Hochelaga Imaginaire - Rue Saint-Germain http://hochelagaimaginaire.ca/taxonomie-rue/rue-saint-germain fr Ex memoria http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/ex-memoria <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/brunet-b%C3%A9langer-marie-%C3%A8ve">Brunet-Bélanger, Marie-Ève</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p align="right">(Crédits photo: Benoit Bordeleau)</p> <p align="right"> </p> <p align="right"><em>How happy is the </em><br /><em>blameless Vestal's lot! The world<br />forgetting, by the world forgot: </em><br /><em>Eternal  sunshine of the spotless mind!<br />Each</em><em> prayer accepted, and each wish resign'd</em></p> <p style="text-align: right;">- Alexander Pope</p> <p align="center" style="margin-left:36.0pt;"> </p> <p style="text-align: right;"><em>Blessed are the forgetful, for they get the better even of their blunders.</em></p> <p style="text-align: right;">- Nietzsche</p> <p align="right"> </p> <p style="text-align: justify;">Début d’automne qui se vit comme une fin; le ciel semble sur le point de se déverser. Le sol lui répond: miroir grisâtre. Le vent siffle, le son est étouffé par le lainage. À chaque coup de pédale, je m’approche de la ligne qui départage les quartiers. Je ne peux m’empêcher de me demander si l’environnement me signifiera que je suis de l’autre côté de Sherbrooke. Je n’y ai jamais porté attention. St-Germain et Rachel : le feu tourne au vert alors que je vire vers le sud. Dès que je franchis Sherbrooke, je prends de la vitesse; je suis entrainée de plus en plus vite. Les images se superposent : immeubles dangereusement inclinés, deux regards qui ne se reconnaissent plus, voitures immobiles, deux corps, bras ballants, nids de poule qui ponctuent la rue, coffret rouge qui creuse un fossé. Un accord plaqué sur les cordes de ma mémoire : une mélodie trop souvent jouée, des promesses abandonnées remplissant les fosses.</p> <p style="text-align: justify;">Je freine, Hochelaga se déploie devant moi. Le métro est sur ma droite, mais il ne s’imprime pas sur ma rétine. À sa place, il y a un étranger, je le dévisage, j’essaie de comprendre. La distance bien connue réactualisée à chaque fois. Une tranchée qui s’enfonce à chaque parole. L’envie de me boucher les oreilles et de fuir. Mes yeux se posent sur le boitier bleu; j’ai envie d’en oublier le contenu. Il n’y a plus de signifié; il s’est perdu dans les mensonges. Ce ne sont pas les voitures que j’entends, c’est l’écho de trois moments distincts. Ils se rejoignent et se répondent. Le présent vibre au son de deux passés communs, plus ou moins éloignés. <em>Les dendrites, la porte d’entrée du neurone, conduisent des courants électriques (ioniques) générés au niveau synaptique préférentiellement vers le </em><a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ricaryon" title="Péricaryon"><em>soma</em></a><em>. </em>J’ai envie de remonter la pente et de fermer la porte. Je tourne mon guidon vers la droite, je franchis la barrière invisible pour me diriger vers le métro.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">J’ai de la difficulté à trouver la bonne personne. À certains moments, <em>on </em>s’écrit sans difficulté en impliquant d'emblée la multitude. <em>On</em>, c’est deux personnes qui marchent ensemble, qui découvrent un nouveau quartier, une nouvelle façon de vivre et qui s’apprivoisent à travers les rues. <em>On</em> permet de revivre la liberté nouvellement acquise; le début de la <em>vraie</em> vie adulte. Surtout, <em>on</em> autorise la dissociation des souvenirs et des stimuli. <em>On </em>exclut la personne qui parle. Pourtant, sous cette dépersonnalisation, le <em>je</em> trouve sa place. <em>Je</em> sens l’odeur particulière du houblon; <em>je </em>vois les chemins qui se superposent, l’un dans le présent, l’autre dans le passé; <em>je </em>me rappelle. Il y a aussi le désir de raconter quelqu’un d’autre : de parler d’<em>elle</em>. <em>Elle</em> n’est pas réelle, ce n’est qu’une invention de l’esprit : une fiction. <em>Elle</em> flotte hors de la mémoire. <em>Elle</em> n’a pas de visage, pas de corps. <em>Elle</em> est née dans le quartier, son enfance s’est déroulée près de la rue Dézéry – Déziry, Désiré : désir d’inventer. Ou encore, <em>elle</em> a grandi en banlieue et a choisi de s’installer dans Hochelaga parce que son budget le lui permettait. <em>Elle</em> y a vécu avec des amies aussi novices qu’<em>elle</em> au coin de Darling – les trois darlings – et de Ste-Catherine. La mémoire rattrape la fiction; l’odeur, la pataugeoire désertée, le chemin sinueux jusqu’à la rue Dézéry activent les transmissions nerveuses. Sur le chemin d’asphalte se calque celui de la transmission synaptique. <em>Je </em>s’impose derrière <em>elle </em>: c’est la route qui mène au souvenir.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">La première chose que je remarque, c’est l’odeur grasse du PFK qui ne quitte jamais les lieux. Odeur distincte, tous les <em>fastfoods</em> n’ont pas la même odeur. Je ne suis jamais allée manger dans ce restaurant. Depuis la sortie du burger dont les pains sont remplacés par deux morceaux de poulet frits, mon dédain a encore augmenté. Je me rapproche de la pataugeoire. Dans tous mes souvenirs, elle est vide. Je contemple la même pierre effritée, les mêmes clôtures où la rouille s’accumule, le même fond de béton beige écaillé. Le drain n’est qu’une bouche qui attend l’averse. L’arrière-plan aussi n’a pas bougé : le chalet de brique beige et jaune et la porte verte qui détonne résonnent dans le vide. Ce n’est pas l’endroit qui a changé, c’est moi. De mon poste d’observation, j’entends le roulis incessant des <em>skateboards </em>sur l’asphalte. Ici, le bruit est moins fort, plus subtil; les murs l’étouffent. J’ai l’impression que le crissement du gravier sous les roues ne s’est jamais arrêté. Il rythme le pas des marcheurs : monte à droite, descend à gauche, claquement sec sur le sol et ça recommence. Les passants suivent cette cadence; c’est le cœur du parc. Il peut respirer : roulement sur le côté gauche de la bande, c’est le sang qui entre par les veines pulmonaires. Retour vers le milieu de la piste, c’est le sang qui se déverse de l’oreillette vers le ventricule. Il passe par l’aorte pour retourner irriguer les muscles. Du côté droit de la bande, le sang entre par les veines caves; il coule de l’oreillette vers le ventricule pour ressortir par l’artère pulmonaire; il collecte l’oxygène. Je ne sens plus le PFK, j’entends de moins en moins ce qui se passe au <em>skatepark</em>. Le cerveau a une merveilleuse propriété qui empêche de devenir fou : l’habituation. Un stimulus trop souvent répété finit par disparaître de la conscience, il n’est plus enregistré parce que l’organisme est saturé. À rester assise, je m’habitue au lieu, je commence à en faire partie, c’est signe que je dois changer de place. Je me force à me lever, j’ai la tête lourde, les jambes molles, je suis entre deux – entre trois – ailleurs. On s’habitue à tout; c’est une question d’équilibre, d’homéostasie, de neurotransmetteurs.</p> <p style="text-align: justify;">J’avance sur le chemin fissuré; de l’herbe s’échappe des crevasses. L’opposition me frappe : le gris contre le vert. J’ai l’impression que tout est éphémère. Le parc Raymond-Préfontaine : à mesure que je m’éloigne des <em>skaters</em>, j’ai de la difficulté à croire qu’il s’agit d’un parc. C’est un lieu de passage obligé pour se rendre au métro. <em>Pour transférer l’information d’un point à l’autre de l’axone, il est nécessaire que le potentiel d’action s’y propage et dépolarise sa membrane. </em>C’est un corps divisé en deux par une large cicatrice fatiguée. Du moins, pour les quelques sections que je parcoure aujourd’hui. Les passants qui le matin se rendent au travail ou à l’école ne remarquent rien. Ils marchent d’un pas pressé en regardant droit devant eux, sans que le décor ne s’imprime sur leur rétine. Le soir, c’est la même chose. Le pas peut être plus las; les muscles sont imprégnés des fatigues de la journée. Ils avancent, aveugles. Combien de fois ai-je emprunté ce chemin sans jamais y porter attention? J’étais emportée du début à la fin, chaque pas m’entrainait vers le suivant. Je ne pourrais même pas le décrire de mémoire. Ce n’était qu’une étape nécessaire dans ma journée. Comme les inconnus que je croise, je participais de loin à cet univers, ne cherchant pas à y entrer. Aujourd’hui encore, je suis étrangère, passante essayant d’attraper des bribes de vies anonymes, ne réussissant qu’à entrevoir la mienne.