Salon double - Quête http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/1389/0 fr Un mythe canadien? http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-mythe-canadien <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/ferland-pierre-paul">Ferland, Pierre-Paul</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/du-bon-usage-des-etoiles">Du bon usage des étoiles </a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">La maison d’édition de Québec Alto se distingue notamment grâce à la publication de traductions d’œuvres canadiennes anglaises. Dominique Fortier, auteure de trois romans et traductrice de six titres canadiens pour la jeune maison d’édition, se trouve au cœur de ce dialogue entrepris entre les deux cultures du Canada. Son premier roman, <em>Du bon usage des étoiles</em> (2009), finaliste pour de nombreuses distinctions (Prix littéraire du Gouverneur Général, Prix des libraires du Québec, Grand prix littéraire Archambault, Prix Senghor du premier roman) et bientôt adapté au cinéma par Jean-Marc Vallée, nous montre un autre versant des échanges culturels qui se développent entre les cultures québécoise et canadienne: celui de l’imaginaire.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><em>Du bon usage des étoiles</em> relate le périple historique des navires <em>Erebus</em> et <em>Terror</em> dans l’océan Arctique à partir de l’été 1845 selon les perspectives parallèles des marins se dirigeant vers leur mort et de leurs flammes demeurées en Angleterre, liant la trame épique à une intrigue amoureuse. L’expédition, commandée par l’explorateur de renom Sir John Franklin et son second Francis Crozier, reste prisonnière des glaces. Les quelque 130 membres de l’équipage périssent dans des conditions terribles. Cette exploration avortée du «passage du Nord-Ouest», pratiquement inconnue au Québec, constitue un sujet de fascination ailleurs au Canada, où la chanson folklorique «Northwest Passage» de Stan Rogers a contribué à immortaliser l’équipée dans l’imaginaire collectif. Des auteurs de renom tels que Margaret Atwood, avec la nouvelle «Age of Lead» parue dans <em>Wilderness Tips</em> (1991), Mordecai Richler, avec <em>Solomon Gursky was Here</em> (1989), ou plus récemment Elizabeth Hay, avec <em>Late Nights on Air </em>(2007) se sont inspiré de l’épopée britannique. Atwood, dans <em>Strange Things: the Malevolent North in Canadian Literature </em>(1995), l’associe même à une sorte de mythe fondateur destiné à entrer dans le folklore afin d’être ressassé par chaque génération. En ce sens, le choix de Fortier d’«importer» au Québec un tel récit pourrait s’apparenter à un transfert culturel continental <strong><a href="#1">[1]</a><a id="1a" name="1a"></a></strong>. Il s’agirait, dans ces circonstances, non pas seulement d’habiter, par les artifices de la fiction, un événement marquant de l’Histoire impériale britannique et du Canada, mais surtout de s’approprier un mythe fondateur d’une collectivité américaine et de l’enrichir d’une nouvelle sensibilité.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Mythe américain</strong></span><br />À première vue, cette épopée s’inscrit pleinement dans ce qu’il est convenu de nommer le «mythe américain». Jean Morency (1994) indique que &nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />le mythe américain raconterait bientôt comment les hommes, aux temps héroïques de l’exploration du continent, c’est-à-dire aux temps primordiaux –[…]– se sont arrachés à un monde caractérisé par la stabilité, ou imaginé en tant que tel, pour s’enfoncer dans l’espace américain, à la recherche d’un éden [sic] ou d’une utopie, pour s’y retrouver face à face avec&nbsp; l’Indien, et en revenir finalement transformés (12).</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />L’organisation narrative du mythe «qui met en place des réseaux d’oppositions traduisant une hésitation de nature ontologique et débouchant sur l’expression d’une nouvelle réalité» (Morency, 2007: 354) s’inspire directement du «parcours initiatique» qu’ont décrit notamment les anthropologues Claude Lévi-Strauss et Mircea Eliade. Parmi les oppositions les plus emblématiques de ce schéma mythique qui définirait l’américanité, notons par exemple le Nomade contre le Sédentaire, l’Indien contre le Blanc, la Liberté contre l’Ordre, la Civilisation contre la Sauvagerie, etc. Les personnages de <em>Du bon usage des étoiles</em> semblent d’ailleurs pleinement imprégnés de cet imaginaire lorsqu’ils veulent motiver leur entreprise. Ainsi, Franklin part «à la conquête du <em>mythique</em> passage du Nord-Ouest, toujours pour la plus grande gloire de l’empire» (13, je souligne). On raconte même qu’il s’agirait de «la découverte du siècle, qui n’a peut-être d’égale dans l’histoire que la découverte de l’Amérique» (143). Crozier, dans son journal, traite quant à lui avec un vocabulaire biblique de son exaltation de «baptiser le territoire» de ce «nouvel Éden»: «Avant nous, le paysage grandiose fait de glace et de ciel n’existait pas; nous le tirions du néant où il ne retournera jamais, car désormais il a un nom. […] Il a rejoint le domaine toujours grandissant de ce qui est nôtre sur cette Terre» (43).</p> <p style="text-align: justify;"><br />Lorsque l’équipage rencontre une famille d’Esquimaux, la narration insiste également sur la dimension mythique de ce «premier contact»: «On jurerait qu’ils ont découvert quelque créature mythique, une baleine blanche, une licorne qu’ils ne connaissaient que par les livres, et que cette rencontre les fait, eux, entrer dans la légende» (119). Le clin d’œil (tout à fait anachronique) à <em>Moby Dick</em>, le chef-d’œuvre de Melville paru en 1851 que Morency considère comme emblématique de l’américanité, rattache clairement <em>Du bon usage des étoiles</em> à cette matière mythologique. Attrait de la nouveauté, contact bouleversant avec l’Indien (qui engage moult débats au sein de l’équipage entre les partisans du «mythe du Bon Sauvage» et ceux du «primitif» proche de la bête), quête de domestication de la Nature par la Main civilisatrice: à première vue, la perspective que Fortier donne à l’expédition de Franklin se rattache à l’appréhension euphorique du mythe.