au fait que mon bref séjour sur ce continent a permis un rapprochement que rien ne me permettait d’anticiper. Sa présence ne prend plus la forme d’une image ou d’un moment de vie, mais d’une parole et d’un discours, témoins hésitants d’une révélation maintenant évanouie.
Il ne reste plus que de faibles traces d’un processus dont le propre est de n’en laisser aucune.

*

Uluru.
Certains noms portent un mystère, comme si la nuit qui les entoure jamais ne relâchait son étreinte.

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Mirage. Cinquième mouvement http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/28/mirage-cinquieme-mouvement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/28/mirage-cinquieme-mouvement/#comments Tue, 28 Jul 2009 16:10:11 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=375 IMG_2745-low

Le Temps du rêve souffle où il veut.
Les chants de pistes qui lui sont liés découlent de cette conception de l’imagination et du rapport au territoire. Il semble que les Ancêtres, quand ils ont exploré à l’occasion du Temps du rêve le continent australien, aient laissé dans leur sillage une suite de mots et de notes de musique qui constituent des pistes, véritables voies de communication entre les tribus.
Le territoire est marqué par une écriture illisible, voire invisible pour les non-initiés, mais qui lui donne une forme, qui le fait exister.

Le Temps du rêve ne peut être abordé, en tant que potentialité, que si des chants de pistes témoignent de sa présence en amont. Une potentialité, par définition, échappe à toute actualisation. Dès qu’elle s’est actualisée, elle a commencé à se dégrader, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, son souvenir. Mais cette trace même imparfaite est la seule façon d’en inférer la présence.
De la même façon, le musement ne peut être décrit que si une parole quelconque parvient à témoigner de sa présence initiale. En fait, tout parole, en tant qu’actualité, implique une potentialité que le musement identifie comme processus. S’il apparaît comme le jeu pur d’une pensée libérée de ses amarres, ce qui remonte à la surface n’en est jamais qu’un reste, une pâle version, dénuée de toute vitalité, mais c’est tout de même un témoignage, le seul qui puisse exister.

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IMG_2342Pour Bruce Chatwin, ces chants de pistes constituent « un labyrinthe de sentiers invisibles sillonnant tout le territoire australien » (Le chant des pistes, in Œuvres complètes, Paris, Bibliothèque Grasset, 2005 (1987), p. 606).
Le territoire n’a commencé véritablement à exister qu’à partir du moment où il a été chanté dans le Temps du rêve. « En amenant le monde à l’existence par le chant, dit Chatwin, les ancêtres avaient été des poètes dans le sens originel de poiesis, la ‘création’. » (Le chant des pistes, p. 619)

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Dans le mythe grec, pour sortir du labyrinthe, il faut un couple lié par un fil, c’est-à-dire un être qui s’aventure dans le dédale, Thésée, et un autre qui l’aide à revenir, Ariane. Le premier est l’oubli et la seconde, le rappel. Sans Ariane, le labyrinthe est un tombeau.
Les mêmes éléments sont essentiels pour revenir et retenir quelque chose du musement. Un couple lié par un fil, celui de la parole. Un être, un museur, qui explore à l’aveugle les voies de l’oubli et de l’échappé, et un autre, un scribe, qui prend note de ce qui a été recueilli.

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Les chants de pistes sont connus par les occidentaux comme « des ‘itinéraires chantés’ ou ‘pistes de rêves’ et des aborigènes sous le nom d’‘empreintes des ancêtres’ ou de ‘chemins de la loi’. Les mythes aborigènes de la création parlent d’êtres totémiques légendaires qui avaient parcouru tout le continent au Temps du rêve. Et c’est en chantant le nom de tout ce qu’ils avaient croisé en chemin – oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d’eau – qu’ils avaient fait venir le monde à l’existence. » (Chatwin, Le chant des pistes, p. 606)

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Dans le Temps du rêve, la langue n’est pas arbitraire, mais motivée. Chanter le nom des choses les fait venir au monde. Nommer, c’est faire exister. Et cette assertion a une valeur ontologique. L’existence en question n’est pas limitée aux faits sociaux et conventionnels, elle embrasse la vie elle-même.
Dans la Genèse, Dieu façonne du sol tous les animaux et il les conduit à Adam pour voir comment celui-ci les appellera : « chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné » (Gen 2 : 19). Le savoir du premier homme est inné, sa langue est parfaite, et les noms qu’il donne aux animaux sont ceux que Dieu leur reconnaîtra. L’homme et Dieu parlent la même langue : une langue qui est dans une relation nécessaire aux choses de ce monde, puisqu’elle permet de les identifier exactement, hors de tout arbitraire, et ultimement de les faire exister.
Le Temps du rêve et la Genèse adhèrent à une même conception du langage.

