Ce n'est écrit nulle part » Naked City http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Naked City redux. Épitaphe (20/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-epitaphe-2020/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-epitaphe-2020/#comments Mon, 08 Jun 2015 03:15:58 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2320 Dernier épisode: Naked City Redux. Éclipse encore (19/20)

 

Sur ces mots se termine Naked City Redux, texte de 1979.

La dernière feuille de la liasse était déchirée aux trois quarts. Je n’ai aucun moyen de savoir si le récit se poursuivait au-delà de ces derniers mots ou si d’autres pages complétaient l’ensemble. J’ai examiné avec soin l’agrafe, elle ne m’a rien révélé de précis. Le métal était en partie rouillé et le papier légèrement taché; c’est tout.

Je m’étais habitué, avec les années, à cette fin ouverte, à ce personnage sans nom trimballé en camionnette, aveugle au destin qui se prépare. Des REPRÉSENTANTS s’occupent de lui. Je l’imagine encore sur la rue Dorchester, avant qu’elle devienne René-Lévesque, à l’angle de la rue Saint-Denis, au coin de l’hôpital Saint-Luc. Il fait froid. Le temps est maussade. La vie hésite.

Ma transcription, lente et laborieuse, est maintenant complète.  Duncan est mort et mon narrateur se laisse mourir, incapable de suivre les mouvements de sa propre pensée. Que voulais-je faire en reprenant ce récit vieux de plus de trente-cinq ans? Je ne sais plus. Revisiter le passé, c’est certain. Retrouver un peu de ce désespoir qui m’habitait et que je regarde maintenant comme une contrée depuis longtemps quittée. Assurément. Mais quoi d’autre?

Un demi-siècle sépare l’univers de Duncan Kleist du mien. Naked City, la série télé, était diffusée sur l’une des trois chaines américaines que le câble permettait de syntoniser. J’écris ces notes directement à l’écran et elles sont destinées à un site web. Je ne regarde plus la télé depuis des années. Les beats sont de l’histoire ancienne.

Pendant que mes doigts pianotaient sur le clavier, j’écoutais en boucle le vieux disque de King Crimson, In the Court of the Crimson King. Ce microsillon de 1969 ne m’a jamais quitté. Les chansons y sont complexes, tragiques et la voix de Greg Lake leur donne une liquéfiante gravité. Sur « Epitaph », qui résonne encore dans mes écouteurs, elle devient même lumineuse. C’est l’hymne que chantonne mon héros, seul dans sa cellule recouverte d’yeux. Les paroles en sont apocalyptiques et elles résument sans peine le sentiment qui l’habitait. Qu’en reste-il maintenant? Je ne sais quoi répondre. Rien n’est plus fugace qu’une impression.

Confusion will be my epitaph
As I crawl a cracked and broken path
If we make it we can all sit back and laugh,
But I fear tomorrow I’ll be crying,
Yes I fear tomorrow I’ll be crying
Yes I fear tomorrow I’ll be crying.

 

 

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Naked City Redux. Éclipse encore (19/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-eclipse-encore-1920/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-eclipse-encore-1920/#comments Mon, 08 Jun 2015 03:09:25 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2310 Dernier épisode: Un moment à couper au couteau (18/20)

 

La douche fut froide et insupportable, les serviettes étaient rêches et raides, les mains qui me manipulaient n’avaient aucune compassion, j’étais leur marionnette, un bras levé ici une jambe pliée là, une claque sur les fesses pour faire bonne figure. À peine habillé, je fus transporté dans une camionnette, déposé vulgairement à l’arrière, entre les coffres à outils et les chaises pliées, et c’est là, assommé par toute cette activité, que je me suis mis à revoir Duncan, bien en chair à mes côtés, Duncan le front éclaté, les rides marquées par le sang et la poussière, Duncan revenu des morts pour m’escorter.

Sa mort n’aura pas été inutile, pauvre Duncan, ses poèmes ont finalement été mis à la poste. Quand le détective qui enquêtait sur sa mort a compris ce qu’il tentait de faire, il a refait le trajet du poète et a découvert le paquet dans lequel se trouvaient ses poèmes. Et il l’a posté.

En interrogeant le meurtrier, le détective s’était fait à l’idée que les poèmes étaient irrémédiablement perdus. Au moment où le barman frappait de rage Duncan à la tête et le tuait, le paquet tombait dans une bouche d’égout et passait à travers la grille. Duncan expirait en regardant la bouche d’égout qui avait avalé son œuvre. Sa mort était double, car s’éteignait avec son dernier soupir la possibilité qu’il soit lu.

