Salon double - Récit de voyage http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/1291/0 fr Entretien avec Éric Simard, de la collection Hamac (éditions du Septentrion) http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-eric-simard <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/hamac.jpg" type="image/jpeg; length=16064">hamac.jpg</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Éric Simard, responsable des communications et directeur de la collection Hamac aux éditions du Septentrion.</p> <p><strong>Entièrement consacré à la fiction, </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/"><strong>Hamac</strong></a><strong> se décline de trois façons. Il y a la </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/"><strong>collection Hamac</strong></a><strong>, consacrée à la littérature contemporaine (romans et nouvelles), </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-carnet/"><strong>Hamac-carnets</strong></a><strong>, vouée à la publication de blogues et de carnets de voyage et </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-classique/"><strong>Hamac classique</strong></a><strong>, dédiée, entres autres, aux romans historiques ou d'époque. </strong></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Pour le néophyte qui œuvre à l’extérieur du «&nbsp;milieu du livre&nbsp;», les choses peuvent être floues&nbsp;: Hamac n’est pas vraiment une maison d’édition, mais plutôt une collection qui jouit d’une certaine indépendance par rapport aux éditions du Septentrion auxquelles elle est rattachée. À quel moment la collection Hamac a-t-elle vu le jour? Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder cette nouvelle collection dont les objectifs s’éloignent quand même beaucoup de ceux des éditions du Septentrion? Est-ce que vous sentez que votre collection a permis de combler un vide qui existait sur la scène littéraire contemporaine?</p> <p><strong>Éric Simard [ES]: </strong>La collection Hamac a été créée à l’automne&nbsp;2005 avec la parution de deux romans. Le but était de différencier les publications littéraires des essais. Comme Septentrion est spécialisé en histoire, les romans qu’ils publiaient se confondaient aux essais quand ils ne passaient pas inaperçus. En créant Hamac, il y avait aussi une volonté de développer le volet littéraire.</p> <p>Je ne sais pas si Hamac vient combler un vide, mais une chose est certaine, on s’inscrit dans le renouveau que connaît la littérature québécoise depuis une dizaine d’années.</p> <p><strong>PLL: </strong>Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?</p> <p><strong>ES</strong>: Ce qu’on recherche avant tout dans les textes, c’est d’abord une voix. Ça peut sembler banal, mais des véritables voix littéraires, c’est assez rare à trouver. Si la voix est là, il faut que ce qu’elle raconte nous captive, nous happe, nous rejoigne, nous touche. À partir de là, ils peuvent prendre des formes différentes. Jusqu’à présent, nous avons publié plusieurs fictions qui tournaient autour de l’intime. Mais nous nous ne confinons pas uniquement dans ce créneau.</p> <p>Au début, Hamac était moins défini. Un roman historique avait autant de chance de se retrouver dans la collection qu’un roman policier ou contemporain, par exemple. C’était littéraire dans son sens très large. Maintenant, Hamac se consacre uniquement à la littérature contemporaine. &nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Hamac publie de la fiction, mais aussi des carnets. Cela a commencé par la parution successive de trois blogues transformés en livres. Parlez-nous un peu de cette «&nbsp;collection dans la collection&nbsp;».</p> <p><strong>ES:</strong> Ces trois premiers titres, dont faisaient partie <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-carnet/chroniques-une-mere-indigne-les-2628.html"><em>Les Chroniques d’une mère indigne</em></a>, sont parus en 2007 à une époque où les blogues envahissaient la toile. Comme il y en avait en abondance, et de très bons, on essayait de repérer les meilleurs pour les transformer en livres. C’était une idée très originale et assez avant-gardiste. On a d’ailleurs été dans les premiers à le faire. Évidemment, on reste à l’affut pour dénicher de bons blogues (ils sont rares, mais il en reste encore). Mais avec l’arrivée des médias sociaux, on a vu la blogosphère s’essouffler un peu. Pour éviter que cette collection s’essouffle à son tour, ce qui serait arrivé tôt ou tard, on a décidé d’élargir son mandat en restant dans l’idée du carnet. On publie maintenant des carnets de voyage et on est ouvert à faire paraître de bons textes qui empruntent à la forme du carnet. C’est une collection qui plaît et qui a encore un bel avenir devant elle.