Salon double - Vraisemblance http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/316/0 fr Entretien avec Daniel Grenier http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-daniel-grenier <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/brousseau-simon">Brousseau, Simon</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/grenier-daniel">Grenier, Daniel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Malgré tout on rit à Salon double </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: center;">&nbsp;</p> <p style="text-align: center; "><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/396266_10150697379788296_579658295_11095846_2023555248_n_3.jpg" style="width: 250px; height: 400px; " /></p> <p>&nbsp;</p> <p>Daniel Grenier est né à Brossard en 1980. Après avoir vécu quelques années dans Villeray, il s'installe à Saint-Henri, qu'il explore depuis dans ses textes et sur <a href="http://sthenri.wordpress.com" title="http://sthenri.wordpress.com">http://sthenri.wordpress.com</a>. Doctorant à l'UQAM, il prépare une thèse en études littéraires sur les figures du romancier dans la fiction américaine du XIXe et du XXe siècles. <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em> est son premier livre. Il passe aujourd'hui au salon pour en discuter avec Simon Brousseau.</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Simon Brousseau —</strong></span> En ouvrant ton livre, on est évidemment en droit de s'attendre à des histoires qui révèlent un lieu avec ses teintes propres, ses ambiances, ses habitants. Et pourtant, ce qu'on découvre, c'est peut-être davantage un rapport bien particulier au réel et à l'écriture, Saint-Henri et les gens qui y vivent devenant le contexte permettant un discours sur le monde. Il y a une circulation entre l'intérieur et l'extérieur, entre le local et l'universel, entre le microévénement et la marche du monde dans ce livre, et la citation de Jacques Godbout qui se trouve en exergue invite à le lire en scrutant ces relations: «Saint-Henri des tanneries ressemble plus à d'autres quartiers qu'à lui-même.» Avant de discuter du recueil, pourrais-tu nous dire quelques mots sur Saint-Henri? Pourquoi ce quartier en particulier?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Daniel Grenier —</strong></span> La citation de Jacques Godbout que j'ai choisie pour ouvrir le livre est en effet très révélatrice de ce que j'ai essayé de faire (ou plutôt de ne pas faire). Elle provient du film de l'ONF <em>À Saint-Henri le cinq septembre</em>, qui a été tourné en 1962. Dans ce très beau film, le quartier apparaît à la fois comme quelque chose que l'on tente de saisir, de résumer d'une manière «sociologique» ou «anthropologique», et quelque chose d'insaisissable, justement, qui nous échappe, qui résiste à la définition. À la fin, Godbout, qui signe la narration, prononce cette phrase qui m'a beaucoup marqué et qui m'a accompagné lors de l'écriture du recueil. N'étant ni historien, ni sociologue, je n'avais pas la prétention de mettre en scène un Saint-Henri réaliste, bien délimité, dans lequel on aurait retrouvé, par exemple, un personnage typique des différentes classes sociales du quartier, ou encore une série de récits bien&nbsp; informés par l'histoire architecturale des lieux. Ceux qui ont essayé de faire ça se sont souvent frappés à un mur: quand on essaie d'être trop «vrai», de dire la «vérité» sur un lieu ou sur une communauté, on tombe dans le piège de la caractérisation et du discours réducteur. Saint-Henri agit ici, comme tu dis, plus comme un prétexte et un contexte afin de stimuler mon imagination de conteur. Le quartier devient un espace assez flou à l'intérieur duquel j'invite le lecteur à se promener. On y rencontre plein de gens, certes, mais qui pourraient vivre n'importe où, au fond. Le livre fonctionne un peu sur le mode de l'incursion et de l'excursion: à partir d'un endroit précis qui existe dans le réel, on s'infiltre dans la tête de personnages qui y habitent, mais on se permet aussi d'en sortir pour aller ailleurs.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/1/Capture%20d%E2%80%99%C3%A9cran%202012-04-18%20%C3%A0%2017.14.37.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/1/Capture%20d%E2%80%99%C3%A9cran%202012-04-18%20%C3%A0%2017.14.37.png" alt="25" title="" width="580" height="381" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p><br />J'ai toujours ressenti le besoin d'ancrer mes histoires dans des endroits précis, plus par réflexe que par réflexion profonde. Je crois que j'aime créer des effets de réel, donner des indications qui donnent une ambiance au récit. Ça ne leur enlève pas leur «universalité», mais ça me donne l'impression qu'ils sont plus «terre-à-terre», et ça me rassure, d'une certaine façon. Le quartier Saint-Henri, c'est d'abord l'endroit où j'habite, l'endroit où j'ai choisi de rester, l'endroit où je construis mon identité depuis quelques années, et par le fait même il a une influence très grande sur mon écriture, car c'est à travers ce lieu que je vis mon expérience montréalaise. Quand on est un enfant de la rive sud comme moi, la ville représente souvent un fantasme, une sorte de lieu magique où on pourra enfin s'épanouir, un lieu sans limites. Et c'est quand on y emménage qu'on s'aperçoit que la ville est bien trop grande, justement, qu'elle ne se laisse pas apprivoiser si facilement. Ainsi, d'une certaine manière, le quartier où on s'installe, c'est une porte d'entrée à échelle humaine. Personnellement, j'aime mon quartier pour les mêmes raisons que tout le monde, ses commerces, son ambiance générale, ses habitants, sa diversité, etc. Si je ressens le besoin d'en parler, c'est parce qu'il m'inspire des histoires, bien sûr, mais c'est aussi parce que c'est l'endroit où j'invente ces histoires. Et on s’entend aussi pour dire que Saint-Henri c’est quand même le meilleur quartier à Montréal.