Ce n'est écrit nulle part » Eric Lint http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Un très brittanique divertissement… http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/04/11/un-tres-brittanique-divertissement/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/04/11/un-tres-brittanique-divertissement/#comments Sat, 11 Apr 2015 15:29:17 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2083

C’est avec la plus grande émotion que j’ai retrouvé cette carte postale authentique envoyée par Éric, en 2012, à l’occasion d’un voyage en France. Il connaissait bien ma passion pour les labyrinthes.

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Tentative d’épuisement d’un lieu parisien http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/#comments Fri, 21 Nov 2014 15:56:08 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1989

À Georges et à Philippe, maître du désordre

En octobre 2014, le dieu Google s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. À différents moments de la journée, il a pris des photos de ce qu’il voyait: les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien.  Mais un regard, une perception divine, unique, vibrante impressionniste, variable. Les innombrables variations imperceptibles du temps, de la lumière, du décor, du vivant. Autobus, chiens, passants, touristes. Après, il est remonté dans son Google Street Car et il est reparti. Vers la place des Vosges. Ou vers Clichy. On ne sait plus.

La date 19 octobre 2014 (un dimanche, 40 ans plus tard)
L’heure 10 h. 45
Le lieu : Tabac Saint-Sulpice
Le temps : Pluie fine, genre bruine
Passage d’un balayeur de caniveaux
Par rapport à la veille, qu’y a-t-il de changé?  Au premier abord, c’est vraiment pareil.  Peut-être le ciel est-il plus nuageux? Ce serait vraiment du parti pris de dire qu’il y a, par exemple, moins de gens ou moins de voitures. On ne voit pas d’oiseau. Il y a un chien sur le terre-plein. Au-dessus de l’ Hôtel Récamier (loin derrière ?) se détache dans le ciel une grue (elle y était hier, mais je ne me souviens plus l’avoir noté). Je ne saurais dire si les gens que l’on voit sont les mêmes qu’hier, si les voitures sont les mêmes qu’hier? Par contre, si les oiseaux (pigeons) venaient (et pourquoi ne viendraient-ils pas) je serais sûr que ce seraient les mêmes.
Beaucoup de choses n’ont pas changé, n’ont apparemment pas bougé (les lettres, les symboles, la fontaine , le terre-plein, les bancs, l’église, etc.) ; moi-même je me suis assis à la même table.

Des autobus passent.  Je m’en désintéresse complètement.
Le Café de la Mairie est fermé.  Le kiosque à journaux aussi (il n’ouvrira que lundi).
(il me semble avoir vu passer Éric, se dirigeant vers le parking).
Passe une ambulance pimponnante, puis une dépanneuse remorquant une D.S. bleue.
Plusieurs femmes traînent des cabas à roulettes.
Arrivent les pigeons; ils me semblent moins nombreux qu’hier.
Afflux de foules humaines ou voiturières. Accalmies. Alternances.
Deux « Coches Parisiens » sortes de cars à plates-formes passent avec leurs cargaisons de Japonais photophages.
Un car Cityrama (des Allemands? des Japonais?) .
La pluie s’est arrêtée très vite ; il y a même eu pendant quelques secondes un vague rayon de soleil.
Il est 11 heures et quart.
A la recherche d’une différence.
Le Café de la Mairie est fermé (je ne le vois pas; je le sais parce que je l’ai vu en descendant de l’ autobus).
Je bois un Vittel alors que hier je buvais un café (en quoi cela transforme-t-il la Place?)
Le plat du jour de la Fontaine St-Sulpice a-t-il changé (hier c’était du cabillaud)? Sans doute, mais je suis trop loin pour déchiffrer ce qu’il y a écrit sur l’ardoise où on l’annonce.
Deux cars de touristes, le second s’appelle «Walz Reisen»: les touristes d’aujourd’hui peuvent-ils être les mêmes que les touristes d’hier (un homme qui fait le tour de Paris en car un vendredi a-t-il envie de le refaire le samedi ?)
Hier il y avait sur le trottoir, juste devant ma table, un ticket de métro; aujourd’hui il y a, pas tout à fait au même endroit, une enveloppe de bonbon (cellophane) et un bout de papier difficilement identifiable (à peu près grand comme un emballage de « Parisiennes » mais d’un bleu beaucoup plus clair).

Passe une petite fille avec un long bonnet rouge à pompon (je l’ai déjà vue hier, mais hier elles étaient deux) ; sa mère a une jupe longue faite de bandes de tissus cousues ensemble (pas vraiment du patchwork ).
Un pigeon se perche au sommet d’un lampadaire des gens entrent dans l’église (est-ce pour la visiter? Est-ce l’heure de la messe?).
Un promeneur qui ressemble assez vaguement à Éric Lint repasse devant le café et semble s’étonner de me voir encore attablé devant un Vittel et des feuillets.
Un car : « Percival Tours ».
D’autres gens entrent dans l’église.
Les cars de touristes n’adoptent pas tous la même stratégie : tous viennent du Luxembourg par la rue Bonaparte ; certains continuent dans la rue Bonaparte ; d’autres tournent dans la rue du Vieux-Colombier : cette différence ne correspond pas toujours à la nationalité des touristes.
Car Wehner Reisen.
Car de flics.