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Revoir les stéréotypes de l’américanité</strong></span><br />Pourtant, malgré l’impression d’une mission divine, le recours à la forme narrative du journal de bord permet à Fortier de dévoiler les motivations toutes personnelles du second capitaine, Crozier, qui ne satisfont pas nécessairement au portrait du «héros civilisateur» à qui on pourrait l’associer. Indiquant qu’il quitte à regret la jeune Sophia qui refuse ses avances, il écrit: «Je ne pars plus vers quelque chose comme je l’ai fait tant de fois, le cœur battant, l’esprit enflammé à la pensée de découvrir une partie de notre monde que personne n’avait aperçue, je quitte quelque chose […]» (35). Au «voyageur dionysiaque» ou au héros civilisateur généralement associés au mythe américain se substitue donc un amant rejeté et nostalgique de celle qui serait «&nbsp;[s]a femme, [s]a maison et [s]on pays» (35).</p> <p style="text-align: justify;"><br />L’enlisement des navires dans les glaciers permet d’ailleurs de présenter la dimension tragique de l’épopée continentale, ce triomphe de la Nature contre la Conquête des Hommes qui s’assimile désormais à un quelconque crime d’<em>hubris</em>: «Venus en découvreurs arpenter une terre inconnue et sillonner des eaux légendaires, les hommes voient leur royaume réduit aux dimensions de deux navires de bois dont ils connaissent […] chaque centimètre carré» (254). Véritable voyage immobile, l’expédition s’avère un échec complet tant aux yeux de l’histoire collective que de celle, personnelle, de Crozier.</p> <p style="text-align: justify;"><br />D’ailleurs, <em>Du bon usage des étoiles</em> traite presque autant des voyageurs perdus dans l’Arctique que de l’épouse de Sir Franklin, lady Jane, demeurée en Angleterre. Si la tradition de l’américanité relègue souvent les femmes au rôle de «gardiennes du foyer», «victimes de ces départs», «avocates de la sédentarité» ou de «vestales chargées de garder le feu sacré» (Lemire, 2003: 108), lady Jane, qui prend sa nièce Sophia sous son aile, se présente volontiers comme une scientifique, une femme de culture qui, sous le couvert de ses activités d’aquarelliste, se permet de redessiner les cartes du Nouveau Monde. Celle qui épouse Franklin en raison de ses mœurs domestiques libérales recommande d’ailleurs à Sophia de tout simplement ne pas se marier (312). Ces éléments correspondent à une véritable mise à mal du voyageur, une sorte d’immense bémol sur l’aventure américaine où on réintègre désormais une sensibilité féminine.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>Une occasion ratée&nbsp;?</strong></span><br />Cependant, il m’est d’avis que la problématisation du mythe américain que propose Dominique Fortier demeure insuffisante parce qu’<em>elle se prend encore au sérieux</em>. Certes, Fortier, en épilogue, prend bien soin d’avertir que son texte ne constitue qu’une fiction dérivée de faits historiques. <em>Du bon usage des étoiles</em> est donc, fondamentalement, une fabulation, une réinvention libre de l’Histoire. L’occasion ratée de Fortier, selon moi, est précisément de ne pas avoir <em>joué</em> suffisamment avec elle. Pourtant, on connait de nos jours l’objectivité vacillante de l’Histoire, son asservissement au <em>récit</em>, le récit d’un sujet avec son propre biais, ses propres intentions pragmatiques. Si un «roman historique traditionnel» entend être jugé entre autres pour la part qu’il donne à son exactitude factuelle, un roman historique «postmoderne» s’affaire plutôt à scander avec des artifices ludiques la <em>fragilité</em>, voire l’<em>obsolescence</em> de ce savoir soi-disant objectif sur lequel les nations fondent leur unité grâce à divers mythes fondateurs. Or <em>Du bon usage des étoiles</em>, s’il ne prétend qu’à la fabulation en revendiquant ses libertés prises face à l’Histoire, ne va pas assez loin dans son travail de déconstruction. À mon avis, il manque à <em>Du bon usage des étoiles</em> un narrateur servant de médiateur entre l’Histoire et le roman. Ce personnage d’archiviste-ethnologue parcourant divers documents aurait d’ailleurs pu mieux justifier l’insertion dans le roman de textes hétéroclites&nbsp; tels un cantique biblique (21), un texte dramaturgique (91), un manuel d’instructions navales (39), un recueil de vers (116) ou un poème en prose (187-188), un traité de sciences appliquées (135-139), un l’herbier (223), une chanson (233), un menu et une recette (267 et 276) ou une partition musicale (304). Cette nature composite du texte, aussi intéressante puisse-t-elle sembler, m’apparaît plutôt comme une sorte de rendez-vous manqué avec le «grand roman américain» <strong><a href="#2">[2]</a><a id="2a" name="2a"></a></strong>. Tout au long du roman, le collage de textes scientifiques m’a semblé digressif, accessoire&nbsp;à une intrigue déjà ténue. En présence d’un narrateur-archiviste aux prises avec une documentation lacunaire afin de circonscrire le mythe historique, ces insertions auraient pu avoir du sens, car elles auraient pu être liées au cheminement ontologique de ce narrateur. Car c’est bien ce qui manque à <em>Du bon usage des étoiles</em>: pourquoi revit-on cette Histoire dont nous connaissons déjà la fin? Pourquoi devons-nous lire ces pages sur le magnétisme, cette recette de pouding qui nuisent à l’avancée de l’intrigue? Pourquoi ce délire encyclopédique s’il ne provient pas du plaisir de fabuler d’un sujet mégalomane désireux de défigurer un mythe national? <em>Du bon usage des étoiles</em>, il me semble, ne cultive pas une intrigue assez soutenue pour constituer un véritable roman historique «traditionnel» où on s’identifie aux émotions des personnages –les amours de Sophia sont traitées de manière très secondaire− mais ne questionne pas assez la conception de l’Histoire pour être un <em>jeu</em> tout postmoderne avec celle-ci. Pire, on voit, dans la scène du «premier contact» des Blancs avec les Esquimaux narrée à la fois par un narrateur hétérodiégétique, par Crozier dans son journal et par Franklin dans le sien (où il ne manque pas de s’interroger sur l’efficacité de sa plume et les modifications que son épouse apportera au récit pour l’embellir), que Fortier flirte avec cette envie de dévoiler la faillibilité du récit officiel, de carnavaliser un mythe national. L’ajout d’un narrateur-archiviste en tant que témoin mais aussi <em>créateur</em> d’une histoire à la fois personnelle et continentale aurait pu rendre mon expérience de lecture véritablement jouissive.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span><br /><br />MORENCY, Jean (1994), <em>Le mythe américain dans les fictions d’Amérique. De Washington Irving à Jacques Poulin</em>, Québec, Nuit Blanche éditeur.<br /><br />MORENCY, Jean (2007), «Les tribulations d’un mythe littéraire américain : l’odyssée continentale d’Évangéline, poème de Longfellow», dans BOUCHARD, Gérard et ANDRÈS, Bernard [dir.], <em>Mythes et sociétés des Amériques</em>, Montréal, Québec/Amérique (Essais et documents), p. 349-367.