Salon double - ECHENOZ, Jean http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/246/0 fr La guerre, menu détail http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-guerre-menu-d-tail-0 <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/levesque-simon">Levesque, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/14">14</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>La quinzième publication littéraire de Jean Echenoz, un roman intitulé&nbsp;<em>14</em>, paraissait en France le 4 octobre dernier. Fidèle aux Éditions de Minuit, où son œuvre est publiée de manière exclusive depuis 1979, c’est encore entre les mains de cette maison que l’auteur laisse reposer le destin de son texte. Un choix qui n’en est pas réellement un&nbsp;: être chez Minuit, ça ne se renégocie pas vraiment. À preuve, le témoignage qu’offrait Echenoz en 2001 à propos de l’éditeur qui l’a fait connaître, Jérôme Lindon<strong><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a></strong>. La réputation d’Echenoz n’est peut-être plus à faire – Médicis en 1983 pour&nbsp;<em>Cherokee&nbsp;</em>: Goncourt en 1999 pour&nbsp;<em>Je m’en vais</em>&nbsp;–, mais celle de Minuit l’est encore moins. Quelqu’un ose-t-il encore dire quoi que ce soit contre la maison à l’étoile assortie&nbsp;de son petit&nbsp;<em>m</em>&nbsp;bleu? Marie Richeux sur France Culture se demandait récemment si la maison avait même jamais publié un mauvais auteur. C’est donc précédé de cette double aura que paraissait enfin&nbsp;<em>14</em>&nbsp;– arrivé à la mi-novembre au Québec.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Un narrateur distancié</strong></span></p> <p><em>14</em>, c’est l’année 1914, celle où s’enclenche la Première Guerre mondiale. À son propos, Echenoz écrit:</p> <p style="margin-left: 1cm; ">Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n’est-il pas la peine de s’attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n’est-il d’ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d’autant moins quand on aime pas tellement l’opéra, même si, comme lui c’est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui ça fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c’est assez ennuyeux. (p. 79)</p> <p>Assez ennuyeux, à la première lecture, c’est finalement ce que ce livre se révèle être, mais sans pour autant comporter de «&nbsp;longueurs pénibles&nbsp;». Ennuyeux parce que superficiel.&nbsp;<em>L’</em><em>incipit</em><em>&nbsp;</em>paraissait pourtant fort prometteur, laissant présager une appropriation des découvertes esthétiques de l’époque, mélangeant à l’impressionnisme des formes une description sur un mode synesthésique aux affinités proustiennes (l’auteur de la Recherche est d’ailleurs mentionné au passage):</p> <p style="margin-left: 1cm; ">Comme ses yeux passaient distraitement de l’un à l’autre de ces bourgs, est alors apparu à Anthime un phénomène inconnu de lui. Au sommet de chacun des clochers, ensemble et d’un seul coup, un mouvement venait de se mettre en marche, mouvement minuscule mais régulier: l’alternance régulière d’un carré noir et d’un carré blanc, se succédant toutes les deux ou trois secondes, avait commencé de se déclencher comme une lumière alternative, un clignotement binaire rappelant le clapet automatique de certains appareils à l’usine: Anthime a considéré sans les comprendre ces impulsions mécaniques aux allures de déclics ou de clins d’œil, adressés de loin par autant d’inconnus. (p. 10)</p> <p>Cet étrange phénomène se révèlera en fait n’être non pas de nature visuelle, mais auditive: c’était le timbre du tocsin qui, «vu l’état présent du monde, signifiait à coup sûr la mobilisation» (p. 11), dira le narrateur. Un premier contact avec la guerre par l’interpellation des sens qui laisse présager une certaine liberté dans la narration.</p> <p>Toujours déployée, chez Echenoz, sur un mode qu’il définit lui-même comme cinématographique, la description s’organise selon une échelle des plans, un enchaînement des vues, un arrangement des séquences qui, contribuant à plein à l’esthétique du roman, s’apparente néanmoins beaucoup à celle du documentaire. Des grands mouvements aériens faisant porter au lecteur une vue en plongée au-dessus de la France tout juste mobilisée – de la côte ouest vers le front allemand, et en sens inverse au retour des rescapés – aux gros plans en insert montrant les objets qu’Echenoz s’attarde toujours à décrire dans le menu détail, créant ainsi un véritable&nbsp;<em>système des objets</em><strong><a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a></strong>&nbsp;propre à définir un temps, un lieu, une époque; tout concourt à l’esthétique de la monstration documentaire. Dans ces conditions, la fiction se trouve pratiquement réduite à la fonction utilitaire de structuration des séquences, séquences dont le contenu tendra à s’objectiver sous l’œil analytique, mais sensible, que l’auteur nous enjoint d’y porter. Moins squelettique que fantomatique, moins rachitique que disséminée, comme le spectre d’une lumière réfractée par l’objectivité de la réalité historique, la fiction est là partout, et pourtant elle n’a d’importance que secondaire, semble-t-il, dans l’entreprise scripturaire de l’auteur.</p> <p>Du sort des cinq hommes partis de Vendée vers la Somme auxquels Echenoz s’attarde sans paraître trop s’y intéresser, deux seulement se taillent réellement une place au sein d’une intrigue des plus minces. Peut-être la plus mince depuis&nbsp;<em>Un an</em>&nbsp;(1997), qui n’avait lui-même pas fait grand bruit à l’époque. Deux Vendéens partis en guerre donc: Anthime, ce «sujet de taille moyenne et au visage commun»<em>&nbsp;</em>(p. 16), et Charles, fils d’un industriel au capital prometteur, tous deux soupirants de Blanche qui, à leur départ, penche résolument du côté du second, de qui on apprendra d’ailleurs qu’elle est enceinte. Mais des cinq compagnons, Charles perdra la vie&nbsp;le premier alors qu’Anthime, plus chanceux, ne perdra qu’un bras; Padioleau, la vue; Bossis&nbsp; trouvera la mort cloué au plexus par un obus; Arcenel, enfin, sera fusillé pour avoir déserté à son insu. Cette dernière mort, d’un comique consenti, ne manque pas d’absurde et permet, d’une certaine manière – très cérébrale – d’accéder au caractère tragique de la guerre.</p> <p>C’est dans ce passage menant à l’exécution du soldat français que le texte offre ses plus belles réalisations stylistiques. Anti-lyrique notoire, Echenoz abhorre tout ce qui est de l’ordre du psychologisme, de l’épanchement larmoyant ou triomphant au profit d’une neutralité qui, de l’extérieur, laisse tout de même saisir, par l’observation des comportements, les humeurs en présence. Arcenel est toujours au front. Les années passant et les combats ne mollissant pas. Le printemps revenu, sans trop réfléchir, se laissant émerveiller par la fraîcheur du temps, l’odeur de la saison, «sous l’effet d’un coup de cafard, comme on se trouvait au repos près du village de Somme-Suippe et reprenait son souffle avant de regagner la première ligne, Arcenel est parti faire un tour.» (p. 97) Tout simplement faire un tour. Sans trop réfléchir, signalant au garde qu’il va pisser par-là, ce qu’il fait effectivement, le voilà sorti du camp. Se laissant aller à surveiller les signes du printemps, se présente alors à lui, dans un silence imparfait «teinté par les grondements du front jamais si loin», le spectacle paisible et enchanteur de la nature qui dégourdit:</p> <p style="margin-left: 1cm; ">Sont apparus des animaux, toujours semblant avoir à cœur de représenter leur syndicat&nbsp;: un rapace haut dans le ciel, un hanneton posé sur une souche, un lapin furtif, qui a surgi d’un buisson et fixé Arcenel une seconde avant d’aussitôt détaler, mû par un ressort, sans que l’homme eût le réflexe d’épauler son fusil qu’il n’avait d’ailleurs pas pris avec lui, n’ayant même pas emporté sa gourde – preuve qu’il n’avait nullement prémédité de quitter la zone militaire, étant uniquement mû par l’idée de se promener un peu, de s’abstraire un moment de l’affreux merdier en n’espérant même pas – car n’y pensant même pas – que cette promenade passerait inaperçue, oubliant que les hommes étaient recomptés à tout instant, qu’on refaisait l’appel en permanence. (p. 99)</p> <p>Arcenel sera capturé, jugé sommairement et exécuté par les siens. Ce court battement printanier, le temps de prendre une bouffée d’air frais, de voir les couleurs dressées là-devant dans le tableau que l’auteur a jugé bon de peindre à la sortie du camp, aura accordé au lecteur un petit répit avant de prendre la mesure de l’ampleur de l’horreur: la Guerre, disséminatrice des destinées, n’offre d’autre issue que la mort. À défaut de se la voir octroyée par l’ennemi, elle peut être facilement trouvée chez les siens. Seule solution pour s’extraire du cauchemar: la «bonne blessure». Celle d’Anthime, par exemple, devenu manchot. Mais alors, entre rescapés, il faudra s’entendre pour ne jamais plus parler des horreurs vécues. Et, un bras en moins, Anthime ne continuera pas moins de ressentir la douleur dans son membre fantôme, par-delà les frontières de son corps.</p> <p>Soutenant une pratique d’écriture qui impose une distance par rapport à son sujet, à mi-chemin entre la scénarisation documentaire et la peinture de genre s’attardant à un moment d’irrégularité dans l’histoire, Echenoz parvient à montrer le saccage que représente la Première Guerre dans le cours de l’histoire en laissant présumer de sa persistance, dans les corps, dans les mémoires, par le chamboulement qu’elle aura introduit dans la succession régulière des générations; sur les territoires également, et surtout par-delà les frontières, enjeu du conflit armé, qu’il s’agissait justement de défendre.