Salon double - Amérindien http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/1403/0 fr Les poètes amérindiens sur la place publique http://salondouble.contemporain.info/article/les-poetes-amerindiens-sur-la-place-publique <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/lamy-jonathan">Lamy, Jonathan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/hors-les-murs-perspectives-decentrees-sur-la-litterature-quebecoise-contemporaine">Hors les murs : perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: right;"><em>Je suis sur la place publique avec les miens </em></p> <p style="text-align: right;"><em>la poésie n’a pas à rougir de moi</em></p> <p style="text-align: right;">- Gaston Miron</p> <p>&nbsp;</p> <p>Les poètes amérindiens sont de plus en plus présents sur la place publique du Québec et d’ailleurs. Depuis quelques années, leurs «poèmes rouges», pour reprendre le titre d’un recueil de Jean Sioui, colorent l’espace poétique francophone. La poésie rougit désormais de leur présence. À l’instar des publications autochtones qui se multiplient, les poètes des Premières Nations sont invités de façon croissante à prendre la parole dans différents événements littéraires, culturels et citoyens, de même que dans les médias, où il est de plus en plus question d’eux.</p> <p>Le nombre d’écrivains autochtones ayant publié un livre de poésie en langue française est plutôt restreint, mais augmente rapidement. Depuis 2010, on compte seize recueils, signés par sept auteurs: Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine, Rita Mestokosho, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a>. Ces derniers occupent depuis peu une place non négligeable dans l’agora littéraire du Québec, fruit d’un désir évident (mais somme toute récent) d’entendre la parole poétique amérindienne (ou, plus généralement, ce que les Amérindiens ont à dire). Si les occasions de lire les productions des poètes des Premières Nations (dans des livres, des revues ou des blogues) sont en hausse, les opportunités de les entendre («<em>live</em>» ou par le biais de vidéos le web) s’accroissent de même, et peut-être davantage. Par ailleurs, les Amérindiens se dotent de leurs propres lieux de diffusion, tels que les Éditions Hannenorak, le Salon du livre des Premières Nations de Wendake, ou encore les soirées <em>Art+culture autochtone</em>, organisées mensuellement par le Cercle des Premières Nations de l’UQAM.&nbsp;</p> <p>Ainsi, les poètes amérindiens, longtemps absents du paysage littéraire québécois, lisent de plus en plus leurs textes en public, et ce, dans une variété également croissante de contextes. Ils prennent le micro dans des festivals internationaux ou marginaux, des salons du livre, des lancements, des soirées de poésie ou de slam, des événements multidisciplinaires ou citoyens, dans des cafés, des bars, des librairies, des bibliothèques, à la radio, et même dans la rue lors de manifestations. Plusieurs de ces lectures ont été filmées et peuvent être vues sur des sites de partage de vidéos tels que YouTube. La diffusion de la poésie amérindienne investit ainsi différentes scènes et divers supports, particulièrement depuis les dernières années, développant une forme de nomadisme littéraire multidisciplinaire.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Poètes-ambassadeurs</strong></span></p> <p>Rita Mestokosho et Joséphine Bacon ont longtemps été les seules poètes amérindiennes à occuper une certaine place dans l’espace public. Cette dernière était connue pour son travail à l’Office national du film, mais surtout pour les chansons qu’elle a écrites pour Chloé Ste-Marie. Rita Mestokosho, pour sa part, a signé un des premiers livres de poésie autochtone en français,<em> Eshi uapataman Nukum/Comment je perçois la vie grand-mère</em>, qui fut réédité avec une préface l’écrivain français et prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio, en 2010. La même année, Joséphine Bacon remportait le Prix des lecteurs du marché de la poésie de Montréal pour son premier recueil, <em>Bâtons à message/Tshissinuatshitakana</em>. Ces deux cautions de l’institution littéraire ont contribué de façon significative à la reconnaissance et à l’essor de la poésie amérindienne.</p> <p>Marquée notamment par la parution de l’anthologie <em>Littérature amérindienne du Québec: Écrits de langue française</em> (2004), préparée par Mauricio Gatti, puis par le recueil de correspondances <em>Aimititau! Parlons-nous!