Salon double - Genre http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/1292/0 fr La Pologne... quelle Pologne? Studio de lecture #3 http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-pologne-quelle-pologne-studio-de-lecture-3 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/berard-cassie">Bérard, Cassie</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/blanchard-christian">Blanchard, Christian</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/petruzziello-treveur">Petruzziello, Treveur</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/saint-yves-myriam">Saint-Yves, Myriam</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-pologne-autres-recits-de-lest">La pologne &amp; autres récits de l&#039;est</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;"><strong>Myriam Saint-Yves [MS]</strong>: Bien avant d’essayer de résumer <em>La pologne</em>, je sens le besoin de comprendre la <em>chose,</em> le projet, l’intention (même si certains y verront peut-être un exercice futile). Avant d’attaquer la lecture, la quatrième de couverture me semblait à la fois intriguante et rassurante:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">Quoi de commun entre des guerres cosmicomiques et le délire d’un auteur draguant les filles dans les cafétérias? Entre le monde contemporain en prise à ses frissons médiatiques paranoïaques et les errances immorales d’une tribu en Sibérie? On l’aura compris: <em>La pologne </em>n’est ni un carnet de voyage ni un roman historique. <em>La pologne </em>dresse plutôt, dans des fictions postréalistes, la carte d’un vaste espace intérieur. Résolument à l’est (pour ne pas dire à l’ouest) et dans un ton très bédéesque, <em>La pologne</em> met en scène, de façon drôle et énigmatique, nos frousses à tous, nos angoissantes questions existentielles à nous, humains sans foi ni loi, sortis de terre dans la seconde moitié du XXe siècle.</span></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Il me semble que la définition du livre par la négative aurait dû éveiller quelques soupçons: on comprend vite ce que le livre n’est pas, mais comment expliquer ce qu’il est (au-delà de l’intuitif «c’est spécial»)? Pour moi, cela demeure un mystère, autant en ce qui concerne l’écriture, la forme et le genre qu’en ce qui concerne le récit. D’ailleurs, cette appelation de «récits» qui figure en couverture me semble être un vague fourre-tout, un leurre éditorial.</p> <p style="text-align: justify;">Pour ce qui est de l’écriture de Tholomé, la piste du ton bédéesque aide (un peu) à apprivoiser le rythme saccadé du texte, même si, personnellement, j’ai compris la construction assez tard dans ma lecture. Dans la première partie, j’y ai vu une tentative de reproduire le découpage visuel propre à la bande dessinée. En effet le lecteur de <em>La pologne...</em> saisit le texte par morceaux, un peu comme on procède quand on déchiffre une page de bande-dessinée, en lisant d’abord l’encadré, puis les images, et enfin le texte dans les phylactères. Cela expliquerait du moins l’abondance des «de sorte que» et des marqueurs temporels isolés, qui, selon ma théorie, représenteraient le passage d’une case à l’autre. Dans la seconde partie, il me semble que la dynamique du texte change: on lit plutôt des monologues sans cesse interrompus. Le hic, c’est que cette écriture par hoquets m’a fait perdre le fil… J’ai bien ri, j’ai à peu près saisi chaque récit séparément… mais je n’ai rien retenu du tout! C’est comme si je n’avais pas réussi à assembler toutes les miettes que nous jette Vincent Tholomé.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Treveur Petruzziello [TP]</strong>: Je souhaite poursuivre la réflexion qu’a entamée Myriam sur le ton bédéesque de <em>La pologne &amp; autres récits de l’est</em>. Si cette écriture saccadée a pu incommoder certains lecteurs, elle m’a séduit. Dès l’incipit, la profusion de marques de ponctuation (le point, uniquement), de concert avec les répétitions, les redites et les interjections, m’ont donné l’impression que la narration n’était qu’un flot de paroles prononcées par les personnages. Un peu, comme le soulevait Myriam, comme s’il nous était donné à lire une succession de bulles.</p> <p style="text-align: justify;">Il importe ici, avant que je ne continue, que je résume le premier «récit», «La pologne», sur lequel je m’attarderai. Tous les matins vers neuf heures, vincent tholomé se rend dans une cafétéria de namurland où il commande deux croissants et un café. À une table, il s’assoit dans l’attente qu’une bébi, «une belle femme si tu veux» (p.9), s’installe près de lui pour qu’il puisse lui parler de dieu la pologne. Vincent tholomé lui raconte alors, et ce, malgré le peu d’intérêt dont lui fait part son interlocutrice, comment dieu la pologne s’immisce dans son quotidien, ayant comme seul but de l’importuner.</p> <p style="text-align: justify;">Je dois avouer avoir d’abord cru que dieu la pologne était une pure invention de vincent tholomé, lui permettant de philosopher sur l’existence, mais j’ai eu tôt fait de m’apercevoir que dieu la pologne était un personnage autonome. S’ajoute à celui-ci le diable de l’enfer: «Le problème est. [...] Que le diable de l’enfer et [dieu la pologne] veul[ent]. Pareillement. Faire ami-ami avec l’esprit de vincent tholomé» (p.26). Par leur présence et leur intention, il y a là quelque chose de très bédéesque. Comment ne pas s’imaginer un diable miniature converser avec un ange au-dessus de la tête de vincent tholomé? Comment ne pas songer à Milou, dans l’album <em>Tintin au Tibet</em>, qui observe des gouttes de whisky se répandre sur le flanc d’une montagne alors que, tour à tour, un diable et un ange tentent d’influencer ses agissements?</p> <p style="text-align: justify;">Il m’apparaît intéressant de soulever qu’alors que je croyais, comme je l’ai mentionné précédemment, que vincent tholomé était en contrôle de son existence et de celle de dieu la pologne, c’est l’inverse qui se produit. Dieu la pologne «est à sa planche à dessin» (p.29) et observe le protagoniste. Ici, vincent tholomé, personnage que l’on pourrait aisément associer à l’auteur (ou à «un» auteur) et, donc, à celui qui crée, est créé. C’est en quelque sorte dieu la pologne, bédéiste «suçot[ant] un bout de crayon sur sa planche à dessin» (p.29) et créateur, qui invente vincent tholomé et le manipule comme un pantin.</p> <p style="text-align: justify;">La mise en scène d’un personnage dieu-créateur, qui n’est pas le protagoniste, fait écho à une réflexion que j’ai eue dès l’incipit à la lecture de cet extrait: «Le type. Vincent tholomé. Oui. Mais tu peux l’appeler autrement si tu veux. Tu peux l’appeler raoul duquet. Ou olive dukajmo. Ou que sais-je encore. Moi je dis vincent tholomé. Je préfère l’appeler comme ça. Ça ne concerne personne comme ça. Gêne personne. Etc. Bon» (p.9). Les diverses appellations possibles de même que l’absence de majuscules au début des noms banalisent la singularité du personnage, comme si, dans cette fiction, tout se vaut, comme si tout est interchangeable. Comme si un «dieu manipulateur» peut tout remodeler à sa façon.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Cassie Bérard [CB]</strong>: L’interprétation qui suit. Est brève. Et un peu tordue. Elle veut mettre en parallèle. Des idées qui ont été nommées jusqu'à maintenant dans la discussion. Et qui ont surgi tout au long de ma lecture. Elle veut donner un sens aux mots. «récit». «invention». «dieu créateur».</p> <p style="text-align: justify;">La clé de ce livre éclaté se trouve. Pour moi. Dans la notion de récit. Même si la clé de ce livre ne l’ouvre qu’à demi. Pourquoi ne pas prendre ces courts textes comme des récits. Des histoires racontées. Pourquoi dieu la pologne ne peut-il pas être considéré. Comme un narrateur. Dieu la pologne parle de vincent tholomé et vincent tholomé parle de dieu la pologne.</p> <p style="text-align: justify;">J’ai l’impression que ce «dieu manipulateur» agit sur l’auteur. Comme toute création agit sur son créateur. Dieu la pologne pourrait-il être la part de création. De vincent tholomé. Vincent tholomé est amené à raconter des anecdotes. Et il se laisse influencer par ce qui l’occupe. Par ce qui l’entoure. Les faits. Les gestes. Jusqu’à user d’un langage complètement déconstruit. Jusqu’à une syntaxe et une ponctuation improbables. Dieu la pologne. Après tout. Ne «tente[-t-il pas] de revenir dans l’esprit de vincent tholomé» (p.11). Comme l’indique le titre de l’essai #1.</p> <p style="text-align: justify;">Dans ce qui tient lieu de préface. Une réflexion s’élabore: «il ne suffit que d’un seul esprit. Un seul polonais. Pour que dieu la pologne existe. Il dit qu’il en va de même avec n’importe quoi qui te vient à l’esprit. En fait. Ajoute-t-il. Je dis dieu la pologne mais ça pourrait être n’importe quoi» (p.10). Un seul polonais n’a rien à voir avec la pologne. Puisque ça aurait tout aussi bien pu être namurland. Un seul polonais c’est celui qui est porteur de la parole. Dieu la pologne c’est l’idée qui s’impose. L’idée même de conception d’un récit. C’est aussi abstrait que le fait de nommer la chose dieu la pologne. Aussi complexe que d’essayer de donner un sens à tout ça. Bon.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Je dois avouer, maintenant que mes collègues ont dit quelque chose d’assez intelligent sur le texte, que j’ai été profondément ennuyé par <em>La pologne…</em>, au point de remettre toujours au lendemain mon intervention pour ce studio de lecture. Un petit livre d’à peine 93 pages ne m’aura jamais paru aussi long. Reste que certaines choses intéressantes peuvent être dites sur ce collage de trois récits. Dans le premier, le terme «essai» est employé à plusieurs reprises dans les intertitres. Il me semble qu’il y a là une piste pour quiconque tente de comprendre ce qui se passe sous ses yeux de lecteur. J’entends donc «essai» au sens de «tentative», et cela ouvre grandes les portes de l’intelligibilité. Il y a des personnages et un embryon d’intrigue, une certaine narrativité, donc, mais le récit n’advient pas et le langage est constamment déconstruit. On pense à Ionesco et à Chevillard, comme si on lisait un hybride entre <em>La cantatrice chauve</em> et <em>La nébuleuse du Crabe</em>, un hybride qui a exacerbé ce qui était prégnant chez ses parents génétiques pour créer un clone insupportable que l’on peine à lire et à comprendre. «Tentative», donc —j’y reviens—, tentative de récit, tentative de narration. Exploration formelle poussée à l’extrême. «Rien n’arrive», écrit le narrateur (p.16). S’agit-il d’une prise de position? Aurait-on affaire à une parodie de roman, à une caricature de récit?</p> <p style="text-align: justify;">Je ne parle pas d’Ionesco pour faire beau. La façon dont Cassie a formulé son intervention, un peu plus haut, montre bien l’économie du texte, qui fonctionne par à-coups, par répétitions, martellements, coïts interrompus avec la phrase syntaxique. Comme si le narrateur voulait subvertir le langage, comme s’il refusait d’en faire un usage normal pour créer, en quelque sorte, une espèce de bégaiement narratif qui teintera les trois textes colligés dans le livre. Le langage, tout comme le récit, ne sert plus à communiquer; c’est ce que j’appellerais de «l’art pour l’art» si j’étais parnassien. Mais je ne le suis pas; ce double mouvement de bafouillage —bafouillage du langage et bafouillage du récit— m’a beaucoup dérangé. Mais je ne sais pas pourquoi. J’accepte d’ordinaire assez facilement les expérimentations formelles. Laissez-moi le temps d’y réfléchir encore un peu.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Christian Blanchard [CBL]</strong> : D'entrée de jeu, je remercie Pierre-Luc de s'être ouvertement exprimé: même après avoir lu les différentes interventions —qui offrent d'excellentes pistes au sujet de <em>La pologne</em>— je suis encore un peu coi devant ces «récits», dont la lecture était, je l'avoue à mon tour, pénible. Bon. C'est dit. Et re-dit. Bon. Le rythme saccadé de la lecture où le nom propre devient pronom et où l'adjectif devient nom propre («Broyeur et Goitre») m'a laissé sans boussole dans ma recherche d'une clé à découvrir. Sauf pour un cocasse flash d'une version postapocalyptique du film <em>Chicken Run</em>, amusante vision que mon esprit a bien voulu me concocter, j'avoue que rien ne m'est encore clairement apparu dans le recueil de Tholomé.