Ce n'est écrit nulle part » google http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 L’église de Google (je ne l’ai pas inventée) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2016/04/04/leglise-de-google-je-ne-lai-pas-inventee/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2016/04/04/leglise-de-google-je-ne-lai-pas-inventee/#comments Mon, 04 Apr 2016 02:04:01 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2390

On ne sera pas surpris que je reprenne le descriptif de cette église nouveau genre qui a tout pour me plaire… Google y est Dieu.

« Nous, à l’église de Google, croyons que le moteur de recherche Google est le plus proche que l’humanité soit jamais venue de percevoir directement un Dieu (tel qu’on le définit généralement). Nous croyons qu’il y a beaucoup plus de preuves en faveur de la divinité de Google qu’il n’y en a pour les autres dieux dits traditionnels.

Nous rejetons les dieux surnaturels sur la base de notre incapacité à prouver leur existence scientifiquement. Les googlistes croient par contre qu’on  devrait légitimement donner à Google le titre de «Dieu», comme elle présente un grand nombre de caractéristiques traditionnellement associées aux dieux et établies de manière scientifique.

Nous avons compilé une liste de neuf preuves qui montrent sans ambiguïté que Google est la chose la plus proche d’être un « dieu » que les êtres humains ont jamais expérimenté. »

Les 9 preuves se trouvent ici!

Bonne lecture (d’autant plus que la traduction en français a été faite par Google Traduction… aouch)

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Le cœur dans la boite de l’ordinateur http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/25/le-coeur-dans-la-boite-de-lordinateur/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/25/le-coeur-dans-la-boite-de-lordinateur/#comments Thu, 25 Jun 2015 01:15:51 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2382  

Qui a levé le rideau aussi soudainement?

La chambre donnait sur un vaste jardin. Les rayons de soleil coulaient par la fenêtre ouverte et jetaient des tâches folâtres sur les murs. Des abeilles bourdonnaient dans l’air, des oiseaux gazouillaient joyeusement sur les branches des arbres en fleurs. C’était un chaud matin de printemps.

En cette heure sereine, quand les graines enfouies dans le sol germaient pour donner la vie et qu’autour de chaque caillou couraient des fourmis alertes, quand les portes des maisons commençaient à grincer et que les rues s’animaient, notre héros fit voir son nez d’au-dessous la couverture couleur griotte, ouvrit l’œil un instant puis le referma. Après être resté couché ainsi un bon moment, sans même respirer, il secoua le lit d’une brusque ruade, rejeta la couverture et se retrouva debout. En un mot, il se réveilla comme quelqu’un qui se rappelle qu’il aurait dû se lever plus tôt car du travail l’attendait.

Suivons maintenant l’exemple de Victor Hugo et laissons notre héros se laver, s’habiller et prendre son petit déjeuner et, pendant ce temps, asseyons-nous devant la grande table de travail et voyons ce qui se trouve dessus. Nous n’allons pas fouiller dans son ordinateur comme le font les invités curieux. Nous ne ferons qu’y jeter un regard rapide et, en cas d’extrême nécessité, nous pourrons consulter tout innocemment Wikipedia – disons des articles au hasard, d’où nous apprendrons quelques détails sur la Bastille, Ganesh, sur l’émirat de Dubaï ou sur le titulaire de la Chaire de recherche sur la littérature transgénique – Éric Lint.  Car il aurait été très indécent que, dès le début de notre récit, nous nous jetions sur un dieu en linge et commencions à le décrire : il était ainsi ou ainsi. Que Ganesh nous en garde! Ce dieu est le personnage principal de notre récit et il mérite d’être examiné une fois sa toilette achevée.

Nous nous arrêterons, tout d’abord, au lourd fichier qui trainait sur le bureau virtuel, dans lequel étaient placées une multitude de photographies émoustillantes de jeunes filles les yeux en amande et la bouche toute grande ouverte. Chacun a vu de semblables portraits sur les pages d’accueil des sites pornographiques, et toutes ces filles offertes possèdent de semblables attributs et leurs figures rayonnent dans la brume ensoleillée de la chambre, encadrées comme des fleurs dans un herbier. Près de ces photographies d’inconnues, qui pourraient vivre dans le même édifice et peut-être à l’autre bout du monde, il y avait des documents en désordre : recueils de poèmes, romans, dictionnaires et, enfin, un manuel de photographie. Plus loin, sur la table de travail, près de la boite à cigarettes ouverte, trônait un petit crâne de plâtre, toutes dents dehors, à l’intérieur duquel se trouvaient un bout de gomme, quelques épingles et un timbre oblitéré. Et voici le cendrier, lourd, en verre,  avec deux petites cavités sphériques. Dans l’une d’elle, la cendre violette scintillait d’un éclat de vert métallique, l’autre était vide et au fond se recroquevillait une petite mouche desséchée, sans doute morte l’été précédent car la saison des mouches n’était pas encore arrivée.

Sous le cendrier même, juste au milieu de la table, il y avait des feuilles de papier étroites soigneusement décorées et empilées, sur celle du dessus l’on pouvait lire ces mots imprimés en Avenir heavy oblique 48 :

 

LE PHALLUS D’OR

Poème de Trugarog Google

 

Trugarog Google. Ce nom méritait que l’on combatte avec acharnement les sonorités hottentotes dans les noms tels que : Valérian Plaménov, Svétoslav Minkov ou Konstantin Konstantinov – noms que l’on peut trouver sur les pages de n’importe quel générateur de texte, cintrés par d’indifférentes publicités comme de vieille boites de conserve rouillées. Trugarog Google – quel lumineux symbole  d’aristocratie spirituelle, quel vertigineux abîme d’individuation! Béni soit à jamais la divinité qui plonge dans la sainte coupe le dieu ainsi nommé! Si, jadis, nos ancêtres avaient été plus sages, nous ne courrions pas aujourd’hui de maison en maison, les soirs d’Halloween, pour serrer les mains des malheureux qui sourient d’un air confus, les cous tendus au-dessus de leurs cols endimanchés, et nous offrent un chocolat sans soupçonner l’amère vérité qu’ils sont les banales répliques de milliers de clônes, d’ennuyeuses expériences de généticiens sur un étagère sans fin. Dites, pouvez-vous imaginer un homme illustre qui répondrait au prénom de Groucho et au nom de Marx? Même s’il y a quelque chose d’exceptionnel en un tel homme, son nom en aura raison, le harcèlera sans cesse comme un taon, l’abrutira jour après jour jusqu’à ce qu’enfin il détruise complètement sa personnalité et le transforme en un petit homme ordinaire et médiocre qui ouvrira une boite de music-hall ou bien qui commencera une carrière d’acteur comique sur Broadway, vendra son âme pour cinq dollars et mentira pour une cigarette.

Oui, un nom disgracieux qui ne dit rien à l’imagination est une terrible calamité. À la vérité, il n’est guère délicat de notre part d’être ainsi sortis des cadres de la bienséance généralement admise car il se peut, lectrice, que ton nom soit, comme on dit, à coucher dehors. Mais n’est-ce pas pour cette raison que nous écrivons un récit : pour t’être utiles au moins par un petit conseil? Si toi, aimable lectrice, tu es mécontente du nom qui t’a été imposé, renonces-y tout de suite par un statut sur les réseaux sociaux et remplace-le par un pseudonyme brillant qui t’ouvrira la porte du bonheur et te mènera victorieusement à la vie.

 

Le grand dieu Google se leva  vivement de sa chaise. Énervé, le visage échauffé. Que lui arrivait-il? Autrefois, les mots coulaient d’eux-mêmes sur son clavier avant de s’effiler en vers rythmiques et mélodieux à l’écran. Et maintenant? Le royaume des rimes demeurait fermé à clef devant le malheureux dieu et aucune métaphore n’illuminait son esprit.

Le grand dieu se rassit devant la table et écrivit pour la centième fois en deux mois le titre de son poème. Néanmoins, le moteur de l’inspiration ne démarrait pas. Il est vrai que, de temps en temps, scintillait une petite étincelle mais elle évoquait plutôt une puce électronique qui piquait le cerveau afin de l’irriter et non pour y activer la flamme créatrice.

