Salon double - LEFEBURE, Mathyas http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/257/0 fr Un bourgeois en proie aux événements http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-bourgeois-en-proie-aux-evenements <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/d-ou-viens-tu-berger">D’où viens-tu, berger?</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><em>Mon troupeau, mon troupeau de milliers de milliers de moutons d&eacute;ferle en moi&hellip; et je bous d&rsquo;une violente r&eacute;conciliation avec le </em>monde<em>. De mes propres mains, je me suis p&eacute;tri, p&eacute;tri &agrave; en c&eacute;l&eacute;brer la sortie du nihilisme.</em> (p. 252)</span></p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>La vie au sein de la violence pastorale</strong></span><strong><br /> </strong></p> <p align="justify">En lisant les p&eacute;rip&eacute;ties de sa douce en train d&rsquo;&eacute;gorger des moutons en France, le narrateur de <em>D&rsquo;o&ugrave; viens-tu, berger?</em> r&ecirc;ve &agrave; son tour d&rsquo;&eacute;pouser l&rsquo;&eacute;toffe du berger. Puisqu&rsquo;on entre dans le terroir comme on entre en religion, il lui faut se d&eacute;faire de tout. Il accepte gaiement et quitte sa vie paisible de jeune professionnel en publicit&eacute; pour la Provence. Un Qu&eacute;b&eacute;cois retourne &agrave; la terre, et &ccedil;a se passera dans les montagnes fran&ccedil;aises. La qu&ecirc;te tant souhait&eacute;e s&rsquo;offre &agrave; lui avec ses emb&ucirc;ches et ses r&eacute;compenses. Il peine, travaille fort et arrive &agrave; obtenir le paradis: son troupeau de moutons en montagne. La tranquillit&eacute; n&rsquo;est que de courte dur&eacute;e, mais pour un jeune h&eacute;ros de la terre, tous les d&eacute;fis sont bons. Le loup vient de surgir. La panique s&rsquo;installe en montagne et les cadavres de moutons se multiplient. &laquo;Vais-je abdiquer? Me rendre &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence que je ne suis qu&rsquo;un id&eacute;aliste de l&rsquo;ovin? (p. 120)&raquo; L&rsquo;id&eacute;al n&rsquo;a pas de prix et se nourrit, malgr&eacute; tout, de ses d&eacute;ceptions. Le narrateur reste donc en poste, savourant la solitude des hauteurs.</p> <p align="justify">Le roman relate en d&eacute;tail la transition de sa vie de professionnel &agrave; sa vocation de berger. Il apprend le m&eacute;tier sur le tas, &agrave; la dure. M&ecirc;me s&rsquo;il raconte avec un soin particulier les transformations, souvent brutales, du monde pastoral fran&ccedil;ais contemporain, sa nouvelle vie est toujours plus enviable que la pr&eacute;c&eacute;dente et elle lui offre enfin une occasion de se consacrer &agrave; l&rsquo;&eacute;criture :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128); ">La prop&eacute;deutique au pr&eacute; se poursuit, chaque jour, dans des t&acirc;ches manuelles rudes, des risques de blessures, et de l&rsquo;enfermement toujours plus loin, toujours plus profond, en moi-m&ecirc;me, un retrait face &agrave; l&rsquo;hostilit&eacute; des violences faites aux moutons, des crises de rage du patron et de l&rsquo;antipathie croissante de Mohamed, qui voit bien les limites de mes capacit&eacute;s manuelles, et surtout que je ne l&rsquo;ai pas pris pour mentor. Je persiste, car il va n&eacute;cessairement y avoir la r&eacute;compense de la garde, de partir seul au loin en tirant mille brebis. Et le soir, cette vive lumi&egrave;re rena&icirc;t en moi, celle de la force de l&rsquo;&eacute;criture, celle d&rsquo;une transcendance permanente au monde. (p. 88-89)</span></p> <p align="justify">Si l&rsquo;apprentissage du m&eacute;tier fut d&eacute;j&agrave; bien ardu pour le Qu&eacute;b&eacute;cois en exil, l&rsquo;&eacute;pisode des loups sera le point culminant de son s&eacute;jour qui d&eacute;terminera son d&eacute;sir de se consacrer