</p> <p style="margin-left: 14.2pt; "><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>La suffisance de l’anecdote</strong></span></p> <p>Retrouve-t-on, dans&nbsp;<em>14</em>, le plaisir de la lecture auquel Echenoz nous a habitués? Oui. Est-ce que c’est pertinent? Ça, c’est une autre question. Qu’on mette les choses au clair: ayant lu tout Echenoz, je me permets d’être d’autant plus critique que le roman se présente quasiment comme une caricature de la direction qu’a prise l’écriture de l’écrivain français au tournant des années 2000. À force de rechercher la simplicité, le danger qui guette est de frôler la coquetterie. Défi ou déni? L’un ou l’autre, ou un peu des deux, aura poussé l’écrivain à raconter cet épisode des plus sanguinaires de l’histoire moderne sur un mode apparemment désengagé, en érigeant la factualité anecdotique au rang de matériau de prédilection. La Grande Guerre sert bien de cadre à son intrigue, pour peu qu’elle le soit, intrigante, mais tout porte à croire que le recours à cette époque sert davantage de prétexte pour décrire des objets du quotidien d’alors – meubles, costumes, le contenu du sac d’un soldat français – que pour revisiter le conflit d’un point de vue politique. À sa défense, on dira que ce n’est pas et n’a jamais été le programme littéraire d’Echenoz, lui qui a toujours su se tenir à distance de tout engagement autre qu’esthétique. Et à ce titre, on peut dire que&nbsp;<em>14&nbsp;</em>est un tour de force considérant le sujet, car si certains détails d’ordre économique sont évoqués, la politique, elle, n’y a pas droit de cité.</p> <p>Dès lors, la critique qui s’impose se formule sur le plan éthique: y a-t-il un intérêt, voire une légitimité à traiter des années françaises 1914-1918 dans l’optique précise de la Première Guerre tout en se faisant un point d’honneur d’éluder la dimension politique de la chose? Echenoz nous avait certes habitués à cet esthétisme de la phrase, à cette impertinence de l’intrigue, faisant reposer l’attrait de ses textes sur les rebondissements inattendus et une posture énonciative particulièrement sympathique, de connivence avec son lecteur pourrait-on dire<strong><a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a></strong>. Or, depuis&nbsp;<em>Le Méridien de Greenwich&nbsp;</em>(1979) jusqu’à aujourd'hui, et bien que la trilogie des biographies fictionnelles formée des romans&nbsp;<em>Ravel&nbsp;</em>(2006),<em>&nbsp;Courir&nbsp;</em>(2008) et<em>&nbsp;Des éclairs&nbsp;</em>(2010) – lesquels s’attardent respectivement aux vies de Maurice Ravel, Émile Zatopek et Nikola Tesla – ait été plus près de la réalité que tout le reste de son œuvre, Echenoz ne s’était jamais permis d’attaquer de front une figure d’une telle importance sur le plan historique, un tel monument de l’imaginaire collectif. Ce faisant, et étant donné la relative froideur avec laquelle il s’y prend, le résultat a pour double effet d’être à la fois défamiliarisant par rapport au sujet traité et réconfortant quant aux attentes de lecture que quatorze romans ont peu à peu informées. De sorte que, comble de la suffisance, s’il me fallait juger de la chose en des termes purement échenoziens, force me serait d’admettre que c’est doublement réussi.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Une habile imposture</strong></span></p> <p>Cependant que paraît se dresser une dichotomie entre engagement esthétique et engagement politique, il me faut suturer cette apparente contradiction dans ma pensée: l’un n’empêche pas l’autre, bien entendu, et la scène de désertion involontaire ci-haut évoquée, si finement dépeinte, si sereinement racontée, en offre une preuve patente, mais différée. Car c’est du sentiment primaire d’incongruité du traitement offert au sujet que sourd cette impression de déni dans l’appréhension de la guerre, comme si l’obséquiosité du style empêchait d’atteindre au tragique des événements. Mais retournée comme un gant par le travail de la critique ici effectué, la peau candide et blanche dont se revêt l’expression échenozienne laisse découvrir son réseau nervuré, la vie fragile et fluide qui innerve la fiction. Elle est un fin glacis d’authenticité, cette peau, dont la composition oxymorique promeut l’alliance de la sophistication et de la simplicité.</p> <p>Tout de même, il y a quelque chose qui ne va pas, un inconfort, dira-t-on, mais qui relève peut-être davantage de la réception que de l’œuvre elle-même. Indubitablement, en choisissant de traiter d’un sujet aussi sérieux sur un ton aussi flegmatique (à l’instar de ses précédents romans), presque badin, Echenoz a franchi un seuil propre à susciter la réflexion éthique, un exercice que la critique n’a toutefois jusqu’ici pas cru bon d’initier. Nathalie Crom a préféré parler de l’œuvre en tant qu’elle est «portée par une phrase qui atteint aujourd'hui sa perfection. Maîtrisée, renversante, superbe jusque dans ses feints relâchements, ses moments d'apparente et grisante désinvolture…<strong><a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a></strong>»; Philippe Lançon, spirituel, la qualifie d’«impeccable obus chromé<strong><a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a></strong>»; enfin, Bernard Pivot se laisse prendre lui aussi au piège de l’appréciation strictement esthétique&nbsp;: «L’écriture de Jean Echenoz est tranquillement implacable. Inutile d’en rajouter, d’expliquer, d’ergoter.<strong><a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a></strong>» Ce dernier voit dans le détachement et les scrupules de précision qui caractérisent son écriture une victoire sur son sujet, difficile. Intouchable Minuit.</p> <p>Loin de moi l’idée de vouloir nier les qualités stylistiques de&nbsp;<em>14&nbsp;</em>dont je viens d’ailleurs de faire l’apologie, c’est plutôt à la posture de son auteur que je souhaite m’arrêter. Reçu récemment par Laure Adler à&nbsp;<em>Hors Champ&nbsp;</em>sur France Culture, Jean Echenoz s’exprimait ainsi&nbsp;au sujet du «&nbsp;métier&nbsp;» d’écrivain: «On se demande toujours si on n’est pas dans un état d’usurpation.» Il ajoute que le plus tracassant, c’est «la présence un peu permanente de la question de l’imposture&nbsp;[…] On est toujours obligé de se poser la question de l’imposture.<strong><a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a></strong>» Si lui se la pose et ose, et de ce fait peut apparaître complaisant en ce qu’il assume, pourrait-on dire, son imposture (une attitude qui découle d’une réflexion nourrie, selon ses propres mots), c’est plutôt le contre-effet de cette posture (car c’en est bien une) qui se révèle être le plus intéressant. De la reconnaissance de l’incongruité de la posture échenozienne en rapport avec son sujet naît le malaise de découvrir le lieu de la véritable imposture, qui se trouve bien davantage du côté de la critique.&nbsp;J’ai précédemment soulevé la possibilité de remettre en question la légitimité du texte à partir de considérations éthiques, mais bien entendu nous n’en sommes plus là<strong><a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a></strong>. En revanche, la légitimité d’une critique, elle, n’est jamais acquise, et le roman d’Echenoz le prouve bien. En vertu de sa posture énonciative si particulière, du traitement si «inadéquat» de son sujet, c’est à travers la réception critique – qui, jusqu’ici, n’a pas su ou cru bon s’attarder à relever ces traits spécifiques – que le texte me semble parvenir à son plein potentiel, qu’il révèle son plus grand intérêt: Echenoz, comme Minuit, est devenu un intouchable.</p> <p>En somme, et parce qu’on ne voudra pas nécessairement s’attarder à la réception de l’œuvre, exercice du littérateur averti,&nbsp;<em>14</em>&nbsp;laisse un goût amer. Au plaisir de lecture immédiat succèdent la frustration du coït interrompu, mais également une autre frustration, plus grande encore, qui découle du sentiment de vacuité que laisse le roman. Faire tenir la Grande Guerre en quelque cent vingt pages relève certainement d’un art de la concision dans lequel Echenoz est passé maître, mais cet&nbsp;<em>opus minus</em>, ce «moyen-métrage» comme il l’appelle lui-même, laisse tout de même sur son appétit. Si Echenoz nous avait habitués, dans&nbsp;<em>Un an</em>&nbsp;ou&nbsp;<em>Au piano</em>, deux autres très courts romans, à des finales somme toute surprenantes, force est de constater que cette fois, ça tombe à plat; un peu comme l’Europe d’alors, consternée, qui ne s’en remettra pas, et qui remettra ça quelques années plus tard. Néanmoins, il faut reconnaître au roman une originalité dans le ton, une curiosité dans l’intérêt porté aux détails, aux objets, aux anecdotes, un matériau qui finalement compte plus que les personnages eux-mêmes, lesquels se trouvent pratiquement réduits à la fonction utilitaire de variation de l’échelle des plans et permettent ainsi au lecteur de se retrouver avec eux dans les tranchées françaises pour une heure ou deux, le temps de refermer le livre. Après quoi le vague bruissement des sourdes détonations continue de résonner un court moment, et on se demande déjà de quoi sera fait le prochain Echenoz serti de la petite étoile bleue.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Bibliographie</strong></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>L’œuvre de Jean Echenoz</strong></span></p> <p>—,&nbsp;<em>14</em>, Paris, Minuit, 2012.</p> <p>—,&nbsp;<em>Des éclairs</em>, Paris, Minuit, 2010.</p> <p>—,&nbsp;<em>Courir</em>, Paris, Minuit, 2008.</p> <p>—,&nbsp;<em>Ravel</em>, Paris, Minuit, 2006.</p> <p>—,&nbsp;<em>Au piano</em>, Paris, Minuit, 2003.</p> <p>—,&nbsp;<em>Jérôme Lindon</em>, Paris, Minuit, 2001.</p> <p>—,&nbsp;<em>Je m’en vais</em>, Paris, Minuit, 1999.</p> <p>—,&nbsp;<em>Un an</em>, Paris, Minuit, 1997.</p> <p>—,&nbsp;<em>Les grandes blondes</em>, Paris, Minuit, 1995.</p> <p>—,&nbsp;<em>Nous trois</em>, Paris Minuit, 1992.</p> <p>—,&nbsp;<em>Lac</em>, Paris, Minuit, 1989.</p> <p>—,&nbsp;<em>L’occupation des sols</em>, Paris, Minuit, 1988.</p> <p>—,&nbsp;<em>L’équipée malaise</em>, Paris, Minuit, 1986.</p> <p>—,&nbsp;<em>Cherokee</em>, Paris, Minuit, 1983.</p> <p>—,&nbsp;<em>Le Méridien de Greenwich</em>, Paris, Minuit, 1979.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>Les références citées</strong></span></p> <p>&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Adler, Laure, «&nbsp;Loin avec Jean Echenoz&nbsp;(1/5)&nbsp;»,&nbsp;<em>Hors Champ</em>, France Culture, 24 septembre 2012. Baladodiffusion disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-jean-echenoz-15-2014-07-08&gt; (Page consultée le 19 novembre 2012).