</p> <p style="text-align: justify;">NAREAU, Michel (2008), <em>Transferts culturels et sportifs continentaux. Fonctions du baseball dans les littératures des Amériques</em>, thèse de doctorat en études littéraires, Montréal, Université du Québec à Montréal.<br /><br />NAREAU, Michel (2007), «Les taches solaires de Jean-François Chassay», dans Gilles Dupuis, Klaus-Dierter Ertler [dir.], <em>À la carte Le roman québécois (2000-2005)</em>, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2007, p. 87-106.</p> <hr /> <p style="text-align: justify;"><a href="#1a"><strong>[1]</strong></a><a id="1" name="1"></a> Dans sa thèse de doctorat, Michel Nareau donne cette définition des transferts culturels continentaux: «Les chercheurs des transferts culturels se sont surtout attardés à l’analyse de la sélection des objets transférés, puis à celle des méthodes employées pour assurer la médiation des éléments choisis (traduction, amalgame, métissage, discours de la différence, appropriation discursive) et enfin à la réception de l’échange (interdiscursivité, utilisation de l’objet, déplacement de sens, modification de l’usage, etc.). Ces trois éléments (sélection, médiation et réception) permettent une juste compréhension des enjeux identitaires et culturels (perception de l’Autre, émergence d'une identité renouvelée, résolution de contradictions, acceptation d'une interculturalité constitutive) des transferts culturels.» (Nareau, 2008 : 54)</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#2a"><strong>[2]</strong></a><a id="2" name="2"></a> Michel Nareau (2007) définit le «grand roman américain» à partir de trois caractéristiques: l’usage du principe de témoignage pour rendre compte de l’expérience originale des Amériques, corollaire de la recherche d’une forme originale, puis la nécessité de se distinguer de l’Europe par des pratiques singulières et enfin, le renversement de ce modèle européen. À cela, il faut ajouter une expérimentation concrète de l’espace continental et une perspective singulière à propos du temps historique (91).</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-mythe-canadien#comments Amérique ATWOOD, Margaret Autochtone Autorité narrative Canada Déplacements Dialogues culturels Espace Espace culturel FORTIER, Dominique Histoire Imaginaire Littératures nationales NAREAU, Michel Quête Récit de voyage Roman Sat, 14 Sep 2013 14:09:24 +0000 Laurence Côté-Fournier 792 at http://salondouble.contemporain.info Comparaison, avec raisons http://salondouble.contemporain.info/lecture/comparaison-avec-raisons <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-gaudette-gabriel">Tremblay-Gaudette, Gabriel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/the-raw-shark-texts">The Raw Shark Texts</a> </div> </div> </div> <p style="text-align: justify;">Eric Sanderson se réveille chez lui au beau milieu de la nuit. Il est en proie à une panique totale, puisqu’il a l’impression de se noyer en eaux profondes. Après quelques instants angoissants, il reprend ses esprits et constate qu’il n’est pas en mer mais bien sur la terre ferme, au pied de son lit. Mais il constate rapidement qu’il n’est pas hors de danger pour autant, puisqu’il prend soudainement conscience qu’il n’a aucune idée d’où il peut bien se trouver, ni, surtout, de <em>qui il peut bien être</em>.<br /></p> <!--break--><!--break--><p><br />Sans être une prémisse des plus originales, la scène d’ouverture du roman de Steven Hall, <em>The Raw Shark Texts</em>, a de quoi piquer la curiosité, et lance de belle manière un roman qui se dévore avec la même intensité qu’un bon polar. Sauf qu’il n’est pas ici question de meurtre, puisqu’Eric Sanderson apprend qu’il a perdu la mémoire après avoir été attaqué par un «Ludovician», énorme <em>requin conceptuel</em> qui nage dans un environnement abstrait, à savoir le flux invisible de transmission des pensées – un peu comme si le <em>zeitgeist </em>était une voie de circulation. Sanderson est la proie répétée de cette créature depuis un voyage dans les îles grecques effectué avec sa conjointe Clio, morte dans des circonstances troubles. Il apprend tout ceci d’abord au contact de sa psychologue, déjà au courant de la situation particulière de son patient, puis grâce à des lettres qu’il reçoit chaque jour, écrites par «The First Eric Sanderson» – c’est-à-dire lui-même, avant qu’il ne perde la mémoire. Il obtient également un étrange enregistrement vidéo, qui présente une ampoule nue clignotant à intervalle irrégulier, dont il extraira un message grâce à un code de déchiffrement fourni par The First Eric Sanderson. Ces informations le mettront sur la piste du Ludovician et d’un certain Dr. Fidorous, qui pourrait lui permettre de lutter contre la créature. Pour ce faire, il lui faudra explorer la dimension du «un-space» (des lieux désertés ou soustraits au regard du public) afin d’aboutir à une issue qui, espère-t-il, le mènera sur les traces de son passé…<br /><br />Je crois que ce long résumé, volontairement formulé à grand renforts de clichés, indique clairement combien conventionnel peut être, par moments, le roman de Steven Hall; on pourrait en dresser un schéma actanciel en quelques secondes, on peut anticiper les revirements dramatiques pour autant que l’on prenne la peine d’y penser, et la forme que prend le principal antagoniste – un requin monstrueux – force la référence intertextuelle au film <em>Jaws</em>, que la finale du roman reconduit avec très peu de variations.<br /><br />En dépit de ces aspects prévisibles, <em>The Raw Shark Texts</em> sait se montrer assez peu conventionnel par moments. Par exemple, les créatures conceptuelles qui peuplent le roman sont représentées à l’aide de dispositions étonnantes du texte sur la page, dans une approche qui n’est pas sans rappeler la poésie concrète (voir Figure 1); les instructions de décodage du vidéo de l’ampoule transmises par The First Eric Sanderson sont étalées sur quatre pages,&nbsp; reproduisant un clavier QWERTY afin d’en expliquer la logique; le texte est interrompu à quelques occasions par l’intrusion de documents photographiques ou schématiques (Figure 2), et une séquence importante, dans le dernier quart du roman, prend la forme d’un flipbook à même les pages du livre. De plus, le roman est doté d’un index de cinq pages listant des noms propres, des personnages ou des lieux visités par Eric Sanderson. Curieusement baptisée «Undex (incomplete), Negative 36/36», cette section annexe au livre est évidemment très inhabituelle pour une œuvre de fiction.