</p> <p style="text-align: justify;">Aujourd'hui, les modules pour enfants sont vides, abandonnés. Le bleu et le rouge des structures attirent mon attention. Dans l’air gris, ils ont l’air essoufflé : un cœur qui n’est plus capable d’oxygéner le sang vicié. L’air manque, les poumons se remplissent de monoxyde de carbone, la fin est proche. Je souris devant les canards en plastique, les mêmes que dans mon enfance. C’était dans un autre parc, dans une autre ville, mais il y a des images qui ne s’oublient pas. La beauté d’un parc réside dans le mélange des gens qui s’y rassemblent. Les frontières s’abaissent, la soudaine proximité pousse les gens à s’ouvrir aux autres, surtout chez les plus jeunes. Deux enfants d’environ six ans, manteau sur le dos, essaient de conquérir l’espace, sans y parvenir. La solitude du lieu les a contaminés, ils sont silencieux. C’est étrange. Habituellement, à cet âge courent, ils sautent et hurlent. Leurs éclats de rire devraient emplir le parc, envahir chaque espace de tranquillité et faire grincer des dents les gens qui sont venus lire en paix. Je les regarde à la dérobée, l’un souffle des bulles de savon; elles sont emportées par le vent. Son regard, comme le mien, les suit. Elles vont lui échapper. Pour le garçon, ce n’est pas un problème, il en souffle des nouvelles. Je suis essoufflée à l’idée de devoir faire plus de bulles, mon cœur n’est plus assez solide. J’aimerais tendre la main et essayer d'en attraper une sans la faire éclater et l’enfermer dans un nouveau coffret.</p> <p style="text-align: justify;">Le deuxième enfant ne cherche pas à interagir avec le premier; il reste dans son coin et ne porte même pas intérêt aux bulles. Ce sont deux étrangers. Deux enfants qui agissent déjà en adulte : ils ne font pas de bruit et ne se parlent pas. Les gouffres ont déjà commencé à se forer. Une femme, environ le même âge que moi, ses cheveux blonds en queue de cheval, a transformé ce lieu en salle d’exercice. Elle utilise les barreaux où, petite fille, j’avais l’habitude de jouer ou de me percher, pour faire des <em>chin up</em>. Je les compte avec elle, par habitude: 12-13-14-15. Elle retombe au sol et court autour des installations. Après quelques tours, elle revient vers le module et commence une nouvelle série : 1-2-3… Ma respiration s’harmonise à ses mouvements : flexion des biceps, j’expire, extension, j’inspire. Elle reprend sa course et je la perds de vue. Les enfants sont toujours silencieux. Ils s’approchent du banc où discutent deux adultes. Ces derniers ne leur accordent pas d’attention. Les deux garçons restent tout près. Mon cœur se serre, j’aimerais faire des bulles avec eux.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Dans la ruelle, le réseau d’escaliers en colimaçons m’évoque une carte postale de Montréal. C’est un décor propre à la métropole. Lorsque je suis arrivée dans Hochelaga, j’ai été à la fois soulagée et déçue de ne pas avoir ces escaliers sur mon immeuble. Soulagée puisque je ne risquais pas de me casser une jambe une journée de tempête et déçue parce que je me sentais encore banlieusarde, loin des risques urbains, de l’imaginaire montréalais : escaliers-escargots et triplex aux briques rouges. En ce mardi après-midi, la ruelle est vide. Pourtant, j’entends des voix qui s’échappent des maisons. Elles sont cachées par la végétation dense, elles paraissent lointaines; je n’arrive pas à savoir s’il s’agit de la télévision, de la radio ou des murmures de chair et d’os. Ce sont des bruits indistincts.</p> <p style="text-align: justify;">Le grincement des cordes à linge, lui, est reconnaissable. Au fond de la ruelle, droit devant moi, l’Église de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge me nargue. Fièrement, elle brandit à sa gauche son clocher surmonté d’une croix. Elle se moque bien des cordes à linge et des arbres qui bariolent sa devanture; elle crève le paysage : pierre grise et cuivre oxydé sur un ciel bleu sans nuages. <em>Les terminaisons axonales ou les boutons terminaux sont le site où l’axone entre en contact avec d’autres neurones (ou d’autres cellules) et leur transmet l’information. </em>Une autre superposition : je m’avance jusqu’au seuil de la porte et tire sur la poignée pour m'apercevoir que Dieu aussi prend des journées de congé. Nous nous étions dit que nous y retournerions, que nous verrions les vitraux de l’intérieur. Puis le  temps  a passé et ce n’est jamais arrivé. Aujourd’hui, je n’ose pas retenter l’expérience. Je préfère passer du côté où le présent rattrape le passé sous la forme d’une affichette blanche parsemée de papillons roses : <em>Répit-Providence</em>. Il y a cinq ans, je ne l’ai jamais remarquée. Sur la rue Dézéry, l’odeur particulière du quartier s’affirme. À la fois sucrée et alcoolisée, elle me fait, comme autrefois, retrousser les narines. J’aurais envie d’enfouir mon visage dans mon foulard pour sentir mon parfum, mais avec la chaleur, je ne le porte pas. J’essaie de supporter les effluves de daiquiri qui a mal tourné, sachant que je vais m’habituer. La journée ressemble à une autre : nous étions deux et nous avions profité du soleil automnal et d’un reste de chaleur pour effectuer une reconnaissance du quartier. En passant la rue Adam, l’odeur nous avait frappés. C’était il y a longtemps. Plusieurs mois plus tard, il en avait découvert la provenance et me l’avait partagé dans un bar du village, autour d’une sangria fraîche.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Sur la rue Dézéry, je décide de tourner vers l’est et de suivre ce que je nomme une fausse ruelle. Fausse parce qu’il ne s’agit pas de l’arrière d’immeubles. Au contraire, il s’agit d’un espace aménagé exprès pour les marcheurs. Les voitures ne peuvent pas s’y aventurer, c’est trop étroit. Il s’agit d’un passage reliant les rues Dézéry, Saint-Germain, Winnipeg et Darling. Une artère bien droite, parsemée d’arbres et de bancs. Je m’assois sur le bout des fesses. Le bois gras est recouvert d’écriture au crayon-feutre. À rester immobile, je commence à avoir froid. Je me lève, réactivant ma circulation. Dans le parc Hochelaga, l’odeur a disparu ou alors je me suis désensibilisée. Au loin, j’entends le bruit des voitures qui circulent sur Ontario. Le parc, bien que bondé de gens, est plus tranquille : le bruissement des feuilles dans les arbres et le clapotis de l’eau dans la fontaine sont audibles. J’entends des éclats de voix, les rires, des jappements et le bruit des chaussures qui martèlent le sol. Mon regard se pose sur un coin de gazon un peu en retrait, près de la clôture qui longe la rue Darling. Je devais lire à l’extérieur – allongée dans l’herbe, le nez près du sol et le soleil qui me chauffait le dos – pour pouvoir sentir les effluves de terre chauffée, les relents d’humidité et le gazon fraîchement coupé. Toute cette nature se mélangeait aux pages, aux mots pour former la trame de l’interdit. Le Paradou. <em>Il n’y avait, sous le plafond bleu, que le parfum étouffant des fleurs. Et il semblait que ce parfum ne fût autre que l’odeur d’amour ancien dont l’alcôve était</em><em> toujours restée tiède, une odeur grandie, centuplée, devenue si forte, qu’elle soufflait l’asphyxie.</em> Un autre jour, le bruit des cloches enseveli par le moteur des voitures filant sur la promenade me rappelle l’histoire d’Albine et de Serge, écho de mon histoire.</p> <p style="text-align: justify;">Je contemple le temps, vieillie par tous les souvenirs qui ne cessent de remonter. Le parc a de multiples visages – ceux des passants. Près de moi, un homme âgé se repose sur un banc. Son regard flâne comme le mien. Plus loin, ce que j’imagine être une famille joue à la pétanque. Les âges se mélangent en une fresque multigénérationnelle. Je les entends rire. Encore plus loin, je devine l’espace réservé aux enfants. Les couleurs vives des modules attirent mon attention. Ils doivent être une dizaine à les parcourir. Leurs cris aigus se rendent jusqu’à moi. Au centre, sous le gazebo, un groupe d’adolescent discute. Ils ont la nonchalance propre à leur âge. Avant, j’amenais ma chatte avec moi pour qu’elle prenne l’air. Les gens étaient intrigués, ils venaient me parler, la flatter. Elle devenait nerveuse, il fallait rentrer. <em>La synapse représente une zone de jonction spécialisée, située à l’endroit où la terminaison d’un axone entre en contact avec un autre neurone ou un autre type de cellule. Il s’agit de l’espace dans lequel les neurotransmetteurs sont libérés.