&nbsp; &nbsp;<br /><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Je trouve intéressant de te lire à propos de la tentation du réalisme sociologique, de ce piège qui consisterait à affirmer la nature d'un lieu de façon figée, parce que j'ai cru apercevoir dans ton livre, en sous-texte, une discussion, ou plutôt une prise de position face au réalisme littéraire. Je résumerais cette impression comme suit: dans <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em>, il y a une volonté de rendre indistincte la frontière entre le prosaïque et le poétique. C'est-à-dire que tout en manifestant une attention soutenue aux détails les plus anodins, ce qui représente normalement une technique efficace pour parvenir à ces effets de réel dont tu parles, ton traitement de ceux-ci est si exacerbé, il occupe une place si importante dans le mouvement du récit qu'on a plutôt affaire à une forme de réalisme paranoïaque où tout, absolument tout peut être interprété comme un signe. Il me semble qu'il s'agit d'une tension fondamentale dans ton écriture, ce point de rupture où l'attention portée au réel fait basculer celui-ci dans l'écriture, dans les mots, dans la texture des mots. Dans <em>Le danseur</em>, le personnage interprète la goutte de sueur qui lui tombe dans l'œil comme étant un présage, l'un des rouages de la «mécanique de la réalité». De la même façon, les portes qui refusent de fermer font pressentir, dans <em>Peine perdue</em>, la fin d'une relation amoureuse. Dans <em>Quatre et demie sur du Couvent</em>, le personnage principal se perd dans ses délires spéculatifs lorsqu'il se retrouve devant la bibliothèque de Bédard, l'ancien locataire. Au final, on a l'impression que dans l'univers de tes personnages, la réalité cède le pas à l'imagination, celle-ci structurant celle-là. D'où te vient cette fascination pour les détails? Pourquoi leur accordes-tu tant d'importance?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> Je n'irais peut-être pas jusqu'à parler d'une «prise de position» par rapport au réalisme, mais je trouve ta lecture tout à fait intéressante. C'est vrai que dans le recueil, il y a une obsession des mots, chez les personnages et aussi dans la narration, qui rend poreuse la frontière entre le réel et le langage qu'on possède pour le décrire. Plus souvent qu'autrement, ils ont une influence directe l'un sur l'autre à l'intérieur des textes et les mots, leur poids, leur force, peuvent effectivement faire basculer le cours d'un récit. J'aime l'idée que, d'une certaine façon, il reste une ambiguïté fondamentale sur ce qui se passe dans une nouvelle <em>à cause</em> de la façon dont elle est racontée. Je travaille sans aucun doute mes textes dans cette optique. Ça peut aller, comme tu le mentionnes dans le cas du signe, d'une goutte de sueur <em>interprétée</em> comme le centre d'une cible par un danseur qui devient ensuite le centre d'un cercle, jusqu'à une série de phrases qu'il est impossible d'attribuer correctement à un personnage ou à un autre. Évidemment, ce qui est fascinant avec l'écriture, c'est qu'à partir d'un point impossible à discerner, les réseaux de sens se construisent d'eux-mêmes, et l'auteur ne contrôle plus <em>totalement</em> ce qu'il fait. Encore une fois, quand on veut trop contrôler, on se perd et ça devient lourd, surchargé. Je suis persuadé que tu vois plein de choses que je n'ai pas consciemment désirées ainsi, mais qui y sont, d'une manière indéniable: le langage métaphorique, les échos structurels, les canalisations sémiotiques, tout ça se place et, comment dire, s'autogénère d'une manière qui ne cesse de m'étonner. L'attention portée aux détails fonctionne peut-être un peu de la même façon, dans la mesure où à partir d'un certain moment, mon simple jugement conscient ne suffit plus: quelque chose survient qui est d'un autre ordre. J'observe ce qui m'entoure, et bien sûr je me targue d'avoir une certaine capacité à bien saisir les petites choses qui pourraient sembler négligeables, voire impertinentes, une sorte de sensibilité drolatique qui viendrait définir mon écriture et lui donner une touche personnelle, mais j'insiste sur le fait qu'il y a un moment où ça m'échappe, où les détails <em>existent</em> sans nécessairement avoir été<em> pensés</em>. Ceci dit, pour éviter de tomber dans l'ésotérique, il reste que je m'efforce souvent d'atteindre non pas la précision du détail, mais plutôt un angle inédit, pour susciter l'intérêt du lecteur, ou le déstabiliser.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> En effet, ce n'est pas tout que de souligner ton intérêt pour les détails et les hasards. Il y a aussi dans ton livre un penchant assumé pour l'oralité, et tu débusques souvent des usages courants qui sont hilarants, tant le ton est juste. Il y a des passages où tu malmènes franchement la syntaxe, et plus généralement le<em> bon usage</em> de la langue: «J'avais rien à faire l'autre soir, j'étais tanné de checker des petits clips pornos comme trop hardcore sur YouPorn, faque je me suis ramassé au Black Jack. J'ai passé la soirée dans un coin, à convaincre un gars que j'avais un Rhodes à lui vendre, 1971, en parfait état, mille sept cents piasses, qu'y fallait que je m'en débarrasse parce que j'avais genre hérité du truc […]» (p. 235) La série «Entendu à Saint-Henri» regorge de personnages au langage coloré. Cette façon que tu as de passer du langage écrit au langage parlé me semble être d'un grand intérêt, peut-être parce qu'elle est si rare dans le paysage littéraire québécois. Pourrais-tu nous parler de ton intérêt pour le vernaculaire?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> L'oralité est un des aspects de la littérature qui est le plus intéressant à travailler, parce que ça semble aller de soi, mais en fait c'est d'une complexité inouïe. Est-ce que c'est une question de dialogue? Est-ce que ça doit s'infiltrer dans le texte entier? Est-ce que c'est de l'oralité d'intituler un livre <em>Anna braillé ène shot</em>? Parfois on a l'impression qu'il ne s'agit que de tendre l'oreille et ensuite coucher ce qu'on entend sur le papier, alors qu'en réalité, en transposant l'oral d'une certaine manière, en le travaillant, en le tordant, en le déformant, on le rend éminemment <em>littéraire</em>: il devient écrit, presque plus écrit qu'un style plus classique. Si l'oralité est trop marquée, on le sait, elle peut même ralentir la lecture et créer un effet de distanciation inverse à ce qui est souhaité. Certains livres ont souffert de ce genre de problème et ils sont difficiles à lire aujourd'hui.</p> <p><br />D'un côté, j'essaie d'être le plus fidèle possible à une certaine «voix» québécoise que j'aime exploiter, parce qu'elle est la mienne et celle des gens qui m'entourent, et de l'autre je ne cesse de la triturer pour lui faire dire des choses qui ne se disent pas <em>exactement</em> comme ça, pour lui donner une sorte de plus-value. Ce que j'apprécie aussi, avec cet usage de l'oralité, c'est qu'elle me permet de mettre en scène des personnages à l'âge et au <em>background</em> imprécis; des gens qui s'expriment comme des adolescents puérils, mais qui ont des connaissances littéraires étendues, par exemple. Ça revient à cette idée de déstabiliser le lecteur et d'être son complice en même temps.