Salon double - DIMANCHE, Thierry http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/272/0 fr Savoir se piéger http://salondouble.contemporain.info/lecture/savoir-se-pieger <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/autoportraits-robots">Autoportraits-robots</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div class="rteindent2" style="padding-left: 120px;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;habitude maladive de s&rsquo;attacher au connu s&rsquo;est suffisamment r&eacute;pandue par ici. (p. 40)</span> <p>&nbsp;</p></div> <div class="rteindent1">&nbsp;</div> <div>L&rsquo;ind&eacute;cision quant au sens que portent les mots dans un large pan de la po&eacute;sie contemporaine est sans doute l&rsquo;une des qualit&eacute;s qui lui conf&egrave;re son attrait. Contre le monolithisme d&rsquo;une pens&eacute;e qui s&rsquo;&eacute;chafaude sur les bases consid&eacute;r&eacute;es solides des savoirs scientifiques, il existe des penseurs dont la d&eacute;marche est tout autre. Plut&ocirc;t que de r&eacute;fl&eacute;chir <em>en-avant</em> comme si le progr&egrave;s allait de soi, il me semble que la pens&eacute;e po&eacute;tique se caract&eacute;rise notamment par sa propension &agrave; tendre des pi&egrave;ges aux certitudes plut&ocirc;t que de s&rsquo;asseoir sur celles-ci. Cette d&eacute;marche n&rsquo;est pas exempte d&rsquo;un retour sur soi, car le po&egrave;te sait aussi se pi&eacute;ger. En ce sens, j&rsquo;aimerais proposer comme approche de lecture qu&rsquo;une certaine forme de po&eacute;sie se construit aujourd&rsquo;hui autour de l&rsquo;impossibilit&eacute; de penser sans aboutir &agrave; une impasse. Mieux: ces impasses y sont dot&eacute;es d&rsquo;une valeur positive en ce qu&rsquo;elles t&eacute;moignent de l&rsquo;incr&eacute;dulit&eacute; du po&egrave;te, du fait qu&rsquo;il ne se laisse pas duper facilement. Dans le cas des <em>Autoportraits-robots</em> de Thierry Dimanche, ces achoppements sont tous li&eacute;s de pr&egrave;s ou de loin aux difficult&eacute;s du sujet &agrave; devenir l&rsquo;objet de ses pens&eacute;es, et c&rsquo;est ce probl&egrave;me que je souhaite aborder ici.</div> <div> Wittgenstein cl&ocirc;t son <em>Tractatus logico-philosophicus</em> avec un aphorisme cat&eacute;gorique: &laquo;Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.&raquo; (Aphorisme #7) Ce &agrave; quoi r&eacute;pond Thierry Dimanche dans son premier po&egrave;me en avan&ccedil;ant que &laquo;Ce qu&rsquo;on ne peut dire, il faut l&rsquo;&eacute;crire.&raquo; (p.11) L&rsquo;intersubjectivit&eacute; est tr&egrave;s t&ocirc;t mise de l&rsquo;avant dans ce recueil, et de fait la coh&eacute;rence d&rsquo;ensemble de celui-ci se retrouve entre autres dans le caract&egrave;re dialogique de ses po&egrave;mes. Il me semble que ses derni&egrave;res po&eacute;sies, ses <em>Autoportraits-robots</em>, se succ&egrave;dent comme autant de tentatives pour &eacute;crire ces <em>indicibles</em> sur lesquels se butte la logique, quant &agrave; elle soucieuse de circonscrire le monde &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;un langage descriptif d&rsquo;une limpidit&eacute; absolue. Pourtant, ce n&rsquo;est pas &agrave; un &eacute;change de coups de feu entre logicien et po&egrave;te que nous assistons: l&agrave; o&ugrave; la logique est affirmative et triomphante, le po&egrave;te travaille ses &eacute;checs, nourrit ses obstacles et se fixe d&rsquo;autres objectifs que la transparence du langage: &laquo;le moindre &eacute;chec, il faut en prendre soin. Sans lui, aucune confrontation n&rsquo;existerait en nous; avec lui, l&rsquo;obstacle trouve un visage.