</p> <p style="text-align: justify;">Deux choses m'ont toutefois marqué à la lecture de <em>La pologne</em>: la quasi-absence de noms propres et la fin du recueil où le lien est effectué entre les différents protagonistes rencontrés au fil de la lecture. On peut donc avancer que le nom n'a pas une grande importance dans le texte, si l'on se fie au passage libre dans l'écriture du nom propre au nom commun. Toutefois, des indices onomastiques tels que «Broyeur et Goitre» (les seuls noms propres, il me semble, dans le recueil) m'amènent également à croire, à la suite de la réflexion de Treveur, que l'auteur désire instaurer non pas des personnages, mais des types interchangeables et utilitaires, qui s'inscrivent dans un projet d'une visée universelle (car comment songer au «grand cosmos» sans viser une pensée universelle de l'existence?). Ainsi, partant d'un récit éclaté, le recueil se termine sur un rassemblement général (à travers une certaine ironie de situation) des personnage-types, en les inscrivant dans une réalité homogène. C'est donc dire que ce n'est pas la personne qui est importante, mais le rôle qu'elle joue, qu'elle comble, dans l'orchestration du «grand cosmos», comme l'atteste cette rencontre de réflexions existentielles multiples rassemblées en une existence commune. Dieu la pologne, grand marionnettiste, aurait-il tressé tous les fils, savamment conçus, interreliés et attribués, à partir de sa table à <em>dessein</em>?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Oana Panaïté, dans un article sur les «Poétiques du personnage contemporain», écrit ceci: «Car si l’idée d’un être fictionnel dépourvu d’attributs personnels tels que nom, caractère, situation sociale, possessions matérielles pouvait susciter la polémique il y a un demi-siècle, elle relève aujourd’hui de l’évidence dans la théorie comme dans la pratique de la fiction» (2007: 499). <em>La pologne…</em> n’a pas le potentiel subvertif des <em>Gommes</em> de Robbe-Grillet par exemple qui, il y a presque soixante ans, a choqué le public par ses personnages désincarnés, un peu anonymes. Ici, des personnages, y en a-t-il vraiment? Il y a récit donc il y aurait des personnages, mais réduits à leur degré zéro, à un point tel qu’il ne reste que le langage —et que celui-ci n’a rien pour me retenir, avec ses hachures au final assez insupportables. J’en arrive à me demander ceci: que dire d’autre à propos de ce bouquin et qu’il serait pertinent de relever?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>CB</strong>: Difficile en effet d’aller plus loin dans l’analyse de cette œuvre qui se déconstruit sous nos yeux. Difficile d’en extirper du sens sans tomber dans l’interprétation à outrance, où chaque hypothèse de lecture peut être démentie, car trop peu appuyée par le texte fuyant. On peut parler d’un langage réinventé, mais on ne saisit pas le projet. On peut parler de rapprochements avec le conte, des anecdotes sur l’étrangeté du monde, chapeautées par des sous-titres à la <em>Gargantua</em>: «où l’on s’insinue subrepticement dans les coulisses d’un hôpital spécialisé; où l’on se dit qu’il est heureux qu’on porte ici des gants de latex et des blouses vertes désinfectées» (p.57). On peut, en ce sens, retrouver l’exercice que proposait Hervé Bouchard dans <em>Mailloux. Histoires de novembre et de juin</em>: «Où il est dit que Jacques Mailloux reçut en songe les mots qui le font» (p.17). Dans l’une et l’autre des œuvres, ce procédé veut appuyer l’étrangeté de l’univers qui se déploiera. Dans <em>Mailloux</em>, il y a une continuité –l’histoire, bien que fragmentée en courts récits, est soutenue par le personnage de Mailloux qui revient; dans <em>La Pologne</em>, on propose des fragments distincts, un éparpillement du sens. Même si des noms reviennent, ils n’ont pas de substance, pas d’identité, ce sont des squelettes de personnages interchangeables, comme il a été mentionné par Treveur et Christian. On peut parler d’une constance de l’écriture. D’une. écriture. Hachurée. Mais. On. Peut. Aussi. Remettre. En. Question. L’effet. D’un. Tel. Procédé. Qui. Semble. Repousser. Le. Lecteur. Plutôt que de l’inviter à investir le texte. On peut parler d’une expérimentation formelle, comme le propose Pierre-Luc, et se persuader que ce que l’auteur a voulu transmettre par ce travail a une portée qui nous échappe. Et on peut aussi se dire que l’auteur s’est au moins fait plaisir. Pour ce que l’œuvre apporte, eh bien, beaucoup de questionnements et un petit brin d’angoisse littéraire.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Même si j’ai affirmé plus haut n’avoir plus rien à dire, je me permets une autre intervention afin de questionner mes collègues. Il ne s’agit pas d’une question rhétorique, soyez rassurés. Toutefois, Myriam et Treveur ont relevé une certaine parenté entre <em>La pologne</em>… et la bande dessinée. La quatrième de couverture va en ce sens: on y affirme que les récits sont écrits «dans un ton très bédéesque». Il y a une allusion directe à la bande dessinée dans le premier récit: «&nbsp;Ce con de dieu la pologne. Il suçote un bout de crayon sur sa planche à dessin. […] Quand dieu la pologne est à sa planche à dessin. Il ne voit pas l’esprit de vincent tholomé prendre une pause dans le présent doré» (p.29). Mais au-delà de ces deux interventions, l’une de la part de l’éditeur, l’autre de l’auteur (ou du narrateur), je n’ai relevé aucune&nbsp;«similitude» —et le mot n’est pas très approprié— entre <em>La pologne…</em> et la bande dessinée. J’aimerais alors entendre Myriam et Treveur nous entretenir un peu de cet aspect du texte, comme Cassie et moi, après en avoir discuté ensemble (vous avez accès ici aux coulisses de ce studio!), n’arrivons pas à bien voir le rapprochement.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>MS : </strong>Je dois avouer que je me suis aussi interrogée sur ce lien entre la bande dessinée et <em>La pologne... </em>suggéré par l’éditeur, d’autant plus que, contrairement à Treveur, la présence du dieu et du diable ne m’ont pas du tout rappelé Milou déchiré entre le bien et le mal... Le rapprochement, selon moi, tient à un certain mimétisme formel, mimétisme qui, dans une certaine mesure, pourrait justifier (j’ai été tentée d’écrire <em>excuser</em>) l’éclatement du recueil (à défaut de vraiment révéler un projet littéraire). Comme je l’ai expliqué plus haut, j’ai désespéremment essayé de donner un sens à la phrase hachée de Vincent Tholomé. Elle imite, à mon avis, le rythme saccadé de la lecture picturale, et rend, par des mots (notamment par les marqueurs de relation comme «de sorte que»), les liens logiques qu’opèrent les lecteurs de bandes dessinées lorsqu’ils passent d’une case à l’autre. Dans la seconde partie du recueil, les descriptions des lieux entre parenthèses jouent un peu le rôle des encadrés que l’on retrouve parfois dans les bandes dessinées: «chez chen –22h08– comme toutes les nuits, il reste encore de nombreux clients, quelques couples, la plupart du temps des hommes seuls, ils matent les serveuses, chez chen doit sa réputation méritée à l’allure particulièrement soignée de son personnel féminin» (p.53). On pourrait aussi rapprocher le texte de Tholomé du scénario, ou même de la pièce de théâtre enrichie de didascalies. Je crois que ce qui ressort de nos observations, à Treveur et à moi, c’est l’importance qu’accorde Tholomé à l’articulation des images et des voix, articulation qui est essentielle tant en bande dessinée qu’au cinéma... Bref, parler de «ton bédéesque» n’est peut-être qu’une façon de suggérer la façon dont l’auteur met en scène le récit, privilégiant la parole à l’action, l’enchaînement des tableaux à la cohérence entre eux...</p> <p style="text-align: justify;"><strong>TP: </strong>Qu’est-ce qui contribue au «ton très bédéesque» de <em>La pologne...</em>? Et qu’entendons-nous par «ton bédéesque»? Parce que, peut-être que la divergence de nos lectures ne résulte que d’une mésinterprétation de ce terme. Donc, bédéesque? dis-je. <em>Néologisme</em>! D’accord... Ainsi, si je réfléchis un peu, j’en viens à cette analyse morphologique: bédéesque: radical: bédé (abréviation de bande dessinée) + suffixe: esque (qui signifie <em>à la façon de</em>). Donc, ayant les particularités de la bande dessinée. Comme ubuesque, par exemple, qui renvoie aux caractéristiques du Père Ubu. Et maintenant, que vient singulariser la bande dessinée? Pour ne pas verser dans des hypothèses offrant des réponses creuses et quelque peu bancales, on peut se demander à quelle autre oeuvre on a attribué ce qualificatif et pour quelles raisons.</p> <p style="text-align: justify;">Voilà que je me souviens avoir assisté, en 2007, à l’Espace Libre à Montréal, à une représentation de <em>Problème avec moi</em>, précédé par <em>Le déclic du destin</em>, de Larry Tremblay, dont on avait qualifié de bédéesque le jeu des acteurs. Dans <em>Le déclic du destin, </em>Léo, après avoir mangé un éclair au chocolat, se démembre progressivement, perdant une dent, puis toutes les autres, sa langue, son index droit, et finalement la tête qui se défait de son corps. À propos de la mise en scène du <em>Déclic</em> et de son travail de comédien, Larry Tremblay explique dans ses notes de travail qu’il souhaite «que [le texte] devienne une bulle de B.D.» (1989: 60), qu’«il est primordial que le macabre soit absent du <em>Déclic</em>», et que «le texte du corps et le corps du texte relèvent de la section “farces et attrapes”» (1989: 64). Le bédéesque n’est-ce pas cela justement: la caricature, le burlesque, l’attrape-nigaud, la dérision, l’absurde?</p> <p style="text-align: justify;">Que se passe-t-il dans le premier «récit» de <em>La pologne...</em>? «Comme à son habitude. Dieu la pologne cherche quelque chose. Une mauvaise blague. Vincent tholomé pourrait en être la victime» (p.25-26). Ainsi, successivement, vincent tholomé aura la vision troublée, la tirette du pantalon coincée, une chaussure possédée. Tout cela à cause de dieu la pologne. Alors, ce bédéesque, comment se manifeste-t-il? Par l’histoire, par les emmerdements drôlesques que dieu la pologne fait subir à vincent tholomé, et par l’écriture elle-même. Comme le disait Myriam précédemment, l’écriture saccadée renvoie certes à la disposition du texte dans des phylactères, comme le prouve ce passage&nbsp;: «On s’est retrouvés en pleine guerre cosmique. Dit vincent tholomé. Oui. C’est sûr. Dit une des deux bébis» (p.25), où l’on visualise bien, graphiquement, l’échange et le changement de locuteur. J’oserais ajouter à cela que la langue elle-même s’inscrit dans une volonté de s’apparenter à la bande dessinée. Les onomatopées —«Pan» (p.9), «Mmm» (p.10), «Pfffff» (p.10), «Ah ah» (p.12), «Bin» (p.3), «Hé» (p.15), «Waw!» (p.17), «Paf» (p.21), «Ha ha ha» (p.21), «Pouh» (p.37)— de même que les phrases déconstruites —«<em>Ce toufu bolder de derme. Ce noccard de don bieu.</em> Dit. Très haut. Très fort. Vincent tholomé» (p.20)—, qui rappellent les paroles contaminées d’une femme de ménage atteinte d’un rhume de cerveau, dans <em>Tintin au Tibet</em>, viennent réaffirmer cette influence.</p> <p style="text-align: justify;">Et si la clé de ce livre provenait, en partie, de la compréhension de cette volonté, de cette contamination esthétique?</p> <p style="text-align: justify;"><strong>PLL: </strong>Je vois et comprends mieux maintenant pourquoi certains souhaitent parler de «ton bédéesque» pour qualifier l’œuvre de Tholomé, mais je ne peux me sortir de la tête l’impression qu’on fait fausse route et qu’on déprécie ainsi la bande dessinée en tant qu’art à la fois graphique et littéraire. J’aimerais renvoyer mes collègues de studio et nos lecteurs à ce texte de Gabriel Tremblay-Gaudette —membre de l’équipe de <em>Salon double </em>d’ailleurs et que l’on salue au passage— repris par l’organisme Promo 9<sup>e</sup> art sur leur site web. Il écrit ceci:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">Ce qui semble être désigné par l’emploi de «bédéesque» est une&nbsp;esthétique ou un comportement grossier, humoristique, décalé, fantasque,&nbsp;série de traits stylistiques qui seraient mieux décrits en employant le terme «caricatural».&nbsp; […] La pratique caricaturale peut être employée dans virtuellement toute forme d’art –les imitations de Marc&nbsp;Labrèche, les pièces de théâtre d’été, les chansons de François&nbsp;Pérusse, sont autant de formes de pratiques caricaturales. </span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;">La caricature est également appliquée en bande dessinée: Gaston Lagaffe a&nbsp;des aspects caricaturaux, puisque ses traits de personnalité les plus prompts&nbsp;à générer les catastrophes sont mis de l’avant, ainsi que les réactions explosives de ses patrons. Toutefois, la caricature est loin de résumer la&nbsp;pratique de la bande dessinée. On trouve dans l’histoire centenaire du 9e art&nbsp;des artistes et des œuvres qui ont investi pratiquement tous les genres:&nbsp;science-fiction, comédie romantique, policier, fantastique, aventure, récit&nbsp;historique, journalisme et j’en passe. Certains de ces genres sont plus&nbsp;appropriés à la caricature, alors que pour d’autres, ce choix stylistique&nbsp;apparaît impensable (2011: </span><a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/"><span style="color:#696969;">en ligne</span></a><span style="color:#696969;">).