Salon double - Réalisme
http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/309/0
frEntretien avec Mathieu Arsenault
http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault
<div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
<a href="/equipe/salon-double">Salon double</a> </div>
<div class="field-item even">
<a href="/equipe/arsenault-mathieu">Arsenault, Mathieu</a> </div>
</div>
</div>
<div class="field field-type-text field-field-soustitre">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
L’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break-->
<div class="rtecenter"><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/Antichambre/boitier-face.jpg" /></div>
<p>Il remet des trophées à des œuvres actuelles qu’il juge marquantes, des prix prestigieux qui font bien des jaloux tel le fameux <em>Bouillon de poulet pour fuck all</em> qui a été décerné cette année à Simon Paquet pour son roman <em>Une vie inutile</em>. Visiblement animé par le désir de participer à l’élaboration d’une communauté littéraire active et vivante qui ne se résumerait pas à la circulation de livres, Mathieu Arsenault est un acteur important des soirées de poésie et de divers événements littéraires qui ont lieu à Montréal. Ses livres sont porteurs d’une liberté langagière et intellectuelle que peu d’auteurs se permettent aujourd’hui, malmenant aussi bien la syntaxe que les idées reçues. Son premier livre de fiction, <em>Album de finissants</em> (2004), propose une série de fragments polyphoniques posant un regard sagace sur l’école, qui apparaît être bien davantage une «fabrique de gens compétents pour la vie professionnelle» qu’un lieu de formation de citoyens lucides et libres-penseurs. Son livre <em>Vu d’ici</em> (2008) poursuit l’exploration des différents flux idéologiques qui parcourent l’esprit de nos contemporains, s’attardant cette fois à la culture populaire, notamment au pouvoir hypnotique de la télévision et des désirs serviles que celle-ci véhicule, induisant l’inertie crasse des sujets dépolitisés. Mathieu Arsenault a aussi publié un essai, <em>Le lyrisme à l’époque de son retour</em> (2007), où il analyse la dialectique de l’innovation et de la tradition qui traverse la production contemporaine en prenant pour exemple la question de la résurgence du lyrisme. Ce livre, qu’il qualifie lui-même d’autothéorie, ou encore d’autobiographie théorique, parvient à joindre avec finesse des questions théoriques à l’expérience concrète que nous avons de la littérature aujourd’hui. Et c’est ultimement la question de la possibilité d’une communauté littéraire qui surgit de sa réflexion : «Quand je me pose la question de la possibilité de dire ‘je’ aujourd’hui, c’est une communauté que je cherche, la possibilité de créer des communautés dans un système historiquement répressif.» Mathieu Arsenault collabore également de façon régulière à la revue <em>Spirale</em>, en plus d’être l’un des membres fondateurs du magazine <em>OVNI</em>. Depuis 2008, il propose ses réflexions sur la culture populaire actuelle dans son blogue <a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>. Il passe aujourd’hui au Salon pour nous entretenir de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle, un projet qu’il a mis en branle en 2009.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> À Salon double, nous cherchons des façons de mettre en valeur et de commenter la littérature contemporaine. Nous sommes intéressés par ta série de «15 publications intéressantes 2010 selon l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle», publiée sur ton blogue <a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>, parce que tu y valorises aussi, à ta façon, des œuvres québécoises qui ont été plus ou moins ignorées en 2010. Alors que les critiques des médias <em>mainstream</em> collectionnent tous les mêmes cartes d’écrivains au style de jeu plus ou moins convenu, tu sembles avoir un penchant pour les jeunes recrues qui tentent d’imposer de nouvelles manières de concevoir la joute littéraire. La liste d’œuvres que tu proposes, plutôt éclectique, montre bien qu’il existe une relève. On y retrouve des romans, de la poésie, de la bande dessinée, des textes inclassables, des textes publiés en fanzines... Selon quels critères avez-vous constitué cette liste? Désiriez-vous mettre en lumière des mouvements ou des tendances particulières dans la littérature québécoise contemporaine?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Le projet de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle est de prendre le contrepied de l’image médiatique de la littérature québécoise actuelle, qui construit un programme finalement assez réducteur dans ses propositions esthétiques: du roman, du roman, du roman, avec «du souffle», de la «maîtrise» et, assez souvent, une retenue, un art de la concision. Mais ce programme est assurément moins dommageable que le public qu’il associe à la littérature. Car ce public est en déclin, il vieillit sans se renouveler et s’accroche à une idée du littéraire qui lui appartient, mais qui ne se renouvelle pas nécessairement. Quand on parle de relève dans les médias, c’est d’ordinaire à ceci qu’on fait référence: l’espoir que survive ce rapport à la littérature et les pratiques qui lui sont associées. Mais cette idée de la relève n’incarne qu’une forme parmi d’autres de rapport à la tradition littéraire. Pour cette raison, ce à quoi nous travaillons, ce n’est pas à identifier des tendances émergentes en littérature québécoise. Notre projet serait plutôt d’inventer un public, de trouver à quoi ressemble le désir de notre époque pour la chose littéraire. Le public que nous cherchons ne ressemble pas à celui plein de révérence des années 80, ni à celui presque inexistant des années 90. Les littéraires d’aujourd’hui sont plus éclectiques dans leurs goûts. Ils sont peut-être détachés d’une manière salutaire de l’industrie du livre, du système des rentrées littéraires et de la promotion médiatique. Même si ce ne sont pas toujours des livres, ils lisent globalement plus, sans discrimination.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Votre projet vient en effet combler un vide dans l’espace littéraire québécois. Il répond à un désir de renouveau de l’espace littéraire qui semble partagé par plusieurs. Pourrais-tu nous parler de la façon dont il a vu le jour? Comment fonctionne l’attribution des prix de l’Académie? As-tu établi des critères précis pour la sélection des œuvres récompensées?