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Les aborigènes, selon Chatwin, ne conçoivent pas « le territoire comme un morceau de terre délimité par des frontières, mais plutôt comme un réseau de ‘lignes’ et de voies de communications entrecroisées. » (Le chant des pistes, p. 661)

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« Pour certains, les pistes chantées étaient comme L’Art de la mémoire à l’envers. Dans le merveilleux livre de Frances Yates, on apprend comment les orateurs de l’époque classique, Cicéron et ses prédécesseurs, bâtissaient des palais de mémoire en liant les parties de leurs discours à des structures architecturales imaginaires; après avoir fait le tour de chaque architrave et de chaque colonne, ils pouvaient mémoriser des longueurs colossales de discours. Les diverses parties étaient connues sous le nom de loci ou ‘lieux’. Mais en Australie les loci n’étaient pas de simples constructions mentales, mais existaient depuis toujours sous la forme des événements du Temps du rêve. » (Le chant des pistes, p. 906)

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IMG_2825Les chants de pistes constituent un labyrinthe de sentiers invisibles, lié au Temps du rêve.
Or, le labyrinthe est justement, et très précisément, l’antithèse des palais de mémoire (je développe l’argument dans La ligne brisée, dont je reprends ici un extrait). En tant que structure faite pour s’égarer, il apparaît comme un lieu de l’oubli, non pas d’un oubli pur et simple, comme une amnésie complète, mais un oubli partiel, une pensée désarticulée, toujours capable de comprendre qu’elle est dans un dédale, mais impuissante à rétablir les liens qui unissent les tracés entre eux. C’est une pensée qui capte, sans pour autant retenir l’ordre des choses, une pensée désordonnée qui se réinvente sans cesse, car elle ne repose pas sur ce qui est déjà établi. Or, c’est la définition même du musement.
Pour Yates, «L’art de la mémoire est comme une écriture intérieure.» (L’art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 18) Le musement est cette même écriture, déliée, s’écrivant toute seule. L’identité n’y est pas maintenue par répétition ou procédé d’attribution; elle l’est plutôt par invention, renouvellement et conquête d’un territoire qui est celui, intérieur, de la pensée elle-même.

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Le chant des pistes est un musement de nature géopoétique. Et on comprend intuitivement que c’est une poétique qui est ainsi mise en scène, un rapport à la création essentiellement dynamique, qui repose sur les potentialités infinies d’un Temps du rêve, métaphore chronotopique et mythologiquement articulée du musement.

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Chatwin avait anticipé ce rapport dynamique à la création, déclarant lors d’une généralisation peu commune chez lui, qu’il avait l’impression « que les itinéraires chantés ne se limitaient pas à l’Australie, mais constituaient un phénomène universel, le moyen par lequel les hommes marquaient leur territoire et, en conséquence, organisaient leur vie sociale. Tous les autres systèmes qui lui ont succédé n’étaient que des variations – ou des perversions – de ce modèle originel. » (Le chant des pistes, p. 907)

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Chatwin se plait à imaginer des chants de pistes « sur tous les continents, à travers les siècles », et des « hommes laissant derrière eux un sillage de chants (dont, parfois, nous percevons un écho). » (Le chant des pistes, p. 907-908) Je veux, à sa suite, proposer que la création littéraire, que toute création artistique, n’est qu’un subtil chant de pistes, la production d’itinéraires chantés qui nous expliquent qui nous sommes et d’où nous venons, qui nous inscrivent dans un territoire (culturel et géographique), qui nous y lient et qui, en même temps, l’actualisent. Notre culture n’est rien d’autre que la face actualisée d’une potentialité, véritable rêve d’une socialité en coalescence.

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Nous sommes des êtres du temps et de la mémoire, uniquement parce que notre société nous a formés à penser notre rapport au monde en ces termes. Bien entendu, le temps, les saisons, les lunaisons, les durées variables de temps d’ensoleillement marquent nos vies. Mais la création littéraire, toute forme de création,  peut, voire doit s’affranchir de cette contrainte, si elle veut, non seulement rendre compte du présent et de ses exigences, mais s’ouvrir aux formes potentiellement infinies de l’imagination, par définition atemporelle.