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/LES-CHRONIQUES-D-UNE-MERE-INDIGNE_COUV-HR." rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Les chroniques d&#039;une mère indigne"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/LES-CHRONIQUES-D-UNE-MERE-INDIGNE_COUV-HR." alt="109" title="Les chroniques d&#039;une mère indigne" width="220" height="286" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Les chroniques d'une mère indigne</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Votre catalogue s’est modifié encore tout récemment après la création d’Hamac classique, une autre «&nbsp;collection dans la collection&nbsp;» consacrée aux romans historiques. Considérant que les premiers titres publiés chez Hamac étaient parfois assez près du genre historique, qu’est-ce qui a motivé cette segmentation de votre catalogue?</p> <p><strong>ES:</strong> Effectivement, les premiers titres publiés dans la collection Hamac pouvaient s’apparenter aux romans historiques, mais comme je l’ai mentionné, au début Hamac n’était pas encore défini. C’est en 2007 qu’on l’a fait et c’est devenu clair qu’on y publierait que de la littérature contemporaine. Entre-temps, puisque l’histoire, c’est la force du Septentrion, on continuait de recevoir beaucoup de manuscrits de romans historiques. C’était un naturel pour les auteurs de penser à nous. Plutôt que de les ignorer, surtout que le genre est de plus en plus populaire, on a créé Hamac classique. &nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «&nbsp;petit&nbsp;» joueur dans le monde de l’édition québécoise,&nbsp;où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?</p> <p><strong>ES:</strong> C’est certain que lorsqu’on lance une nouvelle collection en littérature, on ne s’attend pas à avoir autant de visibilité que les autres, ce qui est un peu normal. On finit par ne plus trop penser à cet aspect en se concentrant sur la production; le but étant de faire paraître les meilleurs livres possibles en se disant qu’à un moment donné on reconnaîtra leur qualité et notre apport. Pour tirer notre épingle du jeu, conscient qu’on n’était pas le premier choix des auteurs, on a décidé de les accompagner pour les aider à peaufiner leur manuscrit. Cinq ans plus tard, non seulement on commence à recevoir la reconnaissance du milieu littéraire, on devient une option pour bien des auteurs. Ce qui est plutôt une progression rapide.</p> <p>Côté numérique, Septentrion est l’un des chefs de file au Québec. On a pris le train avant la plupart des autres éditeurs (on offre du numérique depuis au moins cinq ans, alors que certains ne sont pas encore rendus à ce stade). D’année en année, on voit une progression des ventes et des habitudes des lecteurs. Malgré tout, ça ne représente pas encore un gros pourcentage de nos ventes globales. Au moins, on est prêt à faire face à la musique si le secteur prend de l’expansion.</p> <p><strong>PLL: </strong>On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale. Hamac et Septentrion publient à Québec, en dehors de la sphère d’influence de Montréal. Quelle importance a la communauté immédiate, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?</p> <p><strong>ES:</strong> Comme Septentrion a su prendre sa place au fil du temps au point de devenir un éditeur important au Québec, plusieurs pensent qu’on est basé à Montréal. Ça nous fait sourire, car ça sous-entend qu’un éditeur important doit nécessairement être basé à Montréal.