</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Barthes, Roland, «&nbsp;La mort de l'auteur&nbsp;» [1968], dans&nbsp;<em>Le bruissement de la langue</em>, Paris, Seuil, 1984, pp. 61-67.</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Bouchy, Florence, «&nbsp;Démystification et invention du quotidien&nbsp;: les objets des romans de Jean Echenoz&nbsp;»,&nbsp;<em>Recherches &amp; Travaux</em>, no 77, 2010, pp. 77-89.</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Crom, Nathalie,&nbsp;<em>Télérama</em>, 25 septembre 2012. Disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.telerama.fr/livres/14,87045.php&gt; (Page consultée le 21 novembre 2012).</p> <p>&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Escola, Marc, «&nbsp;L’auteur comme absence&nbsp;: Barthes et Foucault&nbsp;», sur&nbsp;<em>Fabula.org</em>, 2 Avril 2002. En ligne&nbsp;: &lt;http://www.fabula.org/atelier.php?L%27auteur_comme_absence&gt; (Page consultée le 12 décembre 2012).</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Lançon, Philippe, «&nbsp;Echenoz, tranchées dans le vif&nbsp;»,&nbsp;<em>Libération</em>, 3 octobre 2012.&nbsp; Disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.liberation.fr/livres/2012/10/03/echenoz-tranchees-dans-le-vif-dans-14-une-miniature-de-la-grande-boucherie_850663&gt; (Page consultée le 21 novembre 2012).</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Langevin,<em>&nbsp;Lire la connivence et l’ironie&nbsp;: savoir du narrateur et personnalité narrative chez Jean Echenoz</em>&nbsp;(mémoire), Université du Québec à Rimouski, 2004.</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">&nbsp;</p> <p style="margin-left: 17.5pt; ">Pivot, Bernard, «&nbsp;Jean Echenoz, grand rescapé de la Grande Guerre&nbsp;»,&nbsp;<em>Le Journal du dimanche</em>, 29 septembre 2012, mis à jour le 1<sup>er</sup>&nbsp;octobre 2012. Disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.lejdd.fr/Chroniques/Bernard-Pivot/Jean-Echenoz-grand-rescape-de-la-Grande-Guerre-chronique-de-Bernad-Pivot-562132&gt; (Page consultée le 21 novembre 2012).</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><strong><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a></strong>&nbsp;Dans&nbsp;<em>Jérôme Lindon</em>, Echenoz raconte qu’après qu’il eut refusé son deuxième manuscrit, Lindon lui aurait dit&nbsp;qu’il pouvait toujours l’offrir à d’autres éditeurs, mais qu’alors il devrait s’attendre à une énorme crise de jalousie de sa part. Manière assez vicieuse de la part de l’éditeur de faire comprendre à son protégé l’exclusivité implicite qui les lie. — J. Echenoz,&nbsp;<em>Jérôme Lindon</em>, Paris, Minuit, 2001.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><strong><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a></strong>&nbsp;Cf. F. Bouchy, «&nbsp;Démystification et invention du quotidien&nbsp;: les objets des romans de Jean Echenoz&nbsp;»,&nbsp;<em>Recherches &amp; Travaux</em>, no 77, 2010, pp. 77-89.</p> <p>&nbsp;</p> </div> <div id="ftn3"> <p><strong><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a></strong>&nbsp;Cf. F. Langevin,<em>&nbsp;Lire la connivence et l’ironie&nbsp;: savoir du narrateur et personnalité narrative chez Jean Echenoz</em>&nbsp;(mémoire), Université du Québec à Rimouski, 2004.</p> </div> <div id="ftn4"> <p><strong><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a></strong>&nbsp;N. Crom,&nbsp;<em>Télérama</em>, 25 septembre 2012.</p> </div> <div id="ftn5"> <p><strong><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a></strong>&nbsp;P. Lançon, «&nbsp;Echenoz, tranchées dans le vif&nbsp;»,&nbsp;<em>Libération</em>, jeudi 3 octobre 2012.&nbsp; Disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.liberation.fr/livres/2012/10/03/echenoz-tranchees-dans-le-vif-dans-14-une-miniature-de-la-grande-boucherie_850663&gt; (Page consultée le 21 novembre 2012).</p> </div> <div id="ftn6"> <p><strong><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a></strong>&nbsp;B. Pivot, «&nbsp;Jean Echenoz, grand rescapé de la Grande Guerre&nbsp;»,&nbsp;<em>Le Journal du dimanche</em>, 29 septembre 2012, mis à jour le 1<sup>er</sup>&nbsp;octobre 2012. Disponible en ligne&nbsp;: &lt;http://www.lejdd.fr/Chroniques/Bernard-Pivot/Jean-Echenoz-grand-rescape-de-la-Grande-Guerre-chronique-de-Bernad-Pivot-562132&gt; (Page consultée le 21 novembre 2012).</p> </div> <div id="ftn7"> <p><strong><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a></strong>&nbsp;J. Echenoz en entrevue avec Laure Adler,&nbsp;<em>Hors Champ</em>&nbsp;sur France Culture, 24 septembre 2012.</p> </div> <div id="ftn8"> <p><strong><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title="">[8]</a></strong>&nbsp;Cf. R. Barthes, «&nbsp;La mort de l'auteur&nbsp;» [1968], dans&nbsp;<em>Le bruissement de la langue</em>, Paris, Seuil, 1984, pp. 61-67. — Le lecteur consultera également au besoin le document de Marc Escola, «&nbsp;L’auteur comme absence&nbsp;: Barthes et Foucault&nbsp;», sur&nbsp;<em>Fabula.org</em>, 2 Avril 2002. En ligne&nbsp;: &lt;http://www.fabula.org/atelier.php?L%27auteur_comme_absence&gt; (Page consultée le 12 décembre 2012).</p> <div>&nbsp;</div> </div> </div> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-guerre-menu-d-tail-0#comments ECHENOZ, Jean France Roman Wed, 19 Dec 2012 14:42:58 +0000 Simon Lévesque 658 at http://salondouble.contemporain.info Éloge de la relecture ou L’invraisemblance qui réactive le récit http://salondouble.contemporain.info/antichambre/eloge-de-la-relecture-ou-l-invraisemblance-qui-reactive-le-recit <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Pour une (re)lecture réaliste magique du roman Un an de Jean Echenoz </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div class="rteindent3"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tout l&rsquo;art de Kafka consiste &agrave; obliger le lecteur &agrave; <em>relire</em>. Ses d&eacute;nouements &mdash;ou ses absences de d&eacute;nouements&mdash; sugg&egrave;rent des explications mais qui n&rsquo;apparaissent pas en clair et qui exigent que l&rsquo;histoire soit relue sous un nouvel angle pour appara&icirc;tre fond&eacute;es. Quelquefois il y a une double ou triple possibilit&eacute; d&rsquo;interpr&eacute;tation d&rsquo;o&ugrave; appara&icirc;t la n&eacute;cessit&eacute; de deux ou trois lectures. Mais on aurait tort de vouloir tout interpr&eacute;ter dans le d&eacute;tail chez Kafka. Un symbole est toujours dans le g&eacute;n&eacute;ral et l&rsquo;artiste en donne une traduction en gros. Il n&rsquo;y a pas de mot &agrave; mot. Le mouvement seul est restitu&eacute;. Et pour le reste il faut faire la part du hasard qui est grande chez tout cr&eacute;ateur.</span> <p>Albert Camus, <em>Carnets</em></p></div> <p> <a href="#note1a" name="note1"><strong>[1]</strong></a></p> <p>On retrouve dans la production litt&eacute;raire contemporaine plusieurs occurrences de r&eacute;cits qui permettent la cohabitation non probl&eacute;matis&eacute;e de naturel et de surnaturel dans un m&ecirc;me univers de fiction, et qui en appellent ainsi &agrave; une lecture diff&eacute;rente du roman en g&eacute;n&eacute;ral en posant autrement la question de l&rsquo;adh&eacute;sion au racont&eacute;. Certains de ces r&eacute;cits, que l&rsquo;on peut qualifier de r&eacute;alistes magiques &agrave; la suite d&rsquo;Amaryll Beatrice Chanady<a href="#note2a" name="note2"><strong>[2]</strong></a>, r&eacute;inventent en quelque sorte le paradigme de la transmission narrative; le lecteur n&rsquo;est pas appel&eacute; &agrave; questionner les &eacute;v&eacute;nements surnaturels du r&eacute;cit r&eacute;aliste magique et accepte les invraisemblances qui le ponctuent comme allant de soi: il les consid&egrave;re comme faisant partie de la r&eacute;alit&eacute; du texte &mdash;r&eacute;alit&eacute; artificielle, certes, mais coh&eacute;rente &agrave; l&rsquo;univers di&eacute;g&eacute;tique mise en place dans le roman. Le cas que je propose d&rsquo;&eacute;tudier est assez particulier: lors d&rsquo;une premi&egrave;re lecture, le roman <em>Un an</em><a href="#note3a" name="note3"><strong>[3]</strong></a> de l&rsquo;&eacute;crivain fran&ccedil;ais Jean Echenoz, paru aux &Eacute;ditions de Minuit en 1997, ne semble pas appartenir au r&eacute;alisme magique comme je le d&eacute;finirai. Toutefois, l&rsquo;invraisemblance di&eacute;g&eacute;tique finale qui vient d&eacute;savouer le r&eacute;cit tout entier permet de relire le roman &agrave; l&rsquo;aune du r&eacute;alisme magique. Cette invraisemblance majeure perd alors de son impossible et la relecture ainsi activ&eacute;e, orient&eacute;e par le r&eacute;alisme magique, vient &agrave; son tour mettre en lumi&egrave;re d&rsquo;autres invraisemblances qui, jusque-l&agrave;, ont pu passer inaper&ccedil;ues. C&rsquo;est ce cas particulier de fiction vertigineuse que je propose d&rsquo;observer dans le cadre de ce texte. Je souhaite, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on et par extension, appliquer ce que Camus a affirm&eacute; des textes de Kafka au roman d&rsquo;Echenoz, et faire ainsi l&rsquo;&eacute;loge de la relecture, qui ouvre l&rsquo;interpr&eacute;tation sur des avenues que le lecteur qui ne s&rsquo;en tient qu&rsquo;&agrave; une seule lecture n&rsquo;aurait peut-&ecirc;tre pas soup&ccedil;onn&eacute;es. Ma d&eacute;marche s&rsquo;apparente ainsi &agrave; celle men&eacute;e par Richard Saint-Gelais dans un article sur le roman <em>Le meurtre de Roger Ackroyd</em> d&rsquo;Agatha Christie, o&ugrave; il affirme que</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> le r&eacute;sultat de la relecture est non seulement de voir des indices compromettants l&agrave; o&ugrave; la premi&egrave;re lecture n&rsquo;en voyait pas, mais aussi de voir comment les dispositifs d&eacute;courageaient dans un premier temps des op&eacute;rations de lecture qu&rsquo;en m&ecirc;me temps ils permettaient<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.