Salon double - BASARA, Svetislav http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/270/0 fr Lire les dédales d’un étrange labyrinthe http://salondouble.contemporain.info/lecture/lire-les-dedales-d-un-etrange-labyrinthe <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/perdu-dans-un-supermarche">Perdu dans un supermarché</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Svetislav Basara frappe encore. Son dernier livre traduit en fran&ccedil;ais, <em>Perdu dans un supermarch&eacute;</em>, regroupe vingt-deux nouvelles plac&eacute;es sous le signe des identit&eacute;s narratives troubles. Vingt-deux nouvelles qui pr&eacute;sentent autant de situations &eacute;tranges face auxquelles le lecteur ne sait pas toujours comment r&eacute;agir. Vingt-deux nouvelles qui font penser, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, &agrave; celles de Kafka, de Borges et de Cort&aacute;zar. J&rsquo;aborderai ce petit ouvrage fascinant en passant par l&rsquo;identit&eacute; des personnages narrateurs, les mises en sc&egrave;nes probl&eacute;matiques de la transmission narrative et les invraisemblances empiriques. </p> <p><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Qui sont donc ces personnages narrateurs?&nbsp;</span></strong></p> <p class="MsoNormal">La majorit&eacute; des nouvelles du recueil sont men&eacute;es par un personnage narrateur &eacute;crivain dont l&rsquo;identit&eacute; rappelle celle de l&rsquo;auteur. Le narrateur, dans la plupart des nouvelles, porte le m&ecirc;me nom que l&rsquo;&eacute;crivain serbe, Svetislav Basara. Il se montre tr&egrave;s souvent en train de performer son geste d&rsquo;&eacute;criture et fait sans cesse r&eacute;f&eacute;rence aux personnages de ses livres pr&eacute;c&eacute;dents (on note plusieurs renvois &agrave; <em>Histoires en disparition</em><strong><a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a></strong>, paru en 2001, entre autres). &Agrave; l&rsquo;occasion, le personnage principal peut s&rsquo;appeler Bob Horn, mais il n&rsquo;agit pas &agrave; titre de narrateur dans ces cas particuliers, puisqu&rsquo;un narrateur extradi&eacute;g&eacute;tique se charge de raconter son (ses) histoire(s). Les nouvelles racontent en g&eacute;n&eacute;ral la crise d&rsquo;identit&eacute; du narrateur Basara, crise qu&rsquo;il vit &agrave; travers des &eacute;v&eacute;nements parfois anodins, parfois extraordinaires. Par exemple, dans la nouvelle &laquo;Histoire d&rsquo;une chute, accompagn&eacute;e d&rsquo;interventions parano&iuml;aques sous forme de corrections, et qui par son titre rappelle les tableaux de Dal&iacute; de la p&eacute;riode 1932-1940&raquo;, le narrateur raconte son histoire tandis qu&rsquo;il tombe du haut de la tour Eiffel (j&rsquo;y reviendrai); dans &laquo;Le cin&eacute;ma o&ugrave; l&rsquo;on projette de mauvais r&ecirc;ves&raquo;, il entre dans l&rsquo;histoire d&rsquo;un film projet&eacute; au cin&eacute;ma auquel le titre de la nouvelle fait r&eacute;f&eacute;rence; dans &laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, le narrateur est enferm&eacute; la nuit dans un supermarch&eacute; et discute de sa condition de personnage avec Dieu; et ainsi de suite. La question de l&rsquo;identit&eacute; traverse presque tous les r&eacute;cits et se d&eacute;cline &agrave; chaque fois un peu de la m&ecirc;me fa&ccedil;on: &laquo;Par moments j&rsquo;ai cru &ecirc;tre toi. En s&rsquo;adressant &agrave; moi, Dieu m&rsquo;a appel&eacute;: po&egrave;te! Je pensais alors &ecirc;tre Bob Horn. Je ne sais pourquoi. Sais-tu, toi, qui je suis? Si tu le sais, pourquoi me le caches-tu? Pourquoi ne veux-tu pas me le dire?