</em> Deux bancs sont occupés, non pas par des personnes, mais par des dessins au plomb et des lettres de couleurs. Le « O » jaune côtoie un « T » bleu. Ils auraient davantage leur place dans une salle de classe. À leur gauche, une bouche grise sourit timidement, à moins que ce ne soit la courbure normale qui donne cette impression. La lèvre supérieure me semble découpée au couteau; elle est carrée, presque plate. La lèvre inférieure, au contraire, est arrondie. Je détourne le regard. À l’intersection d’Adam et de Darling, j’ai envie de fuir hors de ma mémoire. J’avance.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">La façade se ressemble, la brique est restée rouge, mais elle semble plus lisse, moins usée. Une image de seringues remplies de Botox me traverse l’esprit. La porte a été changée; une large fenêtre encadrée de noir remplace celle blanc sale, qui ne se refermait jamais complètement. Derrière, l’escalier construit dans une matière grise, synthétique, artificielle. Dans la vitre, je vois mon reflet. Je me demande si moi aussi j’ai l’air refaite ou si j’ai l’air vieille alors que la bâtisse a droit à un deuxième souffle. Je me demande qui me reconnaîtrait, après tout, je ne suis marquée d’aucun numéro civique.</p> <p style="text-align: justify;">1435. Le numéro civique est inscrit sur une belle plaque de métal noir. Il s’harmonise avec la porte. Les chiffres aussi sont noirs. Pour les faire ressortir, ils sont entourés de petits carrés blancs. Le contraste moderne et épuré. Rajeunir la bâtisse avec une nouvelle brique, d’un rouge plus soutenu, avec le blanc éclatant et le noir charbonneux. Tout est propre. Même la fenêtre. Elle reflète à la perfection les voitures qui sont stationnées le long de la rue: une de ces voitures plus imposantes de marque Nissan. Le modèle pour les gens qui aiment la ville et ces rues asphaltées, mais aussi la campagne avec ses chemins boueux. J’ai envie de tourner la poignée, de gravir les marches et d’ouvrir la porte pour voir ce qui a changé. L’espace d’un instant, je reverrais les murs terracotta et la toilette qui fait face à l’entrée. Ma main reste en l’air. En reculant de quelques pas, je vois les trois fenêtres qui percent le mur. Dans celle de droite, il n’y a plus de rideaux orange. Il n’y a probablement plus rien. Les arbres font de l’ombre sur la devanture, en étendant le bras, il me serait possible de toucher leurs feuilles.</p> <p style="text-align: justify;">La cour fait écho au-devant : beaucoup de choses ont changé. La galerie miteuse avec sa peinture gris-bleu écaillée n’existe plus. À la place, un élégant garde-corps en fer noir a été érigé. Le plancher aussi a dû être changé. Un cabanon est en train de se faire construire. Il est encore en contre-plaqué, signe que le travail est loin d’être achevé. <em>La dépolarisation de la membrane provoque l’ouverture des canaux calciques. Les ions Ca<sup>2+</sup> vont pénétrer dans la terminaison axonique, augmentant la concentration interne du calcium: signal pour que les vésicules synaptiques libèrent le neurotransmetteur. </em>Les anciens occupants ont dû partir. J’imagine mal l’ancien voisin accueillir ses prostituées et leurs clients dans ce nouvel environnement. La famille dysfonctionnelle qui brisait sa vaisselle hors des heures de repas ne trouve pas plus sa place dans ce nouveau décor. J’ai l’impression qu’on a essayé de se débarrasser de la « racaille ». Seul l’appartement du bas est resté identique : il est vide. J’ai le souvenir d’une nuit passée sur le trottoir, ma chatte enfermée dans une cage prêtée par une voisine à qui je n’avais jamais parlé.  En pleine nuit, on m’avait réveillée; il y avait le feu à côté. Le bruit des sirènes, la lumière des gyrophares et la fatigue se mélangeaient à une pointe de découragement. Les pompiers avaient défoncé la porte du premier pour constater qu’il était vide. Dès le lendemain, la rumeur d’un incendie criminel avait circulé : l’argent des assurances. Je secoue la tête; le soleil contraste avec la nuit. À la place de la vieille <em>Accent</em>, une <em>Mini Cooper</em>, tout ce qu’il y a de plus neuf, est stationnée. Elle s’harmonise avec le nouvel immeuble.</p> <p style="text-align: justify;">Pourtant, en face, l’ancien existe encore. Les bâtiments carrés sont délavés. Le béton devenu gris pâle suite aux hivers enneigés et aux étés ensoleillés côtoie la brique effritée : blanches, grises, noires, jaunâtres, brunâtres, l’impression d’une courtepointe tressée serrée. Les mêmes vieilles portes de garage couvertes de tags narguent la nouvelle brique uniforme. Celle qu’on voyait le mieux de la cuisine est multicolore. Les nombreux dessins qui ont été tracés se sont superposés. Les plus anciens sont effacés, mais on voit encore la couleur utilisée. Du vert et du bleu qui aujourd’hui forment un enchevêtrement turquoise, des cercles rouges, une touche d’orange. Et sur le dessus, des lèvres grossièrement formées, au contour rouge. L’intérieur n’est pas rempli. Ce <em>pattern</em> se répète à plusieurs endroits, entre autres, sur la clôture en bois qui ne sert à rien. Elle est déposée sur celle en grillage. La polyphonie des voix urbaines qui s’entrelacent crie son message : <em>I was here!</em></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Je remonte Darling vers Ontario. À l’intersection, la caisse Desjardins, où de multiples chèques de paie ont été déposés, n’existe plus; le local est à vendre ou à louer. En face, <em>l’Idée-Fixe</em> est identique. On y vend toujours des jeux vidéo ou de la pornographie. Le néon <em>XXX</em> est allumé, comme dans mes souvenirs. Il faut bien que certains repères restent. Je continue à marcher sur Ontario vers l’est. Je reconnais certaines boutiques; d’autres ont été remplacées. Le visage de la rue a changé, tout en restant le même. Les vitrines sont <em>cheaps </em>: la lingerie bas de gamme côtoie les fourre-tout – de l’électronique, de la vaisselle et des jouets pour enfants. La <em>Lunetterie Milot</em> est le reflet de la chic Masson avec ses boutiques de vêtements québécois pour tout âge et ses restaurants aux saveurs d’ailleurs. Devant les avions de papier – cliché de la rentrée –, le présent rattrape de nouveau le passé. Plus j’approche de la Place Simon-Valois, plus la promenade prend les airs de sa jumelle. Les devantures se sont refait une beauté. Je m’arrête devant <em>Fruits du jour</em>. Du côté sud de la rue, je constate la transformation : l’étalage vert et l’auvent rayé ont disparu. L’intérieur aussi semble remis à neuf; il est plus aéré. J’entends l’accent italien, mais je ne reconnais aucun visage. <em>Les neurotransmetteurs agissent sur le neurone postsynaptique en se fixant à des milliers de récepteurs. La fixation du neurotransmetteur agit comme une clé dans une serrure. Il permet la transmission du message chimique. </em>Et moi?</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">J’escalade Bourbonnière : Rouen, Hochelaga, Pierre-de-Coubertin, Sherbrooke. Je quitte H.-M. et ses deux cents portes comme je l’ai fait il y a cinq ans. Le premier juillet au matin, nous avons rempli le camion de déménagement. L’appartement était déjà au trois quarts vide. J’ai jeté un dernier regard aux murs, à la rue et au building. Je suis partie sans me retourner.</p> <p style="text-align: justify;">L’année et demie habitée à Verdun est floue. Une tentative d’oublier les déceptions, de trouver la bonne personne. Verdun s’oppose à Hochelaga : colocation difficile contre les trois darlings, secte religieuse les dimanches matin à l’opposé des condoms utilisés sur le parvis, propriétaire envahissant au rez-de-chaussée en contrepartie de celui impossible à rejoindre, sans adresse. L’été, mon refuge était le bord de l’eau. J’y allais inlassablement pour lire, pour étudier, pour travailler. L’hiver, j’endurais. Puis il a fallu partir en hâte. C’était en mars, il y avait de la neige et de la gadoue partout. Les pieds mouillés, on continuait à transporter les boîtes.</p> <p style="text-align: justify;">À NDG, je croyais avoir réussi à remplir les trous, à retrouver le chemin. Le coin était miteux, il n’y avait pas de prostitués ou de <em>dealer</em> comme dans la ruelle près de Darling, mais la pauvreté immigrante et anglophone transparaissait. Au début, ce n’était pas grave, il y avait une sorte de chaleur. Puis les murs sont devenus hostiles; ils rappelaient trop de souvenirs. Ils se teintaient de la couleur du mensonge. Plus le temps avançait, plus le passé se noircissait. Le boîtier bleu était bien caché, mais ça ne suffisait pas. L’impression d’étouffer.