Salon double - Utopie/dystopie http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/315/0 fr Anatomie de l'inhabitable http://salondouble.contemporain.info/lecture/anatomie-de-linhabitable <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/voyer-marie-helene">Voyer, Marie-Hélène</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-canicule-des-pauvres">La canicule des pauvres</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p></p> <p class="MsoNormal"><em>La canicule des pauvres</em>, c&rsquo;est 26 personnages et 10 jours de chaleur insupportable r&eacute;partis sur pr&egrave;s de 150 chapitres. Avec ce roman de Jean-Simon DesRochers, le multiple et le discontinu appellent l&rsquo;&eacute;num&eacute;ration: dans le Galant, un immeuble moite et mis&eacute;rable du Quartier Latin de Montr&eacute;al, habitent Monique, une ex-prostitu&eacute;e adepte de chirurgies, Christian, son amant cleptomane, Zach, &eacute;tudiant en pharmacie et vendeur de drogue, Kaviak, le bouddhiste pornographe, Takao, le b&eacute;d&eacute;iste japonais, Marie-Laure, une pigiste coca&iuml;nomane ainsi que Lulu et son groupe de musique Claudette Abattage, dont les membres, tous s&eacute;ropositifs, m&egrave;nent une vie de d&eacute;prav&eacute;s. S&rsquo;ajoutent &agrave; cette faune bigarr&eacute;e d&rsquo;habitants paum&eacute;s une tueuse &agrave; gages et sa victime, un homme ravag&eacute; par des tumeurs au cerveau, de jeunes immigr&eacute;s colombiens, un vieil Am&eacute;ricain hant&eacute; par ses souvenirs, une dame qui meurt &agrave; petit feu devant sa t&eacute;l&eacute;vision et... un cadavre en d&eacute;composition.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le cabinet des curiosit&eacute;s</strong></span></p> <p class="MsoNormal">Une histoire des corps, ou plut&ocirc;t une topologie des corps, voil&agrave; ce que<em> La canicule des pauvres</em> propose. Une topologie des corps ordinaires, impurs, pass&eacute;s au crible d&rsquo;un regard p&eacute;n&eacute;trant. Ainsi, &laquo;L&rsquo;&eacute;veil de la femme plastique&raquo;, le premier chapitre du roman, pr&eacute;sente Monique, une ancienne prostitu&eacute;e fan&eacute;e dont le corps a &eacute;t&eacute; largement reconstruit, refa&ccedil;onn&eacute; par des chirurgies lui ayant sculpt&eacute; &laquo;un parfait cul de vierge&raquo; (p. 14), un cul anachronique, dont &laquo;la vue est toujours aussi &eacute;trange, un cul de vierge avec un vagin de putain quinquag&eacute;naire retrait&eacute;e.&raquo; (p. 14)&nbsp;&Agrave; ce corps qui rejette toute trace de son inscription dans le temps et dans la dur&eacute;e semble r&eacute;pondre celui d&rsquo;Henriette, se vautrant devant la t&eacute;l&eacute;, ravag&eacute; par un cancer en phase terminale: &laquo;[e]lle devra cracher. Un peu de sang et de tissu pulmonaire sont m&ecirc;l&eacute;s &agrave; sa salive &raquo; (p. 73). Henriette n&rsquo;est plus qu&rsquo;un corps mourant, un r&eacute;ceptacle amorphe de souffrances qui vit par procuration au gr&eacute; des &eacute;pisodes de son feuilleton <em>Les jours du temps qui passe</em>. &Agrave; l&rsquo;appartement 202, il y a le Marsouin qui, contrairement &agrave; Henriette, se refuse &agrave; attendre passivement la mort: &laquo;Le Marsouin avait grandi, puis grossi selon la conviction que &quot;la vie sert &agrave; pr&eacute;parer une mort honorable, une mort choisie&quot;.&raquo; (p. 117) Avec sa jambe gangren&eacute;e et son estomac ravag&eacute; par l&rsquo;alcool, le Marsouin pr&eacute;pare minutieusement son suicide, mettant d&rsquo;abord le point final au dernier carnet de ses &laquo;m&eacute;moires&raquo;: &laquo;[j]&rsquo;ai consomm&eacute; de l&rsquo;air, de l&rsquo;eau, de la viande et de la bi&egrave;re. Rien d&rsquo;autre. Parce que j&rsquo;en avais le droit. Si je n&rsquo;ai pas soign&eacute; mes maladies, c&rsquo;est par d&eacute;go&ucirc;t. Je ne m&eacute;rite pas de mourir naturellement parce que je n&rsquo;ai jamais v&eacute;cu naturellement.