Retournant sur les lieux du crime, le détective s’est rappelé que les bouches d’égout avaient souvent une grille intérieure. Voulant en avoir le cœur net, il s’est couché sur la rue, et il a tendu la main, cherchant du bout des doigts le paquet. Il a cherché et cherché et la caméra s’est approchée de son visage jusqu’à  détailler le blanc de ses yeux et les pores de son nez et ses joues flasques, et il a cherché, tâtonné, ses doigts en extension maximale et finalement oui quel miracle! oui il a touché quelque chose, et oui on aurait dit du papier, une enveloppe de papier, et du bout des doigts, il a réussi à s’emparer du paquet et à le remonter, car c’était bel et bien un paquet, souillé, détrempé, mais quand même intact, un paquet scellé et adressé à Gloria Christmas, elle-même.  Il aurait pu l’ouvrir et lire les poèmes de Duncan, il aurait pu mettre ses yeux sur ces lignes qui avaient fait souffrir le poète beat, mort au combat, mais non, il ne l’a pas ouvert, il a mis des pièces dans la machine distributrice de timbres et il a déposé le paquet affranchi dans la boite aux lettres. Il a posté le paquet à Gloria Christmas, Idaho.

Duncan n’est pas mort inutilement et cette vision d’un détective sensé et attentif, cette possibilité d’un REPRÉSENTANT différent calme mes tremblements et adoucit ma tristesse. Je n’ai plus le gout de combattre le sommeil et tout ce qui viendra de mon overdose, je me laisse bercer par le roulement de la camionnette qui roule sur les rues de ma ville. Ma ville nue. Ma ville noire et blanche. Ma ville d’errance et de mort.

La suite ne m’appartient pas. Je la laisse à Gloria Christmas qui ignore tout du rôle que je lui destine.

 

Prochaine épisode: Naked City Redux. Épitaphe (20/20)

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Naked City Redux. Un moment à couper au couteau (18/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-un-moment-a-couper-au-couteau-1820/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/08/naked-city-redux-un-moment-a-couper-au-couteau-1820/#comments Mon, 08 Jun 2015 03:07:14 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2297 Dernier épisode: Naked City Redux. L’éclipse (17/20)

 

 

 

Prochain épisode: Naked City Redux. Éclipse encore(19/20)

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Naked City Redux. L’éclipse (17/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/06/naked-city-redux-leclipse-1720/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/06/naked-city-redux-leclipse-1720/#comments Sat, 06 Jun 2015 14:40:40 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2287 Dernier épisode: Naked City Redux. Dernier acte: l’éclipse (16/20)

Apocalypse d'Angers (XIVe siècle)

 

Un homme et une femme sont venus ce matin. Les REPRÉSENTANTS. Ils ont dû me laver car j’étais sale et puais, de la charogne a-t-elle dit, une véritable puanteur a-t-il répondu, et ils avaient raison, depuis mon arrivée dans cette cellule je ne m’étais pas lavé une seule fois, mes mains étaient dégoutantes, les pieds noircis par la crasse, ils ont dû me laver car je ne le faisais pas moi-même, ils croyaient que c’était une grève, que toute cette puanteur était une contestation de ma part, une nouveau crime social; j’ai eu beau leur expliquer que mon corps était propre et que je me lavais à sec avec la main gauche, que mes mains, mes doigts, mes ongles étaient propres sauf les trois derniers que je n’avais pas encore consommés, et qui devaient être épargnés.