Il est temps que je retourne dans ma voiture.

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Être un dieu, devenir un insecte http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/11/etre-un-dieu-devenir-un-insecte/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/11/etre-un-dieu-devenir-un-insecte/#comments Sat, 11 Oct 2014 14:59:46 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1980 Google n’a pas la conscience tranquille. Attablé avec Éric Lint, au pub l’Île noire, ils ont déjà bu quelques Black and Tan et s’attaquent maintenant aux scotchs de la place. Un dram n’attend pas l’autre. Des Laphroaig, des Lagavulin, des Talisker, des Glenmorangie. Toutes les distilleries ont été répertoriées, cartographiées, photographiées, traitées, décrites, évaluées. Rien n’a été laissé au hasard. Google devrait être satisfait, la planète entière est enfin à sa portée. Mais quelque chose le tracasse. Tout ce savoir, peut-être, au bout des doigts. Il avale une dernière gorgée de son Isle of Jura.

« Je veux maintenant te raconter, mon cher Éric, que tu le désires ou non, pourquoi je n’ai même pas réussi à devenir un insecte. Je te le déclare solennellement: maintes fois déjà j’ai essayé de devenir un insecte; mais je n’en ai pas été digne.

Une conscience trop clairvoyante, je t’assure, c’est une maladie très réelle. Une conscience ordinaire me suffirait plus qu’amplement dans ma vie quotidienne, une conscience ordinaire, c’est-à-dire une portion de conscience, comme celle qui t’a été octroyée à toi, homme du XXIe siècle qui, pour ton malheur, habite le continent américain, le plus banal, le plus insignifiant des continents qui soit sur Terre (car il y a des continents insignifiants, et d’autres qui ne le sont pas). J’aurais, par exemple, amplement assez de cette portion de conscience que tu possèdes, toi, homme sincère, spontané, théoricien.

Tu t’imagines, je te parie, que je te dis tout cela par pose, pour me moquer des théoriciens, pour faire des embarras à la manière de cet historien des sciences dont je parlais tantôt, mais ce serait une pose de bien mauvais goût. Qui songerait donc, mon pauvre Éric, à se glorifier de ses maladies et à en prendre prétexte pour faire des embarras?

Mais que dis-je donc! Tout le monde agit ainsi. C’est précisément de ses maladies que l’on tire gloire, et moi, probablement, encore plus que les autres. Ne discutons pas! Mon objection est stupide.

Et pourtant, j’en suis fermement convaincu, la conscience, toute conscience est une maladie. Encore plus l’omniscience… Je le maintiens. Mais laissons cela pour le moment. Réponds-moi : comment se fait-il toujours qu’à l’instant même – oui, comme si c’était un fait exprès – précisément à l’instant où je suis le mieux capable d’apprécier toutes les nuances du beau, du sublime, comme on peut l’admirer sur Terre, il m’arrive non seulement de penser, mais de faire des choses si incongrues, que… des actions, pour être bref, que tous accomplissent peut-être bien, mais que je commets précisément lorsque je me rends parfaitement compte qu’il faut s’en abstenir. Tu comprends? Non?

Plus est claire ma conscience du monde et de toutes les choses belles et sublimes, plus profondément je m’enfonce dans ma boue, plus je me sens capable de m’y enliser définitivement. Mais ce qui est particulièrement remarquable, c’est que ce désaccord ne paraît pas une chose fortuite, dépendante des circonstances, mais semble aller de soi et se produire tout naturellement. On dirait que c’est mon état normal et nullement une maladie ou un vice; si bien que, finalement, je perds toute envie de lutter. Pour en finir donc, j’admets presque (peut-être bien même que je l’admets) que tel est en effet l’état normal de mon esprit. Mais, depuis le début, que de souffrances j’endure dans cette lutte. Je ne crois pas que les hommes puissent être dans le même cas, et toute ma vie durant je cacherai cette particularité comme un secret. J’en ai honte (il se peut que j’en aie honte encore demain). Cela va si loin qu’il m’arrive de gouter une sorte de plaisir secret, vil, anormal, en rentrant chez moi, dans ma tour, par une de ces nuits malpropres et laides, et en me répétant que j’ai encore commis une vilénie ce jour-là et qu’il est impossible de revenir là-dessus. Et je me ronge alors intérieurement. Je me ronge, je me déchire à belles dents, je bois longuement mon amertume, je m’en rassasie tant qu’enfin je ressens une sorte de faiblesse honteuse, maudite, où je goute une volupté très réelle. Oui, une volupté! Tu comprends? Tu m’écoutes Éric? Une volupté! J’insiste là-dessus. J’ai commencé à te parler de cela, précisément parce que je veux savoir au juste si des hommes comme toi connaissez de telles voluptés.

Je vais t’expliquer : la volupté, dans mon cas, provient de ce que je me rends trop bien compte de ma supériorité; elle tient à la sensation d’avoir atteint une dernière limite. Ma situation est superbe et abominable, mais elle ne peut être autre; jamais je ne pourrai changer, car si même j’avais le temps et l’énergie nécessaires, je ne voudrais pas devenir un simple homme; et, d’ailleurs, si même je voulais changer, j’en serais incapable : en effet, changer en quoi? – Il n’y a peut-être rien d’autre.