</p> <p style="text-align: justify;">Comme à Verdun : il fallait partir, il fallait tout recommencer et oublier. Faire en sorte que la mémoire ne puisse pas être réactivée. <em>Le neurotransmetteur doit être éliminé de l’espace synaptique pour rendre à nouveau possible la communication. La repolarisation de la membrane provoque la fermeture de canaux Ca<sup>2+</sup> qui sont le signal pour arrêter la libération du neurotransmetteur</em>. Dans le présent, je laisse <em>Hochelag</em> derrière moi; je me fuis : éliminer les nombreux <em>triggers</em>. Quartier après quartier, j’essaie de m’éviter : j’aimerais tuer ma mémoire et oublier. Rosemont, c’est le nouveau départ, loin des déceptions. C’est le travail, c’est l’impression d’être utile et de pouvoir changer les choses. C’est le mouvement. Je débarre la porte du 3875. Les murs ressemblent un peu à ceux de NDG, sans l’odeur de curry. Je pousse la porte du #5. L’odeur de pluie vivifiante se diffuse dans l’appartement, ça me ramène au présent : les nouvelles couleurs, les nouveaux meubles, les nouveaux effluves. Aseptiser l’environnement de tout déclencheur, de tous stimuli : retrouver le calme. <em>Permettre le retour à l’homéostasie</em>.</p> <p> </p> <p> </p> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-rachel" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Rachel</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-saint-germain" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Saint-Germain</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-sherbrooke" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Sherbrooke</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-sainte-catherine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Sainte-Catherine</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-d%C3%A9z%C3%A9ry" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Dézéry</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-darling" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Darling</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/parc-raymond-pr%C3%A9fontaine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Parc Raymond-Préfontaine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/%C3%A9glise-nativit%C3%A9-de-la-sainte-vierge-dhochelaga" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Église Nativité-de-la-Sainte-Vierge-d&#039;Hochelaga</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-adam" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Adam</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/ruelle-winnipeg" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelle Winnipeg</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/avenue-bourbonni%C3%A8re" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Avenue Bourbonnière</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-de-rouen" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue de Rouen</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-ontario" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Ontario</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/avenue-pierre-de-coubertin" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Avenue Pierre-de-Coubertin</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-generaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Mots-clés:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/paysage" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Paysage</a></div><div class="field-item odd"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/urbanisme" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Urbanisme</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/marche-et-fl%C3%A2nerie" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Marche et flânerie</a></div><div class="field-item odd"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/v%C3%A9lo" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Vélo</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/jour" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Jour</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/parcs-et-squares" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Parcs et squares</a></div><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/ruelles" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelles</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/rues" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rues</a></div></div></div> Mon, 09 Mar 2015 15:00:49 +0000 Marie-Ève Brunet-Bélanger 156 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/ex-memoria#comments Effluves http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/effluves <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/marcil-bergeron-myriam">Marcil-Bergeron, Myriam</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p style="text-align: justify;">De bon matin soufflaient des bourrasques de levure sur la rue de Rouen. Sans la voir, je devinais la boulangerie Au pain doré, cachée de l’autre côté du parc Préfontaine et de la rue Moreau.</p> <p style="text-align: justify;">*</p> <p style="text-align: justify;">En sortant de l’édicule sud de la station Préfontaine, je suis happée par une odeur caramélisée, du sucre en train de bouillir, de coller au fond d’une casserole. Des brioches à la cannelle en train de dorer? Ces effluves sucrées ont de quoi surprendre, car entre 17h et 19h, c’est souvent la friture du Poulet frit Kentucky ou de la rôtisserie Au Coq qui domine. Le lendemain, des cartons graisseux et éventrés débordent des deux poubelles plantées sur le bord de l’allée, non loin de l’édicule. Les mouettes guettent les restes, tout près de la poignée de graines que quelqu’un dépose presque chaque jour pour les pigeons.</p> <p style="text-align: justify;">Je m’habitue à l’odeur sucrée, le choc s’estompe peu à peu. Les pas s’enchaînent l’un derrière l’autre, légers. La lueur des lampadaires se blottit confortablement sur la neige du parc, comme dans un tas de plumes. Tout semble sommeiller, même s’il est encore tôt pour croire à la nuit. Malgré tout elle s’approche, s’étend tranquillement sur le quartier. Dans le terrain de baseball, un homme lance un bâton à son chien qui s’élance, presque au ralenti. Je pense à ce conte de Karen Blixen où, après le festin de Babette, tout le village de Berlewaag retrouve une légèreté qu’il avait depuis longtemps oubliée.</p> <p style="text-align: justify;">*</p> <p style="text-align: justify;">Un ciel aussi floconneux mériterait quelques photos. Je me rappelle qu’il y a bien longtemps que l’appareil est resté dans un tiroir, quelque part dans mon bureau. Je traverse Dézéry et m’engage dans la ruelle Winnipeg. Les nuages s’émiettent et se déposent sur les toits. Je marche dans une ornière et après quelques pas, une moitié de conversation grandit derrière moi, un homme dialogue avec son cellulaire. Après avoir traversé Saint-Germain, il s’éloigne vers le nord. Du coin de l’œil, je remarque les enseignes du restaurant Tex-Mex, dont les néons semblent grésiller à travers tout le blanc. Dans ce tronçon de la ruelle Winnipeg, il n’y a plus d’ornière, toute la largeur asphaltée a été aplanie par une déneigeuse. Quelques-unes des fenêtres de l’immeuble à logements sur ma droite projettent un peu de jaune ou de bleu à travers les rideaux de cuisine, mettent en évidence une énigme que je n’ai pas résolue: la paire de bottes déposées au pied du poteau téléphonique a disparu. L’une avait été mise là durant l’été, puis l’autre l’avait rejointe au début de l’automne. Elles étaient restées au garde-à-vous jusqu’à tout récemment. Enfin, je crois. Je traverse Darling et oblique à travers le stationnement du garage Autopro.</p> <p style="text-align: justify;">Je tâtonne dans l’obscurité pour trouver l’appareil-photo. Malgré les miettes de nuages qui tombent sur le plancher, je me dirige vers la porte du balcon, histoire de croquer un peu de cette neige. Mais j’ai beau appuyer sur le <em>on</em> de l’appareil, rien à faire: le séjour dans le tiroir a épuisé la batterie.</p> <p style="text-align: justify;">J’allume la lampe, et, installée près du <a href="https://bbordeleau.wordpress.com/2014/08/18/le-balcon/">balcon, lieu de toutes les indiscrétions du quartier</a>, je fouille dans des notes prises cet automne.</p> <p style="text-align: justify;">«Au coin de Darling, je remarque que je n’ai encore jamais emprunté la ruelle Winnipeg en direction ouest. (Benoit aurait sans doute une explication là-dessus!) Jusqu’à maintenant, elle a toujours été synonyme, du moins le tronçon entre Dézéry et Darling, de raccourci vers la maison, au retour du boulot. Pour la première fois, je me rends vers le parc en passant par la ruelle. La masse de l’aréna Francis-Bouillon saute aux yeux, bloque tout horizon. Le regard doit grimper le long des escaliers à colimaçon, un peu plus haut, s’accrocher aux cordes à linge, à leurs voiles toutes déployées.»