</p> <p><br />L'oralité, le vernaculaire, ce sont des sujets qui reviennent beaucoup quand je discute avec mes amis écrivains. Tout le monde a sa petite idée là-dessus, sur l'importance ou l'inutilité de changer la graphie des mots, sur la place à laisser au lecteur pour imaginer un dialogue au lieu de le reproduire pour lui, sur la différence entre une langue orale qui va bien vieillir sur papier et une espèce de <em>slang</em> montréalais qui sera bientôt dépassé et incompréhensible. Ce sont des questions que je me pose sans cesse en écrivant et pour lesquelles je n'ai pas de réponses claires. Tout ce que je sais, c'est que je ne pourrais pas écrire autrement que dans une langue qui, au minimum, essaie d'être de son temps et de son lieu d'émergence. Pour moi, la langue n'existe pas en dehors du fait de la parler.&nbsp; &nbsp;<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Une langue de son temps et de son lieu d'émergence, la formule est forte et mérite d'être retenue. On remarque toutefois que cela ne signifie pas pour toi l'expression d'un nationalisme à la ceinture fléchée. Bien au contraire. Parmi les moments forts du livre, je retiens ces passages où tu réfléchis à ta langue et à ta culture depuis un point de vue externe, par exemple celui d'une immigrante brésilienne qui se questionne à propos des québécois: «Elle voudrait mettre un gigantesque accent tonique sur certains mots en français qui ont l'air morts. Comment ça se fait qu'il n'y a pas d'accent tonique sur le mot <em>magnifique</em> ou sur le mot <em>sublime</em>? Comment ça se fait qu'ils parlent avec les mains dans les poches? Il paraît que dans le nord du Québec, quelqu'un lui a dit ça, il paraît que le taux de suicide est encore plus élevé. Le plus élevé du monde.» (p. 85)&nbsp;Tu sembles fasciné par la positivité des rencontres culturelles. Dans <em>Les mines générales</em>, la plus longue nouvelle du recueil, tu évoques avec beaucoup de nuances et de subtilités une rencontre authentique, humaine, entre un québécois et une famille brésilienne.&nbsp;Pourquoi était-ce si important pour toi de signer un long texte qui traite de l'immigration au Québec?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> C'est une très bonne question, ça. Le Brésil est une autre de mes grandes passions. Ça a été une découverte importante dans ma vie et elle a eu lieu alors que je donnais des ateliers d'histoire et de culture québécoise à de nouveaux arrivants dans le cadre du programme des cours de français du ministère de l'immigration. J'ai fait des rencontres inoubliables durant ces quelques années, qui ont nourri mon imagination et qui ont changé ma façon de voir les choses. À cette époque-là, je me suis mis à me questionner sur ce que j'entendais autour, sur les clichés qui circulaient à propos des immigrants, sur notre rapport à l'étranger. Je tenais à en parler, mais d'un point de vue très personnel. L'immigration est aussi un sujet extrêmement complexe et j'avais envie d'en traiter d'une manière qui ne serait ni condescendante, ni superficielle, et ma passion pour la culture brésilienne et la langue portugaise était pour moi un angle d'approche intéressant et stimulant. Il me permettait entre autres de mettre en lumière les échanges et les rencontres dans leur complexité, et de traiter sur un pied d'égalité de grandes angoisses existentielles très universelles et des préjugés très locaux, en leur permettant de se croiser dans un même univers. Ainsi, la nouvelle <em>Sur le bout de la langue</em> est-elle narrée entièrement du point de vue de l'«autre», qui nous regarde agir, ici, et qui se questionne sur les raisons pour lesquelles elle est partie de son pays. Elle sait que c'était pour les bonnes raisons, mais ça ne l'empêche pas de réinterpréter ce qu'elle y a vécu à la lueur d'une certaine nostalgie inévitable. De l'autre côté, L<em>es mines générales</em> raconte l'histoire d'un jeune homme épris de la culture de l'«autre» au point de développer une véritable obsession, ce qui non seulement a une influence sur sa vie intime et ses relations avec ses proches, mais qui finit par le métamorphoser littéralement en une sorte d'hybride culturel fantasmatique.<br /><br />Dans le livre, il y a aussi des narrateurs qui sont à la fois des «pure laine» et des exilés, ou des expatriés, qui s'expriment dans une langue extrêmement vernaculaire tout en ayant un passé argentin, polonais, japonais, etc. Ils ne questionnent pas leur propre identité (ils ont d'autres chats à fouetter), mais ils obligent le lecteur à se questionner sur son identité et son rapport à l'autre, jusqu'à un certain point. Pour moi, c'était très important de construire un monde (un quartier) bigarré et hétéroclite, qui soit non pas un simple reflet de notre réalité quotidienne, mais un point de vue personnel sur ce même reflet.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>SB —</strong></span> Parlant d'identité et d'altérité, un détail m'a frappé en lisant ton livre. Tu prépares une thèse sur les différentes représentations du romancier dans l'histoire de la littérature américaine. <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em> est peuplé de narrateurs écrivains. Il est assez amusant de constater que ces écrivains ne correspondent pas à l'image qu'on pourrait se faire de l'auteur implicite. En fait, ils s'en éloignent radicalement: il y a un auteur de récits pornographiques, un auteur qui travaille à son troisième livre de contes maltais, un auteur qui tente d'écrire un recueil de haïkus, et j'en passe. L'effet de lecture est assez déstabilisant, puisque ce jeu produit un décalage entre le récit qu'on lit et le type de textes mentionnés par ces narrateurs. Si tu avais à écrire un de ces livres inventés, ce serait lequel?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>DG —</strong></span> C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrivains dans le recueil. Je crois que c'est un peu un réflexe de jeune auteur de vouloir parler de littérature dans les livres. Ceci dit, malgré la thèse, et toutes les questions intéressantes que je suis amené à me poser en interrogeant cette figure dans les fictions américaines, ce n'est pas quelque chose que j'aurai envie d'explorer dans le futur. Et pour répondre à ta question, il me semble que j'aurais du plaisir à essayer chacun de ces genres très différents, ils ont tous un petit quelque chose d'affriolant, ne trouves-tu pas? Mais celui qui me stimulerait le plus, à bien y penser, ce serait l'hagiographie de Christopher Hitchens en deux tomes. Il me semble que c'est un défi qu'il ne faudrait pas prendre à la légère. Mais tout est possible, à partir du moment où l'Indien de Radio-Canada peut apparaître en image subliminale entre deux plans du <em>Persona</em> de Bergman.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Grenier, Daniel, <em>Malgré tout on rit à Saint-Henri</em>, Montréal, Éditions Le Quartanier (coll. Polygraphe), 2012, 254 p.