Hochelaga Imaginaire - Rue Nicolet http://hochelagaimaginaire.ca/taxonomie-rue/rue-nicolet fr La traversée http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/la-travers%C3%A9e <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/bilodeau-jean-pascal">Bilodeau, Jean-Pascal</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p align="right">(Crédits photo: Benoit Bordeleau)<br /> </p> <p align="right"><em>O’shagg mon amour</em><br />- Graffiti</p> <p align="right"><em>De plus en plus, le vide t’avale, cher ami; sur tes écorces<br />disparaissent les signes, plus rien ne s’y lit à présent. </em><br />- Claude Paradis</p> <p align="right"> </p> <p align="center">LIMINAIRE</p> <p style="margin-left: 18pt; text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Au coin des rues Sainte-Catherine et Nicolet se trouve un antiquaire à la façade rouge foncé. Derrière la vitrine de cette boutique, une statuette de plâtre blanc repose, éclairée nuit et jour par une lampe. Elle tient son bras devant son visage, comme un bédouin se protègerait d’un vent de sable. La statue, dont on ne voit pas les yeux, est sculptée avec une absence de détail frappante.</p> <p>À cette figurine n’est accolée aucune légende qui pourrait permettre d’en saisir le sens ou l’origine. Pas même un prix. La seule chose qu’on puisse en dire, c’est que de la manière dont elle est placée, derrière cette vitrine, elle fait face à l’Est.</p> <p> </p> <p>La nuit le corps<br />continent<br />se disloque</p> <p>la mâchoire décrochée<br />court à sa perte</p> <p>pour vaincre le froid</p> <p style="text-align: right;"> </p> <p style="text-align: right;"> </p> <p align="center">LIGNE DE FUITE</p> <p> </p> <p style="text-align: justify;">Tout commence avec un regard, un seul regard sur ce toit de la Sainte-Catherine, un sphinx au-dessus de la mêlée qui refuse de se dissoudre tout à fait, un regard comme ceux-là comme une question qui se creuse, un regard qui contemple les reflets du fleuve sur la rue emportée, qui laisse couler le monde sans battre des paupières, et tout balayer vers on ne sait où vers l’Est, qui lit les lignes et répond sur la marge, prisonnier de ses propres yeux, qui est-il, ce vieux sphinx à demi perdu dans les brumes, avec son regard de tunnel infranchissable?</p> <p>Un homme passe son torse nu par une fenêtre et se met à hurler.</p> <p> </p> <p dir="rtl" style="text-align: left;">les mains dans la tête<br />sur la bouche</p> <p>entre les lignes blanches<br />et celles du bottin téléphonique</p> <p>seul le corps se souvient<br />de ce qu’il ne sait plus</p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: right;"> </p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: right;"> </p> <p align="center">MÉTAMORPHOSE</p> <p> </p> <p style="text-align: justify;">Plus personne n’entre à la gare de triage par la rue du premier homme. Ce passage, laissé à lui-même, déjoue le regard. Pourtant il n’est ni clôt, ni sombre, ni repoussant. À vrai dire, il n’inspire pas la moindre émotion. Simplement on glisse le long de sa frontière comme s’il n’existait pas, ou plutôt comme si c’était la possibilité de le franchir elle-même qui n’existait pas. Mais il arrive parfois qu’un corps trouve une brèche. Est-ce le passage qui s’ouvre de lui-même, par une volonté propre? Ou le hasard le plus ténu? Tout ce qu’on sait, c’est que les âmes qui y trouvent refuge ne connaissaient pas son existence, ne le cherchaient pas, ne le cherchent pas, ne le chercheront jamais.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p dir="rtl" style="text-align: left;">les jambes, longilignes<br />embrasure du corps</p> <p>grelotent<br />au coin d’une rue</p> <p>entrouvertes, l’instant<br />d’un claquement de portières</p> <p align="right" style="margin-left:35.4pt;"> </p> <p style="text-align: justify;">Les échos veulent qu’une fois le passage franchi, on se trouve comme à l’orée d’un désert. Le chemin, qui s’enfonce dans ce champ perdu où les rails se dédoublent, s’effrite, retourne à la poussière à mesure que le trottoir s’efface. Et sur les bords de cette route qui n’en est pas une apparaissent d’étranges monticules de terre séchée. Sur l’un deux, sans doute le plus haut, un arbre se dresse. Il ressemble à cette espèce noueuse d’arbres africains qui semblent si farouchement enracinés dans le sol aride qu’on dirait leurs jointures blanchies par l’effort. Quelque chose en lui, peut-être ces racines obstinées ou ces branches tombantes, inspire l’ermitage. Dans ce lieu pourtant, pas de sage, pas d’être reclus. Il n’y a que cet arbre et le silence acouphène de l’usine de levure, au loin dans l’ombre, qui bruisse entre ses branches. Seulement lui, et cette absence - on ne sait plus trop laquelle.