Salon double - MAVRIKAKIS, Catherine http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/237/0 fr Le visage de l'histoire http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-visage-de-lhistoire <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/leguerrier-louis-thomas">Leguerrier, Louis-Thomas </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/les-derniers-jours-de-smokey-nelson">Les derniers jours de Smokey Nelson</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="margin-left: 160px; "><span style="color:#696969;">«C'est mon visage que tu contempleras demain dans les yeux du scélérat qui sera enfin assassiné. Par moi, ton Dieu.» (p.96)</span></p> <p style="margin-left:28.55pt;">&nbsp;</p> <p><em>Les derniers jours de Smokey Nelson</em> de Catherine Mavrikakis raconte le surgissement brutal de jours profondément et fatalement historiques au cœur d'une époque en pleine perte d'historicité. Ces quelques jours presque entièrement occupés par la présence invisible mais terriblement concrète de Smokey Nelson, un Noir américain condamné à mort pour avoir sauvagement assassiné un couple et leurs deux enfants, sont des fragments de l'histoire que le monde contemporain, avec sa haine, ses injustices, sa spiritualité mutilée et ses mille violences nous inflige, nous qui de cette histoire ne cessons d'affirmer la disparition, et hurlons sur tous les toits l'arrivée de son terme. Chacun des quatre principaux personnages du roman entretient un rapport tragique mais essentiel avec l'histoire, celle personnelle de Smokey Nelson comme celle, se dévoilant dans le crime qu'il commet et dans l'exécution s'en suivant, qui pèse de tout le poids de son universalité sur les êtres qui l'endurent. &nbsp;Pearl Watanabe nous apparaît destinée à aller à sa rencontre mais, ayant laissé passer la possibilité terrifiante qu'elle lui offrait, se laisse résorber par elle; Sydney Blanchard la convoite en vain depuis sa naissance pour finalement la trouver dans une mortelle bagarre de rue; Ray Ryan se la construit idéologiquement et réifie son contenu réel pour se protéger de son caractère absurde; tandis que Smokey Nelson, le condamné à mort, ne fait plus qu'un avec elle: à la fois le bourreau et la victime, il incarne la prison infernale où se rencontrent les extrêmes de sa dialectique.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Pearl Watanabe</strong></span></p> <p>Pearl Watanabe apparaît d’abord dans le roman comme une rescapée de l'histoire. C'est avec une violence que peu de gens connaissent qu'elle y a été confrontée, lorsque, ayant quitté sa terre natale pour s'installer dans l'État de Georgie aux États-Unis, elle a fait la découverte dans le motel où elle travaillait des cadavres fraîchement tués de la famille anéantie par Smokey Nelson. Mais quand elle décide de retourner vivre là d'où elle vient et où elle a grandi, à Hawaii, dans ce «monde protégé» (p.41) qu'elle se promet de ne plus quitter, elle croit pouvoir oublier ce corps à corps si intense avec l'histoire qu'elle a laissé derrière elle dans ce motel de la banlieue d'Atlanta, et ainsi pouvoir mourir «au terme d'une existence qui finirait par être sans histoire» (p.41). Introduite, donc, comme une rescapée, Pearl Watanabe se dévoile pourtant bien vite, alors qu'elle prend l'avion pour aller rendre visite à sa fille sur le continent américain, comme une aventurière partant à la rencontre de l'histoire, de ce destin qu'elle appréhende sans se l'avouer depuis qu'elle a fait la connaissance de Smokey Nelson, de cette étoile qu'elle sait être la sienne et qu'elle voudrait «décrocher du ciel et tenir à bras le corps» (p.70). En cette terre de l'apaisement qu'est Hawaii, Pearl conserve par son nom le souvenir du sursaut d'histoire qui en a fait trembler le sol, le jour du bombardement de Pearl Harbor pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle est la trace que l'histoire a laissée sur ce continent qui voudrait&nbsp; l'oublier. Le caractère inéluctable de sa rencontre avec celle-ci s'impose de toute sa force quand elle découvre que l'exécution de Smokey Nelson, ‪cet événement qui depuis quinze ans se trouve reporté, aura lieu pendant les vacances qu'elle passe alors chez sa fille tout près d'Atlanta. Cet homme qu’elle a croisé dans le stationnement du motel tout de suite après qu’il ait égorgé ses quatre victimes, avec lequel, juste avant d'entrer dans le motel pour y découvrir les corps, elle a fumé une cigarette et échangé des paroles amicales, cet homme qui ne l'a pas tuée alors qu'il savait bien qu'elle témoignerait contre lui et pour lequel elle ne peut s'empêcher de ressentir un attachement profond, elle sait qu'elle a maintenant une chance de le revoir. Ainsi le cloîtrement volontaire de Pearl en terre posthistorique apparaît finalement comme un entre-deux longuement prolongé. Ce qu'elle a pensé être l'aboutissement de sa vie n'était qu'un moment de repos avant la suprême épreuve dont elle ressent secrètement, depuis sa rencontre avec Smokey Nelson, la terrifiante nécessité. Son exil n'était qu'un moment de calme avant la tempête. Un peu comme en offrait aux soldats américains, lorsqu'il était réquisitionné par l'armé, l'hôtel où elle travaille à Hawaii, «afin que les gars envoyés dans le Pacifique aient un lieu agréable pour oublier le sort qui les attendait» (p.54).</p> <p>Jetée tête première dans la fureur du destin dont elle pensait s'être à jamais extirpée, Pearl commence à faire surgir la logique à la fois terrible et séduisante qui a muri en elle de la noirceur dans laquelle le refoulement l'a si longuement maintenue:&nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>C'est comme si toute sa vie, depuis plus de vingt ans, elle l'avait vécu en prison, avec ce type, ce Nelson... comme si elle s'était sentie coupable des crimes... Que devait-elle expier? Qu'avait-elle fait de si mal en étant séduite par cet homme plus jeune chez qui elle n'avait pu deviner l'horreur? (p.243)</p> </blockquote> <p>Si Pearl attribue ce sentiment de culpabilité au fait qu'elle ait pu être séduite par un homme s'étant montré capable d'une telle sauvagerie, c'est peut-être pour se protéger de ce qu'elle sait malgré tout avoir à expier, et qui en elle a été enfoui par le travail du temps anhistorique qui gouverne cet hôtel de l'oubli dans lequel elle s'est réfugiée. Si la honte de s'être attachée à quelqu'un ayant agi de manière monstrueuse était ce qui la préoccupait réellement, elle n'aurait pas perdu toutes ces années à tenter d'oublier le sort réservé à Smokey Nelson, et aurait probablement souhaité qu'il soit exécuté bien avant. Le fait que son attachement pour lui se soit maintenu après qu'elle ait appris ce dont il était capable et que celui-ci soit même devenu beaucoup plus intense et profond —assez pour lui donner l'impression de vivre avec lui en prison— prouve plutôt le contraire. Ce que Pearl sait au fond d'elle devoir expier est peut-être cette souffrance qu'elle ne peut justement pas vivre en prison avec Smokey Nelson:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>On avait eu beau, dans les journaux, faire d'elle une pauvre victime des circonstances, de la police qui ne croyait pas en son premier témoignage et plus généralement de la vie, Pearl ne pouvait s'empêcher de se voir comme une espèce de bourreau dans cette affaire (p.67).</p> </blockquote> <p>Peut-être est-ce le redoutable impératif formulé dans <em>Les Frères Karamazov </em>par le Staret Zossima qui occupe les pensées troubles avec lesquelles elle se débat au moment où, ayant perdu pour toujours la chance de revoir celui qui l'obsède, elle décide de se donner la mort: «Si tu es capable de prendre sur toi le crime du criminel qui se tient devant toi et que tu juges en ton cœur, alors, prends-le sans attendre et souffre, toi, pour lui, et, lui, laisse le repartir sans reproches» (Dostoïevski, p.577).</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Sydney Blanchard</strong></span></p> <p>Tout comme Pearl Watanabe, Sydney Blanchard voudrait bien trouver la place qui lui revient à l'intérieur du plan suprême de l'histoire: «J'ai comme une mission sur cette terre». (p.108) Seulement, il se trompe dans les suppositions qu'il entretient sur la nature de celle-ci. Alors qu'il s'imagine, étant né le jour de la mort de Jimi Hendrix, entrer dans l'histoire en tant que star du rock, le cours des choses qui fait en sorte que les Noirs américains ne peuvent pas tous occuper la place réservée à quelques-uns au sein de l'industrie culturelle continue de gagner du terrain. La mésaventure qui à dix-neuf ans l'a fait passer à deux doigts de la peine capitale et qui du même coup le liait à jamais au sort de Smokey Nelson lui a tout de même donné à réfléchir. Cet épisode seul a de quoi lui faire comprendre que ce rôle qu'il se croit destiné à jouer dans l'effroyable comédie de son temps est tout sauf glorieux. Et il le comprend, au moins partiellement, puisqu'il affirme être conscient de vivre «en sursis» (p.115). Sydney Blanchard est la figure du protagoniste en sursis de l'histoire. C'est de justesse qu'il a pu se dérober à la férocité de son emprise, quand le témoignage de Pearl Watanabe contre Smokey Nelson a fait tomber les accusations de meurtre au nom desquelles l'État allait lui faire la peau. Sans oublier la chance qu'il a eue, près de quinze ans après cet épisode carcéral, d'avoir pu quitter la Nouvelle-Orléans avec sa famille avant que la situation causée par l'ouragan Katrina ne dégénère: «L'histoire a décidé pour moi... Après Katrina, encore un nouveau petit sursis...» (p.115). Après chacun de ces deux événement marquants de sa vie, ces deux moments qu'il ressent comme des irruptions dans celle-ci, sous une forme négative, de l'histoire par laquelle il sait être intimement concerné, Sydney Blanchard a l'impression à la fois d'avoir été épargné et laissé en plan:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Si je me faisais exécuter vendredi, (à la place de Smokey Nelson) je serais même content que quelque chose ait lieu... C'est pas le vedettariat... Je l'envie pas de passer à la télé et dans les journaux... Ça, je l'ai vécu quand j'ai été arrêté... Rien de sympa là-dedans... Non, juste avoir l'impression que la vie m'a pas simplement oublié... (p.37-38)</p> </blockquote> <p>S'il voudrait que la vie se souvienne de son existence, afin que celle-ci puisse s'inscrire d'une quelconque manière dans l'histoire universelle, l'approche de l'exécution de Smokey Nelson qui, si ce n'avait été de Pearl Watanabe, aurait bien pu être la sienne, le force à penser cette inscription de son être dans la marche du monde de manière négative, c'est-à-dire en relation à sa propre destruction en tant que sujet historique. C'est