Sophomore Jinx

Référence bibliographique: 
New York, Little, Brown, 2013
383 pages.
New York, Pantheon, 2007
296 pages.

J’ai entrepris ma lecture du roman You d’Austin Grossman avec des attentes positives. J’avais adoré sa première oeuvre, Soon I Shall Be Invincible (2008), qui faisait le pari audacieux d’aborder l’univers des super héros, apanage de la bande dessinée américaine, par le biais de la littérature – média moins bien équipé pour représenter des scènes d’action trépidantes. Grossman s’était admirablement acquitté de sa tâche, ayant su concilier une compréhension critique des mécanismes narratifs du récit de super-héros, un humour dérisoire mais jamais railleur qui relevait les excès des aventures de justiciers masqués, et une habileté indéniable à tenir son lecteur en haleine pendant 300 pages. En somme, j’avais énormément apprécié la manière dont Grossman avait su régaler autant un lectorat geek plus spécialisé qu’un lectorat littéraire portant un regard distancié sur ce genre.

You porte sur une autre frange de la culture geek, soit celle des nerds informatiques, des hackers mais aussi et surtout des gamers, les amateurs ou professionnels de l’industrie du jeu vidéo. On y suit l’arrivée de Russell, narrateur et personnage principal  –possédant autant de personnalité que le space marine anonyme de la série de jeux de tirs à la première personne DOOM– dans une compagnie de jeux vidéo, Black Arts Studios, fondée par ses amis d’enfance. La trame narrative se base sur la recherche d’un bug récurrent dans le code source de tous les jeux produits par la compagnie Black Arts, prenant la forme d’une épée maléfique ravageant tout sur son passage, que Russell doit débusquer et éradiquer. Ce faisant, il doit rejouer systématiquement à tous les jeux produits par la compagnie depuis ses débuts tout en faisant l’apprentissage à grande vitesse de l’univers du jeu vidéo.

Dans Soon I Shall Be Invincible, Grossman alternait entre deux narrateurs de chapitre en chapitre, passant de la perspective d’une super-héroïne recrue à celle du scélérat ultime, et ce va-et-vient dynamisait à merveille la lecture. Dans You, Grossman a plutôt opté pour des chapitres très brefs qui, forcément, passent un peu rapidement sur ce qu’ils abordent. Cette structure narrative est hélas un reflet de l’ensemble du projet «la littérature aborde le vidéoludisme» de l’écrivain: trop superficiel. Le narrateur décrit ses collègues de travail tantôt comme des parias, tantôt comme des super-vedettes d’une industrie culturelle sur le point d’obtenir le statut d’art véritable. Cette ambivalence extrême est caractéristique de la manière dont Grossman aborde le jeu vidéo dans son roman, qu’il dépeint comme fascinant et exaltant pendant l’expérience de jeu, mais comme un peu ridicule une fois la partie terminée. Ajoutons par ailleurs qu’il s’était montré très habile à décrire de manière excitante des combats entre super-héros dans son roman précédent, alors qu’il échoue presque entièrement à rendre trépidants les nombreux chapitres où le narrateur joue à des jeux produits par la compagnie Black Arts en quête de son fameux bug.

Soon I Shall Be Invincible se lisait agréablement, aussi bien pour le néophyte du monde de super-héros que pour le lecteur assidu de comic-books. Il proposait un récit excitant et le livrait dans une forme savamment étudiée pour démontrer et reconduire les codes stylistiques du genre. You propose également une méta-réflexion sur les jeux vidéo, une réflexion par ailleurs très intéressante et stimulante sur le «Ultimate Game» qui obsède les créateurs de jeux –puisqu’après tout, rien, hormis la technologie, n’empêche de créer le jeu ultime dont on rêve– mais aussi sur la dualité du « You » évoqué dans le titre, désignant à la fois l’avatar d’un jeu vidéo dans lequel le joueur doit se projeter, mais aussi l’existence par procuration dans laquelle s’investit le joueur dès qu’il prend le contrôle de son avatar. Or, à l’exception de ces quelques passages, qui par ailleurs ne seront stimulants que pour les lecteurs également adeptes de jeux vidéo, You est dans l’ensemble très décevant et soulève même un doute raisonnable quant à la pertinence, voire à la possibilité même, de l’investissement du jeu vidéo par le biais de la littérature.