Salon double - DELVAUX, Martine http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/255/0 fr Raconter son histoire pour en donner une à celles qui n’en ont pas http://salondouble.contemporain.info/lecture/raconter-son-histoire-pour-en-donner-une-a-celles-qui-n-en-ont-pas <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/hope-jonathan">Hope, Jonathan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/rose-amer">Rose amer</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p class="MsoNormal">Quelqu&rsquo;un, une fois, a dit&nbsp;: &laquo;on peut croire avoir fini avec le pass&eacute;, mais le pass&eacute; n&rsquo;a jamais fini avec nous&raquo;. La plupart du temps, notre pass&eacute; &ndash;et tout particuli&egrave;rement notre enfance&ndash; est simplement oubli&eacute;. On continue avec nos vies en se consacrant au pr&eacute;sent et en anticipant l&rsquo;avenir. Mais le pass&eacute; est toujours l&agrave; et s&rsquo;accumule. &Agrave; la fois objet de ravivement et de conjuration, le pass&eacute; peut s&rsquo;ouvrir &agrave; nos interrogations. Il peut sourdre et tranquillement teinter notre existence. Sinon il peut surgir violemment, nous assujettir, forcer notre regard sur ce qu&rsquo;on cherche, inconsciemment peut-&ecirc;tre, &agrave; ignorer.</p> <p class="MsoNormal">Mais en scrutant notre pass&eacute;, on peut avoir le sentiment que quelque chose cloche. Comme si notre pass&eacute;, plus ou moins homog&egrave;ne &ndash;et il l&rsquo;est toujours, du moins pour nous&ndash;, avait des trous, &eacute;tait marqu&eacute; d&rsquo;absences. C&rsquo;est comme si lorsque nous r&eacute;fl&eacute;chissons sur notre pass&eacute; nous voyons, parsem&eacute; dans les souvenirs, des silhouettes inqui&eacute;tantes qui se profilent sur notre histoire, des b&eacute;ances <em>dans</em> notre histoire.</p> <p class="MsoNormal rteleft">&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;*&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment sur le th&egrave;me du pass&eacute; que porte <em>Rose amer </em>de Martine Delvaux, son tr&egrave;s beau dernier roman aux allures biographiques. L&rsquo;auteure &eacute;crit pour ne pas oublier la vie d&rsquo;une petite fille qui na&icirc;t dans un monde sans hommes quelque part sur la 417, &agrave; la campagne&nbsp;: &laquo;on disait la campagne pour ne pas dire les pervers et les fous dans les champs le long de l&rsquo;autoroute&raquo;. Une de ces campagnes minables o&ugrave; le secret &eacute;tait, &agrave; la fois, frapp&eacute; d&rsquo;une interdiction morale et dans les faits omnipr&eacute;sent. Puis, Delvaux raconte la vie de banlieue, tout aussi maudite, quelque part dans la r&eacute;gion de la capitale f&eacute;d&eacute;rale. Une de ces banlieues tranquilles et &agrave; cause de cela compl&egrave;tement inqui&eacute;tantes, o&ugrave; toutes les maisons se ressemblaient, o&ugrave; les gens lavaient leurs chars le week-end, &laquo;o&ugrave; rien ne se passait jamais, o&ugrave; il fallait tout inventer pour ne pas mourir d&rsquo;ennui en oubliant de respirer&raquo;. &nbsp;Et enfin, la ville que l&rsquo;auteure avait &laquo;toujours vue &agrave; la t&eacute;l&eacute;&raquo;&nbsp;: le centre urbain de sir&egrave;nes, de klaxons, r&egrave;gne de la foule rythm&eacute;e, en marche et bien huil&eacute;e, qui submerge l&rsquo;individu.