qu'il envisage, malgré la bonne étoile qu'il attribue au jour de sa naissance, tout ce que l'histoire a de souffrance à offrir au prolétariat noir américain, que ce soit «dans l'État de John McCain» (p.101) ou chez les «bobos» (p.102) du nord: «L'Amérique, c'est beau, oui, mais pas pour tous!» (p.119). Il est tentant d'interpréter le rapport qu'il établit ―dans une des nombreuses conversations qu'il a avec sa chienne Betsy― entre l'ouragan Katrina et le passage de la Bible où s'abat sur Sodome et Gomorrhe la foudre de Dieu comme une métaphore sur la fatalité dont la société américaine a historiquement marqué les Noirs qui ont essayé d'y vivre: «Il y aurait eu de quoi faire un film, que j'aurais pu vendre cher à des réalisateurs blancs... Ils auraient parlé d'une reprise de la fin de Sodome et Gomorrhe avec des Noirs...» (p.111). L'idée de voir dans l'ouragan Katrina un châtiment divin envoyé aux Noirs pour les punir d'être noirs, idée partagée par plusieurs Américains d'extrême-droite dont Ray Ryan, exprime bien le rapport problématique que Sydney Blanchard entretient avec l'histoire. Même s'il a toujours gardé la conviction que celle-ci lui réservait de grandes choses, il doit reconnaître que ses quelques irruptions dans sa vie ont chaque fois failli lui coûter celle-ci. Malgré le relatif confort de cette vie de longue attente, cette vie de sursis qu'il a connue entre ces moments de crise, il reste que: «un jour, on en peut plus... On demande la fin. On veut que ça finisse pour de bon... On est franchement écœuré que le même film recommence... Qu'on nous le passe en boucle» (p.120). Mais cette fin qui est accordée à Sydney Blanchard n'a rien de grandiose: l'histoire lui annonce simplement et brutalement que son sursis est terminé, et que son dernier soupir, il le poussera, comme tant d'autres de sa couleur et de sa classe sociale, dans la violence et la haine, sur le ciment brûlant du stationnement d'un poste d'essence, tombé sous les balles d'un autre Noir qui comme lui a eu le malheur de naître sous l'étoile cruelle et revancharde des États-Unis d'Amérique.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Ray Ryan</strong></span></p> <p>Ray Ryan, pour sa part, entretient avec l'histoire une relation de maîtrise et de servitude. Il est de ceux qui ne vivent pas le temps historique qu'ils font: travaillant sans relâche à la production et à la reproduction de celui-ci, jamais il ne parvient à s'approprier l'expérience qu'il en fait. C'est cela qui est exprimé par cette phrase que son Dieu —qui tout au long du roman l'accompagne et prend la parole à sa place— aime lui souffler au creux de l'oreille: «Le temps divin avale et broie ton existence» (p.96). Producteur de sa propre dépossession, seule la fiction idéologique qu'il superpose à l'histoire réelle dont il est séparé se trouve à la portée des infimes pouvoirs qu'il peut encore reconnaître comme siens. Peut-être est-il celui des quatre personnages principaux du roman qui entretient le rapport le plus dangereux avec l'histoire, dangereux pour le maintien de sa propre communauté et de toute vie sociale. En affirmant, avec la résolution propre à l'intégrisme religieux, l'existence d'une positivité absolue qui se dévoilera pleinement à la fin de l'histoire, il fait entrer la souffrance vécue dans un plan préétabli résultant d'une volonté consciente, et justifie par là tout ce que celle-ci inflige et continuera d'infliger de malheurs et d'humiliations à l'être humain: «Moi seul prononce les arrêts de mort, les catastrophes que je vous envoie en ce moment et depuis quelques temps sont des signes bien clairs qui montrent la splendeur et la magnitude de la colère que je contiens» (p.93). De Ray Ryan, toute possibilité de révolte a été extirpée. L'histoire ayant toujours suivi son cours malgré la folie de ses faux prophètes, il la sert d'autant mieux qu'il la falsifie en l'intégrant de force dans le sens qu'il lui attribue. Son aveuglement est un conformisme au service de ceux qui comme son fils Tom infligent aux vaincus toute la violence nécessaire au maintien de l'histoire réelle, qui est restée jusqu'à ce jour celle des vainqueurs: «Et quand ton fils, vaillant soldat, s'est fait le gardien du sanctuaire divin, du territoire du Sauveur, tu as acquiescé doucement, fièrement. Que Dieu sauve l'Amérique!» (p.91).&nbsp; En cherchant à donner un sens à l'assassinat de sa fille et de la famille de celle-ci par Smokey Nelson et en voyant dans l'exécution de ce dernier le couronnement de la fausse réalité qu'il a échafaudée en imposant à la véritable un sens clos, Ray Ryan justifie non seulement le meurtre en général, que ce soit à travers la peine de mort administrée ou les exactions commises par le groupe d'extrême-droite dont son fils fait partie, mais aussi, sans le vouloir, la mort atroce et impardonnable de celle qu'il a mise au monde. Cette fin abominable qu'a connu sa fille, il la pardonnera, non pas à Smokey Nelson, qu'il désire à tout prix voir crever, mais à celui que sa conscience étriquée lui désigne comme l'unique responsable de toute chose, y compris des pires: son Dieu vengeur et rancunier.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Smokey Nelson</strong></span></p> <p>Si le Raskolnikov de Dostoïevski, dans <em>Crime et châtiment, </em>représente le meurtrier qui par son crime et par la conscience de la culpabilité qui en découle réussit à communier, dans le repentir, avec la communauté humaine universelle, si la Thérèse Raquin de Zola représente au contraire celle dont le crime comme la déchéance qui en découle reconduisent la destruction de cette même communauté, Smokey Nelson, pour sa part, est le meurtrier séparé de son crime et sans rapport avec celui-ci, la possibilité d'un tel rapport lui ayant été confisquée. Coupé de la terrible expérience faite par l'assassin que la police oublie d'inquiéter, celle de la vie qui se poursuit même après être apparue si facile à réduire en miette, brusquement retiré de l'histoire pour être enfoui dans l'immobilité du temps carcéral, il ne parvient plus à faire le lien, de même qu'il ne peut plus en établir entre ses crimes et l'exécution qui, plus de quinze ans après, est supposée les punir, entre sa personne et ceux-ci: &nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Ses crimes maintenant lui semblaient bien lointains. Ils n'encombraient que très rarement ses pensées. En prison, les souvenirs trop personnels ne servent pas à grand chose. Ils sont plutôt des ennemis à abattre et Smokey avait toujours tenté sauvagement de les chasser (p.284-285).</p> </blockquote> <p>Tout ce que Smokey Nelson a été pendant les dix-neuf années qu'a duré sa vie d'homme libre, y compris le tueur sanguinaire ayant décimé toute une famille, la prison a lentement fait en sorte qu'il l'oublie, que tout cela à ses yeux disparaisse. Son arrachement à l'histoire dont il venait par ses actes de reconduire toute la violence et son envoi expéditif dans le couloir de la mort donnent l'impression de son effacement en tant que protagoniste de cette histoire. C'est tout comme si les années précédant son emprisonnement ainsi que celle s'étant écoulées entre celui-ci et son exécution s'étaient volatilisées. De cela résulte la réification de son être dans le rôle de bourreau qu'il a pris sur lui juste avant de sombrer en plein vide carcéral, et dont l'extrême violence semble avoir balayé toutes les autres dimensions de sa personne. Smokey Nelson devient par son emprisonnement et sa condamnation à mort une abstraction figée exprimant le crime en soi<a href="#_ftn1" name="_ftnref" title="">[1]</a>, tandis que concrètement il devient néant pur et anhistorique. Vue la manière dont le monde administré s'est occupé de son cas, ce n'est pas le sentiment de s'être lui-même exclu de l'humanité ressenti par Raskolnikov, ni la dégénérescence morale et physiologique de Thérèse Raquin qui pourrait l'atteindre. On le garde bien au frais, hors de toute histoire, dans un confort climatisé où il doit, afin de pouvoir être, s'anéantir:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>les autorités du pénitencier avaient décidé de refroidir un peu les esprits échauffés en faisant marcher à bloc le système central de climatisation, ce qui avait eu pour effet de calmer tout le monde... Un bon repas et l'air climatisé font des merveilles pour l'atmosphère d'un pénitencier. Il y aurait bien d'autres jours pour faire du chahut (p.279).</p> </blockquote> <p>L'air climatisé représente ici le véhicule de la glaciation de l'histoire à l'intérieur de la non-vie carcérale. Si la direction de la prison se montre particulièrement généreuse, lors des jours d'exécution, en ce qui a trait à la climatisation des cellules, c'est parce qu'elle est consciente que c'est lors de tels jours que les conditions nécessaires au surgissement de l'histoire disqualifiée se trouvent le plus près d'être réunies :</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Même après une exécution, la prison met toujours quelques jours à retrouver son train-train normal. La grogne continue de se faire entendre alors que l'exécuté hante toujours les lieux. Un homme est mis à mort et c'est la cadence idiote des jours qui se suivent et se ressemblent qui, tout à coup, refait surface et envahit les cellules et les espaces communs. L'inhumanité des choses devient subitement insupportable. Dans la prison, on est alors prêt à tout... (p.278).</p> </blockquote> <p>C'est donc le jour de sa mise à mort, qui comme tous les autres jours d'exécution porte en lui l'histoire prête à briller à nouveau de son feu atroce et magnifique, que Smokey Nelson sort du vide existentiel qui caractérise sa condition de prisonnier pour se présenter une deuxième fois à la face du monde, cette fois-ci en tant que victime. De la figure abstraite du criminel en soi, il passe à celle tout aussi abstraite du châtié absolu, victime d'un châtiment se prétendant universel mais ne servant dans les faits qu'à satisfaire, par l'entremise du spectacle que lui offre l'État et ses techniciens de la mort, le besoin de vengeance de Ray Ryan<a href="#_ftn2" name="_ftnref" title="">[2]</a>.