Salon double - LAFERRIÈRE, Dany http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/240/0 fr Le Japon de poche http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-japon-de-poche <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dufour-genevieve">Dufour, Geneviève</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/je-suis-un-ecrivain-japonais">Je suis un écrivain japonais</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify">Le dernier opus de Dany Laferri&egrave;re aurait pu &ecirc;tre titr&eacute; <em>Ceci n&rsquo;est pas un roman</em> &agrave; la mani&egrave;re des &oelig;uvres parodiques de Diderot et Magritte. Si tel avait &eacute;t&eacute; le cas, la pol&eacute;mique identitaire, v&eacute;ritable pierre de touche du texte, aurait &eacute;t&eacute; &eacute;vacu&eacute;e de<em> Je suis un &eacute;crivain japonais</em>. Publi&eacute; le printemps dernier, ce roman amorce un nouveau cycle d&rsquo;&eacute;criture chez l&rsquo;&eacute;crivain et fait suite &agrave; son &laquo;Autobiographie am&eacute;ricaine&raquo;, compos&eacute;e de dix romans et r&eacute;cits. Dany Laferri&egrave;re est notamment connu pour ses titres subversifs et pour sa verve copieuse qu&rsquo;il fait entendre sur nombre de tribunes m&eacute;diatiques. Dans <em>Je suis un &eacute;crivain japonais</em>, Laferri&egrave;re revient avec un narrateur-&eacute;crivain. F&eacute;ru de litt&eacute;rature, il parcourt la ville avec ce calme olympien qui fait la marque de son personnage. Le temps de l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;un roman, il souhaite troquer sa nationalit&eacute; qu&eacute;b&eacute;coise d&rsquo;origine carib&eacute;enne pour emprunter celle du Japon. D&egrave;s que le titre de son prochain roman est soumis &agrave; l&rsquo;&eacute;diteur, le coup d&rsquo;envoi est donn&eacute; &agrave; une suite d&rsquo;anecdotes &agrave; saveur japonaise. Son titre provocant en poche, le narrateur part en qu&ecirc;te de rencontres afin d&rsquo;&eacute;tayer son exp&eacute;rience en tant qu&rsquo;&eacute;crivain japonais patent&eacute;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le monde oblique</strong></span></p> <p align="justify">Entre alors en jeu le deuxi&egrave;me niveau de fiction dans lequel &eacute;volue un groupe compos&eacute; de jeunes japonaises branch&eacute;es progressant autour de la nouvelle coqueluche montr&eacute;alaise ; la chanteuse Midori. Le narrateur s&rsquo;immisce parmi elles et tente de cerner la nature des liens qui les unient. Les filles de la bande forment un ensemble opaque que le narrateur peine &agrave; percer, ce qui rajoute &agrave; la difficult&eacute; de l&rsquo;exercice. En fait, leurs gestes et leurs paroles sont pourvus de doubles intentions : le premier dessein, clairement identifiable, en referme toujours un second plus tordu, d&eacute;tourn&eacute; et secret. Les filles ne s&rsquo;abordent jamais entre elles directement, rappelant en quelque sorte l&rsquo;&eacute;tiquette de la cour. La narration traduit cette inaccessibilit&eacute; des personnages en additionnant les obstacles entre le sujet observant et l&rsquo;objet observ&eacute;. Pour acc&eacute;der au noyau du groupe, le narrateur doit passer par le biais du regard des autres filles; il observe Fumi qui, elle, examine Midori, par exemple. Le monde s&rsquo;appr&eacute;hende &agrave; l&rsquo;oblique. La saisie du monde empirique et tangible par le sujet s&rsquo;av&egrave;re une qu&ecirc;te m&eacute;diatis&eacute;e, la pr&eacute;sence d&rsquo;une suite d&rsquo;interm&eacute;diaires (le langage, l&rsquo;&eacute;criture, la narration) entre les deux p&ocirc;les rendant l&rsquo;entreprise impossible.