La vertu du journalisme passionné

Référence bibliographique: 
New York, Henry Holt and Company, 2012
194 pages.

Principal inaugurateur de la pratique du journalisme en bande dessinée, Joe Sacco est reconnu pour ses oeuvres monumentales Palestine, Safe Area Gorazde et Footnotes in Gaza. Si certains de ses éditeurs avaient déjà eu la bonne idée de réunir certains de ses récits brefs en recueils (Notes From A Defeatist, Fantagraphics, 2003; War's End, Drawn and Quarterly, 2005), la plus récente initative en ce sens, Journalism (Henry Holt and Company, 2012) a le mérite de mieux présenter le travail de Sacco. En plus de rassembler des reportages sur des damnés de la terre issus de plusieurs contrées (Inde, Palestine, Irak, Causase, Malte), chaque section est accompagnée d'une postface de l'artiste qui y expose les contraintes journalistiques et éditoriales relatives à chaque publication, en plus de partager des observations de terrain très éclairaintes.

L'introduction, Preface: A Manifesto Anyone? permet à Sacco de défendre sa pratique de journaliste par le 9e art, qui, de par la subjectivité inhérente à son dessin (par ailleurs d'une précision spectaculaire), ne pourrait aspirer à une véritable respectabilité puisque ne répondant pas à l'impératif idéaliste de l'objectivité. Sacco revendique avec brio sa posture d'héritier du journalisme Gonzo qui se met en scène dans ses reportages afin de présenter les interactions avec ses sources, mais aussi le rapport interpersonnel biaisé qui s'instaure entre ses interlocuteurs et lui de par son statut d'étranger. De plus, quand il affirme « By making it difficult to draw myself out of a scene, it hasn't permitted me to make a virtue of dispassion » (p. XIV), il encapsule parfaitement ce qui fait la force de sa pratique : en synthétisant des situations géopolitiques complexes et en les présentant à hauteur d'homme, Sacco permet d'informer et d'émouvoir, préférant renier l'ambition journalistique de détachement émotionel afin de mettre en place une expérience de lecture plus sincère et touchante. Journalism est autant une excellente introduction à l'un des bédéistes les plus importants de sa génération qu'un des points forts de son oeuvre générale.