</p> <p>C’est certain que la communauté immédiate nous soutient. On sent même de leur part une certaine fierté par rapport à ce qu’on fait. C’est encore plus palpable pendant le Salon du livre de Québec. En ce qui concerne les auteurs de Québec, on remarque qu’ils ont tendance à nous soumettre plus facilement leurs manuscrits à cause de la proximité. Hamac a d’ailleurs publié plusieurs auteurs de la région. Mais ce n’est pas un prérequis. Une certaine confrérie s’est créée avec les autres éditeurs de Québec. On a évidemment des liens plus étroits avec les libraires du coin.</p> <p><strong>PLL: </strong>Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte&nbsp;en particulier parmi les manuscrits que vous recevez?</p> <p><strong>ES: </strong>La force de l’écriture avant toutes choses. Comme tout a pratiquement déjà été raconté, c’est la voix de l’auteur qui fait la différence. La plupart des manuscrits que nous recevons sont corrects (il y en a très peu de mauvais). La plupart mériteraient une bonne note pour la structure, l’écriture et la cohérence. Malheureusement, la plupart ne possèdent pas une voix qui leur est propre. Le taux de refus des maisons d’édition est d’au moins 90&nbsp;%. Comme dans n’importe quelle discipline, nous ne prenons que les meilleurs et c’est normal. Il ne suffit pas de vouloir être médecin pour le devenir. Ça s’applique aussi à l’écriture. Il ne suffit pas d’écrire pour accéder à la publication. Il faut savoir se démarquer et la seule façon, c’est de bûcher sur un texte.</p> <p><strong>PLL: </strong>Quels sont vos coups de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?</p> <p><strong>ES:</strong> La littérature québécoise vit de belles années en ce moment grâce à tout ce renouveau issu des Alto, Quartanier, Peuplade, Marchand de feuilles et de combien d’autres maisons qui ont vu le jour depuis une dizaine d’années. Le renouveau se sent aussi dans les liens que les éditeurs ont développés entre eux loin de la compétition de base. Ça, je trouve ça beau.</p> <p>Dans les choses qui me dérangent énormément depuis quelques temps, c’est que, à trop vouloir démocratiser la lecture, les sphères culturelles et médiatiques ont fini par évacuer sa dimension intellectuelle. Les lecteurs plus exigeants que ceux faisant partie du «grand public» ne trouvent pratiquement plus leur compte et on accepte ça comme si ce n’était pas grave, comme si ça allait maintenant de soi de ne plus vouloir rejoindre cette clientèle. C’est navrant. Je dirais même plus: c’est méprisant.</p> <p><strong>PLL: </strong>Y a-t-il des nouveautés que vous aimeriez nous présenter? Des livres que vous avez publiés qui n’ont pas reçu autant d’attention que vous auriez souhaité et dont vous aimeriez parler?</p> <p><strong>ES:</strong> Le premier qui me vient en tête, c’est <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/louee-2857.html"><em>La Louée</em></a> de Françoise Bouffière. Au niveau de l’écriture et de l’intensité dramatique, je compare ce roman au <em>Grand cahier</em> d’Agota Kristof ou <em>La fille laide </em>d’Yves Thériault. Les deux livres d’Emmanuel Bouchard <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/passage-2811.html"><em>Au passage</em></a> (nouvelles) et <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/depuis-les-cendres-3251.html"><em>Depuis les cendres</em></a> (roman) méritent un plus grand lectorat. Son univers est un heureux mélange de rigueur, de poésie et de sensibilité. Emmanuel s’inscrit dans une réelle démarche d’écrivain et j’espère qu’avec le temps les gens reconnaîtront son talent. J’aimerais aussi que Stéphane Libertad (<a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/trajectoire-3129.html"><em>La trajectoire</em></a> et <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/baleine-parapluie-3012.html"><em>La Baleine de parapluie</em></a>) soit plus lu. Dans ses romans, il fait ressortir les travers de la nature humaine en utilisant un certain cynisme non dénué d’humour derrière lequel se tapie souvent une amertume très touchante. J’adore ce mélange. Je ne voudrais pas terminer cet entretien sans vous inciter à lire le superbe roman d’Hélène Lépine <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/leger-desir-rouge-3278.html"><em>Un léger désir de rouge</em></a>.