</p> <p align="justify">Les anecdotes nipponnes sont d&rsquo;ailleurs transmises par un narrateur-observateur, l&rsquo;&oelig;il plant&eacute; derri&egrave;re une cam&eacute;ra, en retrait, ch&eacute;rissant le projet de d&eacute;voiler sur grand &eacute;cran la vie de cette bande de japonaises d&eacute;lur&eacute;es. En accentuant l&rsquo;effet de m&eacute;diation, le r&eacute;el semble r&eacute;sister &agrave; une saisie directe et efficace. Il faut d&rsquo;abord qu&rsquo;il transite par des &eacute;crans, des filtres venant brouiller les pistes menant jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;objet convoit&eacute;. Pour l&rsquo;&eacute;crivain, plus pr&eacute;cis&eacute;ment, l&rsquo;objet convoit&eacute; est la culture nippone &agrave; laquelle il souhaite acc&eacute;der gr&acirc;ce &agrave; la bande &agrave; Midori. Il est &agrave; son tour un objet de convoitise, la communaut&eacute; japonaise internationale &eacute;tant avide de percer le myst&egrave;re de son projet d&rsquo;&eacute;criture plut&ocirc;t inusit&eacute;. Approch&eacute; par le consulat japonais et une revue culturelle branch&eacute;e de New York, il repr&eacute;sente la saveur du moment, la vedette que tous s&rsquo;arrachent pour d&eacute;tenir la primeur. Le narrateur-&eacute;crivain transmet peu d&rsquo;information &agrave; son sujet, accentuant l&rsquo;&eacute;nigme autour de son identit&eacute; et ce, tant pour cette masse japonaise aglutin&eacute;e autour de lui que pour le lecteur. Le personnage, par cette volont&eacute; de demeurer en retrait, acquiert un caract&egrave;re myst&eacute;rieux ; il &eacute;chappe &agrave; une compr&eacute;hension fixe. Cette mouvance est d&rsquo;ailleurs perceptible sur d&rsquo;autres plans, notamment celui de l&rsquo;espace.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un p&egrave;lerin dans la ville</strong></span></p> <p align="justify">Le narrateur drap&eacute; de flou tra&icirc;ne son h&acirc;lo brumeux de lieu en lieu. Promeneur dans la ville, il rappelle en cela le moine-po&egrave;te Bash&ocirc; qui a parcouru la campagne nipponne quatre cent ans plus t&ocirc;t et qui a mis par &eacute;crit son p&eacute;riple dans <em>La route &eacute;troite</em> vers les districts du Nord. Le narrateur entreprend la lecture de ce texte, toujours anim&eacute; par cette volont&eacute; de se rapprocher au plus pr&egrave;s de son objectif : devenir un &eacute;crivain japonais. Il est d&rsquo;ailleurs possible d&rsquo;&eacute;tablir des parall&egrave;les entre les deux &oelig;uvres, le th&egrave;me du mouvement &eacute;tant le point de jonction le plus &eacute;vident. Cela se per&ccedil;oit d&rsquo;abord sur le plan de l&rsquo;espace, le narrateur se d&eacute;pla&ccedil;ant constamment d&rsquo;un lieu &agrave; l&rsquo;autre comme le p&egrave;lerin nippon. La temporalit&eacute; est &eacute;galement impr&eacute;gn&eacute;e par cette id&eacute;e de mobilit&eacute;. Le texte proc&egrave;de &agrave; un va-et-vient incessant entre le pass&eacute; que repr&eacute;sente l&rsquo;&oelig;uvre de Bash&ocirc; et le pr&eacute;sent de l&rsquo;&eacute;nonciation narrative.</p> <p align="justify">Mais il n&rsquo;y a pas que cette seule modalit&eacute; qui lie les deux textes. <em>La route&hellip;</em> est une &oelig;uvre &agrave; caract&egrave;re sacr&eacute; du fait, entre autres, qu&rsquo;elle ait &eacute;t&eacute; &eacute;crite par un moine et qu&rsquo;elle t&eacute;moigne d&rsquo;une qu&ecirc;te spirituelle. Par sa pr&eacute;sence manifeste au sein du roman, elle vient appuyer l&rsquo;ensemble du discours sur la litt&eacute;rature de l&rsquo;ordre de l'id&eacute;alisme diffus&eacute; dans <em>Je suis un &eacute;crivain japonais</em>. D&eacute;rangeante, pol&eacute;mique, influente, sacr&eacute;e, la litt&eacute;rature y est v&ecirc;tue de ses plus beaux atours. Un simple titre fait l&rsquo;objet d&rsquo;une attention d&eacute;mesur&eacute;e au sein de la communaut&eacute; alors que l&rsquo;&oelig;uvre, elle-m&ecirc;me, est encore &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de projet. Poss&eacute;dant le pouvoir d&rsquo;attiser les foules avant m&ecirc;me que l&rsquo;auteur n&rsquo;ait publi&eacute; son &oelig;uvre, avant m&ecirc;me qu&rsquo;il ne se soit attabl&eacute; derri&egrave;re sa machine &agrave; &eacute;crire, la litt&eacute;rature d&eacute;tient un r&ocirc;le d&eacute;terminant sur les plans social et culturel.