</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-daniel-grenier#comments Conscience linguistique Écriture Effet de réel Esthétique Fabulation Humour Identité Immigration Langue Oralité Québec Vraisemblance Nouvelles Tue, 17 Apr 2012 21:44:15 +0000 Simon Brousseau 482 at http://salondouble.contemporain.info L'art de la légèreté http://salondouble.contemporain.info/lecture/lart-de-la-l-g-ret <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/parent-marie">Parent, Marie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/a-gate-at-the-stairs">A Gate at the Stairs</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Dans une critique dévastatrice du roman <em>Extremely Loud and Incredibly Close</em> de Jonathan Safran Foer, Harry Siegel adressait un reproche aux écrivains s’étant intéressés aux événements du 11 septembre: «[They] reduced the attack to the horizon of their writerliness […]. They felt that the world had become too large and ill-contained to do anything else<a name="ancre1"></a><a href="#note1"><span style="color: rgb(255, 0, 0);"><strong>[1]</strong></span></a>.» Cette phrase m’est revenue en tête alors que je lisais <em>A Gate at the Stairs</em> de Lorrie Moore, qui s’ouvre sur une brève évocation, particulièrement étrange, des jours ayant suivi le 11 septembre:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Though the movie theaters closed for two nights, and for a week even our yoga teacher put up an American flag and sat in front of it, in a lotus position, eyes closed, saying, “Let us now breathe deeply in honor of our great country” (I looked around frantically, never getting the breathing right), mostly our conversation slid back shockingly, resiliently, to other topics: backup singers for Aretha Franklin, or which Korean-owned restaurant had the best Chinese food. (p. 6)</span></p> </blockquote> <p>Cette insouciance, cet humour décalé parfaitement caractéristiques du style que Moore a développé depuis <em>Self-Help</em> (1985) se présentent toutefois différemment dans <em>A Gate at the Stairs</em>. Car cette fois-ci, l’écrivaine prend pour trame de fond l’Amérique avec un grand A, ses illusions et ses faux-semblants dans le contexte post-11 septembre. Pourtant, elle le fait à sa manière, entremêlant tragédies collectives et individuelles avec une étonnante nonchalance — du moins en apparence. À l’instar de Siegel, on pourrait penser que Moore, en renonçant à aborder l’horreur de front, en soumettant les drames qui secouent l’Amérique aux exigences de son écriture, a cédé à la facilité. Mais ce n’est pas tout à fait ça.</p> <p><br />La «légèreté» dont je tenterai de cerner les contours et les conséquences ici est à la fois ce qui fait la réussite et l’échec de ce roman initiatique déconcertant, portrait d’un sujet à côté de lui-même, incapable de rendre l’ampleur des drames qui s’abattent sur lui, comme si le réel devenait insoutenable au point de ne pouvoir être raconté sérieusement. Comme s’il ne pouvait que prendre la forme d’une anecdote vaguement embarrassante, d’une blague un peu ratée. Ce roman pose, dans la précarité même de sa forme, la question du rapport au tragique en littérature contemporaine. Ici, la fiction semble «glisser» à côté de l’horreur sans jamais vouloir y faire face. Et pourtant elle nous laisse entrevoir toutes ses potentialités. Ce qui est peut-être encore plus effrayant.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);">And then the baby fell down the stairs. This could be funny! Especially in a place and time where worse things happened. It wasn’t that suffering was a sweepstakes, but it certainly was relative. For understanding and for perspective, suffering required a butcher’s weighing. And to ease the suffering of the listener, things had better be funny. Though they weren’t always. And this is how, sometimes, stories failed us: Not that funny. Or worse, not funny in the least. (p. 251)</span></p> </blockquote> <p>Cette réflexion énoncée par la narratrice éclaire la posture qu’empruntera l’auteure tout au long du récit. Raconter la souffrance humaine exige un dosage des plus habiles. On peut arriver à faire d’un drame une histoire drôle. Ou plus ou moins drôle. Ainsi, dans <em>A Gate at the Stairs</em>, nous ne savons jamais si nous rions au bon moment. C’est cette incertitude qui s’avère particulièrement dérangeante.<br /><br /><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La voix du corail</strong></span></p> <p><em>A Gate at the Stairs</em> raconte une année dans la vie de Tassie Keltjin, jeune femme de 20 ans originaire de la campagne profonde. Tassie étudie dans une petite université du Wisconsin et se cherche un boulot à temps partiel en ce mois de décembre 2001. Elle est finalement engagée comme gardienne chez Sarah et Ed, un couple qui n’a pas d’enfant. En fait, pas <em>encore</em>, car ceux-ci souhaitent adopter un bébé. Ce sera Mary-Emma, une enfant mulâtre âgée de deux ans, à laquelle Tassie s’attache très vite. Au cours de cette année, Tassie connaîtra l’amour et le deuil, l’émerveillement et la détresse. Pourtant, le ton de la narratrice oscille entre l’indifférence comique et une forme d’ahurissement douloureux mais rarement pathétique. Tassie apparaît presque détachée, ou engourdie, comme si elle n’était pas sûre que l’histoire qu’elle raconte la concerne vraiment. «I was floating away from myself», (p. 107) constate la jeune femme le jour où elle accompagne Sarah et Ed au bureau d’adoption. Cette impression persistera tout au long du roman. La naïveté de la narratrice est progressivement déconstruite par des réflexions d’une placide lucidité: «I began to feel there was no wisdom. Only lack of wisdom.» (p. 125) Les expériences pénibles se succèdent et la laissent perdue, abasourdie, «as if a tornado had hit and lifted me up, then dropped me down and moved on, bored». (p. 137) Et même quand Tassie tente une action pour changer le cours des choses, pour retenir tous ceux qui la quitteront inévitablement, elle se rétracte, retourne à l’immobilité. «I had mostly in life tried to stand still like a glob of coral so as not to be spotted by sharks.» (p. 184)<br /><br />En particulier dans la deuxième moitié du roman, les événements semblent soudainement s’inscrire dans une tonalité grave, dramatique. Ces rebondissements sont si surprenants qu’ils en paraissent presque invraisemblables, voire parfois grotesques: un couple qui, pour le punir, laisse son enfant de quatre ans sur le bord de la route le voit se jeter devant une voiture pour tenter de les rejoindre; un jeune homme du New Jersey converti à l’islam, et <em>peut-être</em> un futur djihadiste, révèle son endoctrinement par cette formule creuse et presque comique: «It is not the jihad that is the wrong thing […]. It is the wrong things that are the wrong things.» (p. 210); un jeune homme, qui vient tout juste, à 18 ans, de s’engager dans l’armée, revient d’Afghanistan dans un cercueil.