&nbsp; De la belle et haute voltige littéraire. &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/DEPUIS-LES-CENDRES_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Depuis les cendres"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/DEPUIS-LES-CENDRES_COUV-HR.jpg" alt="110" title="Depuis les cendres" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Depuis les cendres</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/LA-BALEINE-DE-PARAPLUIE_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="La Baleine de parapluie"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/LA-BALEINE-DE-PARAPLUIE_COUV-HR.jpg" alt="114" title="La Baleine de parapluie" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>La Baleine de parapluie</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/UN-LEGER-DESIR-DE-ROUGE_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Un léger désir de rouge"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/UN-LEGER-DESIR-DE-ROUGE_COUV-HR.jpg" alt="113" title="Un léger désir de rouge" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Un léger désir de rouge</span></span></span></p> Québec Récit de voyage Récit(s) Nouvelles Roman Thu, 22 Nov 2012 15:30:42 +0000 Pierre-Luc Landry 638 at http://salondouble.contemporain.info L'Estonie à la première personne http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/eesti-notes-sur-lestonie-0">Eesti. Notes sur l&#039;Estonie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="margin-left:247.8pt;">Pas encore de vue d’ensemble de la ville.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’aime ces tâtonnements entre le noir et le blanc.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">Travail d’aveugle, esclave de l’endroit où poser le pied pour ne pas glisser.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’apprends le braille des trottoirs.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">—Richard Millet, <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em></p> <p align="right">&nbsp;</p> <p>Du compositeur estonien Arvo Pärt, j’aime tout particulièrement le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em>. Il y a dans cette pièce une tristesse magnifique qui me transporte à tout coup, dès que les cloches sonnent en ouverture, sur les ruines modernes (et encore fonctionnelles, dit-on —je n’ai pas vérifié) de Linnahall, un vaste complexe sportif et culturel construit à Tallinn par l’architecte Raine Karp pour accueillir les compétitions de voile des Jeux olympiques de Moscou, tenus en Union soviétique pendant l’été 1980. Nous sommes arrivés là un peu par hasard, Benoit, Marie-Hélène, Liguori et moi; nous flânions en direction du marché russe de la gare ferroviaire et notre intention était de nous y rendre en passant par Kalamaja, sorte de petit village de pêcheurs qui borde la Baltique, une enclave charmante qui nous a attirés vers elle avec ses maisons colorées, ses habitations en bois et ses chats un peu partout, dans les ruelles étroites, aux fenêtres, dans les parcs, perchés sur les branches d’arbres ou sur les clôtures, etc. Enfin… Marie-Hélène dira qu’elle déteste les chats, mais elle s’est quand même extasiée avec nous devant celui, tout blanc, qui sortait d’une petite fenêtre en haut d’un immeuble de bois pour prendre l’air et contempler les passants. Un chat habitué à l’ambiance particulière de ce village tout juste au nord de la vieille ville, un chat peinard, nonchalant, qui jugeait avec toute la supériorité que lui confère sa race les quatre touristes idiots qui le prenaient en photo et qui jetaient de petits cris à chacun de ses mouvements, puisqu’ils avaient peur qu’il tombe et se casse les pattes sur le pavé quatre étages plus bas.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" id="" longdesc="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%201,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Nous sommes donc passés, à tout hasard, devant Linnahall, immense bloc de béton et de briques, monstre gris et brun, sorte de bunker des arts et des sports négligé, comme à l’abandon. Pas âme qui vive: portes condamnées, graffitis un peu partout, murs à moitié défoncés, arbustes ici et là perçant le béton des marches des escaliers… Un seul oiseau sur une torche électrique: une corneille grise et noir qui s’est envolée quand je me suis approché pour la prendre en photo. Je ne peux évoquer cet endroit autrement que par le sentiment d’irréalité qui s’en dégageait