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IMG_2816Nos pensées sont avant toutes choses des possibilités. Parler et créer, c’est arrêter le flux constant de pensées qui nous traverse, pour en capter un moment. C’est comme tendre un gobelet dans les eaux tumultueuses d’une rivière pour en ramener un verre. Que reste-t-il, dans ce verre, de l’énergie de la rivière? De l’écume, des remous, des vagues qui se brisent contre les roches? Plus rien, du moins en surface. L’eau du verre est calme et sereine, elle ne tressaille plus, elle se laisse boire sans réagir. Elle est à notre portée, tandis que l’eau de la rivière était véhémente, mais elle tire son origine de cette seule source. Entre nos pensées énoncées et la rêverie en action, entre la création et le musement, il y a le même écart. Et la même relation nécessaire. Il n’y a pas de pensée sans rêverie, comme il n’y a pas d’eau sans rivière.

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Le mince filet d’eau qui s’échappe du verre est un chant qui muse sur la rivière comme de son Temps du rêve original. Un rêve depuis longtemps perdu, et d’autant plus merveilleux qu’il ne pourra jamais être récupéré, renvoyé dans la strate des potentialités désuètes puisque déjà actualisées.

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Mirage. Quatrième mouvement http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/22/mirage-quatrieme-mouvement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/22/mirage-quatrieme-mouvement/#comments Wed, 22 Jul 2009 12:33:47 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=361 IMG_2633-low

Le mont Uluru a été chanté avant d’exister, il a été imaginé, dessiné, projeté sur la surface rouge de la terre. Il est issu du Temps du rêve, et ses pentes lisses comme de la pâte, ses formes arrondies et ses blessures qui laissent transparaître des ruches constellées d’alvéoles vides parlent d’un temps autre, d’un temps maintenant dépassé, quand tout émergeait, frais à l’esprit et tout à la fois scintillant et effrayant.

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Le Temps du rêve est, pour les aborigènes, l’époque de la création du monde.

«Toute création provient de la même source : le rêve et les agissements des Grands ancêtres. Toutes les étapes, les phases et les cycles étaient présents simultanément dans le Temps du rêve. » (Lawlor, Voices of the First Day, p. 15)

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La plupart des commentateurs signalent que l’idée de rêve ne parvient qu’imparfaitement à décrire ce temps mythique de la création du monde des aborigènes. Le terme a été conservé dans les diverses traductions, faute de mieux.
Notre vocabulaire est définitivement trop pauvre pour identifier les états de conscience que nous pouvons connaître. Notre dépendance à la rationalité et au sentiment de sécurité qu’elle engage – car rien n’est plus rassurant qu’une structure stable et prévisible–, nous incite à négliger les marges de notre imagination, ses mouvements ombragés, ses pourtours incertains. Nous avons plus de mots pour identifier les pièces d’une automobile que pour décrire nos états d’esprit.
Pour expliquer l’extraordinaire dynamisme du temps de création des aborigènes, nous n’avons qu’un seul terme, le rêve. Façon, entre autres, d’en réduire la portée, d’en banaliser les résultats. Ce n’était après tout qu’un rêve
D’autres notions pourraient être proposées pour signaler le caractère fondamental de ce temps de création.

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Le Temps du rêve, aurait ainsi dit Charles Sanders Peirce, est essentiellement une forme de musement. Et le philosophe américain a, lui aussi, résisté à décrire l’activité de création ou de recréation pure impliquée par son concept comme une forme de rêve.
S’il a commencé par le décrire comme une rêverie ou une méditation, il s’est ravisé, précisant qu’il s’agit avant tout d’une rêverie pleine, sans perte de conscience, sans absence complète de soi. Le musement est plutôt de l’ordre du jeu, mais d’un jeu aux propriétés particulières : « c’est du Jeu Pur. […] Il souffle où il veut. Il n’a pas de projet, hormis la récréation. » (« Un argument négligé en faveur de la réalité de Dieu », in Lire Peirce aujourd’hui, Gérard Deledalle, éd., Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1990, p. 174)

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Le Temps du rêve aborigène est aussi un jeu pur, un jeu qui précède toute loi, parce qu’il en est le présupposé. Il souffle où il veut, comme un esprit qui s’aventure sur des chemins peu fréquentés et qui produit de l’inouï, du nouveau, une création originale.
Le Temps du rêve est une forme d’oubli actif qui permet la production et la création de formes essentiellement nouvelles et inédites. C’est un temps de création.
Et, peu à peu, il s’est imposé comme le Temps de la création, une fois enclenché le processus de mythification qui fait du passé lointain une origine.