</em> (2008), initié par Laure Moralli, l’émergence de ce corpus se préparait depuis quelques années, mais la présence publique des poètes amérindiens demeurait relativement rare. Il faut dire que la participation des poètes dans les festivals, dont le nombre a par ailleurs augmenté au cours des dernières années (participant de ce qu’on pourrait presque appeler une <em>festivalisation</em> de la littérature au Québec), est très souvent reliée à leurs publications et épouse habituellement la logique du marché du livre: ils sont invités lorsqu’ils ont un livre récent à vendre. Le nombre de lectures effectuées par des auteurs autochtones a ainsi augmenté avec le nombre de titres publiés. Deux poètes faisaient ainsi partie de la programmation du Festival international de la poésie de Trois-Rivières en 2010 (Joséphine Bacon et Rita Mestokosho), alors qu’ils étaient quatre en 2013 (Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui).</p> <p>Auparavant, Rita Mestokosho avait notamment participé au Festival international de littérature de Montréal en 1999, au Festival des étonnants voyageurs de Saint-Malo en 2001 et au Festival Voix d’Amériques en 2003. Depuis 2009, elle s’est rendue en Suède à trois reprises, récitant notamment ses poèmes à la Maison des écrivains de Stockholm, à l’Université de Stockholm et au LittFest d’Umea. La poète innue se voit fréquemment invitée en France, offrant un récital au Centre culturel canadien à Paris en 2011, participant au Printemps des poètes à La Rochelle en 2013 (et profitant du voyage pour donner une causerie-lecture à la Bibliothèque Gaston-Miron à Paris), puis, à l’automne de la même année, au Festival Voix au chapitre, à Lille. Elle est, jusqu’à présent, la poète amérindienne comptant le plus grand nombre de participations à l’international.</p> <p>L’implication de Rita Mestokosho pour la cause environnementale, et plus particulièrement pour la sauvegarde de la rivière La Romaine, sur la Côté-Nord, en fait une personnalité dont on parle dans les médias, que ce soit <em>La Presse</em><a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a> ou <em>L’itinéraire</em><a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a>, particulièrement depuis la publication d’une lettre signée par Le Clézio dans <em>Le Monde</em> en juillet 2009, qui se termine par un poème de l’écrivaine innue<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a>. Depuis, deux émissions de télévision française se sont intéressées à Rita Mestokosho: «Espace francophone» sur France 3 (avril 2012) et&nbsp; «Destination francophonie» à TV5 (juin 2013)<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a>. À chaque fois, elle agit comme ambassadrice de la culture innue.</p> <p>Rita Mestokosho et Joséphine Bacon ont souvent partagé les mêmes scènes: elles étaient entre autres de la première édition du festival Innucadie, à Natashquan, en 2006, et elles participeront au Festival América, à Vincennes, en septembre 2014. Elles ont toutes deux pris part au Festival international de poésie de Medellin, en Colombie, l’une en 2012, l’autre en 2014<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a>. Ne jouissant pas, de son côté, d’un appui similaire à ceux de Jean-Marie Le Clézio et de Chloé Ste-Marie, Jean Sioui n’a pas présenté autant de lectures publiques que ses consœurs, bien qu’il soit le plus prolifique des poètes amérindien<strike>ne</strike>s avec six recueils à son actif. Il a néanmoins pris part au Festival international de poésie de Namur, en Belgique en 2008, au Marché de poésie de Montréal, la même année, et aux Correspondances d’Eastman en 2009. Son implication dans le milieu littéraire des Premières Nations s’avère tout de même considérable, puisqu’il a cofondé le Cercle d’écriture de Wendake, les Éditions et le café-librairie Hannenorak, de même que le Salon du livre de Wendake, favorisant la venue et la diffusion de nouvelles voix poétiques autochtones.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une nouvelle génération</strong></span></p> <p>En 2009, quatre poètes autochtones (Joséphine Bacon, Rita Mestokosho, Louis-Karl Picard-Sioui et Jean Sioui) présentaient une dizaine de lectures publiques (lors d’événements avec programmation) par année. Ce nombre est resté à peu près stable en 2010 et 2011 mais a grimpé à près de quarante en 2012 avec l’arrivée de Marie-Andrée Gill, Natasha Kanapé Fontaine et Virginia Pésémapéo Bordeleau qui, bien qu’ayant participé auparavant à quelques lectures, publiaient toutes trois cette année-là leur premier recueil. En 2013, il y eut plus de cinquante lectures de la part des sept poètes amérindiens mentionnés au début de ce texte, et presque autant de janvier à septembre 2014. Celles-ci se répartissent à peu près également (environ un quart des lectures par zone géographique) entre Montréal, la région de Québec, le reste de la province et à l’étranger.