et qui nous a poussés à explorer davantage ses environs. Nous sommes montés sur le toit, par où il faut passer pour y entrer. Une vaste agora s’ouvre tout en haut des escaliers, dominée elle aussi par le gris et le brun, quoique ceux-ci soient atténués cette fois par le vert des mousses qui s’accrochent aux blocs de béton et l’aqua des lampadaires qui se multiplient, on dirait, à l’infini. «Administratsioon / АДМИНИСТРАЦИЯ», annonce une plaque graffitée, aqua elle aussi, posée devant une porte fermée à clé. Plus loin, on peut descendre vers le cœur du monstre, vers ce qui semble être la porte principale, elle aussi verrouillée, ornée de l’inscription «Kontserdisaal» —la salle de concert, vraisemblablement, bien qu’il soit presque impossible d’imaginer un orchestre symphonique qui se produirait sous terre, à l’intérieur d’une ruine soviétique. Il est possible toutefois de monter encore plus haut, sur le dernier étage du toit, d’où on a une vue superbe sur la vieille ville, sur Kalamaja, sur Kesklinn et ses gratte-ciel ultra modernes, ou encore, de l’autre côté, sur l’héliport qui dessert Helsinki et sur l’immensité grise de la mer Baltique. Nous nous sommes attardés à cet endroit surréaliste. Et c’est à ce moment sublime que nous avons partagé tous les quatre que me ramène le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em> de Pärt. C’est comme si j’entendais les cloches de la cathédrale orthodoxe Alexander Nevsky, au loin, sur la colline de Toompea. C’est comme si je me retrouvais là pour la première fois, en octobre alors que les arbres rougissent et que le vent du nord se lève, et que j’arpentais les ruines de Linnahall, attentif au moindre soulèvement esthétique qui pourrait m’assiéger. C’est comme si nous partagions un breuvage chaud aux Chocolats de Pierre, un troquet d’inspiration française sis dans une petite cour intérieure confidentielle près de la place de l’Hôtel de Ville de Tallinn, après avoir arpenté les rues au dénivelé incertain des vieux quartiers sous un froid mordant et magnifique.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%202,%202009_0.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>C’est cette Estonie mystérieuse et étonnante que je retrouve dans <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em> de Richard Millet. Ce petit ouvrage se lit comme on écoute l’<em>Aliinale</em> de Pärt: lentement, en respectant les blancs —qui sont d’ailleurs nombreux. Ce carnet ne suit aucun plan: c’est un ensemble de notes sur la langue, le froid, les trottoirs, une suite de réminiscences littéraires et personnelles qui entraînent le lecteur dans une Estonie déformée par les souvenirs de l’enfance libanaise de Millet. Ce que Millet offre à son lecteur, au final, ce n’est pas tant un carnet de voyage qu’un carnet écrit <em>à cause</em> d’un voyage, <em>sous l’impulsion</em> d’un voyage —et qui déborde du cadre strict du récit de voyage, bien sûr. Cette posture implique une surconscience de l’écriture, qui se dit en même temps qu’elle se fait. Il y a cela d’intéressant dans <em>Eesti</em>, entre autres choses: cette parole honnête d’un écrivain qui arpente un pays qu’il ne connaît pas, qui le décrit dans ses propres mots, en faisant appel à ses propres souvenirs, sans tomber dans le piège d’un exotisme de pacotille. Cela donne lieu à des moments hors du temps du voyage durant lesquels l’écrivain, dont les sens sont attisés par une madeleine symbolique —une conversation entendue dans un café, une scène dont il est témoin, un orage, même—, s’éloigne de l’Estonie empirique, de cette Estonie dont n’importe quel récit de voyage peut rendre compte, afin d’explorer son geste d’écriture et sa posture de voyageur. Par exemple:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">L’orage gronde. Les premières gouttes tombent. Nous ne pouvons rester sur notre banc, à attendre la dame au petit chien de Tchékhov, quoique les installations un peu désuètes, en béton et en fer, me transportent par instants dans un autre décor: sur la plage de Lattaquié, en Syrie, ou encore à Balbec, dans le roman de Proust —en vérité nulle part, comme je le dis à Katrina, qui se moque de moi:</p> <p style="margin-left:70.8pt;">«Tu es toujours dans ta posture hiératique!»