&raquo; (p. 118) On pourrait encore &eacute;voquer Marie-Laure, cette coca&iuml;nomane dont le corps d&eacute;joue tous les diagnostics: &laquo;Marie-Laure aime bien ce m&eacute;decin incapable, trop peu exp&eacute;riment&eacute; pour percevoir l&rsquo;origine r&eacute;elle de ses probl&egrave;mes [&hellip;]: son nez ravag&eacute;, ses crises d&rsquo;arthrite, une pression art&eacute;rielle plus haute que la moyenne, des gencives rong&eacute;es; sa d&eacute;pendance &agrave; la coca&iuml;ne depuis plus d&rsquo;un quart de si&egrave;cle&raquo; (p. 43). Et puis, il y a le corps condamn&eacute;, le corps en proie au verdict, &agrave; l&rsquo;imminence de sa finalit&eacute;, tel celui de Trevor Adamson dont &laquo;cinq tumeurs loge[nt] dans divers secteurs de son cerveau [&hellip;], leur emplacement ressembl[ant] &agrave; une constellation&raquo; (p. 296).</p> <p class="MsoNormal">Une succession de corps souffrants, rafistol&eacute;s, malades, infect&eacute;s, d&eacute;pendants, mourants&nbsp;: voil&agrave; le panorama auquel est confront&eacute; le lecteur de <em>La canicule des pauvres</em>. Des corps dystopiques, imparfaits, inhabitables, &agrave; l&rsquo;image de cet immeuble suffocant o&ugrave; ils vivotent, des corps contraignants &agrave; l&rsquo;instar de la description qu&rsquo;en livre Foucault: &laquo;[m]on corps, c&rsquo;est le contraire d&rsquo;une utopie [&hellip;], il est le lieu absolu, le petit fragment d&rsquo;espace avec lequel, au sens strict, je fais corps<strong><a name="_ftnref" title="" href="#_ftn2">[1]</a></strong>.&raquo; Et si <em>La canicule des pauvres</em> s&rsquo;employait, &agrave; sa mani&egrave;re, &agrave; r&eacute;investir les lieux du corps loin de ses utopies?&nbsp; Apr&egrave;s tout, l&rsquo;utopie, &laquo;c&rsquo;est un lieu hors de tous les lieux, mais c&rsquo;est un lieu o&ugrave; j&rsquo;aurai un corps sans corps, un corps qui sera beau, limpide, transparent, lumineux, v&eacute;loce, colossal dans sa puissance, infini dans sa dur&eacute;e, d&eacute;li&eacute;, invisible, prot&eacute;g&eacute;, toujours transfigur&eacute; [&hellip;] un corps incorporel<strong><a name="_ftnref" title="" href="#_ftn3">[2]</a></strong>.&raquo; <em>La canicule des pauvres</em> n&rsquo;a que faire de ces corps l&eacute;ch&eacute;s; &agrave; la perfection intouchable du corps utopique, il pr&eacute;f&egrave;re la densit&eacute; sans fard de l&rsquo;abject et les multiplicit&eacute;s sensitives qui en &eacute;manent.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Exorciser l&rsquo;immonde</strong></span></p> <p>Loin des fictions identitaires exacerbant un &laquo;je&raquo; en proie aux tumultes d&rsquo;une identit&eacute; en construction, &agrave; des ann&eacute;es-lumi&egrave;re des fictions savantes et autres romans ludiques auxquels nous a habitu&eacute; la litt&eacute;rature des derni&egrave;res d&eacute;cennies, <em>La canicule des pauvres</em> trace une fresque quasi sociologique du malaise contemporain li&eacute; au spectacle du corps et &agrave; son irr&eacute;m&eacute;diable d&eacute;ch&eacute;ance. Avec des parties et des chapitres intitul&eacute;s &laquo;Retracer la semence&raquo;, &laquo;Se masturber en pleurant&raquo;, &laquo;Inventaire des corps en sueur&raquo; et &laquo;La richesse des odeurs pauvres&raquo;, c&rsquo;est le corps dans ce qu&rsquo;il a de plus organique &mdash;&laquo;architecture fantastique et ruin&eacute;e<strong><a name="_ftnref" title="" href="#_ftn4">[3]</a></strong>&raquo; &agrave; l&rsquo;image du Galant&mdash; qui nous est montr&eacute;: entrecroisements de pulsions, de boyaux, d&rsquo;odeurs et de fluides corporels. Tout se passe comme si le roman s&rsquo;inscrivait en &eacute;cho