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p>les lampadaires interpellent<br />des glissements</p> <p>patrouillent l’ennui<br />corps ombre</p> <p>l’écho des lumières<br />sur les marches<br />du silence</p> <p align="right" style="margin-left:70.8pt;"> </p> <p align="right" style="margin-left:70.8pt;"> </p> <p align="center">LES TEMPLES DE JÉRUSALEM I</p> <p align="center"> </p> <p style="text-align: justify;">Un viaduc comme une frontière, un bandage de peinture écaillée qui peine à retenir le déluge, une citerne rouillée, une épée pendue, un étudiant devant des ruines, une gare qui ne trie plus grand-chose, la poussière de plâtre agglutinée, une cour et dans cette cour un escalier, des marches qui ne mènent à rien, des carreaux brisés des tracts jaunis, un cimetière enterré, une mise en abyme, une affiche sur un mur qui s’effrite, une femme blonde, une seule affiche comme une relique dans un temple oublié, l’envie de la cigarette qui prend, un vieux sphinx exhale et ferme les yeux, et cette phrase murmurée par le cœur crevé des débris : <em>j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. </em>Un chat se glisse parmi les ombres comme un prince en son royaume.</p> <p> </p> <p>par les naseaux du fleuve<br />le désert expire</p> <p>la lourdeur du corps<br />au creux des sleeping bags</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p style="text-align: justify;">sans parole Ontario s’ouvre comme la mer je plonge sans savoir si je suis colère ou égyptien je ne sais plus si j’essaie d’échapper à ce sphinx ou de freiner sa dispersion les intersections s’enfuient dans les marges je trace une ligne nette entre les reflets j’avance et la peur recule dans les ruelles fugitives à mesure que les amorces du monde disparaissent je ne sais plus si c’est le passé qui engloutit le présent ou l’inverse j’avance dans le couloir dans l’étroitesse du passage est-ce le chemin dont il ne faut pas s’écarter ou deux murs immenses ou projeter nos ombres pour ne pas être englouti par le sable avec ses chars et ses guerriers enfin <em>sans aide la nuit ouvre une brèche</em></p> <p>Une femme en colère se jette au milieu de la rue sans regarder.  </p> <p> </p> <p>soudain le corps dense<br />dans les mains une brique<br />corps brique<br />qui hurle à la reine d’Angleterre<br />cette connasse<br />vingt dollars<br />donne-moi mon vingt dollars</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p align="center">LES TEMPLES DE JÉRUSALEM II</p> <p> </p> <p style="text-align: justify;">Une rangée de condos impeccables tournée vers l’intérieur, les murs pour couper court à la rue, entre ces bras de brique une cour à peine perceptible, une table enchainée comme un chien de garde, le gazon frais coupé, l’odeur de la rosée qui perle, une fenêtre sans rideau un œil sans paupière, les lumières ouvertes sur un joyau aveuglant, et sur le mur, une tapisserie de Broadway, les sillons lumineux des taxis vus du ciel, les étoiles d’un rêve inconnu un tapis sans poussière, un divan immaculé, le reflet d’un vieux sphinx apparait, une silhouette noire, une brique dans la main, et cette phrase comme une pierre trop lourde à porter : <em>bientôt le jour va tout cacher. </em>Le silence bruisse comme s’il était roi.</p> <p>mon hostie</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p>le corps mot<br />s’affaisse</p> <p>la main n’atteint pas<br />le cœur</p> <p>retombe<br />au hasard de la fatigue</p> <p>dans l’anfractuosité #3721</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p align="center">MÉTAMORPHOSE</p> <p> </p> <p style="text-align: justify;">On dit qu’une nuit d’automne, sur chaque fenêtre placardée de l’école Baril, apparut le visage fantomatique d’un enfant. Pendant un moment, derrière les masques à gaz, leur regard fit réapparaitre sur les vitrines de ce lieu mort la trace fugitive d’un bonheur évacué. Et pourtant ces enfants ne souriaient pas. Il y avait, au contraire quelque chose d’accusateur, quelque chose d’infiniment triste dans leur regard pétrifié.