Ce n'est écrit nulle part » métro http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Naked City Redux. Deuxième mouvement, dit longiligne (4/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/16/naked-city-redux-deuxieme-mouvement-dit-longiligne-420/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/16/naked-city-redux-deuxieme-mouvement-dit-longiligne-420/#comments Sat, 16 May 2015 11:41:03 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2137 Dernier épisode: NRC. En attendant la suite de l’épisode – I  (3/20)

 

Il faut toujours débuter avec un fait avéré. Le mien ne vaut pas grand chose, mais il a été monté avec les meilleures intentions du monde, si on oublie évidemment cet acte répréhensible commis sous l’égide de la pureté décrit au Premier mouvement.

Je croise un REPRÉSENTANT. Je frisonne. Je compte jusqu’à dix-sept. Lentement. Un, deux, trois, quatre, cinq, six… seize.

La station de métro est un long tunnel où les voyageurs foncent, bride abattue, pour être les premiers arrivés sur le quai, les premiers arrivés dans le wagon, les premiers assis sur les rares bancs disponibles, les premiers rendus à l’abattoir, les premiers débités, éviscérés, écartelés, découpés, empaquetés. Fin du fait avéré.

Dix-sept.

En fait, la station est un tunnel où je m ‘égare, et je marche sans trop y penser, claustrophobe que je suis, attentif aux claquements de talon des dames et à l’interminable monologue de Mlle G. C., l’adjointe à la direction au manteau de faux vison, qui résume à un commis de bureau les douze dernières pages de son roman savon. Elle y met du sentiment, appuie ses descriptions avec moult gestes superflus, certaine que son interlocuteur est pendu à ses lèvres tandis qu’il dérive en pensées dans un monde de phalènes et de phasmes. Barbed wires. Sharp spikes. Obstructions. J’essaie de me représenter son héroïne en pleurs, mais ne parviens qu’à tracer des figures aux contours enfantins, corps réduits à des traits sans profondeur. Mais l’important, c’est de la laisser parler, de suivre son récit tout au long de notre déambulation dans le couloir de la station de métro. De son personnage principal je n’ai qu’une image déformée, affaiblie par la distance, les restes de la nuit passée, turbulences, jappements de chien, déchirements de tôle, explosions de vitre, sirènes de police, Naked City, Duncan Kleist. Je ne sais plus, tout est déjà loin. Mais derrière nous, c’est la commotion. Un corps a lourdement chuté sur les carreaux de céramique, la tête a cogné, du sang a commencé à se répandre, je soupçonne qu’une vague odeur de chewing gum à la fraise plane au dessus de la chemise blanche à manches courtes de la jeune fille inconsciente. Elle avait juste à ne pas se ronger les ongles. Les gens se retournent et s’apitoient; puis, comme un banc de poisson se déplaçant d’un seul bloc, ils virent à gauche, baissent les yeux, s’immobilisent. Avez-vous déjà nagé dans un banc de poissons, mesdames et messieurs du jury? Tous ces yeux qui vous regardent, toutes ces nageoires qui frétillent, un grand cercle se crée autour de vous, vautour de vous, on n’arrive pas savoir si c’est eux ou nous qui sommes apeurés. Escher strikes back.

Dix-huit.

Y a-t-il un médecin? Entendons-nous clairement résonner dans le tunnel. Y A-T-IL UN MÉDECIN? Comme si un tel membre de l’académie des sciences de l’homme pouvait se trouver dans le tunnel d’une station de métro à cette heure indue du matin par temps froid. Les médecins ne fréquentent pas le métro. C’est un fait avéré. Ils prennent leur Audi ou leur BMW ou leur Mercedes-Benz ou leur machin-truc-chose qu’ils garent dans le LUXUEUX stationnement  de la clinique privée où ils font des heures sup, marchant à pas feutrés sur le tapis shag du couloir, leur mallette au bout du bras et leur montre Rolex impeccablement mise à leur poignet droit. Ou le gauche. Je ne sais plus.

I’m looking for Dekan? Have you seen Dekan? He’s lost.