<br /><br />&nbsp;<span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/hall_the_raw_shark_texts_p._217.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Hall, The Raw Shark Texts, p. 217"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/hall_the_raw_shark_texts_p._217.jpg" alt="147" title="Hall, The Raw Shark Texts, p. 217" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style="" width="441" height="573"/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Hall, The Raw Shark Texts, p. 217</span></span></span><span style="color:#696969;">(Figure 1)</span><br />&nbsp;<span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/hall_the_raw_shark_texts_p._298.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Hall, The Raw Shark Texts, p. 282"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/hall_the_raw_shark_texts_p._298.jpg" alt="148" title="Hall, The Raw Shark Texts, p. 282" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style="" width="421" height="411"/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Hall, The Raw Shark Texts, p. 282</span></span></span><br /><span style="color:#696969;">(Figure 2)</span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>La comparaison inévitable</strong></span><br />La description du roman n’aura peut-être pas suffi, mais la recension des aspects plus originaux du roman de Steven Hall n’aura pas manqué d’interpeller les lecteurs de<em> <span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>, le roman vertigineux de Mark Z. Danielewski publié six années avant <em>The Raw Shark Texts</em>. En effet, on retrouve également dans <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em> des dispositions textuelles bigarrées, des voix narratives croisées, des documents visuels en annexe et un immense index apparemment superflu.<br /><br />Résumer un roman complexe et ambitieux tel <em><span style="color:#000080;">House </span>of Leaves</em> n’est pas une mince affaire, c’est pourquoi je citerai —paresseusement— celui fait&nbsp; par Anaïs Guilet:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;">[<em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>] débute par les confessions de Johnny Truant, un antihéros qui entre par hasard en possession du manuscrit d’un vieil original nommé Zampanò. Ce dernier a remisé dans une malle l’intégralité de son œuvre: un essai volumineux et prodigalement annoté portant sur un film qui n’existe pas, <em>The Navidson Record</em> (…) [film] tourné par Will Navidson, un photoreporter qui décide d’immortaliser son emménagement qui s’avère posséder des dimensions intérieures supérieures à ses dimensions extérieures, et où des couloirs apparaissent, incitant les protagonistes à y tenter des explorations. <a href="#note1">[1]</a><a name="renvoi1"></a></p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cette œuvre volumineuse – 709 pages – contient une quantité énorme de notes de bas de page, souvent utilisées afin de fournir des sources fictives aux citations fournies dans le texte. De plus, le roman met en place trois instances auctoriales – Zampanò, Johnny Truant et Pelafina, la mère de Johnny,— et il s’avère impossible de déterminer de qui, parmi ces trois candidats possibles, origine le texte. Danielewski a réussi un tour de force consistant à amalgamer un récit passionnant – l’exploration de la maison aux proportions incongrues est relatée de manière aussi palpitante et haletante que peut l’être la lecture d’un des romans réussis de Stephen King – et une dissertation critique à propos de celui-ci. L’œuvre lance le lecteur sur de multiples pistes interprétatives, qui débouchent plus souvent qu’autrement sur des cul-de-sac.<br /><br />De son propre aveu, Danielewski a mis dix années à écrire son <em>Opus Magnum</em>. L’auteur montre qu’il avait visiblement prévu l’accueil critique qui serait réservé à son texte lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages, à propos du film <em>The Navidson Record</em>, mais en référence implicite à son propre roman, «Navidson’s film seems destined to achieve at most cult statut. Good story telling alone will guarantee a healthy sliver of popularity in the years to come but its inherent strangeness will permanently bar it from any mainstream interest.» (p. 7) Preuve qu’il ne s’est pas fourvoyé, les lecteurs obsessifs vouant un culte au roman de Danielewski s’épivardent en conjectures sur le forum Web <a href="http://www.houseofleaves.com">www.houseofleaves.com</a> depuis 2001, et ils demeurent actifs à ce jour…<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Dans l’ombre d’un géant</strong></span><br />À la suite de cet aperçu de <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>, il est aisé de comprendre que la comparaison avec <em>The Raw Shark Texts</em> n’est pas injustifiée, et relève même de l’évidence. D’autant plus qu’au cœur du labyrinthe au centre de la maison dans l’œuvre de Danielewski se tapit un monstre fantastique, un peu comme le Ludovician que le Eric Sanderson du roman de Hall débusque dans son exploration du <em>Un-Space</em>…<br /><br />Mentionnons, à la décharge de Steven Hall, que suivant l’obtention du statut de livre-culte par <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em> et avant que ne paraisse <em>The Raw Shark Texts</em>, aucun écrivain, à ma connaissance, n’avait cherché à suivre les traces de Danielewski et à proposer une expérience de lecture aussi fourmillante, s’appuyant sur des jeux formels complexes constitués à partir des propriétés matérielles du texte. Hall devait être conscient des comparaisons qui ne manqueraient pas de suivre lors de la réception critique de son roman, mais il a décidé de relever ce colossal défi. L’œuvre de Danielewski avait, en quelque sorte, créé un géant à l’aune duquel les écrivains cherchant à s’inscrire dans son sillage devraient se mesurer. Or, après tout, un David confiant en sa précision pourrait croire qu’il serait en mesure de tenir tête à Goliath. Assumant jusqu’au bout sa source d’inspiration, et souhaitant sans doute voir naître une communauté de lecteurs enthousiastes, Hall, à l’instar de Danielewski, a mis en place sur son site Web un forum de discussion à propos de son roman, à l’adresse <a href="http://rawsharktexts.com/">http://rawsharktexts.com/</a>.