</span></div> <p> Et l&rsquo;on verra bien assez vite que c&rsquo;est tout &agrave; fait le cas dans le roman qui nous int&eacute;resse ici.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Quelques pr&eacute;cautions</strong></span></p> <p>La lecture que je proposerai du roman <em>Un an</em> est une lecture immanente du texte. Je souhaite montrer ainsi qu&rsquo;il est possible de lire le roman en modifiant notre r&eacute;ponse esth&eacute;tique &agrave; l&rsquo;aune du r&eacute;alisme magique. On pourrait &mdash;et on peut&mdash; accepter la fin vertigineuse et choquante du roman comme telle, la consid&eacute;rer comme une paralipse, une r&eacute;tention d&rsquo;information par le narrateur, mais on peut aussi l&rsquo;envisager autrement. Il me semble que le r&eacute;alisme magique propose des pistes de r&eacute;flexion int&eacute;ressantes par rapport &agrave; cet effet de lecture singulier. Et s&rsquo;il y a consensus dans les &eacute;tudes sur l&rsquo;&oelig;uvre romanesque d&rsquo;Echenoz, c&rsquo;est bien autour de la question de la subversion des genres; ailleurs, Echenoz se joue des codes du roman d&rsquo;aventures (<em>Le M&eacute;ridien de Greenwich</em>, 1979&nbsp;; <em>L&rsquo;&Eacute;quip&eacute;e malaise</em>, 1986), du roman noir (<em>Le M&eacute;ridien de Greenwich</em>), du roman d&rsquo;espionnage (<em>Lac</em>, 1989) et du roman policier (<em>Cherokee</em>, 1983), par exemple, ce qui rend, il me semble, encore plus plausible la (re)lecture r&eacute;aliste magique que je proposerai ici. Une certaine exploration ludique des codes du myst&egrave;re se trouvait d&eacute;j&agrave;, en 1995, dans <em>Les Grandes blondes</em> et s&rsquo;est poursuivie, en 2003, dans le roman <em>Au piano</em>. J&rsquo;observerai donc sous une loupe r&eacute;aliste magique ce que Christine J&eacute;rusalem, dans son livre <em>Jean Echenoz: g&eacute;ographies du vide</em>, appelle l&rsquo;effet de romanesque: &laquo;L&rsquo;effet de romanesque constitue en quelque sorte la contrepartie sym&eacute;trique du fameux &ldquo;effet de r&eacute;el&rdquo;. Il vise l&rsquo;adh&eacute;sion du lecteur &agrave; l&rsquo;aspect invraisemblable du r&eacute;cit<a name="note5" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>&raquo;. La mise &agrave; mal des codes de la repr&eacute;sentation r&eacute;aliste participe de cet effet de romanesque et, par le fait m&ecirc;me, du r&eacute;alisme magique. Et je tiens &agrave; pr&eacute;ciser, avant de me lancer enfin, que je ne sugg&egrave;re pas de hi&eacute;rarchiser les lectures (ou les relectures) possibles de <em>Un an</em>: les textes d&rsquo;Echenoz sont suffisamment riches pour soutenir une multitude d&rsquo;hypoth&egrave;ses interpr&eacute;tatives, et celle-ci, orient&eacute;e par le r&eacute;alisme magique, n&rsquo;est qu&rsquo;une lecture parmi tant d&rsquo;autres. Il existe en effet d&rsquo;autres interpr&eacute;tations, mais j&rsquo;aimerais en pr&eacute;senter une qui a l&rsquo;avantage d&rsquo;aborder le cas d&rsquo;Echenoz moins comme une subversion des codes (approche par la n&eacute;gation, fr&eacute;quente chez la critique<a name="note6" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>) que comme une strat&eacute;gie positive et, en ce sens, originale. Je souhaite d&eacute;placer quelque peu les enjeux: alors que de nombreuses &eacute;tudes parlent d&rsquo;impossibilit&eacute; et de non-fiabilit&eacute; du narrateur (ou de la narration), je m&rsquo;int&eacute;resserai plut&ocirc;t au revers ignor&eacute; de cette m&eacute;daille maintes fois astiqu&eacute;e, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la <em>possibilit&eacute;</em>. En effet, la plupart des critiques qui s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; ce roman se butent &agrave; ses impossibilit&eacute;s (narratives, fictionnelles)<a href="#note7a" name="note7"><strong>[7]</strong></a>, alors que ma lecture sera plut&ocirc;t &laquo;positive&raquo;.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>&Agrave; propos du r&eacute;alisme magique</strong></span></p> <p>Le terme &laquo;r&eacute;alisme magique&raquo; a &eacute;t&eacute; employ&eacute; pour la premi&egrave;re fois par le critique d&rsquo;art allemand Franz Roh dans le titre d&rsquo;un texte publi&eacute; en 1925. Il utilise le terme sans vraiment s&rsquo;engager sur sa signification: il &eacute;crit dans la pr&eacute;face de son texte qu&rsquo;il n&rsquo;attribue pas &laquo;de valeur sp&eacute;ciale au titre &ldquo;r&eacute;alisme magique&rdquo;<a href="#note8a" name="note8"><strong>[8]</strong></a>&raquo;, avec lequel il d&eacute;crit le &laquo;retour de la peinture au r&eacute;alisme apr&egrave;s le style plus abstrait de l&rsquo;expressionnisme<a href="#note9a" name="note9"><strong>[9]</strong></a>&raquo;. Le terme a ensuite migr&eacute; vers l&rsquo;Am&eacute;rique latine et en est venu &agrave; d&eacute;signer &laquo;la tendance contraire, qui est l&rsquo;<em>&eacute;cart</em> d&rsquo;un texte par rapport au r&eacute;alisme plut&ocirc;t que le r&eacute;investissement du r&eacute;alisme par le texte<a href="#note10a" name="note10"><strong>[10]</strong></a>&raquo;. Il a &eacute;t&eacute; employ&eacute; de fa&ccedil;on de plus en plus affirm&eacute;e avec la parution d&rsquo;un essai &eacute;crit par Angel Flores en 1955, intitul&eacute; &laquo;Le r&eacute;alisme magique dans les fictions latino-am&eacute;ricaines<a href="#note11a" name="note11"><strong>[11]</strong></a>&raquo;. Cette double migration &mdash;d&rsquo;une part vers la litt&eacute;rature et d&rsquo;autre part vers l&rsquo;Am&eacute;rique latine&mdash; est devenue plut&ocirc;t permanente apr&egrave;s 1967; selon Maria Takolander, c&rsquo;est la traduction et la diffusion &agrave; travers le monde du roman <em>Cent ans de solitude</em> du Colombien Gabriel Garc&iacute;a M&aacute;rquez qui ont fait en sorte que le terme r&eacute;alisme magique soit accol&eacute; de fa&ccedil;on consensuelle et &laquo;officielle&raquo;, si l&rsquo;on veut, &agrave; cette &laquo;forme fictionnelle hybride qui combine fantastique et r&eacute;alisme, que les auteurs latino-am&eacute;ricains avaient produite et continuaient de produire<a href="#note12a" name="note12"><strong>[12]</strong></a>&raquo;. Dans un ouvrage paru en 1985, Amaryll Beatrice Chanady affirme que la principale caract&eacute;ristique du r&eacute;alisme magique est la suivante: &laquo;[A]lors que dans le fantastique, le surnaturel est per&ccedil;u comme probl&eacute;matique, puisqu&rsquo;il est manifestement antinomique par rapport au cadre rationnel du texte, le surnaturel dans le r&eacute;alisme magique est accept&eacute; comme faisant partie de la r&eacute;alit&eacute;<a name="note13" href="#note13a"><strong>[13]</strong></a>&raquo;. Toutefois, la pr&eacute;sence du surnaturel n&rsquo;est pas suffisante pour d&eacute;crire le r&eacute;alisme magique. Il importe que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence r&eacute;aliste soit aussi d&eacute;velopp&eacute; que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence surnaturel dans le r&eacute;cit, sinon le texte bascule vers le merveilleux. Selon Chanady, l&rsquo;histoire doit &ecirc;tre situ&eacute;e dans le monde contemporain et contenir une somme importante de descriptions r&eacute;alistes de ce monde et des &ecirc;tres qui l&rsquo;habitent afin de cr&eacute;er un tout harmonieux et coh&eacute;rent. Est r&eacute;aliste magique, en somme, une fiction qui r&eacute;pond aux trois crit&egrave;res suivants: tout d&rsquo;abord, le surnaturel dans le texte n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme probl&eacute;matique; ensuite, le conflit de sens habituel entre le naturel et le surnaturel est r&eacute;solu par la narration; finalement, il n&rsquo;y a pas de jugement par rapport &agrave; la v&eacute;racit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements dans la fiction, les deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; n&rsquo;&eacute;tant pas hi&eacute;rarchis&eacute;s. La diff&eacute;rence principale entre le r&eacute;alisme magique et le fantastique r&eacute;side dans la condition de non probl&eacute;matisation du surnaturel. Dans le fantastique, le surnaturel cr&eacute;e une h&eacute;sitation que Todorov &eacute;rigeait en condition essentielle au genre: &laquo;D&rsquo;abord, il faut que le texte oblige le lecteur &agrave; consid&eacute;rer le monde des personnages comme un monde de personnes vivantes et &agrave; h&eacute;siter entre une explication naturelle et une explication surnaturelle des &eacute;v&eacute;nements &eacute;voqu&eacute;s<a href="#note14a" name="note14"><strong>[14]</strong></a>&raquo;. De plus, dans le r&eacute;alisme magique, l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement surnaturel, parce qu&rsquo;il est plac&eacute; sur le m&ecirc;me pied d&rsquo;&eacute;galit&eacute; que l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement naturel, n&rsquo;attire pas plus l&rsquo;attention ni des personnages ni du lecteur.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les impossibilit&eacute;s du roman <em>Un an</em></strong></span></p> <p>L&rsquo;incipit de <em>Un an</em> plonge directement le lecteur dans l&rsquo;action du roman: &laquo;Victoire, s&rsquo;&eacute;veillant un matin de f&eacute;vrier sans rien se rappeler de la soir&eacute;e puis d&eacute;couvrant F&eacute;lix mort pr&egrave;s d&rsquo;elle dans leur lit, fit sa valise avant de passer &agrave; la banque et de prendre un taxi vers la gare Montparnasse&raquo; (p.7). L&rsquo;entr&eacute;e du narrateur dans l&rsquo;imperceptible, avec le bout de phrase &laquo;sans rien se rappeler&raquo;, donne d&rsquo;embl&eacute;e le ton de ce qui sera une narration omnisciente, h&eacute;t&eacute;rodi&eacute;g&eacute;tique et non-repr&eacute;sent&eacute;e, et dot&eacute;e d&rsquo;une personnalit&eacute; forte, au demeurant. Victoire, donc, craint d&rsquo;&ecirc;tre suspect&eacute;e pour la mort de F&eacute;lix parce qu&rsquo;elle ne se souvient de rien; elle fuit Paris et va errer pendant presqu&rsquo;un an, d&rsquo;abord sur la C&ocirc;te basque, puis dans les Landes, &agrave; Toulouse, dans les Landes encore, pour finalement rejoindre Paris en novembre de la m&ecirc;me ann&eacute;e, dix mois apr&egrave;s son d&eacute;part. Au d&eacute;but, <em>tout va bien</em>, pour reprendre les mots de Pierre Lepape qui signe la quatri&egrave;me de couverture: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Elle loue une villa au Pays basque, se trouve un amant. Mais l&rsquo;amant lui vole ses sous et Victoire va parcourir une &agrave; une les &eacute;tapes de la d&eacute;gringolade sociale: apr&egrave;s la villa, les chambres d&rsquo;h&ocirc;tel, de plus en plus miteuses, puis la belle &eacute;toile; le v&eacute;lo, puis l&rsquo;autostop et, quand elle est devenue trop sale, trop d&eacute;penaill&eacute;e pour le stop, la marche au hasard, l&rsquo;association avec d&rsquo;autres clochards, le chapardage, la promiscuit&eacute;, la perte progressive de soi et du monde.