&raquo; (p.11) Il s&rsquo;agit de conf&eacute;rer une valeur positive &agrave; la d&eacute;route, non pas comme le voulait l&rsquo;important recueil de Jacques Brault, parce qu&rsquo;<em>Il n&rsquo;y a plus de chemin</em> (1990, &Eacute;ditions du Noro&icirc;t), mais plut&ocirc;t parce que tous les chemins ne m&egrave;neraient &agrave; rien. La seule possibilit&eacute;, dans cet ordre d&rsquo;id&eacute;es, est de <em>demeurer ma&icirc;tre des faux pas</em>:</div> <div class="rteindent3" style="padding-left: 60px;"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span></strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> </span></div> <div class="rteindent2" style="padding-left: 60px;"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Malchance est mon amie </span></strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">(p.20) <p>La d&eacute;brouillardise est issue <br /> d&rsquo;une s&eacute;rie de p&eacute;pins <br /> crach&eacute;s par un dieu saoul <br /> Thierry, tu vas mourir <br /> hors de toute &eacute;vidence <br /> d&rsquo;ici l&agrave; tu contournes </p> <p>les essuie-glaces ont gel&eacute; <br /> les essuie-glaces ont saut&eacute; <br /> maintenant tu d&eacute;vales <br /> une route invisible<br /> ignore, aussi, ignore<br /> d&eacute;vore-toi chaud ou froid <br /> les accidents te disent <br /> les obstacles te chuchotent <br /> ce qu&rsquo;il faut de prudence <br /> pour demeurer ma&icirc;tre <br /> des faux pas. </p> <p></p></span></div> <div class="rteindent2">&nbsp;</div> <div>Ma&icirc;tre des faux pas, Thierry Dimanche tente de le demeurer avec ce recueil en multipliant les impasses et les affirmations d&eacute;routantes. Sa po&eacute;sie met en place une forme particuli&egrave;re de <em>vers libres</em>. Libres, ils le sont sans doute au sens formel, comme en t&eacute;moigne le po&egrave;me cit&eacute; plus haut. Cependant, les vers ne seraient pas <em>libres</em> s&rsquo;il ne s&rsquo;agissait que de cela: l&rsquo;accumulation de vers qui ne r&eacute;pondent &agrave; aucun syst&egrave;me de rime ni &agrave; aucune m&eacute;trique ne suffit peut-&ecirc;tre pas &agrave; proclamer la libert&eacute; du po&egrave;me. Si au dix-neuvi&egrave;me si&egrave;cle la n&eacute;cessit&eacute; de se lib&eacute;rer des formes rigides de la po&eacute;sie rim&eacute;e s&rsquo;est fait sentir, nous pourrions en dire autant aujourd&rsquo;hui &agrave; propos du vers libre qui est devenu lui aussi une convention. La po&eacute;sie n&rsquo;est pas libre d&rsquo;embl&eacute;e et se lib&eacute;rerait plut&ocirc;t en s&rsquo;&eacute;crivant. Encore faut-il se demander de quoi se lib&egrave;re-t-elle...? Nulle libert&eacute; n&rsquo;est garantie, et ce qui fait la libert&eacute; des vers de Thierry Dimanche, c&rsquo;est notamment l&rsquo;ironie avec laquelle le po&egrave;te se joue des pens&eacute;es convenues. Celui-ci &laquo;soup&ccedil;onne le vice qu&rsquo;il y a / &agrave; se sentir honn&ecirc;te&raquo; (p.26), se posant en adversaire d&rsquo;une certaine forme de positivisme pour lequel il va de soi qu&rsquo;il est possible d&rsquo;appr&eacute;hender le monde sans que celui-ci soit souill&eacute; par le regard int&eacute;ress&eacute; du sujet. Se sentir honn&ecirc;te, sugg&egrave;re Dimanche, ce n&rsquo;est peut-&ecirc;tre rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une forme d&rsquo;acquiescement &agrave; l&rsquo;&eacute;tat des choses et notre relation &agrave; celles-ci. Se sentir honn&ecirc;te, c&rsquo;est le refus du soup&ccedil;on.