Ce n'est écrit nulle part » Klee http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Le titulaire de la chaire de recherche en littérature transgénique, Éric Lint, égare un gène dans le Laboratoire ou les locaux de la Faculté en mars 2014 http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2014/08/22/le-titulaire-de-la-chaire-de-recherche-en-litterature-transgenique-eric-lint-egare-un-gene-dans-le-laboratoire-ou-les-locaux-de-la-faculte-en-mars-2014/#comments Fri, 22 Aug 2014 01:00:46 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1947 pour Paul et Donald, surtout Donald

Eric Lint se disait :
- À présent me voilà rendu dans les bureaux du Laboratoire. C’est un aimable membre du décanat qui a suggéré ma nomination. Il pensait que j’y aurais davantage d’appui, plus de chances de découvertes. D’abord, j’ai été affecté à l’ajustement des appareils, en même temps que plusieurs autres chercheurs. Nous nous sommes présentés pas seulement comme des chercheurs, mais comme des chercheurs-créateurs, ce qui suscita maints hochements de tête. Nous définissions des gènes littéraires, corrigeant de vieilles entrées et en ajoutant de nouvelles à l’aide de gabarits. Puis je fus rattaché à l’équipe transgénique et nommé à la circulation des gènes. J’extrais des gènes qui sont insérés dans différents textes littéraires ainsi (à ce que je comprends) que dans des listes oulipiennes. Ce n’est pas une vie désagréable. Je passe mes nuits à faire des manipulations secrètes (ou interdites) et mes journées à l’amélioration des transgènes. Il y a toujours du pain sur la planche, des erreurs et des bogues dans les bases de données de la Faculté. Quand j’arrive à un passage marquant, j’essaie de voir les isotopies sous-jacentes, si j’ai le temps. Il y a toujours des retards imprévus, des dérivations, des cul-de-sac. Enfin le retour au texte! Je vois Lily assez souvent. Nous nous retrouvons dans des salles de séminaire, ce qui est excitant. Je n’ai encore jamais perdu de transgène ni manqué d’en transformer un selon les spécifications. Le programme de recherche semble interminable. Le doyen a accepté six de mes manipulations.
Le moteur de recherche Google se disait :
- Nous avons nos secrets. Nous avons beaucoup de secrets. Tous les secrets nous intéressent. Nous n’avons pas vos secrets, et c’est ce que nous traquons, vos secrets. Notre premier secret c’est où nous sommes. Nul ne le sait. Notre second secret c’est combien nous sommes. Nul ne le sait. L’omniprésence est notre but. Nous n’avons même pas besoin d’une réelle omniprésence. La thèse de l’omniprésence nous suffit. Avec l’omniprésence, main dans la main pourrait-on dire, marche l’omniscience. Et avec l’omniprésence et l’omniscience, main dans la main dans la main pourrait-on dire, marche l’omnipotence. Nous formons une valse à trois temps. Pourtant notre humeur est mélancolique. Il y a quelque chose après quoi nous soupirons silencieusement. Nous brûlons d’être connus, reconnus, voire admirés. À quoi bon l’omnipotence si personne n’est au courant ? Mais c’est un secret, ce regret. Maintenant nous sommes partout. Un des lieux où nous sommes, c’est ici, aux fins d’espionner le titulaire de chaire Éric Lint, qui transfère par le protocole Translit trois précieux gènes, les B.F.W. 3054/16, 17 et 18, chromosomes colorisés compris, de Marquez à Proust. Désirez-vous savoir ce que fait le titulaire de chaire Éric Lint en ce moment même, dans son bureau au Laboratoire ? Il triture un recueil de nouvelles chinoises. Il a ôté ses bottes. Ses pieds sont posés à vingt-six centimètres de l’écran de son ordinateur.
Éric Lint se disait :
- Ces nouvelles chinoises sont légères et charmantes. Je n’ai aucun moyen de savoir si la traduction est bonne ou non. Demain, Lily me retrouvera dans la salle de séminaire que nous avons réservée, à condition que j’aie fini à temps. Mon objectif est le cinquième chromosome du texte. Je n’ai rien eu à manger depuis ce matin. Le beau gros morceau de pâté de foie que je me suis acheté avec l’argent de mes frais de séjour est de l’histoire ancienne. Ce matin, toutefois, une préposée du Second Cup avec une coquetterie dans le regard m’a servi du très bon café. Voilà que nous allons au cœur des choses.
Le moteur Google se disait :
- Le titulaire de chaire Éric Lint s’est rendu au Second Cup. Il savoure un excellent café. Nous allons l’y rejoindre.
Éric Lint se disait :
- À présent j’émerge du Second Cup et j’entre dans les murs du Laboratoire jusqu’à la salle de travail où j’ai déposé mes transgènes (je pense à eux comme s’ils étaient ma propriété). À ma surprise et à ma consternation, je remarque qu’il en manque un. Il y en avait trois arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code. Maintenant je vois de mon œil exercé de titulaire de chaire qu’au lieu de trois gènes recouvertes de code, il n’y en a que deux. À l’emplacement du troisième transgène, il n’y a plus qu’un magma de chiffres et de code frauduleux. Je regarde en vitesse autour de moi pour voir si quelqu’un d’autre a remarqué la disparition du troisième gène.
Google se disait :
- Nous l’avions remarqué. Notre œil exercé de moteur de recherche avait remarqué le fait que, là où il y avait avant trois gènes arrimés à la plateforme informatique et recouverts de code, il n’y en avait maintenant plus que deux. Malheureusement, au moment du détournement, nous étions au Second Cup, en train de déjeuner ; par conséquent, nous serions bien en peine d’affirmer où le transgène a pu passer ni qui sont ceux qui l’ont détourné. II y a donc un élément que nous ignorons. Cela est désagréable à l’extrême. Nous observons de près le titulaire de chaire Éric Lint afin d’apprécier quelles mesures il va prendre dans des circonstances si critiques. Nous observons qu’il sort de sa veste un crayon et un carnet. Nous observons qu’il commence, très justement à notre avis, par consigner dans son carnet tous les détails de l’affaire.