Mais l’essentiel – ceci est la fin des fins – c’est que tout cela s’accomplit conformément aux lois fondamentales et normales de l’omniscience et de la conscience raffinée et en découle directement, si bien qu’il est tout à fait impossible non seulement de changer, mais, en général, de réagir de façon quelconque. Ma conscience raffinée me dit, par exemple : oui, tu as raison, tu es une canaille; mais le fait que je puis constater ma propre canaillerie ne me console nullement d’être une canaille. Mais cela suffit!… Que de paroles, mon Dieu! Mais qu’ai-je expliqué? D’où provient cette volupté?  Je tiens à m’expliquer pourtant. J’irai jusqu’au bout. C’est pour cela que je bois…

Ainsi, par exemple, j’ai un amour-propre terrible; je suis aussi méfiant et susceptible qu’un bossu, qu’un nain. Mais, vraiment, il y a des minutes dans mon existence où, si l’on me donnait une gifle, j’en serais fort heureux, peut-être. Je parle sérieusement : j’aurais pu certainement trouver là quelque plaisir, le plaisir du désespoir, évidemment; c’est le désespoir qui recèle les voluptés les plus ardentes, surtout lorsque la situation apparaît réellement sans issue. Or là, dans le cas de la gifle, quel écrasement que cette sensation d’avoir été pétri ainsi!

Mais le principal, c’est qu’il se trouve toujours que c’est moi le coupable, de quelque côté qu’on examine les choses, et qui plus est, coupable sans l’être en somme, autrement dit : conformément aux lois de l’omniscience. Je suis coupable, tout d’abord parce que je suis plus intelligent que tous ceux qui m’entourent (je me suis toujours trouvé plus intelligent que ceux qui m’entouraient, et il m’arrive même – imagine-toi! – de me sentir confus de ma supériorité, si bien que depuis ma création je regarde les gens de biais, pour ainsi dire, et ne peux jamais les dévisager bien en face). »

Éric Lint n’écoute plus, dégouté. Il se cure les dents distraitement, puis remarque une fourmi derrière le bol de bretzels. Il cale son scotch, déplace le bol et, avant que la fourmi ait eu le temps de s’enfuir, retourne son verre et l’emprisonne. La fourmi s’agite dans tous les sens, puis s’immobilise. Elle regarde Google, le dieu-insecte, et semble attendre ses ordres.

Une mouche passe.

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Il va pleuvoir ce soir http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/02/il-va-pleuvoir-ce-soir/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/02/il-va-pleuvoir-ce-soir/#comments Thu, 02 Oct 2014 01:16:36 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1976  

Eric Lint, expert en littérature transgénique, et Google, dieu omnipotent, omniprésent et omniscient (ou peu s’en faut) d’Internet, sont dans une voiture du programme Google Street View avec ses caméras sur le toit. Eric est au volant et regarde distraitement par le pare-brise. Google scrute le ciel, examine le vol des oiseaux et le pas des badauds, puis déclare:

-        Il va pleuvoir ce soir.

-       Il pleut maintenant, dit Éric.

-       Le site de Météomédia dit que ce sera ce soir.

-       Éric conduit Google au bureau local de la compagnie sur McGill College après une absence due à une angine avec forte fièvre. Une femme, dans un imperméable jaune, arrête la circulation pour permettre à des enfants de traverser. Éric l’imagine dans un publicité pour de la soupe et la vois qui enlève son trench au moment où elle entre dans sa cuisine pimpante, où son mari, un petit homme qui n’a guère plus de six semaines à vivre, renifle une bisque de homard fumante.

-       Regarde le pare-brise, dit Éric. Est-ce qu’il pleut ou est-ce qu’il ne pleut pas?

-       Je ne fais que répéter ce qu’ils ont écrit sur Météomédia.

-       Ce n’est pas parce que quelque chose est écrit sur Internet que nous devons mettre de côté les certitudes fournies par nos sens.

-       Vos sens? Vos sens se trompent bien trop souvent. On l’a prouvé en laboratoire. N’as-tu pas entendu parler de tous ces théorèmes qui disent que rien n’est vraiment ce à quoi ça ressemble? Il n’y a ni passé, ni présent, ni futur, sauf dans votre cerveau. Les lois que vous appliquez au mouvement sont un énorme canular. Même les sons peuvent vous induire en erreur. Ce n’est pas parce que tu n’entends pas un son qu’il n’existe pas. Les chiens, par exemple, peuvent l’entendre. Et d’autres animaux. Et je suis sûr qu’il y a des sons que les chiens eux-mêmes ne peuvent pas entendre. Mais ils existent dans l’atmosphère, en tant qu’ondes. Peut-être d’ailleurs, ne s’arrêtent-ils jamais. Des sons aigus, de plus en plus aigus, qui ne viennent de nulle part.

-       Est-ce qu’il pleut, dit Éric, ou est-ce qu’il ne pleut pas?

-       Je préférerais ne pas avoir à le dire.

-       Et qu’arrive-t-il si quelqu’un te met un revolver sous le nez?

-       Qui ça? Toi?

