Sang froid

Référence bibliographique: 
Toronto, Anansi, 2005
306 pages.

She would indulge. She would pamper. She would cry out in ecstasy later on if things went that way, but she would not placate or console or absolve.
What she wanted was Sweaty naked slippery fast slow deep hurtful tender altering sex with some Wagner in the background. (p. 43)

En tant que roman multifocal, il serait tentant de résumer Alligator à la galerie de personnages qui se succèdent de chapitre en chapitre. Colleen est une adolescente impétueuse, dont la tentative de sabotage de bulldozers afin de protéger une espèce animale en voie de disparition créé une rupture indélébile dans la relation avec sa mère Bevelry, veuve inconsolable. Madeleine, soeur de Beverly, veut achever le tournage de son plus récent long-métrage avant que son coeur ne flanche, ne serait-ce que pour honorer la confiance que son amie actrice Isobel lui a témoigné en en acceptant le rôle principal. Cette dernière fricote avec Valentin, dangereux mafieux russe qui intimide son voisin de palier Frank, jeune adulte orphelin éperdument amoureux de Colleen...

Toutefois, l'enchaînement des relations interpresonnelles du dernier paragraphe ne rend pas compte de la puissance d'Alligator. Employant bien le système du récit choral sans le réduire à un travail stylistique d'effet Rashomôn, Moore ne fait pas graviter ses personnages autour d'un événement central mais démontre les contingences temporaires de leurs interactions respectives. L'écrivaine, célébrée pour ses recueils de nouvelles Degrees of Nakedness (1997) et Open (2002), manie l'écriture minimaliste de manière experte, et la série de vignettes liées par une trame narrative relâchée confère à l'ensemble un caractère plus incarné que pour ses recueils précédents, stylistiquement parachevés mais plus creux au plan du contenu. Le roman se construit autour de l'image très forte d'un dompteur d'alligators qui se fait coincer entre les mâchoires du dangereux reptile pour avoir omis de s'essuyer le côté droit du visage avant de mettre sa tête dans la gueule de l'animal - métaphore du risque encouru à qui cherche les sensations fortes en allant au devant du danger sans prendre toutes les précautions nécessaires. Néanmoins, Alligator dépasse cette simple morale pour devenir une oeuvre littéraire dont le plus grand mérite est de créer des personnages forts, ressentis et émouvants.

She had come to think of life not as a progression of days full of minor dramas, some tragedy, small joys, and carefully won accomplisments, as she figures most people think of life, but rather a stillness that would occasionally be interrupted with blasts of chaos. (p. 49)