Salon double - MICHON, Pierre http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/266/0 fr Ces illusions de mémoire à écrire http://salondouble.contemporain.info/lecture/ces-illusions-de-memoire-a-ecrire <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/rioux-annie">Rioux, Annie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/corps-du-roi">Corps du roi</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p></p> <p class="rteindent4"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le mythe de l&rsquo;abb&eacute; Pierre dispose d&rsquo;un atout pr&eacute;cieux : la t&ecirc;te de l&rsquo;abb&eacute;. C&rsquo;est une belle t&ecirc;te, qui pr&eacute;sente clairement tous les signes de l&rsquo;apostolat : le regard bon, la coupe franciscaine, la barbe missionnaire, tout cela compl&eacute;t&eacute; par la canadienne du pr&ecirc;tre-ouvrier et la canne du p&egrave;lerin. Ainsi sont r&eacute;unis les chiffres de la l&eacute;gende et ceux de la modernit&eacute;.<br /> Roland Barthes</span></p> <p> Nous avons d&eacute;j&agrave; parl&eacute; de Pierre Michon ici, mais il importe de rappeler qui est l&rsquo;auteur majuscule de ces fictions qui portent un regard arch&eacute;ologique sur le monde (avec d&rsquo;autres) et qui, de ce fait, colorent d&rsquo;une mani&egrave;re singuli&egrave;re le paysage francophone actuel. &Agrave; mon avis nous ne parlerons jamais assez du recueil <em>Corps du roi</em>, dont l&rsquo;originalit&eacute; d&eacute;passe sans contredit la rh&eacute;torique propre &agrave; l&rsquo;&eacute;criture du tombeau d&rsquo;&eacute;crivain. Je propose ici une r&eacute;flexion en surplomb sur les enjeux de filiation et d&rsquo;imaginaire litt&eacute;raire soulev&eacute;s par l&rsquo;&oelig;uvre de Michon, &agrave; partir du recueil qui m&rsquo;a longtemps questionn&eacute;e.</p> <p>&nbsp;</p> <p class="rteindent4"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Notre h&eacute;ritage n&rsquo;est pr&eacute;c&eacute;d&eacute; d&rsquo;aucun testament.<br /> (Ren&eacute; Char)</span></p> <p> Les livres de Pierre Michon illustrent bien cette condition contemporaine de la litt&eacute;rature, que l&rsquo;on dit &laquo;inqui&egrave;te&raquo;, parce qu&rsquo;ils interrogent de mani&egrave;re tr&egrave;s libre le legs des si&egrave;cles pass&eacute;s. Pour Michon, l&rsquo;Histoire est en effet le terreau privil&eacute;gi&eacute; &agrave; partir duquel d&eacute;coulent toutes ses mises en fiction. Dans cette posture r&eacute;solument contemporaine, l&rsquo;auteur des <em>Vies minuscules</em> (1984) trace n&eacute;anmoins sa voie originale en proposant des variations qui r&eacute;inventent la m&eacute;moire culturelle et historique commune, notamment &agrave; travers des figures de Grands Auteurs du XIXe si&egrave;cle qu&rsquo;il revisite &agrave; coups de doutes et d&rsquo;imagination. <em>Corps du roi</em> probl&eacute;matise la question du legs des anciens en passant par un questionnement p&eacute;riph&eacute;rique, celui sur la figure et l&rsquo;imaginaire de la cr&eacute;ation, l&rsquo;auteur s&rsquo;attachant par ailleurs &agrave; redonner un nouveau d&eacute;veloppement temporel &agrave; des photographies d&rsquo;&eacute;crivains. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de ce livre r&eacute;side pour l&rsquo;essentiel dans le propos g&eacute;n&eacute;ral tenu sur l&rsquo;&eacute;crivain et sa double corpor&eacute;it&eacute; qui traverse le recueil (d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; l&rsquo;homme, mortel; de l&rsquo;autre l&rsquo;&eacute;crivain, l&rsquo;&acirc;me, le mythe qui perdure &agrave; travers le temps), propos qui d&eacute;passe de loin l&rsquo;anecdote autour des figures convoqu&eacute;es.</p> <p>Le recueil est compos&eacute; de cinq textes qui pr&eacute;sentent des portraits d&rsquo;&eacute;crivains c&eacute;l&egrave;bres, dont deux, ceux de Samuel Beckett et William Faulkner, se doublent d&rsquo;une photographie de ceux-ci repr&eacute;sent&eacute;s en plan am&eacute;ricain. Le livre s&rsquo;inscrit dans une production qui d&eacute;bute en 1984 avec la parution des<em> Vies minuscules</em>. Entre 1984 et 2002, paraissent successivement dans diff&eacute;rentes maisons d&rsquo;&eacute;dition: <em>Vie de Joseph Roulin</em> (1988), <em>L&rsquo;Empereur d&rsquo;Occident </em>(1989), <em>Ma&icirc;tres et serviteurs</em> (1990), <em>Rimbaud le fils </em>(1993), <em>Le Roi du bois et La Grande Beune</em> (1996), <em>Trois Auteurs</em> et <em>Mythologies d&rsquo;hiver </em>(1997), <em>Corps du roi</em> et <em>Abb&eacute;s</em> (simultan&eacute;ment, en 2002). Plus r&eacute;cemment, nous avons eu droit &agrave; un recueil d&rsquo;entretiens comment&eacute; sur ce site par Mahigan Lepage<a href="#note1a" name="note1">[1]</a>. Arnaud Ma&iuml;setti a aussi brillamment comment&eacute; sur son Journal en ligne<a href="#note2a" name="note2">[2]</a>&nbsp; le tout dernier livre intitul&eacute; <em>Les Onze</em>, &laquo;un r&eacute;cit surnum&eacute;raire qui donne peut-&ecirc;tre sens aux onze autres&raquo;. <em>Corps du roi</em> se distingue d&rsquo;abord par le recours &agrave; la photographie qui vient influencer les diff&eacute;rents r&eacute;gimes de perception des figures. Si <em>Rimbaud le fils</em> a aussi &eacute;t&eacute; &eacute;crit &agrave; partir d&rsquo;un album photographique, aucune photo ne figurait directement dans le livre. <em>Trois Auteurs</em> pr&eacute;sente &eacute;galement le m&ecirc;me canevas narratif et formel en donnant &agrave; lire des portraits litt&eacute;raires de Balzac, Cingria et Faulkner. Mais<em> Corps du roi</em> se d&eacute;tache &agrave; la fois de<em> Rimbaud le fils</em> et de <em>Trois Auteurs</em> par la diversit&eacute; des types d&rsquo;archives convoqu&eacute;s. La photographie (qui convoque la litt&eacute;rature), nous l&rsquo;avons dit, occupe une place de choix, mais aussi l&rsquo;&eacute;pistolaire, le trait&eacute; de chasse et le quotidien de l&rsquo;auteur lui-m&ecirc;me. Si l&rsquo;&eacute;pistolaire et la vie de l&rsquo;auteur demeurent par extension des types d&rsquo;<em>archives litt&eacute;raires</em> &eacute;vidents, il en va de m&ecirc;me mais plus subtilement pour le trait&eacute; de chasse qui, par son grand &acirc;ge et son caract&egrave;re documentaire, finit lui aussi par basculer dans la litt&eacute;rature. Il s&rsquo;agirait de faire de la litt&eacute;rature &agrave; partir du document <em>extralitt&eacute;raire</em> dans le but de redonner vie &agrave; des hommes de lettres oubli&eacute;s.