</p> <p>Ces visages ont disparu depuis longtemps. Rien d’eux, hormis le silence, ne demeure aujourd’hui. Juste en face, sur le mur de l’église, une affiche annonce toujours le spectacle de lutte du samedi soir. Un peu plus loin, un graffiti chancelant chuchote encore <em>Je ne suis pas d’accord</em>. Mais que dire de plus? Car les lieux ne s’effacent-ils pas avec ceux et celles qui les ont habités?</p> <p> </p> <p>et toujours cette brique</p> <p>toujours</p> <p>dans le mur</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p style="text-align: justify;">À deux pas de cette école, un balcon comme tant d’autres surplombe la rue Sainte-Catherine. Deux chaises vides y regardent tantôt vers l’ouest, tantôt vers l’est. Que dire de ce balcon, hormis que juché là, la vue doit être magnifique entre les deux tours de l’église au crépuscule et le fleuve inaccessible? Ou bien que dans l’immeuble, un jour ou une nuit, un incendie a eu lieu, car les traces de suie noire tachent encore la pierre grise?</p> <p>Dissimulé derrière la façade, un chemin serpente, s’enfonce entre une mince rangée d’arbres. Si ce n’était de la rue Notre-Dame qui réapparait au détour des courbes, on croirait être entré dans un autre lieu, différent, étrange. Mais au bout de ce sentier il n’y a qu’un terrain vague comme tant d’autres. Des marres d’eau stagnante, des déchets un peu partout, une lumière grise, quelques arbres, un arbre, et l’air lourd, chargé des fumées de l’Ouest, qui s’en va, qui s’en va vers l’Est.</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p>au pied du fil<br />le corps las<br />pèse peu<br />sur la balance</p> <p>use la corde<br />jusqu’au bout</p> <p align="right"> </p> <p align="right"> </p> <p align="center">LIGNE DE FUITE</p> <p> </p> <p style="text-align: justify;">Si on pouvait regarder la ville en accéléré, peut-être verrait-on que dans l’indifférence totale, des détails disparaissent. Évacués, où peuvent-ils bien aller? Y a t-il, quelque part dans Hochelaga, un vieil antiquaire, ni homme ni femme, assis sur le porche, à se balancer au seuil du monde, qui garderait la demeure inhabitée de tous les détails passés, camelote de la mémoire?</p> <p> </p> <p>les traces de char brisent<br />le silence</p> <p>le corps, encre<br />translucide</p> <p>replonge<br />dans le ventre</p> <p align="right" style="margin-left:106.2pt;"> </p> <p align="right" style="margin-left:106.2pt;"> </p> <p style="text-align: center;">LUMINAIRE<br /> </p> <p style="text-align: justify;">La statue de plâtre est devant mes yeux et je comprends que c’est cette question qui a tout déclenché: Que cherche-t-elle si désespérément à ne pas voir? Subitement mes mains cessent de m’obéir, elles se collent à mon visage, mon corps se tourne vers l’Est et une fissure apparait, la lumière me traverse comme le verre par le matin qui chante, un cri s’agglutine en moi comme dans une maison surpeuplée, je retrouve l’espace d’une nuit un passage vers l’oubli un arbre esseulé des ruines pétrifiées les rues qui défilent des jambes entrebâillées un balcon incendié un corps opaque les barreaux translucides des fenêtres je reparcours d’une coulée</p> <p style="text-align: justify; margin-left: 200px;">les eaux séparées d’Ontario l’expulsion</p> <p style="margin-left: 160px;">du paradis les temples</p> <p style="margin-left: 200px;">  de Jérusalem et ces regards le sphinx</p> <p style="margin-left: 360px;">quelque chose se brise et déborde</p> <p style="margin-left: 360px;"> </p> <p align="right"> </p> <p>l’aube crève<br />se répand</p> <p>la rue s’étire</p> <p>disparait</p> <p align="right"> </p> <p style="margin-left:212.4pt;"> </p> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-sainte-catherine" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Sainte-Catherine</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-nicolet" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Nicolet</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-ontario" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Ontario</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/%C3%A9cole-baril" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">École