&raquo; (&laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, p. 147) Ou encore: &laquo;Je t&eacute;l&eacute;phonais de quelque part pour v&eacute;rifier si j&rsquo;&eacute;tais &agrave; la maison. Je ne voulais pas d&eacute;crocher. Un autre moi se balan&ccedil;ait, pendu dans la salle de bain.&raquo; (&laquo;Un mur&raquo;, p. 89) Aussi: &laquo;J&rsquo;entre dans une chambre et me surprends en train de d&eacute;chirer mes po&eacute;sies de l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; je m&rsquo;appelais Solima B&rsquo;sra, du temps o&ugrave; je m&rsquo;appelais Swetislaw Van de Bassara, du temps o&ugrave; je m&rsquo;appelais Svsltvae Brsaa, et je ne sais si je dois me plaindre ou me m&eacute;priser.&raquo; (&laquo;Explosion&raquo;, p. 117) Qui est donc ce narrateur qui se d&eacute;double, qui se voit lui-m&ecirc;me, qui ne conna&icirc;t parfois m&ecirc;me plus son nom? Les pistes sont brouill&eacute;es, et on pourrait penser qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une strat&eacute;gie de dispersion et d&rsquo;effacement, que le narrateur ne cherche qu&rsquo;&agrave; perdre celui &agrave; qui il s&rsquo;adresse &agrave; travers ces brouillages d&rsquo;allure &eacute;trange. Notamment, dans la nouvelle &laquo;Un crime parfait&raquo;, celui qui raconte l&rsquo;histoire est bizarrement omniscient, bien qu&rsquo;il ne s&rsquo;identifie pas comme tel dans le r&eacute;cit: &laquo;C&rsquo;est alors que Gruber est entr&eacute; dans le caf&eacute;. Bien entendu, je ne pouvais le savoir puisque je ne suis pas un observateur privil&eacute;gi&eacute;.&raquo; (p. 18) Il ajoute, un peu plus loin: &laquo;[&hellip;] j&rsquo;ai entendu un grincement de freins, puis un coup sourd, semblable au coup de matraque que Gruber recevait sur les reins dans le commissariat voisin o&ugrave; on le tabassait.&raquo; (p. 19) Comment a-t-il pu savoir que Gruber entrait dans le caf&eacute;, comment a-t-il pu savoir qu&rsquo;il se faisait ensuite tabasser, s&rsquo;il n&rsquo;est pas un &laquo;observateur privil&eacute;gi&eacute;&raquo;? Il arrive aussi &agrave; ce narrateur de se prendre pour Dieu, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on: &laquo;Gruber a &eacute;t&eacute; chass&eacute; de son logis parce que j&rsquo;ai eu envie d&rsquo;&eacute;crire une histoire &agrave; la troisi&egrave;me personne&raquo;, dit-il dans la nouvelle &laquo;R&eacute;formateur&raquo; (p. 119), mais il ajoute ensuite que &laquo;[c]&rsquo;&eacute;tait peut-&ecirc;tre aussi la volont&eacute; de Dieu.&raquo; (p. 119) L&rsquo;identit&eacute; et la posture du narrateur sont fuyantes, donc, et le lecteur, &agrave; l&rsquo;image du personnage de la nouvelle qui a donn&eacute; son titre au recueil, se retrouve en quelque sorte &laquo;perdu dans un supermarch&eacute;&raquo; qui vend des narrateurs ambigus, contradictoires.</p> <p class="MsoNormal"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Sc&eacute;nographies &eacute;nonciatives probl&eacute;matiques</span></strong></p> <p class="MsoNormal">En plus des troubles identitaires du narrateur, le lecteur de <em>Perdu dans un supermarch&eacute; </em>doit composer avec certaines situations de transmission narrative qui sont peu probables et qui posent probl&egrave;me. Le lecteur se demande en effet &ndash; et &agrave; juste titre &ndash; comment le personnage peut &eacute;crire son histoire s&rsquo;il est en train de tomber du haut de la tour Eiffel. D&rsquo;autant plus que le r&eacute;cit met l&rsquo;accent sur l&rsquo;acte d&rsquo;&eacute;criture dans ce type de situation tout &agrave; fait impossible: le narrateur tient un discours sur l&rsquo;&eacute;criture de sa chute pendant qu&rsquo;il tombe. Il y a l&agrave; une m&eacute;talepse int&eacute;ressante, &agrave; tout le moins un court-circuit entre les diff&eacute;rents mondes (le monde du personnage qui agit et le monde du personnage qui raconte, entre autres), entre les diff&eacute;rents cadres du texte:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&laquo;Comment arr&ecirc;ter cette chute?