</p> <p class="MsoNormal">Les pages sont remplies de souvenirs&nbsp;: les amies, les bleds, les d&eacute;m&eacute;nagements, l&rsquo;&eacute;cole, le coll&egrave;ge. Et tous ces souvenirs sont arrim&eacute;s, rendus possibles par une pl&eacute;thore de d&eacute;tails qui cr&eacute;ent ce que Barthes a justement nomm&eacute; l&rsquo;effet de r&eacute;el. Il y a les d&eacute;tails les plus primaires comme le go&ucirc;t des chips au vinaigre, ou celui des &laquo;meilleurs hot-dogs <em>steam&eacute;s all-dressed </em>au monde&raquo;. Il y a les d&eacute;tails intimes de l&rsquo;auteur comme la Cortina rouge familiale et les deux tantes ins&eacute;parables Jeanne et R&eacute;jeanne. Et il y a ces d&eacute;tails collectifs&nbsp;: Elvis, Nadia Comaneci, C&eacute;line Dion.</p> <p class="MsoNormal rteleft">&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;*&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">Comme ailleurs chez Delvaux, l&rsquo;&eacute;criture dans ce roman cherche &agrave; r&eacute;sister &agrave; l&rsquo;oubli. En transcrivant fid&egrave;lement des souvenirs, l&rsquo;auteure dit ou cr&eacute;e son histoire; et puisque c&rsquo;est Delvaux elle-m&ecirc;me qui la raconte, l&rsquo;histoire est forc&eacute;ment <em>r&eacute;elle</em>. Bien qu&rsquo;il soit question de pass&eacute; en g&eacute;n&eacute;ral, une grande partie du livre est consacr&eacute;e tout particuli&egrave;rement &agrave; l&rsquo;enfance. Ce qu&rsquo;il y a de plus temporellement distant est donc trait&eacute; en profondeur; et plus on se rapproche du pr&eacute;sent, plus l&rsquo;auteure se volatilise. L&rsquo;&acirc;ge de la candeur que raconte Delvaux n&rsquo;est pas extraordinaire, mais normal avec ses hauts et ses bas. L&rsquo;enfance n&rsquo;est pas compl&egrave;tement <em>rose</em>, mais, suivant une v&eacute;rit&eacute; proverbiale, comme n&rsquo;importe quelle innocence elle aurait bien pu l&rsquo;&ecirc;tre. Pourquoi donc l&rsquo;<em>amer</em>?</p> <p class="MsoNormal">L&rsquo;enfance est aussi fragile que le souvenir que nous avons d&rsquo;elle. L&rsquo;une comme l&rsquo;autre peut s&rsquo;effriter et tout contribue &agrave; leur perte; il est donc d&rsquo;autant plus urgent de les prot&eacute;ger. Comme l&rsquo;&eacute;cologiste tente de sauvegarder des habitats et des esp&egrave;ces menac&eacute;s, Delvaux cherche &agrave; prot&eacute;ger l&rsquo;enfance et les souvenirs qui la constituent. Il ne faut surtout pas croire que le bon souvenir, le souvenir dit &laquo;&nbsp;juste&nbsp;&raquo;, peut pr&eacute;server notre pass&eacute;. Au contraire, toute rem&eacute;moration n&rsquo;est qu&rsquo;une approximation et, comme telle, impr&eacute;cision et corruption.</p> <p class="MsoNormal">Dans un sens, toute lutte g&eacute;n&egrave;re ce contre quoi elle combat. La psychanalyse a justement vu ce paradoxe. En jargon lacanien, on dira que le langage et l&rsquo;&eacute;criture, qui se donnent comme t&acirc;che la pr&eacute;servation de l&rsquo;enfance, sont des &eacute;preuves de pur d&eacute;sir. En effet, au fur et &agrave; mesure qu&rsquo;on utilise le langage pour d&eacute;crire notre pass&eacute;, on le repousse. Ce probl&egrave;me contre lequel se bat Delvaux est en fait inh&eacute;rent &agrave; l&rsquo;enfance. On d&eacute;couvre l&rsquo;enfance alors qu&rsquo;elle s&rsquo;&eacute;chappe; c&rsquo;est