</span></div> <p> &Agrave; quelques reprises dans le roman, Louis-Philippe, ami commun de Victoire et de F&eacute;lix, appara&icirc;t l&agrave; o&ugrave; Victoire se trouve pour lui donner des nouvelles de l&rsquo;enqu&ecirc;te. Il lui recommande de ne pas rentrer tout de suite &agrave; Paris, au d&eacute;but, parce que sa responsabilit&eacute; dans la mort de F&eacute;lix n&rsquo;a pas encore &eacute;t&eacute; &eacute;cart&eacute;e (p.30-31). Puis, alors que le roman s&rsquo;ach&egrave;ve, Louis-Philippe annonce &agrave; Victoire que l&rsquo;affaire F&eacute;lix est close, qu&rsquo;elle peut rentrer &agrave; Paris (p.104). Dix heures plus tard, elle y est. Le r&eacute;cit se termine sur un excipit qui ne r&eacute;sout pas grand-chose, en quelque sorte:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Victoire, les semaines suivantes, &eacute;vita les lieux qu&rsquo;elle avait l&rsquo;habitude de fr&eacute;quenter auparavant. Puis quand m&ecirc;me un soir de la mi-novembre, ayant presque retrouv&eacute; son apparence normale, elle se risqua jusqu&rsquo;au Central. Elle ne s&rsquo;y &eacute;tait plus rendue depuis la veille de son d&eacute;part mais &agrave; peine entr&eacute;e, debout pr&egrave;s du bar en compagnie d&rsquo;une belle femme, elle aper&ccedil;ut F&eacute;lix. <p>F&eacute;lix, qui avait l&rsquo;air en pleine forme, ne parut pas manifester quelque &eacute;motion particuli&egrave;re en voyant approcher Victoire. Alors, s&rsquo;exclama-t-il seulement, o&ugrave; est-ce que tu &eacute;tais pass&eacute;e? Je t&rsquo;ai cherch&eacute;e partout, je te pr&eacute;sente H&eacute;l&egrave;ne. Victoire, souriant &agrave; H&eacute;l&egrave;ne, s&rsquo;abstint de demander &agrave; F&eacute;lix comment il n&rsquo;&eacute;tait pas mort, ce qui e&ucirc;t risqu&eacute; d&rsquo;infl&eacute;chir l&rsquo;ambiance, et pr&eacute;f&eacute;ra commander un blanc sec. Et Louis-Philippe, dit-elle, tu l&rsquo;as vu ces jours-ci? Ah, dit F&eacute;lix, tu n&rsquo;as pas su. Je suis d&eacute;sol&eacute;. Je vous laisse un instant, dit H&eacute;l&egrave;ne. Je suis d&eacute;sol&eacute;, r&eacute;p&eacute;ta F&eacute;lix &agrave; voix basse apr&egrave;s qu&rsquo;elle se fut &eacute;loign&eacute;e, je croyais que tu savais. On n&rsquo;a pas trop compris ce qui s&rsquo;est pass&eacute; pour Louis-Philippe, on n&rsquo;a jamais bien su, je crois qu&rsquo;on l&rsquo;a trouv&eacute; deux ou trois jours apr&egrave;s dans sa salle de bains. C&rsquo;est tout le probl&egrave;me quand on vit seul. &Ccedil;a s&rsquo;est pass&eacute; juste au moment de ton d&eacute;part, &ccedil;a va faire quoi, un an, un peu moins d&rsquo;un an. J&rsquo;ai m&ecirc;me cru un moment que tu &eacute;tais partie &agrave; cause de &ccedil;a. Mais non, dit Victoire, bien s&ucirc;r que non (p.110-111).</p></span></div> <p> Le roman s&rsquo;ach&egrave;ve sur cette invraisemblance empirique et di&eacute;g&eacute;tique majeure: empirique, d&rsquo;une part, parce que Louis-Philippe, mort, &eacute;tait bien vivant tout au long du r&eacute;cit et que F&eacute;lix, vivant, &eacute;tait plut&ocirc;t mort d&egrave;s l&rsquo;ouverture du r&eacute;cit; di&eacute;g&eacute;tique, d&rsquo;autre part, pour les m&ecirc;mes raisons: la mise en intrigue par le narrateur omniscient perd ici de sa coh&eacute;rence et de sa cr&eacute;dibilit&eacute;. De deux choses l&rsquo;une: ou Louis-Philippe serait un fant&ocirc;me et aurait menti &agrave; Victoire concernant la mort de F&eacute;lix, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on ressuscit&eacute;; ou, encore, le narrateur aurait retenu une somme importante de savoir et Victoire aurait tout simplement &eacute;t&eacute; victime d&rsquo;hallucinations lors de son errance. C&rsquo;est la deuxi&egrave;me hypoth&egrave;se qui semble au premier abord la plus valide, notamment en ce que le narrateur para&icirc;t d&eacute;l&eacute;guer la focalisation &agrave; Victoire &mdash;le lecteur aurait donc lu un r&eacute;cit &agrave; focalisation interne fixe sur le personnage de Victoire. Mais ce n&rsquo;est pas le cas. J&rsquo;ai affirm&eacute; plus t&ocirc;t que la narration, d&egrave;s les premiers mots du r&eacute;cit, entre dans l&rsquo;imperceptible en mentionnant que Victoire ne se souvient de rien. N&eacute;anmoins, cette focalisation interne est plut&ocirc;t simul&eacute;e; en effet, il serait plus juste de parler d&rsquo;un narrateur omniscient qui se joue du lecteur, &agrave; tout le moins du narrataire ou, encore mieux: qui se joue <em>de son propre syst&egrave;me narratif</em>, comme l&rsquo;&eacute;crit Genette &agrave; propos de Proust dans &laquo;Discours du r&eacute;cit<a name="note15" href="#note15a"><strong>[15]</strong></a>&raquo;. Un moment particulier du roman permet de bien comprendre ce que je veux dire: le narrateur met en sc&egrave;ne une d&eacute;l&eacute;gation de focalisation tout &agrave; fait impossible, et qui commence sur le rebord d&rsquo;une fen&ecirc;tre, cadre parfait pour l&rsquo;occasion:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> L&rsquo;apr&egrave;s-midi du m&ecirc;me jour, comme elle vaquait &agrave; la cuisine vers l&rsquo;heure du th&eacute;, un courant d&rsquo;air fit s&rsquo;ouvrir puis claquer bruyamment la fen&ecirc;tre de sa chambre. Elle monta l&rsquo;escalier pour aller fermer le battant mais d&rsquo;abord, accoud&eacute;e &agrave; la barre d&rsquo;appui, elle consid&eacute;ra la mer vide. <p>Pas vide pour longtemps puisque par la droite du cadre, au loin, parut la proue d&rsquo;un cargo rouge et noir. Inactif pour le moment, accoud&eacute; au bastingage, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste affect&eacute; &agrave; ce cargo consid&eacute;rait dans sa longue-vue la c&ocirc;te pointill&eacute;e de pavillons, les drapeaux flaccides hiss&eacute;s sur les plages et les d&eacute;riveurs aux voiles faseyantes, affaiss&eacute;es comme de vieux rideaux. Ensuite, au beau milieu du ciel, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste observa le bimoteur &agrave; h&eacute;lices tra&icirc;nant une banderole publicitaire environn&eacute;e d&rsquo;oiseaux marins tra&ccedil;ant des chiffres, sur fond de nuages passant du m&ecirc;me &agrave; l&rsquo;autre et du pareil au m&ecirc;me (p.28-29).</p></span></div> <p> Cette d&eacute;l&eacute;gation de focalisation au personnage de Victoire est impossible pour plusieurs raisons. Tout d&rsquo;abord, quelques pages auparavant, on a annonc&eacute; que &laquo;l&rsquo;oc&eacute;an &eacute;tait trop &eacute;loign&eacute; [du pavillon] pour qu&rsquo;on puisse l&rsquo;entendre&raquo; (p.23). De plus, le radiot&eacute;l&eacute;graphiste, lorsqu&rsquo;il regarde la c&ocirc;te avec sa longue-vue, ne voit qu&rsquo;un pointill&eacute; de pavillons, ce qui rend impossible le fait que Victoire soit en train d&rsquo;observer, &agrave; l&rsquo;&oelig;il nu, ce qu&rsquo;il fait sur le cargo qu&rsquo;elle distingue seulement au loin. Tout ce qui est rapport&eacute;, donc, nous parvient du narrateur qui, sans focalisation, est tout &agrave; fait omniscient. L&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une s&eacute;rie d&rsquo;hallucinations par Victoire est donc &agrave; rejeter. Le narrateur n&rsquo;a pas op&eacute;r&eacute; l&rsquo;importante r&eacute;tention de savoir que supposait cette hypoth&egrave;se. Il convient donc de revenir &agrave; la premi&egrave;re hypoth&egrave;se, qui stipule que Louis-Philippe est un fant&ocirc;me qui ment &agrave; Victoire pour une raison que l&rsquo;on ne conna&icirc;t pas, et que F&eacute;lix, de quelque fa&ccedil;on que ce soit, est revenu &agrave; la vie apr&egrave;s que Victoire ait quitt&eacute; Paris.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Et le surnaturel</strong></span></p> <p>Cette hypoth&egrave;se r&eacute;aliste magique r&eacute;actualise en quelque sorte le r&eacute;cit, que l&rsquo;on est tent&eacute; de relire &agrave; l&rsquo;aune de cette nouvelle donn&eacute;e. Cette relecture r&eacute;aliste magique permet de mettre en lumi&egrave;re d&rsquo;autres invraisemblances, empiriques celles-l&agrave;, qui ont pu &eacute;chapper &agrave; la vigilance du lecteur, qui les aura peut-&ecirc;tre rel&eacute;gu&eacute;es au statut de simples descriptions stylis&eacute;es, par exemple. Il faut l&rsquo;avouer, ce sont de petites occurrences surnaturelles qui ponctuent ici et l&agrave; le r&eacute;cit, mais qui peuvent &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;es comme &eacute;tant de v&eacute;ritables invraisemblances par un (re)lecteur qui consid&egrave;re le texte autrement, apr&egrave;s avoir &eacute;tabli que Louis-Philippe est un fant&ocirc;me. D&rsquo;ailleurs, d&egrave;s la dixi&egrave;me page du roman, n&rsquo;est-il pas indiqu&eacute; que &laquo;[c]&rsquo;&eacute;tait toujours par hasard au Central, et fr&eacute;quemment en fin d&rsquo;apr&egrave;s-midi, que Victoire croisait Louis-Philippe alors que lui, o&ugrave; qu&rsquo;elle f&ucirc;t et n&rsquo;importe quand, savait toujours la retrouver d&egrave;s qu&rsquo;il voulait&raquo; (p.10)? Ce qui s&rsquo;av&egrave;re juste: Victoire n&rsquo;a laiss&eacute; derri&egrave;re elle aucune trace qui e&ucirc;t permis de la retrouver et, pourtant, Louis-Philippe vient frapper &agrave; la porte du pavillon qu&rsquo;elle occupe &agrave; Saint-Jean-de-Luz, puis se trouve par hasard &agrave; l&rsquo;h&ocirc;tel Albizzia en m&ecirc;me temps qu&rsquo;elle, la prend en stop sur la route qui m&egrave;ne &agrave; Toulouse et, finalement, vient la rejoindre dans un bar situ&eacute; &agrave; peu pr&egrave;s nulle part, alors que Victoire erre en for&ecirc;t depuis longtemps d&eacute;j&agrave;. Mais ces co&iuml;ncidences ne pourraient &ecirc;tre, apr&egrave;s tout, que des co&iuml;ncidences. Nombreuses et d&eacute;routantes, certes, mais pas surnaturelles pour autant. Le premier v&eacute;ritable indice de la pr&eacute;sence du surnaturel dans le r&eacute;cit, c&rsquo;est No&euml;lle Valade, la propri&eacute;taire de la villa que loue Victoire &agrave; Saint-Jean-de-Luz, qui l&rsquo;incarne. La premi&egrave;re description du personnage va comme suit:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Visage clair et v&ecirc;tement clairs, l&egrave;vres souriantes et cabriolet corail ton sur ton, cette propri&eacute;taire nomm&eacute;e No&euml;lle Valade <em>semblait flotter &agrave; quelques centim&egrave;tres du sol </em>malgr&eacute; son imposante poitrine mais il en est ainsi des imposantes poitrines, certaines vous lestent et d&rsquo;autres vous exhaussent, sacs de sable ou ballons d&rsquo;h&eacute;lium, et <em>sa peau translucide et lumineuse</em> d&eacute;notait un v&eacute;g&eacute;tarisme strict (p.15; c&rsquo;est moi qui souligne).