&raquo; me suis-je demand&eacute; en commen&ccedil;ant &agrave; prendre conscience de la situation. Je disposais de trois possibilit&eacute;s: 1. rayer &laquo;du haut de la tour Eiffel&raquo; au moyen du signe convenu |----| qui indiquerait au metteur en pages qu&rsquo;il fallait remplacer ce membre de phrase, puis reproduire le m&ecirc;me signe dans la marge et &eacute;crire &agrave; c&ocirc;t&eacute; de celui-ci quelque chose de moins haut, &laquo;d&rsquo;un arbre&raquo;, par exemple; 2. attirer l&rsquo;attention du correcteur sur les cons&eacute;quences possibles, aussi bien litt&eacute;raires et th&eacute;oriques que juridiques; et 3. WU WEI: ne rien faire! (p. 21-22)</span></p> <p class="MsoNormal">D&rsquo;autres situations de transmission narrative sont tout aussi improbables, comme celle de la nouvelle&nbsp;&laquo;Ch&ouml;nyid Bardo&raquo;. D&egrave;s l&rsquo;incipit, le narrateur expose sa position probl&eacute;matique: &laquo;Je suis mort peu avant l&rsquo;aube, mais je n&rsquo;ai pas cess&eacute; d&rsquo;&eacute;crire.&raquo; (p. 127) Plus loin, Bob Horn (son alter ego, peut-&ecirc;tre &ndash; un autre &eacute;crivain, du moins) lui dit: &laquo;Tu t&rsquo;es trop attach&eacute; aux objets et quand tu seras redevenu un mannequin en plastique tu &eacute;criras sur ce sujet dans ta nouvelle Perdu dans un supermarch&eacute;.&raquo; (p. 128) Si l&rsquo;on prend cet avertissement au pied de la lettre, on pourrait penser que la narration de la nouvelle &laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo; est tout aussi impossible: un mannequin en plastique n&rsquo;&eacute;crit habituellement pas d&rsquo;histoires, encore moins s&rsquo;adresse-t-il &agrave; Dieu en lui parlant de &laquo;son auteur&raquo; (celui qui &eacute;crit son histoire, celui qui est responsable de son existence). Le narrateur a parfois des acc&egrave;s de conscience et est inform&eacute; de son statut de personnage. Il dit: &laquo;&Ccedil;a y est. L&rsquo;auteur a profit&eacute; d&rsquo;un de mes moments d&rsquo;inattention pour me marier. Ma femme s&rsquo;appelle Anna, elle a dix-neuf ans et, &eacute;videmment, elle joue du piano.&raquo; (&laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, p. 144) Ou encore&nbsp;: &laquo;Il [l&rsquo;auteur] &eacute;crit pendant une ou deux heures, trois tout au plus, puis il sort, alors que moi je reste ici, dans ses plates phrases monotones, dans le supermarch&eacute;.&raquo; (p. 146) Cette situation est d&rsquo;autant plus probl&eacute;matique que le lecteur a &eacute;t&eacute; encourag&eacute; d&egrave;s le d&eacute;but du recueil &agrave; consid&eacute;rer le narrateur comme &eacute;tant une sorte d&rsquo;avatar de l&rsquo;auteur r&eacute;el. Or, si tel &eacute;tait v&eacute;ritablement le cas, il aurait &eacute;t&eacute; lui-m&ecirc;me son propre auteur, comme on l&rsquo;a vu ailleurs (dans &laquo;Histoire d&rsquo;une chute&hellip;&raquo;, par exemple). N&rsquo;emp&ecirc;che que les deux situations soul&egrave;vent chacune leur lot de questions insolubles.