Les REPRÉSENTANTS ne voulaient rien entendre, ils m’ont levé de force, m’ont trainé dans les douches, m’ont mis la bouche sous le jet d’eau; non, non, leur ai-je dit, non encore, ne touchez pas à mes ongles, il y en a trois, il est impératif de ne pas y toucher, ce sont mes ongles fétiches, mes ongles hallucinogènes, mais ils ne voulaient rien entendre, et ils ont entrepris de me laver sous la douche, les cheveux, le visage, les aisselles, les pieds, le sexe, ne touchez pas à ça, non, les fesses, vous êtes ridicules, on ne me touche pas, je ne suis plus un enfant, j’ai passé depuis longtemps l’étape de l’écolier lisant des bédés dans les bus, hé non ça va pas, mais ils ne m’écoutaient pas, ils étaient venus me chercher, c’était pour mon bien, ils voulaient me livrer propre de la tête aux pieds, et ils se sont même attaqué à mes mains, à mes doigts, à mes ongles, MES ONGLES,  on va te décrotter ça, disaient les REPRÉSENTANTS en riant, ce sera propre propre propre comme à Noël, j’ai résisté de toutes mes forces, je les laverais moi-même mes ongles, je les grignoterais moi-même, petit à petit, une rognure à la fois histoire de dégager à faible dose le produit que j’y avais déposé, mais il fallait qu’ils comprennent que cela prendrait du temps, une semaine peut-être, cinq jours au bas mot, je ne pouvais me les ronger tout d’un coup, c’était inhumain, mortel même, le troisième œil allait éclater pour sûr, je les suppliais, laissez-moi partir, ne me touchez pas, oubliez mes ongles, ils ne vous regardent pas, ils sont à moi et à Gloria Christmas.

J’ai supplié, j’ai promis, juré même et, pour toute réponse, ils ont saisi ma main droite,  l’homme surtout, la femme me retenait par la taille, et ils m’ont forcé à la prendre dans ma bouche. Tu veux te les ronger tes ongles? Alors ronge-les, tiens ta main, la voilà! Tu la veux? Tu veux cette puanteur de main? Avale-la. Elle est à toi. Prends et mange. D’abord elle sera douce comme le miel, mais bientôt elle remplira tes entrailles d’amertume. Et ils m’ont mis la main dans la bouche grande ouverte. Et ils l’ont laissée là, dans ma bouche, comme si j’étais chez le dentiste, pendant plus de vingt minutes! Tout le temps qu’il fallait pour que le venin se dégage de l’ongle et se répande dans mon corps, descende le long de ma gorge et du larynx, glisse par l’œsophage jusque dans mon estomac et pénètre peu à peu dans mon système sanguin. Troisième œil, here we come.

Une figure inattendue apparut dans la cellule. Une femme, le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne d’étoiles. Gloria Christmas! Elle était enceinte, elle criait, comme dans les douleurs d’un enfantement. Un être, rouge feu, plein de têtes et de cornes, vint se poster devant elle, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Je fermai les yeux. C’en était trop.

 

Prochain épisode: Naked City Redux. Un moment à couper au couteau (18/20)

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Naked City. Hold for Gloria Christmas http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/05/naked-city-hold-for-gloria-christmas/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/05/naked-city-hold-for-gloria-christmas/#comments Fri, 05 Jun 2015 19:12:26 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2291 Hold for Gloria Christmas

(extrait de l’épisode de Naked City, mis en ligne à la suite de la mort de Burgess Meredith)

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Naked City Redux. Dernier acte : l’éclipse (16/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/05/naked-city-redux-dernier-acte-leclipse-1620/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/05/naked-city-redux-dernier-acte-leclipse-1620/#comments Fri, 05 Jun 2015 18:24:14 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2282 Dernier épisode. Naked City Redux. Le REPRÉSENTANT qui ne m’a pas sauvé la vie (15/20)

 

