La vérité, toute la vérité

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Montréal, L'Oie de Cravan, 2011
60 pages.

Dans les bureaux de l’assurance-maladie, une fille demande: «Profession?» Paraît que les poètes ça ne ment pas, alors bon, pas le choix hein, le poète répond la vérité. «Poète.» Sceptique, la fille lâche une bombe. Elle demande: «Pour de vrai?» En réponse à cette insulte, Patrice Desbiens intitule Pour de vrai sa quatrième publication à la maison d’édition L’Oie de Cravan.

Le poète d’origine franco-ontarienne le voit bien. La poésie n’est prise au sérieux nulle part. Stephen Faulkner: «les bouffons sont millionnaires et les poètes n’ont qu’à se taire»[1]. On peut considérer Pour de vrai comme un manifeste. Comme une défense et illustration de la poésie. Voilà sans doute pourquoi Desbiens y critique si sévèrement ce célèbre millionnaire québécois – celui qui, durant un tout aussi célèbre voyage en apesanteur, s’était affublé d’un nez de clown et avait qualifié sa virée dans l’espace de «poétique».

Mais il ne s’agit pas de la seule référence au Québec dans ce dernier recueil. Bien au contraire. Durant des années, Desbiens fut un fidèle des éditions franco-ontariennes Prise de Parole. Néanmoins, le poète a déménagé à Montréal et il publie désormais ses recueils à L’Oie de Cravan. Depuis ce moment, il adapte progressivement sa poésie, histoire de la situer dans une tradition littéraire québécoise. Pour de vrai constitue un excellent exemple de cette transformation. Les références socioculturelles au Québec y abondent. Montréal et la rue Saint-Denis, Patrick Straram, l’émission Denis Lévesque et l’UNEQ, sont tous évoqués. Par ailleurs, l’écrivain parsème ici et là son texte de signes d’ouverture sur le monde: Haïti, la Bosnie et la créolité sont rapidement mentionnés dans les soixante pages du recueil. Enfin, Desbiens n’oublie pas non plus les Amérindiens: les Sioux et les Chippewas viennent faire un petit tour et puis s’en vont.

Malgré tout, Pour de vrai ne surprend guère. Et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il en soit ainsi. La répétition est la figure maîtresse de l’œuvre de ce poète dont le style a relativement peu changé dans les quarante dernières années. Attention cependant: la répétition n’est pas une simple figure de style. Chez Desbiens, elle a quelque chose de philosophique. Elle manifeste une conception extrêmement lucide de la vie. Pour le poète, l’existence humaine est une simple reproduction des mêmes gestes quotidiens, des mêmes histoires d’amour et de guerre, des mêmes mouvements sociopolitiques, des mêmes images et des mêmes obsessions. À la lumière des extraits du prochain recueil de Desbiens parus récemment dans la revue Liberté[2], il semble que l’écrivain n’échappera pas à cette loi, lui qui poursuit depuis les années 1970 une œuvre à la cohérence éclatante.


[1] Faulkner, Stephen. «Troubadour», Capturé vivant, Montréal: La Tribu, 2002, durée: 40’31’’.

[2] Liberté, no 299, printemps 2013.