Baril</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/rue-adam" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Adam</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-notre-dame" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Notre-Dame</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-generaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Mots-clés:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/mots-cl%C3%A9s-g%C3%A9n%C3%A9raux/paysage" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Paysage</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/v%C3%A9lo" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Vélo</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/jour" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Jour</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/nuit" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Nuit</a></div><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/ruelles" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelles</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/rues" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rues</a></div></div></div> Tue, 24 Mar 2015 14:36:58 +0000 Benoit Bordeleau 166 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/la-travers%C3%A9e#comments Étrange intimité http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/%C3%A9trange-intimit%C3%A9 <div class="field field-name-field-auteur field-type-entityreference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Auteur·e·s:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/individu/briand-catherine-alexandre">Briand, Catherine-Alexandre</a></div></div></div><div class="field field-name-body field-type-text-with-summary field-label-hidden"><div class="field-items"><div class="field-item even" property="content:encoded"><p style="text-align: justify;">Je ne sais pas lire dans les lignes de la main, ni dans celles des quartiers, mais je peux lire en moi ce que le quartier fait et dit, sous quelle forme il surgit. Au coin des rues, je croise souvenirs et pensées. Les images se superposent et je vois double; à la fois ce qui est là et ce qui n’est plus.</p> <p style="text-align: justify;"><em>La place Valois, avec ses blocs lumineux, était autrefois un terrain vague rocailleux où passait une track de chemin de fer. Petite, j’y marchais avec ma grand-mère et la suivais en funambule, tentant de garder l’équilibre sur la barre de métal. Souvent, je demandais «où ça mène grand-maman?», et elle me répondait toujours «nulle part». J’imaginais le train courir comme un fou, au-dessus du fleuve, vers ce nulle part inconnu. </em></p> <p>C’est l’hiver et j’éprouve l’impression d’une lutte d’appartements. À l’extérieur, tout est calme, mais je ressens ce combat silencieux qui se prépare, qui a déjà lieu et continue d’advenir entre les murs. Je repense à cet ami qui me disait toujours de chercher ce qui est mort dans le vivant, ce qui est vivant dans la mort. <em>La question à cent piasses</em> d’Adamus en tête, je marche, regrettant presque de n’avoir rien à fumer, pas de tabac, pas de papier. C’est un quartier qui s’observe bien en fumant, mieux qu’en faisant du jogging.</p> <p>Debout face aux lieux de mon enfance, impossible d’oublier quoique ce soit. L’adolescence aussi passe entre les ruelles, elle y est à sa place.</p> <p><em>Au 1407 Leclaire, je revois l’amie et ses lunettes écaillées. Au coin de la rue, le restaurant Le sommet où nous allions le vendredi soir. Deux gamines riaient alors des cheveux du cuisinier : quatre mèches placées sur son crâne pour tenter de cacher sa calvitie. </em></p> <p><em>Sur Nicolet, les voisins de ma grand-mère étaient ce qu’on peut appeler des «white trash». L’été, la voisine de trois ans se promenait en bobettes sur le trottoir avec un deux litres de coca, et dans leur cour, aboyaient deux grands chiens effrayants. Pour moi, le monde tenait alors entre les seins d’Aline et en son cœur que j’écoutais battre attentivement; tic-tac, comme une horloge. </em></p> <p>(Hochelaga comme une mémoire en mouvement qui mime la fixité.)</p> <p><em>Les bonbons chez Oscar, la quête aux objets roses dans les friperies, puis ce moment où je me suis mise à déambuler seule, écouter Nirvana, porter du noir et beaucoup pleurer. Je m’achetais des canettes de peinture : graffitis sur les trains, les ruelles, partout.