Salon double - GAILLY, Christian http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/239/0 fr Sous le signe de l'amour http://salondouble.contemporain.info/lecture/sous-le-signe-de-lamour <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/asselin-viviane">Asselin, Viviane</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/les-oublies">Les oubliés</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify" texte="">En lisant <em>Les oubli&eacute;s</em>, on imagine ais&eacute;ment Albert Brighton et Paul Schooner, personnages journalistes du roman, rencontrer Christian Gailly pour leur chronique culturelle &laquo;Que sont-ils devenus?&raquo;, d&eacute;di&eacute;e aux artistes qui ont disparu de la sc&egrave;ne publique. Non pas que Gailly ne se rappelle pas r&eacute;guli&egrave;rement au souvenir de ses lecteurs &ndash; treize livres en vingt ans de m&eacute;tier &ndash;, mais il suffit d&rsquo;avoir parcouru les rares entrevues de l&rsquo;auteur<a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a> pour soup&ccedil;onner que ces &laquo;oubli&eacute;s&raquo; qui baptisent le dernier opus concernent, au moins en partie, ses propres romans. Il ne craint pas tant l&rsquo;oubli qu&rsquo;il le sait in&eacute;vitable; il tente de s&rsquo;accommoder du peu de valeur accord&eacute;e aujourd&rsquo;hui &agrave; la litt&eacute;rature &ndash; et &agrave; la sienne en particulier, peut-&ecirc;tre.</p> <p>&laquo;C&rsquo;&eacute;tait quand m&ecirc;me leur treizi&egrave;me mission. &Ccedil;a commen&ccedil;ait &agrave; bien faire. Le m&ecirc;me chagrin derri&egrave;re la m&ecirc;me grandeur. Que ce soit celle du peintre Marcel Soti. Le compositeur Paul C&eacute;drat. Le jazzman Simon Nardis. L&rsquo;&eacute;crivain Martin Fissel. Le sculpteur Louis Pr&eacute;delle.&raquo; (p. 19) Pour qui est familier avec l&rsquo;&oelig;uvre du romancier, il reconna&icirc;tra l&agrave; les personnages de <em>L&rsquo;air</em><a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> (1991), de<em> Dernier amour</em> (2004), d&rsquo;<em>Un soir au club</em> (2002) et de <em>La passion de Martin Fissel-Brandt</em> (1998). Par voie de cons&eacute;quence, il s&rsquo;interrogera sur l&rsquo;identit&eacute; de ce Pr&eacute;delle, qu&rsquo;il d&eacute;couvrira &ecirc;tre l&rsquo;amant avou&eacute; de l&rsquo;&eacute;pouse de Brighton &ndash; un m&eacute;nage &agrave; trois pour un couple dont l&rsquo;amour s&rsquo;essouffle. Surtout, le lecteur renouera avec celle que Gailly lui permet rarement d&rsquo;oublier d&rsquo;un livre &agrave; l&rsquo;autre: Suzanne qui, apr&egrave;s avoir notamment incarn&eacute; une employ&eacute;e de bureau dans <em>L&rsquo;incident</em> (1996) et une pourvoyeuse dans <em>Nuage rouge</em> (2000), appara&icirc;t cette fois sous les traits d&rsquo;une violoncelliste qui s&rsquo;est jadis retir&eacute;e en pleine gloire. &laquo;Catastrophe mentale? [&hellip;] Drame terrible? Perdition? D&eacute;pression? Destruction totale, du c&oelig;ur, de l&rsquo;&acirc;me, de l&rsquo;&ecirc;tre? D&eacute;sespoir? D&eacute;possession? Errement [sic]?&raquo; (p. 89) Le myst&egrave;re de sa soudaine retraite incite Albert Brighton et Paul Schooner &agrave; lui consacrer leur treizi&egrave;me article.</p> <p>Sauf que. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on que les anciennes c&eacute;l&eacute;brit&eacute;s interview&eacute;es ont d&eacute;gringol&eacute; la pente du succ&egrave;s, Schooner, dont les reportages en collaboration avec Brighton sont fort appr&eacute;ci&eacute;s du lectorat, conna&icirc;t un sort tout aussi triste. En route vers la Bretagne pour y rencontrer Suzanne Moss, les deux journalistes ont un accident de voiture a priori sans gravit&eacute;, mais des suites desquelles Schooner meurt &eacute;trangement. </p> <p>Apr&egrave;s ce drame inaugural, que reste-t-il &agrave; raconter? Brighton pr&eacute;vient l&rsquo;&eacute;pouse de son coll&egrave;gue. Il est re&ccedil;u &laquo;avec une gifle d&rsquo;une violence peu commune&raquo; (p. 47). Il veille sur leurs deux enfants pendant qu&rsquo;elle se pr&eacute;cipite &agrave; la morgue. &laquo;Deux jeunes vies contre la mort&raquo; (p. 53). Il assiste aux obs&egrave;ques &agrave; contrec&oelig;ur, indign&eacute; de l&rsquo;incin&eacute;ration de son ami. &laquo;La cr&eacute;mation est une pratique barbare. Une volont&eacute; d&rsquo;an&eacute;antissement. La destruction totale de l&rsquo;&ecirc;tre&raquo; (p. 77). Il se r&eacute;sout &agrave; r&eacute;aliser l&rsquo;entrevue avec Moss, en souvenir de Schooner, pour qu&rsquo;il &laquo;ne soit pas mort pour rien&raquo; (p. 94). Il n&rsquo;a d&rsquo;autre choix que de s&rsquo;enticher de la musicienne d&eacute;chue, car il veut &laquo;continuer &agrave; vivre [et] continuer &ccedil;a veut dire aimer&raquo; (p. 125). &laquo;Et ils se sont aim&eacute;s. Et &ccedil;a s&rsquo;est bien pass&eacute; &raquo; (p. 140).<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> <strong>&laquo;&lsquo;&lsquo;Les Oubli&eacute;s&rsquo;&rsquo; c&rsquo;est mieux. Plus parlant. Plus &eacute;mouvant&raquo; (p. 83)<br /> </strong></span></p> <p align="justify" texte="">Chez Gailly, l&rsquo;amour surgit souvent de cette fa&ccedil;on, moins comme un coup de foudre que comme une fatalit&eacute; naturelle. &laquo;Le faut-il? Il le faut&raquo;, reprenait-il de Beethoven (&laquo;<em>Mu&beta; es sein? Es mu&beta; sein!</em>&raquo;) en exergue dans <em>La passion de Martin Fissel-Brandt</em>. Aussi, sur la quatri&egrave;me de couverture des <em>Oubli&eacute;s</em>: &laquo;T&ocirc;t ou tard. &Ccedil;a nous arrivera. On nous oubliera&raquo;: une m&ecirc;me in&eacute;luctabilit&eacute; que les personnages accueillent g&eacute;n&eacute;ralement sans r&eacute;sister ni rechigner. Tout se passe comme si, humbles devant les choses qui les d&eacute;passent (l&rsquo;amour, la mort, la beaut&eacute;, la musique, l&rsquo;&eacute;criture&hellip;), ils pr&eacute;f&eacute;raient s&rsquo;en tenir &agrave; l&rsquo;infime et au concret, &agrave; ce qui se formule et se con&ccedil;oit ais&eacute;ment. D&rsquo;o&ugrave; une narration it&eacute;rative qui compulse les moindres d&eacute;tails, offrant &agrave; ses acteurs un environnement rassurant, mais provoquant parfois une l&eacute;g&egrave;re naus&eacute;e chez le lecteur qui relit en boucle les m&ecirc;mes &eacute;nonc&eacute;s d&eacute;risoires. Encore que, dans <em>Les oubli&eacute;s</em>, l&rsquo;obsession appara&icirc;t beaucoup moins vertigineuse qu&rsquo;ailleurs dans l&rsquo;&oelig;uvre de Gailly (<em>L&rsquo;air</em>, entre autres); l&rsquo;attention excessive &agrave; certains faits peut alors &ecirc;tre per&ccedil;ue comme un trait d&rsquo;humour<a name="note3" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>, poussant la banalit&eacute; &agrave; ses extr&ecirc;mes limites:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Elle s&rsquo;appelait Suzanne Moss. Moss? Oui, comme ce port de Norv&egrave;ge, dans une baie, &agrave; l&rsquo;est du fjord d&rsquo;Oslo. Il para&icirc;t que c&rsquo;est tr&egrave;s beau. Schooner n&rsquo;y est jamais all&eacute;. Brighton non plus. <br /> Moss, c&rsquo;est aussi le nom d&rsquo;un pilote de course britannique. Mais qui se souvient de lui? &Agrave; part Brighton? Schooner n&rsquo;en avait jamais entendu parler. Stirling Moss, tr&egrave;s c&eacute;l&egrave;bre en son temps. <br /> </span></p> <p align="justify" texte="" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Savez-vous que tout en haut, dans le nord de l&rsquo;Europe, il existe un port qui s&rsquo;appelle comme vous? Une question comme une autre. Faisant partie de celles que Brighton envisageait pour commencer. Il faut bien. D&rsquo;une mani&egrave;re ou d&rsquo;une autre. C&rsquo;est difficile. Lui et Schooner ne savaient pas ce qu&rsquo;ils allaient trouver. Sur qui ils allaient tomber. Quel type de caract&egrave;re.