<br /><br />Or, Hall n’a pas su reproduire le résultat du récit biblique. L’échec relatif de <em>The Raw Shark Texts</em> s’explique sans doute par le choix d’une forme linéaire, qui trouve son accomplissement au terme du récit, même si certains détails, notamment une mention dans l’ «Undex» de l’existence de «chapitres négatifs», indiquent clairement au lecteur qu’il y aurait davantage à trouver par un travail de décryptage. Ce processus de lecture exégétique seyait mieux à <em><span style="color:#000080;">House </span>of Leaves</em>, principalement parce que cette œuvre se déployait dans une forme réticulaire qui obligeait le lecteur à composer avec plusieurs niveaux narratifs et des instances auctoriales multiples, des systèmes de codification élaborés <a href="#note2">[2]</a><a name="renvoi2"></a> et des renvois incessants vers des portions éloignées du texte: l’investissement immersif du lecteur est pratiquement indispensable à une expérience satisfaisante de <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>.<br /><br />Le roman de Danielewski, avec sa thématique et sa structure labyrinthique, devenait une métaphore du processus herméneutique; que l’on s’y perde en cherchant la sortie était autant l’objectif de l’auteur que le plaisir du lecteur. On n’atteint jamais véritablement le terme de <em><span style="color:#000080;">House </span>of Leaves</em>, puisque les dédales de ses significations démultipliées font penser au paradoxe de Zénon tant le lecteur, découvrant sans cesse de nouvelles avenues d’exploration qui relancent ses réflexions, se sent comme la flèche qui n’atteindra jamais sa cible puisqu’elle est condamnée à n’effectuer éternellement que la moitié de sa trajectoire. En contrepartie, après une première lecture, on sent avoir atteint le terme de <em>The Raw Shark Texts</em> malgré sa finale ouverte: l’indication, dans l’étrange «Undex», de la possible existence de chapitres négatifs n’est pas assez émoustillante pour inciter à replonger dans un roman dont on sent déjà avoir découvert les tenants et aboutissants. À titre indicatif du peu d’enthousiasme soulevé par le projet d’exégèse de <em>The Raw Shark Texts</em>, le forum mis en place par Hall a été considérablement moins fréquenté que celui de Danielewski.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Créer un monstre?</strong></span><br />J’ai voulu lire <em>The Raw Shark Texts</em> pour ce qu’il était mais je n’ai pu m’empêcher d’y déceler constamment des comparaisons avec <em><span style="color:#000080;">House </span>of Leaves</em>. J’ai ensuite voulu écrire sur <em>The Raw Shark Texts</em> mais je constate qu’il m’a été impossible de le faire sans me référer abondamment à une autre lecture, qui s’est inscrite autant en filigrane qu’en filtre entre le roman de Hall et moi.<br /><br />D’une certaine manière, ce constat pourrait être inquiétant. Est-ce que Mark Z. Danielewski a réussi dans son projet de créer un roman contemporain qui, au plan formel, accomplit ce que Katherine Hayles décrit de la manière suivante: «As if learning about omnivorous appetite from the computer, <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>, in a frenzy of remediation, attempts to eat all the other media » <a href="#note3">[3]</a><a name="renvoi3"></a>, et au plan du contenu, a parfaitement internalisé les approches déconstructivistes et poststructuralistes, à un point tel qu’il intimide les écrivains aspirant à s’en inspirer?? Est-ce qu’en écrivant <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>, l’auteur a créé un monstre qui terrorise les futurs écrivains, attirés par une approche similaire mais démoralisés d’avance?<br /><br />Bien sûr que non. Le roman de Danielewski n’est pas parfait, sa plume sombre parfois dans des élans lyriques alambiqués et une seconde lecture de son roman fait prendre conscience d’aspects forts agaçants, notamment sa propension à vouloir contrôler les interprétations possibles de son texte tout en prêchant une liberté complète du lecteur face à son propre investissement herméneutique.<br /><br />Il y aura toujours place au renouveau en littérature. À preuve, Visual Editions a proposé en 2010 une réédition de <em>Tristram Shandy</em> qui reprend le texte de Laurence Sterne pour y investir des procédés typographiques imaginatifs, que l’écrivain écossais aurait sans doute grandement appréciés. Et pour revenir à <em>The Raw Shark Texts</em> en terminant, si la comparaison avec <em><span style="color:#000080;">House </span>of Leaves</em> s’avère peu avantageuse au final, je dois reconnaître que la figuration du monstre par Hall m’a semblé plus probante et efficace que celle déployée par Danielewski. En plus de l’incarnation, dans les pages du roman, du requin conceptuel par le biais de segments textuels disposés en forme de requin, la couverture crée la silhouette du Ludovician par un trou sur sa surface, qui donne accès à un texte d’introduction à même la page de garde (figure 3). Cette béance frappante, brillant dispositif représentant une paradoxale <em>absence présente</em>, signifie à merveille la nature abstraite mais saillante d’une créature immatérielle.<br /><br />&nbsp;<span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Hall, The Raw Shark Texts, couverture"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture.jpg" alt="149" title="Hall, The Raw Shark Texts, couverture" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style="" width="437" height="583"/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Hall, The Raw Shark Texts, couverture</span></span></span><br />(Figure 3)<br />&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#renvoi1">[1]</a><a name="note1"></a> Guilet, Anaïs, « Folie marginale et marginaux fous: Le traitement des notes de bas de page dans House of Leaves de Mark Z. Danielewski », dans <em>Postures</em> (Marie-Pierre Bouchard, dir.), numéro 11, printemps 2009, pp. 141-153, page 142</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#renvoi2">[2]</a><a name="note2"></a> À titre d’exemple, certains des symboles utilisés pour les renvois en bas de page prenaient la forme de signes utilisés comme code de communication sol-air en aviation militaire, et la révélation, dans une des lettres de Pelafina, d’une formule de décryptage fonctionnant sur le principe de l’anagramme a amené des lecteurs très patients à débusquer des messages cachés dans certains passages de <em><span style="color:#000080;">House</span> of Leaves</em>.