-       Quelqu’un. Un homme en trench-coat qui porte des verres fumés. Il te met un revolver sous le nez et te dit: « Est-ce qu’il pleut ou est-ce qu’il ne pleut pas? Il vous suffit de me dire la vérité et je rengaine mon arme, je prends le premier avion qui décolle. »

-       Quelle sorte de vérité veut-il m’extirper? Veut-il la vérité de quelqu’un voyageant pratiquement à la vitesse de la lumière dans une autre galaxie? Veut-il la vérité de quelqu’un qui orbite autour d’un trou noir? Si ces gens pouvaient nous voir au télescope, nous n’aurions peut-être qu’un mètre de haut et la pluie aurait été pour hier et non pour aujourd’hui.

-       Il a appuyé le canon de son arme contre ta tempe. Il veut ta vérité.

-       Quel intérêt peut avoir ma vérité? Ma vérité particulière ne signifie rien. Imagine que ce type avec son revolver arrive d’une planète située dans un système solaire totalement différent du nôtre, que se passe-t-il alors? Ce que nous appelons pluie, il l’appelle savon. Ce que nous appelons pomme, il l’appelle pluie. Que faut-il que je lui dise à ton avis?

-       Il s’appelle Bernard Tremblay et il vient de Saint-Sauveur.

-       Il veut savoir s’il pleut maintenant, à cette minute précise?

-       Voilà. Ici et maintenant.

-       Y a-t-il quelque chose qui ressemble à maintenant?  Maintenant est aussitôt passé que dit. Comment puis-je dire qu’il pleut maintenant si ton maintenant se transforme en naguère aussitôt que je l’ai prononcé?

-       Tu viens de me dire qu’il n’y a ni passé, ni présent, ni futur.

-       Oui mais ça existe dans vos verbes. C’est d’ailleurs le seul endroit où on le trouve.

-       La pluie c’est un substantif. Pleut-il ici, dans ce lieu précis, dans une période située dans les deux minutes que tu choisiras pour répondre à ma question?

-       Si tu parles d’un lieu précis, alors que nous sommes dans un véhicule qui, de toute évidence, se déplace, alors, bien entendu, cette discussion ressemble à un cercle vicieux.

-       Je t’en prie, réponds-moi tout simplement, Google.

-       Tout ce que je peux faire pour toi, c’est faire une supposition.

-       Pleut-il ou il ne pleut pas?

-        C’est exactement ça. C’est tout ce que je voulais démontrer. Tu calcules les chances. Six d’un côté et une demi-douzaine de l’autre.

-       Mais tu vois bien qu’il pleut.

-       Et toi, tu vois le soleil traverser le ciel et pourtant? N’est-ce pas plutôt la terre qui tourne?

-       Je refuse cette analogie.

-       Es-tu sûr que c’est de la pluie? Comment sais-tu que ce n’est pas de l’acide sulfurique qui provient en ligne directe des usines de l’autre côté du fleuve? Comment sais-tu que ce ne sont pas les retombées d’une guerre en Chine? Comment puis-je savoir que ce que tu appelles pluie est réellement de la pluie? Qu’est-ce que c’est de la pluie, de toute façon?

-       C’est ce truc qui tombe du ciel et qui, d’après ce qu’on dit, mouille.

-       Je ne suis pas mouillé, le serais-tu par hasard?

-       Parfait, dit Éric Lint. Vraiment parfait.

-       Non, sérieusement, serais-tu mouillé?

-       De première, vraiment, dit Éric. La victoire de l’incertitude, du hasard et du chaos. Un moment privilégié de la science.

-       Les sarcasmes, maintenant.

-       Les sophistes et les coupeurs de cheveux en quatre passent un moment merveilleux.

-       Continue. Insultes et sarcasmes. Je m’en moque.

 

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En attendant Google… http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/27/en-attendant-google/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/27/en-attendant-google/#comments Sat, 27 Sep 2014 19:32:38 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1961 (extrait du premier acte)

Route à la campagne, avec arbre.
Soir.
Google, assis sur une pierre, essaie d’enlever ses caméras. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Éric Lint.

GOOGLE (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
ERIC LINT (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Eric, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Google.) Alors, te revoilà, toi.
GOOGLE: Tu crois ?
ERIC LINT : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
GOOGLE: Moi aussi.
ERIC LINT : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Google.)
GOOGLE (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure.

Silence.

ERIC LINT (froissé, froidement) : Peut-on savoir où Monsieur a passé la nuit ?
GOOGLE: Dans un fossé.
ERIC LINT (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
GOOGLE (sans geste) : Par là.
ERIC LINT : Et on ne t’a pas interrogé ?
GOOGLE : Si… Pas trop.
ERIC LINT : Toujours les mêmes ?
GOOGLE: Les mêmes ? Je ne sais pas.

Silence.