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IMG_2755Comment quelque chose se révèle-t-il à nous? Quelle est la substance même des mirages?
Georges Didi-Huberman donne l’exemple de la poussière en suspens : « La poussière nous montre qu’existe la lumière. Dans le rai qui tombe au sol, du haut d’un oculus, la poussière semble nous montrer l’idéale existence d’une lumière qui serait épurée des objets qu’elle rend visible : entre un vent d’éther et la fluidité sans but d’infimes particules. Il ne s’agit que d’une fiction, bien sûr, car l’objet, loin d’être épuré, est bien là et c’est la poussière elle-même. » (Phasmes. Essais sur l’apparition, Paris, Minuit, 1998, p. 57.)
Le contenu des rêves, la matière même du Temps du rêve se révèlent à nous comme un rai de lumière laisse transparaître la poussière en suspens. Cette matière est à la fois présente et absente. Elle existe, même si elle est impalpable et essentiellement évanescente. Elle s’actualise juste assez pour que sa potentialité s’impose à l’esprit.

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Le musement est lui aussi un temps du rêve, une pure potentialité. Il se présente comme un dessaisissement, un mouvement continu de la pensée, un flot qui nous traverse jusqu’à ce que nous nous déprenions de lui, pour une raison ou pour une autre. C’est une forme de discours intérieur, qui ne doit pas être conçu comme une dérive occasionnelle, mais comme le moteur même de notre pensée. On peut le comparer à l’association libre, pratiquée en psychanalyse, qui n’est pas le musement, mais une façon d’en mimer le jeu. C’est surtout l’errance d’un esprit en plein processus créateur, processus qui ne nous apparaît qu’à la faveur de circonstances singulières : faisceaux de lumière, bruit incongru, découverte d’un paysage saisissant.

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Muser, c’est perdre la notion du temps, et c’est se perdre dans la contemplation de figures, de ses figures. Muser, c’est s’inscrire dans le temps du rêve et entreprendre de suivre ses propres chants de pistes, qui apparaissent alors comme cet indispensable ressaisissement par lequel nos éblouissements initiaux prennent forme.
Le voyage est un moment propice pour appréhender, ne serait-ce que de façon fugace, ce Temps du rêve, pour participer à la logique du musement, comme si la confrontation avec une géographie et un paysage inattendus entraînait une défamiliarisation qui forçait le regard à se renouveler, à sortir de ses ornières, afin de capter les indices de ce qui se terre normalement en arrière-plan.

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Mirage.
Je me suis rendu en Australie pour retrouver dans les mythes aborigènes de création du monde une forme inattendue de musement. Moi qui n’ai cessé d’en explorer les possibilités et les formes, ces dix dernières années, j’ai été étonné de le retrouver à l’œuvre chez un peuple dont je ne connaissais pratiquement rien.
Le Temps du rêve est une version mythifiée du musement.
Je ne suis pas encore certain de savoir ce qu’il faut en penser. Ce rapprochement est-il fondé ou une simple illusion? Le résultat d’un esprit porté à retrouver des signes et des alphabets même dans les pierres, à la manière de Roger Caillois?

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« Les formes et les dessins des pierres offrent un prétexte à la dérive de mon esprit autant qu’une énigme à sa réflexion. M’attardant à les regarder, il m’arrive également d’être distrait, détendu, flottant. Je navigue à l’estime ou à la corne de brume en ces eaux du songe. Si je pensais que l’illumination fût autre chose qu’un éblouissement, je dirai extatiques ces états opposés, proches parents les uns de l’hypnose, les autres du vagabondage, où se pressent des conjectures tour à tour strictes et sauvages comme une foison d’herbes folles, ortie et ivraie, envahit dans une promiscuité abominable des plants d’agronomes, de généticiens. »
Roger Caillois, Pierres réfléchies, Paris, Gallimard, 1975,  p.13.

