Le cynisme est un anesthésiant
Je n'ai pas de plan de lecture. Ma relation aux livres est dictée par une forme de magnétisme qui n'a rien de rationnel. J'attends qu'un titre me happe, un titre qui, pour diverses raisons, à un certains moments, surgit comme une promesse. Une promesse de changer, sinon le monde, du moins mon rapport à celui-ci, parce que je fais partie de ces naïfs qui croient que la littérature est bien plus qu'un terrain de jeu solipsiste. La lecture d'Une politique de la douleur. Pour résister à notre anéantissement, de Paul Chamberland, m'est immédiatement apparue comme une nécessité. Il s'agit d'un essai important, audacieux, où l'auteur s'adresse à un nous trop souvent silencieux, ce nous chancelant et souffrant qui désespère de l'état actuel du monde. Face à l'attitude agressive du capitalisme, Chamberland propose une politique s'échafaudant sur le constat de la faiblesse des hommes. Ce constat de la faiblesse et du désespoir de l'humanité, opposé à la volonté de domination des grands prédateurs, ces tyrans, permettrait selon lui de penser autrement les bases de la société humaine : «Les hommes et les femmes réels sont, en tant que réels, des sujets et, en tant que sujets, faibles. Tous. S'ils le sont, tous, faibles, ce qu'ils font ensemble et ce, quelles que soient les modalités de ce faire-ensemble, est affecté par leur faiblesse. Autrement dit, la réalité politique ne peut pas ne pas compter avec cette autre réalité, la commune faiblesse des humains.»
Cette faiblesse commune est une force qu'il s'agit d'investir collectivement. Elle nous permettrait de lutter contre le cynisme ambiant, par exemple celui d'une Margaret Tatcher qui, en 1987, affirmait : «Il n'y a pas de société, il n'existe que des individus.» Ultimement, Chamberland propose un renversement de ce présupposé, en affirmant qu'il n'y a pas d'individualité possible sans communauté. À considérer le désastre humain de la droite politique, il vaut la peine d'envisager sérieusement la proposition que Chamberland martèle sans cesse dans son essai, à savoir que l'autre doit avoir préséance sur soi.