</p> <p>Jusqu’en 2011, il n’y avait que Rita Mestokosho et Jean Sioui (à une reprise) à avoir présenté des lectures à l’extérieur du Québec. Par la suite, Joséphine Bacon a lu ses textes au Salon du livre de Toronto en 2012, aux Rencontres québécoises en Haïti en 2013 et au Festival international de poésie Medellin en 2014. Virginia Pésémapéo Bordeleau a également pris part au Salon du livre de Toronto en 2012, de même qu’en 2013, ainsi qu’au Salon du livre de Dieppe la même année. Toujours en 2013, elle s’est rendue à Tahiti pour l’événement Lire en Polynésie, en compagnie de Louis-Karl Picard-Sioui. Ce dernier participait à la deuxième édition, en janvier 2014, du Manitoba Indigenous Writers Festival, à laquelle était également conviée Natasha Kanapé Fontaine. Celle-ci prenait aussi part, cet été, au Festival amérindien de Nièvre, en France, alors que Jean Sioui participait au Banff Summer Festival. Cet automne (2014), Joséphine Bacon et Rita Mestokosho seront au Festival América, à Vincennes, tandis que Natasha Kanapé Fontaine se rendra en Nouvelle-Calédonie pour l’événement Poémart.</p> <p>La présence des poètes amérindiens francophones au Canada anglais, dans les Antilles, en Amérique du Sud et en Océanie constitue un phénomène récent, qui témoigne de la mise en place de réseaux nouveaux entre peuples et poètes autochtones à l’échelle internationale. Dans l’espace canadien, les auteurs et éditeurs amérindiens tentent de briser la barrière des «deux solitudes» et de développer un dialogue «inter-nations». Les échanges entre peuples premiers tendent à prendre des proportions mondiales, particulièrement depuis la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones, en 2007. Par exemple, des poètes indigènes provenant de différents continents se rassemblent au Festival international de poésie de Medellin, en Colombie. L’exposition <em>Sakahan</em>, organisée à l’été 2013 par le Musée des beaux-arts du Canada, témoigne également de cette globalisation artistique autochtone.</p> <p>Au Québec, plusieurs événements littéraires ont récemment invité des poètes amérindiens ou ont programmé des spectacles collectifs où il était possible d’entendre plusieurs d’entre eux. Premier festival littéraire à programmer autant de poètes autochtones dans la même année, l’édition inaugural du festival Québec en toutes lettres, en 2010, comptait sur la présence de Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Louis-Karl Picard Sioui et Jean Sioui, avec une soirée intitulée «Paroles indigènes» et une table ronde sur la relève autochtone et québécoise. En 2011, les Correspondances d’Eastman réaccueillaient Jean Sioui, accompagné cette année-là de Joséphine Bacon. Cette dernière participait également au Festival acadien de poésie de Caraquet, qui a aussi reçu Natasha Kanapé Fontaine en 2013 et Marie-Andrée Gill en 2014.</p> <p>Dans la ville de Québec, des événements organisés par les Productions Rhizome ont compté sur la présence de Rita Mestokosho, Louis-Karl Picard-Sioui Marie-Andrée Gill et Natasha Kanapé Fontaine, alors que Jean Sioui et Louis-Karl Picard Sioui ont tous deux participé à deux reprises aux Vendredis de poésie du TAP dans les dernières années. Depuis 2012, les soirées mensuelles Vivement poésie, à Montréal, ont permis d’entendre Joséphine Bacon et Natasha Kanapé Fontaine, alors que Marie-Andrée Gill se produit régulièrement dans les soirées multidisciplinaires 3REG, à Chicoutimi.</p> <p>Certaines activités découlent plus ou moins directement du dynamisme et de l’implication de Mémoire d’encrier, éditeur qui a fait paraître jusqu’à présent sept recueils de poésie autochtone, deux recueils à deux voix, de même que les collectifs <em>Aimititau! Parlons-nous!</em> et <em>Les bruits du monde</em>. Ce dernier titre est accompagné d’un cd et a fait l’objet d’un spectacle présenté à cinq reprises en 2011-2012&nbsp;: au Salon du livre de Rimouski, à Québec la muse (le Festival littéraire du Salon du livre de Québec), au Festival de poésie de Montréal, au Festival international de la littérature de Montréal (qui a présenté «Femmes de la tierra» en 2013 et qui présentera «Mingan, mon village» en 2014) et enfin à Sept-Îles.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Hors-les-murs de la littérature </strong></span></p> <p>Depuis les deux dernières années, on remarque que la parole poétique autochtone déborde du contexte strictement littéraire. À cet égard, Natasha Kanapé Fontaine, que l’on décrit souvent comme une «poète et slammeuse territoriale», a contribué de manière forte à la diffusion scénique de la littérature des Premières Nations. En 2013, en plus d’avoir participé au festival Dans ta tête à Montréal et au Festival du texte court à Sherbrooke, elle a lu ses textes lors du festival Nuit d’Afrique, également à Montréal. L’écrivaine innue a de plus pris part à différents événements citoyens, que ce soit l’événement Masse et médias à la Société des arts technologiques, l’Écofête à Trois-Pistoles et l’Écosphère à Lac-Brome.