comme pour le mort-n&eacute; o&ugrave;, dans les mots de l&rsquo;auteure, tout arrive &laquo;en m&ecirc;me temps, la lumi&egrave;re et l&rsquo;obscurit&eacute;&raquo;. Comme tout obscurcissement et tout d&eacute;passement, celui de l&rsquo;enfance est paradoxal et sp&eacute;cifiquement enracin&eacute; dans le langage. Bien s&ucirc;r que l&rsquo;enfant est menac&eacute; par la d&eacute;couverte de la sexualit&eacute;, les amiti&eacute;s perdues, la s&eacute;paration douloureuse avec les parents &ndash;et dans le cas de Delvaux, tout particuli&egrave;rement l&rsquo;arrachement maternel. Mais le vrai glas est sonn&eacute; par le langage. L&rsquo;enfant, on le sait, c&rsquo;est l&rsquo;<em>in-fans</em>, celle ou celui qui ne peut pas parler. Mais l&rsquo;enfant ne d&eacute;couvre ce fait qu&rsquo;au moment o&ugrave; il met des mots sur des sentiments et des situations, en parlant avec ses parents et, surtout, avec ses amis. En d&eacute;couvrant le langage, l&rsquo;enfant d&eacute;couvre qu&rsquo;il ne l&rsquo;avait pas&nbsp;: il n&rsquo;est plus ce qu&rsquo;il &eacute;tait, ne sait pas plus ce qu&rsquo;il sera, mais pour la premi&egrave;re fois est r&eacute;ellement quelque chose. C&rsquo;est l&agrave; le paradoxe, car l&rsquo;enfant n&rsquo;a conscience que de ce moment de rupture; plus encore, l&rsquo;enfant n&rsquo;a conscience que <em>dans</em> la rupture. L&rsquo;existence n&rsquo;est que basculement et &eacute;clatement.</p> <p class="MsoNormal">Il y a donc une difficult&eacute; inh&eacute;rente &agrave; la communication de notre histoire. Malgr&eacute; et &agrave; cause de tous nos efforts &agrave; la pr&eacute;server, elle s&rsquo;efface et dispara&icirc;t. Quel mot insens&eacute; que celui de &laquo;disparition&raquo;. On ne cesse de nous dire que tout se transforme, rien ne se cr&eacute;e ni ne se perd. Les choses sont perdues, d&eacute;truites, les gens meurent, les souvenirs sont oubli&eacute;s; mais &agrave; proprement parler rien ne serait cens&eacute; <em>dispara&icirc;tre</em>. Toutefois, le point z&eacute;ro et l&rsquo;an&eacute;antissement absolu pr&eacute;tendument <em>impossibles</em> d&eacute;signent surtout l&rsquo;<em>impensable</em>. Comme le vide et l&rsquo;infini aux sources de la folie moderne, la disparition est au-del&agrave; des limites de la connaissance &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur desquelles le sens se maintient. Pass&eacute; cette limite c&rsquo;est un non-lieu absurde. L&rsquo;existence de cette valeur n&eacute;gative est pourtant n&eacute;cessaire, puisqu&rsquo;elle seule nous aide quand le sens fait d&eacute;faut.</p> <p class="MsoNormal rteleft">&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;*&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">L&rsquo;amertume dans le roman tient donc, d&rsquo;abord, du fait que le pass&eacute; de Delvaux n&rsquo;est plus et que toute tentative de le rattraper l&rsquo;&eacute;loigne davantage. Mais plus essentiellement, et plus perturbant, quelque chose infiltre les fondations du texte, comme des miasmes exhal&eacute;s chaque fois qu&rsquo;on tourne une page. On trouve parsem&eacute; au fil de l&rsquo;histoire de l&rsquo;auteur, une foule de r&eacute;f&eacute;rences &agrave; des filles sacrifi&eacute;es &ndash;ces sacrifices qui finissent trop souvent en anecdotes enterr&eacute;es