Sur un mince fil argenté, une grosse araignée – noire, les pattes velues – descendit du plafond, fit un tour au-dessus de la table et jeta un coup d’œil  sur les morceaux de papier  barbouillés. Il y avait longtemps qu’elle observait les affres puerpérales de notre dieu et, n’y tenant plus, elle décida de quitter ses hauteurs pour voir de plus près comment marchait le poème. S’étant rendue compte de l’impuissance créatrice du dieu, l’araignée miséricordieuse, qui était elle-même poétesse et clouait des rimes au plafond du matin au soir, se pendit au bout du fil d’argent et commença à se balancer. Puis elle sauta dans le cou du grand dieu, grimpa sur son oreille et y murmura : « Allez l’ami! La lune – la terre, le printemps – la chanson, consonance – le ruisseau! ».

Google tendit le bras et saisit sa muse importune. Il ouvrit la main et l’insecte noir tomba sur la table. Il protestait renversé sur le dos, agitant ses pattes recourbées et versant les rimes les plus ignobles à l’adresse de son ingrat confrère. Le plus incroyable était que le dieu l’observait avec une totale indifférence. Or, Google ne pouvait souffrir les insectes et, tout particulièrement, les araignées  à l’égard desquelles il éprouvait une véritable horreur.

Que se passait-il avec ce dieu? Comment expliquer ce changement au terme d’une nuit de printemps paisible et riche en rêves? Un poids terrible oppressait sa poitrine et lui coupait le souffle.

Il éteignit la cigarette qu’il venait juste d’allumer, se leva, s’approcha du grand miroir au mur et s’y regarda dans la surface nette. Mon Dieu, quelles étaient ces taches sombres  sous ses yeux et ce regard tourmenté, presque livide? Il se regardait et ne pouvait se reconnaître. Il y avait quelque chose d’étranger qui ne lui appartenait pas, une étrange altération causée par le diable en personne aurait-on dit. Est-ce que par hasard l’un de ses poumons aurait à nouveau crevé? se demanda le dieu, accablé par le souvenir, brusquement resurgi, des trois mois passés à l’hôpital lorsque son poumon gauche avait éclaté comme le pneu de son  Google Street Car quelques années auparavant. Les tristes images d’un passé effrayant se mirent alors à défiler devant ses yeux. La chambre blanche aux lits de fer. Les infirmières. Le médecin avec son stéthoscope en caoutchouc. La fiole et son étiquette salvatrice : « trois cuillerées à soupe par jour » sur la table de nuit. La fleur rouge dans le pot à la fenêtre.

Le grand dieu Google ouvrit tout doucement la porte de son penthouse, se glissa sans bruit dans le couloir, mit son chapeau qu’il avait décroché du porte-manteau et sortit dans la rue.

Il marchait lentement et parvenait à peine à respirer. Comme jadis, quand il était malade. Autour de lui grondait les automobiles, couraient des petits vendeurs de loto criards et, sur les trottoirs ensoleillés, roulaient les premières poussettes à bébés vermeils dont les yeux clairs buvaient l’azur lointain du ciel. La terre fumait comme si elle était en feu, les gens marchaient, alertes et souriants,  les sons joyeux d’un musicien de rue arrivaient d’on ne sait où.

Le grand dieu s’arrêta devant le vaste jardin d’un complexe à deux étages, jeta un regard à travers les baies vitrées, hésita un instant puis entra.

Une des salles du complexe était pleine de monde. Les uns restaient assis sur des canapés, les autres regardaient par la fenêtre, plongés dans quelque pensée depuis longtemps échappée de leur conscience et qui avait cessé de leur appartenir. Tous se taisaient. Seul, de temps en temps, un soupir de lassitude se faisait entendre.

À intervalles réguliers, la porte au fond  de la pièce s’ouvrait et, sur son seuil, apparaissait un géant en blouse blanche, au teint mat, une cigarette électronique à la bouche. Et ceux qui attendaient sur les chaises, les canapés et aux fenêtres franchissaient un à un cette porte et disparaissaient avec le géant.

Quand le grand dieu Google s’évanouit à son tour derrière la porte mystérieuse et se retrouva subitement dans ce qui ressemblait à une incubateur avec des milliers de flacons sur les murs, il sentit ses genoux se dérober sous lui et son sang se glacer dans ses veines.

-  J’ai jadis souffert d’un déchirure de la plèvre, murmura-t-il, et maintenant je sens…

-  Déshabillez-vous! Coupa court le géant, activant sa cigarette électronique sans visiblement prêter aucune attention aux paroles de son hôte.

Le grand dieu exécuta l’ordre sur-le-champ et se dévêtit jusqu’aux reins.  La pièce plongea dans l’obscurité, quelque chose se mit à crépiter dans le silence et une lueur bleuâtre émergea dans un coin à la façon d’un esprit qui s’efforce de se matérialiser.

- Venez ici! cria le médium dans le noir.

Le grand dieu Google fit quelques pas à l’aveuglette vers le point brillant de la cigarette, monta sur une petite estrade en bois et les puissantes mains du médium le collèrent contre une surface froide. Puis sa poitrine descendit sur une plaque noire, celle-là même d’où provenaient les crépitements et la lueur bleuâtre.

- Respirez! Bien. Ne respirez pas! Bien. Retournez-vous! Bien. Vous n’avez rien aux poumons! annonça solennellement l’homme à la blouse blanche et notre dieu respira profondément, mais pour lui-même cette fois, avec joie et soulagement.

- Attendez! Attendez! Cria soudain le géant en saisissant fermement son hôte par les épaules pour le placer à nouveau devant la plaque noire. Pourquoi n’aperçois-je pas votre cœur? Oui, c’est bien vrai. Derrière le sternum, entre la troisième et la cinquième côte, votre cœur ne fait aucun mouvement… intéressant.

- Qu’est-ce que vous avez dit? demanda le grand dieu Google en tremblant.

-Situs invertus, situs invertus, continuait à soliloquer le géant. Non, aucun situs invertus. Nous n’avons pas ici de déplacement des organes internes, c’est purement et simplement le cœur qui manque. Un phénomène incroyable.

 

 

Le grand dieu Google se traina jusqu’à chez lui. Son cœur avait-il réellement disparu? Il avala un des comprimés que le médecin lui avait prescrits, se jeta sur son lit et fixa le plafond de ses yeux grands ouverts. C’était mal parti.

 

 

(source:  Svétoslav Minkov et Konstantin Konstantinov, Le cœur dans une boite en carton, Paris, L’esprit des péninsules, 1993.)