&nbsp;</p> <p>Dans <em>Dialectique Négative, </em>Adorno dit qu'«[a]ffirmer qu'un plan universel, dirige vers le mieux, se manifeste dans l'histoire et lui donne sa cohérence, serait cynique après les catastrophes passées et celles qui sont à venir» (Adorno, 2003: 387). Il rajoute toutefois «[qu’]il ne faut pas pour autant renier l'unité qui soude ensemble les moments et les phases de l'histoire dans leur discontinuité et leur éparpillement chaotique» (Adorno, 2003: 387). De la même manière, le fait de chercher à faire entrer dans un plan universel dont le sens se dévoilerait à travers la mise à mort de Smokey Nelson les destinées qui, dans le roman de Mavrikakis, s'éparpillent de manière chaotique et discontinue&nbsp; autour de lui serait dans le meilleur cas cynique et dans le pire, comme il en est du rapport de Ray Ryan à l'histoire, un pas vers le fascisme ordinaire. Inscrire ces destinées dans une histoire maudite et absolument mauvaise n'est pas non plus le but que je poursuis. Mais le présent texte visait tout de même, afin de remplir l'exigence qu'Adorno nous demande de considérer, à donner la parole à l'expérience, celle de l'histoire comme violence perpétuelle, en laquelle <em>Les derniers jours de Smokey Nelson </em>trouve selon moi sa cohérence, et dont les moments discontinus sont maintenus ensemble par l'emprise d'une société condamnée. Si j'ai pris dans ce texte le parti de me confronter le plus bruyamment que je le pouvais à cette expérience si puissamment transmise par Catherine Mavrikakis dans son roman, c'est avec la conviction qu'en elle se trouve la possibilité d'un monde meilleur.</p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>ADORNO, Theodor (2003), «Histoire Universelle»,&nbsp; dans <em>Dialectique négative, </em>Paris, Payot (Petite Bibliothèque Payot).</p> <p>DOSTOÏEVSKI, Fédor (2002), <em>Les frères Karamazov</em>, traduit du russe par André Markowicz, Arles, Actes Sud (Babel).</p> <p>HEGEL (2007), <em>Qui pense abstrait?</em>, édition bilingue, Paris, Hermann.</p> <p>MAVRIKAKIS, Catherine (2005), <em>Condamner à mort. Les meurtres et la loi à l’écran</em>, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.</p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn1" title="">[1]</a> «Voilà donc ce qu'est la pensée abstraite: ne voir dans le meurtrier que cette abstraction d'être un meurtrier, et, à l'aide de cette qualité simple, anéantir tout autre caractère humain» (Hegel, 2007: p.3).</p> </div> <div id="ftn"> <p><a href="#_ftnref" name="_ftn2" title="">[2]</a> Dans son essai sur la peine de mort, Mavrikakis avait déjà démontré son propos, avant de le mettre en scène à travers le personnage de Ray Ryan et son rapport à l'exécution du meurtrier de sa fille, en partant cette fois-ci du cas véridique de Timothey McVeigh, le militant américain d'extrême-droite responsable de l'explosion d'un immeuble du gouvernement fédéral et de la mort de cent-soixante-huit personnes qui s'y trouvaient: «L'image de la mise à mort de McVeigh, une fois digérée par le spectateur-victime, permettrait à ce dernier de retrouver la paix et de ne plus être hanté par les images de l'explosion. […] Le spectacle ne consiste pas en la mise à mort de McVeigh, il se fonde plutôt dans le dispositif de revanche où McVeigh n'est plus celui qui regarde la mort de ses victimes ; les places ont été changées, tout simplement. À l'image d'un immeuble éventré de cris, de fumée et de pleurs avec en arrière plan l'esprit maléfique de celui qui a perpétré le crime doit succéder l'image de la mort de McVeigh vue par ses victimes. Dans cet espace, celui de l'image cadrée sur les victimes devenues bourreaux, le monde entier lui, bien sûr, ne fait le deuil de rien et surtout pas des morts» (Mavrikakis, 2005: 151-152).</p> <p>&nbsp;</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-visage-de-lhistoire#comments ADORNO, Theodor W. Crime DOSTOÏEVSKI, Fedor Événement HEGEL Histoire Imaginaire de la fin Justice MAVRIKAKIS, Catherine Peine de mort Québec Roman Tue, 11 Oct 2011 19:20:31 +0000 Louis-Thomas Leguerrier 386 at http://salondouble.contemporain.info L'impasse de l'oubli http://salondouble.contemporain.info/lecture/limpasse-de-loubli <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dionne-charles">Dionne, Charles</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/le-ciel-de-bay-city">Le ciel de Bay City</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p class="MsoNormal">Le thème de la mort chez Catherine Mavrikakis, ou plus précisément, l’impact que peut avoir la mort sur les «survivants» semble s’inscrire dans l’ensemble de son travail. «Les vivants n’ont pas pitié des morts»<a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a>, mais pourtant ils passent leur vie à ressasser un passé qui n’est plus le leur, légué arbitrairement par ces morts qui parsèment le chemin des personnages de Mavrikakis. Cet impact qu’a la mort s’incarne dans le paradoxe entre <em>La mort grandissante</em> de Saint-Denys Garneau<a name="_ftnref" href="#_ftn2">[2]</a>, qui place les corps sous une fine couche de terre, nous empêchant toute forme de pitié et les Hervé de <em>Deuils cannibales et mélancoliques</em><a name="_ftnref" href="#_ftn3">[3]</a>, qui, au contraire, reviennent sans cesse et appellent un souvenir éternel aux vivants. La mort s’incarne dans<em> Le ciel de Bay City</em>. Elle est l’invisible ennemie du combat perdu d’avance que livre Amy&nbsp;–le personnage principal et la narratrice– avec le passé de ses aïeux juifs et de l’Amérique tout entière. C’est un désir d’identité qui motive l’effort d’oubli du personnage. Elle se voit imposer un passé, une condition mémorielle qui la déchire et cette commande de l’Histoire la pousse à maudire le ciel mauve de sa ville.</p> <p class="MsoNormal">Dans sa petite maison aseptisée d’une banlieue du Flint, Amy voudra défaire la force invisible du passé qui la hante. Cette banlieue où le ciel est mauve, où le bruit des climatiseurs parasite un silence impossible, où le K-Mart ravitaille tout le monde et où un enfant naît déjà cicatrisé par l’influence de l’Amérique, est rapidement décrite par la narratrice :</p> <p class="MsoNormal rteindent2"><span style="color: #808080;">Je suis née sous le ciel mauve du Michigan. Les vents des grands lacs ont soufflé sur mes cheveux dès ma naissance et les ont emmêlés à jamais. Les nuages pollués ont pénétré dans mes poumons et ont fait virer ma peau au vert. Je donne le change. Je sens le parfum en vaporisateur à l’odeur de poudre pour bébés, le Tampax déodorant, le rince-bouche à la menthe verte. J’exhale par tous mes pores l’odeur de produits chimiques. Je suis une Américaine. Une poupée gonflable dont l’intérieur est toxique. Tout en moi est nocif. (p. 138)</span></p> <p class="MsoNormal">Ainsi, l’endroit de la naissance empreint profondément ses enfants, et ce, dès le tout début de la vie, «dès [la] naissance.» (p. 138) La ville transmet les premiers éléments identitaires et c’est contre ceux-ci qu’Amy orientera son combat, son désir de détachement.</p> <p class="MsoNormal">Dans cet ordre d’idée, <em>Le ciel de Bay City</em> présente une femme qui tente, sous un amalgame infini d’éléments de mémoire, de constituer son identité en voulant rejeter certaines parties de son passé, du passé des membres de sa famille proche ou non et des influences de la ville qu’elle habite. En effet, la mémoire, dans ce dernier roman de Mavrikakis, apparaît chargée d’«abolis de l’histoire» (p. 182) qui s’imposent dans la vie de la narratrice, laquelle transporte tout spécialement un bagage de souvenirs qui ne lui appartiennent pas.</p> <p class="MsoNormal">De concert avec une mémoire fragmentaire, <em>Le ciel de Bay Ci</em><em>ty</em>, évolue dans un constant jeu sur la temporalité des événements du récit. La narratrice raconte une période terminée de sa vie en insérant des moments de son présent pour clarifier certains détails ou pour présenter un peu anachroniquement des événements qui lui sont contemporains, suspendant ainsi un moment le récit de son enfance pour nous projeter avec elle dans un passé plus proche ou dans son quotidien immédiat. Ce motif particulier du temps narratif va de pair avec le thème de la mémoire que développe la narratrice. Un récit fragmentaire pour une mémoire composée de souvenirs épars. En ce sens, on alterne entre un simulacre de journal intime racontant le passé qui fait le décompte des jours jusqu’à l’anniversaire des 18 ans d’Amy et le récit contemporain de la narratrice. Le passé installe un suspense particulier en appelant sans cesse un drame annoncé très tôt dans le roman. Pourtant, ce nœud dramatique est déjà révolu dans la vie de la narratrice, empêchant ainsi toute forme de destin fatal. Mais la quête de la protagoniste est ailleurs et cet événement important vers lequel nous tendons n’est que le moyen de révéler l’impasse du personnage principal.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: #808080;"><strong>Les parasites de l’Histoire</strong></span></p> <p class="MsoNormal">Deux thèmes orientent le roman, et plus précisément, la quête du personnage principal&nbsp;: les influences multiples de mémoires déconstruites qui définissent malgré elle la protagoniste et le problème de la transmission d’un héritage auquel Amy voudra soustraire sa fille à défaut d’avoir pu s’y soustraire elle-même.</p> <p class="MsoNormal">Tout d’abord, Amy tente de se dérober à sa ville aseptisée, à l’ennui que provoque en elle la banlieue. Il y a, chez la protagoniste, une profonde lassitude quotidienne, un poids qui pousse vers la mort et qui jamais ne se relâche. «À Bay City, dès ma plus tendre enfance, je regrette tous les jours d’être née.» (p. 34) «À Bay City, je n’ai que la mort dans l’âme.» (p. 34). Le personnage attribue la source de ce profond ennui à la ville. L’indifférence chronique que macère Amy et ce poids qui la conduit vers des pulsions suicidaires pèsent sur les épaules du personnage qui se trouve en Amérique et cette influence n’est pas sans rappeler «l’écho» du Nouveau-Monde dont traite Pierre Nepveu en considérant l’Amérique comme un territoire qui a &nbsp;«représenté à l’origine une expérience&nbsp; de profonde privation»<a name="_ftnref" href="#_ftn4">[4]</a> dans son ouvrage <em>Intérieurs du Nouveau Monde</em>. Selon lui, cette terre reste «sauvage».&nbsp; Devant la vastitude et le néant&nbsp;–substantifs attribuables sans grand effort à la banlieue de Bay City–, l’auteur et le personnage ressentent un malaise intérieur qu’ils ne peuvent comprendre, comme s’ils restaient sous l’emprise de la réminiscence des douleurs du passé ou sous l’étreinte subjective de ce que l’Amérique peut provoquer chez lui. À Bay City, Amy attribue ce mal au passé qui est imprimé dans le sol américain. Au Canada, étudié par Nepveu, Angéline de Montbrun, dans le roman de Laure Conan, explique la détresse psychologique qui ne la quitte jamais par l’ennui tandis que Marie de l’Incarnation, dans ses correspondances, y verra une influence sous laquelle il faut devenir sainte, ou mourir. Ce territoire, malgré l’ellipse temporelle entre les ouvrages précédents, reste le même et ne peut qu’avoir emmagasiné plus de douleur, plus de privation. Amy a des réserves par rapport à une confrontation unidirectionnelle avec l’Amérique en ramenant aussi ses sentiments au passé de sa famille, mais elle n’oublie pas que les morts qui la hantent ne sont pas uniquement juifs. «Je suis hantée par une histoire que je n'ai pas tout à fait vécue. Et les âmes des juifs morts se mêlent dans mon esprit à celles des Indiens d'Amérique exterminés ici et là, sur cette terre.» (p. 53) Le passé des Amérindiens est scellé à celui de l’Amérique et vient donc, de concert avec les relents de la Shoah de sa famille et le désabusement provoqué pas la banlieue, étreindre Amy par les lourds souvenirs d’une vie vécue par procuration.