</p> <p style="text-align: justify;">Une sirène de camion de pompiers perce le silence ouaté, un vrombissement fait trembler la rue, avant de s’estomper presque aussitôt. De l’autre côté de la vitre, le vent charrie les nuages de poudrerie.</p> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/parc-raymond-pr%C3%A9fontaine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Parc Raymond-Préfontaine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-moreau" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Moreau</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/station-pr%C3%A9fontaine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Station Préfontaine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-d%C3%A9z%C3%A9ry" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Dézéry</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/ruelle-winnipeg" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelle Winnipeg</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-darling" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Darling</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-saint-germain" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Saint-Germain</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/marche-et-fl%C3%A2nerie" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Marche et flânerie</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/parcs-et-squares" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Parcs et squares</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/ruelles" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelles</a></div></div></div> Sat, 28 Feb 2015 16:16:48 +0000 Myriam Marcil-Bergeron 150 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/effluves#comments Hochelaga imaginaire http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/hochelaga-imaginaire <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><div style="text-align: right"> </div> <div style="text-align: right">Tout le monde finit toujours par revenir chez Tim Hortons.</div> <div style="text-align: right">Marjolaine  Deneault</div> <div style="text-align: right"> </div> <div> <div> <div>Je ne connais pas Hochelaga. </div> <div>Je ne connais rien d’Hochelaga. </div> <div>Je n’y ai jamais habité. </div> <div> </div> <div>J’y ai visité des amis. </div> <div>J’y ai mangé une poutine. </div> <div>Un club sandwich.</div> <div>Une pizza.</div> <div>Un cheeze burger.</div> <div>J’ai bu des bières au Atomic café.</div> </div> <div>Mangé des brownies chez Sandrine.</div> <div>Mais je n’ai pas mis les pieds dans son Tim Hortons. Quand je suis au Québec, j’évite le plus possible les Tim Hortons, ça n'a rien à voir avec de l’anti-canadianisme, c’est de l’anti-fastfood, pis une histoire de famille.</div> <div>Je n’y mets les pieds que sur la route, au moment de prendre de l’essence ou de m’arrêter pour une pause pipi. J’entre chez Tim Hortons, quand j’ai le choix entre McDonalds, Burger King, Poulet Frit Kentucky, Ming et Tim. Je prends un torsadé au miel avec un petit café bouillant, et je retourne docilement derrière le volant.</div> <div> <div>Mais à Hochelaga ou ailleurs à Montréal, non. Pas envie. Pas besoin. Je trouve les Tim Hortons déprimants, avec leurs tables en Formica et leur céramique de plancher de couleur crème anglaise. Pis l’odeur. L’odeur fade d’huile bon marché surchauffée et légèrement rance. L’odeur de la vieillesse et de l’attente. De ces attentes qui commencent quand on a oublié ce qui était absent. Une attente oubli, une attente désœuvrement, une attente Formica, faite de napkins tachées de gras et de crème au chocolat, d’assiettes en carton et de tasses en styrofoam aux rebords brisés.</div> <div> </div> <div> </div> <div style="text-align: center;">*</div> <div style="text-align: center;"> </div> <div> <div> <div> <div>Je ne connais pas Hochelaga. </div> <div>Je ne connais rien d’Hochelaga. </div> </div> <div>Je n’y ai jamais habité. </div> </div> <div> </div> <div>Mais, j’ai souvent attendu la 67 au métro Joliette, juste à côté du dépanneur. J’ai fait la queue comme tout le monde, attentif aux conversations, aux menus signes d’irritation. Les jeunes qui reviennent de l’école. Les femmes qui sortent des bureaux. Les hommes en bottes de travail. Pis moi, mon sac à dos entre les jambes, mes écouteurs aux oreilles, mes mains dans mes poches. J’ai toujours froid quand j’attends la 67 sur Hochelaga. Le vent arrive de l’ouest. J’enfonce mon chapeau, je serre les coudes, tout en grelottant.</div> <div> <div> </div> <div>Je suis descendu par erreur à Préfontaine. Et je me suis trompé de direction pour rejoindre la 67, marchant vers Frontenac plutôt que Joliette. Irrité par ma propre incurie. </div> </div> <div> </div> <div>J’ai marché sur Darling, sur Cuvillier, sur St-Germain, sur Aylwin, Adam et d’Orléans, avec Benoit, Marjolaine, Virginie, David et les autres. </div> <div> </div> <div>J’ai marché sur Hochelaga jusqu’à rejoindre la rue Bercy où habite un couple d’amis. Ils ont une cour arrière, un sous-sol, des murs recouverts de bois. Des polonais vivent dans la maison d'à côté, ou est-ce des ukrainiens? Je ne sais plus. Mais leur demeure est étrangement barricadée. Comme si la guerre n’avait jamais fini. Des caisses de bois dans la cour arrière, des vitres recouvertes de carton, des chaises pliantes aux coussins déchirés, des cages d’oiseaux abandonnées, et des chats, des chats, un peloton de chats miaulant et violents qui se battent jusque tard dans la nuit. </div> <div> <hr style="display:none;-evernote-encp-section-break:true;" /><p> </p> <p style="text-align: center;">*</p> <div> <div> <div>Je ne connais pas Hochelaga. </div> <div>Je ne connais rien d’Hochelaga. </div> </div> <div>Je n’y ai jamais habité. </div> <div> </div> </div> <div>Je viens de l’ouest de la ville, au nord de Côte-des-neiges en fait, du côté des Anglais et des nouveaux riches. </div> <div>J’ai bummé sur les tracks, celles au sud de Jean-Talon. J’ai acheté des pétards à mèche chez Beaucage. C’était étrange chez Beaucage, comme un magasin général en plein cœur de Montréal. Relents de <i>Mon oncle Antoine</i>. Des étagères de bébelles, des jeux pour enfants, des carabines, des appeaux, d'autres articles de chasse, des produits nettoyants, des feux d’artifices. Entrer dans le magasin, c’était reculer de trente ans. Le plancher de bois non vernis craquait. Les deux vieux derrière le comptoir fumaient leur cigare en servant les clients. Le bruit de la caisse enregistreuse résonnait dans tout le magasin.  </div> <div> <hr style="display:none;-evernote-encp-section-break:true;" /></div> <div>J’y étais entré la première fois avec mon père qui cherchait un tournevis à tête carrée. Il fumait des Rothmans King Size qu’il achetait en cartoon. Des paquets bleus et blancs, très chics. Très anglais. Très nous-sommes-arrivés-on-ne-peut-rien-nous-enlever-et-nous-adhérons-aux-valeurs-en-place.  </div> <div>Des Rothmans achetées chez Beaucage. Des cigarettes sèches et goudronnées.</div> <div>J’ai fumé ma première Rothmans au sous-sol, à côté du soupirail, envahi peu à peu d'une nausée verdâtre. J’en avais volé trois dans un paquet qui trainait sur la table à café. Je les avais mises dans un autre paquet jeté aux ordures, avec une boîte d’allumettes en partie vidée. </div> <div>J’ai fumé les deux autres avec Thibault sur les tracks derrière chez lui, le dos contre le mur de briques d'une usine désaffectée. </div> <div>J’ai fumé des Rothmans, pis après des Export A, des Players, des du Maurier, des Gitanes, et je me suis roulé des cigarettes avec du tabac Drum. Juste à écrire le nom, l’odeur du Drum me revient à l’esprit.</div> <div> </div> <div> </div> <div style="text-align: center;">*</div> <div> </div> <div> <div> <div>Je ne connais pas Hochelaga. </div> <div> <div>Je ne connais rien d’Hochelaga. </div> </div> <div>Je n’y ai jamais habité. </div> </div> <div> </div> <div>Mon père a longtemps trainé dans un Tim Hortons. Il était un de ces vieux qu’on y rencontre le matin après neuf heures, devant une tasse de café et une assiette vide. Quand il n’était pas chez Tim, il était au McDo. Il n’avait pas d’amis, mais des connaissances. Et ils lisaient ensemble le <i>Journal de Montréal</i>, commentaient l’actualité, se grattaient la tête, laissaient les heures s’écouler. Quand la faune du midi arrivait, il s’éclipsait, retournait dans son un et demi écouter les lignes ouvertes sur la bande AM. Tout le monde outré. Tout le monde tout le temps. </div> <div> <div>Quand je le cherchais, j’entrais dans le Tim, faisais le tour des tables, attendais quelques instants, puis repartais. Je passais ensuite au McDo, puis regardais sur les bancs publics avant de retourner à la maison. </div> <div>Ça me faisait rien de ne pas le voir, ce que j’aimais, c’était la possibilité de la rencontre: passer, saluer, repartir.  