tout entier &agrave; sa vocation. &nbsp;<br /> &nbsp;<br /> <strong> </strong><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>La relation au pass&eacute;<br /> </strong></span></p> <p align="justify">On pourrait voir dans ce d&eacute;part une qu&ecirc;te initiatique, un retour vers un pass&eacute; perdu. Le titre du livre nous invite &agrave; cette lecture. Et pourtant notre jeune berger n&rsquo;a que faire de la m&eacute;moire! En quittant le Qu&eacute;bec, il diss&eacute;mine sa biblioth&egrave;que : &laquo;Les biblioth&egrave;ques et leur orgueil vertical m&rsquo;ont toujours rebut&eacute; &ndash; quand j&rsquo;ai &eacute;lagu&eacute; la mienne dans le d&eacute;part pour la montagne, j&rsquo;ai eu le sentiment de me d&eacute;partir de kilos de m&eacute;moire en trop, de l&acirc;cher prise face &agrave; un absolu platonicien attard&eacute;.&raquo; (p. 202) Ses livres se perdent. Il n&rsquo;apportera rien. On voudrait le voir surgit de temps ancestraux, mais ce berger vient peut-&ecirc;tre tout simplement de nulle part. Il &eacute;merge avec la lettre de son amoureuse au d&eacute;but du r&eacute;cit. Il admire un pastoral qui nous para&icirc;t s&rsquo;attacher davantage &agrave; un absolu qu&rsquo;&agrave; la tradition. Il est d&rsquo;ailleurs lui-m&ecirc;me sans histoire. Un corps en proie aux &eacute;v&eacute;nements, c&rsquo;est ce qu&rsquo;il devient. Il est aussi un berger archiviste qui conserve des traces de sa vie dans un blogue o&ugrave; il laisse des marques de son parcours. Il se r&eacute;clame des philosophes et affine sa relation avec Nietzsche et Cioran en montagne. M&ecirc;me cette r&eacute;surgence de lectures pass&eacute;es ne restaure pas compl&egrave;tement son lien avec la m&eacute;moire, le berger ne r&eacute;pond plus qu&rsquo;aux mouvements du corps. Il travaille &agrave; rendre son corps et son esprit disponibles aux &eacute;v&eacute;nements qui pourraient s&rsquo;offrir &agrave; lui. Dans ce monde o&ugrave; tout se r&eacute;sout d&rsquo;un coup d&rsquo;opinel, autant le mouton &agrave; abattre que le saucisson &agrave; trancher, il est toujours pr&ecirc;t &agrave; ce que surgisse enfin dans sa vie de v&eacute;ritables &eacute;v&eacute;nements.</p> <p align="justify">L&rsquo;ancien publicitaire veut vivre en montagne loin des c&eacute;l&eacute;brations de son &eacute;poque, et ce, m&ecirc;me si la quatri&egrave;me de couverture nous annonce avec enthousiasme le caract&egrave;re festif du roman. En se d&eacute;tachant de l&rsquo;Histoire, il sort de sa soci&eacute;t&eacute; et du m&ecirc;me coup de l&rsquo;industrie culturelle d&eacute;crite par Adorno et Horkheimer dans <em>La Dialectique de la raison</em><a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>. Le narrateur en trouvant une nouvelle fa&ccedil;on de vivre &eacute;chappe au mode d&rsquo;existence impos&eacute; par son monde qu&rsquo;il a quitt&eacute;. Le livre d&rsquo;Adorno et Hokheimer ne critique pas seulement la culture telle qu&rsquo;elle s&rsquo;est transform&eacute;e &agrave; l&rsquo;&egrave;re industrielle. Les philosophes de l&rsquo;&Eacute;cole de Francfort, en exil aux &Eacute;tats-Unis pendant la publication de l&rsquo;ouvrage, d&eacute;crivent aussi, et c&rsquo;est leur projet principal, leur soci&eacute;t&eacute; enti&egrave;re o&ugrave; les industries culturelles maintiennent l&rsquo;homme dans un &eacute;tat d&rsquo;ali&eacute;nation. L&rsquo;industrie culturelle constitue &mdash;voil&agrave; bien la grande catastrophe contemporaine&mdash; ce monde dans lequel survivent des &ecirc;tres qui ont perdu les composantes bien simples et fondamentales de leur humanit&eacute;. En regardant par la fen&ecirc;tre, l&rsquo;humain d&rsquo;aujourd&rsquo;hui ne peut plus penser par lui-m&ecirc;me, comme il le faisait autrefois, il ne sait plus r&ecirc;ver<a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>L&rsquo;amorce