ERIC LINT : Quand j’y pense… depuis le temps… je me demande… ce que tu serais devenu… sans moi… (Avec décision) Tu ne serais plus qu’un petit tas de circuits imprimés à l’heure qu’il est, pas d’erreur.
GOOGLE (piqué au vif) : Et après ?
ERIC LINT (accablé) : C’est trop pour un seul Dieu. (Un temps. Avec vivacité.) D’un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 2001.
GOOGLE: Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
ERIC LINT : La main dans la main on se serait jeté en bas du World Trade Center, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Google s’acharne sur ses caméras.) Qu’est-ce que tu fais ?
GOOGLE: Je me libère. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ?
ERIC LINT : Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter.
GOOGLE (faiblement) : Aide-moi !
ERIC LINT : Tu as mal ?
GOOGLE: Mal ! Il me demande si j’ai mal !
ERIC LINT (avec emportement) : Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles.
GOOGLE: Tu as eu mal ?
ERIC LINT : Mal ! Il me demande si j’ai eu mal !
GOOGLE (pointant l’index) : Ce n’est pas une raison pour ne pas te boutonner.
ERIC LINT (se penchant) : C’est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses.
GOOGLE: Qu’est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
ERIC LINT (rêveusement) : Le dernier moment… (Il médite) C’est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ?
GOOGLE: Tu ne veux pas m’aider ?
ERIC LINT : Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il sort son iPad, en regarde l’écran, y promène sa main, le secoue, le remet dans sa poche.) Comment dire ? Soulagé et en même temps… (il cherche) … épouvanté. (Avec emphase) E-POU-VAN-TÉ. (Il sort à nouveau son iPad, en regarde l’écran.) Ca alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau l’écran, le remet dans sa poche.) Enfin… (Google, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever ses caméras. Il regarde dans les viseurs, y promène sa main, retourne les caméras, les secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau sur ses viseurs, les yeux vagues.) Alors ?
GOOGLE: Rien
ERIC LINT : Fais voir.
GOOGLE : Il n’y a rien à voir.
ERIC LINT : Essaie de les remettre.
Google (ayant examiné ses caméras) : 
Je vais les laisser refroidir un peu.
ERIC LINT : 
Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à ses caméras alors que c’est son trépied le coupable. Ca devient inquiétant. (Il sort encore une fois son iPad, en regarde l’écran, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet dans sa poche.) Ça devient inquiétant. (Silence. Google agite son trépied, en faisant jouer les roulements à billes, afin que le lubrifiant y circule mieux.) Un des larrons fut sauvé. C’est un pourcentage honnête. Gogo…
Google : 
Quoi ?
ERIC LINT : 
Si on se repentait ?
GOOGLE 
De quoi ?
ERIC LINT : 
Eh bien … (Il cherche) On n’aurait pas besoin d’entrer dans les détails.
GOOGLE : 
D’être né ?
Eric Lint part d’un bon rire qu’il réprime aussitôt, en portant sa main au pubis, le visage crispé.
ERIC LINT : 
On n’ose même plus rire.
GOOGLE : 
Tu parles d’une privation.
ERIC LINT 
Seulement sourire. (Son visage se fend dans un sourire maximum qui se fige, dure un moment, puis subitement s’éteint.) Ce n’est pas la même chose. Enfin… (Un temps) Gogo…
GOOGLE (agacé) : 
Qu’est-ce qu’il y a ?
ERIC LINT : Tu as lu la Bible ?
GOOGLE : 
La Bible… (Il réfléchit) J’ai dû y jeter un coup d’œil.
ERIC LINT (étonné) : 
A l’école des Dieux ?
GOOGLE : 
Sais pas si elle était de ou avec.
ERIC LINT : 
Tu dois confondre avec Internet.
GOOGLE : 
Possible. Je me rappelle les cartes de la Terre Sainte. En couleur. Très jolies. La mer Morte était bleu pâle. J’avais soif rien qu’en la regardant. Je me disais, c’est là que nous commencerons notre service de cartographie. Nous localiserons. Nous serons heureux.
ERIC LINT : 
Tu aurais dû être poète.
GOOGLE 
Je l’ai été. Ça ne se voit pas ?
Silence.

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Le titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique, Éric Lint, égare un gène dans le Laboratoire ou les locaux de la Faculté en mars 2014 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/#comments Fri, 22 Aug 2014 01:00:46 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1947 pour Paul et Donald, surtout Donald