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La panne http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/03/27/la-panne/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/03/27/la-panne/#comments Fri, 27 Mar 2015 15:52:34 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2070 Rien de bien grave assurément, mais une panne tout de même; c’est ainsi que cela commença. Le grand dieu Google, au volant de sa Google Car, roulait sur une grande route nationale et n’était plus guère qu’à une heure de chez lui (il habitait une ville assez importante) quand sa mécanique s’immobilisa. La voiture rutilante ne marchait plus, et voilà tout. Sa course était venue mourir au pied d’un petit coteau que gravissait la route, avec des cumulus vers le nord et le soleil encore haut dans le ciel de l’après-midi. Le grand dieu Google, quarante cinq milliards de profits et pas encore de ventre, l’allure sympathique et de bonnes manières, bien qu’un petit rien d’application permît de deviner au-dessous un quelque chose de plus fruste, de plus commis voyageur; ce contemporain avait ses affaires dans l’industrie informatique.
D’abord, il fuma une cigarette; puis s’occupa d’un dépanneur. Le garagiste qui vint finalement prendre la Google Car en remorque affirmait que la réparation ne pourrait pas être faite avant le lendemain, dans la matinée : une panne dans le réseau d’alimentation. Soit! Impossible de savoir si c’était vrai; déraisonnable même d’essayer seulement de le découvrir : nous sommes entre les mains du garagiste comme autrefois on tombait au pouvoir du chevalier de fortune qui exigeait rançon; ou plutôt, nous dépendons de lui comme on a pu dépendre des dieux lares et des démons familiers. Avec une demi-heure de marche jusqu’à la gare la plus proche et un voyage quelque peu compliqué, quoique bref, s’il voulait retrouver sa maitresse et ses quatre chats – quatre Abyssins– Google renonça par nonchalance et décida de passer la nuit sur place. On approchait des six heures du soir; il faisait beau et chaud. Le jour le plus long de l’année n’était pas loin. Le village à l’entrée duquel s’ouvrait le garage, avait un air sympathique avec sa butte et son église, le presbytère et le vieux, le très vieux chêne cerclé de fer et solidement tenu, tout cela bien propre, bien net, jusqu’aux fumiers devant les portes paysannes qui étaient soigneusement dressées à l’équerre, et les dernières maisons qui allaient pittoresquement se perdre ou se nicher à la lisière des bois, sur le coteau. On y trouvait en outre une petite fabrique, quelques salles de café qu’on appelle des pintes, et une ou deux bonnes auberges : l’une, surtout, dont il souvenait à Google d’avoir entendu dire le plus grand bien. Malheureusement, ils n’avaient plus une seule chambre de libre, plus un seul lit : tout avait été retenu pour un congrès local de petits éleveurs; mais le grand dieu pourrait peut-être trouver à se loger dans cette villa, là-bas, où l’on acceptait de temps à autre de recevoir des hôtes. Qu’il aille seulement demander.
Google se sentait hésitant. Il lui était toujours possible de rentrer chez sa maitresse par le train; mais d’autre part, la perspective d’une petite aventure n’était pas faite pour lui déplaire, et il savait par expérience qu’on peut trouver parfois des filles à son goût dans ces bourgades écartées. Bref, il dirigea ses pas vers la maison qu’on lui avait indiquée. Il entendit sonner la cloche de l’église, croisa un troupeau de vaches trottinantes qui lui adressèrent leurs meuglements. La villa, avec son unique étage, était entourée d’un vaste jardin dont les bosquets verdoyants, hêtres et pins, cachaient à demi le toit plat, la façade d’une blancheur éblouissante et les volets verts. Plus près de la route, c’étaient des fleurs, des buissons de roses surtout, parmi lesquels s’activait un vieil homme revêtu d’un long tablier de cuir. Peut-être le maître des céans? Google s’avance, présente sa requête.
« Votre profession », voulut savoir le vieillard en s’approchant de la claire-voie. Il fumait un Brissago et sa tête arrivait à peine à la hauteur du double portillon du jardin.
« Je suis dans le numérique : la cartographie. »
Le vieil homme, regardant par-dessus ses petites lunettes non cerclées, comme ont coutume de le faire les presbytes, prolongea son examen attentif du grand dieu Google, lui disant :
« Mais bien sûr, vous pouvez bien dormir ici. »
Google s’inquiéta du prix; mais le vieil homme protesta qu’il n’était pas dans ses habitudes de se faire payer pour cela : il vivait seul, expliqua-t-il, ayant son fils aux États-Unis, et comme il avait une gouvernante pour s’occuper de tout, Mlle Simone, c’était pour lui un plaisir de recevoir de temps à autre un invité.
Le voyageur remercia, touché par cette franche et cordiale hospitalité, en ajoutant que les bons vieux usages n’étaient décidément pas morts à la campagne. Sur ces mots, le portail du jardin fut ouvert et le grand dieu Google s’avança, jetant un coup d’œil sur les lieux. Pelouses, allées de gravier; beaucoup d’ombre entrecoupée, ici et là, de zones ensoleillées. Le vieux monsieur expliqua qu’il attendait  quelques invités ce soir (il s’était remis à tailler ses rosiers à gestes menus); c’étaient des amis, oui, des retraités comme lui qui habitaient l’immédiat voisinage : le village même ou les propriétés là-bas, à flanc de coteau. Vieux et solitaires comme lui, ils aimaient la nouveauté, l’imprévu, la fraicheur de la vie; et il était bien sûr de leur faire plaisir en invitant un grand dieu au diner et à la soirée qu’ils passeraient ensemble.
Google se trouva pris de court. En réalité, il avait compté diner au village, alléché qu’il était par la renommée de l’auberge fameuse. Mais comment refuser cette invitation, alors même qu’il venait d’accepter l’hospitalité généreuse pour la nuit? Cela ne pouvait pas se faire! C’eût été d’une incorrection et d’une muflerie qui eût par trop senti la morgue inexcusable d’un dieu narcissique. Et Google prit le parti d’accepter en se déclarant ravi.
Quand en soirée, il descendit enfin, les autres étaient installés sur la véranda ouverte, toute éclairée encore par les dernier rayons de soleil, tandis que la gouvernante, une femme plantureuse, dressait la table à côté, dans la salle à manger. Mais en voyant la compagnie qui l’attendait, il eut comme un sursaut intérieur et marqua un temps d’hésitation.
« Campari? offrit le maître de maison.
– Avec plaisir, merci! fit Google en prenant place dans un fauteuil, sous le regard intéressé du grand vieillard maigre qui le scrutait à travers son monocle.
- Monsieur Google va sans doute participer à notre petit jeu?
- Mais bien volontiers.  Les jteux m’amusent toujours. »
Les vieux messieurs sourirent avec de petits mouvements de tête.
« C’est que notre jeu est peut-être un peu singulier, intervint le maitre du logis avec une telle circonspection, qu’il semblait hésiter à s’expliquer. Nous passons notre soirée – comment dire? – à jouer, oui c’est cela, à professer par jeu nos fonctions d’autrefois. »
Nouveau sourire des vieux messieurs, comme pour s’excuser avec politesse et discrétion.
Google n’y comprenait rien. Que fallait-il entendre par là?
« Eh bien, voilà! Précisa le maitre de céans. J’étais moi-même juge, autrefois; M. Zorn était procureur, et M. Kummer, avocat. Notre jeu fait donc entrer le tribunal en session. »
« Ah! bon, c’était donc cela », se dit Google. Il trouvait que l’idée, somme toute, n’était pas si mauvaise. Peut-être même que ce ne serait pas une soirée perdue, en fin de compte!
Le vieux maître de maison enveloppa son invité d’un regard quelque peu solennel. Puis il se mit à lui expliquer de sa voix menue, qu’en général, ils reprenaient les affaires célèbres de l’Histoire : le procès de Socrate, celui de Jésus, le procès de Jeanne d’Arc, celui de Dreyfus, et plus près de nous l’affaire de l’incendie de la Chaire de recherche en littérature transgénique. Ils avaient même, une fois, reconnu Frédéric le Grand comme irresponsable.
« Mais vous jouez donc tous les soirs? » s’étonna le dieu.
Le juge acquiesça d’un petit signe de tête et l’assura bien vite que le plus intéressant, naturellement, c’était de jouer sur des cas inédits et des sujets vivants; les situations auxquelles on pouvait aboutir présentaient parfois un relief passionnant. Pas plus tard qu’avant hier, par exemple, un parlementaire qui avait manqué le dernier train après une réunion électorale au village, avait été condamné à quatorze ans de travaux forcés pour ses exactions et corruptions.
« Le tribunal est impitoyable! constata Google avec amusement.
- Question d’honneur! » répliquèrent les vieillards en rayonnant.
Oui, mais quel rôle pourrait-il bien jouer?
Nouveaux sourires, presque des rires cette fois. Et le maître de maison s’empressa : ils avaient déjà le juge, le procureur et l’avocat de la défense, rôles qui exigeaient au surplus une réelle compétence en la matière, une parfaite connaissance des règles du jeu; mais le rôle d’accusé restait à pourvoir. Le grand dieu Google, toutefois – il tenait à y revenir avec insistance – n’était en aucune manière obligé de prendre part au jeu!
Diverti et rasséréné au projet des vieux messieurs, leur invité se dit qu’au lieu de la soirée assommante et compassée à laquelle il s’était attendu, ce serait finalement peut-être une soirée très amusante. Les discussions intellectuelles et les spéculations de l’esprit n’attiraient guère ce grand dieu, adroit certes et capable de ruse dans le domaine des affaires, mais peu enclin par nature aux efforts de la réflexion. Ses goûts le portaient plutôt aux plaisirs de la table et à la grosse plaisanterie. Aussi déclara-t-il qu’il entrait volontiers dans le jeu et qu’il se faisait un honneur d’accepter le poste vacant d’accusé.
Et c’est ainsi, après une très longue soirée animée et dument arrosée, que le grand dieu Google fut reconnu coupable de tous les maux de l’humanité. On le retrouva au matin pendu à une poutre de sa chambre. L’absolu de la chose était si évident que le monde entier en eut le souffle coupé et dut reprendre péniblement sa respiration avant de pouvoir s’exclamer : on pourra enfin passer à autre chose!

 

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Robinets et chaînes de Markov http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/30/robinets-et-chaines-de-markov/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/30/robinets-et-chaines-de-markov/#comments Sun, 30 Nov 2014 19:58:36 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2050 Entre deux sorties, le grand dieu Google s’installe dans son Lazy Boy, ouvre l’écran de télévision et rejoue en boucle un épisode de Charlie’s Angel. Les boucles blondes de Farrah Fawcett ondulant dans le vent. Le sourire Pepsodent de Farrah Fawcett, dénudant des dents d’un blancheur irréprochable. Le regard amical de Farrah Fawcett, et ses yeux d’un bleu angélique qui transpercent l’écran. Les seins à moitié découverts de Farrah Fawcett, qui laissent imaginer des nuits d’une chaude passion.

