Irritation chronique
Jonathan Lethem a la fâcheuse et heureuse tendance d'écrire des romans aussi ambitieux que volumineux. Tendance heureuse puisqu'il est doué dans l'art de créer un micro-univers diégétique riche et peuplé de personnages ronds et pleins, mais fâcheuse puisque l'on finit par avoir l'impression qu'une centaine de pages auraient pu être élaguées du manuscrit original afin d'éviter que le récit piétine quelque peu. L'écrivain est fidèle à ses habitudes dans Chronic City.
Chase Insteadman est un ex-acteur vedette et qui défraie la chronique en raison de son statut de fiancé à une astronautre cloisonnée en orbite derrière une ceinture de mines spatiales. Esseulé et sans occupation, il fera la rencontre de Perkus Tooth, quadragénaire excentrique ex-critique de rock dont l'érudition impressionnante et la pensée elliptique l'amènent à produire des théories incongrues sur plusieurs aspects de la culture populaire. Chase passera de nombreux après-midi à écouter les monologues de Tooth en enfilant joint après joint, en plus de rencontrer plusieurs personnages gravitant dans l'orbite de ce dernier. Au fil des pages, aucune réelle trame narrative classique ne semble se dessiner; il n'y a pas de conflit à résoudre, de but à atteindre, il n'y a que des personnages qui virevoltent et vaquent à leurs occupations. Quelques mystères planent en périphérie : la fiancée de Chase reviendra-t-elle saine et sauve sur terre? Est-ce que «tigre échappé du zoo» qui démolit des bâtiments entiers dissimule une conspiration du maire de New York? Ces trames secondaires ne parviennent pas à susciter la trépidation ou la curiosité; le manque presque total de volonté individuelle de la part de Chase finit par rejaillir sur le lecteur qui développe un manque d'intérêt pour le roman en entier. La révélation finale, d'une absurdité aberrante, n'est pas à la hauteur de la magnifique épiphanie du personnage principal de Fortress of Solitude qui venait clôturer un autre roman de Lethem trop long pour son propre bien. Ajoutons à cela que si on avait purgé Chronic City de toutes les phrases contenant une métaphore ou une comparaison, seulement une trentaine de pages seraient demeurées intactes, et on obtient au final une oeuvre qui se cherche péniblement pendant des centaines de pages alourdies par des tics d'écriture redondants, et qui se solde par un dénouement qui achève d'insulter le lecteur.