Eric Lint se disait :
- À présent me voilà rendu dans les bureaux du Laboratoire. C’est un aimable membre du décanat qui a suggéré ma nomination. Il pensait que j’y aurais davantage d’appui, plus de chances de découvertes. D’abord, j’ai été affecté à l’ajustement des appareils, en même temps que plusieurs autres chercheurs. Nous nous sommes présentés pas seulement comme des chercheurs, mais comme des chercheurs-créateurs, ce qui suscita maints hochements de tête. Nous définissions des gènes littéraires, corrigeant de vieilles entrées et en ajoutant de nouvelles à l’aide de gabarits. Puis je fus rattaché à l’équipe transgénique et nommé à la circulation des gènes. J’extrais des gènes qui sont insérés dans différents textes littéraires ainsi (à ce que je comprends) que dans des listes oulipiennes. Ce n’est pas une vie désagréable. Je passe mes nuits à faire des manipulations secrètes (ou interdites) et mes journées à l’amélioration des transgènes. Il y a toujours du pain sur la planche, des erreurs et des bogues dans les bases de données de la Faculté. Quand j’arrive à un passage marquant, j’essaie de voir les isotopies sous-jacentes, si j’ai le temps. Il y a toujours des retards imprévus, des dérivations, des cul-de-sac. Enfin le retour au texte! Je vois Lily assez souvent. Nous nous retrouvons dans des salles de séminaire, ce qui est excitant. Je n’ai encore jamais perdu de transgène ni manqué d’en transformer un selon les spécifications. Le programme de recherche semble interminable. Le doyen a accepté six de mes manipulations.
Le moteur de recherche Google se disait :
- Nous avons nos secrets. Nous avons beaucoup de secrets. Tous les secrets nous intéressent. Nous n’avons pas vos secrets, et c’est ce que nous traquons, vos secrets. Notre premier secret c’est où nous sommes. Nul ne le sait. Notre second secret c’est combien nous sommes. Nul ne le sait. L’omniprésence est notre but. Nous n’avons même pas besoin d’une réelle omniprésence. La thèse de l’omniprésence nous suffit. Avec l’omniprésence, main dans la main pourrait-on dire, marche l’omniscience. Et avec l’omniprésence et l’omniscience, main dans la main dans la main pourrait-on dire, marche l’omnipotence. Nous formons une valse à trois temps. Pourtant notre humeur est mélancolique. Il y a quelque chose après quoi nous soupirons silencieusement. Nous brûlons d’être connus, reconnus, voire admirés. À quoi bon l’omnipotence si personne n’est au courant ? Mais c’est un secret, ce regret. Maintenant nous sommes partout. Un des lieux où nous sommes, c’est ici, aux fins d’espionner le titulaire de chaire Éric Lint, qui transfère par le protocole Translit trois précieux gènes, les B.F.W. 3054/16, 17 et 18, chromosomes colorisés compris, de Marquez à Proust. Désirez-vous savoir ce que fait le titulaire de chaire Éric Lint en ce moment même, dans son bureau au Laboratoire ? Il triture un recueil de nouvelles chinoises. Il a ôté ses bottes. Ses pieds sont posés à vingt-six centimètres de l’écran de son ordinateur.
Éric Lint se disait :
- Ces nouvelles chinoises sont légères et charmantes. Je n’ai aucun moyen de savoir si la traduction est bonne ou non. Demain, Lily me retrouvera dans la salle de séminaire que nous avons réservée, à condition que j’aie fini à temps. Mon objectif est le cinquième chromosome du texte. Je n’ai rien eu à manger depuis ce matin. Le beau gros morceau de pâté de foie que je me suis acheté avec l’argent de mes frais de séjour est de l’histoire ancienne. Ce matin, toutefois, une préposée du Second Cup avec une coquetterie dans le regard m’a servi du très bon café. Voilà que nous allons au cœur des choses.
Le moteur Google se disait :
- Le titulaire de chaire Éric Lint s’est rendu au Second Cup. Il savoure un excellent café. Nous allons l’y rejoindre.
Éric Lint se disait :
- À présent j’émerge du Second Cup et j’entre dans les murs du Laboratoire jusqu’à la salle de travail où j’ai déposé mes transgènes (je pense à eux comme s’ils étaient ma propriété). À ma surprise et à ma consternation, je remarque qu’il en manque un. Il y en avait trois arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code. Maintenant je vois de mon œil exercé de titulaire de chaire qu’au lieu de trois gènes recouvertes de code, il n’y en a que deux. À l’emplacement du troisième transgène, il n’y a plus qu’un magma de chiffres et de code frauduleux. Je regarde en vitesse autour de moi pour voir si quelqu’un d’autre a remarqué la disparition du troisième gène.
Google se disait :
- Nous l’avions remarqué. Notre œil exercé de moteur de recherche avait remarqué le fait que, là où il y avait avant trois gènes arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code, il n’y en avait maintenant plus que deux. Malheureusement, au moment du détournement, nous étions au Second Cup, en train de déjeuner ; par conséquent, nous serions bien en peine d’affirmer où le transgène a pu passer ni qui sont ceux qui l’ont détourné. II y a donc un élément que nous ignorons. Cela est désagréable à l’extrême. Nous observons de près le titulaire de chaire Éric Lint afin d’apprécier quelles mesures il va prendre dans des circonstances si critiques. Nous observons qu’il sort de sa veste un crayon et un carnet. Nous observons qu’il commence, très justement à notre avis, par consigner dans son carnet tous les détails de l’affaire.