<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le legs</strong></span></p> <p>On reconna&icirc;t bien l&rsquo;h&eacute;ritage des nouveaux romanciers, duquel d&eacute;coule l&rsquo;&eacute;criture qui fait la part belle &agrave; la mise en abyme de l&rsquo;&eacute;crivain par lui-m&ecirc;me, dans le geste m&ecirc;me d&rsquo;&eacute;crire autant que dans la mise en sc&egrave;ne du personnage &eacute;crivain en tant que figure qui r&eacute;fl&eacute;chit la litt&eacute;rature. En marge du Nouveau Roman mais &agrave; la m&ecirc;me &eacute;poque, on reconna&icirc;t aussi cette &eacute;criture de la m&eacute;moire dont le principal enjeu est un questionnement sur le temps, notion boulevers&eacute;e d&egrave;s lors qu&rsquo;une main tente de l&rsquo;investir par l&rsquo;&eacute;criture (nous pensons &agrave; la difficult&eacute; des r&eacute;cits d&rsquo;apr&egrave;s-guerre dont le but est de t&eacute;moigner d&rsquo;une m&eacute;moire bless&eacute;e, et d&rsquo;autant plus fractionn&eacute;e par le temps qui passe &ndash; <em>La route des Flandres</em> de Claude Simon en est un bel exemple). Mais dans cette poursuite du courant caract&eacute;ris&eacute; par des proc&eacute;d&eacute;s autorepr&eacute;sentatifs et une reprise du pass&eacute; par le t&eacute;moignage, pour produire entre autres un m&eacute;tadiscours sur l&rsquo;&eacute;criture, il faut tout de m&ecirc;me reconna&icirc;tre chez Pierre Michon une certaine &eacute;mancipation. Car l&agrave; o&ugrave;, d&rsquo;abord, le Nouveau Roman a voulu isoler le texte de tout contexte socioculturel d&eacute;termin&eacute;, Pierre Michon, lui, ouvre pleinement et de mani&egrave;re it&eacute;rative le texte aux imaginaires culturels et plus pr&eacute;cis&eacute;ment litt&eacute;raires. L&rsquo;auteur initie &eacute;galement une grande r&eacute;flexion sur la tradition litt&eacute;raire et ce que nous pourrions nommer un souci de filiation eu &eacute;gard aux &eacute;crivains qui l&rsquo;ont pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. En ce sens la reprise du pass&eacute; moderne n&rsquo;est pas r&eacute;alis&eacute;e dans un but strictement mim&eacute;tique, elle est ce qui permet &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain de s&rsquo;inscrire dans le grand monde des lettres tout en proposant de nouvelles avenues de pens&eacute;e face &agrave; cette &eacute;poque r&eacute;volue. Car &agrave; suivre Michon, cette &eacute;poque moderne est bel et bien r&eacute;volue : l'auteur a souvent affirm&eacute;, au d&eacute;tour d&rsquo;entrevues que l&rsquo;on ne compte plus, que les &eacute;crivains d&rsquo;aujourd&rsquo;hui n&rsquo;&eacute;galeront jamais plus les Grands Auteurs d&rsquo;hier (Joyce, Beckett, Faulkner, etc.) et que le roman, dans sa forme absolue (tel qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; &eacute;crit au XIXe si&egrave;cle et au d&eacute;but du XXe), est un genre fatigu&eacute; dont il se m&eacute;fie.<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La chute ou la r&eacute;habilitation du mythe</strong></span></p> <p>&Agrave; la suite de <em>Vies minuscules</em> (1984), cette croyance a trouv&eacute; de plus en plus un sens dans son incarnation au sein des formes br&egrave;ves et s&eacute;rielles, tant&ocirc;t dans la nouvelle ou la chronique, tant&ocirc;t dans le recueil de portraits ballottant entre le factuel et le fictionnel<a href="#note3a" name="note3">[3]</a>. Cela dit, les r&eacute;cits de Michon se pr&eacute;sentent indubitablement comme des <em>passeurs</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire des m&eacute;diums de transmission d&rsquo;une culture et des relais entre les imaginaires de la litt&eacute;rature indiff&eacute;remment rappel&eacute;s &agrave; travers les &eacute;poques. Figurer l&rsquo;&eacute;crivain devient d&egrave;s lors pour Michon un imp&eacute;ratif contemporain qui modifie la narration moderne tout en repr&eacute;sentant les principaux agents qui l&rsquo;ont &eacute;difi&eacute;e. Mais &agrave; cet &eacute;gard, la fugacit&eacute; de l&rsquo;image de l&rsquo;&eacute;crivain dans <em>Corps du roi </em>est pour le moins d&eacute;concertante. Relevant &agrave; la fois des figures d&rsquo;un pass&eacute; av&eacute;r&eacute;, des &eacute;crivains souvent &eacute;lev&eacute;s au rang de mythes dans nos imaginaires sociaux (de rois dans nos imaginaires de lecteurs michoniens), et des d&eacute;rives imaginatives du narrateur devant ces figures, l&rsquo;image de l&rsquo;&eacute;crivain se dessine suivant une double dynamique. Fractionn&eacute;s dans diff&eacute;rentes figures embl&eacute;matiques qui ont marqu&eacute; le cours de l&rsquo;histoire litt&eacute;raire, disloqu&eacute;s dans la virtuosit&eacute; de la forme qui soutient l&rsquo;entreprise narrative, les &eacute;crivains de Pierre Michon sont tour &agrave; tour repositionn&eacute;s dans les limites de ce qu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; et de ce qu&rsquo;ils sont aujourd&rsquo;hui dans l&rsquo;imaginaire d&rsquo;un lecteur: &agrave; la fois des mythes et des hommes. Michon construit l&rsquo;&Eacute;crivain et le d&eacute;construit librement dans un mouvement qui consiste, pourrait-on dire, en une mythification doubl&eacute;e d&rsquo;une d&eacute;mystification. L&rsquo;un des param&egrave;tres de cette construction est l&rsquo;utilisation de l&rsquo;archive, du biographique, de la mati&egrave;re historique, mais on doit consid&eacute;rer qu&rsquo;un crit&egrave;re second prend rapidement le dessus sur le r&eacute;el: l&rsquo;imaginaire. L&rsquo;imaginaire a fait na&icirc;tre une multitude de formes de r&eacute;cits mythiques depuis les premi&egrave;res configurations du langage, farcis de leurs symboles pleins de culture. D&rsquo;ailleurs si, pour raconter, nous avons besoin &agrave; diff&eacute;rents degr&eacute;s de recourir au r&eacute;el, nous pouvons n&eacute;anmoins nous demander ce qu&rsquo;est en r&eacute;alit&eacute; ce r&eacute;el, si ce n&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e que nous nous en faisons.<br /> &nbsp;</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Le r&eacute;el n'est pas imp&eacute;ratif, comme on le croit. Ses apparences sont fragiles et son essence est cach&eacute;e ou inconnue. Sa mati&egrave;re, son origine, son fondement, son devenir sont incertains. Sa complexit&eacute; est tiss&eacute;e d'incertitudes. D'o&ugrave; son extr&ecirc;me faiblesse devant la sur-r&eacute;alit&eacute; formidable du mythe, de la religion, de l'id&eacute;ologie et m&ecirc;me d'une id&eacute;e</span><a href="#note4a" name="note4">[4]</a>.