</span></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Je dirais ainsi, tout comme lui d’ailleurs, que l’emploi du terme «bédéesque» est, la plupart du temps, une sorte de métonymie retorse; on utilise le signifiant pour faire référence à une partie du tout, partie qui ne suffit pas à rendre compte de la diversité stylistique et rhétorique de la bande dessinée. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de faire tout un débat sur la question, mais je me permets, en conclusion et parce que j’aime la joute, de piquer encore un bout de phrase à Gabriel, qui n’est pas là pour réagir: «réduire le neuvième art&nbsp;à ses pratiques caricaturales perpétue un préjugé qui ressemble à ceci: “la bande dessinée, ce sont des couleurs criardes, des grosses gouttes de sueur perlant du front des personnages, des onomatopées extravagantes, des scénarios&nbsp;ridicules, etc.”» (2011: <a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/">en ligne</a>). De la part d’un éditeur comme Le Quartanier, on se serait attendu à un peu plus de prudence dans l’utilisation d’un tel terme.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Hervé BOUCHARD (2006), <em>Mailloux. Histoires de novembre et de juin, </em>Montréal, Le Quartanier.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Éric CHEVILLARD (1993), <em>La nébuleuse du Crabe</em>, Paris, Éditions de Minuit.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">HERGÉ ([1960] 1991), <em>Tintin au Tibet</em>, Belgique, Casterman (Les aventures de Tintin).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Alfred JARRY ([1896] 2007), <em>Ubu roi</em>, Montréal, Erpi (Littérature).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Eugène IONESCO ([1950] 1997), <em>La cantatrice chauve</em>, Paris, Gallimard (Folio théâtre).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Oana PANAÏTÉ (2007), «Poétiques du personnage contemporain», dans Françoise LAVOCAT, Claude MURCIA et Régis SALADO [dir.], <em>La fabrique du personnage</em>, Paris, Honoré Champion (Colloques, Congrès et Conférences, Littérature comparée), p.499-510.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Alain ROBBE-GRILLET (1953), <em>Les Gommes</em>, Paris, Éditions de Minuit.</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Larry TREMBLAY (1989), <em>Le déclic du destin</em>, Montréal, Leméac (Théâtre).</p> <p style="margin-left: 21.25pt; text-align: justify;">Gabriel TREMBLAY-GAUDETTE (2011), «De l’utilisation du terme “bédéesque”…», dans <em>Promo 9<sup>e</sup> art: la bande dessinée au Québec</em>, [<a href="http://www.promo9a.org/2011/08/03/de-lutilisation-du-terme-bedeesque/">en ligne</a>] (Texte consulté le 11 février 2013).</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-pologne-quelle-pologne-studio-de-lecture-3#comments BOUCHARD, Hervé CHEVILLARD, Éric Éclatement textuel Esthétique Esthétique bédéesque Expérimentation formelle Genre HERGÉ IONESCO, Eugène JARRY, Alfred PANAÏTÉ, Oana Personnages Poétique Québec Récit Recueil ROBBE-GRILLET, Alain THOLOMÉ, Vincent TREMBLAY, Larry TREMBLAY-GAUDETTE, Gabriel Récit(s) Mon, 11 Feb 2013 13:41:35 +0000 Pierre-Luc Landry 677 at http://salondouble.contemporain.info À la fin il est las de ce monde ancien http://salondouble.contemporain.info/lecture/a-la-fin-il-est-las-de-ce-monde-ancien <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/belanger-david">Bélanger, David</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/comme-des-sentinelles">Comme des sentinelles</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Paru en 2012 aux éditions de La mèche, <em>Comme des sentinelles</em>, premier roman de Jean-Philippe Martel, expose les vicissitudes d’un trentenaire-littéraire-esseulé. Sans entrer déjà dans le texte, notons que les critiques qui se sont penchés sur l’intrigue du roman ont cru bon d’ouvrir leur papier avec quelque suspicion. Ainsi va le résumé qu’osait Chantal Guy, confinant l’œuvre au discours doxique, sorte de passage obligé du <em>wannabe</em> écrivain: «Des premiers romans sur la dérive éthylique post-rupture amoureuse d'un gars en manque de son père, et qui va finir par écrire son premier roman, il y en a des tas, particulièrement en littérature québécoise » (Guy, 2012: <a href="http://www.lapresse.ca/arts/livres/critiques-de-livres/201212/17/01-4604701-comme-des-sentinelles-qualite-de-lecriture-12.php">en ligne</a>). On peut même penser que l’auteur se défendait d’appartenir à ce «tas de romans», en janvier, arguant plus ou moins l’éternel <em>tout a déjà été écrit</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">À mon avis, c’est surtout ça qu’on apprend quand on lit beaucoup ou qu’on fait de longues études en littérature: qu’on peut faire un livre sur n’importe quoi, que d’ailleurs tous les sujets ont été abordés et que ce n’est pas ça l’essentiel, mais la manière de le faire. Donc, je suis plus préoccupé par le style, je dirais. (Martel, 2013&nbsp;: <a href="http://larecrue.net/2013/01/jean-philippe-martel-%E2%80%93-questionnaire/">en ligne</a>)</p> </blockquote> <p>Sans doute cette position de Jean-Philippe Martel est-elle empreinte d’une certaine sagesse –et puis elle lui permet d’écrire <em>un peu n’importe quoi</em>, l’intrigue devenant ce prétexte donné aux mots pour s’enfiler avec aplomb. Un peu de la même manière, l’entrevue de <em>La Tribune</em> souligne d’entrée de jeu: &nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">S'il y a un genre littéraire&nbsp; «suspect» ces temps-ci, c'est bien l'autofiction. Écrire un roman inspiré en partie de sa propre vie est perçu comme un geste médiocre par plusieurs critiques contemporains, qui n'en peuvent plus de cette orgie du moi. Le premier livre de Jean-Philippe Martel, <em>Comme des sentinelles</em>, pourrait sembler du même acabit. Au contraire, se défend l'auteur, il faut plutôt y voir une réflexion sur la chose. (Bergeron, 2012&nbsp;: 33)</p> </blockquote> <p>Devoir se défendre d’une appartenance générique –l’autofiction– ou de reproduire un stéréotype, cela révèle un peu l’ambition de l’œuvre: travailler, avec les outils qui sont ceux de la littérature, à actualiser les fables anciennes, les formes convenues, les thèmes trop fréquentés. Et cela semble réussi. Après tout, les critiques, au-delà de ces petites pointes inoffensives, ne savent que saluer le style qui irrigue une histoire autrement flasque.</p> <p>Si on visite un peu plus avant le roman de Jean-Philippe Martel, on constate la maîtrise de ce discours, sa manière de tourner en bourrique les formules usinées, de poser des questions à la littérature, là où trop souvent certains lancent de naïves affirmations. Ainsi, qu’en serait-il de cette originalité –à quel point peut-elle être compromise ? Voyons vitement, en d’autres mots, ce que <em>Comme des sentinelles</em> fait à ce monde ancien auquel on l’oppose commodément.&nbsp;</p> <p><strong>De l’intrigue à l’identitaire</strong></p> <p>Vincent Sylvestre est chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, Évelyn l’a quitté, il prenait de la coke, le voilà au début du roman plus très sûr de vouloir poursuivre dans cette voie, se baignant sans illusion dans des rencontres de narcomanes anonymes. Il y croise alors Robert Thompson,</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">né à Beebe, dans une maison dont la chambre principale se trouvait au Canada et la salle de bain aux États-Unis; il cassait son français sans bon sens. Il faut dire qu’il l’avait appris un peu n’importe comment: chez la grand-mère à Danville, dans une shop à Lennox, dans une autre à Windsor, puis dans une autre Kingsey, sans compter les deux ou trois stages à Talbot et les vacances à Bordeaux…&nbsp;(14-15)</p> </blockquote> <p>Essentiellement constitué de ce duo –Thompson l’anglophone pas trop zen, en naufrage constant, à l’intelligence maladroite et aux manières grossières, et Sylvestre, l’intellectuel désabusé, à la remorque d’on ne sait quoi, brillant et cynique, et par-là malheureux–, le roman évolue sur un mode binaire, ce qui, parfois, suppose certains archétypes. Du coup, la lecture identitaire s’avère un peu trop facile, d’autant que Sylvestre est hanté par son passé familial et par un père disparu trop tôt, alors que Thompson paraît angoissé par l’avenir, sa maison comme une décharge qu’il ne sait retaper, faute de projets et de <em>plus tard</em> envisageables. Mais bon, ça nous change des vieilles rengaines: si le Canadien français n’a qu’un passé trop lourd –dans tes dents, lord Durham– et que l’Anglais n’a pas d’avenir, on peut parler d’originalité. On peut.</p> <p><strong>Parler de la littérature dans la littérature </strong></p> <p>&nbsp;Pourtant, l’intérêt de l’intrigue –son nœud– se trouve ailleurs. Et la question à poser à l’histoire, un peu bête –<em>est-ce original?</em>– se justifierait mieux dans une forme plus fine: <em>l’originalité de l’histoire est-elle suffisamment mise en perspective, inscrite au sein d’une cohérence propre à l’œuvre?</em> Si on prend la peine d’énoncer une telle interrogation, c’est évidemment que la réponse s’avère positive.</p> <p>De fait, dès le premier chapitre l’énonciation du trentenaire-désenchanté-et-littéraire paraît problématisée:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">Je me demandais ce qui avait bien pu se produire pour que je me retrouve étendu dans ces draps maculés, seul, un si bel après-midi d’août, alors que j’aurais pu me prélasser sur une terrasse, revenir de voyage, faire l’amour, renifler de la cocaïne ou écrire un roman (10).</p> </blockquote> <p>Ce qui caractérise les énoncés du roman, c’est leur négativité: Vincent Sylvestre n’écrit pas de roman, chacune de ses affirmations ne constitue pas une œuvre autobiographique que nous pondrait un chargé de cours sur l’acide, bref, le «je» qui parle ne parle pas à un roman, il est le fait d’un roman. Cette histoire «sans encre ni clavier» (174) est un échec romanesque, égaré dans la vie du personnage qui ne saurait se raconter. À cet égard, les cours professés par Sylvestre exposent la cohérence –voire l’originalité– de la non-entreprise narrative. Il parle de Rousseau:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">à ses yeux, pour écrire un livre original, il faut déjà, soi, être un peu original. En retour, parler de soi, faire un livre qui traite d’un homme différent de tous les autres vient en quelque sorte confirmer le caractère singulier de son entreprise. Autrement dit, l’auteur est original parce qu’il s’apprête à faire une chose qui n’a jamais été accomplie, et son œuvre le sera également parce qu’elle parlera de lui (22).</p> </blockquote> <p>Parce que la vie de Vincent Sylvestre n’est pas celle d’un homme différent –Chantal Guy l’a souligné– et que l’entreprise autobiographique de Rousseau, pour originale qu’elle fût, n’a plus aujourd’hui l’avantageuse nouveauté de jadis, le monologue de Vincent Sylvestre est effectivement sans aucune originalité. Disant cela, le roman souligne aussi, avec la cohérence qui est la sienne, qu’on s’en fiche un peu. Voyez: le récit, ponctué de chapitres sur l’enfance du narrateur et sur son rapport au père, propose une relation privilégiée et constituante; cette authentique expérience familiale s’échoue pourtant, du moins en apparences, sur les rives du <em>déjà-dit</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">Avant de vous laisser partir, je vous rappelle que vous avez un travail à me remettre la semaine prochaine. C’est assez simple. Il s’agit de répondre à la question suivante: à partir de votre lecture du roman <em>Adolphe</em> de Benjamin Constat, montrez de quelle manière la relation du narrateur à son père, développée dans les toutes premières pages du livre, annonce et pour ainsi dire contient en germe l’ensemble du roman (53).</p> </blockquote> <p>Rien de plus commun en effet que des consignes de travaux. <em>Comme des sentinelles</em> évoque ainsi moult intertextes qui semblent n’avoir d’autres rôles que de ridiculiser l’intrigue, la montrer dans sa naturelle banalité, manière de hausser les épaules et d’avouer –de confesser– les limites mêmes de l’invention. Ce que suggère ce roman, avec une cohérence et une intelligence qu’il faut expliciter –trêve d’équivoque: cette œuvre est un charme!–, c’est le ridicule de notre époque en regard du romantisme des Constant et Rousseau, c’est l’usure de la littérature longuement frottée par des cohortes d’auteurs, c’est cette classe de lettres à laquelle enseigne Vincent Sylvestre et qui se jettera bientôt, à son tour, dans cet incessant mouvement de partage vers l’avant et de reproduction du même. On peut en ressentir une certaine lassitude. Certaines lassitudes sont salvatrices.