</p> <p class="MsoNormal">Ainsi, très vite, elle sait qu’il ne s’agit pas seulement d’une langueur de banlieue. Tout un monde disparu la hante. «Mais je ne fais pas exprès de vivre avec les morts. C’est simplement ainsi. Je ne décide pas de ce qui me hante.» (p.50) D’une part, sa mère et sa tante essaient d’oublier l’Holocauste, période sombre de l’Histoire durant laquelle elles ont perdu leurs parents, mais la maison est remplie d’éléments qui appellent le passé. Une lettre d’Yvonne de Gaulle est encadrée dans laquelle elle remercie les gens des condoléances reçues concernant son mari, un piano rappelant la jeunesse des deux tantes est placé au salon, etc. D’autre part, les «morts» hantent aussi Amy. En effet, sœur cadette d’une mort-née, l’image de sa «sœur morte» (p.25) l’accompagne sans cesse&nbsp;: «La nuit, ma sœur, embryon décomposé, m’apparaît. Son visage rongé par l’informe me persécute.» (p.28) Ainsi, elle sent l’influence d’une mort –celle de sa sœur– qui lui est directement liée. Pourtant, les mêmes rêves seront infiltrés par des souvenirs qui n’appartiennent pas encore à Amy, car sa tante ne lui a pas encore révélé le massacre de ses grands-parents dans un camp de concentration. «La nuit, je suis poussée dans une chambre à gaz alors que des milliers de gens hurlent en se crevant les yeux.» (p. 28) En somme, le présent de la protagoniste est parasité par un nombre imposant d’échos qui proviennent de différentes époques (les Amérindiens au 18e siècle, la Deuxième Guerre mondiale au 20e siècle et la mort de sa sœur qui n’est séparée du personnage que par dix-huit années.) et de plusieurs lieux.</p> <p class="MsoNormal">De plus, ce passé, même vécu à travers des réminiscences étrangères, constitue intuitivement l’identité du personnage d’Amy, puisque après avoir enterré l’ensemble de sa famille du Flint, elle renonce en même temps qu’eux à la vie qu’elle avait. «J’ai donné une sépulture à tout le monde. Il ne me reste plus qu’à partir. Amy Duchesnay n’est plus. Elle est morte et enterrée. Sous le ciel mauve, toxique, de Bay City.» (p. 281) La quête de liberté de la protagoniste semble vouloir s’assouvir à travers l’enterrement de son passé, le désir de se constituer une identité doit rejeter une partie de ce patrimoine. Pour pouvoir se libérer et pour forger soi-même son identité, il faut, selon elle, détruire les traces de ce qui nous hante. Elle tente ainsi de chasser de sa vie toute influence extérieure, des morts qui la suivent, des souvenirs de sa tante et de sa mère. Bien entendu, la solution n’est pas si simple puisque la mémoire de l’Amérique qui habite tout autant Amy que celle de sa famille proche n’arrête pas son influence invisible, même enterrée et oubliée depuis longtemps. En ce sens, elle n’est pas la seule dans sa famille à tenter de faire disparaître son passé. Après avoir été mise au courant de la mort de ses grands-parents, Amy comprendra que les ménages chroniques de sa tante représentent son moyen à elle pour «&nbsp;laver&nbsp;» son présent des influences de son passé.</p> <p class="MsoNormal rteindent2"><span style="color: #808080;">Du corps de mes parents, de mes oncles, de mes tantes, nous continuons à respirer les restes, poussés par les grands vents. Nous avalons depuis plus de cinquante ans nos morts, cela nous entre par le nez, les poumons, par tous les pores de la peau. C’est bien pour cela qu’il faut tout laver, tout le temps, pour ne pas étouffer sous les cendres des nôtres. (p.85)</span></p> <p class="MsoNormal">Ainsi, le dénouement du <em>Ciel de Bay City</em>, viendra justifier les moyens qu’Amy et sa tante utilisaient pour expliquer leur mal de vivre lorsque, les souvenirs auxquels elles ont tenté d’échapper toute leur vie seront transmis à la fille d’Amy, Heaven. Cet échec instaure alors péremptoirement le cycle infini de mémoire ou d’héritage, collectif ou personnel, auquel personne ne peut se soustraire, en l’incarnant par des morts-vivants, par ces «abolis de l’histoire» qui passent d’Amy à sa fille.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: #808080;"><strong>Transmettre l’impasse</strong></span></p> <p class="MsoNormal">En ce sens, le thème de la mémoire dans <em>Le ciel de Bay City</em> est intimement rattaché à celui de la transmission d’un héritage et du rapport à l’enfant. Il y a un sentiment de protection nécessaire, un choix arbitraire du passé que l’on doit léguer.</p> <p class="MsoNormal rteindent2"><span style="color: #808080;">Je me suis donnée à mon enfant. Je suis devenue son garde du corps. J’ai mené des combats sanglants contre les furies du passé. Autour&nbsp; de ma fille, j’ai construit un rempart contre l’histoire, j’ai creusé des fosses gigantesques pour que les mauvais rêves, les cauchemars grimaçants, les souvenirs-croquemitaines ne puissent jamais passer. J’ai fait exploser toutes les gargouilles monstrueuses du temps. (p. 284)</span></p> <p class="MsoNormal">Ainsi, selon Amy, se soustraire à quelqu’un –ici, se soustraire soi-même à son enfant– semble pouvoir nous éliminer du passé de cette personne pour éviter une éternelle vie par procuration dans les souvenirs d’un d’autre.</p> <p class="MsoNormal rteindent2"><span style="color: #808080;">Heaven, je le sens, a besoin de m’oublier. Je dois m’effacer de l’histoire et surtout ne pas, par ma présence, rappeler à mon enfant que quelque chose comme la Deuxième Guerre mondiale a pu avoir lieu. […] Heaven se défait de moi, comme on doit se séparer d’une amarre qui entrave la liberté. (p. 285).</span></p> <p class="MsoNormal">Pourtant, cette entreprise est vouée à l’échec. Le passé, incarné par les grands-parents d’Amy et par la famille qu’elle a enterrée, sera tout de même transmis à Heaven. Amy abdique et sait pertinemment «qu’il n’est pas aisé d’effacer toute trace de soi. D’[elle], il restera quelque vestige.» (p.35)</p> <p class="MsoNormal">Somme toute, «le rejet ne va pas sans identification»<a name="_ftnref" href="#_ftn5">[5]</a>, puisqu’il définit l’individu par ce qu’il ne doit pas être. L’aliénation du passé incarnée par Amy est forte dans <em>Le ciel de Bay City</em>. C’est une aliénation impossible à «irradier» ou à «gazer» une deuxième fois et sa transmission est inexorable.</p> <p class="MsoNormal rteindent2"><span style="color: #808080;">Il r</span><span style="color: #808080;">estera toujours une âme qui entendra, malgré elle, la violence des exterminations qui ont lieu ou qui ont pris place de par le monde. Il restera toujours les plaintes des morts qui résonneront bien après eux, qui feront vibrer l’air et le ciel.&nbsp;(p.52)</span></p> <p class="MsoNormal">Il y a, chez Mavrikakis, une réflexion profonde au sujet de cette mémoire arbitraire, une conscience de la mort qui crée cet «imaginaire où les ‘’morts’’ continuent de nous habiter et nous hantent comme ce que Freud appelle ‘’l’inquiétante étrangeté’’, remontée […] de ce qui avait été refoulé dans l’inconscient.»<a name="_ftnref" href="#_ftn6">[6]</a>. Le thème de la transmission et de l’influence du passé semblent des leitmotivs de la littérature québécoise contemporaine. Ces lieux communs établis autour de la Révolution tranquille –en filigrane du corpus aquinien, fortement théorisé et commenté, et dans son essai<em> L’art de la défaite</em><a name="_ftnref" href="#_ftn7">[7]</a> par exemple– semblent toujours influencer le domaine littéraire d’aujourd’hui. Toute l’œuvre de Ying Chen s’y penche. Jacques Brault avec <em>Agonie</em> et sa poésie, Suzanne Jacob avec <em>Fugueuses</em>, pour ne nommer que ceux-là, réfléchissent aussi sur le phénomène du legs du passé. &nbsp;Pourtant, <em>Le ciel de Bay City </em>intègre ces thématiques dans un contexte américain, presque international, en optant pour une histoire universelle plutôt que locale, en ramenant l’identité à un amalgame mémoriel extensif, ouvrant ainsi les portes sur un questionnement plus large qui n’est pas circonscrit autour du désir national de la Révolution tranquille ou des autres littératures de la révolution qui, dans un désir d’éthos national et marqué par le militantisme, se limitent à leurs frontières.</p> <p class="MsoNormal">&nbsp;</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref">[1]</a> Garneau, St-Denys, «&nbsp;La mort grandissante&nbsp;» dans<em> Regards et jeux dans l’espace</em>, Québec, CEC, 1996.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref">[2]</a> <em>Idem</em>.</p> <p class="MsoNormal"><a name="_ftn3" href="#_ftnref">[3]</a> Mavrikakis, Catherine, <em>Deuils cannibales et mélancoliques</em>, Montréal, Héliotrope, 2009 [2001], 193 pages.</p> <p class="MsoNormal"><a name="_ftn4" href="#_ftnref">[4]</a> Nepveu, Pierre, <em>Intérieurs du Nouveau Monde. Essais sur les littératures du Québec et des Amériques</em>, Montréal, Boréal, «&nbsp;Papiers collés&nbsp;», 1998, p. 32.</p> <p class="MsoNormal"><a name="_ftn5" href="#_ftnref">[5]</a> Nepveu, Pierre, <em>L’écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine</em>, Montréal, Boréal, 1999, p.63.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn6" href="#_ftnref">[6]</a> <em>Ibid.</em>, p. 92.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn7" href="#_ftnref">[7]</a> Aquin, Hubert, <em>L’art de la défaite. Considérations stylistiques, Blocs Erratique</em>s, textes rassemblés et présentés par René Lapierre, Montréal, Quinze, 1977, p.113-122.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/limpasse-de-loubli#comments Filiation GARNEAU, Hector de Saint-Denys Guerre Histoire Identité MAVRIKAKIS, Catherine Mémoire Mort NEPVEU, Pierre Québec Roman Thu, 15 Apr 2010 18:56:43 +0000 Charles Dionne 224 at http://salondouble.contemporain.info Le paria http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-paria <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/boulanger-julie">Boulanger, Julie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/deuils-cannibales-et-melancoliques">Deuils cannibales et mélancoliques</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>La Treizi&egrave;me revient... C'est encor la premi&egrave;re;<br /> Et c'est toujours la Seule, -ou c'est le seul moment:</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Car es-tu Reine, &ocirc; Toi! la premi&egrave;re ou derni&egrave;re?