Pas de vraie conversation, juste une tape sur l’épaule, deux ou trois mots insignifiants, un sourire. On n’avait plus rien à se dire après tout ce qui s’était passé. Mais ça faisait du bien de juste vérifier qu’il était toujours en vie. </div> <hr style="display:none;-evernote-encp-section-break:true;" /><div> </div> <div>Mes déambulations dans Hochelaga me remettent dans cet état d’esprit.</div> </div> <div>C’est pas que je m’attends à le retrouver au coin d’une rue ou sur un banc – il est mort depuis longtemps et je ne l’ai jamais vu en spectre –, mais mes sorties dans les rues du quartier me ramènent à cet état de disponibilité.</div> <div>Tout devient possible.</div> <div>Je marche au présent, mais mon esprit explore les strates du passé. Mes pas me conduisent dans un lieu que je suis seul à connaître et que j'explore comme s’il s’agissait d’un palais de mémoire, d’un palais ramené à la lumière par mes pas, un à un. </div> <div> <div> </div> <div>Je ne connais pas Hochelaga.  </div> <div>Mais le quartier maintenant m'habite. </div> </div> </div> </div> </div> </div> </div> <p> </p> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-ontario" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Ontario</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/chez-sandrine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Chez Sandrine</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/tim-hortons" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Tim Hortons</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/atomic-caf%C3%A9" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Atomic Café</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-hochelaga" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Hochelaga</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/station-joliette" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Station Joliette</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/station-pr%C3%A9fontaine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Station Préfontaine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-darling" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Darling</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-cuvillier" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Cuvillier</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-saint-germain" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Saint-Germain</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-aylwin" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Aylwin</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-adam" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Adam</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/avenue-dorl%C3%A9ans" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Avenue d&#039;Orléans</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-bercy" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Bercy</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-generaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Mots-clés:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/urbanisme" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Urbanisme</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/marche-et-fl%C3%A2nerie" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Marche et flânerie</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/jour" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Jour</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/trottoirs" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Trottoirs</a></div></div></div> Thu, 22 Jan 2015 21:42:01 +0000 Bertrand Gervais 126 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/hochelaga-imaginaire#comments La vie secrète des événements http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/la-vie-secr%C3%A8te-des-%C3%A9v%C3%A9nements <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><div><span style="font-size:14px;"><strong><span style="font-family: Verdana;">1- Une rue, la nuit </span></strong></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Nous marchions sur Sainte-Catherine, Vincent et moi, en route vers le Comptoir 21 qui sert les meilleurs <i>fish and chips</i> en ville, du moins de ce côté-ci de Saint-Laurent. Il faisait froid, très froid, sous les vingt degrés, avec un vent du nord-ouest, de ces vents d’hiver qu’il ne sert à rien de combattre. On s’emmitoufle, foulard noué autour du cou, tuque enfoncée jusqu’aux sourcils, et on marche les yeux baissés. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">On s’était donné rendez-vous par texto quelques minutes plus tôt: Lunches-tu? Je suis à l’uni, je mangerais bien un <i>fish and chips</i>. / Je suis en rendez-vous. / Allo? / Allo! / Tu viens manger? / Ok. Je descends te chercher dans 5 min. / On se retrouve à la sortie Sainte-Catherine et Berri. / Ok à 12h55, je passe au p’tit coin et je descends. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">On marchait vers Amherst. Je voulais le taquiner sur sa nouvelle voiture, dont il devait prendre possession dans une semaine. Attends, m’a-t-il dit, il faut que je te raconte! Hier soir, il devait être une heure moins quart, on dormait pas encore. On était au lit et on entend un bruit, plus qu’un bruit, une série de chocs. Puis, ça se met crier. Je me lève. Par la porte, je vois une voiture en plein milieu de la rue, mais de travers. À 90 degrés. Je mets mon manteau et je sors. Une femme crie, un homme s'extrait de la voiture et s’enfuit. Comme ça. Sa voiture bloque la rue et sa portière est ouverte. On est en pleine pente entre Sherbrooke et Hochelaga, la voiture peut pas rester là. Je m’approche. Le moteur tourne toujours et tout le devant, côté passager, est démoli. Je regarde autour, et merde!, c'est un <i>hit and run</i>. Il a dû frapper quatre ou cinq voitures stationnées. Il y en a une dont tout le côté est tordu. De la ferraille. Les autres sont guère mieux. Les policiers arrivent. Je finis par comprendre que le conducteur avait fait un accident sur Sherbrooke et pris la première rue pour s’enfuir. Comme il conduisait une auto volée, il ne pouvait pas rester sur les lieux, alors il a pris notre rue dans le sens contraire, puis il a perdu le contrôle de son véhicule qui a frappé des voitures stationnées. Je suis sorti au moment où il retrouvait ses esprits, la femme devait avoir vu la scène en rentrant à la maison, elle a tenté de l’interpeller, il s’est montré violent avant de prendre la fuite. Et le plus incroyable, c’est que ma voiture était juste là. Il a frappé celles qui étaient en avant et d’autres qui se trouvaient derrière, mais il n’a pas touché à la mienne. Ou à peine, une légère égratignure au pare-choc et c’est tout. Tu te rends compte, les chances? Rien. Les autres sont bonnes pour des réparations majeures et la mienne en est sortie miraculeusement indemne. Je viens juste de la vendre pour acheter la nouvelle. J’ai été vraiment chanceux. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><font face="Verdana">Le hasard, le chaos, les lois de la complexité. Je venais de relire pour mon cours au bac <em>Vente à la criée du Lot 49</em></font> <font face="Verdana">de Thomas Pynchon, et j’avais encore en tête l’étonnante scène qui se déroule dans le hall de l’hôtel où Œdipa, l’héroïne, descend vers la fin du roman. C’est une convention de sourds-muets. Rien que ça. Quand elle revient à l’hôtel après vingt-quatre heures d’errance dans la baie de San Francisco, une proto-déambulation géopoétique où les hasards n’ont cessé de se multiplier, les sourds-muets dansent dans la salle de banquet, les uns le charleston, les autres le rock &amp; roll, la bossa nova, une valse, sans jamais jamais se toucher. Ils n’entendent rien, dansent dans le désordre et, pourtant, ils réussissent à s’éviter. Un sourd-muet entraîne même Œdipa dans sa danse et elle assiste médusée au spectacle des corps qui virevoltent et se désarticulent sans se frapper. Sans jamais se frapper.</font></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><font face="Verdana">Ce que Vincent venait de me raconter était, de la même façon, un bel exemple de la vie secrète des événements. Quand on laisse aller le monde, au lieu de tenter de le contrôler, on assiste parfois à des spectacles inattendus, des micro-événements qui semblent montés à notre intention, des sourds-muets qui circulent comme des électrons, des voitures qui ressortent indemnes d’un accident, des portes qui se mettent à se répondre. C’est là où je voulais en venir. Les portes. Le jeu des portes qui se complètent au-delà de leur proximité. J’ai écouté Vincent me raconter son anecdote et je suis allé vivre la mienne. Rien d’important. Pas de tôle froissée ou de sang versé, un événement de rien du tout, à l’image de la vie elle-même.