</p> <p>S’inscrivant en quelque sorte dans la filiation de Rita Mestokosho en tant que poète amérindienne écologiste, Natasha Kanapé Fontaine est également impliquée dans la branche québécoise du mouvement Idle No More. La combinaison de son engagement politique et poétique, de même que sa pratique en poésie et en slam, font d’elle une invitée à la fois prisée et polyvalente. Lors de la première manifestation d’importance liée à Idle No More à se tenir à Montréal, en janvier 2013, elle a récité un poème aux sons des tambours, devant une foule estimée à 1000 personnes. S’exprimant par la parole poétique plutôt que par des discours (et, par le fait même, portant la poésie là où elle ne se trouve généralement pas), elle a également livré une prestation, au 3<sup>e</sup> Forum jeunesse des Premières Nations, en présence de Léo Bureau-Bloin, figure importante du printemps érable et, à ce moment, député du Parti québécois.</p> <p>L’auteur de <em>Manifeste Assi </em>a rencontré une grande variété d’auditoires, auxquels on peut ajouter plusieurs classes de cégep et un grand nombre d’internautes. On peut présentement trouver sur internet environ soixante vidéos dans lesquelles des poètes amérindiens francophones lisent leurs textes, et la première vidéo de Natasha Kanapé Fontaine a avoir été mise en ligne, à l’automne 2012, atteint actuellement plus de 2000 vues<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a>. Ces différentes lectures contribuent à défiger les idées préconçues que l’on peut entretenir envers les Premières Nations en général, en les associant non pas à un passé lointain mais à des pratiques résolument contemporaines. Même si certaines personnes ne soupçonnent pas l’existence de ce corpus particulier qu’est la poésie amérindienne, ou entretiennent des doutes quant à sa qualité littéraire, les poètes autochtones du Québec font petit à petit leur place. Ils sont de plus en plus reconnus, que ce soit par des prix (Marie-Andrée Gill a remporté le Prix de poésie du Salon du livre du Saguenay-Lac-St-Jean et a été finaliste au Prix du gouverneur général en 2013 pour son recueil <em>Béante</em>, alors que Natasha Kanapé Fontaine s’est méritée, la même année, le Prix de la Société des écrivains francophones d’Amérique) ou par des invitations dans des événements littéraires et culturels au Québec et à l’étranger.</p> <p>Le caractère multidisciplinaire des pratiques des auteurs amérindiens contribue également à leur visibilité et à la diversité des scènes qu’ils investissent. Si Natasha Kanapé Fontaine fait également du slam, ce sera l’art visuel et l’art de performance pour Louis-Karl Picard-Sioui, le roman et la peinture pour Virginia Pésémapéo Bordeleau, le conte pour Joséphine Bacon et le chant au tambour pour Rita Mestokosho. L’exposition <em>Nomades / Matshinanu</em>, qui met en espace les poèmes de Joséphine Bacon, accompagnés de photographies d’archives et de branches d’arbres, fut présentée à la Grande bibliothèque de Montréal en 2010-2011. Elle a depuis été montrée au Musée des Abénakis à Odanak, au Centre des congrès et à la Bibliothèque Gabrielle-Roy à Québec, à la Maison de la culture de Beloeil, au Willson Center à Washington, au Manoir de Kernault en France et à l’église de Natashquan.</p> <p>Les occasions d’entrer en contact avec la poésie amérindienne se multiplient et les moyens de le faire sont également de plus en plus diversifiés. S’il n’y avait, voilà dix ans, que l’anthologie de Mauricio Gatti, un essai de Diane Boudreau et six recueils sur lesquels il était difficile de mettre la main, il n’en va plus de même aujourd’hui. On croise les poètes des Premières Nations sur différentes scènes et on retrouve leurs publications en librairie, dans les bibliothèques et sur des blogues (Natasha Kanapé Fontaine tient le sien<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a> alors que Marie-Andrée Gill collabore fréquemment à celui de Poème sale).</p> <p>La prise de parole des poètes amérindiens rejoint un souci grandissant, de la part des Québécois, de prendre en compte les Premières Nations. Cette préoccupation, plus qu’un enjeu de rectitude politique, participe d’une volonté de co-présence identitaire dans ce territoire partagé qu’est le Québec. Opérant un changement dans les relations culturelles de la Belle Province, elle concourt de ce que l’on pourrait nommer une «Paix des Braves» symbolique, souhaitant établir un dialogue de nation à nation, comme le faisait l’entente du même nom signée par les Cris et le gouvernement québécois, ainsi que la chanson, qui porte également ce titre, du rappeur algonquin Samian avec le groupe Loco Locass. Dans cette éthique de l’échange, les poètes des Premières Nations sont sur la place publique, teintant progressivement de rouge la littérature québécoise et élargissant sans cesse ce que peut être, dans son actualité, sa vivacité, son oralité, sa multidisciplinarité et sa diversité, la poésie amérindienne.