</p> <p><strong>Le style, disons</strong></p> <p>S’il faut décrire la structure générale de l’écriture de <em>Comme des sentinelles</em>, on peut résumer la chose par une attitude prosaïque, voire terre-à-terre: nulle emphase, nul lyrisme, on reste dans la narration qui suit volontiers le rythme des péripéties –peu nombreuses, au demeurant. Classique, pour ainsi dire, l’écriture de Martel ne réinvente rien mais tout est maîtrisé: des éclats de virtuosité parfois –l’incipit, remarquable–, un rythme –on ne s’attarde jamais–, et quelques descriptions un peu laides qui trouvent leur justesse dans leur force d’évocation –«je me suis assis sur des blocs de béton dans lesquels ils mettent des fleurs, l’été. Les fleurs étaient mortes, et les bacs étaient submergés de mégots et d’éclats de verre» (111). &nbsp;</p> <p>En fait, ce manque de prétention stylistique convient fort bien au projet à l’œuvre: la prose détachée donne aux actions et aux pensées du narrateur cette modestie; à la moindre enflure, les traits du chargé de cours en auraient souffert, le pédant lecteur de Maurice Sachs aurait transparu et le littéraire, comme dans trentenaire-littéraire-enamouré-et-sans-espoir, aurait pris un brin trop de place. Mieux vaut se tasser dans un coin. Laisser parler Camus, Théophile Gautier et Apollinaire, puis pourquoi pas, Jacques Mesrine, qui, «en tant que révolté, s’était engagé dans une lutte qu’il n’avait pas gagné» et qui «en tant qu’écrivain, [avait] donné un texte dont l’intérêt ne tenait qu’à la matière biographique, et encore» (118-119). On souffre toujours de ce genre de comparaisons. Vincent Sylvestre ne saurait faire exception:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:106.3pt;">Tandis que moi, je n’étais engagé dans aucune lutte et n’aspirais plus qu’à me rejoindre, quelque part entre mes cheveux et mes pieds, ou entre les premier et dernier mot d’une histoire vraie.&nbsp; (119)</p> </blockquote> <p>L’échec, tout relatif, devient rapidement un mode de vie lorsqu’on est trop souvent porté, dans les livres, à converser avec les grands de ce monde. Se développe une lassitude. Un dédain pour la sacro-sainte originalité. On se prend à ne vouloir faire qu’une grande œuvre, de celles qui n’inventeraient rien. Quelque chose comme l’éloge d’une absence d’ambition.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>BERGERON, Steve, «L’autofiction critiquée par… l’autofiction», <em>La Tribune</em>, 24 octobre 2012, p. 33.&nbsp;</p> <p>GUY, Chantal, «<em>Comme des sentinelles</em>: qualité de l’écriture», <em>La Presse</em>, 17 décembre 2012 [en ligne]. <a href="http://www.lapresse.ca/arts/livres/critiques-de-livres/201212/17/01-4604701-comme-des-sentinelles-qualite-de-lecriture-12.php">http://www.lapresse.ca/arts/livres/critiques-de-livres/201212/17/01-4604701-comme-des-sentinelles-qualite-de-lecriture-12.php</a></p> <p>MARTEL, Jean-Philippe, « Jean-Philippe Martel –questionnaire&nbsp;», <em>La recrue du mois. Vitrine des premières œuvres littéraires québécoises</em>, janvier 2013, [en ligne]. &nbsp;<a href="http://larecrue.net/2013/01/jean-philippe-martel-%E2%80%93-questionnaire/">http://larecrue.net/2013/01/jean-philippe-martel-%E2%80%93-questionnaire/</a></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/a-la-fin-il-est-las-de-ce-monde-ancien#comments Autofiction Autofiction BERGERON, Steve Dépression Genre GUY, Chantal Histoire Intertextualité MARTEL, Jean-Philippe Québec Style Roman Wed, 30 Jan 2013 18:46:15 +0000 David Bélanger 668 at http://salondouble.contemporain.info S’essayer pour se transformer http://salondouble.contemporain.info/lecture/s-essayer-pour-se-transformer <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/guillois-cardinal-raphaelle">Guillois-Cardinal, Raphaëlle</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/dino-egger">Dino Egger</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Les récits d’Éric Chevillard se présentent comme plusieurs hybridations de formes. Souvent qualifiés de bizarreries tant par les critiques que par les lecteurs, ils réussissent à déjouer les attentes en subvertissant les règles de la logique littéraire, devenant par le fait même d’excellents exemples de «sabotage» du roman. L’anti-romancier qu’est Chevillard ne cherche pas à créer de nouvelles catégories, mais bien à mettre le désordre dans celles que nous connaissons déjà, et ce, tout en remettant en question des réalités qui nous semblent pourtant certaines.</p> <p style="text-align: justify;">Ne serait-ce que par la présence d’une réflexivité permanente et par la défense implicite ou explicite de certains idéaux littéraires, souvent défendus par des narrateurs-personnages eux-mêmes auteurs, l’oeuvre de Chevillard entretient un rapport de proximité avec le genre de l’essai. <em>Dino Egger</em><strong><a href="#_edn1" name="_ednref1" title="">[1]</a></strong> mélange même adroitement fiction et essai, car si l’essai se montre souvent capable d’inventer des récits, avec <em>Dino Egger</em>, c’est le récit qui invente un essai. En effet, dans ce récit, Albert Moindre, un auteur exalté et quelque peu dérangé, entreprend une espèce d’enquête sous la forme d’un projet d’écriture qui s’approche remarquablement de la forme essayistique. Une question fondamentale, ontologique même, l’habite:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">Enfin j’en tiens&nbsp;un et nous allons savoir. Nous allons savoir. Nous allons savoir! Nous allons obtenir une réponse à cette question qui ne laisse plus en paix une seconde l’esprit qui l’a un jour conçue incidemment ou au terme d’une réflexion bien ordonnée: que serait aujourd’hui le monde si Homère ou Marco Polo n’avaient pas existé? Ou Platon. Ou Pythagore. Ou Leonard. Ou Mozart, Einstein, Archimède, Colomb, Rembrandt, Marx, Newton, Shakespeare, Cervantès, l’un de ceux-là qui ont à un moment donné de l’histoire impulsé un mouvement, un désordre, ou mis en branle une ingénieuse et fatale mécanique dont a procédé la réalité nouvelle […]. Nous allons le savoir car j’en tiens un, je tiens Egger, et Egger – du moins cet Egger-là – Dino Egger –ce Dino Egger du moins– n’a jamais existé. Et force est de constater que le monde ne ressemble pas à ce qu’il eût été inévitablement si Egger avait vécu (7-8).</p> </blockquote> <div> <p style="text-align: justify;">En somme, selon Albert Moindre –moindre parce que moindre que Dino, évidemment– Dino Egger était promis à un important destin et son inexistence laisse un vide énorme. Dino Egger est donc l’homme à naître, à engendrer, à inventer, et le récit de Chevillard se fait le pendant d’un œuf prêt à éclore.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>L’essai de la fiction</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">À première vue, ce qu’écrit Albert Moindre semble être une sorte de journal de bord tenu sur son projet de recherche, journal dans et par lequel il réfléchit. Mais la prose de Moindre s’approche tant de celle de l’essayiste que l’on peut sans scrupule parler de son journal comme d’un essai. Il faut d’abord souligner le style conversationnel de l’écriture d’Albert Moindre dont émerge un dialogue <em>in absentia.</em> En effet, en s’adressant à Dino ou à divers destinataires inconnus, Moindre peut donner libre cours au va-et-vient de ses opinions et à la confrontation de ses hypothèses, selon un mode informel, sans ordre prédéterminé qui viendrait structurer ses idées. Propre au registre familier, ce style qu’adopte Moindre est aussi celui que privilégie l’essai, selon la tradition montaignienne du genre. Si l’essai, tel que l’a initié Montaigne, est considéré comme un processus qui s’écrit, l’écriture de Moindre, en avançant par tâtonnements, à coups de suppositions, de dénégations, de contradictions et d’essais-erreurs, est bel et bien fidèle au déploiement de sa pensée. D’ailleurs, un narrateur extérieur au récit fait parfois irruption pour mettre en évidence ce processus de réflexion simultané à l’écriture: «Albert Moindre se mordille la lèvre inférieure. Il se gratte la tempe. Au bout d’un moment, les idées lui viennent. Vite. Il les note» (12). Mais plus encore que la représentation d’une pensée en mouvement, le récit, au même titre que l’essai montaignien, prend tout à fait la forme d’une expérimentation par l’esprit: sans prétention à la vérité ou à l’exhaustivité, Moindre, en l’absence de preuves pouvant certifier ses hypothèses quant à la vie et l’œuvre de Dino, examine ses idées, incompatibles et contradictoires, les unes après les autres, en demeurant du côté du doute. Aussi, tel l’essayiste méditatif qui opère une réflexivité radicale sur son travail et sa posture, Moindre pose un certain regard critique sur lui-même. Bien qu’il s’investisse entièrement dans son projet, il est confronté à ses limites: s’il doit se frapper la tête et ainsi violenter sa matière grise, c’est bien parce que l’objectif visé le dépasse et que son projet ne s’accomplit pas avec facilité.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>L’expression d’une subjectivité</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Se situant entre la prose et la poésie, l’essai, toujours selon la forme souple que l’on doit à Montaigne, se prête à la réflexion, mais aussi à l’intuition, aux formules, aux commentaires et aux états d’âme, devenant ainsi propice à l’expression d’une forte subjectivité. Or, tout en recourant à des images pour illustrer son point de vue, Moindre se laisse constamment emporter par ses émotions. Les traces de sa subjectivité sont nombreuses: originalité du propos, présence de tropes, d’envolées lyriques, du «Je» et de commentaires explicites au sujet de sa propre posture d’énonciation. À travers ses digressions, Moindre s’abandonne même à diverses considérations autobiographiques, parlant notamment de sa famille et de son milieu d’origine. Apparemment, sa vie n’est pas en adéquation avec ses espérances, d’où, peut-être, cette volonté de porter secours à l’humanité en engendrant un génie tel que Dino Egger. Ici, l’idée du <em>livre sur moi&nbsp;</em>devient manifeste: non seulement Moindre parle de lui en se questionnant sur Dino, génie de son invention qui traduit ses propres aspirations, mais de surcroît, il désire réellement ne faire qu’un avec son sujet. Plus son projet avance, plus sa réflexion se développe, plus ce désir se dévoile. Il doute tant de l’identité de Dino qu’il ose avancer l’hypothèse suivante: «je suis, dis-je, si imprégné de son génie singulier et fuyant qu’il m’arrive de me demander si je ne suis pas Dino Egger et si le sens de ma recherche ne consistait pas plutôt à définir et préciser exactement la cadre de ma mission» (116). En d’autres mots, Moindre serait-il foncièrement la matière de son livre? À ce stade, le pronom «Je» disparaît, laissant place à une guerre impitoyable entre Moindre et Egger qui se disputent un même corps. En proie au morcellement de sa personne, Moindre se détache de son identité première, parle de lui à la troisième personne et accuse même l’être qu’il était d’avoir empêché l’existence de Dino. À la toute fin du récit, Moindre sera littéralement devenu Dino: l’affirmation montaignienne disant <em>Je suis en mon livre et mon livre est en moi, je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m’a fait</em>, est, dans cette circonstance, appliquée à la lettre.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>Un essayiste à la dérive</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Au fil du texte, Moindre remet tellement tout en question qu’il finit par interroger d’abord sa propre identité, puis sa légitimité à exister. La métaphore de la dérive utilisée par René Audet (2005) pour saisir tant la pensée en mouvement, notion inhérente au genre de l’essai, que la mouvance du genre lui-même, est ici tout à fait appropriée, car la pensée de Moindre dérive, véritablement, et donne lieu à une écriture des plus hybrides. Le projet d’écriture de Moindre devient un registre de ce qui se passe en lui, graduellement, jusqu’à sa chute dans le délire psychotique. L’essai, révélateur de la conscience, devient donc même, dans ce cas-ci, révélateur de l’inconscient. Alors que Moindre sombre dans son délire, il ne démontre plus la réflexivité et l’ouverture requises par la posture de l’essayiste, trop occupé qu’il est à se débattre entre deux entités qui ne peuvent cohabiter, soit la sienne et celle de Dino. Or, si son ethos ne s’éloigne pas complètement de celui de l’essayiste c’est que, malgré son incapacité à acquérir notre confiance, en laissant voir son caractère loufoque, ses espérances, son absence de malveillance, ses limites et sa vulnérabilité, il continue de se dévoiler tout en demeurant d’une honnête transparence.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>L’essai comme performance</strong></span></p> <p style="text-align: justify;">Enfin,<em> Dino Egger</em> raconte l’histoire de la «métamorphose» d’un homme, histoire dont l’événementialité et l’action du protagoniste, si maigre semble-t-elle, se trouvent entièrement rattachées à l’écriture essayistique. Par la souplesse de sa forme, l’essai issu de la prose montaignienne permet justement toute la part d’imprévisibilité nécessaire à un personnage d’auteur tel que Moindre: il semble évident que Moindre ne parvient pas au but conscient qu’il s’était initialement forgé, car son idée première n’était pas d’usurper l’identité de Dino ni, selon ses mots, d’amoindrir Moindre.