Les expériences de pensée du professeur S. » beaux-arts http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s laboratoire de réflexion de Philippe St-Germain Thu, 29 Aug 2019 09:29:24 +0000 en hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.3.1 David Altmejd, sculpteur de métamorphoses http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/2015/07/27/altmejd/ http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/2015/07/27/altmejd/#comments Mon, 27 Jul 2015 13:06:26 +0000 Professeur S. http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/?p=475 Continuer la lecture ]]> L’exposition consacrée à l’oeuvre du sculpteur David Altmejd au Musée d’art contemporain (de juin à septembre 2015) est une révélation pour moi.

Je me doutais bien que son oeuvre tomberait dans mes cordes après en avoir vu quelques photographies au fil des ans, mais il faut absolument être sur place pour voir ses créations se déployer dans l’espace. On peut certes le dire pour le travail de tout sculpteur, mais celui d’Altmejd est particulier: ses oeuvres les plus ambitieuses pourraient occuper une pièce à elles seules; c’est d’ailleurs le cas de deux d’entre elles, dans cette exposition-ci. Leur immensité est décuplée lorsqu’elles sont installées dans des pièces aux murs couverts de miroirs: où qu’on aille, on ne peut s’échapper de son univers, comme on peut (à peu près) le constater dans la photographie ci-dessous:

Dans la chambre des miroirs...

Bien que l’exposition ne regroupe qu’une partie des oeuvres d’Altmejd, elle offre une excellente introduction à son univers. Le monde de l’artiste est traversé par le fantastique, mais un fantastique qui passe au crible d’une approche très personnelle de certains thèmes classiques du genre (monstres et autres loups-garous, métamorphoses, etc.). Il n’est pas particulièrement gore: on ne trouve à peu près pas de sang dans l’exposition. On peut voir, en revanche, des corps rongés par des matières étrangères (cristaux, fruits, argile, etc.).

L’hybridité est reine sur la Planète Altmejd. Il crée notamment des figures mi-humaines, mi-animales, en donnant des aperçus de toutes les étapes intermédiaires. Peut-être est-ce là un écho de ses études de biologie… en fait foi Le désert et la semence (2015; Altmejd l’aurait complétée à peine trois jours avant le début de l’exposition!), monumentale et magnifique, qui montre en quelque sorte le cycle de vie d’un être devenant un humain, puis un loup:

"Le désert et la semence" (2015)

Cette oeuvre à peu près impossible à photographier convenablement met de l’avant un autre type d’évolution (ou de métamorphose) cher à l’artiste: bien que ses créations soient très «travaillées», il sème régulièrement des indices à propos de leur confection même (des «cases» comportant de la peinture, des bobines de fil, etc.). Comme si on voyait à la fois l’oeuvre et l’oeuvre en train de se faire — une impossibilité rendue presque possible, en vertu des couches nombreuses de ses créations les plus élaborées.

Les mains-démiurges fabriquent des mondes...

Certains motifs sont récurrents dans son oeuvre, dont les noix de coco, les fruits, les mains. Ces dernières jouent un rôle crucial dans la «mythologie» d’Altmejd. Dans une série de personnages appelés bodybuilders, les mains font partie de ces êtres (ils ont parfois une véritable «tête de mains», comme le montre l’image ci-dessous), mais elles sont aussi régulièrement situées aux alentours, comme si on les voyait créer les êtres à la manière d’un artiste.

Détail d'un "Bodybuilder"

Le rapport entre la vie (pas seulement au sens strict d’existence, mais aussi en tant que force créative) et la mort semble également crucial chez lui. Tout comme le rapport entre l’intérieur et l’extérieur. Ses visages sont souvent «troués», ou gagnés — surtout une ou des joue(s) — par des cristallisations; certains sont constitués de deux visages superposés qui n’en forment finalement qu’un seul.

Mais le rapport entre l’intérieur et l’extérieur n’est peut-être jamais aussi captivant que dans l’oeuvre la plus vaste de toute l’exposition (c’est aussi celle qui m’a le plus fasciné): The Flux and the Puddle (2014).

Une partie de "The Flux and the Puddle" (2014)

On peut se perdre pendant des heures dans cette sculpture-monde, sans avoir l’impression d’avoir tout vu. Altmejd a quelques fois dit aimer l’idée que certaines sections demeurent cachées, en tout ou en partie; qu’une portion de l’énigme subsiste, même après un examen attentif.

Il est possible de regarder «dans» certaines sections, ce qui nous fait entrer encore plus complètement dans son univers. Constatons par exemple cet infime détail de The Flux and the Puddle – on parle ici d’un centième de l’oeuvre tout au plus — mais il suffit d’y jeter un coup d’oeil de plus près (et d’avancer notre tête dans le creux) pour plonger dans une mise en abyme:

Miroirs dans l'oeuvre

Je tenais à soumettre ces quelques réflexions pendant que l’exposition est encore à l’affiche, mais il faut les considérer comme l’oeuvre d’Altmejd elle-même: elles sont moins un point d’arrivée qu’un work in progress en constante évolution.

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