Les expériences de pensée du professeur S. » posthumanisme http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s laboratoire de réflexion de Philippe St-Germain Thu, 29 Aug 2019 09:29:24 +0000 en hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.3.1 La mort de hitchBOT: une expérience sociale et philosophique http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/2015/08/04/hitchbot/ http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/2015/08/04/hitchbot/#comments Tue, 04 Aug 2015 13:22:41 +0000 Professeur S. http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/?p=685 Continuer la lecture ]]> Pour une raison étrange, je ne connaissais pas l’existence du fameux hitchBOT avant qu’on annonce sa «mort», au début du mois d’août 2015. Il était pourtant au coeur d’une véritable expérience de pensée qui aurait dû m’interpeller plus tôt.

HitchBOT était un robot créé en Ontario par David Harris Smith et Frauke Zeller, respectivement de l’Université McMaster et de l’Université Ryerson. Le robot ne pouvait pas bouger de manière autonome, mais on l’avait programmé pour qu’il puisse «converser» (de façon assez limitée) sur des sujets divers. Son transport était donc assuré par les gens qui voulaient bien le transporter, comme autant de trajets d’autostoppeur.

On a souvent décrit hitchBOT comme un social experiment, mais dans l’optique de ce blogue et selon un point de vue philosophique, on peut aussi le décrire comme l’amorce — puis comme la mise en pratique — d’une véritable expérience de pensée. Le robot est après tout un dispositif fantastique inventé dans le but de réfléchir à des thèmes concrets; dans ce cas-ci, les comportements humains les plus élémentaires, tant «en personne» que sur les réseaux sociaux (le robot a un site Internet principal, une page Facebook, un compte Twitter, etc.). Comme d’autres dispositifs au coeur d’expériences de pensée (dont l’anneau de Gygès inventé par Platon), hitchBOT est à la fois brillamment conçu et sommairement justifié: ce n’est pas un robot très sophistiqué, mais un prétexte (pour la réflexion et l’action).

En concevant hitchBOT, ses créateurs espéraient trouver une réponse à une question assez typique des recherches sur le posthumanisme: «les robots peuvent-ils faire confiance aux humains?» Quand on s’y attarde un peu, on constate cependant que la question renverse le modèle habituel. Il est plus courant d’utiliser le comportement du robot comme point de départ — notamment grâce au test de Turing, par lequel on tente de voir si un robot parvient à agir exactement comme un humain. L’expérience HitchBOT, en revanche, projette plutôt sa lumière sur les comportements humains eux-mêmes.

En juillet et en août 2014, hitchBOT a traversé le Canada, allant de Halifax jusqu’à Vancouver; puis, au printemps 2015, il a passé quelques jours en Allemagne. Ses «transporteurs» ont multiplié les selfies à chaque étape de son parcours.

On espérait lui faire vivre une expérience analogue aux États-Unis (grâce à un trajet qui l’amènerait de Boston à San Francisco), mais son voyage — amorcé le 17 juillet 2015 — a trouvé une fin abrupte à Philadelphie le 1er août, quand il a été décapité par des vandales. Il a tout de même eu le temps de circuler à Salem, Gloucester, Marblehead et New York.

Le "cadavre" de hitchBOT

Si la mort d’un robot est rarement définitive, on peut dire la même chose de celle de hitchBOT: tout indique qu’il renaîtra de ses morceaux. Ses créateurs ont été franchement impressionnés par les discours et artefacts suscités par le robot, et ils envisagent la possibilité de le reconstruire. Plusieurs individus — notamment aux États-Unis — ont déjà offert leur aide pour une éventuelle deuxième version.

Cet échec de l’expérience hitchBOT n’est qu’apparent, puisque la version 1.0 du robot a connu suffisamment d’aventures pour livrer des témoignages probants. À la question évoquée plus tôt — «les robots peuvent-ils faire confiance aux humains?» –, ses créateurs sont tentés de répondre par l’affirmative («we would say at this point, mostly», estime David Harris Smith).

L’expérience de pensée hitchBOT a plusieurs niveaux, des plus apparents aux plus subtils. Certes, selon le plus sommaire et évident, elle mesure la gentillesse et l’ouverture des humains qui parsèment le trajet du robot. Mais en tant que phénomène social, l’expérience mesure cependant bien d’autres choses. Dont le désir de participer à l’expérience elle-même, pour soi-même et (surtout) devant le regard de l’autre.

Tel qu’indiqué plus tôt, hitchBOT a plusieurs tribunes virtuelles; or, l’archivage des informations relatives au robot ne se limitait pas aux seules traces laissées à son propos sur les réseaux sociaux: il portait aussi les marques de ses différents voyages, car des gens laissaient des messages sur lui, notamment sur ses bras.

De telles caractéristiques contribuent à faire de hitchBOT un canevas suffisamment vide pour qu’on puisse l’investir de signes et de sens.

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