aux injonctions de Denis Vanier qui, dans la pr&eacute;face de son recueil <em>Une Inca sauvage comme le feu: po&egrave;mes biologiques</em>, affirmait:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il [&hellip;] faut tendre vers l&rsquo;in&eacute;narrable organique, exposer sa chute et ses lents d&eacute;p&ocirc;ts transparents dans le temps. [&hellip;] [L]e d&eacute;sespoir est une maladie dont il faut arch&eacute;typer et symboliser les d&eacute;chets, que les &eacute;tapes de cette indisposition soient repr&eacute;sent&eacute;es par images, d&eacute;finitions et traces</span><strong><a name="_ftnref" title="" href="#_ftn5">[4]</a></strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">.</span></p> <p class="MsoNormal">Arch&eacute;typer et symboliser les d&eacute;chets du d&eacute;sespoir, voil&agrave; peut-&ecirc;tre le pari de <em>La canicule des pauvres </em>qui exhibe sans concession les avatars du corps en perdition. Qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;une vieillarde se crachant les poumons dans une lente agonie, de call-girls ob&egrave;ses et ravag&eacute;es par l&rsquo;herp&egrave;s (p. 355), ou encore d&rsquo;une jeune musicienne atteinte du sida&nbsp;et qui pense &laquo;&agrave; c[e] squelett[e] ambulan[t] aux l&egrave;vres d&eacute;shydrat&eacute;es, la peau constell&eacute;e de sarcomes [&hellip;]&raquo; qu&rsquo;elle risque de devenir (p. 378), tous ces corps se d&eacute;m&egrave;nent pour arracher &agrave; la vie encore quelques maigres lamp&eacute;es de sa mis&eacute;rable et substantifique moelle. Et quand rien de vivant ne subsiste dans le corps, c&rsquo;est encore ce dernier qui alimente &laquo;[l]e paradis des mouches&raquo; (p. 153), le grand banquet des larves: &laquo;[u]n thorax mauve, ballonn&eacute; par la putr&eacute;cine [&hellip;] Les yeux, l&rsquo;anus, l&rsquo;ur&egrave;tre, la bouche [&hellip;] tous les orifices ravag&eacute;s par des milliers de larves blanches qui grouillent et ondoient sans r&eacute;pit.&raquo; (p. 405)</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Trajectoires de l&rsquo;oeil</strong></span></p> <p class="MsoNormal">&Agrave; l&rsquo;image d&rsquo;un immeuble, le corps est travers&eacute; de seuils, orifices divers, lieux de transit, zones d&rsquo;interaction avec l&rsquo;en-dehors. De tous les seuils du corps, c&rsquo;est sans doute l&rsquo;&oelig;il qu&rsquo;on remarque le plus dans <em>La canicule des pauvres</em>. En t&eacute;moignent d&rsquo;abord les titres des diff&eacute;rents chapitres qui profilent, directement ou de mani&egrave;re d&eacute;tourn&eacute;e, diverses isotopies du regard: &laquo;L&rsquo;image de l&rsquo;&oelig;il&raquo; (p. 303), &laquo;Les enfants aux yeux sales&raquo; (p. 378), &laquo;La mort se respire les yeux clos&raquo; (p. 422), &laquo;Cam&eacute;ra &agrave; l&rsquo;&eacute;paule&raquo; (p. 314), &laquo;Presque la lumi&egrave;re&raquo; (p. 370), etc. Chez les personnages, il y a bien s&ucirc;r l&rsquo;&oelig;il aveugle de Fanny qui &laquo;ne voit rien [&hellip;], [u]n rien sans d&eacute;finition, sans existence[,] [u]ne id&eacute;e qui d&eacute;plait aux voyants&raquo; (p. 43) puis, il y a l&rsquo;&oelig;il de vitre de Christian qui &laquo;affiche son unique &eacute;motion, une d&eacute;termination froide, l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un regard vif, made in USA&raquo; (p. 15). On pourrait aussi &eacute;voquer Edward, cet Am&eacute;ricain m&eacute;lancolique dont les &laquo;paupi&egrave;res aux cils blancs tombent sur ses yeux comme un rideau devant la r&eacute;alit&eacute;&raquo; (p. 346), ou encore M&eacute;lina, dont les yeux sont d&eacute;taill&eacute;s par le narrateur avec une pr&eacute;cision d&rsquo;orf&egrave;vre:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Un &oelig;il. Un iris marron serti d&rsquo;une couronne pourpre. Au