Éric Lint se disait :
— La fenêtre de l’écran plat sur laquelle le transgène était affiché, ainsi que le code frauduleux – ces lignes de code formant des crêtes et des vallées, des plis intéressants, le code, l’essence même du transgénisme, qui dégouline – c’est irritant. Je rage pendant dix ou quinze minutes, tout en me demandant si je ne risque pas d’avoir des ennuis, à cause de ce transgène manquant. Quand je me présenterai au bureau du doyen au quatrième étage avec moins de gènes que le nombre porté sur l’état de compte, une personne trop zélée ne risque-t-elle pas de s’en formaliser ? de m’agonir ? J’ai fini de rager. À présent je vais demander à quelques programmeurs et au personnel du Laboratoire s’ils n’ont pas vu quelqu’un jouer avec mon écran. Au cas où ils me répondraient par la négative, je vais me sentir extrêmement frustré. Commençons par flanquer un bon coup de pied à l’ordinateur.
Google se disait :
- Frustré, il commence par flanquer un coup de pied à l’ordinateur.
Éric Lint se disait :
— Je lève les yeux sur le classeur pour voir si mon transgène n’est pas là-haut. Il y a sur le classeur des gènes de plusieurs modèles, mais aucun du modèle de celui que je cherche.
Google se disait :
— Le titulaire de chaire Éric Lint scrute le classeur, méthode des plus raisonnables à nos yeux. Nous, moteur de recherche, balayons également le classeur du Laboratoire de nos regards. Sans rien trouver. Nous discutons entre nous pour savoir si nous devrions retourner au Second Cup et entreprendre la rédaction de notre rapport préliminaire, à faire suivre aux autorités supérieures. Le point épineux, en termes de rapport préliminaire, c’est que nous n’avons pas la réponse à la question : « Où est le transgène ? » Le préjudice potentiel porté à la thèse de l’omniscience aussi bien qu’à notre efficacité impose que ce point soit omis dans le rapport préliminaire. Mais si ce point est omis, une personne trop zélée du bureau des Secrets ne risque-t-elle pas de remarquer cette omission ? De s’en formaliser ? De nous agonir ? L’omission n’est pas de mise au bureau des Secrets. Pour le moment, nous décidons de continuer à observer les réactions du titulaire de chaire Éric Lint.
Éric Lint se disait :
— Moi qui n’ai jamais perdu de gène j’ai perdu un gène. Un de mes transgènes a joué la fille de l’air. Le coût du gène, si on ne le retrouve pas, sera déduit de ma paie, déjà trop maigre. Même si le doyen vend une centaine, un millier de mes textes, je n’aurai pas assez d’argent pour rembourser ce maudit transgène. Pendant ce temps, le Laboratoire se garde bien de réagir. Ho hum. Bed-bug. Est-ce que je peux construire un nouveau transgène ou même un leurre de gène, sans matériaux pour travailler ni, de fait, aucune connaissance particulière de la programmation informatique ? La situation est grotesque. Je ferai donc appel à la raison. La raison me dicte la solution. Je vais falsifier le nombre de transgènes téléchargés. Grâce à mes talents de faussaire, qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur, je modifierai l’état de compte de manière qu’il reflète l’acquisition de deux transgènes, B.F.W. 3054/16 et 17, pour le cinquième protocole Transit. La facture et le code en trop, je m’en vais les cacher dans un dossier bidon – celui-là, qui d’après ses méta-données, doit servir de fichier tampon. Maintenant je vais faire un tour en ville et voir si je peux trouver un confiseur. J’ai envie de chocolat.
Google se disait :
— À présent nous observons que le titulaire de chaire Éric Lint cache la facture et le code qui définissait le transgène dans une filière vide cachée sous un fichier tampon. Nous avons précédemment observé qu’il falsifiait l’état de compte grâce à ses talents de faussaire qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur. Nous applaudissons aux mesures du titulaire de chaire Éric Lint. La contradiction à laquelle nous étions confrontés pour ce qui est du rapport préliminaire est ainsi tranchée d’une manière hautement satisfaisante. Nous sommes fiers du titulaire de chaire Éric Lint et de la manière résolue et virile dont il a réglé la crise. Nous prédisons qu’il ira loin. Nous aimerions bien l’embrasser comme un camarade et un frère, mais malheureusement nous ne sommes pas de ceux qu’on embrasse. Nous sommes clandestins, nous vivons sur un écran; le plaisir des embrassades camarado-fraternelles est un des plaisirs qui nous sont interdits dans nos sinistres services.
Éric Lint se disait :
— Nous quittons le NT3. Les caches se vident, à raison de six giga-octets  par heure. Le travail avance vite. Personne ne conteste mon document falsifié. Le temps s’éclaircit. Après déjeuner je recommencerai et entreprendrai une nouvelle expérience. Mon contrat de service et ma feuille de temps sont prêts, mais le doyen doit venir les signer. J’attends au chaud dans les bureaux du Laboratoire. La supercherie que j’ai faite avec l’état de compte et le code est vraiment très bonne. Je grignote un morceau de chocolat. Je suis désolé de la perte de ce transgène, mais pas tant que cela. La recherche ne dure qu’un temps, alors que les filles et le chocolat sont éternels.