</p> <p style="text-align: justify;"><a href="#renvoi3">[3]</a><a name="note3"></a> Hayles, Katherine, « Saving the Subject: Remediation in House of Leaves. », dans&nbsp; <em>American Literature</em>, numéro 74 (2002), p. 781<br />&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/comparaison-avec-raisons#comments Angleterre Contemporain DANIELEWSKI, Mark Z. Déconstruction Doute Éclatement textuel Expérimentation formelle Fantastique GUILET, Anaïs HALL, Steven HAYLES, N. Katherine Mélange des genres Oubli Quête Roman Thu, 21 Feb 2013 19:26:34 +0000 Gabriel Gaudette 688 at http://salondouble.contemporain.info Roadkill http://salondouble.contemporain.info/lecture/roadkill <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/ferland-pierre-paul">Ferland, Pierre-Paul</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-foi-du-braconnier">La foi du braconnier</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>L’œuvre picturale de l’artiste Marc Séguin jouit d’une renommée internationale. Sa dernière exposition, tenue au printemps 2011 et intitulée <em>Failures</em>, met en relief certains échecs sociaux dus à des dérives idéologiques. On remarque des tableaux où le peintre met au service le charbon, du goudron, des plumes et des cendres humaines pour créer de fortes nuances en noir et blanc de figures connotées telles que Jean-Paul II, Lee Harvey Oswald, l’industriel russe Roman Abramovitch, des généraux nazis, Julian Assange, etc.<a href="#_edn1" name="_ednref" title="">[1]</a></p> <p>La symbolique de la cendre humaine saute aux yeux: l’art transcende la vie et donne accès à l’immortalité. Elle illustre aussi, dans bien des cas, la souffrance humaine (voire la mort) qui se cache derrière ces figures médiatiques. D’autres tableaux de Séguin, comme la série ironiquement intitulée <em>I love America and America loves me</em> (2008), mettent en évidence des animaux agonisants. Tenant compte de cet imaginaire pictural, il ne sera pas surprenant que le premier roman de l’artiste, <em>La foi du braconnier</em>, publié en 2009, aborde des thématiques semblables: les grandes célébrités mondiales en tant que métonymies d’une idéologie, l’esthétique de la chasse, le dépassement (et l’obsession) de la mort.</p> <p>Lauréat du prix littéraire des collégiens en 2010, <em>La foi du braconnier</em> de Marc Séguin relate l’odyssée routière du chasseur à moitié Mohawk Mark S. Morris qui parcourt l’Amérique en quête d’absolu. Au fil de cette errance, les dilemmes qui hantent le narrateur surgissent: hésitations entre spiritualités chrétienne ou autochtone; entre la liberté du braconnage, réminiscence du mode de vie ancestral du mythique coureur des bois, ou la civilisation <em>à l’occidentale</em>; enfin, fondamentalement, entre la vie et la mort. L’Amérique s’impose alors comme le décor où se jouent ces contradictions. Les frontières du «<em>land of the free</em>» des États-Unis affrontent celles de Kanesatake ou du Canada francophone.</p> <p>Je propose donc de retracer le processus identitaire du personnage qui rejette tour à tour le mode de vie à l’américaine et la religion catholique pour aboutir dans une sorte de néant identitaire dont la fuite constitue la seule issue. Même si <em>La foi du braconnier </em>comporte plusieurs maladresses –abondance de stéréotypes sexuels, structure narrative et prolepses inutilement complexes, personnage-narrateur atteint d’un complexe de Superman, vision manichéenne des communautés américaines−, imputables peut-être à l’inexpérience du romancier ou à la mode des «romans de quête masculins<a href="#_edn2" name="_ednref" title="">[2]</a>» qui se développe dans les années 2000, il n’en demeure pas moins que le roman<em> </em>illustre un malaise manifeste à l’égard des identifications nationales traditionnelles et un rapport de connivence envers la culture de masse américaine propre aux romans québécois contemporains.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Le rêve américain</strong></span></p> <p>Le symbole le plus remarquable de l’aliénation est, pour Morris, le &nbsp;«mode de vie américain», dans tout ce qu’il comporte de conventionnel: travail-famille-patrie, banlieue, consommation, etc. Morris décrit cette réalité avec une série de métaphores qui érige une construction poétique en surcharge adjectivale, puis nominale: «L’homme <strong>blanc</strong> <em>occidental</em> <u>américain</u> ne migre plus depuis des siècles. Il a trouvé assez de <strong>nourriture</strong>, de <em>sécurité</em>, de <u>confort</u> et de <strong><u>femelles</u></strong> sur ce continent» (p.133, je souligne). Il s’attarde à décrire ce mode de vie honni principalement lors d’une bifurcation au Michigan. Il évite Détroit, «la ville la plus violente de l’Amérique blanche» (p.75), d’où émerge le rappeur controversé Eminem, pour se diriger vers la banlieue bien-pensante et cossue de Ann Arbor. Il décrit Ann Arbor avec une suite de superlatifs démagogiques et de métaphores renforçant son appartenance à l’utopie de la sécurité et du bien-être de l’élite blanche capitaliste: «cette petite ville vit à l’abri de la vraie vie, protégée par l’auréole de l’University of Michigan célèbre pour sa faculté de droit où seule la riche élite blanche peut se rendre et parfois quelques membres des minorités, noir ou jaune pâle, qui devront montrer patte blanche» (p.75). Le détournement de l’expression «montrer patte blanche» recèle un double-sens ironique: non seulement les étudiants issus de communautés ethniques ciblées devront-ils jouir d’un dossier disciplinaire parfait, mais ils devront se plier aux normes et conventions des Blancs. En opposition à Ann Arbor, l’allusion à Eminem, un Blanc qui emploie la forme artistique du hip hop issue des milieux afro-américains à partir de laquelle il relate son enfance difficile dans la pauvreté et la toxicomanie, crée un effet de contraste frappant entre les deux réalités. Ce rappeur qui semait la controverse dans les années 2000 incarne la rébellion que l’Amérique utopique ne peut admettre. C’est pourquoi il est impossible pour Morris de se sédentariser dans de telles circonstances, où on néglige l’Amérique «réelle» qui comprend sa multiplicité ethnique, ses crises sociales et sa violence.