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> J’ai fondé l’Académie à l’hiver 2009 lors d’<a href="http://doctorak-go.blogspot.com/2009/01/les-prix-de-lacademie-de-la-vie.html">une note</a> au ton humoristique sur <a href="http://doctorak-go.blogspot.com"><em>Doctorak, GO!</em></a> Lucide et amusé, je voulais illustrer ma conviction que mon travail n’était pas trop fait pour remporter des prix en faisant croire en blague que même si je fondais une académie, les honneurs finiraient par m’échapper. J’avais établi une liste de livres de récipiendaires faite de livres que j’avais lus dans l’année et que j’avais trouvés curieux ou intéressants. Cette note a été très populaire, pas parce qu’elle était drôle ou particulièrement bien tournée, mais parce qu’on y mentionnait des livres qui n’apparaissaient nulle part ailleurs sur le Web, sinon sur le site de leurs éditeurs. Et, qui plus est, certains auteurs ont été très flattés que je leur remette un prix, même si c’était sans prétention. L’année suivante, j’ai voulu pousser l’exercice plus loin en organisant un gala. Catherine Cormier-Larose, organisatrice de lectures hors pair, est alors entrée au «comité», et nous avons décidé ensemble des prix à remettre. Grâce à elle, le gala a pris la forme d’une soirée de lecture originale un peu trash et faussement officielle, dans l’esprit de la liste des prix. L’Académie a pris avec elle une direction plus convaincante, elle lit beaucoup et possède un excellent jugement. Pour l’édition de cette année, Vickie Gendreau s’est jointe à son tour au comité, car elle confectionne les trophées. Ces trophées prennent le contrepied des statuettes de gala : ils sont uniques, chacun illustrant une image, une scène ou une phrase tirée du livre primé.<br /><br /> Ce que j’aime de ce projet, c’est que nous essayons de maintenir délibérément le flottement entre la parodie d’académie et l’institution sérieuse. Si nous essayons de garder le côté mordant des prix, nous effectuons maintenant la sélection avec plus de sérieux qu’au début, car d’une part, nous sentons un réel engouement de la communauté littéraire pour notre entreprise et d’autre part, on y voit également l’occasion de donner une représentation des différentes potentialités de forme et de contenus littéraires propres à notre époque.<br /><br /> Le choix des textes se fait en comité. On y discute non seulement de ce qu’on a lu mais aussi des livres dont on a entendu parler et que nous nous promettons de lire. Il arrive souvent que nous nous emportions à cause de véritables injustices, des livres extraordinaires qui n’auront de visibilité nulle part. Et ce n'est même pas une question d’injustice à l’égard de leur auteur, c'est une injustice à l’égard de notre époque. Beaucoup de prix travaillent à la perpétuation d’une image conventionnelle de la littérature, à entretenir une sorte de synthèse la plus réussie de formes du roman ou de la poésie qui datent au mieux d’une quinzaine d’années. De notre côté, on aime mieux les livres un peu chambranlants qui pointent vers les potentialités de notre époque. Tu sais, tu lis un texte et tu te dis que c'est étrange de ne pas retrouver plus souvent cette forme, ce langage, ce sujet tellement il appartient à l’expérience de notre époque?<br /><br /> Par ailleurs, le nom ridiculement long d’«Académie de la vie littéraire au tournant du vingt et unième siècle» est ironiquement sentencieux, mais il reflète aussi ce désir de répondre à la nécessité qu’il existe une communauté littéraire vivante, que les auteurs se rencontrent, prennent la mesure de la diversité et comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans leur volonté de s’inscrire dans leur époque. Nous sommes fatigués de ces auteurs qui s’imaginent avoir inventé la roue faute d’avoir convenablement lu leurs contemporains.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Il est intéressant que tu retournes la question des tendances émergentes en insistant sur «le désir de notre époque pour la chose littéraire.» Les œuvres qui ont été sélectionnées par l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle témoignent certes d’une belle diversité, mais on y trouve tout de même des textes qui se revendiquent en tant que roman. Pensons par exemple à <em>Une vie inutile</em> de Simon Paquet, ou encore à <em>Épique</em> de William S. Messier. Depuis la mise en ligne de Salon double, nous avons accueilli des lectures critiques portant essentiellement sur le roman, alors que l’essai, la nouvelle et la poésie sont largement sous représentés. Cela porte à croire que nos contemporains, du moins ceux qui gravitent autour du monde académique, s’intéressent toujours au roman et y voient une pratique importante qui mérite l’attention. Pourrais-tu expliquer davantage ta pensée sur l’écriture romanesque? Pourquoi les romans de Simon Paquet et de William S. Messier sont-ils de bons textes à tes yeux?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Nous n'avons a priori rien contre le roman. Le 20e siècle a donné des romans fascinants de Proust à Don DeLillo, des expériences d'écriture qui ont véritablement pris la mesure de ce dont était capable la forme romanesque. Mais cette volonté de travailler cette forme est peu suscitée aujourd'hui. Les médias, les librairies et le grand public n’ont qu’un intérêt très marginal pour ce travail, ce qui pousse les romanciers à chercher la maîtrise et la retenue dans le style comme dans la structure. Cela dit, des textes comme ceux de Simon Paquet et William S. Messier trouvent un usage, une justification au roman. Le roman de Paquet essaie de donner une structure à un florilège de mots d'esprit absurdes et désespérés, et celui de Messier prend le prétexte du roman pour inscrire la tradition du conte traditionnel dans le réalisme d'un quotidien contemporain. Les romanciers qui nous intéressent se posent des questions, assez indépendamment finalement des critères de maîtrise et de l'actualité de leur sujet. Il importe peu qu'un roman soit mal ficelé, qu'il finisse en queue de poisson, qu'il soit trop long ou surchargé s'il recèle un dispositif esthétique cohérent.