Il y a, dans le discours portant sur David Foster Wallace, qu'il s'agisse de l'homme ou de son œuvre, une forme d'idolâtrie plus ou moins assumée qui n'a pas fini d'irriter les plus pragmatiques d'entre nous. Ce qui m'intéresse dans le phénomène Wallace, c'est le pouvoir de persuasion qu'avait cet auteur. S'étant engagé très tôt dans une entreprise d'auto-théorisation servant à expliquer l'œuvre qu'il cherchait à mettre au monde, et s'évertuant dans cette œuvre à mettre en pratique ce qui relevait d'abord de l'hypothétique, Wallace a en quelque sorte court-circuité la réception de son travail, faisant des critiques les plus enthousiastes des perroquets paraphrasant ce qui se trouvait déjà là, sous leurs yeux.
En martelant sans relâche son intérêt viscéral pour l'empathie littéraire, en enfonçant toujours davantage le clou dans le cercueil de l'ironie, en écrivant que ce qui le préoccupait plus que toute chose, c'était la souffrance des autres, Wallace a peu à peu contribué à créer autour de lui une aura de sainteté qui, avec le recul, a tout de même quelque chose d'improbable.
C'est sans doute le plus grand mérite de la biographie de Wallace écrite par D.T. Max, Every Love Story is a Ghost Story, que de révéler tout un pan de la vie de l'auteur qui avait été occulté avec soin. Sans vouloir vendre la mèche, puisque le plaisir de cette lecture réside surtout dans ses révélations, je dirai simplement que David Foster Wallace était loin d'être un ange. Et au fond, c'est un fait que j'ai accueilli avec un certain soulagement, et qui corrobore aussi cette image tragique que je me suis faite peu à peu de l'auteur. Wallace voulait être parfait, mais ne l'était pas. Wallace souhaitait l'empathie littéraire absolue, mais savait que notre égoïsme et notre propension au solipsisme la rendent impossible. Wallace, en idéaliste qui a mis ses jetons sur la case de l'absolu, a couru le risque de tout perdre, et le risque était grand puisque, jouant ainsi le tout pour le tout, il pariait contre lui-même.