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Mirage. Troisième mouvement http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/16/mirage-troisieme-mouvement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/16/mirage-troisieme-mouvement/#comments Fri, 17 Jul 2009 01:58:51 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=352 IMG_2749

D’où vient le passé?
D’où vient que le passé importe parfois plus que le présent?
Pourquoi faut-il que nous ayons organisé notre pensée en fonction de catégories comme le présent, le futur et le passé?
C’est la mémoire qui fait exister le passé. Sans mémoire, sans lieux ou palais  de mémoire, à la Cicéron et Simonide, surtout, qui est à l’origine du procédé, le passé n’a aucune présence. Il se disloque, comme un vent qui vient de passer et qui se perd dans l’immensité de l’atmosphère. Mais ce passé, quel est son rôle? Est-ce une loi? un matériau? une potentialité?

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IMG_2362En Australie, les arbres perdent leur écorce pendant les grandes chaleurs. Ils la perdent comme les serpents muent, laissant derrière eux des enveloppes d’une fine membrane translucide.
Les arbres se débarrassent de leur écorce qui tombe à leur pied et les oiseaux s’en emparent pour constituer leur nid. Il ne reste plus à ces feuillus que leur bois blanc. On dirait des spectres. Des arbres blanchis par une force souterraine. Et le blanc est accentué par cette gomme qui les recouvre et protège. Des arbres blancs, comme des souvenirs égarés, comme une attention sans aucune densité, sans aucune profondeur.
Ce sont des arbres qui s’offrent au vent et à la pluie. Des arbres sans protection. Nus, comme les enfants le sont en naissant.
Chaque été, ils perdent leurs souvenirs d’écorce et retrouvent une virginité blanche. Celle des sentiments purs, celle de l’innocence, celle de l’oubli.

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Le koala, après le kangourou, est un des emblèmes de l’Australie. Ce marsupial au pelage gris et aux yeux rêveurs vit dans les eucalyptus dont il mange les feuilles. Il s’agit de leur seul aliment. Mais la valeur nutritive de ces feuilles est faible et le processus de digestion, extrêmement long. Les koalas usent toute leur énergie à les digérer et ils dorment près de dix-neuf heures par jour. Dix-neuf heures par jour à dormir et à muser.
À quel rapport au monde ces heures de vacances donnent-elles droit?
Les koalas dorment leur vie et les aborigènes décrivent leurs mythes d’origine comme un Temps du rêve, un Dreamtime.
Le musement a une emprise indéniable sur ce continent. Et je participe au mouvement.

*

IMG_2526Les aborigènes ne fractionnent pas leur existence en termes temporels, mais d’actualisation. Leur vie actualise une partie de la création du Temps du rêve.
Le passé n’est pas ce qui est terminé, mais ce qui s’impose comme potentialité, comme ce possible que le présent actualise. Il n’y a pas trois termes, comme avec le temps, mais deux. L’enchaînement est logique et non temporel. Potentialité et actualité. Premièreté et deuxièmeté. Il ne manque que la loi pour que la triade soit complète.
Robert Lawlor, dans un essai sur le Temps du rêve aborigène, explique : « Comme pour la graine, la potentialité de tout emplacement terrestre est imbriquée dans la mémoire de son origine. Les aborigènes nomment cette potentialité le Rêve de cet endroit, et ce rêve est au cœur du caractère sacré de la terre. Et seulement dans des états de conscience extraordinaires peut-on devenir sensible ou se mettre à l’écoute du rêve intime de la terre. » » ((Robert Lawlor, Voices of the First Day. Awakening in the Aboriginal Dreaming, Rochester, Vermont, Inner Traditions, 1991, p. 1)

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J’essaie de penser en dehors du temps, mais je n’y parviens pas. J’essaie de penser ce que c’est que de parler et de penser en dehors du temps, et je suis incapable de me l’imaginer. J’ai vécu ma vie entière dans le temps, dans la pensée du temps, et je ne puis m’en extraire. Le temps a structuré mes pensées.
Quelle étonnante notion! Penser en dehors du temps…
Il faudrait peut-être, pour y arriver, arrêter d’écrire, cesser d’enfiler des mots sur des lignes invisibles qui disent par leur structure même le défilement du temps. Laisser le rêve envahir l’esprit et lui dicter une nouvelle façon de faire.