Ils sont venus ce matin, ils étaient deux. Un homme et une femme. Lui, très très grand. Et blond. Elle, minuscule à côté de lui, cheveux noir, une coupe à la Édith Piaf. Des REPRÉSENTANTS d’une firme privée, je ne sais trop, je n’ai rien compris de ce qu’ils me racontaient. Ils venaient me chercher, je serai bientôt en sécurité. Un bienfaiteur anonyme voulait me sortir des griffes de la justice et du ressentiment. Il m’attendait, voulait m’offrir l’asile, du papier pour écrire, un écran. Je n’ai pas bronché. Je ne ressens plus rien, de toute façon, ni la fatigue ni mes pieds, je suis couché sur le lit qu’on m’a fourni, avec ses ressorts grinçants et son matelas écrasé, et je cours après ma respiration, c’est rauque et douloureux, je sue, mes yeux sont embrouillés, je me sens comme si j’étais dans un scaphandrier qui n’est plus alimenté en air. L’eau est vaseuse, ce n’est pas tellement que j’ai froid, mais je frémis, mes sens sont à fleur de peau, tout m’irrite. Je suis présent et absent en même temps, je me suis décroché de ma propre vie, blotti dans un coin de la cellule. Je me répète sans arrêt : tu dois respirer, tu dois continuer, allez, une respiration à la fois, un peu d’oxygène dans tes poumons, allez, respire, inspire expire inspire expire, mais l’air est insipide et je ferme les yeux, Duncan, viens me chercher, c’est ce qui me fait le plus peur, m’endormir et rêver jusqu’à ma mort,  parce que quelque chose ou quelqu’un me dira de ne plus respirer et je n’aurai d’autre choix que d’obéir, cela fait mal de respirer, mes bronches râlent, cela fait mal et tellement de bien quand on s’arrête un peu, un acte héroïque oui, tout le monde respire, notre société est fondée sur la respiration, c’est incroyable, tous ces gens qui acceptent la respiration comme fondement de leur vie, moi je dis qu’il faut cesser d’obéir sans réfléchir, il ne faut respirer que si on le veut, et non parce qu’on nous l’ordonne, je hais les mots d’ordre et leurs impératifs, la décadence de notre civilisation tout entière repose sur notre aveuglement, notre soumission aux diktats de la respiration, le mal est là, juste là; Duncan, ombre parmi les ombres, fantôme de bas étage, me recommande de ne plus respirer, il me demande de ne plus prendre une seule autre respiration, que celle que je viens de prendre soit la dernière, oui, celle-là, poumons écorchés, qu’elle soit la dernière et qu’on n’en parle plus, ce sera tu le verras un acte libérateur, suprême, toutes les autres actions n’étaient que des faux-fuyants en comparaison, des artifices, et le seul vrai acte, l’ultime décision, celle qui valide toutes les autres, la seule action possible est de cesser de respirer. Duncan a tenté de reprendre ses poèmes afin de les envoyer à Gloria, geste qui aurait validé sa descente aux enfers, mais il n’a fait que provoquer sa propre mort, un dieu vengeur l’a puni pour avoir osé reprendre ce qui ne lui appartenait plus. Je ne sais pas pourquoi son histoire m’attire, mais elle le fait, je pleure pour Duncan, je cherche des liens entre sa vie et la mienne, c’est sûrement la quête d’absolu qui nous rapproche. La poésie. L’absolu. Cesser de respirer.

 

Prochain épisode. Naked City Redux. L’éclipse (17/20)

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Naked City Redux. Le REPRÉSENTANT qui ne m’a pas sauvé la vie (15/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/02/naked-city-redux-le-representant-qui-ne-ma-pas-sauve-la-vie-1520/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/02/naked-city-redux-le-representant-qui-ne-ma-pas-sauve-la-vie-1520/#comments Tue, 02 Jun 2015 14:47:14 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2269 Dernier épisode: Naked City Redux. Sixième mouvement : l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (14/20)

 

 

Le REPRÉSENTANT est reparti en me laissant dans la main ce que je me suis empressé d’avaler.

Un comprimé comme une goutte de liquide incolore.

(silence lourd et rauque)

J’avais écouté d’une oreille distraite ce qu’il m’avait expliqué.

Je ne suis pas attentif aux choses de ce monde.

Ma mère ne cessait de me le reprocher:

Toujours dans la lune, toujours à rêvasser.

Tu ne feras rien de bon dans la vie, si tu continues à ne rien faire de tes jours.

Je ne l’ai jamais écoutée.

La lune est encore mon endroit favori.

Je m’y aventure dès que le vent se révolte,

Sur la face cachée, dans le noir et le froid et le vide et le blanc laiteux d’une matière volcanique inerte.

 

Je regarde les yeux dessinés sur les murs de ma cellule.

Parmi ces yeux, il y en a un que je ne retrouve plus.

C’est l’œil de Duncan, mort et enterré.

L’œil du poète de malheur qui a écrit son malaise en courtes phrases paroxystiques.

L’œil de Duncan Kleist.

Le sourire de Gloria Christmas, comme une récompense.

Duncan.

Il était un poète comme je suis un prisonnier.

Par un étrange concours de circonstances.

Un voyage de mille pas commence avec le premier dit le proverbe chinois ou népalais.

Je ne sais plus.

 

Tout au long de ses nuits de débauche, Duncan ne cessait de rêver à Gloria.

Sa beuverie l’occupait tout entier.

Gloria était son phare, lumière distante qui le guidait.

Si seulement il pouvait sortir de son marasme, de cette mer d’alcool, et la rejoindre, il serait sauvé.