</span></div> <p> Mais, ici, le vocabulaire nuance le surnaturel; le narrateur indique que No&euml;lle Valade <em>semblait</em> flotter au-dessus du sol, et calque ainsi, en mode mineur, la fausse d&eacute;l&eacute;gation de focalisation que j&rsquo;ai pr&eacute;sent&eacute;e plus t&ocirc;t: c&rsquo;est Victoire qui per&ccedil;oit le personnage, semble-t-il, alors que, je l&rsquo;ai dit, c&rsquo;est plut&ocirc;t le narrateur qui prend en charge le point de vue. Le surnaturel se fait ressentir un peu plus loin encore, comme dans le passage suivant:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Du bout des doigts, sans trop les approcher, No&euml;lle Valade montrait les papiers peints disjoints, la baignoire entart&eacute;e, les &eacute;tains sous oxyde, suspendant son geste avant le point de contact, sans que Victoire compr&icirc;t d&rsquo;abord si cela relevait d&rsquo;une r&eacute;pulsion sp&eacute;ciale inspir&eacute;e par ces lieux ou d&rsquo;une politique d&rsquo;ensemble &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des objets. Cependant No&euml;lle Valade parut &eacute;prouver de la sympathie pour sa locataire, ne montra nulle m&eacute;fiance et r&eacute;duisit au minimum les formalit&eacute;s de location: ni papiers ni caution, seulement <em>trois mois d&rsquo;avance en liquide qui volet&egrave;rent en douceur, libellules vertes et bleues, du sac &agrave; main de Victoire vers le sien</em>&nbsp; (p.17; c&rsquo;est moi qui souligne). </span></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Et comme elle enclenchait la marche arri&egrave;re, Victoire put v&eacute;rifier qu&rsquo;il s&rsquo;agissait effectivement d&rsquo;une politique d&rsquo;ensemble, &eacute;tendue &agrave; toute chose mat&eacute;rielle que No&euml;lle Valade ne touchait qu&rsquo;en de&ccedil;&agrave; du bout des doigts, <em>menant son v&eacute;hicule par influx de faisceaux magn&eacute;tiques</em> (p.18-19; c&rsquo;est moi qui souligne)</span>.</div> <p> Cette fois-ci, le surnaturel est beaucoup plus prononc&eacute;: la propri&eacute;taire du pavillon fait voleter des billets de banque jusqu&rsquo;&agrave; son sac &agrave; main et conduit son cabriolet &laquo;par influx de faisceaux magn&eacute;tiques&raquo; (p.19). Et le myst&egrave;re continue de ponctuer le r&eacute;cit, notamment lorsque Victoire se lie avec Gore-Tex et Lampoule, deux itin&eacute;rants rencontr&eacute;s &agrave; Toulouse; Gore-Tex, quand vient le temps de manger, red&eacute;couvre &laquo;toujours au fond d&rsquo;une poche les m&ecirc;mes trente-cinq francs permettant &agrave; Victoire d&rsquo;accompagner Lampoule chez l&rsquo;&eacute;picier discount&raquo; (p.75), indique le narrateur. Ces petits morceaux de surnaturel ne sont pas sans &eacute;voquer la &laquo;r&eacute;alit&eacute; myst&eacute;rieuse&raquo; dont parle Pierre Lepape en quatri&egrave;me de couverture: &laquo;<em>Un an</em>, dans sa simplicit&eacute; lin&eacute;aire, imm&eacute;diate, met en valeur la po&eacute;tique d&rsquo;Echenoz. Celle-ci repose sur le combat perp&eacute;tuel que se livrent <em>une r&eacute;alit&eacute; myst&eacute;rieuse</em> et dont le sens fuit sans cesse [&hellip;] et les mots pour la dire le plus exactement possible&raquo; (je souligne).</p> <p>Il me semble donc que l&rsquo;on retrouve les trois crit&egrave;res du r&eacute;alisme magique de Chanady dans la (re)lecture du roman d&rsquo;Echenoz que je viens de proposer. D&rsquo;abord, que Louis-Philippe soit mort et F&eacute;lix vivant n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; de fa&ccedil;on probl&eacute;matique par la narration; ensuite, le conflit de sens entre le r&eacute;alisme d&eacute;solant de l&rsquo;&eacute;tat des lieux du pavillon, par exemple, et les pouvoirs myst&eacute;rieux de No&euml;lle Valade, puisqu&rsquo;il n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme probl&eacute;matique, ne se pose m&ecirc;me pas; et, finalement, les deux niveaux de r&eacute;alit&eacute; ne sont pas hi&eacute;rarchis&eacute;s. On pourrait nuancer le r&eacute;alisme magique du roman <em>Un an</em> en disant que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence naturel prend beaucoup plus de place dans le r&eacute;cit que le cadre de r&eacute;f&eacute;rence surnaturel, qui n&rsquo;est, en bout de ligne, pas vraiment &eacute;rig&eacute; en cadre de r&eacute;f&eacute;rence. Il faudrait parler, plut&ocirc;t, d&rsquo;<em>occurrences</em> surnaturelles. N&rsquo;emp&ecirc;che que les deux autres crit&egrave;res sont tout &agrave; fait respect&eacute;s, notamment parce qu&rsquo;ils se sous-entendent l&rsquo;un et l&rsquo;autre, et permettent, &agrave; d&eacute;faut d&rsquo;inscrire d&eacute;finitivement l&rsquo;&oelig;uvre &eacute;tudi&eacute;e dans le r&eacute;alisme magique, de proposer comme je viens de le faire une relecture <em>orient&eacute;e</em> par le r&eacute;alisme magique. Une relecture qui rend inop&eacute;rante l&rsquo;invraisemblance finale qui cl&ocirc;t le r&eacute;cit et qui permet, par la mise au jour d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; di&eacute;g&eacute;tique artificielle, de mettre fin au vertige lectoral caus&eacute; par une telle finale en queue de poisson. Ce parcours est non seulement orient&eacute; par le r&eacute;alisme magique mais, encore plus, <em>volontairement</em> orient&eacute;. C&rsquo;est-&agrave;-dire que ce que je d&eacute;fends, c&rsquo;est une posture lecturale, une possibilit&eacute; effective de lecture qu&rsquo;est susceptible de mener un lecteur habitu&eacute; aux r&eacute;cits non seulement r&eacute;alistes magiques, mais aussi fantastiques, &eacute;tranges, merveilleux, etc., ou encore tout lecteur adepte de ces textes qui demandent un peu plus de coop&eacute;ration interpr&eacute;tative au sens o&ugrave; l&rsquo;entend Umberto Eco<a href="#note16a" name="note16"><strong>[16]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>En guise de &laquo;contrepoint&raquo;</strong></span></p> <p>Je n&rsquo;ai pas souhait&eacute; d&eacute;fendre dans ce texte l&rsquo;hypoth&egrave;se que le roman <em>Un an</em> est r&eacute;aliste magique au pied de la lettre, on le sait maintenant, mais plut&ocirc;t celle qu&rsquo;il peut <em>activer une lecture </em>r&eacute;aliste magique, un peu comme Richard Saint-Gelais a d&eacute;j&agrave; montr&eacute; qu&rsquo;il &eacute;tait possible de lire <em>Candide</em> de Voltaire de fa&ccedil;on polici&egrave;re, m&ecirc;me si le texte en question ne rel&egrave;ve pas du genre policier<a href="#note17a" name="note17"><strong>[17]</strong></a>. Ainsi, je ne peux passer sous silence le contrepoint du roman, son successeur qui vient en expliquer les invraisemblances et d&eacute;sactiver tout &agrave; fait les possibilit&eacute;s de lire l&rsquo;&oelig;uvre selon une grille r&eacute;aliste magique. En effet, dans <em>Je m&rsquo;en vais</em><a href="#note18a" name="note18"><strong>[18]</strong></a>, roman paru chez Minuit en 1999, Echenoz explique de fa&ccedil;on tr&egrave;s pragmatique l&rsquo;invraisemblance finale de <em>Un an</em>: F&eacute;lix souffre de ce que la m&eacute;decine appelle un bloc auriculo-ventriculaire de deuxi&egrave;me degr&eacute; type Luciani-Wenckebach, affliction qui peut produire l&rsquo;arr&ecirc;t simultan&eacute; des fonctions vitales pour quelques heures, rapprochant ainsi le patient atteint de la mort clinique<a href="#note19a" name="note19"><strong>[19]</strong></a>. N&eacute;anmoins, au r&eacute;veil, le patient ne se rappelle pas avoir souffert, puisqu&rsquo;il n&rsquo;a rien ressenti. C&rsquo;est ce qui est arriv&eacute; &agrave; F&eacute;lix: il n&rsquo;&eacute;tait pas mort quand Victoire a d&eacute;cid&eacute; de partir, seulement subissait-il un &eacute;pisode de cette maladie. Quant &agrave; Louis-Philippe, il a feint sa mort pour mieux escroquer F&eacute;lix qui, &agrave; la fin, le sait mais ne le r&eacute;v&egrave;le pas &agrave; Victoire. Quoi qu&rsquo;il en soit, c&rsquo;est une posture lecturale que je d&eacute;fends; autrement dit, peu importe que <em>Je m&rsquo;en vais</em> r&eacute;duise la l&eacute;gitimit&eacute; d&rsquo;une lecture r&eacute;aliste magique de <em>Un an</em>: selon Bertrand Gervais, toute th&eacute;orie doit reconna&icirc;tre et rendre compte de la diversit&eacute; des actes de lecture. Il affirme qu&rsquo;il &laquo;n&rsquo;y a pas un seul acte de lecture dont on pourrait faire une th&eacute;orie unifi&eacute;e et globale, [mais qu&rsquo;il] y a une multiplicit&eacute; d&rsquo;actes dont il faut reconna&icirc;tre et, par suite, d&eacute;finir les variables<a href="#note20a" name="note20"><strong>[20]</strong></a>&raquo;. Je me