Le peintre de la vie postmoderne
Le recueil de nouvelles Le repaire des solitudes (2015) de Danny Émond propose 29 récits brefs qui adoptent la perspective des écorchés : alcooliques usés, jeunes désœuvrés en mal d’amour, individus souffrant de maladies mentales. L’écriture varie les narrateurs comme les narrataires, mais un «je», associé à un locuteur d’«autofriction», revient au sein de nouvelles autour d’un «Maurice», sorte de tête brûlée à qui le «je» (l’auteur?) rend un (d)hommage posthume.
Impossible pour moi de ne pas rapprocher Le repaire des solitudes du Spleen de Paris. Émond se positionne en véritable «peintre de la vie (post)moderne» et ses meilleures nouvelles, à mon sens, se lisent comme ces «petits poèmes en prose»: «Des fantômes plus grands que moi» aborde le vieillissement à partir du rituel de mise au lit d’un enfant par ses parents; «Dose d’humanité», d’une serveuse misanthrope qui devient boulimique à force de voir ses clients abjects s’empiffrer; «Bourrasque», d’un chauffeur de taxi qui reconduit une femme ivre. Autonomes, les textes, dépourvus d’histoire, esquissent des portraits —des instantanés— d’une vie que le nouvelliste (ou le poète, plutôt) saisit au vif. D’ailleurs, la langue d’Émond —incontestablement la grande force du recueil— se rapproche davantage du lyrisme que de la narration. Ainsi, une jeune femme qui comble ses nuits solitaires avec des aventures d’un soir rencontre des «bouche-trous» (69); une autre femme, dans la même situation, jouit avec des «hoquets de chihuahua» (81) avant de quitter l’appartement de son amant «le ventre plein de papillons morts» (Id.).
Je n’ai pas choisi ces citations au hasard. S’il me faut reprocher un élément au recueil, c’est que, malgré le vernis de la langue authentique de l’écrivain, les objets de sa contemplation ne m’ont guère surpris: dépressifs, toxicomanes, fornications d’une nuit insatisfaisantes, vide existentiel, familles dysfonctionnelles, toutes les déclinaisons de la misère y passent. Même si ces thèmes confèrent une unité remarquable au recueil, je ne pouvais m’empêcher d’y voir une sorte de « zone de confort » de l’écrivain. Pourtant, la nouvelle « Vie antérieure », à propos d’un vieux couple de fermiers, témoigne du vaste registre de l’auteur qu’il n’a peut-être pas exploité suffisamment à mon goût.