d&rsquo;une r&eacute;conciliation avec le monde</strong></span></p> <p align="justify">En sortant de sa soci&eacute;t&eacute;, le berger retrouve ce que la raison a perdu des mythes, il retrouve la capacit&eacute; de penser par lui-m&ecirc;me. De ce point de vue seulement le roman devient une qu&ecirc;te des origines. Ce n&rsquo;est pas la qu&ecirc;te d&rsquo;un individu, mais celle des hommes r&eacute;ifi&eacute;s de l&rsquo;industrie culturelle qui ne sont pas ma&icirc;tres de leur destin puisqu&rsquo;ils ont depuis longtemps perdu toute conscience de la relation entre le g&eacute;n&eacute;ral et le particulier et de celle entre l&rsquo;homme et la nature. Comme Ulysse &mdash;le premier h&eacute;ros bourgeois&mdash;, le narrateur de <em>D&rsquo;o&ugrave; viens-tu, berger?</em> a la possibilit&eacute; de s&rsquo;encha&icirc;ner de son propre gr&eacute;, &agrave; l&rsquo;alcool par exemple. Il ne subit toutefois plus les flux incessants de l&rsquo;industrie culturelle et du monde capitaliste, comme celui de la publicit&eacute;, qui permet de se croire libre au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; qui n&rsquo;offre aucune r&eacute;elle possibilit&eacute; de libert&eacute; pour l&rsquo;&ecirc;tre humain. Ce qui le surprend le plus en montagne, c&rsquo;est la violence des bergers. Puisqu&rsquo;il a tourn&eacute; le dos &agrave; un monde o&ugrave; la barbarie est si pr&eacute;sente qu&rsquo;on ne la voit plus, il d&eacute;couvre une capacit&eacute; nouvelle &agrave; s&rsquo;&eacute;tonner de la violence. R&eacute;primant doublement la vie, l&rsquo;industrie culturelle en cache le caract&egrave;re affirmatif tout autant que n&eacute;gatif. Le regard neuf, le berger entrevoit la promesse d&rsquo;une libert&eacute; pour l&rsquo;homme aupr&egrave;s de ses moutons. En montagne, l&rsquo;ancien bourgeois pourrait, s&rsquo;il le d&eacute;sirait, s&rsquo;attacher et entendre le chant des sir&egrave;nes. Il ferait ainsi face &agrave; une exp&eacute;rience vraie de laquelle il ressentirait &agrave; la fois le plaisir et la douleur. Il ne s&rsquo;agirait pas alors d&rsquo;un retour vers les origines, mais d&rsquo;un monde qui recommencerait.<br /> &nbsp;<a name="note1a" href="#note1"><br /> 1</a>Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, <em>La Dialectique de la raison</em>, coll. &laquo;Tel&raquo;, Paris, Gallimard, 1983, 281 pages.<br /> <a name="note2a" href="#note2">2</a>Le 20 janvier dernier, j&rsquo;ai entendu, dans un reportage sur le Salon de l&rsquo;auto 2009 au t&eacute;l&eacute;journal de Radio-Canada, un critique automobile s&rsquo;exclamer avec tout l&rsquo;enthousiasme de son innocence : &laquo;&Ccedil;a sera enfin l&rsquo;occasion de r&ecirc;ver!&raquo;. Le r&ecirc;ve dans l&rsquo;industrie culturelle, celui que le narrateur cherche &agrave; tout prix &agrave; fuir, est pr&eacute;cis&eacute;ment offert en payant et se d&eacute;pla&ccedil;ant pour voir les publicit&eacute;s formidables des derni&egrave;res voitures produites par les constructeurs automobiles. &Agrave; cet &eacute;gard, il importe de citer une phrase d'Adorno tir&eacute;e de <em>Le caract&egrave;re f&eacute;tiche dans la musique et la r&eacute;gression de l'&eacute;coute</em>: &laquo;Il suffit des mots: &quot;C'est une Rolls Royce&quot;, prononc&eacute;s au moment du saint sacrement de la grande messe automobile pour que tous les hommes deviennent fr&egrave;res.&raquo; (Theodor W. Adorno, <em>Le caract&egrave;re f&eacute;tiche dans la musique et la r&eacute;gression de l'&eacute;coute,</em> Paris, Allia, 2003, p. 32.)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-bourgeois-en-proie-aux-evenements#comments ADORNO, Theodor W. Événement Expérience HORKHEIMER, Max LEFEBURE, Mathyas Origine Politique Québec Roman Wed, 11 Feb 2009 17:16:00 +0000 Amélie Paquet 70 at http://salondouble.contemporain.info