Gloria.

Mais il fallait pour cela qu’il sorte de l’eau.

Il fallait qu’il crée de toutes pièces un nouveau monde.

Beau et pur.

Une véritable utopie au centre de laquelle Gloria se dresserait comme une déesse de l’amour et de l’abnégation.

Il s’est noyé, un poème à la fois.

(rauque)

Il est mort, frappé par derrière.

(The  barman’s the culprit.)

Pourtant, ce sont ses propres travers qui l’ont tué.

Il est mort comme il a vécu, sans rien comprendre de ce qui se tramait véritablement sous la surface, entre les lignes, entre les pages, entre les séquences.

 

Le REPRÉSENTANT est parti.

La collégienne a été sevrée.

Duncan a été frappé à la tête et nage dans un bain de sang.

Gloria est un mythe sans fondement.

Un labyrinthe impossible à pénétrer.

Et ce bref moment de conscience est devenu insupportable.

Pendant ce temps, je me laisse bercer par un hymne à la mort.

Une voix lourde et forte me tient éveillé la nuit.

Et  je crains que demain je me mette à pleurer.

Je crains que demain je me mette à pleurer.

Je crains que demain je me mette à pleurer.

Le décompte est commencé.

Ce n’est pas un hymne à la joie qui résonne, mais une sombre mélodie.

Confusion et dissolution me guettent.

 

 

Prochain épisode: Naked City Redux. Dernier acte: l’éclipse (16/20)

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Naked City Redux. Sixième mouvement : l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (14/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/01/naked-city-redux-sixieme-mouvement-lami-qui-ne-ma-pas-sauve-la-vie-1420/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/06/01/naked-city-redux-sixieme-mouvement-lami-qui-ne-ma-pas-sauve-la-vie-1420/#comments Mon, 01 Jun 2015 14:44:22 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2257 Dernier épisode:NCR. En attendant la suite de l’épisode – V (13/20)

Un ami est venu me voir.

Un REPRÉSENTANT quelconque.

Car, je le sais maintenant de source certaine, si tant est que mon inconscient soit une source fiable, il n’y a plus sur terre que des REPRÉSENTANTS, des êtres pour et avec le gouvernement. Pour et avec la loi. Pour et avec les forces de l’ordre. Tandis que je suis, moi, un agent des forces du chaos et de la vie.  La bataille fait rage, c’est l’ordre contre la vie. Les REPRÉSENTANTS contre les agents, autant dire les gens.

Cet ami est passé par la porte, tout simplement, je dormais, je ne l’ai pas vu arriver et, quand j’ai ouvert les yeux, il était d’ores et déjà assis sur le bord du lit le plus naturellement du monde. Si je le pouvais, je m’enfuirais par la porte laissée entr’ouverte, je me lèverais de mon grabat, comme dans une expérience extrasensorielle, mon corps flotterait dans la cellule, je m’élèverais lentement, petit nuage de chair flottant, avançant peu à peu vers le centre de la pièce, la porte, le couloir, la fenêtre, l’air libre, le firmament; je reste pourtant étendu de tout mon long sous la couverte de laine, les yeux fermés, les bras le long du corps, les mains à plat sur le matelas, le sexe mou, et je prends de très grandes respirations, l’air remonte du plus profond de mon corps pour passer par mes voies respiratoires et s’affranchir dans le calme serein de la cellule. Épuisé, dodelinant de la tête, je reste des heures à penser, et à regarder l’œil, le dessin d’un œil rudimentaire tracé au crayon feutre sur le mur du fond. Il me regarde cet œil, il m’épie, scrute mes moindres mouvements, on se croirait dans un roman de Thomas Pynchon. C’est un œil beat. Un œil qui voit ce qui échappe au commun des mortels.

On croyait beaucoup au troisième œil à cette époque, le troisième juste au dessus des deux autres, œil invisible mais d’une extraordinaire faculté car il parvenait à voir ce qui échappait à la vue. T. Logsang Rampa en avait décrit les possibilités dans un livre paranormal. C’était un faux, T. Logsang Rampa, un faux lama, qui racontait parvenir avec son troisième œil voir à travers les dimensions et l’espace, il pouvait léviter, faire le tour de la terre en pensées, frôler les pics de l’Himalaya, descendre jusqu’au plus profond des mers, participer à une transmigration de l’esprit, observer l’aura des gens qui l’entouraient, mourir et revivre dans la même journée.