</p> <p><br />Cependant, même dans cette lourde deuxième partie, la «légèreté» prévaut: Moore ne laisse jamais le tragique se déployer complètement. Soit le récit est interrompu alors qu’il s’approche de l’horreur, soit il se replie dans un dialogue farfelu ou déplacé, soit il mène rapidement à un dénouement anecdotique, non dénué d’intelligence et d’autodérision.<br /><br />Ce parti pris en faveur de la «légèreté» conduit l’auteure à poser le drame et l’anecdote sur le même plan, entre autres par l’agencement d’événements de différentes natures, qui n’ont apparemment aucun rapport entre eux: alors que Sarah confie à Tassie le plus sombre secret de son existence, une canette de Coke explose dans le congélateur. Le texte est construit de manière à ce que nous ne sachions plus lequel de ces incidents constitue la catastrophe. Le récit expose la variété et la richesse des expériences de la vie, mais aussi la confusion dans laquelle elles sont vécues le plus souvent. Notre incapacité à les hiérarchiser et à les mettre en forme. Moore prouve encore une fois son habileté à raconter le réel d’une manière si aiguë, si précise qu’il en devient étrange, comme lorsqu’on s’amuse à répéter un mot familier jusqu’à ce qu’il perde sa signification initiale et révèle ainsi d’un coup toute la contingence du langage. Bien qu’il s’inscrive résolument dans une veine réaliste, le roman esquisse un univers où les interactions entre les individus et les événements eux-mêmes s’enchaînent de façon arbitraire, sans entretenir de relation causale.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p><br /><span style="color: rgb(128, 128, 128);">The people in this house, I felt, and I included myself, were like characters each from a different story. We were all grotesques, and self-riveted, but in separate narratives, and so our interactions seemed weird and richly meaningless, like the characters in a Tennessee Williams play, with their bursting, unimportant, but spell-bindingly mad speeches. (p. 249)</span></p> </blockquote> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Raconter l’horreur</strong></span></p> <p>«I can do quasi-amusing phone dialogue. I can do succinct descriptions of weather. […] I do the careful ironies of daydreams. I do the marshy ideas upon which intimate life is built<a href="#note2"><span style="color: rgb(255, 0, 0);"><strong>[2]</strong></span></a><a name="ancre2"></a>», déclare la narratrice-écrivaine de «People Like That Are the Only People Here», tiré du recueil <em>Birds of America</em>, pour expliquer à son mari son refus d’écrire sur la maladie de leur enfant. «But this? Our baby with cancer? […] This is irony at its most gaudy and careless. This is a Hieronymus Bosch of facts and figures and blood and graphs. This is a nightmare of narrative slop. This cannot be designed.» Comment raconter un drame humain sans verser ni dans le pathos le plus gluant ni dans l’ironie la plus cruelle? Comment la fiction peut-elle rendre l’ampleur des catastrophes — collectives ou intimes — qui ponctuent la vie quotidienne du Nord-Américain moyen? Chez Moore, c’est à travers le prisme de l’existence familière et de ses détails insignifiants que sont saisies l’horreur et la violence les plus crues. Dans <em>A Gate at the Stairs</em>, comme dans le reste de son œuvre, elle ne s’intéresse <em>qu’à</em> ce dont est bâtie la vie intime, et tout semble s’y trouver déjà. Les éléments tragiques sont racontés parmi d’autres faits de la vie courante, placés dans une relation d’équivalence avec eux, et c’est ce chevauchement qui permet de saisir toute l’ambiguïté de la souffrance humaine. Raconter une rupture amoureuse découlant indirectement du 11 septembre peut sembler une façon frivole de traiter les attentats. Mais ce choix révèle une forme de vérité sur la manière dont nous faisons l’expérience de l’Histoire. En tant que sujets, nous sommes bel et bien condamnés à appréhender les événements par l’entremise de notre corps, de nos sens, de notre quotidien. Peut-être sommes-nous condamnés à la légèreté. Moore met en scène cette terrible impuissance.<br /><br />Pourtant, quelque chose cloche. L’équilibre entre lourdeur et légèreté mis en place dans <em>A gate at the Stairs</em> demeure fragile. On peut croire que Moore souhaitait enfin produire le grand roman à l’aune duquel on semble mesurer tout écrivain américain digne de ce nom (même le grand nouvelliste Raymond Carver souffrait de ce complexe<a href="#note3"><span style="color: rgb(255, 0, 0);"><strong>[3]</strong></span></a><a name="ancre3"></a>). C’est du moins ce que perçoit la critique: enfin Moore démontre qu’elle n’est pas qu’une «miniaturiste<a href="#note4"><span style="color: rgb(255, 0, 0);"><strong>[4]</strong></span></a><a name="ancre4"></a>». «Will Moore prove that she is not synonymous with less? Hell yes!<a href="#note5"><span style="color: rgb(255, 0, 0);"><strong>[5]</strong></span></a><a name="ancre5"></a>» Mais malgré un éventail de thématiques plutôt imposantes (racisme, adoption, terrorisme, guerre, deuil), <em>A Gate at the Stairs</em> n’a rien de la fresque sociale annoncée. La manière dont le texte est composé, structuré, tend toujours fortement du côté d’une écriture «sans envergure», au sens le plus noble du terme (s’il existe). Voilà bien ce qui est déconcertant dans cette lecture. Alors que Moore semble enfin s’attaquer à un «gros morceau», elle refuse radicalement de saisir le monde autrement que par l’entremise de la subjectivité et de l’intimité. Le monde représenté ne nous parvient que sous forme d’échos parcellaires, comme ces bribes de conversation que Tassie entend le mercredi soir, quand Sarah et Ed reçoivent chez eux d’autres parents d’enfants métissés.<br /><br />Mais dans certains passages, la posture de l’auteure se fragilise; on croirait qu’elle reprend brusquement l’histoire des mains de son personnage pour glisser une observation générale — et plus romanesque! — qui provient visiblement d’un regard extérieur à l’histoire et qui ne cadre pas avec le ton de la narratrice — par exemple, des remarques sur les expressions utilisées par les gens du Midwest ou sur les comportements des jeunes adultes appartenant à la génération de Tassie. Moore aurait-elle craint que son héroïne n’y arrive pas toute seule, que sa voix, que sa vision du monde ne soient pas suffisantes? La tension délicate établie entre tragique et anecdotique souffre donc par moments d’un manque de cohérence dans l’approche de l’écrivaine. Comme si, pendant qu’elle retravaillait son manuscrit, Moore avait fini par céder aux cris de la foule réclamant son <em>Great American Novel</em>...