</p> <p>Morris est également amateur du groupe punk américain Bad Religion, qui lance en 1993 le disque <em>Recipe for hate</em>: «Musique de dissidence qui condamne et justifie une haine naissante envers l’Amérique. De l’intérieur» (p.47). Sur ce disque se retrouve le succès commercial «American Jesus», qui dénonce l’hégémonie américaine et son appropriation de la foi pour justifier ses croisades géopolitiques dans le Moyen-Orient. Morris se dit également un adepte de Nirvana, particulièrement du chanteur, Kurt Cobain, devenu une véritable idole aux États-Unis. Il évoque son suicide mystérieux comme source d’inspiration: «Cobain est mort de la plus belle des morts américaines, celle d’un complot présumé. Comme si l’empire ne pouvait se fonder autrement que sur l’assassinat de ses hommes de pouvoir qui ne meurent jamais comme le peuple. Luther King, les frères Kennedy» (p.75-76). Ce processus de mythification médiatique s’explique pour ces personnages justement en vertu de leur décès mystérieux, qui leur permet ainsi de transcender la mort. L’assassin de JFK, Lee Harvey Oswald, est d’ailleurs le sujet de plusieurs des toiles de Séguin. Cependant, ces références comprennent leur part de contradiction. Bad Religion et Kurt Cobain, tout comme Eminem, appartiennent pleinement à la culture de masse américaine exportée et mercantilisée par des multinationales du divertissement. C’est donc par ce revirement paradoxal que Morris saisit le discours américain qui reste, fondamentalement, une révolte manufacturée par l’élite blanche. Une telle rébellion réduite à sa valeur marchande indique que l’Amérique n’obéit qu’à ses propres codes, ne laissant pas la place aux discours étrangers. D’où le malaise persistant de Morris qui ne sait plus à qui s’identifier: «Les rebelles et les undergrounds ont tous fini mainstream, sauf deux ou trois groupes de musique punk dans les sous-sols de Brooklyn. L’espoir aussi. Le nouveau continent de parking et d’asphalte m’a déçu. Je lui en veux» (p.35).</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Vatican, Inc.</strong></span></p> <p>Contre le mode de vie consumériste américain, Morris choisit la religion. Au Séminaire, il entre en contact avec un univers du savoir. Il suit des cours de théologie, étudie les Écritures, apprend le latin, la rhétorique et la philosophie. Il vit pourtant un désenchantement presque instantané au contact de la hiérarchie cléricale. Peu à peu, Morris voit la religion et l’Amérique utopique comme la même construction au service de l’idéologie du bonheur moderne héritée de Bentham. Ainsi, il soliloque sur le bonheur: «Être heureux. Par la richesse, par ses avoirs, par sa famille, son linge, sa nourriture, son corps, par ses croyances. Le septième jour, il se reposa et aspira le bonheur» (p.118). Cette paraphrase de la Genèse souligne avec ironie le lien palpable entre la religion organisée et la société industrielle qui manufacturent un mode de vie «clés en mains» aux individus. Séguin pousse le cynisme à son paroxysme en relatant une partie de chasse de Morris avec le cardinal Maastzinger, le pendant fictionnel de Joseph Aloisus Ratzinger qui deviendra en 2005 le pape Benoit XVI. Maastzinger apprend avec ces mots à Morris que les rouages de l’Église répondent à l’organisation bourgeoise de la société:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="margin-left: 2cm;">C’est en se basant sur leur propre compréhension de l’humanité que les hommes se sont créé une image de Dieu. Comme dans une entreprise, modèle admirable de croyance et de dévotion, la structure fonctionnelle de notre Dieu est constituée d’un chef, de vice-présidents, de directeurs, d’employés, d’un produit mis en marché et de gens qui achètent ce produit (p.58).</p> </blockquote> <p>Le parallèle entre la société capitaliste américaine et l’image de Dieu (et non pas seulement celle de l’organisation interne de l’Église catholique) indique le profond bouleversement de la Foi. Morris achève de consommer la fusion symbolique des deux entités avec des comparaisons qui lient la culture de masse américaine avec les autorités religieuses. Ainsi, pour Morris, Jean-Paul Il a «une aura de vedette rock» (p.47). Le narrateur associe plus loin le manichéisme de saint Augustin à la dualité que l’Amérique «entret[ient] par le cowboy et l’Indien, Superman et les méchants de la planète Krypton, l’Alliance et les forces du Mal de <em>Star Wars</em>» (p.51). De surcroît, Maastzinger «ressembl[e] à l’empereur du Mal dans <em>Star Wars</em>» (p.57). Bref, grâce à ces croisements interculturels, nous pouvons associer ces deux utopies, l’Amérique industrialisée et l’Église catholique, à de «fausses idoles» qui ne parviennent à satisfaire Morris que temporairement.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Une œuvre de performance</strong></span></p> <p>Confronté à ces systèmes hégémoniques, Morris recourt à la fuite. L’errance révèle sa nature profonde, qu’il désigne avec un énoncé paradoxal: «J’aime la fuite. C’est le seul endroit d’où je ne fuirai pas» (p.122). Son itinéraire dessine l’expression FUCK YOU qu’il a griffonnée dans un Atlas. Son projet de crier sa révolte à travers son parcours comporte dès lors une dimension artistique, comme si le trajet de plusieurs milliers de kilomètres devenait une immense œuvre de performance qui exprime un dégoût des valeurs que le continent incarne. Mais c’est dans sa dimension psychique particulière que le voyage de Morris prend tout son sens. Son projet révèle un désir de réappropriation du territoire en fonction de la cartographie de ses ancêtres canadiens-français et autochtones. De fait, le choix des destinations où il braconnera correspond aux principaux foyers de peuplement de l’Amérique francophone, à qui Morris s’identifie. Il visite tour à tour le Manitoba, le Dakota du Nord, les États du Midwest tels que le Minnesota et l’Illinois, le Michigan, l’Ontario et le Québec, comme s’il ratissait à l’envers la carte virtuelle du peuplement de la Franco-Amérique par des immigrants canadiens-français dans la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et par les peuples Métis du Nord-Ouest. Il mentionne d’ailleurs explicitement sa filiation avec ces courants migratoires, son arrière grand-père ayant été chercheur d’or à Dawson, en Ontario. C’est pourquoi le choix de situer ce voyage dans ces régions s’avère hautement significatif. Pour Simon Harel, le braconnage s’accompagne inévitablement d’un désir de territorialité: «[Le braconnier] ne respecte les frontières que de manière épisodique. À chaque fois qu’il s’aventure dans un espace interdit, le braconnier reconstitue, greffe après greffe, ce que pourrait être le territoire dans son entièreté» (2005, p.127). <em>La foi du braconnier </em>réunit les lieux tributaires de ce que François Paré appelle «le fantasme d’Escanaba», qui correspondent aux «fantasmes du départ et de l’errance identitaire qui caractérisent ce vaste espace de l’Amérique migrante» (2007, p.388). Selon ce paradigme, la filiation avec la culture du Canada français, caractérisée par la mobilité géographique et surtout par l’errance dans l’immensité du continent nord-américain, referait surface dans ce texte réunissant symboliquement la communauté francophone dispersée sur le continent par le biais de l’œuvre d’art performance qu’est le FUCK YOU.