Ma cellule est pleine d’yeux que j’ai dessinés, des yeux qui rivalisent avec l’œil présent à côté de mon lit, des yeux pour tromper cet œil, pour le perdre dans la masse, des yeux pour  brouiller les cartes, pour vaincre l’ennemi intérieur. Tous ces yeux me permettent de ne pas me sentir épié. Un œil, ça épie. Mais une multitude, ça ne voit plus rien, ça se regarde regarder, les lignes de fuite sont perturbées, elles se croisent et s’entremêlent, des nœuds se forment, des mailles, des tresses, les regards s’égarent dans les dédales de ce labyrinthe d’yeux égarés. Un Dieu, c’est puissant, omniprésent, omniscient. Mais, des dieux… ils perdent en puissance ce qu’ils gagnent en nombre. Ils ne peuvent que se quereller entre eux et leur puissance est réduite, puisque partagée. C’est la même chose avec les yeux. Un œil voit tout. Une kyrielle d’yeux ne peut que se perdre dans le regard.

Un ami est venu me voir, un REPRÉSENTANT, et il ne m’a pas sauvé la vie, mais c’est tout comme. Il m’a regardé, comme un médecin examine son patient, mécontent et déçu. Je n’ai rien à dire. Je muse et retiens mon souffle. L’asphyxie me gagne.

« Écoute-moi, tu m’entends? J’ai des choses à te dire. Ouvre les yeux. C’est important que tu m’écoutes. La fille, l’écolière, n’est pas morte. Tu m’entends? Elle ne l’a jamais été.  Oui, elle s’est évanouie dans le couloir de la station de métro, et elle tenait dans ses mains un Comic book made in US, Love Me Tender, une espèce de soap opera à deux sous. Elle est maintenant à l’hôpital Saint-Machin et jure de ne plus jamais se ronger les ongles, que ce n’est pas bon pour la santé, qu’on ne sait jamais ce qui peut se glisser entre l’ongle et la peau, qu’elle ne le fera plus jamais au grand jamais : merci maman de m’avoir mise au monde et merci de m’avoir nourrie au biberon, et merci de m’avoir secourue quand j’étais mal, et je ferai dorénavant le ménage de ma chambre, et je ferai mon lit, et je rangerai mes vêtements, et je mangerai avec une fourchette, et je passerai le balai quand on me le demandera, et je sortirai les vidanges, et je ferai la vaisselle, et je me brosserai les dents, et plus jamais je ne mentirai, mais il faut que tu me permettes de continuer à acheter mes Love Me Tender parce que je dois à tout prix savoir ce que fera Christine, comment elle réagira à la séparation, si une réconciliation est encore possible, si son bel amoureux se coupera la barbe, je dois savoir, c’est plus fort que moi. La jeune fille se meurt de connaître la suite des aventures de Christine, mais j’ai cru comprendre que le prochaine numéro aurait un certain retard parce que le scénariste s’est suicidé, il a avalé une bouteille complète de comprimés, il aurait laissé une lettre sur la table de son petit appartement, et le rédacteur en chef veut s’en servir dans l’histoire de Christine, je ne sais pas comment, ne me demande pas de détails, mais elle figurera dans le prochaine numéro, mais pour cela il faut trouver un nouveau scénariste prêt à se sacrifier pour la bonne cause, ils ne courent pas les rues, à ce qu’il parait.

Écoute-moi, la fille n’est pas morte, ils ne pourront pas te garder éternellement, il te relâcheront; tu ne seras pas accusé de meurtre, mais uniquement de non conformisme, d’entrave à la sécurité publique et à l’hygiène mentale, d’atteintes aux liberté individuelles, de torture émotionnelle, bref de crime social. Tiens bon! Surtout ne te laisse pas abattre. The war must go on. »

 

Robert Crumb, Third Eye (2001)

Prochain épisode:  Naked City Redux. Le REPRÉSENTANT qui ne m’a pas sauvé la vie (15/20)

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NCR. En attendant la suite de l’épisode – V (13/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/29/ncr-en-attendant-la-suite-de-lepisode-v-1320/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/29/ncr-en-attendant-la-suite-de-lepisode-v-1320/#comments Fri, 29 May 2015 01:55:59 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2251 Dernier épisode: Naked City Redux. Cinquième mouvement, la cellule (12/20)

Une tourterelle vient de mourir, croquée par un très laid chien brun, et son inséparable compagne dépérit à vue d’œil.