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> Joséphine Bacon,<em> Nous sommes tous des sauvages</em> (avec José Acquelin), Montréal, Mémoire d’encrier, 2011 et <em>Un th</em><em>é </em><em>dans la toundra</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013&nbsp;; Marie-Andrée Gill,<em> B</em><em>é</em><em>ante</em>, Chicoutimi, La Peuplade, 2012 et <em>Motel TV couleur</em> (avec Max-Antoine Guérin), Chicoutimi, [compte d’auteur], 2014&nbsp;; Natasha Kanapé Fontaine,<em> N</em><em>’</em><em>entre pas dans mon </em><em>â</em><em>me avec tes chaussures</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012 et <em>Manifeste Assi</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014&nbsp;; Rita Mestokosho,<em> Eshi uapataman Nukum / Comment je per</em><em>ç</em><em>ois la vie grand-m</em><em>è</em><em>re</em>, Göteborg (Suède), Beijbom Books, 2010 [1995], <em>Uashtessiu / lumi</em><em>è</em><em>re d</em><em>’</em><em>automne</em> (avec Jean Désy), Montréal, Mémoire d’encrier, 2010 et <em>N</em><em>é</em><em>e de la pluie et de la terre,</em> Paris, Éditions Bruno Doucet, 2014&nbsp;; Virginia Pésémapéo Bordeleau,<em> De rouge et de blanc</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2012&nbsp;; Louis-Karl Picard-Sioui, <em>Au pied de mon orgueil</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011, <em>De la paix en jach</em><em>è</em><em>re</em>, Wendake, Hannenorak, 2012 et <em>Les grandes absences</em>, Montréal, Mémoire d’encrier, 2013&nbsp;; Jean Sioui, <em>Je suis </em><em>Î</em><em>le</em>, Québec, Cornac, 2010, <em>Avant le gel des visages</em>, Wendake, Hannenorak, 2012 et <em>Entre moi et l'arbre</em>, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2013. À cela s’ajoutent un collectif: Francine Chicoine (dir.), <em>S</em><em>’</em><em>agripper aux fleurs (ha</em><em>ï</em><em>kus)</em>, Éditions David, 2012&nbsp;; une anthologie: Susan Ouriou (dir.), <em>Languages of Our Land: Indigenous Poems and Stories from Qu</em><em>é</em><em>bec / Langues de notre terre: Po</em><em>è</em><em>mes et r</em><em>é</em><em>cits autochtones du Qu</em><em>é</em><em>bec</em>, Banff, Banff Center Press, 2014 et deux dossiers dans des revues: «La poésie amérindienne», dans <em>Exit</em>, no. 59, 2010 et «Premières Nations du Québec», dans <em>Hopala! </em>(Bretagne), no. 43, 2013.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a> Patrick Lagacé, «La poétesse, la rivières et les saumons», En ligne: <a href="http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/200908/10/01-891418-la-poetesse-la-riviere-et-les-saumons.php">http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/200908/10/01-891418-la-poetesse-la-riviere-et-les-saumons.php</a>, (Consultée le 28 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a> Soraya Elbekalli, «Rita, fille de la terre, soeur des rivières», En ligne: <a href="http://itineraire.ca/143-article-rita-fille-de-la-terre-soeur-des-rivieres-edition-du-mercredi-1er-aout-2012.html">http://itineraire.ca/143-article-rita-fille-de-la-terre-soeur-des-rivieres-edition-du-mercredi-1er-aout-2012.html</a> (Consultée le 28 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn4"> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a> Jean-Marie Le Clézio, «Quel avenir pour la Romaine&nbsp;?», En ligne: <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/07/01/quel-avenir-pour-la-romaine-par-jean-marie-g-le-clezio_1213943_3232.html">http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/07/01/quel-avenir-pour-la-romaine-par-jean-marie-g-le-clezio_1213943_3232.html</a>, (Consultée le 28 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn5"> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a> «Destination Nathasquan», En ligne: <a href="http://tvfrancophonie.org/h264/52">http://tvfrancophonie.org/h264/52</a> et <a href="http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination-Francophonie/Episodes/p-25608-Destination-Nitassinan.htm">http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/Revoir-nos-emissions/Destination-Francophonie/Episodes/p-25608-Destination-Nitassinan.htm</a>, (Consultée le 28 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn6"> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a> En ligne: <a href="http://www.youtube.com/watch?v=KCJOnDfzL2Y">www.youtube.com/watch?v=KCJOnDfzL2Y</a> et <a href="http://www.youtube.com/watch?v=810Pl0dhzqk">www.youtube.com/watch?v=810Pl0dhzqk</a>, (Consultées le 28 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn7"> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a> En ligne: <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YnYXhm3c9Gw">https://www.youtube.com/watch?v=YnYXhm3c9Gw</a>, (Consultée le 29 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn8"> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a> Natasha Kanapé Fontaine, «Innu Assi», <a href="http://natashakanapefontaine.wordpress.com">http://natashakanapefontaine.wordpress.com</a>, (Consultée le 15 septembre 2014) (auparavant&nbsp;: <a href="http://mamawolfunderline.wordpress.com">http://mamawolfunderline.wordpress.com</a>)</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> Amérindien Autochtone Identité Québec Poésie Tue, 21 Oct 2014 17:46:54 +0000 Jonathan Lamy 879 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Rodney Saint-Éloi, des éditions Mémoire d’encrier http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-rodney-saint-loi-des-ditions-m-moire-d-encrier <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/logo_0.