</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Elle a raison. Je ne parviens pas à me défaire de moi. Un écrivain a ceci d’insupportable qu’il est sans cesse sollicité par sa mémoire, laquelle vagabonde et cherche indéfiniment son langage.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">L’esprit de sérieux comme remède à l’angoisse, ou bien écran dressé devant le monde?</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Une des raisons de voyager, c’est d’aller défaire la dame au petit chien, le professeur Aschenbach, le narrateur proustien au bout de toutes les jetées. C’est en finir avec le hiératisme des «correspondances», et s’immoler soi-même sur la même jetée, devant l’eau boueuse, par un soir de grand vent.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">C’est devenir ce vent (p.102).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%203,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Millet livre à quelques reprises ce type de petits aphorismes sur le voyage. Il écrit, par exemple, que voyager, «c’est n’être personne, abandonner tout préjugé, se défaire de soi<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>: une liberté incomparable / C’est aussi accéder à soi par altération —consentement infini à autrui» (p.95). Cette réflexion, qui prend la forme de maximes et de fulgurances de l’esprit, entraîne le lecteur bien loin du récit de voyage plus conventionnel, que la collection «Le sentiment géographique», dans lequel l’ouvrage de Millet est publié, cherche d’ailleurs à contourner. Contourner ou, plus simplement, ignorer. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de désir explicite de lutter contre une certaine tendance ou façon de faire; c’est plutôt comme si les frontières avaient été repoussées jusqu’à leur extrême limite et que l’individu contemporain ne pouvait se targuer de découvrir et relater, «pour le bénéfice des siens», ce qui se cache derrière le voile opaque de l’exotisme.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%204,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Une petite note sur les intentions de cette collection, dirigée par Christian Giudicelli, en page de garde, exprime d’ailleurs plutôt bien cette «politique éditoriale», si on peut l’appeler ainsi, qui donne la parole aux écrivains qui vagabondent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Tout n’a pas été dit, les guides touristiques n’étant pas conçus pour révéler le plus secret d’une ville ou d’un pays. Le secret, c’est ce qu’un écrivain retrace et tente d’apprivoiser hors de chez lui, dans une rue lointaine, devant un monument célèbre ou le visage d’un passant. Ainsi recompose-t-il, en vagabond attentif, un monde à la première personne. Donc jamais vu.</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%205,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Et le pari a été relevé, du moins avec l’ouvrage de Millet; c’est véritablement un monde à la première personne qui se donne à voir dans <em>Eesti</em>, que je me permets ici de citer longuement afin d’en donner un aperçu clair, un monde fait d’observations, de réflexions, de souvenirs, de lectures, et d’une bonne dose de poésie:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Il fait si froid qu’on ne peut s’arrêter nulle part, ni rêver; la rêverie est prise dans la marche: une rêverie obstinée, de la pensée, plutôt, à l’état naissant, prête à bondir vers la joie ou la tristesse où elle se défait.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Dans ces conditions, l’Estonien demeure pour moi un fantôme, tandis que je piétine mon apparence dans la neige et sur le verglas.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je suis reconnaissant au froid de me délivrer de la sueur, de retrouver cette forme de dignité qu’est le fait de ne pas transpirer immodérément.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je reste seul, ce soir, dans l’appartement de Kriistina.