Elle tremble sur ses pattes et ne roucoule plus.

Le silence est atroce.

Quand la mort rode.

Le REPRÉSENTANT ricane.

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Je hais tout ce qui bouge.

Et respire.

Je hais les livres.

Je hais ma propre respiration.

Je hais la couleur de ma peau.

Je hais mon ventre.

Je hais ma mémoire.

Je hais les murs de ma cellule.

Je hais la couleur.

Je m’épuise dans la haine. Toute mon énergie y passe, haine de la vie de la mort de la faiblesse de l’amour des amis des pensées.

Elle s’arrête comment cette machine à penser? Où est l’interrupteur? La prise de courant? Comment mettre à off? Je ne veux que du bruit de fond. Des clics et des fracs. De la dissolution.

Je ne demande rien d’autre.

De la dissolution.

Prochain épisode: Naked City Redux. Sixième mouvement : l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (14/20)

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Naked City Redux. Cinquième mouvement, la cellule (12/20) http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/27/naked-city-redux-cinqiueme-mouvement-la-cellule-1220/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2015/05/27/naked-city-redux-cinqiueme-mouvement-la-cellule-1220/#comments Wed, 27 May 2015 14:32:02 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=2239 Dernier épisode: NCD. En attendant la suite de l’épisode – IV (11/20)

 

 

Je suis dans une cellule, couché sur un lit de fer, les murs sont d’une couleur, d’une couleur comment dire indescriptible, d’une couleur qui n’a rien à envier au noir et blanc des films noirs. C’est quelque chose de gris, tirant sur le verdâtre. N’y cherchez pas du magenta ou du turquoise. C’est fade. C’est blême. Et soporifique.

 

 

 

 

 

(Réveil brutal)

Je suis seul dans ma cellule. Duncan Kleist me tient pourtant compagnie. Il est là, avec son paletot déchiré, ses poches pleines de déchets et sa blessure mortelle. Où suis-je? Duncan est là comme un mort venu rôder auprès des vivants et des intoxiqués. Je ne sais plus qui l’a tué, cela fait trop longtemps que j’ai vu l’épisode, c’était sur la rue Argyle, c’est certain, nous avions une Sony Trinitron, dont le tube principal avait éclaté, un soir de brume. Nous regardions une série télé américaine, c’était peut-être même Naked City que nous regardions souvent le mercredi soir, les épisodes repassaient en fin de soirée, et une lumière vive avait embrassé le salon, la baie vitrée, les meubles, et nous, un éclair surgi de l’intérieur même de l’appartement, comme une boule de feu, et d’un coup, ça avait été le noir absolu, et le silence. L’écran de la Trinitron était noir, un trou noir qui crépitait, et nos rétines n’en revenaient pas. Le poste de télé était muet et nos oreilles bourdonnaient encore du big bang qui nous avait anéanti.

Gloria, alléluia!

Je suis couché dans ma cellule et je me ronge un ongle, un bout de rien du tout, sous lequel a été déposée une goutte d’un liquide aux vertus certaines, et une torpeur délicieuse et gravement modulée me gagne peu à peu, un engourdissement superficiel. Mes membres sont lourds, mon regard amorphe, mais intérieurement de plus en plus cela s’active, mes nerfs se bandent, mon cerveau se crispe, puis éclate à la manière d’un éternuement. Mon esprit est la proie de spasmes qui le déchirent en fines lamelles, mes pensées se déhanchent, c’est un flux qui oscille et se déstabilise, le bruit des tambours rythme mon pouls, inconstant et délétère. Il faut suivre la cadence sinon on est broyé par la  vague qui déferle. Serpenter entre les pensées et les souvenirs emmêlés ne sert à rien, il faut planter ses piquets directement dans la chair et espérer que la corde tendue ne lâche pas, qu’elle résiste aux mouvements saccadés.

 

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L’heure est aux constatations. Il y a eu deux meurtres. J’ai été spectateur du premier, je ne pouvais qu’être l’instigateur du second. J’ai vu Duncan mourir à la télévision, je l’ai vu prendre son dernier respir, puis s’écraser de tout son long, la tête contre la chaine du trottoir. C’est le barman qui l’a tué. Duncan lui devait cinq cents dollars. Une dette d’alcool. Mais, il voulait ravoir ses poèmes, cette liasse de textes mal ficelée qu’il avait donnée en garantie. Il désirait reprendre son œuvre, même s’il n’avait pas les sous, il voulait ravoir ses feuilles pour les envoyer à Gloria Christmas, sa muse, et l’autre ne l’a pas laissé faire. Ils se sont battus et Duncan a reçu un coup fatal. Ses poèmes sont tombés dans une bouche d’égout.