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Pour désigner cette communauté qui se constitue autour de la littérature, tu parles d'un public plutôt que de lecteurs. Le choix paraît mûrement réfléchi. Il suggère le rassemblement et l'événementiel. Si la vie littéraire est partagée par ce public, leur relation à la littérature déborderait donc d'une relation strictement livresque. Les rassemblements littéraires que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Salon du livre sont en réalité des foires commerciales où l'objet-livre prend complètement le dessus sur la littérature. Pour l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle, y a-t-il une littérature hors du livre, hors du marché du livre? Qui constituerait ce public à inventer?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> «Une littérature hors du livre». La formule est intéressante, à une époque où, justement, le livre est en phase de dématérialisation. Et en effet, les textes littérairement intéressants ne sont pas toujours confinés au livre. La littérature à venir se prépare peut-être dans le fanzine, dans la lecture publique, dans la note de blogue. C'est-à-dire que les oeuvres à venir ne seront peut-être pas des fanzines et des blogues, mais elles seront imprégnées de toutes les expérimentations qu'ils auront permises. Cette année, nous avons surtout donné des prix à des livres publiés, mais j'aimerais bien qu’on puisse remettre bientôt des prix pour des personnages inventés sur Facebook ou Twitter. J’aimerais aussi amener au-devant de la scène toute cette culture d’essais plus lyriques au ton vraiment dynamique que la pratique du blogue est en train de développer.<br /><br /> Mais cela dit, la distinction entre public et lecteurs excède aussi la question du format de l'imprimé. Parler de lecteurs et de lectorat revient à parler encore depuis cette configuration de la littérature comme production culturelle. La configuration que nous cherchons est plus proche d'une communauté, et je pense que nous ne sommes pas les seuls à chercher cela. Tout le monde appelle, recherche des communautés littéraires. Elles passent par le livre, oui, mais elles passent aussi par leur circulation, par le discours, par la critique et le commentaire. C'était un peu le projet derrière les cartes critiques d'auteurs que nous avons imprimées: faire circuler des auteurs par le biais des cartes qu'on pourrait garder dans sa poche, avec une photo devant et une critique derrière.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Tu laisses entendre que l’avenir de la littérature passe peut-être par les différentes marges de la production imprimée et contrôlée par le monde de l’édition traditionnelle, que ce soit par les blogues ou par les fanzines. Nous accordons aussi beaucoup d’importance aux blogues à Salon double et nous avons ajouté cette année sur notre site une section qui recense les billets de nos collaborateurs. Il se dégage de ces pratiques une cohérence qui nous apparaît forte, par exemple par le travail plus ou moins important de l’oralité, ou encore par une volonté de mise à distance du supposé nombrilisme des blogueurs, à propos desquels on affirme souvent qu’ils sont l’incarnation du narcissisme de notre époque. Ces blogues possèdent un lectorat important, peut-être même plus important que celui des livres qui se trouvent sur les tablettes de nos librairies. Pour certains, le statut des blogues pose tout de même problème. Pour assurer la pérennité de ces écritures, il faudrait, dit-on, que le monde de l’édition intervienne d’une façon ou d’une autre. Les Éditions Leméac ont tenté d’imprimer certains blogues, mais ceux-ci ont rapidement décidé de mettre fin à cette collection. Alors que nous observons une littérature Web en pleine effervescence, le directeur de cette maison d’édition, Jean Barbe, y voit plutôt une perte de temps : «Les blogues ont leurs limites, disait-il en 2009, et c’est beaucoup d’énergie créatrice qui n’est pas consacrée à la littérature<strong><a href="#note1a">[1]</a><a name="note1aa"></a>.</strong>» Cette réaction montre bien le fossé qui sépare la culture de l’imprimé et la culture numérique, une forme de culture légitime et une culture qu’on pourrait qualifier de sauvage. Es-tu d’avis qu’un système d’édition et de légitimation est nécessaire sur le Web? N’y a-t-il pas là un danger de dénaturer ces écritures?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> En effet, le réseau de l’imprimé n’a jusqu’ici considéré que très timidement la scène littéraire du blogue. Mais je ne sais pas s’il faut en imputer la faute aux résistances des éditeurs traditionnels, car le passage de l’entrée de blogue au livre est plus difficile qu’il n’y paraît. Cette entrée qui paraissait infiniment spirituelle, pertinente et vivifiante dans un flux RSS peut étonnamment paraître bête, rien de plus qu’amusante et relever de la redite une fois imprimée. Il faut aussi considérer comment la forme du blogue a évolué rapidement et en marge de plusieurs manières d’écrire qui n’ont pas immédiatement rapport avec le littéraire, comme le journal intime ou le commentaire d’actualité, en plus de développer sa propre forme qui ne pourrait plus aujourd'hui faire l’économie des hyperliens, des vidéos et des images qu’elle intègre. Par exemple, une des grandes libérations que la rédaction de blogue a pu faire subir à ma manière d’écrire vient directement de l’hyperlien. Si je veux faire un rapprochement entre la philosophie de Blanchot et le forum d’image de <a href="http://www.4chan.org/"><em>4chan</em></a>, je dois évoquer les concepts de mèmes, de trollage, mentionner certaines polémiques et certains événements qui d’ordinaire échappent, mais alors complètement, aux littéraires à qui je m’adresse. Si je devais ouvrir une parenthèse explicative pour chacun de ces éléments, le rythme de mon essai se trouverait ralenti et me pousserait subrepticement vers une forme de dissertation sans doute «cool» mais scolaire. L’hyperlien permet de redonner une sorte de fierté et d’ouverture à l’essai qui s’adresse au public indépendamment de l’étendue de ses connaissances. Comme si le texte lui disait : «je ne vulgariserai pas parce que je sais que tu prendras les moyens de suivre le propos si le sujet t’intéresse». L’hyperlien trouve d’autres usages ailleurs, cela peut être vrai aussi pour l’intégration des images et de la vidéo ou encore le système de commentaires.