suis attard&eacute; ici &agrave; une seule lecture du roman d&rsquo;Echenoz, mais une lecture plut&ocirc;t &laquo;originale&raquo; si l&rsquo;on consid&egrave;re celles pr&eacute;sent&eacute;es ailleurs, et qui s&rsquo;inscrit d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on dans une tentative plus globale de lire de fa&ccedil;on critique l&rsquo;&oelig;uvre du romancier. J&rsquo;ai voulu faire abstraction des nouvelles donn&eacute;es apport&eacute;es par le roman subs&eacute;quent <em>Je m&rsquo;en vais</em>, d&rsquo;abord parce que <em>Un an</em> est bel et bien un roman ind&eacute;pendant, avec un d&eacute;but et une fin, &eacute;crit sans que l&rsquo;auteur n&rsquo;ait en t&ecirc;te de produire une suite mais, aussi, parce qu&rsquo;Echenoz lui-m&ecirc;me mentionne, dans un entretien donn&eacute; aux &eacute;ditions Br&eacute;al pour un ouvrage didactique destin&eacute; aux lyc&eacute;ens, que <em>Je m&rsquo;en vais</em> n&rsquo;est pas une suite, mais un<em> contrepoint</em> au roman <em>Un an</em>:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y avait &agrave; la fin de [&hellip;] <em>Un an</em> [&hellip;] un personnage que l&rsquo;on croit mort, mais dont on s&rsquo;aper&ccedil;oit qu&rsquo;il est vivant, et un second personnage qui, inversement, est mort alors qu&rsquo;on le croit vivant. Pour moi, &ccedil;a ne devait pas causer de probl&egrave;me, en tous cas pas dans un roman; mais mon &eacute;diteur a re&ccedil;u quelques lettres de lecteurs [&hellip;] qui trouvaient cette fin un peu insolite, d&eacute;concertante. [&hellip;] &Ccedil;a &eacute;t&eacute; un peu le d&eacute;clic; je me suis dit qu&rsquo;il fallait &eacute;crire un livre qui soit totalement ind&eacute;pendant du premier, mais qui puisse en m&ecirc;me temps servir de code explicatif. Tous mes livres ont toujours &eacute;t&eacute; ind&eacute;pendants les uns des autres; l&agrave;, je ne voulais pas du tout d&rsquo;une suite, mais d&rsquo;une certaine mani&egrave;re d&rsquo;un contrepoint<a href="#note21a" name="note21"><strong>[21]</strong></a>.</span></div> <p> Cette fin d&eacute;concertante dont parle Echenoz participe au questionnement du paradigme de la transmission narrative et au vertige dont le lecteur peut &ecirc;tre victime, deux ph&eacute;nom&egrave;nes qui ne sont pas &agrave; proprement parler, ni exclusivement, contemporains, mais que l&rsquo;on retrouve n&eacute;anmoins dans tout un pan de la production litt&eacute;raire actuelle.</p> <p> <a href="#note1" name="note1a"><strong>[1]</strong></a> Ce texte est une version remani&eacute;e d&rsquo;une communication pr&eacute;sent&eacute;e au colloque &laquo;Le roman artificiel. Vertiges de la transmission narrative en fiction contemporaine&raquo;, dans le cadre du Congr&egrave;s 2010 de l&rsquo;ACFAS, tenu &agrave; Universit&eacute; de Montr&eacute;al, le 12 mai 2010.<br /> <a href="#note2" name="note2a"><strong>[2]</strong> </a>Amaryll Beatrice Chanady, <em>Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved Antinomy</em>, New York &amp; London, Garland Publishing, Inc., 1985.<br /> <a href="#note3" name="note3a"><strong>[3] </strong></a>D&eacute;sormais, les renvois &agrave; cette &eacute;dition seront signal&eacute;s dans le corps du texte par la seule mention du num&eacute;ro de la page, entre parenth&egrave;ses. <br /> <a href="#note4" name="note4a"><strong>[4] </strong></a>Richard Saint-Gelais, &laquo;&ldquo;Je le quittai sans qu&rsquo;il e&ucirc;t achev&eacute; de la lire&rdquo;. Lecture, relecture et fausse premi&egrave;re lecture du roman policier&raquo;, <em>Tangence</em>, n&deg;36 (mai 1992), p.68.<br /> <a href="#note5" name="note5a"><strong>[5]</strong></a> Christine J&eacute;rusalem, <em>Jean Echenoz: g&eacute;ographies du vide</em>, Saint-&Eacute;tienne, Publications de l&rsquo;Universit&eacute; de Saint-&Eacute;tienne Jean Monnet (Centre interdisciplinaire d&rsquo;&Eacute;tude et de Recherche sur l&rsquo;Expression Contemporaine, Travaux 118), 2005, p.73.<br /> <a name="note6a" href="#note6"><strong>[6]</strong></a> Par exemple, dans Petr Dytrt, <em>Le (post)moderne des romans de Jean Echenoz: de l&rsquo;anamn&egrave;se du moderne vers une &eacute;criture du postmoderne</em>, Brno, Masarykova Universita, 2007. Ou encore, dans Christine J&eacute;rusalem, <em>op. cit</em>..<br /> <a href="#note7" name="note7a"><strong>[7] </strong></a>On lira d&rsquo;ailleurs avec beaucoup d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, entre autres, l&rsquo;article de Frances Fortier et Andr&eacute;e Mercier, &laquo;L&rsquo;autorit&eacute; narrative dans le roman contemporain. Exploitations et red&eacute;finitions&raquo;, <em>Prot&eacute;e</em>, volume 34, num&eacute;ros 2-3 (automne-hiver 2006), p.139-152.<br /> <a href="#note8" name="note8a"><strong>[8] </strong></a>Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris, &laquo;Editors&rsquo; Note&raquo;, dans Franz Roh, &laquo;Magic Realism: Post-Expressionism&raquo;, dans Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris [dir.], <em>Magical Realism: Theory, History, Community</em>, Durham &amp; London, Duke University Press, 1995, p.15. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;I attribute no special value to the title &ldquo;magical realism&rdquo;.&raquo;<br /> <a href="#note9" name="note9a"><strong>[9]</strong></a> <em>Id.</em> C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;this new painting&rsquo;s return to Realism after Expressionism&rsquo;s more abstract style.&raquo;<br /> <a href="#note10" name="note10a"><strong>[10] </strong></a><em>Id</em>. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;the contrary tendency, that is, a text&rsquo;s departure from realism rather than it&rsquo;s reengagement of it.&raquo;<br /> <a name="note11a" href="#note11a"><strong>[11]</strong></a> Le texte a &eacute;t&eacute; repris dans l&rsquo;ouvrage collectif dirig&eacute; par Parkinson Zamora et Faris en 1995: Angel Flores, &laquo;Magical Realism in Spanish American Fiction&raquo;, dans Lois Parkinson Zamora et Wendy B. Faris [dir.], <em>op. cit.</em>, p.109-117.<br /> <a href="#note12" name="note12a"><strong>[12]</strong></a> Maria Takolander, <em>Catching Butterflies. Bringing Magical Realism to Ground</em>, Bern, Peter Lang, 2007, p.29. C&rsquo;est moi qui traduis. Texte original: &laquo;a hybrid form of fiction that combined fantasy and realism, which Latin American writers had produced and were producing.&raquo;<br /> <a href="#note13" name="note13a"><strong>[13]</strong></a> Amaryll Beatrice Chanady, <em>op. cit</em>., p.30. Passage traduit par Charles W. Scheel, dans <em>R&eacute;alisme magique et r&eacute;alisme merveilleux</em>, Paris, L&rsquo;Harmattan, 2005, p.90-91. Texte original: &laquo;while in the fantastic the supernatural is perceived as problematic, since it is patently antinomious with respect to the rational framework of the text, the supernatural in magical realism is accepted as part of reality.&raquo;<br /> <a href="#note14" name="note14a"><strong>[14]</strong></a> Tzvetan Todorov, <em>Introduction &agrave; la litt&eacute;rature fantastique</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Points), 1970, p.37.<br /> <a href="#note15" name="note15a"><strong>[15]</strong></a> G&eacute;rard Genette, <em>Figures III</em>, Paris, &Eacute;ditions du Seuil (Po&eacute;tique), 1972, p.221.<br /> <a href="#note16" name="note16a"><strong>[16] </strong></a>Umberto Eco, <em>Lector in fabula. Le r&ocirc;le du lecteur, ou la Coop&eacute;ration interpr&eacute;tative dans les textes narratifs</em>, traduit de l&rsquo;italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset (Le Livre de Poche / Biblio essais), 1985.<br /> <a href="#note17" name="note17a"><strong>[17]</strong></a> Richard Saint-Gelais, &laquo;Rudiments de lecture polici&egrave;re&raquo;, <em>Revue belge de philologie et d&rsquo;histoire</em>, num&eacute;ro 75, 1997, p.789-804.<br /> <a href="#note18" name="note18a"><strong>[18] </strong></a>Jean Echenoz, <em>Je m&rsquo;en vais</em>, Paris, &Eacute;ditions de Minuit, 2001 [1999].<br /> <a href="#note19" name="note19a"><strong>[19]</strong></a> <em>Ibid</em>., p.55.<br /> <a href="#note20" name="note20a"><strong>[20]</strong></a> Bertrand Gervais, <em>&Agrave; l&rsquo;&eacute;coute de la lecture</em>, Qu&eacute;bec, &Eacute;ditions Nota Bene (NB Poche), [1993] 2006, p.8-9.<br /> <a href="#note21" name="note21a"><strong>[21]</strong></a> Jean Echenoz, <em>Je m'en vais, op. cit</em>., p.230.</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/eloge-de-la-relecture-ou-l-invraisemblance-qui-reactive-le-recit#comments CAMUS, Albert CHANADY, Amaryll Beatrice DYTRT, Petr ECHENOZ, Jean ECO, Umberto FLORES, Angel FORTIER, Frances et MERCIER, Andrée France GENETTE, Gérard GERVAIS, Bertrand JÉRUSALEM, Christine PARKINSON ZAMORA, Lois, et FARIS, Wendy B. Réalisme magique ROH, Franz SAINT-GELAIS, Richard SCHEEL, Charles W. TAKOLANDER, Maria Théories de la lecture TODOROV, Tzvetan Roman Thu, 02 Dec 2010 17:07:28 +0000 Pierre-Luc Landry 296 at http://salondouble.contemporain.info Portrait de l’athlète en mouvement http://salondouble.contemporain.info/lecture/portrait-de-l-athlete-en-mouvement <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/bernard-christophe">Bernard, Christophe</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/courir">Courir</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Émile Zátopek, au début du roman d’Echenoz, n’aime pas le sport. Il n’aime pas courir. Pourtant, il fabrique des chaussures. Tout d’un coup, c’est la guerre, et l’Allemagne envahit la République tchèque. Et voilà que la guerre est finie. Prague tombe sous la gouverne du bloc soviétique. Dans le monde se mettent en place de nouveaux jeux de pouvoir. Émile s’enrôle. Dans l’armée, il faut faire du sport: Zátopek devient le plus grand coureur au monde. Dans cette histoire simple, d’apparence linéaire, s’entrecroise pourtant toute une réseautique de croisements narratifs pour, au-delà du politique, esquisser le devenir d’un homme: métaphysique de l’athlète. Ainsi, de son sujet, l’écriture cherche à épouser les poussées d’intensité et les métamorphoses. En cela elle déploie sur une trame linéaire des constellations d’affects et de mouvements invisibles, fouillant toujours plus avant une expérience intérieure qui, pour beaucoup, transite par&nbsp; un exercice de portrait peut-être plus près de l’expressionnisme abstrait que de toute forme de photographie.