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je lis pour oublier la blancheur du dehors, qui imprègne tout, jusqu’aux voix, au texte de Balzac: <em>La Muse du département</em>, et même ma propre langue, la blancheur m’empêchant par exemple de voir se dresser la colline de Sancerre, de la même façon que la bière A. Le Coq que je viens de boire pour accompagner des fromages lapons et estoniens sur du pain noir dissipe le souvenir du goût de pierre à fusil qu’a la sancerre. Nulle synesthésie n’ayant lieu, je tente de boire du cognac lituanien. Trop douceâtre… Je m’en remets donc à la pensée balzacienne, implacable quant à l’insecte social qu’est l’homme moderne, mais qui n’hésite pas, surtout pour les femmes, et tout antithétique que cela paraisse, à risquer une entomologie de la grâce (p.68-69).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%206,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Tout n’est pas agréable, par contre, dans ce carnet; on voit poindre là, d’ailleurs, ce qui rend Millet si antipathique dans ses essais plus polémiques. Ce qu’il dit de «l’insecte social qu’est l’homme moderne» et de sa littérature trahit la même virulence de pensée que dans <em>L’enfer du roman </em>(2010), par exemple<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, ou encore <em>Arguments d’un désespoir contemporain</em> (2011) —et dans bien d’autres titres encore. Je ne m’attarde tout simplement pas trop à ces passages sur la «globalisation américaine» (p.72), sur le Spectacle (p.61) ou sur la post-littérature (p.56), me disant que chaque écrivain a ses obsessions et que celles de Millet ne se veulent pas, du reste, charmantes et attachantes.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%207,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Je souris notamment lorsqu’il évoque l’omniprésence de l’ail dans la cuisine estonienne; me viennent tout de suite au nez des effluves corsées, les mêmes que l’on peut respirer en entrant dans la vieille ville par Viru väljak, au pied du restaurant Olde Hansa où l’on boit et mange dans des couverts, des plats et des chopes faits à la main, au sous-sol, selon des techniques vieilles de plusieurs centaines d’années. Cette odeur d’ail qui persiste jusque sur la place de l’Hôtel de Ville, à l’architecture hanséatique imposante, où, tout juste à côté de la pharmacie du magistrat, dans un petit passage, se trouve un restaurant qui fait du bulbe sa spécialité.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%208,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Il y a de ces bouquins dont on retire un immense plaisir de lecture. C'est grâce aux <em>Notes sur l’Estonie</em> de Millet que je suis retourné, par personne interposée, dans ce petit pays du bout du monde. De la même façon que je me laisse transporter là-bas par les violons et le piano quand j’écoute <em>Spiegel im Spiegel</em> de Pärt.</p> <div> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%209,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em><font><font size="2">Les photographies qui illustrent ce texte ont été réalisées par Pierre-Luc Landry à Tallinn, en octobre 2009.</font></font></em></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> On me fait remarquer, à juste titre, que cet appel à se défaire de soi est paradoxal et curieux, considérant la longue citation qui précède et dans laquelle Millet affirme qu’il ne parvient pas à se défaire de lui-même. Comme il revient constamment à ses obsessions, même en Estonie, serait-ce que le voyage, qu’il décrit ainsi, n’arrive pas à se réaliser complètement? Si le voyage est une altération, on peut supposer que cette altération ne se constate qu’en observant dans le détail ce qui se passe <em>à l’intérieur de soi</em> et non pas à l’extérieur, et qu’ainsi Millet voyage bel et bien, puisqu’il retourne en lui-même pour y constater le changement —et l’immuable, puisqu’il en reste néanmoins.</p> </div> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Que Manon Auger et moi avons recensé l’an dernier dans ce même salon: lire <a href="lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">«Dans le “vestibule de l’enfer”»</a>, publié le 4 avril 2011.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne#comments Aphorismes AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc France Genre Journaux et carnets MILLET, Richard Récit de voyage Récit de voyage Vagabondage Fri, 27 Apr 2012 16:20:43 +0000 Pierre-Luc Landry 485 at http://salondouble.contemporain.info