Éric Lint se disait :
— La fenêtre de l’écran plat sur laquelle le transgène était affiché, ainsi que le code frauduleux – ces lignes de code formant des crêtes et des vallées, des plis intéressants, le code, l’essence même du transgénisme, qui dégouline – c’est irritant. Je rage pendant dix ou quinze minutes, tout en me demandant si je ne risque pas d’avoir des ennuis, à cause de ce transgène manquant. Quand je me présenterai au bureau du doyen au quatrième étage avec moins de gènes que le nombre porté sur l’état de compte, une personne trop zélée ne risque-t-elle pas de s’en formaliser ? de m’agonir ? J’ai fini de rager. À présent je vais demander à quelques programmeurs et au personnel du Laboratoire s’ils n’ont pas vu quelqu’un jouer avec mon écran. Au cas où ils me répondraient par la négative, je vais me sentir extrêmement frustré. Commençons par flanquer un bon coup de pied à l’ordinateur.
Google se disait :
- Frustré, il commence par flanquer un coup de pied à l’ordinateur.
Éric Lint se disait :
— Je lève les yeux sur le classeur pour voir si mon transgène n’est pas là-haut. Il y a sur le classeur des gènes de plusieurs modèles, mais aucun du modèle de celui que je cherche.
Google se disait :
— Le titulaire de chaire Éric Lint scrute le classeur, méthode des plus raisonnables à nos yeux. Nous, moteur de recherche, balayons également le classeur du Laboratoire de nos regards. Sans rien trouver. Nous discutons entre nous pour savoir si nous devrions retourner au Second Cup et entreprendre la rédaction de notre rapport préliminaire, à faire suivre aux autorités supérieures. Le point épineux, en termes de rapport préliminaire, c’est que nous n’avons pas la réponse à la question : « Où est le transgène ? » Le préjudice potentiel porté à la thèse de l’omniscience aussi bien qu’à notre efficacité impose que ce point soit omis dans le rapport préliminaire. Mais si ce point est omis, une personne trop zélée du bureau des Secrets ne risque-t-elle pas de remarquer cette omission ? De s’en formaliser ? De nous agonir ? L’omission n’est pas de mise au bureau des Secrets. Pour le moment, nous décidons de continuer à observer les réactions du titulaire de chaire Éric Lint.
Éric Lint se disait :
— Moi qui n’ai jamais perdu de gène j’ai perdu un gène. Un de mes transgènes a joué la fille de l’air. Le coût du gène, si on ne le retrouve pas, sera déduit de ma paie, déjà trop maigre. Même si le doyen vend une centaine, un millier de mes textes, je n’aurai pas assez d’argent pour rembourser ce maudit transgène. Pendant ce temps, le Laboratoire se garde bien de réagir. Ho hum. Bed-bug. Est-ce que je peux construire un nouveau transgène ou même un leurre de gène, sans matériaux pour travailler ni, de fait, aucune connaissance particulière de la programmation informatique ? La situation est grotesque. Je ferai donc appel à la raison. La raison me dicte la solution. Je vais falsifier le nombre de transgènes téléchargés. Grâce à mes talents de faussaire, qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur, je modifierai l’état de compte de manière qu’il reflète l’acquisition de deux transgènes, B.F.W. 3054/16 et 17, pour le cinquième protocole Transit. La facture et le code en trop, je m’en vais les cacher dans un dossier bidon – celui-là, qui d’après ses méta-données, doit servir de fichier tampon. Maintenant je vais faire un tour en ville et voir si je peux trouver un confiseur. J’ai envie de chocolat.
Google se disait :
— À présent nous observons que le titulaire de chaire Éric Lint cache la facture et le code qui définissait le transgène dans une filière vide cachée sous un fichier tampon. Nous avons précédemment observé qu’il falsifiait l’état de compte grâce à ses talents de faussaire qui ne sont pas si différents, tant s’en faut, de ceux d’un imposteur. Nous applaudissons aux mesures du titulaire de chaire Éric Lint. La contradiction à laquelle nous étions confrontés pour ce qui est du rapport préliminaire est ainsi tranchée d’une manière hautement satisfaisante. Nous sommes fiers du titulaire de chaire Éric Lint et de la manière résolue et virile dont il a réglé la crise. Nous prédisons qu’il ira loin. Nous aimerions bien l’embrasser comme un camarade et un frère, mais malheureusement nous ne sommes pas de ceux qu’on embrasse. Nous sommes clandestins, nous vivons sur un écran; le plaisir des embrassades camarado-fraternelles est un des plaisirs qui nous sont interdits dans nos sinistres services.
Éric Lint se disait :
— Nous quittons le NT3. Les caches se vident, à raison de six giga-octets  par heure. Le travail avance vite. Personne ne conteste mon document falsifié. Le temps s’éclaircit. Après déjeuner je recommencerai et entreprendrai une nouvelle expérience. Mon contrat de service et ma feuille de temps sont prêts, mais le doyen doit venir les signer. J’attends au chaud dans les bureaux du Laboratoire. La supercherie que j’ai faite avec l’état de compte et le code est vraiment très bonne. Je grignote un morceau de chocolat. Je suis désolé de la perte de ce transgène, mais pas tant que cela. La recherche ne dure qu’un temps, alors que les filles et le chocolat sont éternels.

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