centre, une pupille, compacte, noire. Le blanc de cet &oelig;il n&rsquo;a rien de pur. Outre les veines qui le l&eacute;zardent, une brume rouge&acirc;tre moire sa surface [&hellip;]. Une femme. Parce que la forme de cet &oelig;il sugg&egrave;re des courbes trop f&eacute;lines pour appartenir &agrave; un corps m&acirc;le. Autre indice: un crayon trace une ligne blanche sous la paupi&egrave;re inf&eacute;rieure. Voil&agrave; le deuxi&egrave;me &oelig;il qui appara&icirc;t, presque identique au premier, seuls les zigzags des veines gonfl&eacute;es diff&egrave;rent. Des cernes mal fard&eacute;s s&rsquo;additionnent au bas des paupi&egrave;res. (p.303)</span></p> <p class="MsoNormal">L&rsquo;&oelig;il exhib&eacute; et d&eacute;taill&eacute;, l&rsquo;&oelig;il cr&eacute;ateur, l&rsquo;&oelig;il aveugl&eacute; ou l&rsquo;&oelig;il trompeur, dans tous les cas, le regard semble l&rsquo;exutoire, le moyen tout d&eacute;sign&eacute; pour sublimer le r&eacute;el et outrepasser les contingences du corps et des lieux qu&rsquo;il habite: &laquo; [l]e myst&eacute;rieux &eacute;clat ne cesse d&rsquo;exciter [l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de Jade]. Trop gros pour &ecirc;tre une &eacute;toile, trop petit pour &ecirc;tre la lune. Apr&egrave;s une minute d&rsquo;observation, [elle] se rend &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence. Ce morceau de lumi&egrave;re, c&rsquo;est un avion qui refl&egrave;te le soleil, rien de plus.&raquo; (p. 21). Ainsi, m&ecirc;me si dans <em>La canicule des pauvres</em>, &laquo;[&hellip;] l&rsquo;&eacute;paisseur de l&rsquo;air d&eacute;forme ce qui est visible [&hellip;]&raquo; (p. 445), c&rsquo;est encore et toujours par la m&eacute;diation du regard que se r&eacute;concilient l&rsquo;espace et les corps, les espaces du corps. Ainsi, T, T, akao, le b&eacute;d&eacute;iste, croque sur le vif les corps des r&eacute;sidents du Galant et Kaviak, l&rsquo;esth&egrave;te pornographe, affine sa technique en cherchant &agrave; capter la lumi&egrave;re sur un melon, en &laquo;&eacute;limin[ant] les ombres potentielles [, en cr&eacute;ant] une lumi&egrave;re plane. [&hellip;] C&rsquo;est qu&rsquo;une question [&hellip;] de forme [,] d[e] corps lisses [&hellip;]&raquo; (p. 115).</p> <p class="MsoNormal">Dans le banal comme dans l&rsquo;abject, l&rsquo;&oelig;il transforme et sublime le r&eacute;el; &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un &eacute;cran de cin&eacute;ma ou d&rsquo;une interface, l&rsquo;&oelig;il est encore le meilleur moyen de transcender les limitations du corps. Comme l&rsquo;explique Michel de Certeau dans <em>l&rsquo;Invention du quotidien,</em> la trajectoire de l&rsquo;&oelig;il, son activit&eacute; liseuse est &agrave; l&rsquo;origine d&rsquo;une production silencieuse, d&rsquo;une inventivit&eacute;. L&rsquo;&oelig;il braconne ainsi le r&eacute;el et le d&eacute;tourne par mille ruses. De la m&ecirc;me mani&egrave;re, gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;&oelig;il, le lecteur &laquo;[&hellip;]braconne [le texte,] il y est transport&eacute;, il s&rsquo;y fait pluriel comme des bruits de corps [&hellip;].&nbsp; Le lisible se change en m&eacute;morable [&hellip;]. Cette mutation rend le texte habitable &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un appartement lou&eacute;. Elle transforme la propri&eacute;t&eacute; de l&rsquo;autre en lieu emprunt&eacute;, un moment, par un passant<b><a href="#_ftn6">[5]</a></b>.&raquo; Par cette r&eacute;habilitation du corps imparfait, par la mise en relief de ses puantes avanies, de ses multiples traumas et de ses moindres affects, <em>La canicule des pauvres</em> propose un regard singulier sur les notions d&rsquo;esth&eacute;tisme, de marge et de d&eacute;viance. Utilisant l&rsquo;abject et l&rsquo;impur comme moteur de l&rsquo;&eacute;criture, ce roman construit une logique de la sensation au plus pr&egrave;s des corps en m&ecirc;me temps qu&rsquo;une parole qui s&rsquo;efface au profit de la chair, d&rsquo;o&ugrave;, paradoxalement, elle puisse son souffle.