Ce n'est écrit nulle part » exercice de style http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Une claque derrière la tête : technique d’interrogatoire no 43 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/12/11/une-claque-derriere-la-tete-technique-d%e2%80%99interrogatoire-no-43/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/12/11/une-claque-derriere-la-tete-technique-d%e2%80%99interrogatoire-no-43/#comments Sat, 11 Dec 2010 19:25:00 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1269

43. INTERROGATOIRE

Un poing frappe une surface. Des structures métalliques s’entrechoquent. Des tissus se froissent. On retient son souffle.
Gian-Carlo: Réponds!
Le silence de Dédé est imperturbable. Les néons vibrent. Dans les moments de silence embarrassé, c’est la première chose qu’on entend. Les néons. Ça et le bruit des doigts qui pianotent sur les claviers du poste. On a soif. Ça reprend.
Gian-Carlo: C’est pas sorcier, t’es retourné à la bibliothèque…
Dédé : Ça me donne quoi de répondre?
Gian-Carlo: Des points. Combien? Ça dépend de la réponse.
Dédé : J’y suis allé pour faire un vol, tiens.
Gian-Carlo: Tu viens d’en perdre une centaine d’un coup.
Dédé : Un vol de BAnQ.
Gian-Carlo: Attends que je te cravate.
Dédé s’en fout. Il a toujours aimé faire Tilt! Il met ses running, ses running blancs, blancs comme du sucre en poudre, blancs comme la Vierge Marie, sur la table en formica verdâtre, puis détache ostensiblement sa veste marron, afin de réajuster sa cravate au nœud ratatiné. Sa copie du Monde diplomatique, pliée en deux, menace de tomber de sa poche.
Gian-Carlo: Pensais-tu qu’on ne te suivrait pas? Les filatures aux heures de pointe, se cacher dans la foule, prendre des photos, c’est l’enfance… Hé! Alors, même si tu t’es faufilé au dernier instant dans le wagon, on était là pareil. À Berri-UQAM, on était là. On les a vues les portes se refermer sur ta cravate… Ha! ha! du grand guignol… Juste à côté de la fille au ipod. Oui, celle qui a ri de ta déconvenue. Ta cravate prise dans les portes! Ç’aurait été tellement facile de t’étrangler. Il suffisait de tirer.
Dédé : Qu’attendiez-vous?
Gian-Carlo: On a tout filmé, c’est pareil. Pis, c’est pas toi qu’on veut, minus, c’est ton sponsor. Savoir qui a commandé le coup. On s’en sacre du menu fretin.
Dédé : Et si j’agissais seul?
Gian-Carlo: On veut ton boss. Pas perdre notre temps. On est sorti avec toi à Sherbrooke. On t’a suivi au carré Saint-Louis. Sur la Main. Pis Ontario. T’avais rien à faire?
Dédé : C’est mon jour de congé. Je flâne.
Gian-Carlo: Ouais. Pour crâner, tu crânes. On t’a vu redescendre vers Maisonneuve. Bifurquer vers la bibliothèque. T’asseoir. Planer. Faire semblant de lire. Pis ton cellulaire a sonné.
Dédé : J’en ai même pas!
Gian-Carlo se rassoit. Il joue au gaucher contrarié un bref instant, avant de sortir de sa poche un sac en plastique fermé hermétiquement dans lequel on discerne sans peine un téléphone cellulaire qui n’a plus rien d’intelligent.
Gian-Carlo: Tu l’aurais toujours, si tu ne l’avais pas remis à ta complice.
Dédé : Rions noir!
Gian-Carlo: T’es beau, tu sais, en crétin! C’est émouvant. Je te parle de la femme. Miss Sunshine en personne. Coréenne. Sud. Seoul. Superbe.
Dédé : J’en connais pas…
Gian-Carlo: Mais si. Fais un effort. Je peux t’aider, s’il le faut. Et cesse de ricaner!
Il se lève, fait le tour de la table et, sans prévenir, assène une claque retentissante derrière la tête de Dédé. Il en remet même deux autres.
Dédé se crispe, sa cravate tressaute.
Gian-Carlo: Ça ne te rappelle rien? Une belle claque derrière la tête assénée par une asiatique aux mains gantées? Pas de quoi pavaner, hein! Tu nous prends vraiment pour des cols de chemise. Belle diversion… Pendant qu’on regarde la claque, tu glisses discrètement le téléphone dans la poche de son manteau. De vrais magiciens. Mais c’est plus le matin, mon petit. Pis des vers comme toi, on les enfile à des hameçons. Alors, on recommence.
Dédé (silence, mais un silence moins convaincant que le premier)
Gian-Carlo: Qui voulait faire tuer Perec? La gang des Lyonnais? Le gros Raymond? Harry? Les ouvreurs de chez Little Pots? Qui? Tu vas répondre!
Un poing refrappe une surface. Un nœud se comprime. Des tissus se froissent. On en perd le souffle.
(Texte rédigé à la suggestion de Clarence L’inspecteur, dans le cadre du projet « On est toujours trop bon« , une version remixée des Exercices de style de Raymond Queneau.)
]]>
http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2010/12/11/une-claque-derriere-la-tete-technique-d%e2%80%99interrogatoire-no-43/feed/ 0