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Tu ne peux pas emprunter le sentier avant d’être toi-même devenu le sentier, dit le proverbe.
Mais comment devient-on le sentier?
Dans quel état de conscience doit-on se mettre pour être à l’écoute du rêve intime de tout individu? Il faut suivre un signe de piste, entonner un chant de pistes. Se mettre à l’écoute de ce qui traverse toute parole juste avant qu’elle ne se taise.

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Tout voyage réalise un rêve, même implicite.
Quel est le rêve de mon voyage en Australie? Ce rêve qui serait au cœur du caractère sacré de mon expérience? Peut-on s’inventer un rêve dans l’après-coup? Affirmer : voilà ce que j’étais allé chercher. Quand en fait on n’en avait aucune idée…
Le voyage est une dialectique où les réponses précèdent systématiquement les questions.
Est-ce mentir que de témoigner d’une vérité, quand c’est le jeu des contingences qui est à l’origine de sa découverte?

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Le voyage échappe au défilement continu du temps, parce qu’il est un temps qui impose ses propres impératifs.
Ce n’est pas la grille horaire qui dit à quelle heure arrive le train.
C’est son entrée en gare.

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Mirage. Deuxième mouvement http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/13/mirage-deuxieme-mouvement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/13/mirage-deuxieme-mouvement/#comments Mon, 13 Jul 2009 21:49:26 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=338 IMG_2287

Le voyage est la découverte de contrées exotiques, de formes nouvelles et, surtout, de textures inattendues. Des strates minérales aux couleurs ocre, des fractures de la pierre, des entailles sauvages, de longues stries nervurées. Quand le paysage se fait précaire, ce sont les textures qui réapparaissent et dictent leur loi.
La géographie est une leçon de formalisme.

IMG_2284Nos yeux se posent sur le terrain que nos pieds foulent, et notre regard se perd dans les anfractuosités que la terre ouvre à quelques pas des sentiers. Nous sommes à la surface des choses, éternellement à la surface, rejetés à la périphérie du monde, et la première appréhension d’une couche inférieure nous angoisse comme le ferait l’ombre d’un dieu ancien.
D’où nous vient cette peur de l’invisible et de ce qui grouille sous terre? Pourquoi sommes-nous attirés par le vol des oiseaux, quand la structure rhizomique d’une fourmilière rivalise de complexité avec nos propres créations?
Cela nous enchante de savoir que Montréal est une ville souterraine, que s’étendent sous ses rues des kilomètres de couloirs et de centres commerciaux; mais de savoir que des termites ouvrent des galeries ventilées pour assurer le développement de leur communauté nous répugne au plus haut point. Nous préférons fermer les yeux.
Le vol des oiseaux est beaucoup moins dangereux, il ne laisse aucune trace dans le ciel.

*

Quand la lune est immense, ronde comme un sou et texturée comme une crêpe, elle nous indique que son orbite et celle de la terre sont convergentes. Le cinéma nous a habitué à apercevoir ces lunes exorbitantes qui trônent dans le ciel comme un soleil de nuit et à les interpréter comme des présages. Les pleines lunes sont dramatiques, elle attirent les êtres malveillants, des créatures assoiffées de sang ou des spectres attirés par la chaleur des corps vivants.

*

Nous sommes de plus en plus, face à la voûte céleste, comme des analphabètes devant une page d’encyclopédie. Fascinés, mais surtout dépassés. En contexte urbain, les étoiles parviennent péniblement à se tailler une place dans le ciel. Le smog et la pollution lumineuse ont raison des plus faibles qui s’inclinent et se retirent. La voûte n’est plus d’un noir bleuté constellé de points argentés, elle est grise et unie. Terne et sans vie.
IMG_2652Et quand, enfin, on découvre en plein désert australien une voûte riche et complexe, non seulement on n’y comprend rien, mais il est d’ores et déjà trop tard. On ne pourra jamais récupérer la science requise pour en comprendre l’architecture. Les données sont trop complexes, il faudrait une vie pour les assimiler.
On ne s’improvise pas astronome du jour au lendemain.
Quand on lève la tête et contemple la voûte céleste, au-delà de l’ébahissement que sa densité suscite, on se sent impuissant et déçu, sachant à l’instant même où on l’examine qu’elle restera en grande partie illisible.
Je suis confronté à une contradiction : je sais comprendre les plus récentes toiles exposées dans les musées, mais ne sais lire celle tendue depuis l’origine du monde au-dessus de ma tête.