</div> <div>&nbsp;<br /> Au fil des po&egrave;mes se profile l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;unit&eacute; du sujet n&rsquo;existe pas. Non pas un, mais des autoportraits-robots, en ce sens o&ugrave; l&rsquo;identit&eacute; serait une multiplicit&eacute; qui se d&eacute;robe. Le projet de ce recueil de po&egrave;mes est d&rsquo;offrir une esquisse de ces fragments d&rsquo;&ecirc;tre, mais &eacute;galement d&rsquo;illustrer les jeux de tensions qui s&rsquo;installent entre chacune de ces parcelles. On le voit, c&rsquo;est &agrave; un dialogue avec la conception rimbaldienne de l&rsquo;identit&eacute; que Thierry Dimanche s&rsquo;adonne. Le <em>je</em> est multiple. Il reste encore &agrave; se demander qui est ce je qui questionne les <em>autres</em> dans cette qu&ecirc;te identitaire. J&rsquo;y vois pour ma part un rapport de force entre les diff&eacute;rents regards que l&rsquo;on peut porter sur soi, et cette joute laisse des morts derri&egrave;re elle: &laquo;nous contenons plus de morts qu&rsquo;il n&rsquo;en faut pour &ecirc;tre homme.&raquo; (p.54) La souffrance, c&rsquo;est la division, nous dit Dimanche, et si nous souffrons, il faut comprendre que c&rsquo;est parce que nous sommes fondamentalement fractionn&eacute;s:</div> <div class="rteindent2">&nbsp;</div> <div class="rteindent1" style="padding-left: 60px;"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Souffrir d&rsquo;une division est une tautologie. Celui qui se coupe l&rsquo;oreille en peignant ne souffre plus. Celui qui jouit de son personnage sur la croix ne pleure plus que comme un germe fendu, un acteur &eacute;lanc&eacute; vers sa plus haute d&eacute;finition. Clint Eastwood est quant &agrave; lui soulag&eacute; par un pistolet-jouet, une boxeuse factice ou une mairie-th&eacute;&acirc;tre. Arrive un moment o&ugrave; il faut revenir visiter sa douleur comme une m&egrave;re tr&egrave;s &acirc;g&eacute;e, tendue entre deux m&eacute;connaissances, et que certains mots incluront &agrave; nouveau dans notre marche. Moment o&ugrave; boire redevient un loisir et de m&ecirc;me respirer, lancer des hypoth&egrave;ses, affronter trois autres adversaires. Attrapez la fausse balle au vol et un frisson d&rsquo;ordre s&rsquo;&eacute;tablit. (p. 41) </span></div> <div>Ce frisson d&rsquo;ordre &eacute;tabli n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;un apaisement momentan&eacute;. Sans doute souhaitable, mais temporaire. Le recueil, en proc&eacute;dant par accumulation, devient le d&eacute;sordre identitaire du po&egrave;te et nous invite &agrave; nous y reconna&icirc;tre. Cette accalmie est passag&egrave;re, et plus loin nous lisons un po&egrave;me o&ugrave; la dissension int&eacute;rieure du po&egrave;te m&egrave;ne &agrave; la haine du projet d&rsquo;&eacute;criture: &laquo;Dans la haine de tout ce que j&rsquo;ai &eacute;crit / je recommence &agrave; nous prendre pour un recueil.&raquo; (p.60) Ce passage est important dans la mesure o&ugrave; nous y voyons mieux qu&rsquo;ailleurs l&rsquo;ad&eacute;quation qu&rsquo;&eacute;tablit Thierry Dimanche entre le fait d&rsquo;&eacute;crire et celui d&rsquo;exister. Comme chaque po&egrave;me constitue dans la logique du recueil un autoportrait, il devient possible de comprendre les vers &laquo;Dans la haine de tout ce que j&rsquo;ai &eacute;crit&raquo; comme signifiant &laquo;Dans la haine de tout ce que j&rsquo;ai &eacute;t&eacute;&raquo;. De la m&ecirc;me mani&egrave;re, en affirmant &laquo;je recommence &agrave; nous prendre pour un recueil&raquo;, Dimanche nous invite &agrave; appr&eacute;hender