</p> <p>&nbsp;<a name="_ftn1" title="" href="#_ftnref"></a></p> <p><a name="_ftn2" title="" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn2" title="" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn2" title="" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;Michel Foucault, &laquo;Le corps utopique&raquo;,<em> Le Corps Utopique - Les H&eacute;t&eacute;rotopies, </em>F&eacute;camp, Nouvelles &eacute;ditions lignes, 2009, p. 9.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn3" title="" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn3" title="" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a>&nbsp;Michel Foucault, &laquo;Le corps utopique&raquo;, <em>ibid</em>., p. 10.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn4" title="" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn4" title="" href="#_ftnref"><strong>3</strong></a>&nbsp;Michel Foucault, &laquo;Le corps utopique&raquo;, <em>ibid</em>., p. 14.</p> <p class="MsoNormal"><a name="_ftn5" title="" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn5" title="" href="#_ftnref"><strong>4</strong></a>&nbsp;Denis Vanier, &laquo;Pr&eacute;face&raquo;, <em>Une Inca sauvage comme le feu: po&egrave;mes biologiqu</em><em>es</em>, Qu&eacute;bec, &Eacute;ditions de la Huit (Contemporains), 1992, p. 10.</p> <p class="MsoNormal"><a name="_ftn6" title="" href="#_ftnref"><strong>5</strong></a>&nbsp;Michel de Certeau, &laquo;Pr&eacute;sentation g&eacute;n&eacute;rale&raquo;,&nbsp; <em>L&rsquo;invention du quotidien 1. Arts de faire</em>,&nbsp; &eacute;d. &eacute;tablie et pr&eacute;sent&eacute;e par Luce Giard, Paris, Gallimard (Folio Essais),1990, p. XLIX.</p> <p class="MsoFootnoteText">&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/anatomie-de-linhabitable#comments DE CERTEAU, Michel DESROCHERS, Jean-Simon Dystopie FOUCAULT, Michel Québec Utopie/dystopie VANIER, Denis Roman Tue, 16 Feb 2010 15:14:35 +0000 Marie-Hélène Voyer 213 at http://salondouble.contemporain.info L'assemblée politique des pirates des mers http://salondouble.contemporain.info/lecture/lassemblee-politique-des-pirates-des-mers <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-constituante-piratesque">La constituante piratesque</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p class="rteindent2" style="padding-left: 30px;"><span style="color: #808080;">Out of parrots and macraws they step into seas which sound like earthquakes, into waters reaching up to, then punching holes in, the air. They’re on the march; as much as they ever do anything together; they’re after booty. Ownership. Usually they commence battle by surrounding their quarry like cats, mice. Tease, then, destroy them. Leave without having actually murdered anyone. They’re back in their hideout in the black sands. All of them naked. <br /> Kathy Acker, <em>Pussy, King of the Pirates</em></span></p> <div> <div>&nbsp;</div> <div><span> Lorsque Theodor W. Adorno commente le roman d’Aldous Huxley, <em>Le Meilleur des mondes</em> [1931], il arrive à la conclusion que ce roman utopique «rend en quelque sorte les hommes à venir responsables de la faute du présent<a name="note1" href="#note1a"></a>[1]». C’est peut-être pour échapper à ce trait de l’utopie que <em>La constituante piratesque&nbsp; </em>retourne dans le passé au lieu d’ouvrir vers l’avenir. Même si les pirates des mers existent encore, nous nous serions attendu dans une oeuvre contemporaine à une réflexion sur les pirates de l’ère informatique : les hackers. Le texte de Mathieu Larnaudie renoue toutefois avec la tradition des pirates de mers, comme l’écrivaine