*

Le voyage engage une temporalité qui lui est propre.
Il est à la fois un temps qui passe trop vite, une fois le périple terminé, et un temps qui passe très lentement, lorsqu’il n’est pas encore achevé. Le temps du voyage est ressenti comme un temps plein avec ses moments forts et ses fulgurances, comme un temps vide avec ses périodes d’incertitude et de doute.

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Quand on est en voyage, la tentation est grande de ne plus revenir, de dire : voilà! je ne rentre plus, je continue, je fais du voyage mon mode de vie. Je ne veux plus qu’il soit une simple période circonscrite entre deux périodes de travail, mais un temps en soi. Son propre monde.
C’est un mirage, indéniablement. Pour un sédentaire, goûter au nomadisme et à son déracinement est une façon d’imaginer la fuite. L’altérité. La vie autre. Mais la perception s’efface aussi vite qu’elle a pu apparaître.
La défamiliarisation n’a aucune durée, elle est une rupture, nécessairement brève. Une rupture qui se prolonge évolue en nouvel état, elle redevient familière. Et la boucle se referme.
Si le mirage est puissant, c’est que cette défamiliarisation provoque des révélations, elle offre un aperçu sur ce qui a pu se tramer en arrière-plan. Dans le temps du rêve, dans le musement.
Le voyage transforme le lointain en événement intime.

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IMG_2643Le voyage est un temps essentiellement fuyant.
Et le mirage est un leurre. C’est sa nouveauté qui est à l’origine de sa puissance. On ne peut en fixer l’expérience qu’artificiellement : en maintenant vivante son expérience par l’écriture, en reconstituant peu à peu sa figure.
Le mirage d’une vie autre ne repose pas sur la permanence d’un sentiment ou d’une forme, mais sur son apparition. C’est son irruption, la discontinuité qu’elle actualise, qui accentue ses effets de présence.

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Je ne muse jamais autant que lorsque je suis en voyage. Les heures de route, les temps d’attente, les soirées à déambuler sur des quais décolorés et les périodes de pur ennui engagent au délestage et à l’errance de l’esprit.
Je rejoins le temps du rêve, je suis des pistes dont le chant est avant tout imaginaire et mon attention oscille entre deux mondes : l’un qui, bien qu’il me soit familier et intime, n’en finit pas de se reconfigurer et de me surprendre, et cet autre qui, découvert au gré des voyages, m’offre des perceptions inédites.
Le voyage affaiblit la frontière entre l’en soi et le monde, entre son passé et le présent, entre le quotidien et le mythe. C’est le principe premier du mirage : un décalage subtil entre les désirs et les perceptions.

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Mirage http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/10/mirage/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2009/07/10/mirage/#comments Fri, 10 Jul 2009 15:17:03 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=324 IMG_2608

Qui sait à quel mirage nous convie le voyage?
Quelle illusion il génère?
On entre dans un voyage, parfois, comme dans un temps du rêve. Les perceptions sont intenses, les révélations, multiples; mais leur actualité est de faible amplitude. Et leur pertinence, souvent, réduite.
Le voyage voit à l’ouverture de potentialités nouvelles et de formes singulières. Et on se surprend d’y retrouver, à l’occasion, des figures qui nous ramènent à notre propre origine.
Mais n’est-ce pas là le mirage le plus dangereux? Celui qui nous fait redécouvrir au loin ce que nous connaissons déjà?

Premier mouvement

IMG_2613Uluru.
C’est le cri du hibou au cœur de la nuit.
Un mythe de dieux anciens, issu de l’imagination d’un écrivain fiévreux.
Une créature aux yeux de sang et au pelage strié d’ocre et de noir.
Uluru!
Il faut le crier, ce nom, pour en entendre les échos sinistres et mélancoliques. Il traduit un sentiment de crainte face à un inconnu deux fois inconnu, car inconnu dans sa connaissance même.
Un mot à l’orée du langage.
Un mot aux limites de la lumière.
Lié au Temps du rêve et de la création.