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/Sans%20titre.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/Sans%20titre.jpg" alt="102" title="" width="434" height="258" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Itinéraire de Mark S. Morris tel que décrit dans La foi du braconnier. <a href="http://maps.google.ca/maps/ms?hl=fr&amp;ie=UTF8&amp;msa=0&amp;msid=202027796056777320538.0004a394f3eda9b4b9d79&amp;z=6">Lien Google maps</a> vers toutes ses destinations.</p> </blockquote> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/Sans%20titre2.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/Sans%20titre2.jpg" alt="103" title="" width="434" height="258" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Itinéraire de Mark S. Morris comblé hypothétiquement sur une carte routière.</p> </blockquote> <p>Le projet de Morris n’en demeure pas là. En plus de réanimer le symbole des migrations canadiennes-françaises à travers son voyage, Morris tente de se réapproprier le territoire et le mode de vie mohawk tel qu’il se l’est imaginé au contact de sa mère. Lorsqu’il termine son «U», son parcours emprunte «le pays mohawk» dans l’État de New York. Morris s’identifie à ses origines qui contestent un des mythes fondateurs de la nation américaine, la Frontière: «On a longtemps cru que les mohawks étaient cannibales, qu’ils mangeaient leurs ennemis. Mohawk veut dire: ceux qui mangent des choses animées. Comme moi. Le pays des ancêtres de ma mère n’avait pas de frontières. Du sud de l’Hudson au Saint-Laurent à Montréal»&nbsp;(p.140). En ignorant la frontière, Morris cherche à renouer avec une Amérique originelle libérée tant du fardeau européen que du folklore états-unien qu’a développé l’élite W.A.S.P. (<em>white anglo-saxon protestant</em>). Rappelons que «la frontière aurait contribué à “américaniser” le territoire, comme l’explique Louise Vigneault, et à lui insuffler un ordre significatif, suivant les grands principes civilisateurs: [démocratie, égalitarisme, individualisme]» (2007, p.282). Il s’agit donc d’une double réappropriation de l’espace à la fois autochtone et canadien-français, deux identités généralement écartées dans les discours dominants. La part autochtone semble toutefois la plus douloureuse pour le narrateur. Il se désole par exemple d’avoir perdu la trace de sa rivalité ancestrale avec les Hurons: «Au vingtième siècle, [les peuples fondateurs de l’Amérique] ont compris qu’en s’associant ils obtiendraient davantage de la colonisation blanche. Mais les colons ont tout pris. Ma terre à moi, vampirisée par l’empire. Tu me portes et j’ai honte de fouler ton sol» (p.65). La métaphore du vampirisme de l’empire américain exprime bien que le territoire autochtone, vidé de son sang, agonise. Morris qualifie d’ailleurs son titre d’autochtone de «fantôme du passé» (p.33). D’où le désir de Morris d’échapper à ce sol souillé de sang et recouvert d’asphalte. Le tableau <em>Native American Woman</em>, où une silhouette de cendres et de charbon est recouverte de plumes, indique bien l’anonymat dans lequel la culture autochtone a sombré. J’appellerais ce phénomène la «nostalgie de l’identité autochtone perdue», qui hante la quête de Mark S. Morris.</p> <p>Somme toute, Morris parviendra temporairement à se sédentariser grâce à l’amour d’une femme, Emma, rencontrée ironiquement à Ann Arbor. Seule cette union lui donne une foi quelque peu satisfaisante. La Foi se transforme en désir de prolonger sa descendance, même si ses enfants seront à jamais dépouillés légalement de leur identité autochtone. Malgré tout, on remarque une certaine amertume dans ses propos lorsqu’il indique qu’il a choisi de «s’anesthésier à coups de futur, d’espoir et de projets» (p.96). D’où, sans doute, le suicide raté qui inaugure et clôt le roman: Morris ne semble pas avoir trouvé de réponse satisfaisante à sa quête. Voilà un message éminemment pessimiste pour ceux qui désirent réfléchir à l’obsolescence programmée des repères nationaux, religieux, communautaires et ethniques traditionnels au profit de l’utopie multiculturelle que prescrit la mondialisation des marchés. Mentionnons néanmoins que <em>La foi du braconnier </em>est un des seuls romans de la route masculins contemporains à véhiculer un message aussi sombre: les «mâles en fugue» finissent généralement tous par rentrer au bercail avec l’impression renouvelée de vivre «chez soi». Conséquemment, la part autochtone de Mark S. Morris semble la seule particularité de ce personnage qui puisse expliquer un tel nihilisme.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>HAREL, Simon (2005), «La chasse gardée du territoire québécois. 3. Braconnages identitaires», <em>Liberté</em>, vol.47, n°1, p.110-128.</p> <p>PARÉ, François (2007), <em>Le fantasme d’Escanaba</em>, Québec, Nota Bene.</p> <p>SÉGUIN, Marc (2009), <em>La foi du braconnier</em>, Montréal, Leméac.</p> <p>VIGNEAULT, Louise (2007), «Le pionnier: acteur de la frontière», dans Gérard BOUCHARD et Bernard ANDRÈS (dir.), <em>Mythes et sociétés des Amériques</em>, Montréal, Québec/Amérique, p.275-311.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="edn"> <p><a href="#_ednref" name="_edn1" title="">[1]</a> Les photographies des œuvres de Marc Séguin sont disponibles sur le <a href="http://www.marcseguin.com/">site Web de l’artiste</a>.</p> </div> <div id="edn"> <p><a href="#_ednref" name="_edn2" title="">[2]</a> Ces romans de la route relatent un chagrin amoureux d’un homme –toujours un intellectuel ou un artiste– qui, en filant généralement aux États-Unis ou à l’Ouest, aura diverses aventures amoureuses et fera usage de drogues diverses afin d’assumer une sorte de rébellion toute kerouacienne contre un ordre régi par la triade travail, famille, patrie. Parmi ces textes, notons <em>Carnets de naufrage </em>(2000) et <em>Chercher le vent</em> (2001) de Guillaume Vigneault, <em>Le joueur de flûte </em>(2001) de Louis Hamelin, <em>Il n’y a plus d’Amérique </em>(2002) de Louis Caron, <em>Table rase </em>(2004) de Louis Lefebvre, <em>Asphalte et vodka </em>(2005) de Michel Vézina, <em>Nevada est mort</em> (2010) d’Yves Trottier et <em>Heureux qui comme Ulysse </em>(2010) d’Alain Poissant.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/roadkill#comments Amérique Autochtone Braconnage Errance HAREL, Simon Identité PARÉ, François Peinture Québec Quête Religion SÉGUIN, Marc VIGNEAULT, Louise Roman Tue, 20 Nov 2012 15:11:45 +0000 Pierre-Paul Ferland 637 at http://salondouble.contemporain.info