américaine Kathy Acker l’a fait dans son dernier roman <em>Pussy, King of the Pirates</em> [1997]<a name="note2" href="#note2a"></a>[2]. Des pirates de Larnaudie, nous ne connaîtrons aucune aventure. C’est d’ailleurs bien ainsi! Même si <em>La constituante piratesque</em> évoque parfois quelques bribes de récits passés, le texte de Larnaudie décrit surtout le mode d’organisation du groupe. <em>La constituante piratesque </em>est la théorie poétique et politique de cette communauté. Le texte poétique donne ici une voix à un groupe de pirates. C’est la communauté elle-même de ces pirates qui s’adressent à nous.</span></div> <div>&nbsp;</div> <div><span> L’histoire littéraire connaît déjà la figure du pirate des mers, comme celle du grand libertaire idéalisée par les poètes. Daniel Dafoe, dans <em>Histoire générale des plus fameux pirates </em>[1724], décrivait le mode de vie communautaire défendu par ces individus réfractaires à tout regroupement étatique<a name="note3" href="#note3a"></a>[3]. L’éloge de Dafoe pour le mouvement des pirates pourrait bien faire partie de la critique que Karl Marx fait aux «robinsonnades» qui ne sont pour lui en rien un germe porteur de la vraie révolution à venir. &nbsp;</span></div> <div>&nbsp;</div> <div><span> Chez Larnaudie, la constitution politique des pirates s’organise autour d’une assemblée. Les pirates ne cessent de répéter que leur assemblée sert à mettre en commun leurs interrogations. Il n’importe pas de préciser la nature de ces interrogations. L’assemblée fonctionne selon une certaine mouvance calquée sur le modèle de la communauté de pirates elle-même, qui permet une spontanéité inédite ailleurs qu’à bord de leurs navires. Ce mouvement est aussi présent dans leurs relations au passé, aux objets et aux autres êtres humains :&nbsp; &nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Nous ne nous reconnaissons dans aucun père,&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">dans aucune possession.&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Dans aucun héritage hormis celui que constitue le legs</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">exercé par la main du compagnon qui, vers nous,</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">se tend; par celle qui, parmi nous, se lève.</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Nous, ne nous reconnaissons aucune paternité</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">rien qui nous soit dû, à part la loyauté.&nbsp; (p. 13)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>La seule stabilité que l’assemblée des pirates connaît est contenue dans la relation des individus vis-à-vis la communauté. Ils portent tous la responsabilité de la vie des uns et des autres. L’assemblée ne défend que sa propre liberté et ce à travers la responsabilité qu’elle confère à ses membres.</div> <div>&nbsp;</div> <div><span> Tout est question d’espace dans cette vision de la politique défendue par ces pirates<a name="note4" href="#note4a"></a>[4]. Lorsqu’une voix singulière se lève, qu’un narrateur intervient dans le texte, c’est au nom de cet espace de liberté :</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Le lendemain, nous avons modelé la plage. J’ai pris&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">la parole, entre quelques autres qui le voulaient.</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Nous avons destitué notre représentant, ainsi qu’il&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">en avait formulé le souhait. Puis, nous l’avons désigné&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">à sa propre succession.</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Quand j’ai repris la parole, j’ai rappelé à notre&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">nouveau représentant toute l’étendue de notre confiance.