<br /><br /> C'est la raison pour laquelle les seuls blogues imprimables présentement sont ceux qui font le moins usage des spécificités techniques du blogue comme les essais en bloc de Catherine Mavrikakis ou les <a href="http://www.mereindigne.com/"><em>Chroniques d'une mère indigne</em></a> et d’<a href="http://taxidenuit.blogspot.com/"><em>Un taxi la nuit</em></a>. On ne mesure pas encore pour cette raison les substantielles innovations de style et de rythme qui apparaissent en marge du réseau littéraire reconnu qu’aucune forme imprimée ne saurait encore contenir aisément. Il faut encore savoir bricoler son chemin vers le roman, la poésie et l’essai pour les faire passer à l’écrit en plus de combattre les réticences des comités éditoriaux traditionnels à qui manquent les références pour saisir la pertinence de cette manière d’écrire pour notre époque.<br /><br /> Mais les expérimentations textuelles hors des formes conventionnelles ne se sont pas non plus arrêtées au blogue. Beaucoup de blogueurs ont depuis quelque temps déserté la scène pour Facebook ou Twitter où s’intensifie la proximité du texte avec l’immédiateté des communications. Les créations littéraires faites à partir de Facebook (la création de personnages qui interagissent avec le public par exemple) sont d’une nature si différentes qu’il est pour le moment difficile de savoir si un archivage et une recontextualisation de leur expérience esthétique sont possibles. Je veux dire par là que certaines expériences d’écriture sur Facebook ont indéniablement des caractéristiques littéraires, mais pas celle de la durée dans le temps. Si les blogues étaient déjà limite en ce qui concerne leur publication, ces nouvelles expérimentations s’éloignent encore plus de tout ce que représente le livre. Ma conception du littéraire est aussi mise à l’épreuve devant les poussées du numérique!<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Avant de terminer cet entretien, nous aimerions parler un peu d’un prix spécial que vous avez remis cette année au recueil posthume de Geneviève Desrosiers : <a href="http://www.oiedecravan.com/cat/catalogue.php?v=t&id=16&lang=fr"><em>Nombreux seront nos ennemis</em></a>. Publié une première fois en 1999 par l'Oie de Cravan, il a été réédité en 2006 par le même éditeur. La poésie de Desrosiers se démarque par sa force mélancolique et par son absence de compromis. Comment lis-tu le vers «Tu verras comme nous serons heureux» répété à plusieurs reprises dans le poème «Nous»? Dans le texte de présentation du prix, on note «l'humour ironique» très présent dans le recueil, mais pourrait-on aussi lire derrière cette ironie une trace d'espoir?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault </strong><strong>—</strong></span> Qu’est-ce que l’ironie? Dans notre compréhension ordinaire, l’ironie apparaît presque indissociable du sarcasme et du cynisme parce que nous considérons comme un signe d’agression la rupture qu’elle instaure dans la communication. Mais il m’apparaît que le sens de l’ironie est en train de changer présentement. Quand la distinction entre la communication publique et la communication privée s’amenuise, et quand le moralisme exacerbé du grand public fait en sorte de rendre suspects les énoncés qui s’éloignent des formules creuses et dominantes, l’ironie apparaît comme un espace intime aménagé dans l’aire ouverte des échanges quotidiens, un espace où l’intention et le sens n’apparaissent qu’à ceux qui connaissent intimement les modulations du ton et de la pensée de l’interlocuteur ironique. Comme posture langagière, l’ironie est d’une immense importance, et seule la poésie me semble à même de la mettre convenablement en scène comme expérience. La poésie de Geneviève Desrosiers me semble annoncer cette période où le poème ne requiert plus l’adhésion de son lecteur ni par un «nous» national ou humaniste, ni par une expérience subjective si singulière qu’elle se refuse à la communication. <a href="http://www.lequartanier.com/catalogue/occidentales.htm"><em>Les occidentales</em></a> de Maggie Roussel m’apparaît être un accomplissement de cette posture propre à notre époque.<br /><br /> Faire apparaître ce genre de filiation est une des choses qui me tient le plus à cœur dans le projet de l’Académie de la vie littéraire. Nous ne voudrions pas devenir une tribune de plus pour la diffusion des publications courantes. Car l’actualité littéraire est aussi constituée de ces œuvres qui reviennent d’on ne sait trop où et dont on découvre la pertinence à la lumière de ce qui s’écrit aujourd'hui, de l’évolution de la sensibilité et des manières de lire. Par exemple, l’année dernière, nous donnions le prix à <em>On n’est pas des trous de cul</em> de Marie Letellier, une ethnographie de la misère urbaine fascinante surtout pour les retranscriptions d’entrevues que le livre contient. Ce livre n’a jamais été réédité et nous lui avons donné un prix parce que j’en ai entendu parler de manière passionnée à plusieurs reprises dans des circonstances différentes. Ce n’est que tout récemment que m’est apparue une esquisse d’interprétation à cet engouement: le déclin de l’intérêt pour la lecture de fiction québécoise me semble en train d’ouvrir le champ au documentaire écrit, sous la forme de l’autobiographie, de l’essai lyrique ou, comme dans le cas du livre de Letellier, au document qui présente une réalité crue dans une langue brute. Ces œuvres à la redécouverte discrète mais intense trouvent difficilement leur espace. Souvent, elles n’ont pas le raffinement esthétique qui leur permettrait d’apparaître sur la scène de la recherche universitaire. Elles n’ont peut-être pas non plus un potentiel commercial qui justifierait leur réédition ou leur remise en circulation dans l’espace médiatique.<br /><br /> Ce qui est amusant avec un projet comme l’Académie, c'est de chercher à faire plus que la célébration et la diffusion de la production annuelle. Nous construisons un récit sur le thème de la sensibilité littéraire de notre époque.<br /> <a href="#note1aa"><br /> </a></p>
<hr />
<p><a href="#note1aa"><br /> </a> <strong><a href="#note1aa">1</a>. </strong>Cité dans Annick Duchatel, «C’est écrit dans la blogosphère», <em>Entre les lignes : le plaisir de lire au Québec</em>, vol. 6, no 1 (2009), p. 20.<br /> </p>
http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault#commentsBlogue littéraireCommunauté littéraireContre-cultureCritique littéraireCyberespaceDESROSIERS, GenevièveDialogue médiatiqueEngagementÉvénementFictionHypermédiaIronieJournaux et carnetsLALONDE, Pierre-LéonLETELLIER, MarieMédiaMESSIER, William S.QuébecRéalismeRésistance culturelleROUSSEL, MaggieStyleEntretiensBande dessinéeÉcrits théoriquesEssai(s)PoésieRécit(s)RomanTue, 31 May 2011 02:40:51 +0000Salon double347 at http://salondouble.contemporain.infoConsentir à l'illusion