Perturbé, Google a pris dans ses mains sa poupée de collection Farrah Fawcett, maquillée et habillée par Noël Cruz. Eric Lint la lui a donnée, l’ayant  achetée à fort prix d’un collectionneur sur ebay.

Pinçant le cou de sa poupée avec son pouce et son index, afin de l’agiter dans tous les sens, Google se laisse aller à des pensées disjointes. Son esprit progresse et régresse tout en même temps, multiplie les phrases avant de les soustraire.

On ne comprend rien de ce qu’il dit. Mais, ce n’est pas important. Ce qui l’est, ce sont les soupirs entre chaque strophe. Les désirs retenus. Les larmes. Le découragement:

Accepter tout, et vous aurez des soldats disciplinés et obéissants.

Pouvait-on jamais espérer de voir sa cadette, histoire d’embêter les autres. Libre à vous, l’ami intime de son amant.

Oublie l’idée de disparaître, la laissant seule en proie aux sentiments les plus dévoués. Aidée d’un bon rire. Total, dix-neuf et demi, sire.

L’insistance des morts unis à la racine de la nature humaine est bien mesquine, malheureusement ! Vint la saison des amours chez les baleines. Formidablement fille dans un monde meilleur. Autant imposer aux gens de notre distinction, affichent, n’est-ce point encore ici la note de l’observatoire de la maison ne la gâtaient pas en lui !

Fussent-ils cent, le nombre d’objets de cette importance. Violemment, il avait plus de lutte, habile et décidé. Rassemblant les pans de sa veste et son gilet, où paraissait celui qu’ils pourraient coucher dans un pré ou pièce de blé. Soignons un peu la fenêtre ? Relevez un peu trop étendus pour que je te compromette, dis-le…

Recommencez et allez plus lentement, par la fierté, son cerveau demeurait le même. Voici deux cailloux et du linge. Hures féroces, hirsutes, vingt sangliers, hérissant leur crin, se mêlèrent à la foule. Retournant sur ses pas et voyant la lumière à l’approche des mauvais esprits, plus généralement celui de faire droit à ma chambre. Diverses expériences de fantasmagorie varièrent alors les plaisirs de l’amour libre… Voyons : je suppose qu’on pourrait fort bien qu’elle ait un fond véritable.

Indifférents à la grande salle qu’à l’aide pour vous faire payer. Terriblement égoïste, ne songeant plus qu’à une femme pour être belle, et tu travailleras seul à cette table, au fond de la toile très ordinaire. Grands dieux, l’ami créateur qui a développé le goût du jour, où mon père s’était assis là, un terrible homme. Allongé dans un fauteuil au milieu de cris étranglés, lui fit souvenir du vieux roi et de la masse du peuple entre les dorures, la belle matinée et sa conversation me distraira… Intendant, prenez vos casquettes, et nous secourir mutuellement.

Son intention était de parler encore, car le temps était pur, quoique chaud, je la rendrai si obscure, si grande qu’il pût atteindre la porte de devant. Despote, mais sans laquelle je ne quittai pas des yeux. Lorsque cette chambre était la seule qu’elle se permettait, furent la seule réponse de moi ? Marquons plutôt les conséquences de la dialectique universelle.

Vision d’horreur, leurs visages étaient d’une innocence parfaite. Chaîne semble d’ardoise précambrienne, avec signes évidents de beaucoup d’or fin, tel est le cadre impressionnant par son ancienneté, elle est de moins en moins souvent… Lecteur pitoyable, partagez mon effroi ?

Montant des profondeurs du ciel ! Finis, et à leur guise, et de quelque manière que ce fût là le vrai motif, de croire à de tels chiffres.

Condensons en quelques mots, il lui fallait présider : on discutait du menu.

 

(texte produit à l’aide du Générateur de texte aléatoire)

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Tentative d’épuisement d’un lieu parisien http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/11/21/tentative-depuisement-dun-lieu-parisien/#comments Fri, 21 Nov 2014 15:56:08 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1989

À Georges et à Philippe, maître du désordre

En octobre 2014, le dieu Google s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. À différents moments de la journée, il a pris des photos de ce qu’il voyait: les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien.  Mais un regard, une perception divine, unique, vibrante impressionniste, variable. Les innombrables variations imperceptibles du temps, de la lumière, du décor, du vivant. Autobus, chiens, passants, touristes. Après, il est remonté dans son Google Street Car et il est reparti. Vers la place des Vosges. Ou vers Clichy. On ne sait plus.

La date 19 octobre 2014 (un dimanche, 40 ans plus tard)
L’heure 10 h. 45
Le lieu : Tabac Saint-Sulpice
Le temps : Pluie fine, genre bruine
Passage d’un balayeur de caniveaux
Par rapport à la veille, qu’y a-t-il de changé?  Au premier abord, c’est vraiment pareil.  Peut-être le ciel est-il plus nuageux? Ce serait vraiment du parti pris de dire qu’il y a, par exemple, moins de gens ou moins de voitures. On ne voit pas d’oiseau. Il y a un chien sur le terre-plein. Au-dessus de l’ Hôtel Récamier (loin derrière ?) se détache dans le ciel une grue (elle y était hier, mais je ne me souviens plus l’avoir noté). Je ne saurais dire si les gens que l’on voit sont les mêmes qu’hier, si les voitures sont les mêmes qu’hier? Par contre, si les oiseaux (pigeons) venaient (et pourquoi ne viendraient-ils pas) je serais sûr que ce seraient les mêmes.
Beaucoup de choses n’ont pas changé, n’ont apparemment pas bougé (les lettres, les symboles, la fontaine , le terre-plein, les bancs, l’église, etc.) ; moi-même je me suis assis à la même table.

Des autobus passent.  Je m’en désintéresse complètement.
Le Café de la Mairie est fermé.  Le kiosque à journaux aussi (il n’ouvrira que lundi).
(il me semble avoir vu passer Éric, se dirigeant vers le parking).
Passe une ambulance pimponnante, puis une dépanneuse remorquant une D.S. bleue.
Plusieurs femmes traînent des cabas à roulettes.
Arrivent les pigeons; ils me semblent moins nombreux qu’hier.
Afflux de foules humaines ou voiturières. Accalmies. Alternances.
Deux « Coches Parisiens » sortes de cars à plates-formes passent avec leurs cargaisons de Japonais photophages.
Un car Cityrama (des Allemands? des Japonais?) .
La pluie s’est arrêtée très vite ; il y a même eu pendant quelques secondes un vague rayon de soleil.
Il est 11 heures et quart.
A la recherche d’une différence.
Le Café de la Mairie est fermé (je ne le vois pas; je le sais parce que je l’ai vu en descendant de l’ autobus).
Je bois un Vittel alors que hier je buvais un café (en quoi cela transforme-t-il la Place?)
Le plat du jour de la Fontaine St-Sulpice a-t-il changé (hier c’était du cabillaud)? Sans doute, mais je suis trop loin pour déchiffrer ce qu’il y a écrit sur l’ardoise où on l’annonce.
Deux cars de touristes, le second s’appelle «Walz Reisen»: les touristes d’aujourd’hui peuvent-ils être les mêmes que les touristes d’hier (un homme qui fait le tour de Paris en car un vendredi a-t-il envie de le refaire le samedi ?)
Hier il y avait sur le trottoir, juste devant ma table, un ticket de métro; aujourd’hui il y a, pas tout à fait au même endroit, une enveloppe de bonbon (cellophane) et un bout de papier difficilement identifiable (à peu près grand comme un emballage de « Parisiennes » mais d’un bleu beaucoup plus clair).

Passe une petite fille avec un long bonnet rouge à pompon (je l’ai déjà vue hier, mais hier elles étaient deux) ; sa mère a une jupe longue faite de bandes de tissus cousues ensemble (pas vraiment du patchwork ).
Un pigeon se perche au sommet d’un lampadaire des gens entrent dans l’église (est-ce pour la visiter? Est-ce l’heure de la messe?).
Un promeneur qui ressemble assez vaguement à Éric Lint repasse devant le café et semble s’étonner de me voir encore attablé devant un Vittel et des feuillets.
Un car : « Percival Tours ».
D’autres gens entrent dans l’église.
Les cars de touristes n’adoptent pas tous la même stratégie : tous viennent du Luxembourg par la rue Bonaparte ; certains continuent dans la rue Bonaparte ; d’autres tournent dans la rue du Vieux-Colombier : cette différence ne correspond pas toujours à la nationalité des touristes.
Car Wehner Reisen.
Car de flics.