</p> <p> La construction de l&rsquo;&Eacute;crivain op&eacute;r&eacute;e dans <em>Corps du roi </em>montre bien que la part biographique dans l&rsquo;oeuvre ne peut &ecirc;tre que relative, d&rsquo;autant plus qu'elle est pr&eacute;cis&eacute;ment d&eacute;tourn&eacute;e par l&rsquo;affabulation autour de figures maintes fois r&eacute;ifi&eacute;es. On comprend bien l&rsquo;allusion qui est faite en ce sens &agrave; la doctrine des &laquo;deux corps du roi&raquo; th&eacute;oris&eacute;e par Ernst Kantorowicz (<em>The King&rsquo;s Two Bodies</em>, 1957), qui repose sur l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une image royale poss&eacute;dant le pouvoir de gouverner. Michon reprend &agrave; son compte cette division des <em>King&rsquo;s two bodies</em> afin d&rsquo;&eacute;clairer la th&egrave;se du pouvoir incontestable de l&rsquo;image et de la puissance de l&rsquo;imaginaire rattach&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;crivain. &Agrave; la lumi&egrave;re de ce mouvement, on mesure aussi clairement cette obsession &agrave; forger des r&eacute;cits dont les personnages sauront nous rappeler les uns apr&egrave;s les autres les &laquo;minuscules&raquo; et les &laquo;majuscules&raquo; de ce monde &mdash; produit de nos repr&eacute;sentations. Alors que les personnages des fictions modernes habitaient des mondes virtuels o&ugrave; le rapport de distance entre r&eacute;el et fiction tendait &agrave; dispara&icirc;tre<a href="#note5a" name="note5">[5]</a>, les &laquo;demi-fictions&raquo; de Pierre Michon ne se contentent plus seulement de camper des r&eacute;cits au plus pr&egrave;s de la r&eacute;alit&eacute; des consciences, mais puisent directement dans des figures de la r&eacute;alit&eacute; historique pour en faire de vrais personnages. Tandis que l&rsquo;&eacute;clatement des formes narratives traduisait une impressionnante r&eacute;futation de la tradition dix-huiti&eacute;miste, les recueils de Pierre Michon, qui convoquent diff&eacute;rents savoirs artistiques (litt&eacute;raire, photographique), utilisent la s&eacute;rialit&eacute; du recueil de r&eacute;cits brefs pour &eacute;tablir des ponts avec ce qui, de la tradition, m&eacute;rite sans doute de ne pas &ecirc;tre trop rapidement &eacute;vinc&eacute; de notre biblioth&egrave;que et de nos m&eacute;moires.</p> <p>&nbsp;</p> <p><a href="#note1" name="note1a">1</a>.&nbsp;&Agrave; lire &laquo;Pierre Michon, roi et bouffon&raquo;, par Mahigan Lepage, <em>Salon double</em>: <a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/66 ">http://salondouble.contemporain.info/lecture/66 </a><br /> <a href="#note2" name="note2a">2</a>. Voir le Journal | contretemps d&rsquo;Arnaud Ma&iuml;setti: <a target="_blank" rel="nofollow" href="http://www.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.arnaudmaisetti.net%2Fspip%2Fspip.php%3Farticle7&amp;h=10801ijcLZ94cn6cYqmXThiomfQ">http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article7</a>(consult&eacute; le 22 septembre 2010)<br /> <a href="#note3" name="note3a">3</a>. Seul le r&eacute;cit intitul&eacute; <em>La Grande Beune</em> se rapproche du genre romanesque en donnant &agrave; voir des lieux et des personnages enti&egrave;rement invent&eacute;s.<br /> <a href="#note4" name="note4a">4</a>. Edgar Morin, <em>La M&eacute;thode, 4. Les id&eacute;es</em>, Paris, Seuil, 1991, p. 243.<br /> <a href="#note5" name="note5a">5</a>. Sur cette question, voir la r&eacute;flexion de Thomas Pavel dans<em> L'art de l'&eacute;loignement, Essai sur l'imagination classique</em>, Paris, Gallimard (coll. &laquo;folio essais [in&eacute;dit]&raquo;), 1996.