<br /> Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant?...</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>Aimez qui vous aima du berceau dans la bi&egrave;re;<br /> Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement:<br /> C'est la Mort -ou la Morte... &Ocirc; d&eacute;lice! &ocirc; tourment!<br /> La rose qu'elle tient, c'est la Rose tr&eacute;mi&egrave;re.</span></span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-left: 216pt; text-align: justify;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span>G&eacute;rard de Nerval, &laquo;Art&eacute;mis&raquo;</span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un genre honteux</strong></span></p> <p>L&rsquo;autofiction a mauvaise presse. Si elle a obtenu un succ&egrave;s important, elle n&rsquo;en a pas moins d&egrave;s l&rsquo;origine suscit&eacute; la m&eacute;fiance et servi de repoussoir &shy;&shy;&shy;&ndash;plus particuli&egrave;rement au cours des derni&egrave;res ann&eacute;es&ndash; &agrave; quantit&eacute; d&rsquo;auteurs qui se d&eacute;fendaient de pratiquer ce genre honteux, racoleur, narcissique afin de mieux d&eacute;montrer a contrario le statut indubitablement litt&eacute;raire de leur production. L&rsquo;autofiction est ainsi devenue ce que l&rsquo;on veut &agrave; tout prix se garder de faire. D&rsquo;anciens adeptes du genre l&rsquo;ont &eacute;galement d&eacute;laiss&eacute;e afin de se consacrer &agrave; un genre plus s&eacute;rieux, celui du roman, &agrave; un genre pr&eacute;serv&eacute; de l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute;, de l&rsquo;impuret&eacute; profess&eacute;e de fa&ccedil;on &eacute;hont&eacute;e dans le m&eacute;lange de l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle et de la fiction propre &agrave; l&rsquo;autofiction. La pratique de l&rsquo;autofiction, on le sait, peut &ecirc;tre pardonn&eacute;e si elle conduit vers le droit chemin du roman. Je pense, par exemple, &agrave; Nelly Arcan qui avait op&eacute;r&eacute; ce passage de l&rsquo;autofiction vers le roman dans <em>&Agrave; ciel ouvert</em> [2007], narr&eacute; &agrave; la troisi&egrave;me personne pour &ecirc;tre bien certaine de ne garder aucune trace de sa mauvaise fr&eacute;quentation pass&eacute;e<a name="_ftnref" href="#_ftn1"><strong>1</strong></a>.</p> <p>Je pense aussi &agrave; Catherine Mavrikakis qui, avec <em>Le ciel de Bay City</em> [2008] &shy;&ndash;roman qui l&rsquo;a consacr&eacute;e&ndash;, s&rsquo;est &eacute;loign&eacute;e du genre autofictionnel auquel la rattachaient &agrave; divers degr&eacute;s ses trois premiers romans. D&rsquo;une fa&ccedil;on beaucoup moins nette que Nelly Arcan cependant. &Agrave; l&rsquo;occasion du lancement de ce dernier roman, elle a ouvert un blogue<a name="_ftnref" href="#_ftn2"><strong>2</strong></a>&nbsp;o&ugrave; la place centrale accord&eacute;e &agrave; Bay City et l&rsquo;&eacute;vocation de certains &eacute;l&eacute;ments du roman comme exp&eacute;rience personnelle brouillaient les cartes quant au caract&egrave;re fictif de son roman. Qui plus est, c&rsquo;est quelques mois apr&egrave;s la parution du <em>Ciel de Bay City</em> qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; r&eacute;&eacute;dit&eacute; chez H&eacute;liotrope <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>, paru aux &eacute;ditions Trois en 2000<a name="_ftnref" href="#_ftn3"><strong>3</strong></a>, roman qui respectait tous les codes de l&rsquo;autofiction. La d&eacute;finition &eacute;tablie par Serge Doubrovsky et adopt&eacute;e par Marie Darrieussecq la caract&eacute;rise comme &laquo;un r&eacute;cit &agrave; la premi&egrave;re personne, se donnant pour fictif [...] mais o&ugrave; l&rsquo;auteur appara&icirc;t homodi&eacute;g&eacute;tiquement sous son nom propre, et o&ugrave; la vraisemblance est un enjeu maintenu par de multiples &lsquo;effets de vie&rsquo;&raquo;<a name="_ftnref" href="#_ftn4"><strong>4</strong></a>. Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques assume parfaitement cette d&eacute;finition.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Provoquer l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement</strong></span></p> <p>De repentir par rapport &agrave; la pratique de l&rsquo;autofiction, il n&rsquo;y a donc pas chez Mavrikakis. Loin s&rsquo;en faut. Dans son essai <em>Condamner &agrave; mort. Les meurtres et la loi &agrave; l&rsquo;&eacute;cran</em> [2005], elle s&rsquo;inscrit d&rsquo;ailleurs en porte-&agrave;-faux de ce mouvement g&eacute;n&eacute;ral de d&eacute;pr&eacute;ciation de l&rsquo;autofiction et tente de repenser celle-ci &agrave; travers son rapport au monde:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;on pourrait consid&eacute;rer le travail de l&rsquo;autofiction, tel qu&rsquo;il s&rsquo;est pr&eacute;sent&eacute; dans la litt&eacute;rature contemporaine depuis 10 ans, comme une tentative de l&rsquo;&eacute;crit de participer au m&eacute;diatico-juridique, une mise en acte de crime de papier, qui ne m&egrave;ne pas n&eacute;cessairement &agrave; la mort de ceux que le narrateur punit, mais bien &agrave; leur d&eacute;nonciation sur la place publique et &agrave; la possible condamnation de l&rsquo;&eacute;crivain pour atteinte &agrave; la vie priv&eacute;e. C&rsquo;est du moins ce que donnent &agrave; penser beaucoup de textes autofictionnels qui veulent agir sur le monde et sur les torts subis en utilisant la litt&eacute;rature comme espace de vengeance personnelle ou sociale, et en faisant appel &agrave; une loi imaginaire ou bien r&eacute;elle. Les intellectuels, qui tr&egrave;s souvent m&eacute;prisent l&rsquo;autofiction parce qu&rsquo;elle fait le jeu des m&eacute;dias, auraient &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur cette tentative d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e et peut-&ecirc;tre parfois, mais pas toujours, d&eacute;sesp&eacute;rante de sauver les lettres afin d&rsquo;en faire un lieu o&ugrave; il se passe quelque chose, un &eacute;v&eacute;nement m&eacute;diatique</span><a name="_ftnref" href="#_ftn5"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>5</strong></span></a><a name="_ftnref" href="#_ftn5"></a><span style="color: rgb(128, 128, 128);">.</span></p> <p>Cette proposition apporte une r&eacute;ponse &agrave; la condamnation v&eacute;h&eacute;mente du cynisme des intellectuels contemporains qui ouvre son essai. L&rsquo;autofiction constituerait ainsi une tentative d&rsquo;&eacute;chapper &agrave; ce cynisme caract&eacute;ris&eacute; entre autres par la r&eacute;signation confortable &agrave; l&rsquo;impuissance de la litt&eacute;rature et de la pens&eacute;e. L&rsquo;autofiction, une certaine pratique de l&rsquo;autofiction, se d&eacute;finirait donc par un d&eacute;sir d&rsquo;agir sur le monde &agrave; travers le jugement qu&rsquo;elle dirige contre lui. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l&rsquo;aune de cette volont&eacute; d&rsquo;agir sur le monde qui sous-tend, contre toute attente, le projet autofictionnel que j&rsquo;aimerais lire<em> Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Une suite de morts</strong></span></p> <p>Le titre du texte de Catherine Mavrikakis nous place sous le signe de l&rsquo;accumulation et du tragique. Accumulation des morts, pass&eacute;es ou &agrave; venir, derri&egrave;re lesquelles se trame la possibilit&eacute; d&rsquo;une autre mort, double cette fois, celle de l&rsquo;auteure et celle et du livre:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Combien de morts avant la fin de ce livre? Combien de coups de t&eacute;l&eacute;phone, d&rsquo;alarmes secr&egrave;tes et de sonneries du destin? Et puis la question de la fin du livre, comme fin non pr&eacute;vue, comme mort possible de l&rsquo;auteure que je ne pose pas, mais qui est dans chacun de mes mots, dans chacun de mes morts. (p. 92)</span></p> <p>La narratrice ne fera donc pas le r&eacute;cit d&rsquo;un seul deuil, tel qu&rsquo;il est souvent le cas<a name="_ftnref" href="#_ftn6"><strong>6</strong></a>&nbsp;&mdash;comme si l&rsquo;endeuill&eacute; devait &agrave; son mort une fid&eacute;lit&eacute; ind&eacute;fectible&mdash;, mais d&rsquo;une s&eacute;rie de deuils, de deuils de morts qui portent tous le m&ecirc;me pr&eacute;nom, Herv&eacute;: &laquo;Cette semaine, j&rsquo;ai encore perdu un Herv&eacute;, et statistiquement, c&rsquo;&eacute;tait pr&eacute;visible puisque tous mes amis s&rsquo;appellent Herv&eacute; et sont, pour la plupart, s&eacute;ropositifs.&raquo; (p. 13) Dans l&rsquo;univers de Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques, se pr&eacute;nommer Herv&eacute; et fr&eacute;quenter la narratrice repr&eacute;sentent les conditions m&ecirc;mes de la fatalit&eacute;, d&eacute;clare-t-elle: &laquo;Dans notre entourage, il ne fait pas toujours bon s&rsquo;appeler Herv&eacute;, ironiserais-je.&raquo; (p. 159) Situation extraordinaire qui &eacute;branle l&rsquo;enjeu de vraisemblance propre &agrave; l&rsquo;autofiction et d&eacute;tonne avec l&rsquo;esth&eacute;tique r&eacute;aliste maintenue autrement dans tout le texte. On peut ainsi en conclure que le pr&eacute;nom Herv&eacute; ne permet non pas d&rsquo;identifier les personnages &shy;&mdash;confront&eacute; &agrave; cette suite de Herv&eacute;, on perd tr&egrave;s rapidement pied&mdash; mais plut&ocirc;t de les rassembler sous un m&ecirc;me sens, sur lequel je reviendrai. Catherine, la narratrice, rejette d&rsquo;ailleurs le caract&egrave;re fig&eacute; qu&rsquo;on associe traditionnellement &agrave; l&rsquo;identit&eacute;:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce que je d&eacute;teste le plus chez les hommes, les homos comme les h&eacute;t&eacute;ros, c&rsquo;est leur assurance face &agrave; leur identit&eacute; sexuelle. [&hellip;] . Rien ne me d&eacute;go&ucirc;te plus qu&rsquo;une bande d&rsquo;homos ricanant d&rsquo;une fille qui les drague et qui se dit en minaudant: &laquo;Mais si elle savait&hellip;&raquo; Mais si elle savait quoi? Que l&rsquo;identit&eacute; prot&egrave;ge de tout? (p. 103)</span></p> <p>L&rsquo;identit&eacute; n&rsquo;est jamais d&eacute;finitive et ne doit en aucun cas servir de r&eacute;confort devant le caract&egrave;re multiple et fuyant de l&rsquo;&ecirc;tre. C&rsquo;est entre autres ce que nous donnent &agrave; voir tous ces Herv&eacute; qui d&eacute;filent dans le roman et ne sauraient &ecirc;tre circonscrits dans leur simple pr&eacute;nom.