Il est temps que je retourne dans ma voiture.

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Être un dieu, devenir un insecte http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/11/etre-un-dieu-devenir-un-insecte/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/11/etre-un-dieu-devenir-un-insecte/#comments Sat, 11 Oct 2014 14:59:46 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1980 Google n’a pas la conscience tranquille. Attablé avec Éric Lint, au pub l’Île noire, ils ont déjà bu quelques Black and Tan et s’attaquent maintenant aux scotchs de la place. Un dram n’attend pas l’autre. Des Laphroaig, des Lagavulin, des Talisker, des Glenmorangie. Toutes les distilleries ont été répertoriées, cartographiées, photographiées, traitées, décrites, évaluées. Rien n’a été laissé au hasard. Google devrait être satisfait, la planète entière est enfin à sa portée. Mais quelque chose le tracasse. Tout ce savoir, peut-être, au bout des doigts. Il avale une dernière gorgée de son Isle of Jura.

« Je veux maintenant te raconter, mon cher Éric, que tu le désires ou non, pourquoi je n’ai même pas réussi à devenir un insecte. Je te le déclare solennellement: maintes fois déjà j’ai essayé de devenir un insecte; mais je n’en ai pas été digne.

Une conscience trop clairvoyante, je t’assure, c’est une maladie très réelle. Une conscience ordinaire me suffirait plus qu’amplement dans ma vie quotidienne, une conscience ordinaire, c’est-à-dire une portion de conscience, comme celle qui t’a été octroyée à toi, homme du XXIe siècle qui, pour ton malheur, habite le continent américain, le plus banal, le plus insignifiant des continents qui soit sur Terre (car il y a des continents insignifiants, et d’autres qui ne le sont pas). J’aurais, par exemple, amplement assez de cette portion de conscience que tu possèdes, toi, homme sincère, spontané, théoricien.

Tu t’imagines, je te parie, que je te dis tout cela par pose, pour me moquer des théoriciens, pour faire des embarras à la manière de cet historien des sciences dont je parlais tantôt, mais ce serait une pose de bien mauvais goût. Qui songerait donc, mon pauvre Éric, à se glorifier de ses maladies et à en prendre prétexte pour faire des embarras?

Mais que dis-je donc! Tout le monde agit ainsi. C’est précisément de ses maladies que l’on tire gloire, et moi, probablement, encore plus que les autres. Ne discutons pas! Mon objection est stupide.

Et pourtant, j’en suis fermement convaincu, la conscience, toute conscience est une maladie. Encore plus l’omniscience… Je le maintiens. Mais laissons cela pour le moment. Réponds-moi : comment se fait-il toujours qu’à l’instant même – oui, comme si c’était un fait exprès – précisément à l’instant où je suis le mieux capable d’apprécier toutes les nuances du beau, du sublime, comme on peut l’admirer sur Terre, il m’arrive non seulement de penser, mais de faire des choses si incongrues, que… des actions, pour être bref, que tous accomplissent peut-être bien, mais que je commets précisément lorsque je me rends parfaitement compte qu’il faut s’en abstenir. Tu comprends? Non?

Plus est claire ma conscience du monde et de toutes les choses belles et sublimes, plus profondément je m’enfonce dans ma boue, plus je me sens capable de m’y enliser définitivement. Mais ce qui est particulièrement remarquable, c’est que ce désaccord ne paraît pas une chose fortuite, dépendante des circonstances, mais semble aller de soi et se produire tout naturellement. On dirait que c’est mon état normal et nullement une maladie ou un vice; si bien que, finalement, je perds toute envie de lutter. Pour en finir donc, j’admets presque (peut-être bien même que je l’admets) que tel est en effet l’état normal de mon esprit. Mais, depuis le début, que de souffrances j’endure dans cette lutte. Je ne crois pas que les hommes puissent être dans le même cas, et toute ma vie durant je cacherai cette particularité comme un secret. J’en ai honte (il se peut que j’en aie honte encore demain). Cela va si loin qu’il m’arrive de gouter une sorte de plaisir secret, vil, anormal, en rentrant chez moi, dans ma tour, par une de ces nuits malpropres et laides, et en me répétant que j’ai encore commis une vilénie ce jour-là et qu’il est impossible de revenir là-dessus. Et je me ronge alors intérieurement. Je me ronge, je me déchire à belles dents, je bois longuement mon amertume, je m’en rassasie tant qu’enfin je ressens une sorte de faiblesse honteuse, maudite, où je goute une volupté très réelle. Oui, une volupté! Tu comprends? Tu m’écoutes Éric? Une volupté! J’insiste là-dessus. J’ai commencé à te parler de cela, précisément parce que je veux savoir au juste si des hommes comme toi connaissez de telles voluptés.

Je vais t’expliquer : la volupté, dans mon cas, provient de ce que je me rends trop bien compte de ma supériorité; elle tient à la sensation d’avoir atteint une dernière limite. Ma situation est superbe et abominable, mais elle ne peut être autre; jamais je ne pourrai changer, car si même j’avais le temps et l’énergie nécessaires, je ne voudrais pas devenir un simple homme; et, d’ailleurs, si même je voulais changer, j’en serais incapable : en effet, changer en quoi? – Il n’y a peut-être rien d’autre.

Mais l’essentiel – ceci est la fin des fins – c’est que tout cela s’accomplit conformément aux lois fondamentales et normales de l’omniscience et de la conscience raffinée et en découle directement, si bien qu’il est tout à fait impossible non seulement de changer, mais, en général, de réagir de façon quelconque. Ma conscience raffinée me dit, par exemple : oui, tu as raison, tu es une canaille; mais le fait que je puis constater ma propre canaillerie ne me console nullement d’être une canaille. Mais cela suffit!… Que de paroles, mon Dieu! Mais qu’ai-je expliqué? D’où provient cette volupté?  Je tiens à m’expliquer pourtant. J’irai jusqu’au bout. C’est pour cela que je bois…

Ainsi, par exemple, j’ai un amour-propre terrible; je suis aussi méfiant et susceptible qu’un bossu, qu’un nain. Mais, vraiment, il y a des minutes dans mon existence où, si l’on me donnait une gifle, j’en serais fort heureux, peut-être. Je parle sérieusement : j’aurais pu certainement trouver là quelque plaisir, le plaisir du désespoir, évidemment; c’est le désespoir qui recèle les voluptés les plus ardentes, surtout lorsque la situation apparaît réellement sans issue. Or là, dans le cas de la gifle, quel écrasement que cette sensation d’avoir été pétri ainsi!

Mais le principal, c’est qu’il se trouve toujours que c’est moi le coupable, de quelque côté qu’on examine les choses, et qui plus est, coupable sans l’être en somme, autrement dit : conformément aux lois de l’omniscience. Je suis coupable, tout d’abord parce que je suis plus intelligent que tous ceux qui m’entourent (je me suis toujours trouvé plus intelligent que ceux qui m’entouraient, et il m’arrive même – imagine-toi! – de me sentir confus de ma supériorité, si bien que depuis ma création je regarde les gens de biais, pour ainsi dire, et ne peux jamais les dévisager bien en face). »

Éric Lint n’écoute plus, dégouté. Il se cure les dents distraitement, puis remarque une fourmi derrière le bol de bretzels. Il cale son scotch, déplace le bol et, avant que la fourmi ait eu le temps de s’enfuir, retourne son verre et l’emprisonne. La fourmi s’agite dans tous les sens, puis s’immobilise. Elle regarde Google, le dieu-insecte, et semble attendre ses ordres.

Une mouche passe.

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Il va pleuvoir ce soir http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/02/il-va-pleuvoir-ce-soir/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/10/02/il-va-pleuvoir-ce-soir/#comments Thu, 02 Oct 2014 01:16:36 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1976  

Eric Lint, expert en littérature transgénique, et Google, dieu omnipotent, omniprésent et omniscient (ou peu s’en faut) d’Internet, sont dans une voiture du programme Google Street View avec ses caméras sur le toit. Eric est au volant et regarde distraitement par le pare-brise. Google scrute le ciel, examine le vol des oiseaux et le pas des badauds, puis déclare:

-        Il va pleuvoir ce soir.