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Uluru!
Certains mots sont des énigmes qui font figure.
L’esprit s’arrête, étonné de retrouver dans le langage des formes qui répondent à ce que les sens ont entraperçu.
Existent-ils des mots qui parviennent à dire l’éblouissement au moment même où il survient?
Un mot argenté aux lignes brisées.
Les mots sont notre manière d’exister dans l’univers. Leur opacité est la marque de la complexité du monde, et de notre incapacité à le lire sans aide.

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IMG_2632Le mont Uluru au crépuscule s’impose par ses couleurs primaires et ses formes minimalistes. Pourtant, les émotions qu’il suscite sont étrangement surréalistes.
Le mont frappe avec ses contours arrondis et assoupis. Le temps y apparaît ramolli, comme si la chaleur et l’odeur de poêlon surchauffé du désert venaient en perturber la saisie. On se croirait devant un paysage conçu par Dali ou de Chirico. Un paysage qui goûte le fer rouillé et le pourpre.
L’endroit paraît mystique, isolé dans un désert d’une grande aridité. La terre est d’un rouge oxydé, la chaleur est torride et les mouches collent au visage. Mais on se sent aspiré. Vers le plus lointain encore. Comme si le temps se mettait de la partie, s’ouvrant à l’immémorial.

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IMG_2678Certaines montagnes ressemblent à des animaux, à des éléphants étendus ou à des têtes de loup.
Vu du ciel, l’Uluru a la forme d’une pointe de flèche, faite dans la pierre et qui porte les marques du travail requis pour lui donner son tranchant. Une immense pointe de flèche déposée sur le sol rouge, qu’un géant pourrait à tout moment ramasser et attacher à une tige à l’aide de tendons de kangourou pour en faire une flèche.
Les paradoxes de Zénon d’Élée auraient pu naître aux pieds du mont Uluru. La flèche propulsée par un arc bandé ne rejoint jamais les bords lisses de la montagne. Elle se perd en chemin, s’égarant dans les entrelacs d’un temps qui se segmente et se rompt en îlots, atoll sans cohésion qui laisse filer entre les doigts les instants vécus et aussitôt oubliés.

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Certains paysages sont d’une complexité assumée, les formes et les couleurs se multiplient, et il faut à l’œil du temps pour en intégrer les contours, pour transformer la masse de perceptions en un tableau vivant et cohérent.
Il n’en va pas de même avec le Mont Uluru dans les territoires du nord de l’Australie. C’est sa simplicité qui en fait la beauté. Une masse de pierre rouge, presque unie, si on oublie les blessures causées par l’érosion, un ciel d’un bleu uniforme, nullement ponctué par des nuages dissidents, et un sol composé de quelques arbres malingres et de buissons étouffés par la chaleur.
Rien de plus.

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Si notre regard n’a pas à se battre avec un influx complexe de sensations et de formes, il se perd dans la densité des formes compactes du monolithe, et dans l’incandescence de l’orangé du soleil couchant et des ombres étirées que l’horizontalité presque parfaite de ses rayons provoque.
Le regard longe les rayons du soleil, il en suit les ondes et ne les confronte plus comme en plein jour. On ne se bat pas avec la lumière au crépuscule, on l’accompagne, on en épouse les formes, et on se laisse porter par le pinceau d’une étoile qui glisse sur la pierre pour en souligner  la texture et les irrégularités.

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Le Mont Uluru est une masse de pierre assoupie, comme une coulée de lave qui se serait immobilisée après une longue course. Sa forme endormie est apaisante, elle incite au recueillement, elle signale pourtant une intense activité géologique. Une force capable de faire émerger des entrailles de la terre des masses liquéfiées d’une pierre maintenant anesthésiée.

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L’Uluru n’est pas un mont qu’on gravit, même s’il est possible de s’y aventurer quand les vents sont cléments et que le ciel est libre de tout orage.Son expérience est essentiellement visuelle. C’est une masse faite pour être contemplée de loin, pour être vénérée comme un dieu.IMG_2687
Son aura vient de la singularité d’une expérience visuelle d’une grande précision, celle des formes simples et des couleurs pleines.
Elle vient de son emplacement au milieu d’un désert inhospitalier, et d’un continent isolé dans les mers du sud.
Elle vient enfin de mes attentes comblées. Il ne peut y avoir de déception face à un tel panorama. Malgré ses innombrables représentations – les cartes postales, les brochures touristiques, les couvertures de livres –, le mont Uluru transcende ses copies et s’impose comme spécimen unique et comme expérience à éprouver dans sa singularité même.

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