Google est la mémoire de l'humanité branchée et on y circule comme dans une vaste bibliothèque. On dit même qu'on peut tout y trouver. Quelque part, sur un rayon poussiéreux de cette bibliothèque, se trouve le Désordre de Philippe De Jonckheere, un site où s'accumulent depuis 2001, en un immense bric-à-brac, les différents projets de l'artiste. On y déniche un carnet de notes et des fictions hypermédiatiques, mais aussi des photographies, des dessins, des casse-têtes, de nombreux hommages à des écrivains marquants, ainsi que des commentaires sur l'actualité. On y explore à loisir une autre mémoire, plus personnelle celle-là, et qui se montre volontairement déstructurée, les efforts déployés par son auteur étant tout entiers dirigés vers une expérience de navigation sans cesse plus déroutante. L'internaute est invité à se perdre parmi les milliers de fichiers qui se trouvent sur le site — en 2004, le site en contenait déjà plus de 24 000! Faire l'expérience du Désordre, c'est aborder le Web comme un flâneur davantage intéressé par le processus qui mène à la découverte qu'au résultat lui-même.

Il est aussi intéressant de noter les nombreuses références à George Perec, dont on connait la fascination pour les classifications saugrenues. Par sa démesure et sa tentative de saisir le réel dans sa totalité, de même que par son goût pour le jeu, De Jonckheere est en quelque sorte l'héritier Web du grand écrivain français: «Mon problème, avec les classements, écrivait Perec,  c'est qu'ils ne durent pas; à peine ai-je fini de mettre de l'ordre que cet ordre est déjà caduc.» En affichant aléatoirement les diverses parties de son site, De Jonckheere contourne habilement le problème de la classification en les soumettant aux délices du hasard, pour le plus grand plaisir des internautes.

Simon Brousseau
Performance numérique texte/musique/image de Dominique Pifarély, François Bon, Michele Rabbia et Philippe de Jonckheere.