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/ces-illusions-de-memoire-a-ecrire#comments Archives BARTHES, Roland CHAR, René Filiation France Imaginaire MICHON, Pierre MORIN, Edgar Mythologie PAVEL, Thomas Sérialité Récit(s) Tue, 28 Jul 2009 13:09:33 +0000 Annie Rioux 142 at http://salondouble.contemporain.info Pierre Michon, roi et bouffon http://salondouble.contemporain.info/lecture/pierre-michon-roi-et-bouffon <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/lepage-mahigan">Lepage, Mahigan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/le-roi-vient-quand-il-veut-propos-sur-la-litterature">Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify">Pierre Michon occupe une place &agrave; part dans l&rsquo;espace litt&eacute;raire de la France contemporaine; une place &agrave; la fois &eacute;lev&eacute;e et solitaire, royale: un tr&ocirc;ne. &Agrave; l&rsquo;occasion, rare comme il se doit, le roi descend de son tr&ocirc;ne &ndash; pour faire le bouffon! Cette phrase de Balzac, plac&eacute;e en exergue de <em>Trois auteurs</em> (Verdier, 1997), r&eacute;sume bien l&rsquo;affaire: &laquo;Tu pourras &ecirc;tre un grand &eacute;crivain, mais tu ne seras jamais qu&rsquo;un petit farceur&raquo;.</p> <p align="justify">&Agrave; la parution des <em>Vies minuscules</em> (Gallimard, 1984), un cercle assez restreint d&rsquo;admirateurs, compos&eacute; d&rsquo;intellectuels et d&rsquo;universitaires, intronise Michon et lui fait la cour. Depuis, on lui rend des hommages dignes de sa souveraine condition: il n&rsquo;y a qu&rsquo;&agrave; voir avec quelle emphase certains interlocuteurs du <em>Roi vient quand il veut</em> pr&eacute;sentent l&rsquo;&eacute;crivain&hellip;</p> <p align="justify">Parmi les pairs, la pose est reconnue comme telle et accept&eacute;e, voire encourag&eacute;e, sourire en coin. Surtout depuis que l&rsquo;arr&ecirc;t a &eacute;t&eacute; prononc&eacute;, &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;une &eacute;mission sur les auteurs contemporains de la regrett&eacute;e <em>Qu&rsquo;est-ce qu&rsquo;elle dit Zazie?</em>, il y a une dizaine d&rsquo;ann&eacute;es: &laquo;Au fond, Michon, c&rsquo;est le roi!&raquo;</p> <p align="justify">Au cours des ann&eacute;es, le roi est descendu de son tr&ocirc;ne une trentaine de fois pour satisfaire ses admirateurs et rappeler &agrave; leur bon souvenir le visage du petit farceur; cela donne maintenant <em>Le Roi vient quand il veut</em>, un recueil d&rsquo;entretiens l&eacute;g&egrave;rement retouch&eacute;s par l&rsquo;auteur et r&eacute;unis par Agn&egrave;s Castiglione (avec la participation de Pierre-Marc de Biasi). On rompt ainsi, d&rsquo;une fa&ccedil;on quelque peu oblique, avec une disette de cinq ans, Michon n&rsquo;ayant rien fait para&icirc;tre depuis <em>Abb&eacute;s</em> et <em>Corps du roi</em> (Verdier, 2002).</p> <p align="justify">Disons-le d&rsquo;embl&eacute;e: le travail d&rsquo;&eacute;dition n&rsquo;est pas parfait.&nbsp;La disparit&eacute; des formes et des formats d&rsquo;entretiens est assez d&eacute;rangeante : plusieurs pr&eacute;sentations sont trop longues (on aurait pu choisir d&rsquo;&eacute;liminer toutes les pr&eacute;sentations &agrave; peu de frais) et certains entretiens r&eacute;alis&eacute;s par courrier ou par courriel, ne comptant qu&rsquo;une ou deux questions, ressemblent moins &agrave; des entretiens qu&rsquo;&agrave; des textes brefs d&rsquo;auteur sur sujet impos&eacute;. Une autre critique, plus personnelle celle-l&agrave;: pourquoi avoir masqu&eacute; les noms des interlocuteurs de Michon? Quand je lis un entretien, j&rsquo;aime bien savoir qui pose les questions.