quelque part dans les tablo&iuml;ds, entre le racontar d&rsquo;une aventure extraconjugale d&rsquo;un ministre quelconque et celle d&rsquo;une bataille de gangs de rue. Delvaux raconte son histoire en &eacute;voquant en filigrane ces enfants qui n&rsquo;ont pas eu d&rsquo;enfance &agrave; proprement parler, car elle leur a &eacute;t&eacute; enlev&eacute;e. Plus l&rsquo;histoire progresse, plus les disparues se multiplient&nbsp;: les avort&eacute;s; &laquo;b&eacute;b&eacute; Azaria&raquo;; Doris &laquo;la petite fille qui vivait au fond du champ derri&egrave;re chez nous&raquo;; Georgette assassin&eacute;e par son p&egrave;re; ces &laquo;Oph&eacute;lie dans la Hudson River&raquo;; Christine Blondin; des drames (filmiques ou pas) &laquo;remplis de disparues et d&rsquo;assassin&eacute;es&raquo;; cette fille dont la perte a rendu folle la m&egrave;re.</p> <p class="MsoNormal">En lisant l&rsquo;histoire fil&eacute;e par Delvaux, on se rappelle &ndash;ou l&rsquo;on prend conscience&ndash; qu&rsquo;une foule d&rsquo;enfants, et surtout des filles, ne peuvent acqu&eacute;rir et exercer cette libert&eacute; d&rsquo;&eacute;criture. Ces filles enlev&eacute;es, trop souvent oubli&eacute;es une fois que les m&eacute;dias passent &agrave; autre chose, ne sont pas devenues des adultes. Ainsi, elles n&rsquo;ont pu se mesurer au langage afin de raconter leur histoire. Leur seule histoire aura &eacute;t&eacute; compos&eacute;e par des ravisseurs monstrueux et publi&eacute; rapidement dans les journaux. <em>End of story</em>. Sans rien enlever &agrave; ces trag&eacute;dies &eacute;pouvantables &ndash;au contraire, malheureusement &ccedil;a les rench&eacute;rit&ndash; on remarque que ce n&rsquo;est pas uniquement la vie qui leur a &eacute;t&eacute; enlev&eacute;e, mais ce qu&rsquo;on pourrait nommer, de mani&egrave;re contradictoire, leur pass&eacute; potentiel. De mani&egrave;re insens&eacute;e, on dira presque qu&rsquo;elles <em>n&rsquo;ont pas eu</em> de pass&eacute; parce qu&rsquo;elles ne sont plus l&agrave; pour le raconter. L&rsquo;&eacute;nonc&eacute; n&rsquo;est pas aussi redondant qu&rsquo;il peut en avoir l&rsquo;air&nbsp;: vivre est une chose, d&eacute;couvrir le langage afin d&rsquo;exprimer la vie en est une autre.&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">C&rsquo;est encore de la disparition dont il est question. On ne peut s&rsquo;emp&ecirc;cher de souligner, encore, l&rsquo;absurdit&eacute; du mot. L&rsquo;enfant ne dispara&icirc;t pas; il est s&eacute;questr&eacute;, d&eacute;shumanis&eacute;, prostitu&eacute;, tortur&eacute;, d&eacute;pec&eacute;, assassin&eacute;, mais ne <em>dispara&icirc;t</em> pas. D&rsquo;ailleurs, on pourrait souligner que la disparition ne <em>signifie</em> rien. En effet, la disparition est vide, n&eacute;gativit&eacute;, <em>absence</em> &ndash;l&rsquo;&ecirc;tre est parti, il s&rsquo;est <em>barr&eacute;</em>. Ce qui est disparu n&rsquo;est plus <em>l&agrave;</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire il ne peut plus &ecirc;tre d&eacute;sign&eacute;. Et pourtant si nous avons le mot, c&rsquo;est bien parce qu&rsquo;il exprime quelque chose. C&rsquo;est bien avec ce mot que nous pensons ces enfances bris&eacute;es. Comme si, &agrave; l&rsquo;aide de ce mot qui ne dit proprement rien, on reconnaissait que la vie &eacute;tait comme suspendue, tout en conjurant et en supplantant la mort. La disparition est un non-lieu, une attente, inaccessible &agrave; la localisation spatio-temporelle. La disparition est une abstraction pure, qui s&rsquo;y retrouve est donc <em>indestructible</em>. Le mot est donc n&eacute;cessaire pour penser ce qui nous a &eacute;t&eacute; vol&eacute;, pour pr&eacute;server quelque chose que d&rsquo;autres ont cru pouvoir an&eacute;antir.