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Effigies</strong></span></p> <p>Certains Herv&eacute; sont vivants mais la plupart ont p&eacute;ri &mdash;tous du sida, mises &agrave; part les exceptions que je mentionnerai. Parmi cette suite de Herv&eacute; morts, il y a tout d&rsquo;abord le Herv&eacute; de la d&eacute;dicace, puis le Herv&eacute; enterr&eacute; &agrave; Montmartre, heidegerrien qui d&eacute;testait le bavardage et aimait les <em>Kindertotenlieder</em> (<em>Chants pour des enfants mort</em>s) de Mahler. Il y a ensuite Herv&eacute; Guibert &eacute;voqu&eacute; &agrave; maintes reprises, dont la narratrice est &laquo;impr&eacute;gn&eacute;e comme une &eacute;ponge&raquo; (p. 153), puis le Herv&eacute; mort dans l&rsquo;attentat d&rsquo;un m&eacute;tro londonien neuf ans auparavant. Il y a le Herv&eacute; metteur en sc&egrave;ne dont elle avait d&eacute;fendu l&rsquo;oeuvre, qui est apparu pour la premi&egrave;re fois &agrave; Catherine v&ecirc;tu de cuir noir et qui lui avait demand&eacute; de &laquo;trouver la bonne m&eacute;taphore de sa mort&raquo; (p. 41), puis le Herv&eacute; compagnon de ce dernier Herv&eacute;. Vient ensuite le Herv&eacute; psychanalyste p&eacute;dophile, suicid&eacute;, qui &eacute;tait son voisin et surtout pas son ami, puis un ami Herv&eacute; qui avait aper&ccedil;u un spectre avant d&rsquo;&ecirc;tre persuad&eacute; de son pouvoir sur la mort jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;elle le frappe quand il avait vingt-quatre ans, et un autre Herv&eacute;, voisin tr&egrave;s jeune qui s&rsquo;&eacute;tait mis &agrave; pleurer en voyant Sud, la chienne de Catherine. Il y a &eacute;galement le Herv&eacute; qui &eacute;tait son coiffeur et qu&rsquo;elle aimait tendrement, homme tr&egrave;s discret qui avait la m&ecirc;me date d&rsquo;anniversaire que la narratrice et &agrave; qui elle est demeur&eacute;e fid&egrave;le au-del&agrave; de sa mort, puis le Herv&eacute; jeune avocat superbe &eacute;pris de litt&eacute;rature slave. Il y a le Herv&eacute; suicid&eacute; pendu &agrave; son appareil de gymnastique, qu&rsquo;elle d&eacute;signe comme l&rsquo;un des &laquo;travailleurs du mourir&raquo; (p. 115) en raison de son suicide tr&egrave;s lent, puis un Herv&eacute; disparu en avion et un autre Herv&eacute; ami fran&ccedil;ais passionn&eacute; par la Gr&egrave;ce et le sexe des chevaux m&acirc;les. Il y a le Herv&eacute; abject, professeur au &laquo;charisme invers&eacute;&raquo; (p. 140) qui excitait la haine de tous et qui s&rsquo;est suicid&eacute; le jour de la mort de Balzac, puis Herv&eacute;, le cousin de Catherine mort jeune. Il y a aussi le Herv&eacute; que la narratrice et Olga, l&rsquo;amoureuse de celle-ci, ont aid&eacute; &agrave; mourir lorsque sa maladie est devenue insoutenable. Enfin, il y a Herv&eacute; dont on apprend uniquement qu&rsquo;il &laquo;est mort hier&raquo; (p. 191).</p> <p>Tout autant de rep&egrave;res qui ne servent pas tant &agrave; cerner l&rsquo;identit&eacute; de cette foule de Herv&eacute; qu&rsquo;&agrave; la faire fuir, au sens o&ugrave; un tuyau fuit, si on reprend l&rsquo;image de Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari<a name="_ftnref" href="#_ftn7"><strong>7</strong></a>, et auxquels on s&rsquo;accroche d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;ment pour tenter de se retrouver un peu parmi ce flux incessant. Le roman se structure ainsi comme une suite d&rsquo;effigies, entre lesquelles on voit la vie suivre son cours, &agrave; travers les rencontres de la narratrice, ses souvenirs et r&eacute;flexions, jusqu&rsquo;&agrave; un prochain rendez-vous avec la mort.&nbsp; La mort a d&eacute;j&agrave; eu lieu et continuera d&rsquo;avoir lieu nous dit l&rsquo;incipit: &laquo;J&rsquo;apprends la mort de mes amis comme d&rsquo;autres d&eacute;couvrent que leur billet de loterie n&rsquo;est toujours pas gagnant.&raquo; (p. 13) Pr&eacute;sent d&rsquo;habitude ancr&eacute; dans la fatalit&eacute; &agrave; laquelle seule une chance exceptionnelle pourrait permettre d&rsquo;&eacute;chapper mais en laquelle on s&rsquo;acharne &agrave; croire pour continuer d&rsquo;exister. Peut-&ecirc;tre un autre ami ne mourra-t-il pas? Peut-&ecirc;tre ne mourront-ils pas tous les uns apr&egrave;s les autres avec nous comme seul t&eacute;moin et unique survivant? Peut-&ecirc;tre la suite des Herv&eacute; morts cessera-t-elle enfin de grandir?</p> <p>S&rsquo;il appara&icirc;t plusieurs autres morts que les Herv&eacute; &mdash;le grand-p&egrave;re suicid&eacute; de la narratrice, l&rsquo;amant d&rsquo;un voisin propri&eacute;taire de chien, la grand-m&egrave;re de la narratrice, un vieux professeur d&rsquo;universit&eacute; nomm&eacute; Pierre Rochant, une jeune professeure d&rsquo;universit&eacute; qui n&rsquo;est pas nomm&eacute;e, le demi-fr&egrave;re de la narratrice, Patrick, la s&oelig;ur de son amie Carla, avocate assassin&eacute;e par la junte militaire en Argentine, puis Camille, la modiste de sa m&egrave;re, puis un ami pr&eacute;nomm&eacute; Piero et une morte c&eacute;l&egrave;bre, Lady Diana et d&rsquo;autres encore&mdash;, la narratrice ne porte cependant pas le deuil de ces autres morts. Les Herv&eacute; sont ses morts: &laquo;Je me remets &agrave; &eacute;crire sur Herv&eacute;. Je deviens de plus en plus m&eacute;lancolique, possessivement jalouse de mes morts.&raquo; (p. 39) Ce sont les morts auxquels elle est attach&eacute;e, souvent par amour mais parfois aussi par la haine:</p> <p class="rteindent2"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Les gens me trouvent malsaine de vouloir conna&icirc;tre les d&eacute;tails de sa mort. Mais comment enterrer quelqu&rsquo;un qu&rsquo;on d&eacute;testait ? Quelle pose prendre devant ce mort-l&agrave;? Je ne dirai pas du bien d&rsquo;Herv&eacute;. Je n&rsquo;en dirai que du mal, je dirai toute la v&eacute;rit&eacute;, toute ma v&eacute;rit&eacute;. Je n&rsquo;aurai pas de bons sentiments &agrave; son &eacute;gard, je ne le plaindrai pas. (p. 143)</span></p> <p>Devant ses morts, aim&eacute;s ou abhorr&eacute;s, la narratrice s&rsquo;impose un imp&eacute;ratif incontournable, celui de la v&eacute;rit&eacute;.&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le devoir des vivants face aux morts</strong></span></p> <p>Cette accumulation de rendez-vous avec la mort est la condition premi&egrave;re de l&rsquo;&eacute;criture pour la narratrice. Elle conf&egrave;re l&rsquo;autorit&eacute; suffisante pour &eacute;crire. Ainsi dit-elle &agrave; propos d&rsquo;un chauffeur de taxi rencontr&eacute; entre Qu&eacute;bec et Baie Saint-Paul:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ce type avait d&eacute;j&agrave; enterr&eacute; dix-neuf de ses amis, dont douze morts sur cette route. Pour quelqu&rsquo;un d&rsquo;une trentaine d&rsquo;ann&eacute;es, avoir tant de morts me parut v&eacute;ritablement une performance et je me demandai alors si ce n&rsquo;&eacute;tait pas &agrave; lui d&rsquo;&eacute;crire un livre sur les morts. Je ne revendique rien, surtout pas la mort&hellip; Il y aura toujours plus comp&eacute;tent ou plus dou&eacute; que moi dans le domaine. La mort n&rsquo;est malheureusement pas une chasse gard&eacute;e. (p. 25)</span></p> <p>L&rsquo;&eacute;criture est donc d&rsquo;abord fond&eacute;e sur la comp&eacute;tence accord&eacute;e par le contact direct et r&eacute;p&eacute;t&eacute; avec la mort et ensuite sur la justesse du dire. L&rsquo;&eacute;criture trouve son sens dans le devoir des vivants face aux morts, &agrave; plus forte raison celui de l&rsquo;&eacute;crivain, devoir qui rev&ecirc;t plusieurs formes. La narratrice tente de r&eacute;pondre &agrave; la demande du metteur en sc&egrave;ne mourant qui lui avait demand&eacute; de trouver une m&eacute;taphore pour sa mort:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Oui, trouver la bonne m&eacute;taphore de sa mort, c&rsquo;est ce qu&rsquo;Herv&eacute; me demanda dans ce caf&eacute; de gars, ce mardi apr&egrave;s-midi o&ugrave; nous nous v&icirc;mes pour la derni&egrave;re fois. C&rsquo;est qu&rsquo;il esp&eacute;rait que je l&rsquo;aide &agrave; &eacute;crire sa juste fa&ccedil;on de dire sa disparition. Je devrais trouver les mots qui proclament la v&eacute;rit&eacute; et qui apaiseraient les plaies que fait &agrave; nos chairs la vitesse du vivre. Il me fallait produire la bonne m&eacute;taphore que le th&eacute;&acirc;tre ne pouvait donner &agrave; Herv&eacute; et que seule l&rsquo;&eacute;criture lui promettait. L&rsquo;&eacute;criture&hellip; et moi. Moi, chemin vers la mort; moi, ex&eacute;cuteur testamentaire de ses livres posthumes; moi, critique litt&eacute;raire de ses &oelig;uvres; moi, m&eacute;moire de l&rsquo;&eacute;crit et de la parole. Moi, la litt&eacute;rature. (p. 41-42)</span></p> <p>Si la narratrice s&rsquo;acquitte de la t&acirc;che confi&eacute;e par Herv&eacute;, le metteur en sc&egrave;ne, en trouvant une m&eacute;taphore pour sa mort &mdash;dont elle dira qu&rsquo;il &laquo;est tout simplement mort consum&eacute; par sa propre &eacute;nergie que la maladie ne lui permettait plus de d&eacute;penser: Pneumocystis carinii&raquo; (p.&nbsp;36)&mdash;, celui-ci r&eacute;ussit, pour sa part, &agrave; formuler pour elle son travail d&rsquo;&eacute;crivain en lui faisant cette demande. Le travail de l&rsquo;&eacute;crivain face aux morts est donc &agrave; la fois celui bien connu de la rem&eacute;moration, mais aussi celui de l&rsquo;accompagnement du mourant vers sa mort en trouvant pour lui une &laquo;juste fa&ccedil;on de dire sa disparition&raquo;. Les morts de Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques, semblables en cela &agrave; ces revenants qui r&egrave;gnent dans les &oelig;uvres fantastiques, sont tourment&eacute;s et requi&egrave;rent l&rsquo;aide des vivants pour trouver le repos. Ce repos, ils le trouveront lorsque les vivants auront su d&eacute;crire leur disparition.</p> <p>S&rsquo;inscrivant dans la lign&eacute;e de Gilles Deleuze, tandis qu&rsquo;elle &eacute;voque <em>L&rsquo;Ab&eacute;c&eacute;daire</em>, un entretien film&eacute; de huit heures entre Claire Parnet et le philosophe, la narratrice compare son travail d&rsquo;&eacute;criture &agrave; celui du m&eacute;dium:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Par intermittence, Deleuze affirmait qu&rsquo;il faut &eacute;crire pour les animaux, les enfants ou les fous, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la place des animaux, des enfants ou des fous. Moi j&rsquo;&eacute;cris pour les morts. &Agrave; la place des morts. Ce n&rsquo;est pas que je sois un excellent m&eacute;dium ou que j&rsquo;aie plus de dons que les autres pour bavarder avec les morts. Mais comme Deleuze, je suis un peu perverse, je fais le mort et je crois n&rsquo;&ecirc;tre pas trop mauvaise dans ce r&ocirc;le. (p. 170)</span></p> <p>Son r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;crivaine est tr&egrave;s concret. Enti&egrave;rement d&eacute;di&eacute;e &agrave; ses morts, elle est celle qui parle &agrave; la place des morts, qui parle avec les morts. La parole privil&eacute;gi&eacute;e par la narratrice, elle le signale dans ce passage, est le bavardage. Elle l&rsquo;avait toutefois annonc&eacute; d&rsquo;entr&eacute;e de jeu. Au &laquo;d&eacute;voilement de l&rsquo;&ecirc;tre&raquo; recherch&eacute; par les heideggeriens, elle pr&eacute;f&egrave;re le bavardage: &laquo;Tous mes amis universitaires sont heideggeriens. Mais moi j&rsquo;aime parler et surtout hurler pour ne rien dire.