</p> <p align="justify">La pr&eacute;face de l&rsquo;auteur, &laquo;Le gu&eacute;ridon et le dieu bleu&raquo;, donne le ton. Michon y parle des entretiens men&eacute;s dans l&rsquo;&icirc;le de Jersey de septembre 1853 &agrave; d&eacute;cembre 1855: Victor Hugo interviewant Shakespeare, Galil&eacute;e, l&rsquo;Oc&eacute;an, Mo&iuml;se, J&eacute;sus-Christ, la Mort et d&rsquo;autres. &laquo;C&rsquo;est le meilleur recueil d&rsquo;entretiens que je connaisse&raquo; (p. 7), affirme Michon, mi-figue mi-raisin. On peut bien rire d&rsquo;Hugo devant sa table tournante, mais n&rsquo;a-t-il pas raison de &laquo;pr&eacute;f&egrave;re[r] s&rsquo;entretenir avec des morts comp&eacute;tents plut&ocirc;t qu&rsquo;avec des imb&eacute;ciles vivants?&raquo; (p. 8). &laquo;Nous posons &agrave; n&rsquo;importe quel <em>&eacute;crivain</em>, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; l&rsquo;heure qu&rsquo;il est tout le monde, les questions que Hugo posait, lui, &agrave; qui de droit, &agrave; qui pouvait lui r&eacute;pondre, &agrave; J&eacute;sus ou Galil&eacute;e&raquo; (p. 9). Michon bondit dans la danse: il s&rsquo;abaisse, se disant possiblement imb&eacute;cile, ou du moins <em>tout le monde</em>, peut-&ecirc;tre m&ecirc;me pas un <em>&eacute;crivain</em>; mais en m&ecirc;me temps il s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, car c&rsquo;est lui, c&rsquo;est Hugo &ndash; c&rsquo;est <em>la litt&eacute;rature en personne</em> qui parle aux grands morts. Si je suis un imb&eacute;cile, dit-il en somme, vous l&rsquo;&ecirc;tes encore plus de m&rsquo;interviewer moi; personnellement je n&rsquo;interroge que les morts.</p> <p align="justify">Pour dire vrai, cette posture n&rsquo;est pas &eacute;trang&egrave;re &agrave; la litt&eacute;rature m&ecirc;me telle que la con&ccedil;oit et la pratique Michon. Sa prose exigeante, on l&rsquo;a beaucoup dit, travaille &agrave; tenir les extr&ecirc;mes: le haut et le bas, le grand et le petit, le divin et le vulgaire, le classique et le barbare, la Belle Langue et le patois. L&rsquo;ombre de la Creuse natale plane sur l&rsquo;auteur et sur son &oelig;uvre. Comme &agrave; Pierre Bergounioux, &eacute;crivain fr&egrave;re originaire de la Corr&egrave;ze, la litt&eacute;rature appara&icirc;t d&rsquo;abord comme une impossibilit&eacute; ou une imposture. &Eacute;crire sera donc, pour Michon, un effort pour concilier la complexion rurale et l&rsquo;id&eacute;e tr&egrave;s &eacute;lev&eacute;e que l&rsquo;on se fait de la Litt&eacute;rature depuis la rel&eacute;gation d&rsquo;origine. Le <em>tour de force</em> de Michon &ndash; <em>Le Bruit et la fureur</em> fran&ccedil;ais &ndash;, &ccedil;&rsquo;aura &eacute;t&eacute; les <em>Vies minuscules</em>. C&rsquo;est de ce livre dont il est le plus souvent question dans le recueil. Michon entretient lui-m&ecirc;me le culte, parlant volontiers des <em>Vies minuscules</em> comme d&rsquo;un miracle impossible, accompli: le r&eacute;cit d&rsquo;une d&eacute;gradation retourn&eacute;e en &eacute;l&eacute;vation.