&nbsp;</p> <p class="MsoNormal"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">D&rsquo;autres impossibilit&eacute;s, encore</span></strong></p> <p class="MsoNormal">Et ce n&rsquo;est pas tout. Il y a dans les nouvelles du recueil quelques infractions au code de vraisemblance empirique, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; ce type de vraisemblance d&eacute;fini par C&eacute;cile Cavillac et qui concerne la conformit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience commune<a name="_ftnref" href="#_ftn2"><strong>[2]</strong></a>. Entre autres, dans la nouvelle &laquo;Le monde merveilleux d&rsquo;Agatha Christie&raquo;, le narrateur a un serpent dans son sein. Ou encore, dans &laquo;La boum fatale&raquo;, les invraisemblances envahissent la di&eacute;g&egrave;se d&egrave;s l&rsquo;incipit:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tout s&rsquo;est pass&eacute; tr&egrave;s vite: par m&eacute;garde, quelqu&rsquo;un a touch&eacute; Bobby avec le bout embras&eacute; de sa cigarette; l&rsquo;air s&rsquo;est mis &agrave; chuinter et Bobby, en plein milieu de son monologue sur les &eacute;v&eacute;nements les plus r&eacute;cents de la vie londonienne, s&rsquo;est d&eacute;gonfl&eacute;. Il gisait dans un coin, bidimensionnel comme un poster qui se serait d&eacute;coll&eacute; du mur. Mais il ne montrait aucun signe d&rsquo;inqui&eacute;tude; c&rsquo;est tout juste s&rsquo;il regardait avec m&eacute;pris l&rsquo;empot&eacute; qui l&rsquo;avait d&eacute;gonfl&eacute;. (p. 57)</span></p> <p class="MsoNormal">Puis c&rsquo;est tout le monde qui se d&eacute;gonfle ou qui prend en feu. Le monde fictionnel mis en place dans cette nouvelle d&eacute;tonne de l&rsquo;ensemble et positionne ce texte en particulier plut&ocirc;t du c&ocirc;t&eacute; du fantastique, &agrave; tout le moins de la fantaisie. D&rsquo;autres nouvelles pr&eacute;sentent un monde de r&eacute;f&eacute;rence somme toute assez r&eacute;aliste, mais ponctu&eacute; d&rsquo;invraisemblances empiriques plut&ocirc;t d&eacute;rangeantes. Dans &laquo;Souvenirs de la saison de football 1959-1960&raquo;, le narrateur a ferm&eacute; les yeux mais affirme pouvoir continuer de tout voir et continue sa narration comme s&rsquo;il n&rsquo;avait jamais &eacute;t&eacute; incapacit&eacute; par son geste. Et il explique: &laquo;Parce que je traite par le m&eacute;pris la dichotomie POSSIBLE-IMPOSSIBLE. Si je n&rsquo;agissais pas de la sorte, il est peu probable que tout ceci serait possible.&raquo; (p. 39-40) Il est en effet peu probable que tout ceci soit possible. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre ce m&eacute;pris du narrateur pour les lois de la physique, pour l&rsquo;exp&eacute;rience commune de la r&eacute;alit&eacute;, qui fait en sorte que ses troubles identitaires, les situations de transmission narrative impossibles et les invraisemblances empiriques sont rendues possibles dans les nouvelles du recueil. Le lecteur, plut&ocirc;t habitu&eacute; &agrave; cette attitude &laquo;d&rsquo;arrogance&raquo; du narrateur qui se moque du possible et de l&rsquo;impossible, lui accordera peut-&ecirc;tre le droit &agrave; l&rsquo;invraisemblance, &agrave; tout le moins cessera-t-il de chercher &agrave; comprendre; tout, dans Perdu dans un supermarch&eacute;, ne serait en fait que fantaisie.</p> <p class="MsoNormal">En somme, tous les d&eacute;nuements de la fiction, toutes ces fa&ccedil;ons qu&rsquo;a le narrateur de brouiller les pistes, de confondre les niveaux de fiction, tous les accrocs aux codes de vraisemblance contribuent en quelque sorte &agrave; rendre le narrateur encore plus autoritaire. Il d&eacute;montre de cette fa&ccedil;on sa toute puissance, son pouvoir de faire ce qu&rsquo;il veut du r&eacute;cit qu&rsquo;il est en train de construire. Par contre, on pourrait croire que sa cr&eacute;dibilit&eacute; et sa fiabilit&eacute; seraient &eacute;corch&eacute;es au passage. Puisqu&rsquo;on se dit, &agrave; la lecture du recueil, que rien n&rsquo;est vraiment &laquo;vrai&raquo;, que tout n&rsquo;est qu&rsquo;une invention du narrateur, on a