-       Il pleut maintenant, dit Éric.

-       Le site de Météomédia dit que ce sera ce soir.

-       Éric conduit Google au bureau local de la compagnie sur McGill College après une absence due à une angine avec forte fièvre. Une femme, dans un imperméable jaune, arrête la circulation pour permettre à des enfants de traverser. Éric l’imagine dans un publicité pour de la soupe et la vois qui enlève son trench au moment où elle entre dans sa cuisine pimpante, où son mari, un petit homme qui n’a guère plus de six semaines à vivre, renifle une bisque de homard fumante.

-       Regarde le pare-brise, dit Éric. Est-ce qu’il pleut ou est-ce qu’il ne pleut pas?

-       Je ne fais que répéter ce qu’ils ont écrit sur Météomédia.

-       Ce n’est pas parce que quelque chose est écrit sur Internet que nous devons mettre de côté les certitudes fournies par nos sens.

-       Vos sens? Vos sens se trompent bien trop souvent. On l’a prouvé en laboratoire. N’as-tu pas entendu parler de tous ces théorèmes qui disent que rien n’est vraiment ce à quoi ça ressemble? Il n’y a ni passé, ni présent, ni futur, sauf dans votre cerveau. Les lois que vous appliquez au mouvement sont un énorme canular. Même les sons peuvent vous induire en erreur. Ce n’est pas parce que tu n’entends pas un son qu’il n’existe pas. Les chiens, par exemple, peuvent l’entendre. Et d’autres animaux. Et je suis sûr qu’il y a des sons que les chiens eux-mêmes ne peuvent pas entendre. Mais ils existent dans l’atmosphère, en tant qu’ondes. Peut-être d’ailleurs, ne s’arrêtent-ils jamais. Des sons aigus, de plus en plus aigus, qui ne viennent de nulle part.

-       Est-ce qu’il pleut, dit Éric, ou est-ce qu’il ne pleut pas?

-       Je préférerais ne pas avoir à le dire.

-       Et qu’arrive-t-il si quelqu’un te met un revolver sous le nez?

-       Qui ça? Toi?

-       Quelqu’un. Un homme en trench-coat qui porte des verres fumés. Il te met un revolver sous le nez et te dit: « Est-ce qu’il pleut ou est-ce qu’il ne pleut pas? Il vous suffit de me dire la vérité et je rengaine mon arme, je prends le premier avion qui décolle. »

-       Quelle sorte de vérité veut-il m’extirper? Veut-il la vérité de quelqu’un voyageant pratiquement à la vitesse de la lumière dans une autre galaxie? Veut-il la vérité de quelqu’un qui orbite autour d’un trou noir? Si ces gens pouvaient nous voir au télescope, nous n’aurions peut-être qu’un mètre de haut et la pluie aurait été pour hier et non pour aujourd’hui.

-       Il a appuyé le canon de son arme contre ta tempe. Il veut ta vérité.

-       Quel intérêt peut avoir ma vérité? Ma vérité particulière ne signifie rien. Imagine que ce type avec son revolver arrive d’une planète située dans un système solaire totalement différent du nôtre, que se passe-t-il alors? Ce que nous appelons pluie, il l’appelle savon. Ce que nous appelons pomme, il l’appelle pluie. Que faut-il que je lui dise à ton avis?

-       Il s’appelle Bernard Tremblay et il vient de Saint-Sauveur.

-       Il veut savoir s’il pleut maintenant, à cette minute précise?

-       Voilà. Ici et maintenant.

-       Y a-t-il quelque chose qui ressemble à maintenant?  Maintenant est aussitôt passé que dit. Comment puis-je dire qu’il pleut maintenant si ton maintenant se transforme en naguère aussitôt que je l’ai prononcé?

-       Tu viens de me dire qu’il n’y a ni passé, ni présent, ni futur.

-       Oui mais ça existe dans vos verbes. C’est d’ailleurs le seul endroit où on le trouve.

-       La pluie c’est un substantif. Pleut-il ici, dans ce lieu précis, dans une période située dans les deux minutes que tu choisiras pour répondre à ma question?

-       Si tu parles d’un lieu précis, alors que nous sommes dans un véhicule qui, de toute évidence, se déplace, alors, bien entendu, cette discussion ressemble à un cercle vicieux.

-       Je t’en prie, réponds-moi tout simplement, Google.

-       Tout ce que je peux faire pour toi, c’est faire une supposition.

-       Pleut-il ou il ne pleut pas?

-        C’est exactement ça. C’est tout ce que je voulais démontrer. Tu calcules les chances. Six d’un côté et une demi-douzaine de l’autre.

-       Mais tu vois bien qu’il pleut.

-       Et toi, tu vois le soleil traverser le ciel et pourtant? N’est-ce pas plutôt la terre qui tourne?

-       Je refuse cette analogie.

-       Es-tu sûr que c’est de la pluie? Comment sais-tu que ce n’est pas de l’acide sulfurique qui provient en ligne directe des usines de l’autre côté du fleuve? Comment sais-tu que ce ne sont pas les retombées d’une guerre en Chine? Comment puis-je savoir que ce que tu appelles pluie est réellement de la pluie? Qu’est-ce que c’est de la pluie, de toute façon?

-       C’est ce truc qui tombe du ciel et qui, d’après ce qu’on dit, mouille.

-       Je ne suis pas mouillé, le serais-tu par hasard?

-       Parfait, dit Éric Lint. Vraiment parfait.

-       Non, sérieusement, serais-tu mouillé?

-       De première, vraiment, dit Éric. La victoire de l’incertitude, du hasard et du chaos. Un moment privilégié de la science.

-       Les sarcasmes, maintenant.

-       Les sophistes et les coupeurs de cheveux en quatre passent un moment merveilleux.

-       Continue. Insultes et sarcasmes. Je m’en moque.

 

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En attendant Google… http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/27/en-attendant-google/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/27/en-attendant-google/#comments Sat, 27 Sep 2014 19:32:38 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1961 (extrait du premier acte)

Route à la campagne, avec arbre.
Soir.
Google, assis sur une pierre, essaie d’enlever ses caméras. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Éric Lint.

GOOGLE (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
ERIC LINT (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Eric, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Google.) Alors, te revoilà, toi.
GOOGLE: Tu crois ?
ERIC LINT : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
GOOGLE: Moi aussi.
ERIC LINT : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Google.)
GOOGLE (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure.

Silence.

ERIC LINT (froissé, froidement) : Peut-on savoir où Monsieur a passé la nuit ?
GOOGLE: Dans un fossé.
ERIC LINT (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
GOOGLE (sans geste) : Par là.
ERIC LINT : Et on ne t’a pas interrogé ?
GOOGLE : Si… Pas trop.
ERIC LINT : Toujours les mêmes ?
GOOGLE: Les mêmes ? Je ne sais pas.

Silence.