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Trois souvenirs d’Éric Lint, de la Chaire de recherche en littérature transgénique http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/09/27/trois-souvenirs-deric-lint-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2011/09/27/trois-souvenirs-deric-lint-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique/#comments Tue, 27 Sep 2011 08:08:55 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1677 à Jean-Marie Privat

C’est lors de mon premier séjour à Montréal, en février 2011, que je connus Éric Lint. Un petit problème d’ordre littéraire me préoccupait; il voulut bien dessiner lui-même et me donner un schéma montrant la forme de transgènes mentionnés dans ses écrits, que je n’arrivais pas à établir malgré l’immense base de données de mon Google Books. J’eus ainsi la révélation de la richesse et de la précision de son savoir, et du sentiment concret qu’il avait des moindres détails. Ces qualités sont déjà manifestes dans son ancien travail sur Les romans dont vous êtes le lecteur, que je n’avais pas encore lu, et dont il me donna un exemplaire; je n’ai pas cessé de m’en servir depuis.
À la même époque, il m’invita à un séminaire qu’il réunissait chez lui pour un petit groupe de collègues et d’étudiants. S’aidant de diapositives, il parla longuement du protocole Translit et des gènes Argyle Lite A et D. Sa profonde admiration pour les arcanes textuels ressortait de tous ses propos, en même temps que ce besoin anxieux et jamais satisfait qu’il éprouvait d’en pénétrer la signification la plus secrète, fut-ce au delà de ce que les auteurs avaient su ou voulu exprimer. Pourtant, de manière intuitive, il en avait parfaitement saisi l’esprit : quand je le questionnai sur la provenance d’un beau paragraphe accroché au mur de la Chaire, il me répondit qu’il l’avait écrit lui-même du temps qu’il travaillait sur John Dos Passos.
Je retrouvai Éric Lint à la Chaire quand j’y revins en juillet 2012. Il eut la gentillesse de participer à plusieurs des séances de séminaire que je tenais à l’Institut de cartographie du temps présent (ICTP). On le sentait comme torturé par les problèmes touchant à la littérature, je dirais presque à la métaphysique de la littérature. Un jour, il me demanda ex abrupto si je pouvais définir la fonction du masque transgénique: c’était, il m’en souvient, à la suite d’un brillant exposé d’Aarvi Hradani sur les particules imaginaires, et leurs représentations figurées. Après un moment d’hésitation, je répondis à Lint qu’à mon avis, la fonction essentielle du masque est de transformer le gène porteur en espèce; mais je vis bien que cette formule d’inspiration anthropomorphique, et dénuée de tout fondement, le laissait insatisfait.
Notre troisième rencontre eu lieu dans la salle de traitement numérique de Google Books où il venait chercher un roman d’aventures de James Fenimore Cooper pour le croiser avec un Robbe-Grillet, dans une sensationnelle expérience consacrée à la création d’un texte littéraire transgénique, expérience qu’il avait conçue et qu’il finissait d’organiser. À peine arrivé, il accepta d’aller boire une bière à l’Île noire, le 20 janvier 2013, pour me montrer le superbe pastiche romanesque que J. R. Berger venait de terminer à son intention et auquel il avait lui-même daigné participer. Nous passâmes la soirée à regarder et à discuter les passages devant être reformulés, élaborant la description qu’il finirait quelques semaines plus tard. C’était surtout la dualité des masques de Cooper et de Robbe-Grillet qui le tourmentait : pourquoi, ne cessait-il de se demander et de me demander, éprouverait-on le besoin de faire un masque de masque? Pourtant il ne savait pas encore que les deux masques, pour la première fois rapprochés depuis l’invention de la littérature, s’adapteraient exactement l’un à l’autre.
Quand, après mon retour, il m’écrivit pour me communiquer cette grande nouvelle, il répéta sa question avec une insistance encore plus pressante. Si mes souvenirs sont exacts – car je ne gardai pas copie de ma lettre – je lui répondis qu’à mon sens, il ne posait pas la vraie question. Que les deux masques se lient n’avait rien d’étonnant, puisqu’on connaît en littérature d’innombrables masques articulés provoquant alternativement des textes différents, ou deux versions du même texte. Dans ce cas particulier, continuais-je, le choix du gène Argyle Lite A comme matière première excluait tout dispositif de charnières, et contraignait donc de faire deux masques, au lieu d’un masque unique à volets mobiles ou à sèmes articulés. Par conséquent, le problème n’était pas de savoir pourquoi il y avait deux masques, l’un aux sèmes ouverts, l’autre aux sèmes fermés, mais pourquoi on avait choisi de les extraire avec de l’Argyle Lite. Car, à partir du moment où ils devaient être en Argyle, la dualité qu’Eric Lint jugeait si troublante s’expliquait aisément par des impératifs biographiques.
Je poursuivais en signalant à mon correspondant l’existence, dans les romans de Bertrand Gervais, de masques non pas en Argyle, certes, mais en Walpole, c’est-à-dire une matière proche de l’autre par la biographie. Or, ces masques semblent présenter des propriétés métafictionnelles revêtues de sèmes, qui dorment pendant la période de non lecture, et deviennent alors eux-mêmes durs comme de la pierre, se réveillent au moment de la lecture et viennent exciter l’imagination (Lévi-Strauss, 1981 : 257). En dépit de leur éloignement culturel, le parallèle entre les masques Cooper et Robbe-Grillet, aux sèmes clos ou grand ouverts, me semblait assez suggestif pour qu’il valut la peine, disais-je, de rechercher si la littérature transgénique n’inclurait pas des expérimentations de ce type.
Eric Lint ne répondit jamais à ma lettre. Une fois de plus, sans doute, je l’avais déçu en lui proposant une explication trop simple en comparaison des grands mystères auxquels son âme inquiète aspirait. Pensant à Éric Lint tel que je l’ai connu, à ses vastes connaissances qu’il a si peu consignées par écrit et qui formaient un irrémédiable brouillon, je me demande si, en fin de compte, ce n’est pas de cette quête désespérée de mystères insondables – peut-être parce qu’ils étaient surtout une exigence de son esprit – que mourut cet homme complexe, vaniteux, égoïste et insupportable, mais qui fut malgré tout un grand savant.

Référence
Lévi-Straus, C., « Trois souvenirs de Wilson Duff », in The World is as Sharp as a Knife, D. N. Abbott, ed., Victoria, BCPM, 1981, p. 257-258.

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