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/logo_0.jpg" alt="132" title="" width="580" height="57" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Rodney Saint-Éloi, directeur général et fondateur des éditions Mémoire d’encrier.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="http://memoiredencrier.com/">Mémoire d’encrier</a> est une maison généraliste. Nous publions des auteurs de la diversité: corpus amérindiens, caribéens, québécois, africains, et ceci dans des genres différents, roman, essai, poésie, chronique, jeunesse. Nous avons à cœur d’établir la relation, d’être dans les bruits du monde. Nous sommes établis à Montréal, mais le souffle du monde est là et nous tentons de bousculer les frontières, en mettant sur le même plan les imaginaires du monde. Nous créons ainsi des passerelles pour mieux se voir et se toucher. Car à quoi sert le livre s’il ne nous aide pas à mieux vivre? Nous regardons le monde dans sa complexité, avec l’élégance qu’il faut pour suivre le vol d’un oiseau. C’est la mission. Nous voulons être vivants et la seule manière possible reste le livre et la nécessité de comprendre et de débattre. Donner sens aux rencontres, aux résonances et&nbsp;aux multiples choses qui nous font signe. </strong><strong>Comme le formule si bien l’essayiste Édouard Glissant qui évoque le grand cri du monde, la totalité-monde. Selon lui, sont nécessaires «la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre.»</strong></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Pierre-Luc Landry [PLL] : </strong></span>Qu’est-ce qui a motivé, en 2003, votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison a permis de combler un vide qui existait sur la scène littéraire contemporaine?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>Rodney Saint-Éloi [RSE] : </strong></span>Je suis haïtien, avec un bagage symbolique qui est minorisé ici. Je suis issu d’une vision de la littérature qui veut changer le monde. En tant qu’écrivain, je crois que les mots sont capables d’inventer la vie, de changer les choses. L’énergie nécessaire pour faire face aux enjeux auxquels fait face l’humain passe d’abord par les mots. Il nous faut donc trouver les mots pour le dire. L’enjeu est de nommer et de comprendre. Nous sommes ici passés à côté des conditions d’existence, noire, amérindienne. Nous avons perdu le sens d’un dialogue avec l’autre sans que ce soit formaté par les préjugés. Le vide, c’est cette absence d’altérité, qui nous fait découvrir l’autre avec de gros clichés, sans aller dans le sens profond des choses. Les livres que j’écris ou édite font partie de ce combat pour le sens.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL: </strong></span>Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE: </strong></span>Le combat est le sens. Un sens de la diversité. Un sens de l’autre. Un sens du différent. Des passerelles pour le dialogue. Être ensemble. On connaît mieux Haïti en lisant <em><a href="http://memoiredencrier.com/gouverneurs-de-la-rosee/">Gouverneurs de la rosée</a> </em>de Jacques Roumain, <em>Anthologie secrète</em> de <a href="http://memoiredencrier.com/anthologie-secrete-3/">Davertige</a> ou de <a href="http://memoiredencrier.com/anthologie-secrete/">Franketienne</a>. L’imaginaire du pays nous aide à entrer dans le réel. S’il faut aller vers les autres, le meilleur chemin reste la culture. Le monde arabe me devient plus transparent à la lecture de Mahmoud Darwich. Notre politique éditoriale se définit simplement avec le mot OSER… C’est encore Darwich qui disait qu’«aucun peuple n’est plus petit que son poème.» Nous osons avec un certain nombre d’auteurs que les gens ne connaissent pas ici. Nous osons en éditant des auteurs amérindiens, sénégalais, haïtiens, etc. Nous osons croire que la littérature est cet ensemble de voix solitaires qui cherchent résonnance. Nous osons... C’est cette audace qui s’appelle édition… sans laquelle aucune voix, aucun ton, aucun langage ne semble possible. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL: </strong></span>Mémoire d’encrier publie de la fiction, mais aussi des chroniques, des essais, de la poésie et des beaux-livres. Ainsi, on peut affirmer qu’il s’agit d’une maison «&nbsp;généraliste&nbsp;», mais dont la production témoigne quand même d’une grande cohésion et de beaucoup de cohérence. Que pensez-vous de ce constat?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE:&nbsp; </strong></span>Nous sommes cohérents puisque nous sommes dans une vision de la relation qui englobe la totalité de l’être. Nous ne discriminons pas… nous sommes dans une quête de sens, qui se reconnaît dans des genres différents. Nous sommes curieux… et nous avons la responsabilité d’accompagner certaines voix, puisque nous sommes les seuls à pouvoir comprendre le sous-texte. Qu’est ce qui se cache derrière la chronique d’un musicien haïtien noir, aveugle, vivant à Montréal? Ou encore derrière une jeune femme amérindienne Natasha Kanapé Fontaine, qui chante sa chanson: demain nous serons encore là… et qui écrit son recueil de poèmes pour dire <em><a href="http://memoiredencrier.com/nentre-pas-dans-mon-ame-avec-tes-chaussures/">N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures</a></em>. Cette fragilité, cette nécessité de la conquête de soi et du territoire nous concernent. Je suis personnellement sensible à ces appels. Je dis oui. Parce que je sais qu’il y a des milliers de gens qui se posent ces mêmes questions. Parce que je sais que la littérature doit participer à la construction sociale. C’est une responsabilité de se mettre à l’écoute des voix singulières. De témoigner d’une grande liberté de choix, d’être dans la bibliodiversité.</p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/ame_0.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/ame_0.jpg" alt="123" title="" width="185" height="300" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL:&nbsp; </strong></span>Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécoise,&nbsp;où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE: </strong></span>Petite édition… je veux être une petite édition. C’est aussi un privilège de lire tout ce que je publie. De ne pas réduire le livre à un simple produit. D’avoir l’illusion que le livre que j’édite va trouver échos chez un lecteur. Et ces mots vont se démultiplier. Ces phrases vont aider ce lecteur&nbsp;à devenir sujet, à se mettre debout. C’est un privilège de pouvoir éditer de la poésie et d'être indépendant. Ne pas être à l’ordre du monde. Quel bonheur d’être debout dans l’angoisse et la beauté du monde. Nous sommes debout à chercher le sens, le langage. Nous devons faire la route avec certains mots comme éthique, vertu, poésie… Nous devons aller à contre-courant. Car, il nous faut résister. Il nous faut hurler. Il y a partout des voix qui se lèvent. Des voix qui disent non. C’est confortable tout cela…</p> <p style="text-align: justify;">Pour le numérique, on s’y met doucement, cela fait deux ans, sans répondre au harcèlement du marché. Tout notre catalogue sera numérisé à compter de 2013. Certains de nos titres sont déjà en version numérique. Néanmoins, ce qui nous interpelle c'est l’intelligence du monde. Le numérique est un support, seulement un support. Ça ne rend pas le monde plus nuancé et plus remarquable. Il nous faut trouver le livre, la pensée, le poème… l’important est le livre.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL:&nbsp; </strong></span>On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent des pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE: </strong></span>Toute la chaîne du livre est à considérer. Peut-être que&nbsp;la cohésion manque. La subvention prend peut-être une part trop importante dans la réflexion sur la place du livre dans notre société. Il faudrait peut-être faire avec moins de prudence… aller plus loin. Je suis souvent étonné devant la puissance de certaines petites structures éditoriales québécoises indépendantes. Et je veux citer en poésie Le Noroît, Les Écrits des forges, Les Herbes Rouges, et en littérature générale, Le Quartanier, Marchands de feuille, La Peuplade, Lux, Écosociété, Remue-ménage… Ce sont de véritables éditeurs qui aident à mieux lire le monde…</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/ours_2.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/ours_2.jpg" alt="129" title="" width="185" height="300" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL:&nbsp; </strong></span>Votre maison fait une grande place aux exilés, aux auteurs venus d’ailleurs, aux marginaux, aux francophones qui écrivent de l’extérieur du Québec et de la France. Ce choix éditorial — car on devine qu’il s’agit bel et bien d’un choix — s’explique comment? Par des affinités toutes personnelles avec ces auteurs et leurs littératures, ou encore par un désir plus «&nbsp;altruiste&nbsp;» de faire une place à ceux qui n’en ont pas, dans notre milieu quand même assez restreint?