<br /> Elle appartient peut-&ecirc;tre, qui sait, &agrave; la famille du coureur automobile, dit Brighton. Tu crois que je peux le lui demander? Sans risquer de la froisser? J&rsquo;en doute, r&eacute;pondit Schooner. Je doute qu&rsquo;elle appr&eacute;cie. Qu&rsquo;une artiste de sa qualit&eacute; appr&eacute;cie d&rsquo;&ecirc;tre m&ecirc;l&eacute;e &agrave; des courses de bagnoles, m&ecirc;me aristocratiques comme dans le temps (p. 12-13)</span></p> <p align="justify" texte="">Si humour il y a, il demeure cependant discret, car le style de Gailly &eacute;vite tout flamboiement. Les marques sensibles semblent gomm&eacute;es par la sobri&eacute;t&eacute; narrative, laquelle vaut &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain l&rsquo;&eacute;tiquette de &laquo;minimaliste&raquo; chez la critique, en cela repr&eacute;sentatif d&rsquo;une certaine &laquo;&eacute;cole de Minuit<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>&raquo;. Ainsi, la r&eacute;duction de l&rsquo;intrigue en un encha&icirc;nement de faits l&acirc;chement li&eacute;s, la pr&eacute;dominance d&rsquo;un discours chirurgical sur un r&eacute;cit enveloppant, et l&rsquo;adoption d&rsquo;un ton laconique et d&rsquo;une syntaxe saccad&eacute;e inspirent d&rsquo;abord un sentiment de compte rendu clinique. En fait, cela est surtout vrai pour les premiers r&eacute;cits de l&rsquo;auteur; dans <em>Les oubli&eacute;s</em>, la simplicit&eacute; d&rsquo;une &eacute;criture plus d&eacute;tendue, moins heurt&eacute;e, tend &agrave; favoriser une rencontre plus sensible avec le lecteur. Certes, l&rsquo;amour manque de passion, la mort manque de douleur, mais la d&eacute;tresse de Brighton n&rsquo;est pas moins palpable, ne serait-ce que dans son r&eacute;flexe de s&rsquo;attarder &agrave; des d&eacute;tails insignifiants qui l&rsquo;emp&ecirc;chent de &laquo;[c&eacute;der] de partout&raquo; (p. 57) Il faut y voir la difficult&eacute; de traduire l&rsquo;&eacute;motion en mots. Il n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs pas innocent que le texte se referme sur un <em>miaulement </em>d&rsquo;amour: &laquo;Mia-mia, r&eacute;pondit Franklin [le chat de Suzanne Moss]. Je ne comprends pas, dit Brighton. Puis il entendit la voix de Moss: Il dit qu&rsquo;il vous aime&raquo; (p. 141) Ce Franklin, c&rsquo;est aussi celui &agrave; qui est d&eacute;di&eacute; le r&eacute;cit, inscrivant ainsi la trajectoire du livre sous le signe de l&rsquo;amour. D&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, le roman le sauve de l&rsquo;oubli.<br /> &nbsp;</p> <p align="justify" texte=""><a name="note1a" href="#note1">1</a>Notamment le portrait r&eacute;alis&eacute; par Nathalie Crom, &laquo;Les mots blues&raquo;,&nbsp;<em>T&eacute;l&eacute;rama</em>, reproduit sur le site des&nbsp;<em>&Eacute;ditions de Minuit</em>,&nbsp;<a title="http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&amp;livre_id=2515" href="http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&amp;livre_id=2515">http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&amp;livre_id=2515</a>. [Consult&eacute; le 16 f&eacute;vrier 2009]</p> <p align="justify" texte=""><a name="note2a" href="#note2">2</a>En fait, le personnage de <em>L&rsquo;air</em> se pr&eacute;nomme Charles, et non Marcel. On ne peut que questionner cette diff&eacute;rence qui touche ce seul personnage. L&rsquo;hypoth&egrave;se de l&rsquo;erreur appara&icirc;t plus plausible que celle de la strat&eacute;gie mystificatrice, l&rsquo;&eacute;criture de Gailly n&rsquo;en faisant rarement sinon jamais usage, &agrave; ma connaissance.</p> <p align="justify" texte=""><a name="note3a" href="#note3">3</a>Pour les usages de l&rsquo;humour chez Gailly, on consultera Elisa Bricco, &laquo;Christian Gailly: ironie et humour, aller et retour&raquo;, dans Elisa Bricco et Christine J&eacute;rusalem [dir.], <em>Christian Gailly, &laquo;l&rsquo;&eacute;criture qui sauve&raquo;</em>, Saint-&Eacute;tienne, Publications de l&rsquo;Universit&eacute; de Vincennes (CIEREC, Travaux 136 &ndash; Lire au pr&eacute;sent), 2007, p. 69-82.</p> <p align="justify" texte=""><a name="note4a" href="#note4">4</a>Voir, entre autres, l&rsquo;article de Christine J&eacute;rusalem, &laquo;Rose des vents. Cartographie des &eacute;critures de Minuit&raquo;, dans Bruno Blanckeman et Jean-Christophe Millois [dir.], <em>Le roman fran&ccedil;ais aujourd&rsquo;hui. Transformations, perceptions, mythologies</em>, Paris, Pr&eacute;texte (Critique), 2004, p. 53-77.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/sous-le-signe-de-lamour#comments BRICCO, Elisa France GAILLY, Christian JÉRUSALEM, Christine Mémoire Minimalisme Roman Wed, 25 Feb 2009 02:08:00 +0000 Viviane Asselin 78 at http://salondouble.contemporain.info