&raquo; (p. 18) La narratrice situe ainsi la litt&eacute;rature non du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre, mais plut&ocirc;t du c&ocirc;t&eacute; du monde. Du c&ocirc;t&eacute; des hommes et des morts. Ce bavardage, par lequel elle d&eacute;finit &agrave; la fois sa parole et son mode de conversation avec les morts &mdash;elle dira qu&rsquo;il &laquo;n&rsquo;est de conversation qu&rsquo;avec les morts, qu&rsquo;avec Mahler ou qu&rsquo;avec ceux qui se sont tus&raquo; (p. 21)&mdash; rassemble l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une parole aussi abondante qu&rsquo;inutile avec celle d&rsquo;une parole qui divulgue les secrets: &laquo;La trahison, elle est l&agrave;, d&egrave;s les premi&egrave;res lignes que je veux bavardes; elle est en moi.&raquo; (p. 19) Toute tra&icirc;tresse que soit sa parole, la narratrice travaillera cependant tout au long &agrave; d&eacute;crire les m&eacute;canismes d&eacute;licats du secret et de l&rsquo;aveu, surtout celui du sida. La narratrice &eacute;crit par exemple dans ce passage bouleversant et &agrave; maints &eacute;gards proustien&nbsp;:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><span style="background-color: rgb(255, 255, 255);">Il s&rsquo;&eacute;tait ramass&eacute; &agrave; l&rsquo;h&ocirc;pital et avait fini &laquo;No&euml;l sur le dos&raquo;, comme il me le raconta en riant. &laquo;J&rsquo;ai le syst&egrave;me immunitaire fragile&raquo;, avait-il ajout&eacute; pour que je comprenne. Mais je ne compris rien et pourtant j&rsquo;ai enregistr&eacute; ses paroles &agrave; m&ecirc;me mes entrailles. Elles retentissent en moi maintenant de fa&ccedil;on effroyable.&nbsp;Comment ai-je pu les entendre, les conserver et ne pas les d&eacute;crypter? Est-ce cela le sens de la semi-conserve? Paroles sibyllines entendues, dont le vrai sens m&rsquo;&eacute;chappe, conserv&eacute;es pour plus tard, quand je pourrai les entendre, impuissante.&nbsp; (p. 87-88)</span></span></p> <p>&Agrave; l&rsquo;image du narrateur de <em>La Recherche du temps perd</em>u, la narratrice de <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> r&eacute;interpr&egrave;te apr&egrave;s coup l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement dont elle n&rsquo;avait pas su comprendre le sens. Cette d&eacute;faillance de l&rsquo;interpr&eacute;tation est toutefois illustr&eacute;e ici dans ses cons&eacute;quences les plus tragiques. N&rsquo;ayant pas su d&eacute;chiffrer l&rsquo;aveu, la narratrice ne put r&eacute;pondre &agrave; la demande formul&eacute;e dans l&rsquo;aveu masqu&eacute;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le triste savoir</strong></span></p> <p>Malgr&eacute; la venue &agrave; l&rsquo;&eacute;criture que permet le contact r&eacute;p&eacute;t&eacute; avec les morts, cette accumulation de rendez-vous n&rsquo;en est pas moins re&ccedil;ue et d&eacute;crite comme une fatalit&eacute; par la narratrice. Ainsi &eacute;voque-t-elle son amoureuse &agrave; qui elle &laquo;ne [fait] qu&rsquo;apporter des morts p&ecirc;le-m&ecirc;le. Dans des charrettes toutes pleines.&raquo; (p. 22) De m&ecirc;me n&rsquo;apporte-t-elle au lecteur que des morts p&ecirc;le-m&ecirc;le. Dans des pages toutes pleines de Herv&eacute;. La narratrice transmet ce faisant &agrave; son amoureuse et au lecteur son triste savoir, fa&ccedil;onn&eacute; autant par ses rendez-vous sans fin avec la mort que dans son constat de la disparition de l&rsquo;humanit&eacute;: &laquo;Je sais la cruaut&eacute; de mes paroles et l&rsquo;horreur qu&rsquo;elles provoquent en moi. C&rsquo;est la cruaut&eacute; qui nous tuera, notre inhumanit&eacute;. Je constate que je deviens dure, insensible. Le constat est la seule humanit&eacute; qui me reste.&raquo; (p. 91) Dans ce triste savoir, c&rsquo;est son reste d&rsquo;humanit&eacute; qu&rsquo;elle transmet.</p> <p>La transmission de son triste savoir s&rsquo;inscrit donc &agrave; la suite de la fatalit&eacute; qui frappe la narratrice. Il y a dans la fatalit&eacute;, telle qu&rsquo;elle est repr&eacute;sent&eacute;e, quelque chose de la contamination. D&rsquo;une fa&ccedil;on tr&egrave;s &eacute;vidente et pr&eacute;cise, bien s&ucirc;r, puisque cette fatalit&eacute; survient surtout sous l&rsquo;action du sida, mais plus globalement aussi. Tout ce qui entoure la mort nous menace de contamination. Dans son essai <em>La Violence et le sacr&eacute;</em>, Ren&eacute; Girard d&eacute;crit la terreur de la contamination par la violence qui habitait les membres des soci&eacute;t&eacute;s dites primitives:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il n&rsquo;y a qu&rsquo;un moyen d&rsquo;&eacute;viter l&rsquo;impuret&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le contact avec la violence, et c&rsquo;est de s&rsquo;&eacute;loigner. Aucune id&eacute;e de devoir ou d&rsquo;interdiction morale n&rsquo;est pr&eacute;sente. La contamination est un danger terrible auquel seuls, en v&eacute;rit&eacute;, les &ecirc;tres d&eacute;j&agrave; impr&eacute;gn&eacute;s d&rsquo;impuret&eacute;, d&eacute;j&agrave; contamin&eacute;s, n&rsquo;h&eacute;sitent pas &agrave; s&rsquo;exposer.</span><a name="_ftnref" href="#_ftn8"><strong>8</strong></a><a name="_ftnref" href="#_ftn8"></a>&nbsp;</p> <p>Cette terreur, nos contemporains se targuent d&rsquo;en &ecirc;tre affranchis, nous dit Girard &laquo;parce que [la mentalit&eacute; moderne] ne croit pas &agrave; la contagion, except&eacute; dans le cas des maladies microbiennes<a name="_ftnref" href="#_ftn9"><strong>9</strong></a>&raquo; La narratrice reconna&icirc;t au contraire ce danger de contagion et le pr&ecirc;te &agrave; son livre, porteur de tant de morts: &laquo;Ce livre lui-m&ecirc;me est contamin&eacute; par la mort et si on le traite comme un paria, je comprendrai.&raquo; (p. 173) Cet avertissement qui pourrait se solder par l&rsquo;exclusion du livre traduit la volont&eacute; d&rsquo;une litt&eacute;rature capable d&rsquo;agir sur le monde exprim&eacute;e dans tout le livre. Si on croit la litt&eacute;rature capable d&rsquo;agir sur le monde et si l&rsquo;on croit en la contamination, ce livre pr&eacute;sente un r&eacute;el danger. L&rsquo;exclusion du livre devient donc en quelque sorte un objet de d&eacute;sir puisqu&rsquo;elle attesterait de la vitalit&eacute; de la litt&eacute;rature.</p> <p>Or, ce qui est plus que tout redout&eacute; par la narratrice par rapport &agrave; la litt&eacute;rature, ce qu&rsquo;elle rejette le plus violemment, c&rsquo;est une litt&eacute;rature rel&eacute;gu&eacute;e au statut de culture morte, pur r&eacute;sidu du pass&eacute; sans existence dans le monde actuel. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que d&eacute;nonce ce passage magnifiquement virulent o&ugrave; la narratrice croise d&rsquo;anciens &eacute;tudiants &agrave; elle devant &laquo;l&rsquo;universit&eacute; la plus prestigieuse en Am&eacute;rique du Nord, l&rsquo;universit&eacute; des riches anglophones et des francophones parvenus qui r&ecirc;vent d&rsquo;oublier leurs origines&raquo; (p. 70) o&ugrave; ceux-ci sont d&eacute;sormais inscrits. Devant ce choix de ses anciens &eacute;tudiants, elle s&rsquo;insurge:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Ils sont fiers de me montrer qu&rsquo;ils ont suivi mes traces, je les renie et bien plus que trois fois. J&rsquo;ai pass&eacute; tant d&rsquo;heures &agrave; leur montrer que la litt&eacute;rature leur permettrait d&rsquo;&eacute;viter ce genre d&rsquo;universit&eacute;. Je me suis tellement &eacute;puis&eacute;e &agrave; leur dire de travailler sur autre chose que sur des textes reconnus par l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante et si peu engag&eacute;e. On ne doit pas tous &eacute;crire sa th&egrave;se sur Gabrielle Roy! Je ne veux plus rien avoir &agrave; faire avec ces &eacute;tudiants! Je les maudis. (p. 71)</span></p> <p>Cette universit&eacute; appara&icirc;t ici comme le symbole de la litt&eacute;rature comme culture morte. &Agrave; cet &eacute;gard, la premi&egrave;re &eacute;dition du texte s&rsquo;av&egrave;re encore plus radicale:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">J&rsquo;ai pass&eacute; tant d&rsquo;heures &agrave; leur montrer que la litt&eacute;rature, c&rsquo;&eacute;tait aussi ne pas aller &agrave; cette universit&eacute;, je me suis tellement &eacute;puis&eacute;e &agrave; leur dire de travailler sur autre chose que Gabrielle Roy et toute l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante et pas du tout engag&eacute;e, que je ne veux plus rien avoir &agrave; faire avec eux. Je les maudis</span><a name="_ftnref" href="#_ftn10"><strong>10</strong></a><a name="_ftnref" href="#_ftn10"></a>.</p> <p>Dans la nouvelle &eacute;dition de <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> cette universit&eacute; n&rsquo;est plus compl&egrave;tement incompatible avec la litt&eacute;rature telle qu&rsquo;elle devrait &ecirc;tre pratiqu&eacute;e selon la narratrice mais pourrait simplement &ecirc;tre &eacute;vit&eacute;e. La narratrice formule une suggestion et non plus une interdiction. Il en est de m&ecirc;me pour Gabrielle Roy sur laquelle il est d&eacute;sormais permis d&rsquo;&eacute;crire en autant que d&rsquo;autres &eacute;tudiants &eacute;crivent sur d&rsquo;autres auteurs moins reconnus par &laquo;l&rsquo;institution litt&eacute;raire bien pensante si peu engag&eacute;e&raquo;. &laquo;Si peu engag&eacute;e&raquo; et non plus &laquo;pas du tout engag&eacute;e&raquo;. Le mot est lanc&eacute;: engagement.