<br /><br />Peu importe, <em>A Gate at the Stairs</em> doit être lu comme un essai sur l’improbable art de la légèreté en ce début de siècle marqué par la vision de l’effondrement des Tours. Et en voici la principale ambition: réussir à élever le réel dans toute sa lourdeur, à lui donner une certaine grâce, jusqu’à ce qu’il s’écrase sur vous de tout son poids.<br />&nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><a name="note1"></a><a href="#ancre1">[1]</a></strong></span> Siegel vise tout particulièrement les auteurs qui ont participé à l’édition spéciale du <em>New Yorker</em> portant sur les attentats. Harry Siegel, «Extremely Cloying &amp; Incredibly False. Why the Author of <em>Everything is Illuminated</em> is a Fraud and a Hack», <em>The New York Press</em>, 20 avril 2005. En ligne: <a href="http://www.nypress.com/article-11418-extremely-cloying-incredibly-false.html" title="http://www.nypress.com/article-11418-extremely-cloying-incredibly-false.html">http://www.nypress.com/article-11418-extremely-cloying-incredibly-false....</a> (site consulté le 21 août 2011.)</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><a name="note2"></a><a href="#ancre2">[2]</a></strong></span> Lorrie Moore, <em>Birds of America</em>, New York, Picador, 1998, p. 223. (L’auteure souligne.)</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><a name="note3"></a><a href="#ancre3">[3]</a></strong></span> Bien que sa réputation d’écrivain eût été établie depuis plusieurs années, Raymond Carver écrivait dans un essai qu’il souffrait de ne jamais avoir écrit le grand roman dont il rêvait&nbsp;: «J’avais vite compris […] qu’avec l’angoisse permanente qui m’empêchait de fixer mon attention durablement sur quoi que ce soit, j’allais avoir un mal de chien à écrire un roman. Avec le recul, je me rends compte que durant ces années dévorantes, la frustration dont je souffrais me faisait lentement sombrer dans la démence. Quoi qu’il en soit, ce sont les circonstances de ma vie qui ont déterminé, pour une très large part, la forme qu’allait prendre mon écriture. Je ne m’en plains pas, loin de là. Je me borne à le constater, le cœur lourd et transi d’effroi.» Raymond Carver, <em>Les feux</em>, Paris, Éditions de l’Olivier, 1991, p. 48.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><a name="note4"></a><a href="#ancre4">[4]</a></strong></span> Jonathan Lethem, «Eyes Wide Open», <em>The New York Times</em>, 30 août 2009, p. BR1. En ligne: <a href="http://www.nytimes.com/2009/08/30/books/review/Lethem-t.html" title="http://www.nytimes.com/2009/08/30/books/review/Lethem-t.html">http://www.nytimes.com/2009/08/30/books/review/Lethem-t.html</a> (site consulté le 21 août 2011.)</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><a name="note5"></a><a href="#ancre5">[5]</a></strong></span> Geoff Dyer, «A Gate at the Stairs by Lorrie Moore», <em>The Observer</em>, 27 septembre 2009. En ligne: <a href="http://www.guardian.co.uk/books/2009/sep/27/gate-at-stairs-lorrie-moore" title="http://www.guardian.co.uk/books/2009/sep/27/gate-at-stairs-lorrie-moore">http://www.guardian.co.uk/books/2009/sep/27/gate-at-stairs-lorrie-moore</a> (site consulté le 21 août 2011.)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lart-de-la-l-g-ret#comments Ambiguïté CARVER, Raymond DYER, Geoff Effet de réel États-Unis d'Amérique Événement Histoire Mémoire MOORE, Lorrie Polémique SAFRAN FOER, Jonathan SIEGEL, Harry Terrorisme Vraisemblance Roman Wed, 24 Aug 2011 16:02:22 +0000 Marie Parent 364 at http://salondouble.contemporain.info Quand l’auteur joue avec la (méta)fiction http://salondouble.contemporain.info/lecture/quand-l-auteur-joue-avec-la-metafiction <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/le-jardin-des-delices-terrestres">Le Jardin des délices terrestres</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><em><br /> Le Jardin des d&eacute;lices terrestres</em><a name="note1" href="#note1b"><strong>[1]</strong></a> est le deuxi&egrave;me roman d&rsquo;Indrajit Hazra, musicien, journaliste et &eacute;crivain indien n&eacute; &agrave; Calcutta en 1971. Ce roman, qui au final pourrait &ecirc;tre qualifi&eacute; de ludique, emprunte &agrave; la bande dessin&eacute;e belge comme &agrave; la litt&eacute;rature jeunesse bengali et induit, avec sa structure probl&eacute;matique et sa narration ind&eacute;cidable, certains effets de rupture qui d&eacute;voilent et probl&eacute;matisent sa construction. Je tenterai ici de rendre compte de certains enjeux soulev&eacute;s par ce roman qui se joue parfois des th&eacute;ories litt&eacute;raires et qui, par le fait m&ecirc;me, se laisse difficilement appr&eacute;hender en termes simples.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>D&rsquo;abord, un r&eacute;sum&eacute;</strong></span></p> <p>Le roman est compos&eacute; de deux r&eacute;cits livr&eacute;s en alternance. Le premier met en sc&egrave;ne Hiren Bose, op&eacute;rateur d&rsquo;un taxiphone situ&eacute; au rez-de-chauss&eacute;e du 14, Banamali Nashkar Lane, &agrave; Calcutta. Il habite &agrave; l&rsquo;&eacute;tage chez Uma, sa fianc&eacute;e, depuis quatre ans. Une nuit, quatre eunuques travestis en femmes, des hijras, vandalisent la cabine t&eacute;l&eacute;phonique du taxiphone et attaquent Hiren. Ce dernier n&rsquo;ose pas annoncer la mauvaise nouvelle &agrave; Uma sachant qu&rsquo;elle sera furieuse contre lui: il n&rsquo;a pas assur&eacute; son commerce comme elle le lui avait conseill&eacute; il y a longtemps d&eacute;j&agrave;. Soucieux de &laquo;mettre fin &agrave; ce chapitre de [sa] vie&raquo; (p.30), il verse du &laquo;fioul&raquo; (p.30) un peu partout au rez-de-chauss&eacute;e, ainsi qu&rsquo;au premier &eacute;tage o&ugrave; dort Uma, et met le feu &agrave; l&rsquo;&eacute;difice. Il se sauve des lieux du crime et ne revient que plusieurs heures apr&egrave;s, une fois le brasier &eacute;teint; Uma est morte. Hiren est recueilli par Shishir, un ami qui habite la pension du 72, tout juste en face du taxiphone, sur Banamali Nashkar Lane, o&ugrave; Hiren avait d&eacute;j&agrave; habit&eacute; avant de d&eacute;m&eacute;nager chez Uma. Avec quelques retours en arri&egrave;re, on apprend &agrave; conna&icirc;tre les personnages qui habitent la pension, surtout Ghanada, sorte de gourou qui occupe la chambre sur le toit et qui raconte toujours des histoires invraisemblables qui l&rsquo;impliquent personnellement mais auxquelles personne n&rsquo;adh&egrave;re vraiment. On apprend aussi qu&rsquo;Hiren est pyromane et qu&rsquo;il aurait br&ucirc;l&eacute; d&rsquo;autres &eacute;difices avant de mettre le feu &agrave; son commerce. La vie au foyer est plut&ocirc;t