</p> <p align="justify">Le probl&egrave;me, c&rsquo;est que le roi vient quand il veut: le miracle ne se reproduit pas, ou ne se commande pas. Depuis les <em>Vies minuscules</em>, Michon a donn&eacute; d&rsquo;excellents textes, plus courts et plus obliques, sur des sujets en apparence moins personnels. Dans <em>Le Roi vient quand il veut</em>, il classe lui-m&ecirc;me ces textes en trois groupes: 1- les textes sur des artistes (<em>Vie de Joseph Roulin</em>, Verdier, 1988, <em>Ma&icirc;tres et serviteurs</em>, Verdier, 1990, <em>Le Roi du bois</em>, Verdier, 1996), 2- les textes &laquo;historiques&raquo; (<em>L&rsquo;Empereur d&rsquo;Occident,</em> Fata Morgana, 1989, <em>La Grande Beune</em>, Verdier, 1996, <em>Mythologies d&rsquo;hiver</em>, Verdier, 1997, <em>Abb&eacute;s</em>, Verdier, 2002) et 3- les textes sur des &eacute;crivains (<em>Rimbaud le fils</em>, <em>Trois auteurs</em>, Verdier, 1997, <em>Corps du roi</em>, Verdier, 2002). En exag&eacute;rant un peu la pose, Michon pr&eacute;tend qu&rsquo;il a &eacute;crit tous ces textes simplement &laquo;pour garder la main&raquo; (p. 324), en attendant un nouveau miracle. L&rsquo;ordre chronologique de pr&eacute;sentation des entretiens, s&rsquo;il est attendu, a l&rsquo;avantage de rendre perceptible l&rsquo;&eacute;volution du conflit entre l&rsquo;&eacute;crivain et son &oelig;uvre. On note ainsi une certaine inflexion dans les entretiens des cinq derni&egrave;res ann&eacute;es. Le texte sur <em>Booz endormi</em> de Hugo dans <em>Corps du roi</em> pourrait bien &ecirc;tre un signe avant-coureur du retour du roi:<br /> &nbsp;</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y a <em>Vies Minuscules</em> &ndash; ensuite il y a tout ce qui pr&eacute;c&egrave;de le dernier texte de <em>Corps du roi</em>, dit Michon. Ce texte m&rsquo;a lib&eacute;r&eacute; du long deuil qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; <em>Vies minuscules</em>. Parce que j&rsquo;en ai port&eacute; le deuil: je pensais v&eacute;ritablement, l&rsquo;ayant fini, que quelque chose d&rsquo;essentiel allait se passer (<em>rires</em>). Et puis, &eacute;crivant le dernier texte de <em>Corps du roi</em>, je me suis rendu compte que ce qui avait fait <em>Vies minuscules</em>, que je croyais jusque-l&agrave; &ecirc;tre une sorte de plainte familiale, n&rsquo;&eacute;tait que ma propre voix, que c&rsquo;&eacute;tait elle qui importait. C&rsquo;est elle que j&rsquo;ai retrouv&eacute;e &agrave; la fin de <em>Corps du roi</em> &ndash; celle sur laquelle je travaille actuellement, et qui me surprend (p. 324).<br /> </span></p> <p align="justify">Dans le dernier texte de <em>Corps du roi</em>, Michon fait une lecture publique de <em>Booz endormi</em>; il se prend pour le roi de la litt&eacute;rature: il tue Hugo. Le soir, dans un bistrot, il est ivre et triomphant. Il parle fort, il t&acirc;te royalement les fesses de la serveuse: on l&rsquo;expulse, on le jette sur la terrasse. Couch&eacute; sur le dos, <em>d&eacute;tr&ocirc;n&eacute;</em>, il regarde le ciel, ce &laquo;tr&egrave;s grand homme&raquo;: c&rsquo;est lui le vrai roi. Dans sa pirouette, le roi est redevenu bouffon.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/pierre-michon-roi-et-bouffon#comments Filiation France Histoire Intertextualité MICHON, Pierre Entretiens Essai(s) Wed, 28 Jan 2009 18:53:00 +0000 Mahigan Lepage 66 at http://salondouble.contemporain.info