</p> <p style="text-align: justify;">Le récit met ainsi l’accent sur le caractère performatif de l’écriture, performativité particulièrement importante chez l’essayiste qui expérimente ses idées à travers l’écriture: expérimenter ou essayer, c’est sans contredit être dans l’action, même si aucun programme n’est d’avance établi et que le résultat final, par conséquent, demeure imprévisible. La prose essayistique est d’ailleurs tissée, implicitement ou explicitement, de bien des verbes par lesquels se déclare l’action: «je propose», «je prétends», «j’avoue», «je reconnais», «j’essaie», «je m’essaie», etc. Non seulement l’essayiste met sa crédibilité en jeu, mais de surcroît, en présentant une part de son expérience subjective du monde par l’énonciation de son propre point de vue, il se met, en quelque sorte, lui-même en scène. Nécessairement, il se trouve en représentation et ainsi, se forme une identité à travers l’acte d’écriture. Mais si, dans <em>Dino Egger</em>, l’essai prend bel et bien la place d’une véritablement épreuve de connaissance de soi, Albert Moindre, pulvérisé par sa propre création, s’y heurte durement.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr /> <p style="text-align: justify;"><strong>Bibliographie</strong></p> <p style="text-align: justify;">AUDET, René (2005), «Dérives de l’essai», <em>Études littéraires, </em>vol. 37, numéro 1, (automne), p.7-11.<br />CHEVILLARD, Éric (2011), <em>Dino Egger</em>, Paris, Minuit.<br />MONTAIGNE, Michel de (1985), <em>Essais</em>, 3 volumes, Paris, Librairie générale française. (Coll. «&nbsp;Livre de poche&nbsp;».)<br />VAILLANCOURT, Luc (2008), «L'individualisme humaniste: égotisme rhétorique ou expression de soi»,&nbsp;<em>Modèle linguistiques,&nbsp;</em>vol. 58, p. 99-109.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="#_ednref1" name="_edn1" title="">[1]</a></strong> Toutes les références à ce roman seront intégrées entre parenthèses dans le corps du texte.</p> </div> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/s-essayer-pour-se-transformer#comments AUDET, René CHEVILLARD, Éric Fiction France Genre MONTAIGNE, Michel VAILLANCOURT, Luc Essai(s) Roman Mon, 22 Oct 2012 18:14:09 +0000 Pierre-Paul Ferland 605 at http://salondouble.contemporain.info Vie éclatée, lectures éclectiques, vie électrocutée. Studio de lecture #1 http://salondouble.contemporain.info/lecture/studio-de-lecture-1 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/fontille-brigitte">Fontille, Brigitte</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/hivert-ariane">Hivert, Ariane</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/lamoureux-d-sir-e">Lamoureux, Désirée</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vie-electrique">Vie électrique</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Faut-il entamer ce premier studio de lecture par un résumé du bouquin choisi? La question se pose d’emblée, selon moi, parce que l’exercice est périlleux; comment, en effet, résumer un tel objet, qualifié de «roman» dès la première de couverture par l’éditeur, alors que le projet lui-même erre entre les genres? <em>Vie électrique </em>est un roman en trente chapitres, trente jours, au cours desquels l’auteur entre en dialogue avec lui-même, avec son musée personnel: le lecteur est mis face à des impressions et des réminiscences, des notes de lecture, une sorte de collage réunissant entre deux couvertures la liste des œuvres littéraires, musicales et visuelles que l’auteur a particulièrement appréciées, des considérations sur les lieux qu’il a visités, sur les amitiés qu’il a entretenues, etc. Le projet, Rossignol le résume ainsi:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Dans ce roman vécu, on croisera des fleuves et des livres à soi. Aucune théorie magistrale, aucun <em>conseil</em>. Juste le temps, celui que j’ai passé, que je passe à lire et à partir, la lecture et le départ qui ne sont jamais vraiment des activités mais une autre façon de boire ou de grimper aux arbres. […] Trente jours. Ce qui se passe pendant un mois. Roman continu d’un genre particulier. Roman, c’est-à-dire pulsations, vacillements, vertige, journées précises. Voici le premier jour dans l’exploration du détachement. Et avec lui les vingt-neuf suivants. Sarabande (p.14-16).</p> </blockquote> <p>C’est donc un «roman à soi», un «roman continu» dans lequel chaque pulsation correspond à une journée, une œuvre littéraire, un auteur qu’on apprécie, un lieu qu’on a aimé. Un drôle de roman, en somme, qui ne ressemble pas du tout à un roman mais qui donne envie d’aller lire ailleurs pour voir si on y est.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Désirée Lamoureux&nbsp;[DL]:</strong> Je dois affirmer, en toute honnêteté, que j’ai trouvé l’œuvre de Rossignol pénible. Mais à travers les discussions suscitées par ce studio et dont le présent texte est une trace, je vois en quoi elle peut nous interpeler, nous obliger à ouvrir un livre longtemps ignoré, nous encourager à écouter une mélodie trop souvent perdue dans le brouhaha du quotidien. Sorte de <em>Monde de Sophie</em> de l’art, le livre de Rossignol m’a bombardée de suggestions, de routes, sans jamais me laisser le temps de me couler dans ses pages. Trop préoccupé par son propre parcours, l’auteur semble oublier que des lecteurs tentent de le suivre dans son aventure à travers contrée et forme artistique.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Brigitte Fontille [BF]:</strong> En effet, l’auteur nous propose de traverser des univers artistiques en jouant les guides touristiques. Toutefois, si son programme avait fort de piquer ma curiosité et mon intérêt (classiques revisités –Stendhal, Tolstoï– et découverte d’artistes qui m’étaient inconnus –Jan Zabranan? Italo Svevo?­–, dans un mélange artistique singulier –orchestrer Claudel, Thoreau et Charlie Parker!), j’ai également été tentée à maintes reprises de quitter le musée... Les œuvres dépoussiérées ou ramenées à la lumière du XXIe siècle me laissent&nbsp;désenchantée: mais où est passé le romancier? Un peu lasse du rythme en fiche de lectures, je pars écouter d’autres ritournelles. Et, c’est peut-être là que j’entends finalement la voix de l’auteur...</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Ariane Hivert [AH]: </strong>Pendant et après ma lecture, de multiples questions se bousculaient dans ma tête. Et maintenant, les commentaires de mes collègues en soulèvent de nouvelles… À quel moment voit-on le personnage de Rossignol soulever un livre? Peut-il vraiment avoir lu tous les bouquins dont il parle en trente jours? Si c’est un «roman à soi» au point d’en oublier le lecteur, quel est l’intérêt d’en faire un roman? Le rôle de guide touristique est-il vraiment le meilleur moyen pour faire découvrir des œuvres artistiques si profondes? Des questions superficielles, j’en conviens, mais ma propre fibre d’auteure en herbe est choquée par ce manque de réalisme dans un livre qui semble s’apparenter à l’autofiction avec cette «voix de l’auteur» dont parle Brigitte, si forte et si personnelle. Les réponses à ces questions sont-elles si importantes ou bien ces interrogations ne sont-elles que la cristallisation de mon propre désir d’abandonner devant un livre qui m’apparait au premier abord si aride?</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Je suis content que Désirée soulève de telles réticences parce que, comme mes collègues, je me suis heurté moi aussi à des envies d’abandonner, parfois, alors que le propos devenait trop «obscur», trop personnel. Je ne connais pas Rossignol, je ne suis pas familier avec son travail et je sais peu de chose de lui sinon qu’il est éditeur chez Payot &amp; Rivages. Circule sur le Web une photo le représentant cigarette à la bouche, chemise blanche et cravate noire, barbe de trois jours, les yeux posés sur la clope qu’il tient entre ses doigts; un petit quelque chose à la Bret Easton Ellis, une gueule paillarde, un brin baveuse. Voilà tout ce que je connais de l’auteur, qui nous invite dans son livre à assister à un monologue mis en scène expressément pour nos yeux de lecteurs; exercice de voyeurisme s’il en est un, mais dont l’étrangeté séduit. Ce sont des notes de lectures et un carnet d’errance ainsi qu’un journal personnel et tout cela invite à l’écoute, au voyage. Les textes qui sont lus et commentés par Rossignol —et j’entends textes au sens sémiotique d’<em>œuvres</em>, peu importe leur support—, paraissent essentiels; que peut-on comprendre de cette «vie électrique» si l’on n’a pas lu les livres dont il est question, si l’on n’a pas fréquenté les musiciens dont Rossignol discute, etc.? Il y a toutefois dans ce bouquin un beau paradoxe: malgré le caractère essentiel de ces textes premiers, le lecteur peut s’en passer. Si certains titres font partie d’un «savoir encyclopédique commun», d’autres sont des hapax, des livres étranges, des objets dont on peut ne jamais, même, avoir entendu parler. Au final, toutefois, ce n’est pas important: celui ou celle qui aime la littérature (et les autres arts) n’en n’a rien à faire.</p> <p>Je voudrais revenir à ma propre obsession de lecteur (bien sûr!), c’est-à-dire au genre annoncé en première de couverture: au romanesque de ce projet éclaté. Dans un entretien accordé à Albert Gauvin de <em>Pileface</em>, site Internet consacré à tout ce qui touche Philippe Sollers, Rossignol explique en quoi son projet est, pour lui, bel et bien un <em>roman</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">J’appelle ça roman parce qu’il n’y a pas de distinction entre la bibliothèque et les destinations. Le fil d’un narrateur qui passe de Trieste à New York en lisant B. S. Johnson et Alix Cléo Roubaud, pour moi c’est l’histoire d’un roman. Tous ces écrivains sont des personnages de romans. Cela m’intéresse plus que d’inventer un personnage réaliste dans lequel je ne me reconnaîtrais pas (Rossignol, cité par Gauvin, 2012, <a href="http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265">[en ligne]</a>).</p> </blockquote> <p>On lit dans cette déclaration le désir de faire du roman sans s’engager dans l’imaginaire ou, plus précisément, dans <em>l’invention</em>. Il existe bien sûr tout un pan de la littérature qui se réclame d’un tel mouvement et tout un autre pan qui se réclame de son contraire. Je ne souhaite pas ajouter d’eau au moulin de la dualité roman vrai / roman imaginaire. Cela n’est pas important, surtout pas en ce qui concerne le commentaire et la lecture du livre de Rossignol. Néanmoins, je trouve que le choix éditorial est étonnant. Pourquoi s’acharner à nommer ainsi un livre qui, au final, n’a pas grand-chose à voir avec la production romanesque actuelle? Alors que les témoignages et autres documents ont la cote, pourquoi vouloir à tout prix faire du roman plutôt que de, plus simplement, faire <em>un livre</em>? Que les écrivains soient des «personnages de romans»,&nbsp;soit. Reste que <em>Vie électrique</em> a peu d’atomes crochus avec le genre romanesque, d’autant plus que le livre fait une très grande place à tout ce qui ne l’est pas. On devine en effet à la lecture une préférence de Rossignol pour les œuvres hétéroclites, pour les livres protéiformes, étranges, à mi-chemin entre ceci et cela, pas vraiment romans mais pas vraiment essais. Par exemple, il dit de Rolf Dieter Brinkmann qu’il est disparu du paysage littéraire en raison du mélange des genres qui est au cœur de ses œuvres, notamment de <em>Rome, regards</em> et de <em>La lumière assombrit les feuilles</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Brinkmann choisit de briser le roman traditionnel, de ne plus s’en tenir à une représentation réaliste et paisible du monde. Il décide de projeter ses images et une poésie directe dans un ouvrage indéfinissable, un livre-album qui fait appel à tous les motifs, lettres, photos, factures, billets de train, et qui donne lieu à un récit cinglant (p.107).</p> </blockquote> <p>Un ouvrage indéfinissable, donc. Qualificatif qui pourrait très bien être accolé au livre de Rossignol. Je réfléchis à «voix haute» ici, je ne propose pas de commentaire définitif sur <em>Vie électrique</em>. Si je remets en question l’étiquette de «roman», c’est que je me demande en quoi elle peut être efficace, importante, nécessaire. Réinventer le roman, briser les cadres rigides, oui, je veux bien —et j’aime tout particulièrement les auteurs qui ont cette «audace». Mais pourquoi choisir le label contraignant, s’il ne nous convient pas? Peut-être que mes collègues de ce studio de lecture auront quelque chose à dire à ce sujet…</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>DL: </strong>En effet, pourquoi choisir d’indiquer le genre alors que le projet d’écriture ne va pas du tout dans ce sens? À ma première lecture de l’œuvre, je ne me suis pas posée la question; je me suis plutôt demandée où l’auteur voulait en venir. Avec son début déroutant à Berlin qui semble annoncer une espèce d’histoire d’amour étrange, j’ai attendu en vain que l’auteur termine son histoire. Ce n’est qu’en fermant le livre que j’ai réalisé que le début n’avait en fait peut-être rien à voir avec le reste. En relisant maintenant le premier chapitre, je vois que Rossignol nous annonce bel et bien son projet – «Trente jours. Ce qui se passe pendant un mois. Roman continu d’un genre particulier» (p.16) – au moment même où il quitte Petra pour revenir à Paris. Il semblerait que le roman dont il est question sur la page couverture ne dure que 4 pages pour se perdre dans les méandres d’un autre projet d’écriture. Serait-ce un roman de quelques pages accompagné d’un journal de bord, ou plutôt un journal de bord amorcé par un mini-roman?