r&eacute;p&eacute;titive&nbsp;et les soir&eacute;es se terminent toujours sur la terrasse avec Ghanada qui raconte ses histoires, couch&eacute; dans sa chaise longue. Hiren a l&rsquo;impression que Ghanada sait &agrave; propos de l&rsquo;incendie du 14, et, un soir o&ugrave; l&rsquo;atmosph&egrave;re est particuli&egrave;rement tendue, il se fait assommer par les r&eacute;sidents du foyer. Il se r&eacute;veille dans le coffre d&rsquo;une voiture. Shishir, Ghanada, Gaur et Shibu portent tous les quatre leur costume d&rsquo;hijras: ce sont eux, les eunuques qui l&rsquo;ont attaqu&eacute; dans son taxiphone. Ghanada explique qu&rsquo;ils se d&eacute;guisent ainsi pour supprimer tout d&eacute;sir sexuel et se prot&eacute;ger du danger que repr&eacute;sentent les femmes. Parce qu&rsquo;Hiren menace l&rsquo;&eacute;quilibre du foyer o&ugrave; ils s&rsquo;isolent des femmes pour rester entre eux, ils doivent agir et le neutraliser. Ils l&rsquo;assomment de nouveau et l&rsquo;enferment dans un placard du Writer&rsquo;s Building, le si&egrave;ge du gouvernement du Bengale occidental, auquel ils mettent le feu. Hiren r&eacute;ussit &agrave; s&rsquo;&eacute;chapper de cet incendie monumental et est arr&ecirc;t&eacute; par un inspecteur qui l&rsquo;accuse d&rsquo;avoir allum&eacute; plusieurs incendies criminels perp&eacute;tr&eacute;s dans les derni&egrave;res ann&eacute;es. On l&rsquo;emporte dans un fourgon de l&rsquo;arm&eacute;e.</p> <p>Le second r&eacute;cit concerne Manik Basu, &laquo;auteur de livres &agrave; succ&egrave;s comme <em>Les Principes du plaisir</em>, <em>Bricolage</em>, <em>L&rsquo;Illusionniste et autres r&eacute;cits</em>&raquo; (p.33) qui &laquo;avait fait la plus grosse erreur de sa vie en signant un contrat stipulant qu&rsquo;il remettrait un roman par an &agrave; la prestigieuse maison d&rsquo;&eacute;dition Kutir&raquo; (p.33), mais qui empire sa situation en fuyant l&rsquo;Inde et en se r&eacute;fugiant &laquo;dans un h&ocirc;tel relativement bon march&eacute; de la lointaine Prague&raquo; (p.33) sans avoir remis un seul roman &agrave; son &eacute;diteur, cinq ans apr&egrave;s avoir sign&eacute; le contrat. Il est enlev&eacute; &agrave; Prague par des hommes de main de son &eacute;diteur, qui le s&eacute;questrent dans la chambre de son h&ocirc;tel. Il a dix jours pour &eacute;crire un roman; le &laquo;dixi&egrave;me jour, si le livre est pas fini, on sera oblig&eacute;s de vous descendre&raquo; (p.41), le menace-t-on. Basu s&rsquo;attelle donc &agrave; la t&acirc;che. Toutefois, au bout de quelques jours, un de ses ge&ocirc;liers vient le chercher pour le conduire jusqu&rsquo;&agrave; un grand manoir o&ugrave; l&rsquo;attend Ajit Chaudhuri, &laquo;propri&eacute;taire et responsable des publications de Kutir&raquo; (p.105). Chaudhuri s&rsquo;excuse parce que &laquo;les autochtones n&rsquo;avaient pas parfaitement compris&raquo; ses consignes (p.105). Il prie Basu de se consid&eacute;rer d&eacute;sormais comme son invit&eacute; et &laquo;souhaite rendre [son] s&eacute;jour aussi agr&eacute;able que possible&raquo; (p.105). Basu explore le manoir d&rsquo;abord, avant de se lancer dans l&rsquo;&eacute;criture: &laquo;[il] se dit que le mieux &eacute;tait sans doute de se gratter la cervelle jusqu&rsquo;&agrave; produire quelque chose&raquo; (p.139). Les semaines s&rsquo;&eacute;coulent et l&rsquo;&eacute;crivain travaille plut&ocirc;t bien; un jour, il annonce que son manuscrit est termin&eacute;. Il refuse toutefois de le remettre &agrave; Chaudhuri, mais celui-ci, &agrave; l&rsquo;aide de ses hommes de main, r&eacute;ussit &agrave; le lui soutirer. Entre temps a commenc&eacute; &agrave; se tisser une &eacute;trange relation entre Basu et Irma Van der Lubbe, la gouvernante du gite o&ugrave; il r&eacute;side; ils s&rsquo;espionnent mutuellement dans le noir et semblent tous les deux attir&eacute;s l&rsquo;un vers l&rsquo;autre. Basu d&eacute;cide de rester un peu &agrave; Prague avant de retourner en Inde. Il se rend &agrave; l&rsquo;op&eacute;ra avec Irma, au Th&eacute;&acirc;tre national. Lors de l&rsquo;entracte, elle le pousse par la fen&ecirc;tre du troisi&egrave;me &eacute;tage; il s&rsquo;effondre sur le sol et meurt.<br /> <strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Quelques courts-circuits</span></strong></p> <p>Les deux r&eacute;cits se partagent parfaitement le livre: le premier, celui d&rsquo;Hiren Bose, se d&eacute;veloppe dans les chapitres impairs; le deuxi&egrave;me, celui de Manik Basu, occupe les chapitres pairs. Le treizi&egrave;me chapitre, intitul&eacute; &laquo;Derni&egrave;res nouvelles&raquo; (p.233-239), rompt ce d&eacute;coupage et constitue un verbatim d&rsquo;un segment t&eacute;l&eacute;visuel de type <em>breaking news</em> concernant l&rsquo;incendie du Writer&rsquo;s Building et la mort de Basu. Le roman s&rsquo;ach&egrave;ve avec un &eacute;pilogue reproduisant &laquo;<em>un extrait de l&rsquo;article &ldquo;Mensonges, sacr&eacute;s mensonges et Ghanada&rdquo;, sign&eacute; de Manik Basu, &eacute;crit &agrave; Prague et publi&eacute; dans le num&eacute;ro sp&eacute;cial du magazine Alpana de f&eacute;vrier 2004, consacr&eacute; &agrave; Premendra Mitra pour le centenaire de sa naissance</em>&raquo; (p.241). Dans cet article, Basu parle de sa rencontre (litt&eacute;raire) avec Ghanada, un personnage cr&eacute;&eacute; par Premendra Mitra, et de l&rsquo;admiration qu&rsquo;il &eacute;prouve pour la structure ench&acirc;ss&eacute;e de leurs narrations&nbsp;&agrave; tous les deux. Il termine en affirmant avoir utilis&eacute; le personnage de Ghanada dans son plus r&eacute;cent roman, <em>Le Jardin des d&eacute;lices terrestres</em>. Ce qui est particulier avec cette structure, c&rsquo;est que certaines pistes diss&eacute;min&eacute;es tout au long du roman laissent croire que Manik Basu &eacute;crit l&rsquo;histoire d&rsquo;Hiren Bose; les deux r&eacute;cits existeraient donc dans une relation d&rsquo;ench&acirc;ssement: le r&eacute;cit cadre serait celui de Manik et le r&eacute;cit ench&acirc;ss&eacute;, celui d&rsquo;Hiren. Le chapitre treize vient toutefois court-circuiter cette relation jusque-l&agrave; plut&ocirc;t calme et immobile, puisqu&rsquo;il suppose que les deux personnages existeraient dans un m&ecirc;me univers de fiction, tandis que, tout au long du roman, les fronti&egrave;res entre leurs deux mondes &eacute;taient herm&eacute;tiques, exception faite de deux petits accrocs. Le premier: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Un autre [client] m&rsquo;avait r&eacute;clam&eacute; l&rsquo;indicatif d&rsquo;un pays europ&eacute;en dont je n&rsquo;avais jamais entendu parler (et que j&rsquo;ai maintenant oubli&eacute;). Je dus en cons&eacute;quence v&eacute;rifier l&rsquo;annuaire qui donnait la liste de tous les indicatifs. Il le recopia sur un bout de papier mais, ensuite, il passa un coup de fil local.