</p> <p align="left"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les dessous de la fiction</strong></span></p> <p align="justify">Bien qu&rsquo;un certain id&eacute;alisme se d&eacute;gage du texte, la litt&eacute;rature n&rsquo;est pas pour autant &eacute;lev&eacute;e aux nues de mani&egrave;re ostentatoire, du moins pas tous les aspects qu&rsquo;elle suppose. Ainsi, le concept de fiction litt&eacute;raire est remis en doute. Le roman construit un univers fictionnel fantasm&eacute; o&ugrave; la litt&eacute;rature fait loi, univers qu&rsquo;il s&rsquo;amuse &agrave; d&eacute;construire par la suite. Apr&egrave;s avoir mont&eacute; une &agrave; une les pi&egrave;ces de son &eacute;difice romanesque, le narrateur le fait s&rsquo;effondrer tel un ch&acirc;teau de cartes. Il reprend les r&eacute;cits japonais pour mieux mettre &agrave; nu le d&eacute;dale fictionnel qui lui a permis d&rsquo;&eacute;chafauder cette fiction. Alors que le lecteur y voit des &eacute;v&eacute;nements vraisemblables, le narrateur vient d&eacute;samorcer la cr&eacute;dulit&eacute; du lecteur et remettre en doute la relative r&eacute;alit&eacute; des p&eacute;rip&eacute;ties. Ce ne sont pas que les seuls r&eacute;cits japonais qui en prennent pour leur rhume, mais bien l&rsquo;ensemble du roman. C&rsquo;est la fiction comme paradigme qui est vis&eacute;e ici, incitant &agrave; la comprendre comme pure &eacute;lucubration syntaxique fond&eacute;e &agrave; la fois sur des bribes de r&eacute;el et d&rsquo;imaginaire. Mais le dernier roman de Dany Laferri&egrave;re ne constitue pas en cela un apax.</p> <p align="justify">D&eacute;construction de la fiction, &eacute;nonciation ambigu&euml;, intertextualit&eacute; et autor&eacute;f&eacute;rentialit&eacute; sont des traits communs aux &oelig;uvres narratives de la p&eacute;riode contemporaine, que certains qualifient de postmoderne. Compos&eacute; de cinquante-huit fragments &agrave; tendance tant&ocirc;t narrative, r&eacute;flexive ou descriptive,<em> Je suis un &eacute;crivain japonais</em> s&rsquo;&eacute;labore dans la diversit&eacute;, la multiplicit&eacute;, le d&eacute;cousu comme ces romans contemporains. Les fragments poursuivent parfois le fil narratif principal o&ugrave; &eacute;voluent les r&eacute;cits de la bande &agrave; Midori. &Agrave; d&rsquo;autres moments, ils d&eacute;veloppent des espaces narratifs parrall&egrave;les o&ugrave; l&rsquo;on disserte sur le mythe grec proche du concept de clich&eacute; dans nos soci&eacute;t&eacute;s contemporaines, sur Mishima en tant que star litt&eacute;raire et politique, sur la proc&eacute;dure &agrave; suivre pour appr&ecirc;ter un saumon, etc. Le lecteur a entre les mains un roman peu conventionnel qui se joue des notions d&rsquo;intrigue et de lin&eacute;arit&eacute; narrative. Multiple sans toutefois &ecirc;tre imp&eacute;n&eacute;trable, ce roman est transmis dans ce style &eacute;pur&eacute; et propre &agrave; l&rsquo;auteur : phrases courtes, vocabulaire simple, et descriptions tir&eacute;es de l&rsquo;observation attentive, sensible.</p> <p align="justify">Enfin, le lecteur de <em>Je suis un &eacute;crivain japonais</em> ressort un peu abasourdi de ce parcours litt&eacute;raire. Les oreilles bourdonnantes d&rsquo;une quantit&eacute; de commentaires gliss&eacute;s ici et l&agrave; au cours du roman sur l&rsquo;imagination, la lecture, le clich&eacute;, le cin&eacute;ma, l&rsquo;&eacute;criture, la pauvret&eacute;, il se rattache difficilement &agrave; une ligne de pens&eacute;e franche et cat&eacute;gorique. Parce que derri&egrave;re l&rsquo;apparente simplicit&eacute; du style laferrien, un discours teint&eacute; d&rsquo;ironie interroge la suite des choses : la port&eacute;e, la place et l&rsquo;avenir de la litt&eacute;rature. Sans &ecirc;tre charg&eacute; d&rsquo;angoisse toutefois, le texte se d&eacute;ploie lestement dans ce ludisme que l&rsquo;on reconna&icirc;t &agrave; Dany Laferri&egrave;re.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-japon-de-poche#comments Autofiction Fabulation Fiction Filiation LAFERRIÈRE, Dany Métafiction Québec Roman Mon, 15 Dec 2008 20:14:00 +0000 Geneviève Dufour 58 at http://salondouble.contemporain.info