</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>AH:</strong> Je me suis posée la même question: <em>Vie électrique</em> est-il vraiment un roman? Je comprends le point de vue de Rossignol et, en un sens, je suis d’accord. Les auteurs sont aussi des personnages de roman. Ce récit, parce que je lui accorde que c’en est un, enchaîne les observations littéraires et artistiques sans m’emporter dans un autre monde. Personnellement, c’est ce que je recherche dans un roman: m’évader, que ce soit dans un univers imaginaire ou réel. Tandis qu’en lisant Rossignol, j’ai eu l’impression d’assister à une conférence sur la littérature sur fond musical. Intéressant, certes, mais pas ce à quoi je m’attendais. Il ne faut pas sous-estimer l’importance des attentes que peut avoir un lecteur par rapport à un livre. Avec le temps, le roman s’est imposé comme genre hégémonique —une certaine idée du roman, même— et a pris une grande place dans le spectre littéraire; c’est ainsi que l’étiquette de roman commande tout un horizon s’attente qui a été déçu avec <em>Vie électrique</em>. Comme le dit Pierre-Luc, cela ne doit pas empêcher les auteurs d’essayer de nouvelles choses et de briser les conventions. Mais apposer l’étiquette de «roman» sur un livre, c’est le comparer à tous les autres romans qui ont été écrits avant et lui donner une signification qu’il n’a pas lorsqu’on l’ouvre. Le lecteur est déstabilisé, déçu et souvent se décourage au point de poser ledit roman et de ne pas en terminer la lecture. Je crois que les livres sont écrits pour être lus (et je ne parle pas de l’aspect commercial de la chose), mais lorsque les lecteurs abandonnent le livre d’un auteur, ils sont moins enclins à acheter les suivants et à continuer de faire vivre l’œuvre de cet auteur. À leurs proches, ils diront qu’ils ont été déçus ou, pire, n’en parleront pas du tout, au contraire des ces romans qui ont fait vibrer la corde émotive qui nous traverse tous et dont on veut parler autour de nous. La corde cognitive est plus difficile à faire résonner; elle n’est pas toujours bien tendue, selon l’éducation et l’état d’esprit de chacun. Il faut préparer son lecteur à ce genre de récit qui appelle à la raison avec une étiquette appropriée, autre que celle de «roman», qui elle s’adresse à un nombre grandissant de lecteurs de tous les âges. Il existe cependant des gens qui n’auraient pas acheté le livre s’il n’était pas écrit «roman» sur la couverture, mais plus persévérants, ils continuent leur lecture et, intéressés par le propos de Rossignol, ils poursuivent leur découverte des auteurs qu’il cite. Convenons-en, ces gens sont peu nombreux. Je suis de ceux qui ont été déçus. Et sans ce studio de lecture, j’aurais rapporté le livre à la bibliothèque sans le terminer.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF:&nbsp;</strong>Je résiste à ce propos orienté vers l’analyse mercantilisante des œuvres littéraires ou qui suggère un lecteur au premier degré qui se laisse influencer par l’étiquette ou qui utilise l’art pour «s’évader». Il n’en demeure pas moins que l’étiquette de cette œuvre semble bien étrange et suscite avec raison nombre de questions. Je pourrais toutefois voir ce «roman» s’inscrire dans un mouvement de contamination romanesque amorcée dans les années 80. Je pense notamment aux romans <em>réflexifs</em> de Milan Kundera, à certains romans de Pascal Quignard, <em>Vie secrète</em> notamment, dont la charge d’érudition en font à la fois des essais, des biographies, des études anthropologiques, des récits mythologiques, des contes, des traités, etc. Sans nécessairement inscrire Rossignol dans cette généalogie d’écrivains confirmés, je peux percevoir dans <em>Vie électrique </em>un écho de cette démarche poétique qui met au défi le récit. Démarche téméraire pour une œuvre dont la forme et le contenu remettent en cause la jouissance esthétique du lecteur. Or, il faut bien en convenir, <em>Vie électrique</em> produit un effet déceptif par rapport à l’&nbsp;«horizon d’attente» du lecteur. Un romancier qui se propose à l’image d’un simple compilateur et se réduit à une instance énonciative qui dit timidement «je» en se diffractant en une narration plurielle et démultipliée de tous les livres lus pose à juste titre un enjeu vital au lecteur déjà mis en abyme dans cet auteur-lecteur. Chaque livre a son lecteur implicite. Et c’est peut-être dans cette avenue qu’il faudrait tenter de porter notre attention afin de cerner les enjeux d’une œuvre qui semble désorienter le lecteur au point qu’il en questionne sa propre existence (un lecteur fictif au lieu d’un personnage romanesque imaginaire?). À moins que Rossignol soit tout simplement passé à côté de son «pacte de lecture»...</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>DL:</strong> Je ne crois pas que Rossignol soit passé à côté de son «pacte de lecture», comme le propose Brigitte. Il me semble plutôt que son «pacte» participe d’un désir de perdre le lecteur, de l’ennuyer à un tel point qu’il vienne à apprécier ce qu’il lit. L’importance de la patience face à l’ennui, suggérée dès la page 15 dans une citation de John Cage, joue-t-elle un rôle moralisateur? Rossignol nous dit-il que nous sommes trop pressés à comprendre, à être divertis en tout temps? Qu’il faut nous arrêter, prendre le temps d’apprécier les belles choses de la vie, malgré l’ennui qu’elles peuvent parfois susciter? Je vois maintenant en ce roman une critique de notre société actuelle: société qui mise sur un divertissement si envoûtant qu’il nous fait oublier notre existence superflue. Au contraire, le roman de Rossignol, dans ses longueurs et ses langueurs, ne cherche pas à nous procurer une évasion, mais plutôt à nous obliger à nous plonger dans un art trop longtemps mis de côté. &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Il est évident que <em>Vie électrique</em> n’est pas un roman d’évasion. Le lecteur averti le saura déjà par sa publication dans la collection «L’infini», dirigée par Philippe Sollers. Ici, pas d’illusion romanesque ou de suspension de l’incrédulité; pas de catharsis programmée et, n’en déplaise à Odette qui répond à la question «Le Roman permet -il de s’évader ou lui attribuez vous d’autres fonctions?» [<em>sic</em>] sur <em>Yahoo! Questions/Réponses</em> [<a href="http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH">en ligne</a>], pas de résonnance de l’hridayagranthi ou de quelque «nœud du cœur» que ce soit. <em>Vie électrique</em>, ce n’est pas cela. Ce n’est pas non plus ce best-seller qui nous emmène, justement, sur d’autres rives, dans des aventures rocambolesques et sentimentales. J’ai peut-être l’air méprisant, mais je ne le suis pas. Il n’y a pas de fiction à grand déploiement dans <em>Vie électrique</em> et cela ne lui fait pas défaut. Ce que je tente de dire, c’est que le plaisir de lire ce livre, il est ailleurs; il se trouve dans les nombreuses références à la littérature et à la musique, dans le parcours intellectuel de l’auteur, dans la forme, dans l’espace étrange que Rossignol a aménagé pour lui et son lecteur et où la rencontre opère quand même. On a beaucoup glosé avec Umberto Eco sur la coopération interprétative et le rôle du lecteur dans le roman; dans cette même veine, j’apprécie tout particulièrement ce commentaire d’Alain Robbe-Grillet que je me permets de reproduire ici (et qu’on me pardonne la longueur de la citation):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Cette idée que le monde est toujours à faire est au fondement de l’esprit moderne. C’est, en somme, ce que Sartre a appelé la liberté. Si le monde est fait, nous ne sommes pas libres, nous ne pouvons que reproduire les formes du monde telles qu’elles sont. Mais si le monde est à faire, notre liberté est sans cesse en jeu. Car dans notre existence, en dehors même de la littérature, nous sommes sans cesse les bâtisseurs d’un monde. Cette situation va aussi se refléter dans celle du lecteur. Celui-ci est appelé à refaire le livre qu’il lit, comme si ce livre était déjà tombé en ruine et que lui-même allait y introduire de nouvelles possibilités de signification. Il ne s’agit pas de construire des cathédrales, mais l’idée est la même: ce sont des cathédrales de pensée. Cette situation est souvent mal comprise par les lecteurs, car ils considèrent que la lecture est une sorte de repos. On a affronté les bizarreries du monde et l’incompréhensibilité de plus en plus flagrante de certains éléments du monde, et quand on rentre chez soi le soir, on lit pour se reposer. Dans ce cas, mieux vaut prendre un Balzac qu’un Kafka ou un Joyce. La lecture de la littérature vivante n’est pas reposante, puisqu’il faut sans cesse s’impliquer soi-même comme créateur du livre, comme si on réécrivait ce livre qu’on est seulement en train de lire. Je le lis, il est tout fait, mais il n’est pas fini. Il continue à vivre (2005, p.41-42).</p> </blockquote> <p>Une chose est sûre: on ne se repose pas dans le livre de Rossignol. Au fil de ce studio de lecture, j’apprends à l’apprécier davantage. C’est une sorte de <em>Dernier inventaire avant liquidation</em> ou de <em>Premier bilan après l’Apocalypse </em>(Beigbeder, 2001 et 2011) en plus intello, un <em>projet</em> au sens fort du terme, une aventure d’écriture <em>et</em> de lecture.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF: </strong>Malgré tout, malgré quelques déroutes, je demeure ambiguë face à ce livre. Il a pourtant des traces à même de susciter une curiosité, un intérêt qui vient l’inscrire dans une certaine lignée du roman contemporain. J’entends par là la double posture artistique que présente ce livre intriguant. Pertinemment présenté sous une épigraphe de Céline, le roman de Rossignol dévoile clairement son penchant pour la musique et continue de fonder des liens entre la littérature et la musique. C’est à un roman-voyage à la forme «d’un temps mobile et dansé» (p.169) que je me sens conviée, un voyage binaire comme la danse qu’il annonce: sarabande spatiale et temporelle. Si une suite de grands auteurs vient y faire quelques pas, c’est toutefois la dimension sonore de ce roman qui m’intrigue le plus. D’emblée est annoncé l’objectif du voyage entrepris: «C’est un contact avec les sonorités dont j’ai besoin. En France, j’entends toujours les mêmes sons, c’est éreintant» (p.11). Il m’est difficile de ne pas y entendre Marcel Proust qui s’était mis au pastiche à ses débuts littéraires pour se «purger du vice si naturel d’idolâtrie et d’imitation» (Proust, 1919, p.380). Pour l’instant, l’écho des «grands auteurs» agit en basse continue tout au long de ce premier roman de l’auteur, mais je me demande si ce ne serait pas aussi une démarche initiatique afin de trouver sa propre voix, sa voix auctoriale. Cette voix qu’il traque bien patiemment: «J’attends une voix, une seule voix. Je ne crois pas que ce soit demander l’impossible» (p.32). C’est sans surprise Ulysse qui est présenté comme premier guide à Berlin pour amorcer le premier jour de cette grande traversée de «l’exploration du détachement» (p.16).</p> <p><em>L’oreille des yeux</em> du lecteur est grandement sollicitée tout au long du roman pour y entendre, à chacun des trente courts chapitres, un nouveau son, un nouvel écho d’un auteur, une nouvelle «ritournelle» (p.11). Outre une écriture qui tire par l’oreille vers le monde sonore de la «percussion d’un mot» (p.94), d’une «voix basse» (p.117) ou d’un texte lu à «voix haute» (p.46), une terminologie musicale file un réseau de métaphores qui poursuit la séduction de l’oreille du lecteur, mélomane ou pas. C’est ainsi que le narrateur parle du «second mouvement» d’<em>Underwood Memories </em>de Kerouac, d’«improvisation» ou du «souffle du trompettiste» (p. 93) pour qualifier de mouvement d’écriture de Fitzgerald, de «polyphonique» (p.84), «modulation» (p.117 et 154), «danse», «cadence» (p.145), «phrase musicale» (p.154), «partition» (p.37, 98, 154 et157), «gamme» (p.165) ou encore «[l]eitmotiv» (p.165).