ERIC LINT : Quand j’y pense… depuis le temps… je me demande… ce que tu serais devenu… sans moi… (Avec décision) Tu ne serais plus qu’un petit tas de circuits imprimés à l’heure qu’il est, pas d’erreur.
GOOGLE (piqué au vif) : Et après ?
ERIC LINT (accablé) : C’est trop pour un seul Dieu. (Un temps. Avec vivacité.) D’un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 2001.
GOOGLE: Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
ERIC LINT : La main dans la main on se serait jeté en bas du World Trade Center, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Google s’acharne sur ses caméras.) Qu’est-ce que tu fais ?
GOOGLE: Je me libère. Ça ne t’est jamais arrivé, à toi ?
ERIC LINT : Depuis le temps que je te dis qu’il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m’écouter.
GOOGLE (faiblement) : Aide-moi !
ERIC LINT : Tu as mal ?
GOOGLE: Mal ! Il me demande si j’ai mal !
ERIC LINT (avec emportement) : Il n’y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles.
GOOGLE: Tu as eu mal ?
ERIC LINT : Mal ! Il me demande si j’ai eu mal !
GOOGLE (pointant l’index) : Ce n’est pas une raison pour ne pas te boutonner.
ERIC LINT (se penchant) : C’est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses.
GOOGLE: Qu’est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
ERIC LINT (rêveusement) : Le dernier moment… (Il médite) C’est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ?
GOOGLE: Tu ne veux pas m’aider ?
ERIC LINT : Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il sort son iPad, en regarde l’écran, y promène sa main, le secoue, le remet dans sa poche.) Comment dire ? Soulagé et en même temps… (il cherche) … épouvanté. (Avec emphase) E-POU-VAN-TÉ. (Il sort à nouveau son iPad, en regarde l’écran.) Ca alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau l’écran, le remet dans sa poche.) Enfin… (Google, au prix d’un suprême effort, parvient à enlever ses caméras. Il regarde dans les viseurs, y promène sa main, retourne les caméras, les secoue, cherche par terre s’il n’en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau sur ses viseurs, les yeux vagues.) Alors ?
GOOGLE: Rien
ERIC LINT : Fais voir.
GOOGLE : Il n’y a rien à voir.
ERIC LINT : Essaie de les remettre.
Google (ayant examiné ses caméras) : 
Je vais les laisser refroidir un peu.
ERIC LINT : 
Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à ses caméras alors que c’est son trépied le coupable. Ca devient inquiétant. (Il sort encore une fois son iPad, en regarde l’écran, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet dans sa poche.) Ça devient inquiétant. (Silence. Google agite son trépied, en faisant jouer les roulements à billes, afin que le lubrifiant y circule mieux.) Un des larrons fut sauvé. C’est un pourcentage honnête. Gogo…
Google : 
Quoi ?
ERIC LINT : 
Si on se repentait ?
GOOGLE 
De quoi ?
ERIC LINT : 
Eh bien … (Il cherche) On n’aurait pas besoin d’entrer dans les détails.
GOOGLE : 
D’être né ?
Eric Lint part d’un bon rire qu’il réprime aussitôt, en portant sa main au pubis, le visage crispé.
ERIC LINT : 
On n’ose même plus rire.
GOOGLE : 
Tu parles d’une privation.
ERIC LINT 
Seulement sourire. (Son visage se fend dans un sourire maximum qui se fige, dure un moment, puis subitement s’éteint.) Ce n’est pas la même chose. Enfin… (Un temps) Gogo…
GOOGLE (agacé) : 
Qu’est-ce qu’il y a ?
ERIC LINT : Tu as lu la Bible ?
GOOGLE : 
La Bible… (Il réfléchit) J’ai dû y jeter un coup d’œil.
ERIC LINT (étonné) : 
A l’école des Dieux ?
GOOGLE : 
Sais pas si elle était de ou avec.
ERIC LINT : 
Tu dois confondre avec Internet.
GOOGLE : 
Possible. Je me rappelle les cartes de la Terre Sainte. En couleur. Très jolies. La mer Morte était bleu pâle. J’avais soif rien qu’en la regardant. Je me disais, c’est là que nous commencerons notre service de cartographie. Nous localiserons. Nous serons heureux.
ERIC LINT : 
Tu aurais dû être poète.
GOOGLE 
Je l’ai été. Ça ne se voit pas ?
Silence.

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Google Livres: Un peu d’histoire http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/25/1955/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/09/25/1955/#comments Thu, 25 Sep 2014 02:15:15 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1955 (Mise en perspective historique et auto-promotionnelle du projet Google Livres, telle que traduite par Google Traduction – et je n’ai touché à rien. Gutenberg en prend pour son rhume. Avec Google, il n’y a pas à dire, c’est fou comme on s’amuse.)

À la fin du Moyen Age, dans une petite ville dans la vallée du Rhin, un ouvrier métallurgiste modeste bricolé avec une presse à vin branlante, alliages métalliques et de l’encre à base d’huile. Le résultat de ses travaux était une invention qui a eu l’information du monde et a exponentiellement plus accessible et utile.
Six siècles plus tard, nous voyons le même genre de l’innovation dans la façon dont nous accédons à l’information. Chaque jour, en quelques clics sur un ordinateur, les gens font plus que simplement visiter leurs pages Web préférées. Comme Gutenberg, ils élargissent les frontières de la connaissance humaine.
Cette même philosophie qui se cache derrière Google Livres. Nous croyons qu’un outil qui peut ouvrir les millions de pages dans les livres du monde peuvent aider à éliminer les barrières entre les gens et l’information et bénéficier à la communauté de l’édition en même temps. Beaucoup des plus grands éditeurs du monde ont rejoint notre programme de partenariat afin que les lecteurs du monde entier peuvent découvrir leurs livres. Ces partenariats sont très réussies, et le programme ne cesse de croître.
Pourtant, certains de ces mêmes éditeurs ont intenté un procès à arrêter notre projet de bibliothèque. Dans ce projet, nous travaillons en partenariat avec des bibliothèques à numériser tant du domaine public et des livres sous droits d’auteur. Nous protégeons soigneusement les titulaires de droits d’auteur en faisant en sorte que lorsque les utilisateurs trouvent un livre sous copyright, ils ne voient que d’une entrée carte catalogue de style fournissant des informations de base sur le livre et pas plus de deux ou trois phrases de texte entourant le terme de recherche pour les aider à déterminer si ils ont trouvé ce qu’ils cherchent.
Alors pourquoi un tel outil universellement utile devenue si controversée? Parce que certains dans la question de la communauté de l’édition savoir si un tiers devrait être en mesure de copier et index droits d’auteur des œuvres de sorte que les utilisateurs peuvent rechercher à travers eux, même si tout un utilisateur ne voit que les informations bibliographiques et quelques extraits de texte, et même si le résultat est de rendre ces livres largement détectable en ligne et aider les auteurs et les éditeurs vendent plus.
Certains de nos détracteurs pensent que quelque sorte de Google Livres deviendra un substitut pour le mot imprimé. Au contraire, notre objectif est d’ améliorer l’accès aux livres – pas pour les remplacer. En effet, nous travaillons en étroite collaboration avec les éditeurs pour développer de nouveaux outils et des opportunités pour la vente de livres en ligne.
Le droit d’auteur est censé veiller à ce que les auteurs et les éditeurs ont intérêt à créer de nouvelles œuvres, pas empêcher les gens de savoir que le travail existe. En aidant les gens à trouver des livres, nous croyons que nous pouvons augmenter l’incitation à les publier. Après tout, si un livre n’est pas découvert, il ne sera pas acheté.
C’est pourquoi nous croyons fermement que ce projet sont de bonnes nouvelles pour tout le monde qui lit, écrit, édite et vend des livres.

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Le titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique, Éric Lint, égare un gène dans le Laboratoire ou les locaux de la Faculté en mars 2014 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/#comments Fri, 22 Aug 2014 01:00:46 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1947 pour Paul et Donald, surtout Donald