http://salondouble.contemporain.info/lecture/consentir-a-lillusion
<div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
<a href="/equipe/simard-houde-melodie">Simard-Houde, Mélodie </a> </div>
</div>
</div>
<div class="field field-type-nodereference field-field-biblio">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
<a href="/biblio/la-verite-sur-marie">La vérité sur Marie</a> </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break--><p><em>La vérité sur Marie </em>est présenté d'emblée, par l'éditeur, comme le «prolongement» (et non «la suite») de deux romans récents de Jean-Philippe Toussaint, <em>Faire l'amour </em>(2002) et <em>Fuir</em> (2005), où l'on retrouvait les tribulations amoureuses du narrateur avec une certaine Marie. Le dernier jalon de ce qu'on pourrait bien nommer un cycle revient effectivement sur les lieux, les personnages et les événements présentés auparavant, mais il n'est nul besoin d'avoir lu les romans précédents pour entamer celui-ci. <em>La vérité sur Marie</em> se découpe en trois parties : dans la première, le narrateur nous raconte la mort subite du nouvel amant de Marie, à Paris, alors que la seconde partie revient sur les événements de la rencontre entre Marie et son amant, à Tokyo, peu après la rupture de celle-ci et du narrateur. La troisième partie sera celle de la réconciliation entre Marie et le narrateur sur une île d'Elbe incendiée. On reconnaît bien Toussaint, son humour subtil, la grande visualité qui caractérise son écriture, un certain sensualisme aussi; toutefois, quelque chose a changé, l'écriture a imperceptiblement évolué, tant et si bien que si l'on place côte à côte <em>La vérité sur Marie</em> et un des premiers romans de l'auteur, par exemple <em>Monsieur</em> (1986) ou <em>La salle de bain </em>(1985), on est frappé par la différence. D'une écriture strictement «objective», toute tournée vers la description du <em>visible</em>, des gestes, Toussaint a glissé vers une écriture qu’on dirait assouplie, où la voix narrative est fondamentalement changée. D'une sorte d'œil naïf et photographique, le sujet est devenu une conscience fabulatrice.</p>
<div><em> </em></div>
<div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Fabuler en absence : là où le lecteur est mis sur la piste</strong></span></div>
<div><span style="color: black;"><em> </em></span></div>
<div><span style="color: black;"> En effet, dans <em>La vérité sur Marie</em></span><span style="color: black;">, le «je» narrateur nous raconte en grande partie des événements survenus en son absence, cela avec une précision de détails que le plus omniscient des narrateurs omettrait... si ce n'était un narrateur de Toussaint, bien sûr. Ce mode narratif est singulier et ne manque pas d'attirer l'attention du lecteur dès la première partie du roman. On peut remarquer que dans les œuvres précédentes de l'auteur, certains passages très brefs (par exemple dès <em>La Télévision</em></span><span style="color: black;">) ou plus développés (dans <em>Fuir</em></span><span style="color: black;">) fonctionnaient de façon semblable, annonçant ce qui allait être au centre de <em>La vérité sur Marie</em></span><span style="color: black;">. Le roman est constamment rythmé par un balancement entre, l'absence du narrateur et son retour ou son apparition soudaine près de Marie. Ces présences furtives agissent comme autant d'incursions auprès de l'objet principal du récit, Marie, dont, on l'aura compris par le titre, le roman tente de restituer une certaine vérité. Mais quelle sera cette vérité, au juste? Ce sera une vérité toute subjective, absolument fabulée en absence par le narrateur qui imagine pour nous les scènes de la vie de Marie qu'il n'a pas vécues. La précision de la description de ces scènes, des détails visuels et anodins, joue à la façon d'un <em>effet de réel</em></span><span style="color: black;"> porté à outrance, qui ronge subtilement la vraisemblance. En effet, l’excès de détails ne participe plus de l’illusion référentielle; il semble la parodier. Énumération des sacs transportés par Marie, description d’une limousine ou d’une paire de chaussures ne servent plus à signifier la catégorie du réel, de façon inavouée et transparente, mais désignent plutôt l’obsession du roman pour le réel et la portent à l’attention. Ce travail implicite du récit à l’encontre de la vraisemblance est redoublé par le narrateur lui-même qui ne manque pas de signaler au lecteur ses propres défaillances, minant volontairement son autorité narrative. Par exemple, il nous annonce s'être trompé sur le nom de l'amant de Marie: </span></div>
<div><em> </em></div>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">En vérité, je m'étais mépris dès le début sur Jean-Christophe de G. D'abord, je n'ai cessé de l'appeler Jean-Christophe alors qu'il s'appelle Jean-Baptiste. Je me soupçonne même de m'être trompé volontairement sur ce point pour ne pas me priver du plaisir de déformer son nom […]. (p. 75) </span></div>
<div><em> </em></div>
<div><span style="color: black;">Malgré cet aveu candide, le narrateur continuera, faut-il le dire, de le nommer Jean-Christophe de G. pendant le reste du roman! Quelques pages auparavant, il affirmait déformer les événements: «Parfois, à partir d'un simple détail que Marie m'avait confié [...], je me laissais aller à échafauder des développements complets, déformant à l'occasion les faits, les transformant ou les exagérant, voire les dramatisant.» (p. 73) Enfin, le tout culmine lorsqu'il nous avoue son peu de soucis du vraisemblable, alors qu'il n'hésite pas à faire vomir un cheval, événement physiologiquement impossible, comme il nous l'explique. Mais c'est que Zahir (le cheval) «était autant dans la réalité que dans l'imaginaire, dans cet avion en vol que dans les brumes d'une conscience, ou d'un rêve, inconnu, sombre, agité, où les turbulences du ciel sont des fulgurances de la langue» (p. 137). On le voit bien, erreurs, invraisemblances et dramatisation des «faits» servent un pur plaisir de la fiction, un pouvoir des mots et de la conscience fabulatrice. C'est ainsi que se met en place, subtilement, ludiquement, mais de façon assez marquée pour attirer l'attention du lecteur, un léger ébranlement de la <em>captatio illusionis</em></span><span style="color: black;">, ce pacte d'illusion consentie auquel adhère le lecteur de fiction.</span></div>
<div><span style="color: rgb(153, 153, 153);"><em> </em></span></div>
<div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un réalisme idéal</strong></span></div>