</p> <p>Un arrière-fond sonore accompagne subtilement le lecteur de ce court roman: un morceau de Thelonious Monk joue pendant qu’il écrit l’épisode du voyage en Espagne de la première journée pour se terminer au bruit d’un match de foot, des élans d’espagnol viennent sonner lors de la lecture silencieuse d’un poème baroque de Luis de Gongora, jusqu’au son du «saxophone merveilleux d’un type qui s’appelait Allen» (p.98) à New York, pour clore avec la célèbre violoniste Julia Fisher qui interprète du Bach. À cette suite, doit s’ajouter, pour le lecteur mélomane les musiques de Chostakovithc, de Buxtehude, la <em>Sarabande</em>, la <em>Chaconne</em> et le deuxième <em>Concerto&nbsp;</em>de Bach. Le lecteur dilettante est même convié à aller écouter l’interprétation de Fisher sur <em>Youtube</em>. Ce sont aussi des écrivains influencés par la musique dans leur écriture qui s’ajoutent à cette basse continue qui constituent l’écho littéraire bien sonore de ce roman: Céline, Joyce, la graphie musicale&nbsp;de Kerouac, Fitzgerald, Wittgenstein, Italo Svevo.</p> <p>Il ne sera donc pas anodin que le vingt-neuvième jour soit celui des musiciennes. Ce parcours musical aux allures de littérature est conduit comme le «toc-toc [d’un] un hoquet qui guiderait les aveugles à la lettre» (p.11). Du «chœur» (p.42) issu des partitions musicales des grands auteurs ayant résonné en Jean-Philippe Rossignol, à cette danse de la séparation, à la voix solitaire de l’auteur Rossignol qui s’accompagne à la harpe, au trentième jour, «[l]e morceau s’arrête» (p.169). Ce roman prend la forme de véritables «suites électriques» (p.169) sur lesquelles l’auteur, le temps d’une danse aux musiques des écrivains qu’il admire, remettra le morceau mais peut-être seul cette fois-ci, «suivant en cela la règle nette qu’un écrivain sans oreille est comme un boxer sans main gauche» (p.37-38).</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL:</strong> Je me permets un aparté métaréflexif, une digression peu pertinente mais quand même essentielle. Je découvre, à travers ce studio, toute la pertinence de mener une lecture à plusieurs têtes d’un même roman. Brigitte, informée par ses propres intérêts, met au jour toute une dimension qui m’avait échappée à la première lecture du roman de Rossignol. Maintenant, cette omniprésence de la musique m’apparaît évidente, voire fondamentale, alors que je m’étais concentré sur tout autre chose lors de mon premier parcours du roman.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>BF:</strong> Il semble toutefois, au consensus, que ce roman ne nous aura été qu’une pause, suivie d’un long soupir avant de s’éteindre dans un profond silence.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>AH: </strong>Aller lire ailleurs si on y est, suggère Pierre-Luc à la suite de Rossignol. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis rarement tentée de le faire. Je suis pourtant curieuse de nature, mais voilà que j’ai peine à sortir de ma zone de confort; lire et relire les livres que j’ai tant aimé, encore et toujours au point d’en perdre le compte au fil des ans. L’an dernier, mon grand-oncle m’a légué quelques-uns (trois cents) des livres de sa riche bibliothèque (dix mille). Des bouquins assez vieux, qui sentent la poussière et le temps qui passe. Parmi eux, une collection rassemblant une œuvre de chaque auteur ayant été récompensé d’un prix Nobel entre 1901 et 1970. Hemingway, Mistral, Pirandello, Hesse, Gide, Sartre, Kipling… Je sais qu’ils méritent d’être lus. Eux comme bien d’autres. Pourtant, je n’en ai pas ouvert un seul. J’ai l’impression d’avoir besoin que quelqu’un m’insuffle l’envie de les ouvrir, m’en parle avec toute la passion ressentie à sa lecture… comme si les livres n’étaient pas capables de parler pour eux-mêmes, eux qui contiennent tant de mots. Aujourd’hui, ouvrons-en quelques-uns pour voir ce qu’ils ont à dire:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">À temps le vieillard aux brins d’osier – acheva sa chanson marine, – car sa voix dans les pleurs allait se noyer; –mais trop tôt, certes, pour les garçons de labours,– car, sans mot dire, la tête éveillée –et les lèvres entrouvertes,– longtemps après le chant ils écoutaient encore (Mistral, 1960, p.56).</p> </blockquote> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">–Votre peinture sent le tabac et le sang, lui avait-elle dit un jour? Ne savez-vous donc faire que des soldats?</p> <p style="margin-left:70.8pt;">– Hélas!... répondit-il doucement.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Et tout bas, il se disait: «Je pourrais faire d’elle, si elle voulait, un portrait qui serait un chef-d’œuvre» (Kipling, 1960, p.129).</p> </blockquote> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Tous les matins, à la même heure, ni une minute avant, ni une minute après, je le voyais déboucher sur quatre pieds (y compris les deux cannes, une à chaque main, qui lui servaient plus que ses pieds). À peine arrivé, […] il s’asseyait, ses deux bâtons entre les jambes, tirant de sa poche sa calotte, sa tabatière et un grand mouchoir à carreaux rouges et noirs; il reniflait une grosse prise de tabac, s’essuyait, puis ouvrait le tiroir de la table et en extrayait un bouquin qui appartenait à la bibliothèque: <em>Dictionnaire historique des musiciens, artistes et amateurs morts et vivants</em>, imprimé à Venise en 1758 (Pirandello, 1963, p.90).</p> </blockquote> <p>Ce n’était pourtant pas si difficile… Et alors que j’écris ces lignes et que je me questionne sur mes habitudes littéraires, mon copain écoute de la musique classique. Schubert, Beethoven, Mendelssohn. Et, comme chaque fois, je dois lui demander le nom du compositeur, même si je reconnais l’air. À bien y penser, je n’ai pas besoin de connaître leur nom, aussi illustre soit l’homme, pour apprécier la puissance de l’œuvre qui fait vibrer quelque chose en moi, tout comme les mots de ces grands auteurs qui peuplent ma bibliothèque. Rossignol parle d’auteurs que je ne connais pas, que je n’ai pas lus ou, si je les ai lus, dont je ne me souviens pas des propos exacts, si ce n’est cette puissance qui se dégage de leur œuvre. Comme pour la musique, je me souviens d’avoir vibré avec les mots, mais à moins de les entendre à nouveau, ils se perdront dans l’immensité de la mer de la littérature.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>En guise de conclusion, je ne peux m’empêcher de penser à Richard Millet, malgré les horreurs qu’il a récemment professées, en refermant le livre de Rossignol. Pas que j’établisse quelque parallèle que ce soit entre l’œuvre des deux écrivains, mais bien parce que Rossignol fait une très grande place dans son musée aux inclassables, classiques comme oubliés de l’histoire littéraire. Et j’en viens à me demander ceci: est-ce que Millet n’aurait pas raison, après tout, et que la littérature ne se déploierait vraiment que dans ce qui n’est pas roman? Puis ma question perd tout son sens, dès lors que j’accepte enfin que <em>Vie électrique</em> soit un roman. Au final, on se balance pas mal de savoir, dans l’immédiat, ce que cela veut dire. On dirait qu’avec les inclassables comme <em>Vie électrique</em>, j’en arrive toujours à la conclusion qu’ils affirment, par leur impudence, la toute-puissance de la littérature. Et j’entends littérature comme le voudrait Luc Lang, c’est-à-dire comme quelque chose de dangereux, comme désordre, chaos, comme «une force imprévisible d’inattendues propositions quant à la question du <em>sujet</em>, et [qu’]il est toujours plus urgent de […] cerner dans cet espace livresque de la “fiction”, que l’on parcourt en ses <em>heures perdues</em> de loisir et de distraction, où l’on s’accorde précisément à perdre son temps avec ce qui n’est que… littérature» (2011, p.26).</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2001), <em>Dernier inventaire avant liquidation</em>, Paris, Grasset.</p> <p>Frédéric BEIGBEDER (2011), <em>Premier bilan après l’Apocalypse</em>, Paris, Grasset.</p> <p>COLLECTIF (2008), «Le Roman permet -il&nbsp; de s’évader ou lui attribuez vous d’autres fonctions?», dans <em>Yahoo! Questions/Réponses</em>, [en ligne]. <a href="http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH">http://qc.answers.yahoo.com/question/index?qid=20080512024141AAnVceH</a> (Page consultée le 9 octobre 2012).</p> <p>Albert GAUVIN (2012), «La <em>vie électrique</em> de Jean-Philippe Rossignol», <em>Pileface</em>, [en ligne]. <a href="http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265">http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=1265</a> (Texte en ligne depuis le 8 mars 2012).</p> <p>Rudyard KIPLING (1960), <em>La lumière qui s’éteint</em>, chapitre VII, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1907).</p> <p>Luc LANG (2011), <em>Délit de fiction. La littérature, pourquoi?</em>, Paris, Gallimard (Folio essais / Inédit).</p> <p>Richard MILLET (2010), <em>L’enfer du roman. Réflexions sur la postlittérature</em>, Paris, Gallimard.</p> <p>Frédéric MISTRAL (1960), <em>Mireille</em>, Chant premier, «Le Mas des Micocoules», verset XIII, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1904).</p> <p>Luigi PIRANDELLO (1963), <em>Feu Mathias Pascal</em>, chapitre V, Maturation, s.l., Éditions Rombaldi (Collection des Prix Nobel de littérature, lauréat 1934).</p> <p>Marcel PROUST, «Lettre de 1919 à Ramon Fernandez», <em>Correspondances</em>, t. XVIII, Paris, Plon.</p> <p>Alain ROBBE-GRILLET (2005), <em>Préface à une vie d’écrivain</em>, Paris, France Culture / Seuil (Fiction &amp; Cie).</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/studio-de-lecture-1#comments Autoréférentialité BEIGBEDER, Frédéric Critique littéraire Déplacements Dialogue médiatique Dialogues culturels Éclatement textuel Écriture Fiction Fonctions du récit France Genre Indétermination Journaux et carnets KIPLING, Rudyard LANG, Luc Littérature «monde» Mélange des genres MILLET, Richard MISTRAL, Frédéric Nomadisme Obsession Obsessions d'écrivains PIRANDELLO, Luigi Poétique du recueil Portrait de l'artiste PROUST, Marcel Récit de voyage ROSSIGNOL, Jean-Philippe Savoir encyclopédique SOLLERS, Philippe SOLLERS, Philippe Théories des genres Voyage Essai(s) Roman Tue, 16 Oct 2012 18:28:19 +0000 Pierre-Luc Landry 601 at http://salondouble.contemporain.info L'Estonie à la première personne http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/eesti-notes-sur-lestonie-0">Eesti. Notes sur l&#039;Estonie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="margin-left:247.8pt;">Pas encore de vue d’ensemble de la ville.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’aime ces tâtonnements entre le noir et le blanc.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">Travail d’aveugle, esclave de l’endroit où poser le pied pour ne pas glisser.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">J’apprends le braille des trottoirs.</p> <p style="margin-left:247.8pt;">—Richard Millet, <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em></p> <p align="right">&nbsp;</p> <p>Du compositeur estonien Arvo Pärt, j’aime tout particulièrement le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em>. Il y a dans cette pièce une tristesse magnifique qui me transporte à tout coup, dès que les cloches sonnent en ouverture, sur les ruines modernes (et encore fonctionnelles, dit-on —je n’ai pas vérifié) de Linnahall, un vaste complexe sportif et culturel construit à Tallinn par l’architecte Raine Karp pour accueillir les compétitions de voile des Jeux olympiques de Moscou, tenus en Union soviétique pendant l’été 1980. Nous sommes arrivés là un peu par hasard, Benoit, Marie-Hélène, Liguori et moi; nous flânions en direction du marché russe de la gare ferroviaire et notre intention était de nous y rendre en passant par Kalamaja, sorte de petit village de pêcheurs qui borde la Baltique, une enclave charmante qui nous a attirés vers elle avec ses maisons colorées, ses habitations en bois et ses chats un peu partout, dans les ruelles étroites, aux fenêtres, dans les parcs, perchés sur les branches d’arbres ou sur les clôtures, etc. Enfin… Marie-Hélène dira qu’elle déteste les chats, mais elle s’est quand même extasiée avec nous devant celui, tout blanc, qui sortait d’une petite fenêtre en haut d’un immeuble de bois pour prendre l’air et contempler les passants. Un chat habitué à l’ambiance particulière de ce village tout juste au nord de la vieille ville, un chat peinard, nonchalant, qui jugeait avec toute la supériorité que lui confère sa race les quatre touristes idiots qui le prenaient en photo et qui jetaient de petits cris à chacun de ses mouvements, puisqu’ils avaient peur qu’il tombe et se casse les pattes sur le pavé quatre étages plus bas.