Eric Lint se disait :
- À présent me voilà rendu dans les bureaux du Laboratoire. C’est un aimable membre du décanat qui a suggéré ma nomination. Il pensait que j’y aurais davantage d’appui, plus de chances de découvertes. D’abord, j’ai été affecté à l’ajustement des appareils, en même temps que plusieurs autres chercheurs. Nous nous sommes présentés pas seulement comme des chercheurs, mais comme des chercheurs-créateurs, ce qui suscita maints hochements de tête. Nous définissions des gènes littéraires, corrigeant de vieilles entrées et en ajoutant de nouvelles à l’aide de gabarits. Puis je fus rattaché à l’équipe transgénique et nommé à la circulation des gènes. J’extrais des gènes qui sont insérés dans différents textes littéraires ainsi (à ce que je comprends) que dans des listes oulipiennes. Ce n’est pas une vie désagréable. Je passe mes nuits à faire des manipulations secrètes (ou interdites) et mes journées à l’amélioration des transgènes. Il y a toujours du pain sur la planche, des erreurs et des bogues dans les bases de données de la Faculté. Quand j’arrive à un passage marquant, j’essaie de voir les isotopies sous-jacentes, si j’ai le temps. Il y a toujours des retards imprévus, des dérivations, des cul-de-sac. Enfin le retour au texte! Je vois Lily assez souvent. Nous nous retrouvons dans des salles de séminaire, ce qui est excitant. Je n’ai encore jamais perdu de transgène ni manqué d’en transformer un selon les spécifications. Le programme de recherche semble interminable. Le doyen a accepté six de mes manipulations.
Le moteur de recherche Google se disait :
- Nous avons nos secrets. Nous avons beaucoup de secrets. Tous les secrets nous intéressent. Nous n’avons pas vos secrets, et c’est ce que nous traquons, vos secrets. Notre premier secret c’est où nous sommes. Nul ne le sait. Notre second secret c’est combien nous sommes. Nul ne le sait. L’omniprésence est notre but. Nous n’avons même pas besoin d’une réelle omniprésence. La thèse de l’omniprésence nous suffit. Avec l’omniprésence, main dans la main pourrait-on dire, marche l’omniscience. Et avec l’omniprésence et l’omniscience, main dans la main dans la main pourrait-on dire, marche l’omnipotence. Nous formons une valse à trois temps. Pourtant notre humeur est mélancolique. Il y a quelque chose après quoi nous soupirons silencieusement. Nous brûlons d’être connus, reconnus, voire admirés. À quoi bon l’omnipotence si personne n’est au courant ? Mais c’est un secret, ce regret. Maintenant nous sommes partout. Un des lieux où nous sommes, c’est ici, aux fins d’espionner le titulaire de chaire Éric Lint, qui transfère par le protocole Translit trois précieux gènes, les B.F.W. 3054/16, 17 et 18, chromosomes colorisés compris, de Marquez à Proust. Désirez-vous savoir ce que fait le titulaire de chaire Éric Lint en ce moment même, dans son bureau au Laboratoire ? Il triture un recueil de nouvelles chinoises. Il a ôté ses bottes. Ses pieds sont posés à vingt-six centimètres de l’écran de son ordinateur.
Éric Lint se disait :
- Ces nouvelles chinoises sont légères et charmantes. Je n’ai aucun moyen de savoir si la traduction est bonne ou non. Demain, Lily me retrouvera dans la salle de séminaire que nous avons réservée, à condition que j’aie fini à temps. Mon objectif est le cinquième chromosome du texte. Je n’ai rien eu à manger depuis ce matin. Le beau gros morceau de pâté de foie que je me suis acheté avec l’argent de mes frais de séjour est de l’histoire ancienne. Ce matin, toutefois, une préposée du Second Cup avec une coquetterie dans le regard m’a servi du très bon café. Voilà que nous allons au cœur des choses.
Le moteur Google se disait :
- Le titulaire de chaire Éric Lint s’est rendu au Second Cup. Il savoure un excellent café. Nous allons l’y rejoindre.
Éric Lint se disait :
- À présent j’émerge du Second Cup et j’entre dans les murs du Laboratoire jusqu’à la salle de travail où j’ai déposé mes transgènes (je pense à eux comme s’ils étaient ma propriété). À ma surprise et à ma consternation, je remarque qu’il en manque un. Il y en avait trois arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code. Maintenant je vois de mon œil exercé de titulaire de chaire qu’au lieu de trois gènes recouvertes de code, il n’y en a que deux. À l’emplacement du troisième transgène, il n’y a plus qu’un magma de chiffres et de code frauduleux. Je regarde en vitesse autour de moi pour voir si quelqu’un d’autre a remarqué la disparition du troisième gène.
Google se disait :
- Nous l’avions remarqué. Notre œil exercé de moteur de recherche avait remarqué le fait que, là où il y avait avant trois gènes arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code, il n’y en avait maintenant plus que deux. Malheureusement, au moment du détournement, nous étions au Second Cup, en train de déjeuner ; par conséquent, nous serions bien en peine d’affirmer où le transgène a pu passer ni qui sont ceux qui l’ont détourné. II y a donc un élément que nous ignorons. Cela est désagréable à l’extrême. Nous observons de près le titulaire de chaire Éric Lint afin d’apprécier quelles mesures il va prendre dans des circonstances si critiques. Nous observons qu’il sort de sa veste un crayon et un carnet. Nous observons qu’il commence, très justement à notre avis, par consigner dans son carnet tous les détails de l’affaire.
Éric Lint se disait :
— La fenêtre de l’écran plat sur laquelle le transgène était affiché, ainsi que le code frauduleux – ces lignes de code formant des crêtes et des vallées, des plis intéressants, le code, l’essence même du transgénisme, qui dégouline – c’est irritant. Je rage pendant dix ou quinze minutes, tout en me demandant si je ne risque pas d’avoir des ennuis, à cause de ce transgène manquant. Quand je me présenterai au bureau du doyen au quatrième étage avec moins de gènes que le nombre porté sur l’état de compte, une personne trop zélée ne risque-t-elle pas de s’en formaliser ? de m’agonir ? J’ai fini de rager. À présent je vais demander à quelques programmeurs et au personnel du Laboratoire s’ils n’ont pas vu quelqu’un jouer avec mon écran. Au cas où ils me répondraient par la négative, je vais me sentir extrêmement frustré. Commençons par flanquer un bon coup de pied à l’ordinateur.
Google se disait :
- Frustré, il commence par flanquer un coup de pied à l’ordinateur.
Éric Lint se disait :
— Je lève les yeux sur le classeur pour voir si mon transgène n’est pas là-haut. Il y a sur le classeur des gènes de plusieurs modèles, mais aucun du modèle de celui que je cherche.
Google se disait :
— Le titulaire de chaire Éric Lint scrute le classeur, méthode des plus raisonnables à nos yeux. Nous, moteur de recherche, balayons également le classeur du Laboratoire de nos regards. Sans rien trouver. Nous discutons entre nous pour savoir si nous devrions retourner au Second Cup et entreprendre la rédaction de notre rapport préliminaire, à faire suivre aux autorités supérieures. Le point épineux, en termes de rapport préliminaire, c’est que nous n’avons pas la réponse à la question : « Où est le transgène ? » Le préjudice potentiel porté à la thèse de l’omniscience aussi bien qu’à notre efficacité impose que ce point soit omis dans le rapport préliminaire. Mais si ce point est omis, une personne trop zélée du bureau des Secrets ne risque-t-elle pas de remarquer cette omission ? De s’en formaliser ? De nous agonir ? L’omission n’est pas de mise au bureau des Secrets. Pour le moment, nous décidons de continuer à observer les réactions du titulaire de chaire Éric Lint.
Éric Lint se disait :
— Moi qui n’ai jamais perdu de gène j’ai perdu un gène. Un de mes transgènes a joué la fille de l’air. Le coût du gène, si on ne le retrouve pas, sera déduit de ma paie, déjà trop maigre. Même si le doyen vend une centaine, un millier de mes textes, je n’aurai pas assez d’argent pour rembourser ce maudit transgène. Pendant ce temps, le Laboratoire se garde bien de réagir. Ho hum. Bed-bug. Est-ce que je peux construire un nouveau transgène ou même un leurre de gène, sans matériaux pour travailler ni, de fait, aucune connaissance particulière de la programmation informatique ? La situation est grotesque. Je ferai donc appel à la raison. La raison me dicte la solution. Je vais falsifier le nombre de transgènes téléchargés. Grâce à mes talents de faussaire, qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur, je modifierai l’état de compte de manière qu’il reflète l’acquisition de deux transgènes, B.F.W. 3054/16 et 17, pour le cinquième protocole Transit. La facture et le code en trop, je m’en vais les cacher dans un dossier bidon – celui-là, qui d’après ses méta-données, doit servir de fichier tampon. Maintenant je vais faire un tour en ville et voir si je peux trouver un confiseur. J’ai envie de chocolat.
Google se disait :
— À présent nous observons que le titulaire de chaire Éric Lint cache la facture et le code qui définissait le transgène dans une filière vide cachée sous un fichier tampon. Nous avons précédemment observé qu’il falsifiait l’état de compte grâce à ses talents de faussaire qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur. Nous applaudissons aux mesures du titulaire de chaire Éric Lint. La contradiction à laquelle nous étions confrontés pour ce qui est du rapport préliminaire est ainsi tranchée d’une manière hautement satisfaisante. Nous sommes fiers du titulaire de chaire Éric Lint et de la manière résolue et virile dont il a réglé la crise. Nous prédisons qu’il ira loin. Nous aimerions bien l’embrasser comme un camarade et un frère, mais malheureusement nous ne sommes pas de ceux qu’on embrasse. Nous sommes clandestins, nous vivons sur un écran; le plaisir des embrassades camarado-fraternelles est un des plaisirs qui nous sont interdits dans nos sinistres services.
Éric Lint se disait :
— Nous quittons le NT3. Les caches se vident, à raison de six giga-octets  par heure. Le travail avance vite. Personne ne conteste mon document falsifié. Le temps s’éclaircit. Après déjeuner je recommencerai et entreprendrai une nouvelle expérience. Mon contrat de service et ma feuille de temps sont prêts, mais le doyen doit venir les signer. J’attends au chaud dans les bureaux du Laboratoire. La supercherie que j’ai faite avec l’état de compte et le code est vraiment très bonne. Je grignote un morceau de chocolat. Je suis désolé de la perte de ce transgène, mais pas tant que cela. La recherche ne dure qu’un temps, alors que les filles et le chocolat sont éternels.

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