<div><em> </em></div>
<div><span> Les mécanismes discrets du récit font place, dans la troisième partie du roman, à un discours métalittéraire sur la vraisemblance et le réalisme. Comme dans ses romans précédents, Toussaint offre une réflexion sur la teneur du réel et sa représentation littéraire. Le narrateur s'interroge sur l'acte créateur, le rapport entre réalité et imaginaire: </span></div>
<div><em> </em></div>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je savais qu'il y avait sans doute une réalité objective des faits –ce qui s'est réellement passé cette nuit-là […]–, mais que cette réalité me resterait toujours étrangère, […] comme si ce qui s'était réellement passé cette nuit-là m'était par essence inatteignable, hors de portée de mon imagination et irréductible au langage. […] je savais que je n'atteindrais jamais ce qui avait été pendant quelques instants la vie même, mais il m'apparut alors que je pourrais peut-être atteindre une vérité nouvelle, qui s'inspirerait de ce qui avait été la vie et la transcenderait, sans se soucier de vraisemblance ou de véracité, et ne viserait qu'à la quintessence du réel, sa moelle sensible, vivante et sensuelle, une vérité proche de l'invention, ou jumelle du mensonge, la vérité idéale. (p. 165-166)</span></div>
<div class="rtecenter"><em> </em></div>
<div>La vérité de la fiction sera une vérité paradoxalement «idéale», sensuelle, subjective, comme on l'a déjà dit: c'est ainsi à travers le filtre de l'imagination du narrateur que l'on connaîtra Marie, la connaissance subjective de l'autre étant dès lors la seule connaissance possible. Ce mode cognitif de la fiction, Toussaint le rapproche du rêve et de la mémoire, en une réflexion très proustienne :</div>
<div class="rteindent1"> <br />
<span style="color: rgb(128, 128, 128);">[…] j'avais accompagné Marie en pensée avec la même intensité émotionnelle que si j'avais été là, comme dans une représentation qui serait advenue sans moi, non pas de laquelle j'aurais été absent, mais à laquelle seuls mes sens auraient participé, comme dans les rêves, où chaque figure n'est qu'une émanation de soi-même, recrée à travers le prisme de notre subjectivité, irradiée de notre sensibilité, de notre intelligence et de nos fantasmes. […] Car il n'y a pas, jamais, de troisième personne dans les rêves, il n'y est toujours question que de soi-même. (p. 167-168)</span></div>
<div> </div>
<div>Je disais réflexion proustienne , flaubertienne également: on ne peut s’empêcher de songer au fameux «Madame Bovary, c’est moi!» Ainsi, le «prisme» de la conscience fabulatrice est replacé au centre d'un réalisme conscient de ses propres artifices, mais revendiquant néanmoins la capacité de dire, d'atteindre cette «moelle sensible» du réel. Le roman affirme la spécificité de sa représentation, d’un réalisme qui n'a de sens que par rapport à l'univers clôt de la fiction. Que Zahir vomisse, soit, puisque le cadre du roman est la seule borne, l'aune de la vraisemblance. Ultimement, la fiction s'épuise là où la réalité concrète commence, là où l'imagination, qui a comblé la distance, l'absence entre le narrateur et Marie, est finalement congédiée, face à la présence: «nous nous enlacions dans la pénombre pour apaiser nos tensions, l'ultime distance qui séparait nos corps était en train de se combler» (p. 205).</div>
<div> </div>
<div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Lucidité et connivence : le pacte réaliste du roman contemporain</strong></span></div>
<div><span style="color: black;"> </span><br />
<span style="color: black;">C'est ainsi que Toussaint se réapproprie, dans <em>La vérité sur Marie</em></span><span style="color: black;">, le pacte d'illusion consentie sur lequel reposent les conventions du roman réaliste. Ce pacte, comme on l'a vu, est d'abord légèrement ébranlé, mais n'est pas, en définitive, sérieusement remis en question : il est plutôt réitéré, au prix d’une lucidité nouvelle, dans un discours amusé de la littérature sur elle-même. La mise à distance, par la littérature, de l'illusion sur laquelle elle se fonde instaure, comme l'ont remarqué Frances Fortier et Andrée Mercier dans un article fort intéressant <a name="note1" href="#note1b">[1]</a> qui a guidé ma réflexion, une connivence avec le lecteur, «connivence qui repose sur le partage d'un savoir narratif» (Fortier et Mercier, p. 143). Leur conclusion s’appuie sur l’étude de trois romans récents : <em>Un an</em></span><span style="color: black;"> de Jean Échenoz (1997), <em>L’Histoire de Pi</em></span><span style="color: black;"> de Yann Martel (2003) et <em>Lauve le pur</em></span><span style="color: black;"> de Richard Millet (2000). Il semble bien que <em>La vérité sur Marie</em></span><span style="color: black;"> participe également de ce mouvement caractéristique du roman contemporain qui renoue avec la tradition du récit, tout en «[engageant] une nouvelle légitimité de l'illusion consentie, qui, désormais, assume et dépasse le soupçon» (Fortier et Mercier, p. 150). </span></div>
<div> </div>
<div><span><a name="note1b" href="#note1">1</a> Frances Fortier et Andrée Mercier, «L'autorité narrative dans le roman contemporain. Exploitations et redéfinitions», dans <em>Protée</em></span>, vol.34, n°2-3, 2006, p. 139-152.</div>
<div> </div>
<p> </p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/consentir-a-lillusion#commentsFORTIER, Frances et MERCIER, AndréeFranceRéalismeSubjectivitéTOUSSAINT, Jean-PhilippeRomanTue, 17 Nov 2009 13:13:37 +0000Mélodie Simard-Houde196 at http://salondouble.contemporain.infoLe Bonheur ou l'art de la perte
http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-bonheur-ou-lart-de-la-perte
<div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
<a href="/equipe/bordeleau-benoit">Bordeleau, Benoit </a> </div>
</div>
</div>
<div class="field field-type-nodereference field-field-biblio">
<div class="field-items">
<div class="field-item odd">
