Ce n'est écrit nulle part » Perec http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart Propos éphémères et littéraires de Bertrand Gervais Tue, 23 May 2017 14:21:28 +0000 en hourly 1 Perec et les gauchers contrariés http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2013/02/11/perec-et-les-gauchers-contraries/ http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/2013/02/11/perec-et-les-gauchers-contraries/#comments Mon, 11 Feb 2013 10:23:17 +0000 Bertrand Gervais http://blogue.nt2.uqam.ca/cenestecritnullepart/?p=1879 Addendum à la suite de textes sur ce défaut de fabrication que représente la contrariété gauchère. C’est un extrait de  W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (Paris, Denoël, 1975, p. 184-185). Je remercie le saule braillard pour cette référence fort appréciée.

« C’est peut-être cet hiver-là que j’aurai fait, pour la première et la dernière fois de ma vie, une descente en bobsleigh, le long de la grande route en pente que va des Frimas au centre de Villard. Nous n’arrivâmes pas au bout: à peu près à mi-course, à la hauteur de la ferme des Gardes, alors que l’équipe tout entière (nous devions être sept ou huit sur le bob: il était bosselé et plutôt rouillé, mais quand même impressionnant par sa taille) se penchait à droite pour prendre son virage, je me penchai à gauche et nous nous retrouvâmes au fond du ravin qui borde à cet endroit la route, après une chute de quelques mètres, heureusement amortie par l’épaisseur de la neige. Je ne sais pas si j’ai réellement vécu cet accident ou si, comme on l’a déjà vu à d’autres occasions, je l’ai inventé ou emprunté, mais en tout cas, il est resté comme un de mes exemples favoris de ma « gaucherie contrariée » : j’aurais été, en effet, gaucher de naissance; à l’école on m’aurait imposé d’écrire de la main droite; cela se serait traduit, non par un bégaiement (chose paraît-il fréquente), mais par une légère inclinaison de la tête vers la gauche (sensible jusqu’à il y a encore quelques années) et surtout par une incapacité à peu près chronique et toujours aussi vive à distinguer, non seulement la droite de la gauche (cela m’a valu d’échouer à mon permis de conduire: l’examinateur m’a demandé de tourner à droite et j’ai failli m’emboutir sur un camion à gauche; cela contribue aussi à faire de moi un très médiocre rameur: je ne sais pas de quel côté il faut ramer pour faire tourner la barque), mais aussi l’accent grave de l’accent aigu, le concave du convexe, le signe plus grand que (>) du signe plus petit que (<) et d’une manière plus générale tous les énoncés impliquant à plus ou moins juste titre une latéralité et/ou une dichotomie (hyperbole/parabole, numérateur/dénominateur, afférent/efférent, dividende/diviseur, causal/rostral, métaphore/métonymie, paradigme/syntagme, schizophrénie/paranoïa, Capulet/Montaigu, Whig/Tory, Guelfes/Gibelins, etc.); cela explique aussi le goût que j’ai pour les procédés mnémotechniques, qu’ils servent à différencier le bâbord du tribord en pensant au mot batterie, la cour et le jardin en pensant à Jésus-Christ, le concave ou le convexe en imaginant une cave, ou, plus généralement, à se souvenir de pi (que j’aime à faire apprendre un nombre utile aux sages…), des empereurs romains, (Césautica, Claunégalo, Vivestido, Nertrahadan, Marco) ou d’une simple règle d’orthographe (l’accent circonflexe de cime tombe dans l’abîme). »

 

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