</p> <p class="MsoNormal rteleft">&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; *&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">Peut-&ecirc;tre devons-nous rappeler ici que Lacan, le &laquo;Hegel fran&ccedil;ais&raquo;, d&eacute;finissait justement le sujet comme barr&eacute;. Ainsi, il parlait du <span style="text-decoration: line-through;">sujet</span>&nbsp;: cliv&eacute;, biff&eacute; et enfui. Le <span style="text-decoration: line-through;">sujet</span> &eacute;tait justement, en termes lacaniens, ce qui n&rsquo;&eacute;tait plus l&agrave;, insignifiant. Que tous les sujets soient barr&eacute;s ou pas, laissons la psychanalyse le d&eacute;cider. Contentons-nous de signaler la myst&eacute;rieuse co&iuml;ncidence entre cette d&eacute;finition et des &eacute;l&eacute;ments cl&eacute;s du roman de Delvaux. Il y a d&rsquo;abord le statut paradoxal des jeunes filles disparues. Mais surtout, la multiplication des disparitions au fil du roman est &eacute;trangement li&eacute;e, de mani&egrave;re inversement proportionnelle, &agrave; la pr&eacute;sence de l&rsquo;auteure&nbsp;: en effet, tout le pass&eacute; de la narratrice y est, mais son pr&eacute;sent est tout simplement volatilis&eacute;.</p> <p class="MsoNormal rteleft">&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; *&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">Peu de temps avant que je ne lise <em>Rose amer</em>, j&rsquo;&eacute;tais non moins &eacute;mu par un film de Damian Harris, <em>Gardens of the Night</em>&nbsp;[2008]. C&rsquo;est un film d&rsquo;une grande sensibilit&eacute; qui porte sur les enfances perdues. Pas question ici de glorifier le <em>trash</em>, de dorer la mis&egrave;re, ce n&rsquo;est pas un film de Tarantino. Au contraire, avec une rare sensibilit&eacute; Harris filme le rapt de Leslie, une fillette de huit ans, ses premiers jours parmi ses ravisseurs ainsi que sa rencontre avec Donnie, un autre enfant enlev&eacute;. Le film raconte tous les mensonges n&eacute;cessaires &agrave; rendre, horriblement, la situation &laquo;normale&raquo; aux yeux des enfants cr&eacute;dules. Puis, ellipse, Leslie et Donnie jeunes adultes dans les rues de San Diego. Ici encore il est question de disparition, huit ans de vide et de n&eacute;ant. Maintenant il est question d&rsquo;amour, de d&eacute;chirement, de r&eacute;p&eacute;tition, de d&eacute;couverte. Mais entre les deux p&eacute;riodes il n&rsquo;y a rien, car, disent les enfants citant Kipling, l&rsquo;enl&egrave;vement par les hommes-singes, les monstres, et la r&eacute;gression dans leur jungle malveillante &laquo;est une des choses que personne ne peut d&eacute;crire&raquo;. Les mots sont-ils si limit&eacute;s? Je ne crois pas, le v&eacute;cu peut toujours se dire, &agrave; condition de tol&eacute;rer la part d&rsquo;absurdit&eacute; sur laquelle toute expression se fonde.