peut-&ecirc;tre moins tendance &agrave; adh&eacute;rer &agrave; son r&eacute;cit. Mais encore&hellip; Le lecteur oscille ici, il me semble, entre cr&eacute;dulit&eacute; et incr&eacute;dulit&eacute;, sans pour autant discriminer l&rsquo;une ou l&rsquo;autre des deux postures. C&rsquo;est cette lecture du d&eacute;dale caract&eacute;ristique de l&rsquo;&oelig;uvre de Basara qui le place au-del&agrave; du soup&ccedil;on, parmi ces autres romanciers qui par leur travail participent eux aussi &agrave; la remise en question du contrat de lecture, de l&rsquo;adh&eacute;sion au racont&eacute; et du pacte de l&rsquo;illusion consentie.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;Svetislav Basara, <em>Histoires en disparition</em>, Montfort-en-Chalosse, Ga&iuml;a &Eacute;ditions, 2001.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a>&nbsp;C&eacute;cile Cavillac, &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle&nbsp;&raquo;, dans <em>Po&eacute;tique</em>, no 101, f&eacute;vrier 1995, p. 23-46.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lire-les-dedales-d-un-etrange-labyrinthe#comments Autorité narrative BASARA, Svetislav CAVILLAC, Cécile Identité Serbie Vraisemblance Nouvelles Thu, 03 Dec 2009 15:23:00 +0000 Pierre-Luc Landry 200 at http://salondouble.contemporain.info «Est-ce un roman, ou le délire?»: petit voyage dans une Mongolie fabulée http://salondouble.contemporain.info/lecture/est-ce-un-roman-ou-le-delire-petit-voyage-dans-une-mongolie-fabulee <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/guide-de-mongolie">Guide de Mongolie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Basara, narrateur &eacute;crivain et personnage principal du roman <em>Guide de Mongol</em><em>ie</em> de l&rsquo;auteur serbe du m&ecirc;me nom, doit se rendre en Mongolie pour &eacute;crire un guide, un &laquo;<em>grand reportage sur ce pays perdu au bout du monde</em>&raquo; (p. 20), &agrave; la demande de son ami N.V. qui vient tout juste de se suicider et qui avait promis ce guide/reportage &agrave; la revue <em>&Eacute;poque</em>. Basara voyage donc jusqu&rsquo;&agrave; ce pays d&rsquo;Asie centrale et fait la connaissance de quelques personnages plut&ocirc;t singuliers: Van den Garten, un &eacute;v&ecirc;que n&eacute;erlandais qui a perdu la foi et qui s&rsquo;est retrouv&eacute; l&agrave;-bas pour des raisons &eacute;tranges (pour faire une histoire courte, il a &eacute;t&eacute; fait prisonnier de &laquo;l&rsquo;or&eacute;e o&ugrave; r&ecirc;ve et r&eacute;alit&eacute; s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent&raquo; (p. 32)); Chuck, &laquo;reporter d&rsquo;un journal &eacute;teint depuis longtemps, le <em>Boston Evening New</em>s&raquo; (p. 41); le lama Vladimir Tihonov, un soldat de l&rsquo;arm&eacute;e sovi&eacute;tique converti au bouddhisme; et M. Mercier, un cadavre transfictionnel immigr&eacute; du film <em>Emmanuelle</em> de Just Jaeckin. Charlotte Rampling s&eacute;journe au m&ecirc;me h&ocirc;tel que cette bande de pas-si-joyeux lurons, ainsi que le docteur Andreotti, &laquo;ancien disciple de Jung&raquo;. (p. 51) Le r&eacute;cit est une longue suite de digressions, avec peu d&rsquo;action et beaucoup de bavardage. Pendant une s&eacute;ance de psychanalyse gratuite offerte &agrave; Basara dans une chambre de l&rsquo;h&ocirc;tel Gengis Khan, le Dr Andreotti se transforme en Joseph Kowalsky, &laquo;[f]igure d&rsquo;initiateur qui appara&icirc;t dans plusieurs romans de l&rsquo;auteur, notamment dans <em>Le miroir f&ecirc;l&eacute;</em><a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a>&nbsp;(p. 84) et annonce au personnage qu&rsquo;il est en train de r&ecirc;ver. En apprenant ce fait, celui-ci se r&eacute;veille