<a href="/biblio/traces">Traces</a> </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break--><p align="justify"><i>Avec La première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules</i>, Philippe Delerm entrait, en 1997, dans le cercle d’une reconnaissance bien méritée. Publiant depuis 1983 (<i>La Cinquième Saison</i>, Éditions du Rocher), Delerm est surtout connu pour ses recueils de courts récits, mettant en lumière des moments de bonheur fragiles, des instantanés du quotidien dont l’adjectif et le verbe sont toujours précis. Son tout dernier livre, intitulé <i>Traces </i>invite le lecteur à le suivre à travers ses flâneries urbaines, comme ce fût le cas avec <i>Rouen</i> (Champ Vallon, 1993). Si <i>La Première Gorgée de bière</i> nous poussait dans les sentiers de la plénitude permettant de nous accrocher à une luminosité propre à l’enfance, le moteur de <i>Traces </i>se trouve plutôt dans les petites disparitions qui parsèment le parcours de l’environnement urbain, des disparitions essentielles à la saisie du quotidien. Ces traces sont d’ailleurs bien rendues par une cinquantaine de photographies prises par Martine Delerm. Le livre rassemble trente-quatre courts textes où l’abondant usage du «on», comme instance narrative, permet au lecteur de s’identifier facilement aux sensations véhiculées –un sentiment d’universalité. Il ne sera pas question de cerne la totalité des éléments traités dans <i>Traces, </i>mais d’en soutirer quelques-uns permettant de saisir une mouvance littéraire récente, soit le minimalisme positif tel que défini par Rémi Bertrand<a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>. On verra d’autre part comment <i>Traces</i> se démarque légèrement de ce cadre pour intégrer des éléments plus près de l’actualité en plus d’inclure la violence du siècle passé.</p>
<p>
<span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Écrire le quotidien: une tension vers l'effacement</strong></span></p>
<p align="justify">«Il ne doit pas être loin. Mais il a momentanément abandonné son radeau de survie, caréné dans un renfoncement du mur, une porte condamnée.» (p. 9) C’est de cette façon que débute le premier texte, intitulé <i>Coque échouée</i>. Le grand absent c’est un itinérant qui d’habitude est plongé dans un livre et s’interrompt pour discuter avec les passants. «Mais contempler cette couette indécise quand il a disparu c’est plus fort, presque insoutenable.» (p. 10) L’absence est ici fondatrice d’une apparition au sein de la mémoire du narrateur – ce dernier étant bien souvent une deuxième peau de Delerm lui-même. Si on tombe ensuite dans un rêve d’enfance où le narrateur se voyait comme un «grognard au bivouac», ce n’est que pour mieux avoir honte de ce contraste, c’est aussi revenir à l’âge adulte, à la raison. «Devenir un adulte, pour le sujet delermien, est toujours un désenchantement, analogue à celui qui émerge lors du passage de la fiction à la réalité<a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>», écrit Rémi Betrand dans <i>Philippe Delerm et le minimalisme positif. </i>C’est que la fiction de Delerm nous a habitués à ces moments où il n’y avait aucun jugement sur l’état des choses, mais simplement une intensité du moment véhiculée dans le texte : intensité où le temps était aboli pour donner toute la liberté à la qualité des choses.<br />
</p>
<p align="justify">Le quotidien est toujours ce qui fuit et il ne peut-être compris qu’après-coup. La compréhension toutefois implique l’entrée dans l’âge adulte, dans le cercle du langage, impliquant du coup un écart entre le senti et la transmission de la sensation, c’est connu : pour l’auteur, il s’agit beaucoup moins de comprendre que de <i>regarder</i>. L’écriture devient le lieu d’une «traduction du quotidien<a name="note3" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>», selon les mots de Rémi Bertrand. Toujours selon ce dernier, l’amplification du réel pose le risque de retomber dans la morne réalité lorsque vient le temps de la voir sous notre propre regard. Bertrand nous rappelle que «[l]e bonheur minimaliste est […] inconcevable sans la connaissance de la finitude<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>». Ce bonheur, c’est la vie elle-même en tant qu’elle est vécue, traversée. Les traversées, d’autre part, laissent des marques, font entrevoir la fragilité des choses.<span lang="FR-CA"><o:p><br />
</o:p></span></p>
<p align="justify"><span lang="FR-CA">Ces fins quotidiennes sont d’ailleurs représentées par la disparition de l’humain au sein des objets. Prenons pour exemple cet extrait de <i>Nuage d’avion </i>: </span></p>
<p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">On peut distinguer si on le cherche vraiment le petit triangle à l’avant, et c’est étrange de penser que cette forme minuscule est à l’origine de la branche neigeuse qui treillage l’espace. Quant à imaginer des hommes installés dans ce jouet, non. Pas même l’idée d’un trajet, d’une destination. (p. <i>21</i>)</span></p>
<p align="justify">Les passagers sont ici confondus à la matière et comme figés en elle. C’est le texte lui-même, les mots, plus précisément, qui permettent la fusion entre corps, décor et pensée. Un effacement de soi pour laisser place à l’étonnement que procure le monde. Ce devenir-chose est d’ailleurs mis de l’avant dans <i>Un peu de neige dans la cour, </i>où le narrateur émet des hypothèses sur ce que c’est que d’être béguine :</p>
<p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Décanter le monde jusqu'à n’en garder qu’une transparence éblouie. Se compter pour rien, pardonner à tous ceux qui se croient quelque chose. (p.<i> 39</i>)</span><o:p></o:p></p>
<p align="justify">J’avancerai ici l’idée d’un <i>dé-corps</i> dans l’intentionnalité de l’écriture delermienne. S’il s’agit de se compter pour rien, il reste qu’on doit s’inclure dans le calcul. C’est être comme en suspension ou, mieux encore, devenir cette lumière même du quotidien, cette intensité qui fait du moment une totalité. Le texte devient la possibilité de<i> mieux voir</i> le matériau du monde en l’usant, en le fatiguant. Le texte deviendrait dans cette optique un tissu conjonctif, un <i>liant</i> et un <i>lisant </i>du monde. Ce <i>dé-corps, </i>n’est-ce pas aussi une déroute, puisqu’il n’y a «[p]as même l’idée d’un trajet, d’une destination»? Peut-être y a-t-il un point de rencontre entre cette idée et une société qui fait la promotion de la vitesse, de l’efficacité à tout prix. Ce <i>dé-corps </i>c’est accepter de s’abandonner aux lieux et entrer avec eux dans une entière complicité, les faire participer à l’espace de notre corps. Il s’agit en même temps de refuser l’aseptisation grandissante des lieux publics, aseptisation qui empêche de sentir non seulement sa propre présence, mais celle des autres comme le propose le texte <i>Blessures de table</i>.</p>
<p>
<span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Un ton sur ton</strong></span></p>