Au loin, stupeur et indignation se répondent dans un strident antiphonaire. Mais qui a fait ça? Qui ? Je ne veux pas le savoir.  J’ai ma petite idée, mais elle ne regarde que moi. Je zigzague à travers la foule, homme machine pressé de retrouver son chemin, les trente sept pas qui le séparent de la guérite, puis les tourniquets, les marches, le quai, les portes qui s’ouvrent, les portes qui se ferment, le wagon qui se met en branle, les soubresauts provoqués par les rails depuis longtemps désajustés, les parfums mélangés.

Je ne crains qu’une seule chose: une interruption de service.

 

Prochain épisode: NCR. En attendant la suite de l’épisode – II (5/20)

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Sur la ligne orange http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2012/02/15/sur-la-ligne-orange/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2012/02/15/sur-la-ligne-orange/#comments Wed, 15 Feb 2012 18:20:44 +0000 Bertrand Gervais http://wordpress.nt2.ca/cenestecritnullepart/?p=1768

Un incident cause un ralentissement de service sur la ligne orange.
Une porte bloquée cause un ralentissement de service sur la ligne orange.
Un problème électrique cause un ralentissement de service sur la ligne orange.
Un dégagement de fumé cause un ralentissement de service sur la ligne orange.
Une intervention policière cause – quoi? Encore! – un ralentissement de service sur la ligne orange.
Une fuite de gaz cause – c’est pas sérieux, pas un autre… ralentissement de service sur la ligne orange.
Une panne de courant cause  – si ca continue,  je demande un remboursement, je trouve un responsable et je l’attache sur les rails – un ralentissement de service sur la ligne orange.
Une perte de conscience cause – non là je m’excuse j’en peux plus, j’ai autre chose à faire de ma vie que d’attendre la fin d’un énième ralentissement de service sur la ligne orange.
Un téléphone cellulaire échappé par un adolescent étourdi cause une sempiternelle interruption de service sur la ligne orange. Et je me retiens pour ne pas frapper sur un préposé du métro avec mon sac à dos.
Un sac à dos jeté intentionnellement sur les rails par un écrivain exaspéré par la lenteur du réseau cause une perturbation importante du service sur la ligne orange. Et tant pis pour l’efficacité.
Une tentative de suicide cause une accélération du pouls et une augmentation du stress des voyageurs sur la ligne orange. C’est l’heure de pointe, il fait chaud, les passagers écrasés contre les portes suent à grosses gouttes et serrent les dents, vaguement soulagés que ce ne soit pas l’un d’eux qui gît inerte sur les rails électrifiés.
Un écrivain hors de lui cause une interruption de destin sur la ligne orange. Il s’est assis contre le mur à l’extrême limite du quai, sa veste sur ses jambes, et il a fermé les yeux afin de faire baisser la pression. Pourquoi est-il sorti précipitamment de son train? Qu’est-ce qui l’a poussé à foncer sur les gens qui lui bloquaient le passage et à s’extraire du wagon comme un forcené?
Une métaphore indûment filée cause un déraillement de pensées sur la ligne orange. C’est un esprit divergent qui manipule le clavier virtuel de sa tablette numérique, un esprit attiré par les jeux de mots, les calembours, les rimes. Un esprit qui se dissimule derrière les mots qui lui servent d’écran. Que cache-t-il?
Une volonté acharnée de retrouver des souvenirs d’enfance cause une certaine incohérence sur la ligne orange. Les rails ont cette grande qualité de ne jamais bouger, une fois déposés. Ils créent un réseau aux bornes fixes. Mais les rails n’y peuvent rien lorsque confrontés aux aléas d’une mémoire qui ne respecte aucune règle, qui va et vient entre ses souvenirs et ses secrets.
Qu’est-ce qui se passe sur la ligne orange? Rien, absolument rien. Il ne se passe rien sur la lignée orange, car le lieu n’existe pas, ou à peine, c’est un long tunnel interrompu par des quais, où des voyageurs attendent qu’on les transporte ailleurs.
Il se passe que je m’égare sur la ligne orange, je me déleste du présent pour faire du passé mon lieu privilégié d’existence. Les quais, les wagons, les bancs me conduisent à  m’extraire de ma vie pour regagner ce monde imaginaire qui s’ouvre dès que mes doigts se déposent sur un écran réactif.
Le service reprend graduellement sur la ligne orange et la Société de Transport de Montréal me remercie de ma patience.
Vous savez ce que je lui dis à la STM? F…

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