chez lui, en Yougoslavie. Il se met &agrave; &eacute;crire cette histoire, non sans digresser sur de multiples sujets: son enfance, ses superstitions, la falsification du r&eacute;el par les communistes, une &laquo;divagation m&eacute;taphysique sur la litt&eacute;rature&raquo; (p. 110), son exp&eacute;rience &agrave; travers deux des sept ciels existants, etc. Finalement, alors qu&rsquo;on croit comprendre que tout cela n&rsquo;est qu&rsquo;une invention, que le personnage n&rsquo;est probablement pas all&eacute; en Mongolie et que son ami N.V. ne s&rsquo;est jamais suicid&eacute; (il lui paie d&rsquo;ailleurs une visite et lui parle de son voyage, ce qui en soit pose probl&egrave;me&hellip;), voil&agrave; que Basara re&ccedil;oit une lettre de l&rsquo;&eacute;v&ecirc;que Van den Garten qui lui raconte qu&rsquo;il a retrouv&eacute; la foi et qu&rsquo;il est retourn&eacute; aux Pays-Bas de la m&ecirc;me mani&egrave;re qu&rsquo;il s&rsquo;&eacute;tait rendu en Mongolie. Le roman se termine sur un fac-simil&eacute; d&rsquo;une lettre de l&rsquo;organisation &laquo;Faucons&raquo;, probablement en lien avec les &laquo;Cyclistes &eacute;vang&eacute;liques rosicruciens [&hellip;], [s]oci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te fictive<a name="_ftnref" href="#_ftn2">[2]</a>&nbsp;pr&eacute;sente dans plusieurs &oelig;uvres de l&rsquo;auteur&raquo; (p. 76) dont le roman ne parle pas, ou presque. Tout comme le personnage principal, qui se demande &laquo;est-ce un roman, ou le d&eacute;lire?&raquo; (p. 76), le lecteur du <em>Guide de Mongolie</em> peut se demander comment interpr&eacute;ter tout ce qui se trouve dans ce pourtant si petit roman. Je m&rsquo;y attarderai, en empruntant les chemins de la vraisemblance et de l&rsquo;autorit&eacute; narrative pour tenter de mettre un peu d&rsquo;ordre dans ce voyage fabul&eacute; dans une Mongolie tout aussi fabul&eacute;e.<br /> &nbsp;<br /> <strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Invraisemblances empiriques d&eacute;samorc&eacute;es</span></strong></p> <p>C&eacute;cile Cavillac, dans un article intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle<a name="_ftnref" href="#_ftn3">[3]</a>&nbsp;&raquo;, d&eacute;finit la vraisemblance empirique comme le type de vraisemblance qui concerne la conformit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience commune. Ainsi, un &eacute;v&eacute;nement &eacute;trange ou surnaturel peut &ecirc;tre invraisemblable au point de vue empirique si on ne parvient pas &agrave; l&rsquo;expliquer &agrave; l&rsquo;aide des lois de la nature ou encore s&rsquo;il diverge trop de notre exp&eacute;rience collective de la r&eacute;alit&eacute;. De cette fa&ccedil;on, de nombreux &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit pourraient &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme des invraisemblances empiriques dans <em>Guide de Mongolie</em>: la neige en &eacute;t&eacute;, la terre qui est plate, le temps qui avance par d&eacute;crets, les morts qui forment un syndicat, etc. Toutefois, ces invraisemblances sont pour la plupart d&eacute;samorc&eacute;es par la narration qui tente de les neutraliser en d&eacute;nudant le proc&eacute;d&eacute;. Par exemple, apr&egrave;s &ecirc;tre pass&eacute; &agrave; travers un mur, le narrateur indique qu&rsquo;il n&rsquo;y a &laquo;[r]ien d&rsquo;&eacute;tonnant &agrave; ce que quelqu&rsquo;un passe &agrave; travers un mur. Tout le monde pourrait le faire, mais, par habitude, personne n&rsquo;essaie.