l&rsquo;&ecirc;tre humain comme un assemblage dont il s&rsquo;agit de trouver le fil qui suture ensemble les parties. La suite du po&egrave;me renforce l&rsquo;impression de lecture selon laquelle la cohabitation de ces identit&eacute;s est laborieuse et n&eacute;cessite un travail d&rsquo;<em>organisation</em>: &laquo;entour&eacute; de fleurs mortes j&rsquo;entends se rapprocher le carnaval o&ugrave; les voix divergentes se brisent&raquo;. (p.60) Ce carnaval qui se rapproche, c&rsquo;est le retour du conflit constitutif des identit&eacute;s, apr&egrave;s le frisson d&rsquo;ordre &eacute;tablit qui lui, est une fugitive impression.</div> <div>Bien que cette pluralit&eacute; des identit&eacute;s soit violemment probl&eacute;matique dans l&rsquo;ensemble du recueil, on y trouve &eacute;galement un aspect positif, soit l&rsquo;influence d&rsquo;autres &eacute;crivains dans l&rsquo;&eacute;criture de celui-ci. L&rsquo;auteur est pluriel, mais le texte aussi, dans la mesure o&ugrave; il s&rsquo;&eacute;crit sous la tutelle de ce que Thierry Dimanche nomme ses &laquo;fr&egrave;res et soeurs de mis&egrave;re&raquo; (p.39) Parmi ceux-ci, la pr&eacute;sence de Michel Beaulieu est palpable, notamment sa mani&egrave;re d&rsquo;&eacute;crire par enjambements, que Dimanche fait sienne par moments: &laquo;aucune maison n&rsquo;est si tranquille / <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>que tu ne puisses en dire un mot</strong></span>&raquo; (p.15, c&rsquo;est moi qui souligne). Le recueil est hant&eacute; par la question du legs qu&eacute;b&eacute;cois et insiste sur l&rsquo;importance de plusieurs de nos po&egrave;tes, dont Anne H&eacute;bert, Paul-Marie Lapointe et Fernand Ouellette. Je remarque &eacute;galement la pr&eacute;sence de Personne, ce personnage accompagnateur dans le recueil de Jacques Brault dont il a d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; question. Il y aurait plusieurs rapprochements &agrave; faire entre le travail de ces deux po&egrave;tes, et ce vers incite le lecteur &agrave; faire de tels liens: &laquo;Durant ce pi&eacute;tinement, ou en dessous, Personne est encore mon Ami.&raquo; (p.45)</div> <div> Au terme de notre lecture, nous voyons que ce sont les questions de l&rsquo;individualit&eacute;, du rapport &agrave; l&rsquo;autre, de l&rsquo;originalit&eacute; qui sont pos&eacute;es dans les <em>Autoportraits-robots</em>. Est-il possible de parler d&rsquo;identit&eacute; propre sans prendre en consid&eacute;ration les lignes de forces qui nous constituent et qui font de nous une synth&egrave;se de contradictions ? Dans le dernier po&egrave;me, &laquo;D&eacute;livrez-nous de moi&raquo;, le po&egrave;te affirme que &laquo;Derri&egrave;re [s]a t&ecirc;te / il y en a une autre qui mastique le monde / avec ses refuges ses cages ses miroirs / [et que] l&rsquo;une et l&rsquo;autre doivent &ecirc;tre bouscul&eacute;es.&raquo; (p.71) Sans doute faut-il y voir une invitation &agrave; perp&eacute;trer ce proc&egrave;s auquel s&rsquo;adonne avec brio Thierry Dimanche, celui o&ugrave; l&rsquo;accus&eacute; et le juge se fondent l&rsquo;un dans l&rsquo;autre, faisant de l&rsquo;individu &laquo;et la victime et le bourreau&raquo;. (Baudelaire, &laquo;H&eacute;autontimoroum&eacute;nos&raquo;, <em>Les F</em><em>leurs du mal</em>) <p>&nbsp;</p></div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/savoir-se-pieger#comments DIMANCHE, Thierry Identité Intertextualité Poétique du recueil Québec Subjectivité Poésie Tue, 22 Sep 2009 14:08:00 +0000 Simon Brousseau 161 at http://salondouble.contemporain.info