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" id="" longdesc="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%201,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Nous sommes donc passés, à tout hasard, devant Linnahall, immense bloc de béton et de briques, monstre gris et brun, sorte de bunker des arts et des sports négligé, comme à l’abandon. Pas âme qui vive: portes condamnées, graffitis un peu partout, murs à moitié défoncés, arbustes ici et là perçant le béton des marches des escaliers… Un seul oiseau sur une torche électrique: une corneille grise et noir qui s’est envolée quand je me suis approché pour la prendre en photo. Je ne peux évoquer cet endroit autrement que par le sentiment d’irréalité qui s’en dégageait et qui nous a poussés à explorer davantage ses environs. Nous sommes montés sur le toit, par où il faut passer pour y entrer. Une vaste agora s’ouvre tout en haut des escaliers, dominée elle aussi par le gris et le brun, quoique ceux-ci soient atténués cette fois par le vert des mousses qui s’accrochent aux blocs de béton et l’aqua des lampadaires qui se multiplient, on dirait, à l’infini. «Administratsioon / АДМИНИСТРАЦИЯ», annonce une plaque graffitée, aqua elle aussi, posée devant une porte fermée à clé. Plus loin, on peut descendre vers le cœur du monstre, vers ce qui semble être la porte principale, elle aussi verrouillée, ornée de l’inscription «Kontserdisaal» —la salle de concert, vraisemblablement, bien qu’il soit presque impossible d’imaginer un orchestre symphonique qui se produirait sous terre, à l’intérieur d’une ruine soviétique. Il est possible toutefois de monter encore plus haut, sur le dernier étage du toit, d’où on a une vue superbe sur la vieille ville, sur Kalamaja, sur Kesklinn et ses gratte-ciel ultra modernes, ou encore, de l’autre côté, sur l’héliport qui dessert Helsinki et sur l’immensité grise de la mer Baltique. Nous nous sommes attardés à cet endroit surréaliste. Et c’est à ce moment sublime que nous avons partagé tous les quatre que me ramène le <em>Cantus in memoriam Benjamin Britten</em> de Pärt. C’est comme si j’entendais les cloches de la cathédrale orthodoxe Alexander Nevsky, au loin, sur la colline de Toompea. C’est comme si je me retrouvais là pour la première fois, en octobre alors que les arbres rougissent et que le vent du nord se lève, et que j’arpentais les ruines de Linnahall, attentif au moindre soulèvement esthétique qui pourrait m’assiéger. C’est comme si nous partagions un breuvage chaud aux Chocolats de Pierre, un troquet d’inspiration française sis dans une petite cour intérieure confidentielle près de la place de l’Hôtel de Ville de Tallinn, après avoir arpenté les rues au dénivelé incertain des vieux quartiers sous un froid mordant et magnifique.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%202,%202009_0.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>C’est cette Estonie mystérieuse et étonnante que je retrouve dans <em>Eesti. Notes sur l’Estonie</em> de Richard Millet. Ce petit ouvrage se lit comme on écoute l’<em>Aliinale</em> de Pärt: lentement, en respectant les blancs —qui sont d’ailleurs nombreux. Ce carnet ne suit aucun plan: c’est un ensemble de notes sur la langue, le froid, les trottoirs, une suite de réminiscences littéraires et personnelles qui entraînent le lecteur dans une Estonie déformée par les souvenirs de l’enfance libanaise de Millet. Ce que Millet offre à son lecteur, au final, ce n’est pas tant un carnet de voyage qu’un carnet écrit <em>à cause</em> d’un voyage, <em>sous l’impulsion</em> d’un voyage —et qui déborde du cadre strict du récit de voyage, bien sûr. Cette posture implique une surconscience de l’écriture, qui se dit en même temps qu’elle se fait. Il y a cela d’intéressant dans <em>Eesti</em>, entre autres choses: cette parole honnête d’un écrivain qui arpente un pays qu’il ne connaît pas, qui le décrit dans ses propres mots, en faisant appel à ses propres souvenirs, sans tomber dans le piège d’un exotisme de pacotille. Cela donne lieu à des moments hors du temps du voyage durant lesquels l’écrivain, dont les sens sont attisés par une madeleine symbolique —une conversation entendue dans un café, une scène dont il est témoin, un orage, même—, s’éloigne de l’Estonie empirique, de cette Estonie dont n’importe quel récit de voyage peut rendre compte, afin d’explorer son geste d’écriture et sa posture de voyageur. Par exemple:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">L’orage gronde. Les premières gouttes tombent. Nous ne pouvons rester sur notre banc, à attendre la dame au petit chien de Tchékhov, quoique les installations un peu désuètes, en béton et en fer, me transportent par instants dans un autre décor: sur la plage de Lattaquié, en Syrie, ou encore à Balbec, dans le roman de Proust —en vérité nulle part, comme je le dis à Katrina, qui se moque de moi:</p> <p style="margin-left:70.8pt;">«Tu es toujours dans ta posture hiératique!»</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Elle a raison. Je ne parviens pas à me défaire de moi. Un écrivain a ceci d’insupportable qu’il est sans cesse sollicité par sa mémoire, laquelle vagabonde et cherche indéfiniment son langage.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">L’esprit de sérieux comme remède à l’angoisse, ou bien écran dressé devant le monde?</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Une des raisons de voyager, c’est d’aller défaire la dame au petit chien, le professeur Aschenbach, le narrateur proustien au bout de toutes les jetées. C’est en finir avec le hiératisme des «correspondances», et s’immoler soi-même sur la même jetée, devant l’eau boueuse, par un soir de grand vent.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">C’est devenir ce vent (p.102).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%203,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Millet livre à quelques reprises ce type de petits aphorismes sur le voyage. Il écrit, par exemple, que voyager, «c’est n’être personne, abandonner tout préjugé, se défaire de soi<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>: une liberté incomparable / C’est aussi accéder à soi par altération —consentement infini à autrui» (p.95). Cette réflexion, qui prend la forme de maximes et de fulgurances de l’esprit, entraîne le lecteur bien loin du récit de voyage plus conventionnel, que la collection «Le sentiment géographique», dans lequel l’ouvrage de Millet est publié, cherche d’ailleurs à contourner. Contourner ou, plus simplement, ignorer. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de désir explicite de lutter contre une certaine tendance ou façon de faire; c’est plutôt comme si les frontières avaient été repoussées jusqu’à leur extrême limite et que l’individu contemporain ne pouvait se targuer de découvrir et relater, «pour le bénéfice des siens», ce qui se cache derrière le voile opaque de l’exotisme.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%204,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Une petite note sur les intentions de cette collection, dirigée par Christian Giudicelli, en page de garde, exprime d’ailleurs plutôt bien cette «politique éditoriale», si on peut l’appeler ainsi, qui donne la parole aux écrivains qui vagabondent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Tout n’a pas été dit, les guides touristiques n’étant pas conçus pour révéler le plus secret d’une ville ou d’un pays. Le secret, c’est ce qu’un écrivain retrace et tente d’apprivoiser hors de chez lui, dans une rue lointaine, devant un monument célèbre ou le visage d’un passant. Ainsi recompose-t-il, en vagabond attentif, un monde à la première personne. Donc jamais vu.</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%205,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Et le pari a été relevé, du moins avec l’ouvrage de Millet; c’est véritablement un monde à la première personne qui se donne à voir dans <em>Eesti</em>, que je me permets ici de citer longuement afin d’en donner un aperçu clair, un monde fait d’observations, de réflexions, de souvenirs, de lectures, et d’une bonne dose de poésie:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left:70.8pt;">Il fait si froid qu’on ne peut s’arrêter nulle part, ni rêver; la rêverie est prise dans la marche: une rêverie obstinée, de la pensée, plutôt, à l’état naissant, prête à bondir vers la joie ou la tristesse où elle se défait.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Dans ces conditions, l’Estonien demeure pour moi un fantôme, tandis que je piétine mon apparence dans la neige et sur le verglas.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je suis reconnaissant au froid de me délivrer de la sueur, de retrouver cette forme de dignité qu’est le fait de ne pas transpirer immodérément.</p> <p align="center" style="margin-left:70.8pt;">*</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je reste seul, ce soir, dans l’appartement de Kriistina.</p> <p style="margin-left:70.8pt;">Je lis pour oublier la blancheur du dehors, qui imprègne tout, jusqu’aux voix, au texte de Balzac: <em>La Muse du département</em>, et même ma propre langue, la blancheur m’empêchant par exemple de voir se dresser la colline de Sancerre, de la même façon que la bière A. Le Coq que je viens de boire pour accompagner des fromages lapons et estoniens sur du pain noir dissipe le souvenir du goût de pierre à fusil qu’a la sancerre. Nulle synesthésie n’ayant lieu, je tente de boire du cognac lituanien. Trop douceâtre… Je m’en remets donc à la pensée balzacienne, implacable quant à l’insecte social qu’est l’homme moderne, mais qui n’hésite pas, surtout pour les femmes, et tout antithétique que cela paraisse, à risquer une entomologie de la grâce (p.68-69).</p> </blockquote> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%206,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Tout n’est pas agréable, par contre, dans ce carnet; on voit poindre là, d’ailleurs, ce qui rend Millet si antipathique dans ses essais plus polémiques. Ce qu’il dit de «l’insecte social qu’est l’homme moderne» et de sa littérature trahit la même virulence de pensée que dans <em>L’enfer du roman </em>(2010), par exemple<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>, ou encore <em>Arguments d’un désespoir contemporain</em> (2011) —et dans bien d’autres titres encore. Je ne m’attarde tout simplement pas trop à ces passages sur la «globalisation américaine» (p.72), sur le Spectacle (p.61) ou sur la post-littérature (p.56), me disant que chaque écrivain a ses obsessions et que celles de Millet ne se veulent pas, du reste, charmantes et attachantes.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%207,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Je souris notamment lorsqu’il évoque l’omniprésence de l’ail dans la cuisine estonienne; me viennent tout de suite au nez des effluves corsées, les mêmes que l’on peut respirer en entrant dans la vieille ville par Viru väljak, au pied du restaurant Olde Hansa où l’on boit et mange dans des couverts, des plats et des chopes faits à la main, au sous-sol, selon des techniques vieilles de plusieurs centaines d’années. Cette odeur d’ail qui persiste jusque sur la place de l’Hôtel de Ville, à l’architecture hanséatique imposante, où, tout juste à côté de la pharmacie du magistrat, dans un petit passage, se trouve un restaurant qui fait du bulbe sa spécialité.</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%208,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p>Il y a de ces bouquins dont on retire un immense plaisir de lecture. C'est grâce aux <em>Notes sur l’Estonie</em> de Millet que je suis retourné, par personne interposée, dans ce petit pays du bout du monde. De la même façon que je me laisse transporter là-bas par les violons et le piano quand j’écoute <em>Spiegel im Spiegel</em> de Pärt.</p> <div> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Linnahall%209,%202009.JPG" style="width: 350px; height: 263px;" title="Crédit : Pierre-Luc Landry" /></p> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><em><font><font size="2">Les photographies qui illustrent ce texte ont été réalisées par Pierre-Luc Landry à Tallinn, en octobre 2009.</font></font></em></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> On me fait remarquer, à juste titre, que cet appel à se défaire de soi est paradoxal et curieux, considérant la longue citation qui précède et dans laquelle Millet affirme qu’il ne parvient pas à se défaire de lui-même. Comme il revient constamment à ses obsessions, même en Estonie, serait-ce que le voyage, qu’il décrit ainsi, n’arrive pas à se réaliser complètement? Si le voyage est une altération, on peut supposer que cette altération ne se constate qu’en observant dans le détail ce qui se passe <em>à l’intérieur de soi</em> et non pas à l’extérieur, et qu’ainsi Millet voyage bel et bien, puisqu’il retourne en lui-même pour y constater le changement —et l’immuable, puisqu’il en reste néanmoins.</p> </div> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Que Manon Auger et moi avons recensé l’an dernier dans ce même salon: lire <a href="lecture/dans-le-vestibule-de-lenfer">«Dans le “vestibule de l’enfer”»</a>, publié le 4 avril 2011.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lestonie-la-premi-re-personne#comments Aphorismes AUGER, Manon et LANDRY, Pierre-Luc France Genre Journaux et carnets MILLET, Richard Récit de voyage Récit de voyage Vagabondage Fri, 27 Apr 2012 16:20:43 +0000 Pierre-Luc Landry 485 at http://salondouble.contemporain.info