&raquo; (p. 25) De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, lorsque celui-ci fait le r&eacute;cit de son enfance, les invraisemblances empiriques de cette gen&egrave;se sont imm&eacute;diatement rattrap&eacute;es par leur caract&egrave;re probablement fictionnel et indiqu&eacute; comme tel par le narrateur lui-m&ecirc;me:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;histoire de ma vie est fondamentalement diff&eacute;rente. Un pur merdier. Je n&rsquo;ai ni p&egrave;re ni m&egrave;re. Je n&rsquo;ai personne. Dieu m&rsquo;a cr&eacute;&eacute; de rien (comme tous les autres hommes) pour que j&rsquo;accomplisse quelques besognes insignifiantes en rapport avec la Providence. Rien de remarquable. Simplement, le 6 septembre d&rsquo;une certaine ann&eacute;e, je suis apparu dans la classe de premi&egrave;re d&rsquo;une &eacute;cole primaire. Avec tout ce qu&rsquo;il fallait&nbsp;: livres, cahiers, mat&eacute;riel scolaire au complet. Et sans aucun complexe, surtout pas freudien. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, je connaissais d&eacute;j&agrave; <em>Hamlet</em> par c&oelig;ur. Mais tout cela n&rsquo;est que divagations. (p. 43)</span></p> <p>Ce mouvement que la narration a, celui de pointer du doigt les invraisemblances de son propre r&eacute;cit, semble souligner le caract&egrave;re d&eacute;lirant de cette fantaisie litt&eacute;raire identifi&eacute;e comme un &laquo;roman&raquo; par l&rsquo;&eacute;diteur (page de garde), mais aussi comme un &laquo;conte philosophique&raquo; en quatri&egrave;me de couverture. Les nombreuses infractions &agrave; la vraisemblance empirique agissent donc ici comme autant de fa&ccedil;ons de souligner la fiction, de la mettre en &eacute;vidence, plut&ocirc;t que comme des accrocs &agrave; un quelconque code. Comme s&rsquo;il fallait mettre &agrave; mal l&rsquo;illusion r&eacute;f&eacute;rentielle, montrer le caract&egrave;re construit de l&rsquo;objet litt&eacute;raire, &agrave; tout le moins r&eacute;v&eacute;ler que &laquo;r&eacute;cit&raquo; est g&eacute;n&eacute;ralement synonyme de &laquo;affabulation&raquo;. La remise en question de la cr&eacute;dibilit&eacute; et de l&rsquo;autorit&eacute; du narrateur participe du m&ecirc;me mouvement.<br /> &nbsp;<br /> <strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Fiabilit&eacute; lacunaire et toute-puissance du roman</span></strong></p> <p>Cette Mongolie fabriqu&eacute;e, ainsi que le voyage qui y a men&eacute; le narrateur, semblent plus ou moins &laquo;r&eacute;els&raquo;. Quelle valeur de v&eacute;rit&eacute; accorder &agrave; tout ce que le narrateur raconte? sommes-nous en droit de nous demander, puisque celui-ci est visiblement en train de fabuler. Le narrateur se joue en effet du lecteur en faisant r&eacute;f&eacute;rence &agrave; son &oelig;uvre (celle de Basara, l&rsquo;&eacute;crivain serbe publi&eacute; en traduction fran&ccedil;aise aux &eacute;ditions Les Allusifs), &agrave; ses obsessions d&rsquo;&eacute;crivain, etc. Les brouillages entre la r&eacute;alit&eacute; fictionnelle (la r&eacute;alit&eacute; du texte) et la fiction sont fr&eacute;quents, comme lorsque le Dr Andreotti se transforme en Joseph Kowalsky et qu&rsquo;il annonce au narrateur qu&rsquo;il r&ecirc;ve, qu&rsquo;il n&rsquo;est pas en Mongolie. Cette annonce s&rsquo;av&egrave;re vraie, puisque le narrateur se r&eacute;veille aussit&ocirc;t dans son appartement, en Yougoslavie. On pourrait donc croire, puisque ce n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un r&ecirc;ve, que les invraisemblances et les d&eacute;fauts et incoh&eacute;rences de la narration sont automatiquement excus&eacute;s. Mais voil&agrave; que le narrateur &eacute;crivain emp&ecirc;che cette interpr&eacute;tation ou cette compr&eacute;hension du r&eacute;cit en continuant sur la m&ecirc;me lanc&eacute;e&nbsp;: divagations, digressions et nouvelles invraisemblances empiriques se succ&egrave;dent, m&ecirc;me apr&egrave;s son r&eacute;veil en Yougoslavie. Un peu plus loin dans le r&eacute;cit, le personnage narrateur se plaint de la duret&eacute; de son voyage en Asie, mais, avons-nous besoin de le rappeler?, il n&rsquo;y serait jamais all&eacute;, finalement: &laquo;Ah, quelles &eacute;preuves n&rsquo;ai-je pas d&ucirc; endurer en Mongolie, pour qu&rsquo;&agrave; la fin il s&rsquo;av&egrave;re que ce n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un r&ecirc;ve!