</p> <p>&nbsp;&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;*&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">Une fois <em>Rose amer</em> d&eacute;pos&eacute;, la vie suit son cours. Mais comme apr&egrave;s n&rsquo;importe quelle lecture, quelque chose subsiste. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre parce que le livre est carr&eacute;ment issu de la r&eacute;alit&eacute;, mais tout &agrave; coup nous voil&agrave; plus sensibles &agrave; certains&hellip; J&rsquo;allais &eacute;crire &laquo;faits&raquo;, ou &laquo;ph&eacute;nom&egrave;nes&raquo;. Mais c&rsquo;est tout le contraire&nbsp;: nous voil&agrave; sensibles &agrave; des <em>absences</em> ou des <em>trous</em>.</p> <p class="MsoNormal">En sortant de l&rsquo;&eacute;picerie, je croise constamment cette affiche&nbsp;:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">REWARD &pound;12,000 Paige Chivers 17 yrs old MISSING PERSON</span></p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Paige has been missing since 23rd August 2007 when she left her family home in Blackpool with a bag or suitcase.</span></p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Paige is 5ft 5&rsquo;&rsquo; tall and a slim build, she has brown eyes and a distinctive &lsquo;Playboy Bunny&rsquo; tatoo on the back of her neck with the word &lsquo;Playgirl&rsquo; written underneath.</span></p> <p class="MsoNormal">Une fille qui &eacute;tait sortie s&rsquo;amuser et qui, un soir, n&rsquo;est pas rentr&eacute;e. &Agrave; c&ocirc;t&eacute; du texte il y a des photos de la jeune adolescente. Ce sont des photos de f&ecirc;te sans doute, on ne pose jamais pour notre propre affiche de &laquo;personne disparue&raquo;. Insouciante, Paige pose pour un photographe sans savoir que plus tard ces photos seront vues par des milliers de passants qui devront l&rsquo;associer &agrave; une existence &eacute;vid&eacute;e. Quelques-uns penseront &agrave; elle, ils penseront &agrave; leurs propres enfants, &agrave; leurs propres enfances. Ils en garderont une trace, et diront que sa &laquo;disparition&raquo; n&rsquo;aura pas &eacute;t&eacute; inutile. Ils s&rsquo;en souviendront et ne c&eacute;deront pas &agrave; la tentation de l&rsquo;oubli.</p> <p class="MsoNormal">R&eacute;sister &agrave; l&rsquo;oubli, c&rsquo;est justement ce que Martine Delvaux fait admirablement dans <em>Rose amer</em>. C&rsquo;est comme si l&rsquo;&eacute;criture de son histoire lui sert de pr&eacute;texte afin d&rsquo;&eacute;crire une histoire pour ces autres. &Agrave; chaque fois que resurgissent ses propres fant&ocirc;mes, dans leurs sillages, tra&icirc;nent ces autres pr&eacute;sences du pass&eacute;, celles de ces enfants disparus. L&rsquo;histoire de Delvaux se r&eacute;v&egrave;le par la n&eacute;gative, par l&rsquo;&eacute;vocation de toutes ces filles enlev&eacute;es, viol&eacute;es, assassin&eacute;es, ces filles qui n&rsquo;ont pas eu droit &agrave; leur histoire. Dans <em>Rose amer</em>, des histoires d&rsquo;enfances bris&eacute;es planent comme des ombres &ndash;telle celle du lecteur&ndash; sur toutes pages.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/raconter-son-histoire-pour-en-donner-une-a-celles-qui-n-en-ont-pas#comments Culture populaire DELVAUX, Martine Oubli Québec Roman Fri, 11 Dec 2009 14:50:24 +0000 Jonathan Hope 203 at http://salondouble.contemporain.info