</font></span></div> <div style="text-align: center"> </div> <div><span style="font-size:14px;"><strong><span style="font-family: Verdana;">2- Les portes</span></strong></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">On a mangé notre <i>fish and chips</i> au comptoir. Les plats étaient servis dans des paniers en plastique recouverts d’un papier ciré à damier vert et blanc, comme dans mon enfance. On a vidé nos assiettes en discutant de tout et de rien. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Vincent devait partir, une réunion l’attendait, je suis resté quelques instants de plus, à boire mon café. Le resto était désert. La serveuse faisait sa caisse, le cuisinier nettoyait ses grilles. J’ai commandé une <i>cheesecake</i> framboise et chocolat. C’était lourd, mais réconfortant. J’ai sorti mon iPad et, comme je le fais souvent avant de partir en déambulation, je me suis mis à écrire, histoire de me rendre disponible, de m’ouvrir à l’espace et au musement. C’est une des étapes de ma préparation à une sortie, je médite sur mes projets d’écriture, sur mes propres modalités d’insertion dans un lieu que je ne connais guère. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">"Une étrange géographie imaginaire, ai-je écrit, se déploie au fur et à mesure que je flâne dans Hochelaga. Sous les rues du quartier, à la manière d’un palimpseste, se profilent les rues d'un autre quartier, Centre-Sud. Je n’y ai jamais habité, mais c'était le quartier de mon père, lorsqu'il était enfant et il a continué à le fréquenter parce son commerce s'y trouvait, commerce hérité de son propre père, Gervais Express Limité de père en fils. Sur leurs traces, j'ai sillonné les rues de Centre-Sud dans les années 70 quand je travaillais sur les camions de la compagnie au mois de mai. Les familles sur le BS avaient le droit de déménager une fois aux cinq ans aux frais de l’état, et les gens ne se gênaient pas pour le faire. On appelait ça: "changer le mal de place". Une famille pouvait, par exemple, partir d’un troisième étage miteux sur Parthenais pour aller dans un autre troisième étage tout aussi crasseux sur Alexandre-de-Sève. Troquer Wolfe pour Montcalm, Plessis pour Panet. Passer du nord d’Ontario au sud de Sainte-Catherine. Les familles moins chanceuses étaient évincées ou perdaient au jeu de la chaise musicale et devaient laisser leurs meubles et affaires sur le trottoir, entassés pêle-mêle. Dans les camions, on parcourait le quartier à ramasser des ménages et à les déposer quelques rues plus loin. Les électroménagers étaient graisseux, les armoires, poussiéreuses, et les vêtements, jetés dans des sacs à ordure déjà déchirés. Après quelques années, je connaissais le quartier par cœur. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Déambuler maintenant dans Hochelaga, dans ce quartier qui ressemble à mon souvenir de Centre-Sud, me conduit à écraser l’un sur l’autre ces lieux, le passé et le présent,  l’imaginaire et l'actuel. Je fais se croiser les lignes, celles de mes souvenirs, fantasques et associatives, celles de mes pérégrinations, impulsives et circulaires." </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><font face="Verdana">J’ai déposé mon iPad, payé l’addition, enfilé mon survêtement, mon manteau et mes gants et je suis sorti affronter le froid. À marcher vers l’est, j’étais chanceux, j’avais le vent dans le dos, mais le froid restait intense. J’ai quitté Centre-Sud, passant sous le pont Jacques-Cartier et j’ai pénétré dans ce <em>no man’s land</em> qui s’étend à ses pieds. </font></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Mon premier moment géopoétique, mon deuxième si on compte l’anecdote de Vincent, est survenu peu de temps après, quand j’ai repéré une superbe porte bleue, finement travaillée par le temps et les intempéries. Une porte poussiéreuse, à la peinture écaillée d’un bleu légèrement délavé, qui devait donner sur un escalier sombre et étroit. J’ai toujours aimé photographier les portes, je le fais depuis des années. Je pourrais même en faire un livre, si ça n’avait été fait mille fois. J’ai sorti mon iPhone et, malgré mes doigts engourdis, j’ai pris un cliché. La photo était mal cadrée, mais le bleu ressortait bien et la vieille boîte à lettres donnait à l’ensemble un air démodé. Il était facile d’imaginer une vie derrière cette porte, des générations de locataires, de plus en plus excentriques comme le quartier se dégradait, des cris, des pleurs, des mots de bienvenue aussi. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Je suis reparti, heureux de ma découverte. Un porte de plus à ajouter à ma collection. J’avais aussi le sentiment que ma déambulation venait vraiment de commencer. Je n’étais plus un simple badaud caché dans son manteau, mais un flâneur attentif au texte de la ville.  </span></span></div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;"> </span></span></div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Je ne sais trop quoi dire de ma déambulation de l’après-midi. J’ai suivi Sainte-Catherine jusqu'après Bercy. Je suis allé explorer les dessous du viaduc, prenant quelques photos des graffitis qui ornent les poutres de ciment. J’ai été tenté de franchir la clôture et de rejoindre les rails, mais j’ai rebroussé chemin. Le froid rend craintif. J’ai ensuite franchi le viaduc, sans m’arrêter sauf pour un rapide cliché des wagons immobilisés sur les rails. De retour sur la terre ferme, j’ai pris à gauche sur Préfontaine, puis à droite sur Adam et à gauche sur Saint-Germain. Je laissais mes pas me guider, ou est-ce plutôt le vent, toujours vigoureux, je ne sais plus. À cette température, on n’explore pas un quartier, on expérimente le froid: les effets du froid sur le corps, les contrecoups du froid sur les appareils électroniques, la morsure du froid sur les joues et le front, son impact sur les neurones. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">J’ai aperçu du coin de l’œil des drapeaux de prières tibétains, des fenêtres brisées, des chaises berçantes recouvertes de neige, une école dont toutes les ouvertures, portes et fenêtres, ont été placardées, une marionnette sortie à l’Halloween et oubliée là, dans le froid et la neige, une vieille télévision jetée aux ordures, des sommiers, trois sommiers en fait, défoncés, un double et deux simples, comme si le lundi était la journée des sommiers vétustes, des sommiers sans matelas. J’ai assisté à des mouvements aléatoires et désordonnés. Des rues traversées à toute allure. Des dames glisser sur les trottoirs glacés. J’ai remarqué une voiture le capot ouvert, le moteur sûrement noyé, des bicyclettes attachées à des grilles et à des arbres, rouillées et inutilisables. Sur une porte, j’ai lu un ordre de cesser les travaux. Plus loin, ce fut un avis de transformation d’un immeuble à logements en une copropriété indivise. Des graffitis contre le capitalisme sauvage. Des petites annonces agrafées à des poteaux de téléphone. Un chat perdu. Des locaux vides. Des baies vitrées vandalisés. Des commerces abandonnés. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Il y a toujours, dans le quartier, un chat qui est perdu. Pas perdu en soi, mais perdu pour son propriétaire qui placarde ses affiches sur des poteaux. </span></span></div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Pendant trente minutes, j’ai combattu une envie de pisser, diffuse dans les premiers temps, puis de plus en plus intense et qui a fini par occuper toutes mes pensées. Mon café au Comptoir 21. Un café filtre noir. Et un <i>refill</i>. Quelle idée avant de partir en déambulation! Persistante, lancinante, pénible. Non, tu ne feras pas pipi dans la ruelle; non, tu ne feras pas pipi contre le mur de l’usine, derrière le banc de neige non plus, contre le poteau de téléphone, derrière le camion, à côté de la poubelle, dans le petit parc. Mais où donc vais-je pouvoir faire pipi? Non, pas derrière l’église. Une église quand même, n’y pense même pas. Il a fallu que j’arrive au Salon de quilles Darling sur Ontario pour que je puisse enfin penser à autre chose. Les dames âgées qui attendaient leur tour assises sur des chaises d’église en plastique m’ont à peine dévisagé quand je suis passé. Je savais où se trouvaient les toilettes, j’ai eu l’air d’un gars de la place. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Et je n’ai rien écrit, tout ce temps, parce qu'il faisait trop froid. J’ai utilisé plutôt le logiciel de prise de note de mon téléphone intelligent. On presse longuement sur le bouton central, on demande de «rédiger une note» et SIRI, c’est comme ça qu’elle s’appelle, répond «Que voulez-vous prendre en note? » Et la dictée se transforme presque miraculeusement en texte. Je dis presque parce que les ratées sont nombreuses.</span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">"<span style="color: rgb(0, 0, 0); font-style: normal; font-variant: normal; font-weight: normal; letter-spacing: normal; text-align: start; text-indent: 0px; text-transform: none; white-space: normal; word-spacing: 0px; float: none;">Ce que j'apprécie le plus de mes grandes données du lundi après-midi Nanche Lagotte c'est le fait que je te déteste toi décrocher complètement de mon horaire pour pouvoir me libérer alors entre le trop-plein d'activités tout à coup je me mets à avoir droit à une Flandry moment béni malgré le très grand froid de la journée." </span></span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Sûrement l’impact du froid sur les circuits électroniques. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">J’ai monté et descendu quelques rues, de Sainte-Catherine à Hochelaga, à la recherche de détails intéressants. Mais il n’y avait rien de très sexy. Les gens étaient encabanés, les enfants, toujours à l’école, et les ados se cachaient pour fumer. Il n’y avait que des passants pressés de retourner à la maison et des techniciens dans des camionnettes.</span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Sur Joliette pourtant, juste en retrait de Sainte-Catherine, j’ai fini par découvrir un magnifique tas d’objets délaissés. On aurait dit le contenu complet d’un trois et demi, appareils électroménagers exclus. Déménagement subit? Rupture tumultueuse? Éviction? Il y avait des chaises, des tiroirs de commode, des meubles éventrés, des sacs noirs et des sacs roses, une imprimante, un traîneau en mousse, un pot de mayonnaise et, sur le coup j’ai été intrigué, mais oui deux cadres en carton, des passe-partout blancs enchâssant des photos reproduites sur du papier de mauvaise qualité. J’ai pris une photographie du tas, en pensant aux camions de mon père, et me suis emparé de ces deux cadres de fortune. Je les ai transportés un peu plus loin dans la ruelle, les ai déposés sur la neige pour quelques clichés, puis ai retiré les photos des passe-partout et me suis sauvé, les deux clichés enroulés et coincés dans mon sac à dos. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Il était temps que je rejoigne l'Atomic Café sur Ontario où nous nous étions donné rendez-vous. Marjolaine et Marion étaient déjà attablées. Les deux seules du groupe en fait. Les autres ne s’étaient pas pointé le bout du nez. Trop froid peut-être. Mes lunettes étaient embuées, mes mains, frigorifiées. J’ai pris un autre café, plus par réflexe qu’autre chose, et je me suis assis. Nous avons échangé sur nos parcours respectifs. Sur le froid, sur la lumière, sur la difficulté d’explorer quand la température glaciale réduit les déplacements au strict minimum et tronque les perspectives. Denise est arrivée par la suite. Toute en noir, sauf pour ses joues rouges. J’ai montré mes deux photos, comme un gamin fier de son dernier mauvais coup, et c’est là que la coïncidence m'est apparue avec toute sa force. C’étaient des photos de portes! Deux photos de portes, des reproductions de clichés d’un photographe britannique, un dénommé Joseph Eta. <em>London Doors I</em> et <em>London Doors II</em> de Joseph Eta, imprimés aux États-Unis, Félix Rosentiel’s Widow and Son limited. Des portes très classiques, l’une ornée de pierres peintes en blanc et dessinant un soleil enfantin, l’autre surplombée d’un toit comme s’il s’agissait d’un temple grec. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><font face="Verdana">Des portes. Des portes anglaises en plein Hochelaga. Qui met des portes sur ses murs? Quelqu’un qui rêve d’une vraie maison? Ou qui veut toujours avoir une porte de sortie à sa portée? Imaginaire, évidemment. </font></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">C’était presque miraculeux comme hasard. Ma randonnée qui avait commencé avec une photo de porte, prise un peu au hasard, parce qu’il fallait bien commencer quelque part et que les portes font de merveilleuses entrées en matière, se terminait sur des photos de portes. D'une porte dans Centre-Sud à des clichés de portes dans Hochelaga, le trajet était complet. Le palimpseste reprenait ses droits, réunissant deux quartiers séparés par des décennies de vie.   </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Plus tard, de retour à l'appartement, en faisant des recherches sur Internet, j'ai réalisé, légèrement dépité, que les deux photos de portes avaient été achetées chez Ikea. Elles se vendaient en séries de trois avec leur passe-partout. <i>Bild Fjällsta</i>, 14$ pour un set. C’étaient des photos sans valeur, achetées dans une grande surface, de la culture préfabriquée, raisons pour lesquelles évidemment elles avaient été abandonnées sur le bord de la rue. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Elles sentaient la fumée de cigarette et l’humidité.</span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">Ma déception a été de courte durée, car je me suis rendu compte qu'il en manquait une. La troisième. Ce n’était pas un hasard. C’est moi qui l’avais. Moi qui l’avais prise au 2393, rue Sainte-Catherine. La troisième porte de l’ensemble, c’était tout simplement la mienne. Ma déambulation n'avait servi qu’à ça: compléter un parcours dont j’avais choisi sans le savoir les bornes. Ma longue marche dans le froid et mes souvenirs animés par un subtil jeu d’écrans et de réflexions avait servi à redonner à un ensemble sa totalité. Elle avait reconstitué une triade. Et ce faisant, elle avait jeté un pont entre deux univers, entre deux histoires, mais à rebours, dans le sens contraire du temps, le présent rejoignant le passé pour le dévoiler miraculeusement indemne. Sans une égratignure, ou à peine. </span></span></div> <div> </div> <div><span style="font-size:14px;"><span style="font-family: Verdana;">C’est quand on s’y attend le moins que le monde se rappelle à nous dans sa complexité. La vie secrète des événements, ce n’est pas une voiture qui en emboutit une demi-douzaine sur une rue en plein milieu de la nuit, c’est sa propre voiture qui en ressort sans égratignure; et c’est une photo de porte prise spontanément à laquelle répondent deux heures plus tard des photos de portes abandonnées au coin d’une ruelle. </span></span></div> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-joliette" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Joliette</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-pr%C3%A9fontaine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Préfontaine</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-bercy" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Bercy</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-saint-germain" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Saint-Germain</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-sainte-catherine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Sainte-Catherine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-ontario" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Ontario</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-generaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Mots-clés:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/paysage" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Paysage</a></div><div class="field-item odd"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/urbanisme" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Urbanisme</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/marche-et-fl%C3%A2nerie" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Marche et flânerie</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/caf%C3%A9s" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Cafés</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/jour" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Jour</a></div><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/rues" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rues</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/trottoirs" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Trottoirs</a></div></div></div> Fri, 20 Feb 2015 11:11:00 +0000 Bertrand Gervais 146 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/la-vie-secr%C3%A8te-des-%C3%A9v%C3%A9nements#comments