&raquo; (p. 112) Par contre, quand son ami (suicid&eacute;) veut lui parler de ce m&ecirc;me voyage, le brouillage s&rsquo;intensifie et &eacute;chappe &agrave; la saisie: &laquo;Comment aurait-il pu savoir que j&rsquo;&eacute;tais all&eacute; en Mongolie, si je n&rsquo;y &eacute;tais pas all&eacute;? M&ecirc;me le pays des r&ecirc;ves n&rsquo;est plus un lieu s&ucirc;r. Il semble que certains de ses habitants, esprits &agrave; jamais coinc&eacute;s dans le <em>bardo</em> du r&ecirc;ve, soient des d&eacute;lateurs.&raquo; (p. 115) Le narrateur conclut en disant qu&rsquo;&laquo;[u]n roman est toujours un faux et une construction, quelque effort que fassent l&rsquo;auteur et ses complices, les th&eacute;oriciens, pour d&eacute;montrer le contraire.&raquo; (p. 124) Voil&agrave; une id&eacute;e qui fait &eacute;cho &agrave; celle &eacute;nonc&eacute;e plus t&ocirc;t au d&eacute;but du roman, selon laquelle la&nbsp;&laquo;diff&eacute;rence entre mat&eacute;riaux documentaires et mat&eacute;riaux fictifs est d&rsquo;ordre purement formel et en outre &agrave; l&rsquo;avantage des fictifs, ceux-ci &eacute;tant plus vraisemblables et certainement plus proches de la v&eacute;rit&eacute;.&raquo; (p. 33) Faut-il alors cesser de se poser autant de questions sur le r&eacute;cit et accepter qu&rsquo;un roman, puisque ce n&rsquo;est apr&egrave;s tout qu&rsquo;une construction, fictive de surcro&icirc;t, ne doit pas n&eacute;cessairement faire sens? Cette conclusion pr&eacute;cipit&eacute;e permet &agrave; tout le moins au Basara personnage et narrateur d&rsquo;affirmer son autorit&eacute; narrative. Est-il fiable? Est-ce qu&rsquo;il ment? Est-il parano&iuml;aque? Alcoolique? Ces questions deviennent rapidement inutiles: le petit monde (de fiction) construit par le narrateur r&eacute;pond &agrave; ses besoins, et c&rsquo;est tout ce qui lui importe. Finalement, il semble que <em>Guide de Mongolie</em> soit, en quelque sorte, une prise de position en faveur de la toute puissance du roman, de la litt&eacute;rature. En m&ecirc;me temps que le roman de Basara d&eacute;nonce peut-&ecirc;tre l&rsquo;illusion r&eacute;f&eacute;rentielle, il assied sa toute-puissance sur les conventions du genre et sur le statut ontologique de la fiction.</p> <p><a name="_ftn1" href="#_ftnref">1</a>&nbsp;Svetislav Basara, <em>Le miroir f&ecirc;l&eacute;</em>, Montr&eacute;al, Les Allusifs, 2004.</p> <p><a name="_ftn2" href="#_ftnref">2</a>&nbsp;Les rosicruciens existent, l&rsquo;ordre de la Rose-Croix &eacute;tant une fraternit&eacute; chr&eacute;tienne, en quelque sorte. Les Cyclistes &eacute;vang&eacute;liques, par contre, semblent &ecirc;tre une invention de Basara.</p> <p><a name="_ftn3" href="#_ftnref">3</a>&nbsp;C&eacute;cile Cavillac, &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle&nbsp;&raquo;, dans <em>Po&eacute;tique</em>, no 101, f&eacute;vrier 1995, p. 23-46.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/est-ce-un-roman-ou-le-delire-petit-voyage-dans-une-mongolie-fabulee#comments Autorité narrative BASARA, Svetislav CAVILLAC, Cécile Fiction Serbie Vraisemblance Roman Tue, 08 Sep 2009 15:09:00 +0000 Pierre-Luc Landry 152 at http://salondouble.contemporain.info