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La vie juste</strong></span></p> <p>Mais en quoi consiste l&rsquo;engagement de la litt&eacute;rature? Comment la litt&eacute;rature peut-elle agir sur le monde? Comment, plus particuli&egrave;rement, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em> agit-il sur le monde? D&rsquo;abord par l&rsquo;affect qu&rsquo;il provoque. La narratrice &eacute;voque les paroles prononc&eacute;es par un ami lors d&rsquo;un hommage rendu &agrave; une jeune coll&egrave;gue morte:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je voudrais que mes mots ici soient comme ceux de Bob, cruels et maladroits, mais avant tout cruels et maladroits &agrave; mes propres yeux, contre moi-m&ecirc;me. Je veux des mots qui me fassent souffrir quand je parle de mes morts, des mots qui me fassent grincer des dents, qui me fassent mal, encore et toujours, des morts que je sente tra&icirc;tres. Je refuse la parole anesth&eacute;siante. La parole qui console, la parole qui pardonne. (p.77)</span></p> <p>La litt&eacute;rature, telle qu&rsquo;elle la d&eacute;sire provoque donc un affect qui doit conduire vers une action sur le monde. En refusant d&rsquo;anesth&eacute;sier le sujet par des mots rassurants, en refusant de m&eacute;nager le lecteur, en le poussant au contraire dans ses derniers retranchements, la litt&eacute;rature le rend disponible &agrave; l&rsquo;action. Ce passage dresse ainsi un v&eacute;ritable programme &eacute;thique et esth&eacute;tique qu&rsquo;on pourrait associer &agrave; ce que Theodor W. Adorno nomme une &laquo;doctrine de la vie juste<a name="_ftnref" href="#_ftn11"><strong>11</strong></a>&raquo; dans sa d&eacute;dicace de <em>Minima Moralia</em>.</p> <p>&Agrave; travers la r&eacute;inscription du deuil au sein des vies de ses contemporains d&eacute;fendue par ce texte&mdash;ses contemporains dont elle raille la fausse d&eacute;sinvolture par rapport &agrave; la mort qui exige de savoir rigoler dans un enterrement (p. 184)&mdash;, &agrave; travers les attitudes envers les morts, les vivants et les animaux auxquelles la narratrice en appelle autant dans ses d&eacute;nonciations, dans ses r&eacute;cits que dans ses r&eacute;flexions, elle jette les bases d&rsquo;un retour &agrave; une vie plus humaine. Un des passages les plus embl&eacute;matiques &agrave; cet &eacute;gard survient &agrave; la fin du roman, lorsque la narratrice &eacute;voque sa rencontre dans la rue avec un chat mort qu&rsquo;elle a laiss&eacute; derri&egrave;re elle:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">En promenant Sud, j&rsquo;ai aper&ccedil;u de loin un chat mort, couch&eacute; sur son petit flanc. Je me suis approch&eacute;e en tenant Sud en laisse et j&rsquo;ai pu voir que ce chat portait un collier et une m&eacute;daille autour de son coup fragile, trop fragile. Ce chat a &eacute;t&eacute; heurt&eacute; par une voiture. Je suis rest&eacute;e longtemps &agrave; l&rsquo;observer, les larmes affluant &agrave; mes yeux. Mais je ne l&rsquo;ai pas pris dans mes bras, je ne l&rsquo;ai pas ramen&eacute; chez moi, je ne l&rsquo;ai pas touch&eacute;, ni r&eacute;chauff&eacute;, ni caress&eacute;, ni berc&eacute;, ni enterr&eacute;. Je suis partie et j&rsquo;ai couru jusqu&rsquo;au premier t&eacute;l&eacute;phone, afin de pr&eacute;venir les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes qui viendront le ramasser, ce petit chat&hellip; Je l&rsquo;ai laiss&eacute; l&agrave; sur le terrain, en me lavant les mains de ce corps que j&rsquo;avais trouv&eacute;. Tout le monde me dit que j&rsquo;ai bien agi, mais je ne dors plus. Ce petit chat me hante. Il para&icirc;t que j&rsquo;ai fait comme il fallait&hellip; Pourtant j&rsquo;ai honte. Honte d&rsquo;avoir fait mon devoir sans plus, de ne pas avoir pris soin de cette b&ecirc;te. J&rsquo;ai g&eacute;r&eacute; la mort, moi la manager en affaires fun&eacute;raires&hellip; Je n&rsquo;ai pas pay&eacute; de ma personne cette rencontre avec le petit chat. &Agrave; quatre heures du matin, je me r&eacute;veille en sueur: &laquo;&Agrave; combien d&rsquo;amis ai-je fait le coup? Quelqu&rsquo;un me ramassera-t-il un jour sur le bord du chemin?&raquo; La toilette fun&eacute;raire, il faut bien que quelqu&rsquo;un la fasse pour le mort, et les institutions, les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes, les salons fun&eacute;raires ne sont pas l&agrave; pour cela. Au contraire. (p. 185-186)</span></p> <p>Par sa r&eacute;action devant cet animal, qu&rsquo;elle a pleur&eacute; et pourtant abandonn&eacute;, dont elle a laiss&eacute; aux autorit&eacute;s le soin de s&rsquo;en occuper, c&rsquo;est-&agrave;-dire de disposer du cadavre, de la m&ecirc;me fa&ccedil;on qu&rsquo;on r&eacute;colte les ordures, la narratrice nous dit avoir renonc&eacute; &agrave; son humanit&eacute;. Le retour &agrave; l&rsquo;humanit&eacute; repose donc d&rsquo;abord dans cet acte fondateur de la toilette des morts et dans cette exhortation &agrave; &laquo;payer de notre personne&raquo; nos rencontres, &agrave; agir en humain afin de pouvoir &eacute;chapper enfin &agrave; ce monde administr&eacute;.</p> <p>&nbsp;</p> <p><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;Dans sa critique parue dans Le Devoir, Danielle Laurin &eacute;crivait: &laquo;La grande nouvelle, cependant, c'est qu'&Agrave; ciel ouvert est un roman. Fini l'autofiction. M&ecirc;me si on reste dans les m&ecirc;mes obsessions: le sexe, le sexe, le sexe. [&hellip;] Mais peut-on bl&acirc;mer les &eacute;crivains de creuser toujours le m&ecirc;me sillon? Oui. Prenez l'auteure de La Honte, justement, Annie Ernaux. &Agrave; qui on reproche de se r&eacute;p&eacute;ter. D'aller trop loin dans la r&eacute;v&eacute;lation de son intimit&eacute;, aussi. &lsquo;J'ai essay&eacute; d'&eacute;crire <em>Folle</em> &agrave; la troisi&egrave;me personne, mais je n'y suis pas arriv&eacute;e&rsquo;, m'avait confi&eacute; Nelly Arcan &agrave; la sortie de son deuxi&egrave;me livre, en 2004. Pari r&eacute;ussi avec<em> &Agrave; ciel ouvert</em>.&raquo; Danielle Laurin, &laquo;<a href="http://www.ledevoir.com/2007/08/25/154525.htm">B&ecirc;te de texte</a>&raquo;, Le Devoir, 25 et 26 ao&ucirc;t 2007, en ligne,&nbsp;consult&eacute; le 22 novembre 2009.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a>&nbsp;http://catherinemavrikakis.com</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn3" href="#_ftnref"><strong>3</strong></a>&nbsp;On peut lire dans la pr&eacute;face de la r&eacute;&eacute;dition: &laquo;Depuis quelques ann&eacute;es le livre &eacute;tait introuvable. &Agrave; un moment o&ugrave; <em>Le ciel de Bay City</em> fait d&eacute;couvrir &agrave; un plus large public l&rsquo;&eacute;criture de Mavrikakis, il fallait rendre &agrave; nouveau disponible ce roman p&eacute;remptoire et hallucin&eacute;, dans lequel se devinent d&eacute;j&agrave; les livres &agrave; venir.&raquo;&nbsp; Catherine Mavrikakis, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancoliques</em>, Montr&eacute;al, H&eacute;liotrope, 2009 [2000], p. 8. Cette affirmation inattendue nous pr&eacute;sente le texte comme un roman &laquo;hallucin&eacute;&raquo;, non comme le produit de la r&eacute;alit&eacute; mais celui d&rsquo;une fabulation de l&rsquo;auteure.</p> <p><a name="_ftn4" href="#_ftnref"><strong>4</strong></a>&nbsp;Marie Darrieussecq, &laquo;L&rsquo;autofiction, un genre pas s&eacute;rieux&raquo;, <em>Po&eacute;tique</em>, no 107, automne 1996, p.369-370.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn5" href="#_ftnref"><strong>5</strong></a>&nbsp;Catherine Mavrikakis, <em>Condamner &agrave; mort. Les meurtres et la loi &agrave; l&rsquo;&eacute;cra</em><em>n</em>, Montr&eacute;al, Les Presses de l&rsquo;Universit&eacute; de Montr&eacute;al, 2005, p. 151-152.</p> <p><a name="_ftn6" href="#_ftnref"><strong>6</strong></a>&nbsp;Sur les pages de Salon double il a par exemple &eacute;t&eacute; question de l&rsquo;essai de Philippe Forest <em>Tous les enfants sauf un</em> [2007] (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/38">Le sens &agrave; l'&eacute;preuve de la mort</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009), qui donne suite &agrave; ses deux premiers romans, <em>L&rsquo;Enfant &eacute;ternel</em> [1997] et <em>Toute la nuit</em> [1999] dans lesquels il relate le deuil de sa fille, ainsi que de <em>Ce matin </em>[2009] de S&eacute;bastien Rongier&nbsp; (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/105">Traces, trac&eacute;s, trajets : itin&eacute;raires d'un fils en deuil</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009) o&ugrave; le narrateur raconte le deuil de sa m&egrave;re, et de Dieu Jr. [2005] (<a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/139">Game Over</a>, consult&eacute; le 22 novembre 2009) de Dennis Cooper qui fait &eacute;galement le r&eacute;cit d&rsquo;un homme endeuill&eacute; par la mort de son enfant. Il ne s&rsquo;agit l&agrave; que de quelques exemples qui m&rsquo;apparaissent traduire une tendance plus g&eacute;n&eacute;rale.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn7" href="#_ftnref"><strong>7</strong></a>&nbsp;Deleuze et Guattari &eacute;crivent &agrave; propos de Kafka: &laquo;D&eacute;j&agrave;, dans les nouvelles animales, Kafka tra&ccedil;ait des lignes de fuite; mais il ne fuyait pas &lsquo;hors du monde&rsquo;, c&rsquo;&eacute;tait bien plut&ocirc;t le monde et sa repr&eacute;sentation qu&rsquo;il faisait fuir (au sens o&ugrave; un tuyau fuit) et qu&rsquo;il entra&icirc;nait sur ces lignes.&raquo; Gilles Deleuze et F&eacute;lix Guattari, <em>Kafka &minus; pour une litt&eacute;rature mineure</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 1975, p. 85.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn8" href="#_ftnref"><strong>8</strong></a>&nbsp;Ren&eacute; Girard, <em>La Violence et le sac</em>r&eacute;, Paris, Grasset, 1972, p. 48.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn9" href="#_ftnref"><strong>9</strong></a>&nbsp;Ibid., p. 391.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn10" href="#_ftnref"><strong>10</strong></a>&nbsp;Catherine Mavrikakis, <em>Deuils cannibales et m&eacute;lancolique</em><em>s</em>, Laval, Trois, 2000, p. 70.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn11" href="#_ftnref"><strong>11</strong></a>&nbsp;&laquo;Le triste savoir dont j'offre ici quelques fragments &agrave; celui qui est mon ami concerne un domaine qui, il y a maintenant bien longtemps, &eacute;tait reconnu comme le domaine propre de la philosophie ; mais depuis que cette derni&egrave;re s'est vue transform&eacute;e en pure et simple m&eacute;thodologie, il est vou&eacute; au m&eacute;pris intellectuel, &agrave; l'arbitraire silencieux, et pour finir, &agrave; l'oubli : il s'agit de la doctrine de la vie juste (das richtige Leben).&raquo; Theodor W. Adorno, <em>Minima Moralia</em>, traduit de l&rsquo;allemand par &Eacute;liane Kaufholz et Jean-Ren&eacute; Ladmiral, Paris, Payot, coll. &laquo;Petite biblioth&egrave;que Payot&raquo;, 2001 [1951], p.&nbsp;9.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-paria#comments ADORNO, Theodor W. Autofiction Autofiction DARRIEUSSECQ, Marie DELEUZE, Gilles Engagement GIRARD, René Identité MAVRIKAKIS, Catherine Mort Québec Tue, 22 Dec 2009 16:26:00 +0000 Julie Boulanger 206 at http://salondouble.contemporain.info