</em></p> <p><em>Les graffitis étaient laids et naïfs; une black label et des gants troués suffisaient à me faire sentir bum. Il y avait la révolte et ses nombreuses découvertes; l’amour au féminin, bières flats et pots de peanuts, le mot anarchie et les déjeuners deux œufs bacon, détester les flics, aimer les flaques d’eau et le jour des poubelles. Faire de la photographie, de la poésie, et tomber en amour souvent avec des toxicomanes, brûleuses de condos, névrosés magnifiques et autres artistes du vivant. Aimer dans un quartier qui sent la sueur et le houblon, emmitouflés dans des couvertures de laine que l’on porte comme vêtements.</em></p> <p>Je marche et pense à toutes ces fois où je suis rentrée chez moi entre soir et matin. Le calme entre deux tempêtes.</p> <p>Odeur de mélasse et de tabac. Un paquet de Macdonalds bleu qu'on a laissé vide sur le trottoir. Les usines servent de points cardinaux et la piste cyclable se transforme la nuit en véritable forêt. J'ai encore la tristesse au coeur de ne pas pouvoir tremper mes pieds dans le fleuve, tout près.</p> <p>Je ne sais pas si tous les coins de Montréal bougent autant, s’ils ont ce rythme-là. Il se passe dans Hochelaga quelque chose d’infiniment beau. Peut-être parce qu’on peut y sentir une tension : la beauté, le quotidien, le soleil comme ailleurs, mais aussi une certaine dureté qu’il est impossible de ne pas voir. L’adversité rend créatif ; l’adversité rend fou. On sent ici la vitalité des quartiers populaires (vampirisés un jour ou l’autre par les classes dominantes que le confort fige).</p> <p>Oui, quand je marche ici, je marche en moi. Mais moi ce n’est rien de personnel. Au contraire, ça dépasse de partout, ça fuit dans tous les sens pour venir se souder aux gens que j’aime, que j’ai aimés, aux passants rencontrés et même à ceux que je ne croise pas.</p> <p>Tout se déroule comme si le quartier était un texte s'écrivant sans cesse avec la voix, les gestes, bonheurs et souffrances de ses habitants. Habiter comme on écrit. Les murs craquent déjà de mots à partager. Peu importe la loi, les fautes, les façades trop propres; la langue est bien plus vivante lorsqu’on l’expose dans la rue. Dans ses ruelles, Hochelaga se prend pour un roman épique où s’affrontent les forces du bien et du mal.</p> <p>On y croit encore un peu à la notion d’espace public et l'on a ce sentiment d’être au coeur d'un quartier-village.</p> <p>Les regards s’accordent; j’ai toujours dit que nous avions ici une étrange intimité.</p> </div></div></div><div class="field field-name-field-taxo-rue field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Emplacement:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/place-simon-valois" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Place Simon-Valois</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-leclaire" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Leclaire</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/le-sommet" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Le Sommet</a></div><div class="field-item odd"><a href="/taxonomie-rue/rue-nicolet" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rue Nicolet</a></div><div class="field-item even"><a href="/taxonomie-rue/chez-oscar" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Chez Oscar</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-madalite-parcours field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Modalités du parcours:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/modalit%C3%A9s-du-parcours/marche-et-fl%C3%A2nerie" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Marche et flânerie</a></div></div></div><div class="field field-name-field-motscles-reseaux field-type-taxonomy-term-reference field-label-inline clearfix"><div class="field-label">Réseau:&nbsp;</div><div class="field-items"><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/jour" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Jour</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/parcs-et-squares" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Parcs et squares</a></div><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/ruelles" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Ruelles</a></div><div class="field-item odd"><a href="/r%C3%A9seau/rues" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Rues</a></div><div class="field-item even"><a href="/r%C3%A9seau/trottoirs" typeof="skos:Concept" property="rdfs:label skos:prefLabel" datatype="">Trottoirs</a></div></div></div> Tue, 03 Feb 2015 16:28:26 +0000 Catherine-Alexandre Briand 137 at http://hochelagaimaginaire.ca http://hochelagaimaginaire.ca/note-de-terrain/%C3%A9trange-intimit%C3%A9#comments