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE:&nbsp;</strong></span>J’aime bien ce vers de Pablo Neruda qui dit: «Nous demandons une patrie pour l’humilié»<em>.</em> Je viens d’une histoire de grande violence. La blessure est encore vive. Je suis ancré dans des histoires étouffées, marginalisées… Je viens d’un ensemble de voix et de langues condamnées au silence. D’où la volonté d’aller vers ce qui est en marge, vers ce qui est à émerger. Donner voix aux voix cachées. Donner corps aux corps écorchés. Le corpus est une question d’affinités personnelles. Dis-moi ce que tu lis, ce que tu édites, et je te dirai qui tu es. Je suis dans l’imaginaire du guerrier, qui est un imaginaire complexe, qui défriche, découvre et partage. En fait, les auteurs que je publie sont pour la plupart des amis, avec qui je partage un certain nombre de convictions, d’idées et de valeurs. Ils me représentent quelque part. Ils grandissent mon moi, me prolongeant. Je me reconnais dans ce qu’ils sont. Ils sont ce que je désire. Leur voix est fragile, leur idée généreuse, et des fois ils n’ont aucun territoire. Ce sont de véritables guerriers. Leurs livres sont des <em>armes miraculeuses</em>, pour reprendre l’expression de Césaire.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL:&nbsp; </strong></span>Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, qui vous amène à choisir un texte&nbsp;en particulier parmi les manuscrits que vous recevez?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE:&nbsp; </strong></span>Le sens, surtout! L’idée que le ton est neuf. Et qu’il y a là une voix singulière qui attend d’être lue. C’est également la cohérence avec&nbsp;le catalogue. Je publie une jeune auteure Libanaise Hyam Hared, <em>Esthétique de la prédation</em>. J’ai lu et relu son texte, au moins cinq fois, et sa voix est restée en moi, sa question être dans son je/jeu, dans un collectif et dans un monde miné par la guerre et la peur. Cette relation de l’individu au collectif éclaire ma propre histoire. Donc, je choisis ce texte, parce que j’aimerais partager cet amour-là. Que d’autres prolongent le geste et découvrent ce frisson.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL: </strong></span>Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE: </strong></span>Mes coups de cœur, j’aime bien ce mot… le cœur y est toujours dans le métier. La passion de bousculer la pratique… j’ai beaucoup aimé le roman de Jocelyne Saucier, <em>Il pleuvait des oiseaux (XYZ),</em> le recueil de poèmes de Louise Dupré, <em>Plus haut que les flammes</em> (Le Noroît). Coup de gueule: il y a une petite république littéraire qui se regarde le nombril, il faut sortir la littérature du Plateau Mont-Royal pour mieux la nourrir, ça sent des fois trop le bas de laine… le territoire est si vaste, nous devrions apprendre à ouvrir les fenêtres pour pouvoir fixer l’horizon… cela paraît si petit si mesquin si entre-nous et si simpliste que cela fait de la peine… c’est le même prix: rêver, imaginer le monde ou s’enfermer dans les petites rues étroites de l’imaginaire…</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/controverse_1.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/21/controverse_1.jpg" alt="130" title="" width="201" height="300" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>PLL: </strong></span>Y a-t-il des nouveautés que vous aimeriez nous présenter? Des livres que vous avez publiés qui n’ont pas reçu autant d’attention que vous auriez souhaité et dont vous aimeriez parler?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>RSE:&nbsp; </strong></span>Pour les nouveautés, je suis très sensible à la collection poésie de Mémoire d’encrier, avec notamment Jean Désy, <em><a href="http://memoiredencrier.com/chez-les-ours/">Chez les ours</a></em>, et Natasha Kanapé Fontaine, <em>N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures.</em> Il y a quelques titres qui échappent complètement aux lecteurs. J’ai édité le plus important livre sur Cuba, <em><a href="http://memoiredencrier.com/controverse-cubaine-entre-le-tabac-et-le-sucre/">Controverse cubaine entre le tabac et le sucre</a></em> de Fernando Ortiz. Cet essai qui a marqué l'anthropologie, et qui est à l'origine de la transculture, raconte l’histoire du monde à travers celle de deux produits: le tabac et le sucre. C’est un livre, à mon sens, fondamental. Il y a aussi les grands auteurs publiés chez Mémoire d’encrier, Jacques Roumain, Davertige, Franketienne, Ida Faubert, etc., qui attendent leurs lecteurs.</p> <p style="text-align: justify;">La meilleure qualité pour un éditeur est la patience. Alors, je vis dans l'intelligence, la beauté et la patience.</p> Afrique Amérindien Caraïbes Chronique Jeunesse Québec Entretiens Essai(s) Poésie Roman Thu, 13 Dec 2012 17:10:23 +0000 Pierre-Luc Landry 641 at http://salondouble.contemporain.info