<p align="justify">Ce <i>dé-corps</i> on le retrouve aussi chez Delerm dans <i>Le pull d’automne</i>, un récit de <i>La Première Gorgée de bière </i>: «Un pull très grand : le corps va s’abolir, on sera la saison. Un pull en creux d’épaule en espérant… Même pour soi, c’est bon, cette façon de jouer la fin des choses ton sur ton.<a name="note5" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>» Dans <i>Escargots</i>, Francis Ponge définissait ce ton sur ton ainsi : «un élément passif, un élément actif, le passif baignant à la fois et nourrissant l’actif<a name="note6" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>». Ce procédé a pour effet, dans <i>Souvenez-vous</i>, d’activer la mémoire involontaire chez le sujet qui sera surpris par un impératif de mémoire qui n’est plus seulement individuelle, mais aussi culturelle, comme en témoigne cet extrait :</p>
<p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Et tout d’un coup, contre le mur… Juste un nombre d’enfants morts. Une date. Rien à consommer, aucun marché, aucun commerce. Alors notre capacité à sentir la Shoah s’éveille, s’extirpe de cette gangue nauséeuse de produits manufacturés où elle perd chaque jour de sa force. Un ordre. Souvenez-vous. L’impératif nous saisit de plein fouet, aux angles droits de la plaque gravée. Dans l’école, ça doit être la récré, on entend une rumeur derrière les murs, une bouffée de vie, de joie, qui souligne si bien l’étendue du silence. (p.<i> 76</i>)</span><o:p></o:p></p>
<p align="justify">Dans le texte <i>Grande section</i>, c’est la situation des sans-papiers qui est abordée. C’est par un acte de réappropriation de la rue, tracts et affiches au menu, qu’on veut reprendre une situation en mains. L’acte semble vain : «Et combien de milliers de papiers pour espérer sauver un sans-papiers?» (p.<i> 126</i>) Mais peut-être s’agit-il de laisser possible l’espoir d’une justice sociale? En effet, Delerm offre moins des solutions aux problèmes sociaux qu’une constatation de ceux-ci : il se pose à nouveau en situation de spectateur, mais tout juste ce qu’il faut pour laisser l’impression au lecteur que le narrateur pourrait agir sur les événements. C’est le chemin parcouru qui importe, mais qu’arrive-t-il lorsqu’on ne sait pas –ou que l’on ne veut pas savoir!– où le chemin nous mène? Nous retrouvons de nouveau cette idée de déroute soulevée précédemment.</p>
<p>
<span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Nostalgie des rapports à l'ancienne</strong></span></p>
<p align="justify">Il y a une nostalgie évidente, dans l’écriture de Delerm, d’un temps où la lenteur et les contacts humains se faisaient par autre chose que l’intermédiaire des téléphones portables et d’Internet. Déjà dans <i>La Sieste assassinée</i>, il écrivait ceci à propos des utilisateurs de cellulaires : « Mais il y a cet air un peu penché, qui navigue sur les trottoirs en solitudes parallèles. Comme si on était tous exilés de l’enfance, un peu perdus.<a name="note7" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>» Dans <i>Traces</i>, un texte intitulé <i>Le bon réseau</i> nous donne à lire ceci : «Ils n’ont même pas besoin de passer des SMS, de s’enfoncer dans la technologie. Leurs rapports sont encore à l’ancienne, des rapports de quartier, de présence physique, des rapports d’habitude.» (p. 91) Il y a ici désir de sortir d’un temps rapide pour entrer dans un temps où la lenteur et même la paresse, si on a lu <i>Mister Mouse</i>, sont maîtres. Par ces chemins dont on ne veut savoir la destination et qui font incursion dans presque tous les livres de l’auteur, il y a le désir de sortir de la fonctionnalité de plus en plus poignante du monde moderne. Delerm offre à son lecteur un art de vivre au quotidien, celui-ci ayant pour principale caractéristique d’être fuyant. C’est constamment vivre sous le joug de l’oubli, nécessaire mais angoissant.</p>
<p align="justify"><em>Stylet d’angoisse</em><span lang="FR-CA">, texte concluant <i>Traces</i>, pose comme décor un mur qui change constamment sous les attaques d’un graphomane. Les dernières phrases vont comme suit : </span></p>
<p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">C’était une autre façon de se cogner contre les murs [en y gravant des mots], contre le monde, cette manière de s’inscrire, de vouloir échapper à la surface, à l’effacement. Inquiétante aussi, car après tout le stylet obstiné des graphomanes n’est que la métaphore de tous ceux qui écrivent. Entre les livres et les murs, différemment diluée, c’est l’angoisse qui mène. Il n’y a pas de création paisible.</span><o:p></o:p></p>
<p align="justify">Aucune création paisible, certes, car les mots même gravés finissent par disparaître. Avec <i>Traces</i>, il semble qu’une conscience encore plus importante de l’impermanence se fait porteuse des mots, toujours bien filés, de Philippe Delerm. «À chaque risque le bonheur est là<a name="note9" href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>», écrivait-il dans <i>Fragiles. </i>Vivre le bonheur, de nos jours, c’est être conscient d’une perte éventuelle qui nous guette : il faut opter pour le risque.<span> </span></p>
<p>
<a name="note1a" href="#note1"> 1</a> Rémi Bertrand,<em> Philippe Delerm et le minimalisme positif</em>, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, 235 p.<br />
<a name="note2a" href="#note2"> 2</a> <em>Ibid</em>., p. 144.<br />
<a name="note3a" href="#note3"> 3</a> <em>Ibid</em>., p. 42.<br />
<a name="note4a" href="#note4"> 4</a> <em>Ibid.,</em> p. 152<br />
<a name="note5a" href="#note5"> 5</a> Philippe Delerm, <em>La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules</em>, Paris, Gallimard, coll. «L’Arpenteur», 1997, p. 58.<br />
<a name="note6a" href="#note6"> 6</a> Francis Ponge, <em>Le Parti pris des chose </em>précédé de <em>Douze petits écrits </em>et suivi de <em>Proêmes</em>, Paris, Gallimard, 1948, p. 51. <br />
<a name="note7a" href="#note7"> 7</a> Philippe Delerm, <em>L</em><em>a Sieste assassinée</em>, Paris, Gallimard, coll. «L’Arpenteur», 2001, p. 16.<br />
<a name="note8a" href="#note9"> 8</a> Philippe Delerm, Martine Delerm (aquarelles), <em>Fragiles</em>, Paris, Éditions du Seuil, coll. «Points», Paris, 2001, p. 30.</p>
<p></p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-bonheur-ou-lart-de-la-perte#commentsBERTRAND, RémiDELERM, MartineDELERM, PhilippeFlânerieFrancePONGE, FrancisQuotidienRéalismeUrbanitéRécit(s)Mon, 22 Dec 2008 11:25:00 +0000Benoit Bordeleau47 at http://salondouble.contemporain.info