&nbsp;</p> <p class="MsoBodyText"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Tactique et ligne de vie</strong></span></p> <p class="MsoBodyText">La situation de Zátopek, au départ, baigne dans le flou. Une vague carrière de chimiste, un climat social instable, une incompréhension des règles du football européen:</p> <p class="MsoBodyText rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Quand ils l’obligent parfois à jouer, il participe à son corps défendant, ne sait pas s’y prendre, n’entend rien aux règles. Tout en feignant de s’intéresser, il regarde ailleurs en tâchant discrètement d’éviter le ballon dont il ne comprend rien à la trajectoire. (p.12)</span></p> <p class="MsoBodyText">En quelques lignes, Echenoz plonge d’entrée de jeu son personnage au cœur d’une infinité de variations, face à l’incompréhension de lignes brouillées où le corps peut s’enfoncer - et lui ne comprend rien, ne peut extraire de mouvements et de sorties de ces schémas virtuels, ne peut y établir de position, y découper de forme de vie, à l’amont de tout devenir. Trois mots cependant annoncent déjà la mise en branle à venir de la machine Émile: corps défendant, ailleurs, trajectoire. Trois ancrages, trois points qu’Émile saura relier mieux que quiconque sur la piste, une fois son propre tracé dégagé, vers un au-delà du corps.</p> <p class="MsoBodyText">Une histoire vraie: aux Jeux d’Helsinki de 1952, le Tchèque accélère subitement pour, à l’avantage d’une courbe, se détacher du peloton compact en tête de course, et qui l’empêche de percer. C’est cela, courir, «se dégager de cette meute.»&nbsp;(p.98) L’un des adversaires, sans contact apparent, s’écrase sur la piste. De corps défendant, Émile vient de passer à l’attaque sur le plan cinétique. Il vient d’engager une dynamique de combat. C’est que Zátopek est célèbre pour avoir réinventé les tactiques de la course. Sa trajectoire est chose très irrégulière, fonctionnant par à-coups et effets de spontanéité. Cela dit, non seulement sa technique vise à maximiser son propre rendement, mais sert aussi à nuire à celui des autres coureurs. Que ce soit dans leur corps ou entre eux,&nbsp;la «méthode Zátopek» dérègle l’organisation qui prévaut parmi les athlètes, opère des recoupements en travers de leur trajectoire, les entrave: «[Il] trouve encore le moyen de briser ses adversaires, de les étourdir, de les déconcerter, de les désorganiser.» (p.84) L’unique forme de régularité, c’est la routine d’entraînement, et la victoire sur la piste est remportée grâce à l’arythmie, à des modulations de la foulée qui pulvérise l’effort uniformément étalonné des adversaires, moquant leur conception biologique des lignes à parcourir.</p> <p class="MsoBodyText">Mais les choses ne se réduisent pas à cette seule dimension guerrière. Zátopek est aspiré vers un ailleurs, sa curiosité est plus forte que sa douleur, et en repoussant les limites de son sport, il donne à la réalité une élasticité inouïe, des extensions avant lui impensables, et que lui seul habite. C’est que le corps du coureur travaille la vitesse. Dans un véritable devenir, il intègre la vitesse. Les rapports entre son environnement et ses mouvements obéissent à la recherche systématique de vélocité. Son devenir se réalise ainsi, coïncide à sa propulsion au long d’une ligne matérialisée par la piste, et pour cette raison dans des formes fugitives sans cesse recomposées, toujours insaisissables. De là peut-être les nombreux reproches qu’Émile doit souffrir: l’horreur de son style. Sa technique échappe aux catégories esthétiques qu’on reconnaît à la course. On ne comprend pas, même qu’Émile «fait tout ce qu’il ne faut pas faire et il gagne.» (p.46) Il va finir par se blesser, dit-on. Mais non, rien. Émile sait se fondre dans le mouvement. C’est là l’image d’un projectile, d’un véhicule fugace qui dans un premier temps échappe aux clôtures de toutes sortes (sociales, athlétiques, spatiotemporelles), et qui ensuite les repousse - vers un ailleurs. Émile, infatigable, continue un peu sur la terre battue après sa course: il se rattrape, toujours au-delà de soi.</p> <p class="MsoBodyText"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Devenir et machine</span></strong></p> <p class="MsoBodyText">Courir explore le mouvement, pris dans des variations de vitesse. Le récit lui-même fonctionne ainsi, passant au minutage étiré de gros plans saillants pour les séquences de course à des perspectives distantes et elliptiques durant les scènes de transition. Mais si le texte suit une linéarité chronologique, il ne faut toutefois pas se leurrer: c’est une ligne en dents de scie, en cassures, en zigzags et en variations d’intensité. Là se déploie tout l’art d’Echenoz, qui s’attarde aux fluctuations intérieures poussant Émile sur la piste.</p> <p class="MsoBodyText">Car l’athlète n’est pas qu’un corps dans l’espace; il n’est pas qu’extériorité, au contraire. Voilà une posture du portraitiste devant la difficulté de la tâche: saisir du dedans un sujet en mouvement. Echenoz veut en pénétrer les mécanismes invisibles, à l’écart de la cinétique des coureurs. En de nombreux endroits du texte, Émile est comparé à une machine: «Faire tourner la machine, l’améliorer sans cesse, lui extorquer des résultats […] Cette machine est un moteur exceptionnel sur lequel on aurait négligé de monter une carrosserie.» (p.54). Courir équivaut donc à plier le corps à la discipline de la machine et, surtout, à expérimenter les transformations que cela permet. Métaphore filée sur le surnom du champion tchèque: la Locomotive. Pas de peaufinage stylistique chez Émile, mais abstraction de la «carrosserie», de l’extériorité. Le faciès décomposé de Zátopek en porte les poussées d’intensité pure.</p> <p class="MsoBodyText">Émile souffre quand il court - «[s]es traits sont altérés, comme déchirés par une souffrance affreuse, langue tirée par intermittence […] Il a l’air absent quand il court, terriblement ailleurs» (p.50) - parce que sa transformation en machine n’est effective qu’au terme d’arrachements, de disjonctions et de rebranchements.&nbsp; Contrairement aux figurants dans les estrades, le lecteur a le privilège d’assister à la fois à une performance intériorisée et à une métamorphose qui jamais, cependant, ne se joue en termes biologiques:</p> <p class="MsoBodyText rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Certes on prétend que les échanges gazeux de ses poumons sont anormalement riches en oxygène. Certes on assure que son cœur est hypertrophié […] une commission technique médicale dément toutes ces rumeurs, affirme que pas du tout, qu’Émile est un homme normal. (p.53)</span></p> <p class="MsoBodyText">C’est plutôt l’effacement du biologique qu’Émile recherche dans sa transformation en machine, car l’avantage de «l’automate», c’est sa faculté d’effectuer sans fatigue des opérations complexes sur la piste et d’extraire un maximum de vitesse d’une nouvelle distribution de l’effort.</p> <p class="MsoBodyText">Si Émile, en cela, donne l’impression de faire le contraire de ce qu’il faut, si son style, au-dessus des jambes, se compose de cassements et de grimaces, c’est qu’il soumet son corps à la désorganisation. Ayant soumis os et muscles à une extrême rigueur, il sait que le corps doit être défait pour se recomposer sur le tracé de la Locomotive. Les bras de Zátopek, par exemple, ne lui obéissent plus, pas plus qu’ils n’obéissent aux normes de la course à pied; sa tête part dans tous les sens. Ils se sont détachés de la structure d’ensemble, débranchés de la machine véloce. Cela ne veut pas dire que le corps n’est pas réorganisé autrement. Le devenir d’Émile l’oblige à se fondre méthodiquement dans une propulsion vers l’avant. L’écriture, en plusieurs endroits, recompose ainsi le corps à même l’idée de locomotive, et Émile se restructure sur la trajectoire qui défile. Dans son rapport à la vitesse, il devient machine, n’utilisant plus les bras pour maximiser les jambes, se reposant en mouvement et contrôlant non seulement sa propre cadence, mais aussi la stratégie des relations en cours sur la piste.</p> <p class="rtecenter">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; &nbsp; ***</p> <p class="MsoBodyText">Zátopek, au début, n’aime pas la guerre. Malgré ses grades qui s’empilent, il n’est pas d’un caractère belliqueux. Il croit en son gouvernement, qu’il sert sans une plainte. Mais en dehors de la piste, Émile est un instrument. Son déploiement de force raffermit la position des communistes, qui au fond ont la main mise sur ses déplacements. Il est prisonnier d’un espace quadrillé, hautement organisé, fonctionnel. Sa fuite vers l’avant, dans ce système, enclenche des rouages malgré lui. Ainsi dans le monde social, Émile s’efface tout à fait, non pas dans un devenir abstrait, mais dans l’anonymat collectif. Bien sûr, Zátopek est connu du public, ce qui n’empêche qu’Echenoz refuse l’objectivation et exécute son portrait au seuil du perceptible: à travers des coupures de journaux, le regard des foules et des collègues, les avis de médecins ou le jugement des dirigeants. L’essentiel d’Émile achoppe, comme si son extériorité ne suffisait pas, comme si le récit n’arrivait pas à le rattraper. Courir, pour lui, aura été le moyen d’échapper à l’usine de souliers, aux nazis, aux frontières géographiques imposées par Moscou. Cette dimension du portrait se prolonge au final dans une disparition (une immobilité) du personnage, certes ravalé par l’appareil d’État, mais aussi bien sur sa propre ligne de fuite.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/portrait-de-l-athlete-en-mouvement#comments Devenir ECHENOZ, Jean France Guerre Histoire Roman Thu, 26 Nov 2009 02:01:00 +0000 Christophe Bernard 198 at http://salondouble.contemporain.info