&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">Car, de nous à nous, la confiance est vraiment,&nbsp;</span></div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">bel et bien, une étendue. (p. 15-16)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Inattendue, la voix du narrateur qui émerge dans ce passage disparaît aussitôt pour rejoindre les rangs de la communauté. Elle resurgira dans quelques rares moments du texte. Comme le narrateur le répète, l’espace est le domaine privilégié de ces pirates. Il en est tout autrement du temps. Leur position temporelle est imprécise. Ils n’en savent eux-même pas grand-chose : «Sommes-nous en avance d’une guerre ? En retard / d’une reddition ?» (p. 19). Pour aborder cette question du temps, les pirates évoquent la guerre, mais en réalité, ils ne pourront jamais être dans une guerre. Les pirates n’ont pas d’ennemi. Ils se positionnent comme l’ennemi absolu de tous<a name="note5" href="#note5a"></a>[5]<sup>&nbsp;</sup>et veulent se défendre contre quiconque voudrait entraver leur liberté.&nbsp;</div> <div>&nbsp;</div> <div><span> Ne s’inscrivant dans aucune descendance, ces pirates ne s’intéressent guère au passé. Toute leur attention est portée sur la communauté et sur la circulation dans l’espace : «Nous parlons depuis des temps défunts. / L’idée que des temps puissent être défunts ne nous / pose aucun problème. / Nous ignorons tout des agonies» (p. 15) La pratique politique devient pour ces pirates l’activité la plus importante. Les pirates constituent la réussite concrète d’une théorie que le narrateur tente de nous décrire. Celui-ci nous fait le compte-rendu poétique de la réussite d’une forme politique : «Nous sommes cette expérience en actes, dans notre / triomphe et par nos désastres, de la communauté / prochaine de nos corps séparés» (p. 28) Ils sont dans un vaste espace, la mer, sur lequel ils ne peuvent avoir la mainmise. L’assemblée des pirates, à l’image de la mer, elle aussi mouvante et ouverte dans l’espace, permet à tous de se présenter selon ses différences tout en faisant partie de la communauté impossible à soumettre. Le mouvement qui est le coeur de l’assemblée permet la possibilité du négatif, permet qu’elle puisse être remise en question. À la fin du récit, le navire des pirates accoste. L’assemblée n’est désormais plus qu’un rêve déjà si ancien.<br /> </span></div> </div> <p><a name="note1a" href="#note1"></a>1&nbsp;Theodor W. Adorno, «Aldous Huxley et l’utopie», in <em>Prismes. Critique de la culture et la socitété</em>, Paris, Payot, 2003, p. 199.&nbsp;&nbsp;<br /> <a name="note2a" href="#note2"></a>2&nbsp;Liée aux mouvements punk du début des années 70, Kathy Acker est si associée à l’esprit des pirates que McKenzie Wark dédie son <em>Hacker Manifesto </em>à sa mémoire.McKenzie Wark, <em>A Hacker Manifesto</em>, Cambridge, Harvard, 2004, non paginé.<br /> <a name="note3a" href="#note3"></a>3&nbsp;Je me réfère à l’article : Razmug Reucheyan, «Philosophie politique du pirate», <em>Critique, </em>juin-juillet 2008, numéro 733-734, pp. 458-469. Il mentionne aussi l’<em>Histoire des aventuriers flibustiers </em>[1684] d’Alexandre Oexmelin et <em>The Pirate’s Own Book. Authentic Narratives of the Most Celebrated Sea Robbers</em> [1837].&nbsp;<br /> <a name="note4a" href="#note4"></a>4&nbsp;«L’assemblée est une pratique de l’espace». (p. 11)<br /> <a name="note5a" href="#note5"></a>5&nbsp;&nbsp;«Nous étions, par excellence, l’ennemi». (p. 23)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lassemblee-politique-des-pirates-des-mers#comments ACKER, Kathy ADORNO, Theodor W. Espace France HUXLEY, Aldoux LARNAUDIE, Mathieu Pirate Politique REUCHEYAN, Razmug Temps Utopie/dystopie WARK, McKenzie Poésie Récit(s) Mon, 01 Jun 2009 18:38:00 +0000 Amélie Paquet 126 at http://salondouble.contemporain.info