But tell me, who killed who? , a demandé le barman aux policiers.

Who killed who?

(Don’t answer, please don’t do it. It’s a plot to make you talk, don’t fall for it, just relax, breathe, try to forget where you are. There, that’s better.)

C’est bien la question que je me pose. Qui a tué l’écolière? Moi ou le scénariste de la bédé qu’elle lisait? Votre pauvre serviteur ou ce cancre parmi les cancres qui ne connaît rien d’autre des relations humaines que la passion romantique et l’infidélité? Comme le barman, j’ai été mis en prison. Menotté, déshabillé, mes affaires confisquées, ma ceinture retirée, mes souliers et mes cigarettes. Il ne me reste que mes ongles que je peux ronger en toute liberté et vaquer à mes occupations inconscientes. Duncan rêvait d’une poésie toute en mouvement et en sautillements frénétiques, il pensait changer le monde, un mot à la fois; ivre mort, il n’a réussi qu’à se faire tuer à Greenwich. Pourquoi le barman lui aurait-il redonner ses poèmes, il se doutait bien qu’il ne reverrait jamais la couleur de son argent, que l’histoire que lui racontait le poète ne servait qu’à le tromper et à l’amener à lâcher prise? Gloria Christmas isolée dans une petite ville de l’Idaho, ses robes fleuries, ses cheveux auburn, ses tâches de rousseur, son innocence préservée comme on fait de la confiture. Le barman tenait à son fric. Et je tiens à ma liberté, liberté de pensée, liberté d’action, liberté tout court. Pourquoi ai-je déposé sous l’ongle de l’écolière une goutte d’un liquide incolore mais ô combien synesthésiste et générateur de formes et de figures, d’arabesques et de motifs cachemires, pourquoi ai-je commis cet impair, sinon pour la libérer de son carcan mental, pour la voir surpasser l’inanimé, s’affranchir de son état de servitude totale à la fiction scénarisée des malheurs de Christine, une goutte et le tour était joué, elle pouvait franchir le mur, s’ouvrir à la vie intérieure, se décarcasser et entrer dans un univers de pure compréhension, la transparence enfin établie, la motivation parfaite, entre ses pensées et les choses il n’y aurait plus eu d’écart, mais une ligne, continue, ferme et noble et belle et heuristique, entre ses mots et le monde tout aurait été emmailloté, et elle aurait pu enfin sortir de son cocon, se libérer, pouf!, et c’est fait, une pensée délivrée… finie la linéarité des mots sur la page, finie la servitude langagière, finie la rectitude de la pensée, tout cela fini et oublié. Mais elle est morte. La liberté l’a tuée. Je ne comprends pas. On ne meurt pas comme ça. Duncan et Gloria, l’écolière et moi. Ce sont les hommes qui meurent dans cette histoire, les passeurs, les poètes, les affranchis, les tenaillés de l’intérieur, et pas les femmes, Gloria de peine et de misère, l’écolière en jupe. Je ne connais même pas son nom et elle ne connaîtra jamais le mien. Je n’ai pas de nom, je n’ai qu’un pronom. Il me suffit, c’est personnel.

Il y a des bruits dans le couloir. On vient, j’ai peur, on rode aux alentours de ma cellule, je me sens traqué. Vite, je me ronge un ongle.

Je pense à Éva. À Éva qui lors de sa dernière séance de séminaire, s’est interrompue, subitement inquiète. Quelqu’un rodait dans le couloir, finit-elle par déclarer à son groupe. On rode dans le corridor, elle ne pouvait plus donner son cours. Un étudiant s’est levé et est  allé vérifier, mais il n’y avait personne dans le corridor, le couloir était vide. Il n’y a personne, madame.  Il était trop tard, le mal était fait, son cours était interrompu, il ne serait jamais repris. Elle était à quelques semaines de sa mort. Et ce qui rôdait dans le corridor n’était rien d’autre que la mort qui rodait dans son cerveau.

 

 

Prochaine épisode: En attendant la suite de l’épisode – V  (13/20)

 

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