<br /> Ce client avait un visage qui me disait vaguement quelque chose. Mais, bien s&ucirc;r, tous les hommes vous rappellent quelque chose si vous cherchez bien. (p.11) <p></p></span></div> <div>Ce client qui dit vaguement quelque chose &agrave; Hiren s&rsquo;informe-t-il de l&rsquo;indicatif de la R&eacute;publique tch&egrave;que? Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;un tout petit court-circuit qui n&rsquo;en est pas un, en fait, &agrave; moins de lire le roman en mode parano&iuml;aque &mdash;ce que ce type de litt&eacute;rature nous invite &agrave; faire, par ailleurs. Le deuxi&egrave;me est plus significatif; tandis qu&rsquo;Irma Van der Lubbe regarde Manik Basu dormir, elle a subitement l&rsquo;impression d&rsquo;&ecirc;tre le personnage d&rsquo;un roman:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y avait quelque chose dans cette forme allong&eacute;e qui mettait Irma mal &agrave; l&rsquo;aise. Plant&eacute;e l&agrave; &agrave; la lueur de la lune qui projetait des ombres incertaines, avec le visage tout proche de celui de cet &eacute;crivain endormi venu d&rsquo;un pays si lointain, elle eut soudain l&rsquo;impression d&rsquo;&ecirc;tre incluse dans une &oelig;uvre de fiction, &agrave; un de ces moments sans rebondissements avant que l&rsquo;on ne tourne la page. Bient&ocirc;t tout serait fini, elle n&rsquo;aurait plus &agrave; &ecirc;tre le t&eacute;moin de ces sc&egrave;nes o&ugrave; un homme &eacute;tait le prisonnier d&rsquo;autres hommes. On lui demanderait s&ucirc;rement de jouer un r&ocirc;le dans le d&eacute;nouement, ce qui arrivait souvent, pas tr&egrave;s souvent, mais suffisamment pour la mettre mal &agrave; l&rsquo;aise. (p.184-185)</span><br /> &nbsp;</div> <p>En effet, elle jouera un r&ocirc;le important dans le d&eacute;nouement: elle d&eacute;fenestrera Basu du troisi&egrave;me &eacute;tage du Th&eacute;&acirc;tre national. Ici, c&rsquo;est une troisi&egrave;me fronti&egrave;re qui est travers&eacute;e: si Irma, qui se trouve dans le r&eacute;cit cadre (celui de Manik), est en r&eacute;alit&eacute; un <em>personnage</em>, s&rsquo;il ne s&rsquo;agit pas seulement d&rsquo;une impression, c&rsquo;est qu&rsquo;il y aurait un troisi&egrave;me r&eacute;cit, v&eacute;ritable cadre cette fois, qui ench&acirc;sserait les deux autres.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Combien y a-t-il de r&eacute;cits, alors?</strong></span></p> <p>Si on consid&egrave;re qu&rsquo;il y a un <em>mastermind</em>, un g&eacute;nial conspirateur derri&egrave;re tout cela, un narrateur implicite (ou un auteur implicite) qui vient arranger les &eacute;v&eacute;nements &mdash;et qui rel&egrave;gue par le fait m&ecirc;me les deux r&eacute;cits au rang de r&eacute;cits intradi&eacute;g&eacute;tiques&mdash;, la question de son identit&eacute; se pose d&eacute;sormais. Qui est-il? Pourquoi se contente-t-il de retranscrire le bulletin de nouvelles et d&rsquo;ajouter un extrait de l&rsquo;article de Basu concernant Ghanada, plut&ocirc;t que de mettre en place un v&eacute;ritable r&eacute;cit cadre qui viendrait ceinturer cette fiction qui, sans de telles fronti&egrave;res, n&rsquo;est rien de moins que probl&eacute;matique? En effet, sans ce narrateur implicite cach&eacute; derri&egrave;re ses propres fictions, on pourrait dire que la narration, pourtant bien r&eacute;elle puisqu&rsquo;on vient de la lire, devient tout d&rsquo;un coup impossible du point de vue de la vraisemblance pragmatique<a name="note2" href="#note2b"><strong>[2]</strong></a>, comme annul&eacute;e ou ni&eacute;e par l&rsquo;inexistence du narrateur; les &eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s par la lectrice de nouvelles du chapitre treize pointent dans cette direction: la mort de Manik Basu ne peut pas &ecirc;tre annonc&eacute;e dans l&rsquo;univers de fiction d&rsquo;Hiren Bose. Ce court-circuit rend la posture de narration impossible: un narrateur qui vient de mourir ne peut pas raconter ce qui se passe apr&egrave;s sa mort, surtout qu&rsquo;il n&rsquo;avait pas pr&eacute;par&eacute; le terrain pour s&rsquo;arroger d&rsquo;un tel droit. N&eacute;anmoins, l&rsquo;&eacute;pilogue vient souligner le fait que l&rsquo;auteur Manik Basu a &eacute;crit l&rsquo;histoire dans laquelle le personnage de Ghanada appara&icirc;t, c&rsquo;est-&agrave;-dire celle d&rsquo;Hiren Bose. Aussi, Manik Basu fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; Ghanada, qu&rsquo;il pr&eacute;sente comme &laquo;l&rsquo;un de ses personnages dans le roman qu&rsquo;il [vient] de terminer&raquo; (p.224-225). Il y a trois notes de bas de page dans l&rsquo;&eacute;pilogue qui attestent des faits litt&eacute;raires avanc&eacute;s par Manik Basu. Ces sources appuient l&rsquo;id&eacute;e que le r&eacute;cit d&rsquo;Hiren est fictif et que c&rsquo;est Manik Basu qui l&rsquo;a &eacute;crit. Premi&egrave;re hypoth&egrave;se: Manik Basu (r&eacute;cit cadre) &eacute;crit l&rsquo;histoire d&rsquo;Hiren Bose (r&eacute;cit ench&acirc;ss&eacute;). Deuxi&egrave;me hypoth&egrave;se: il y aurait un auteur implicite (r&eacute;cit cadre) qui arrangerait les r&eacute;cits de Manik Basu (r&eacute;cit ench&acirc;ss&eacute; dans celui de l&rsquo;auteur implicite et r&eacute;cit cadre de l&rsquo;histoire d&rsquo;Hiren) et d&rsquo;Hiren (r&eacute;cit ench&acirc;ss&eacute; &agrave; la puissance deux). Si on exclut le dernier chapitre et l&rsquo;article de Basu reproduit en &eacute;pilogue, il n&rsquo;y a pas vraiment de r&eacute;cit cadre, mais bien plut&ocirc;t une illusion de cadre. L&rsquo;ind&eacute;cidabilit&eacute; de cette troisi&egrave;me narration semble suspendre le d&eacute;nouement des deux r&eacute;cits; le lecteur n&rsquo;aura pas l&rsquo;heure juste sur cette question et ne pourra pas trancher ou choisir l&rsquo;une ou l&rsquo;autre des deux hypoth&egrave;ses interpr&eacute;tatives que je viens de pr&eacute;senter. Voil&agrave; pourquoi j&rsquo;ai parl&eacute; plus t&ocirc;t d&rsquo;une narration ind&eacute;cidable.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Hommage m&eacute;tafictionnel</strong></span></p> <p>Il y a plus d&rsquo;une mise en abyme dans le roman. D&rsquo;abord, on retrouve la traditionnelle mise en sc&egrave;ne de l&rsquo;&eacute;crivain qui &eacute;crit un roman qui porte le m&ecirc;me titre que celui que le lecteur r&eacute;el tient entre ses mains<a name="note3" href="#note3b"><strong>[3]</strong></a> &mdash;cadres qui court-circuitent &agrave; la fin alors que l&rsquo;&eacute;crivain et son personnage sont trait&eacute;s sans discrimination de niveau narratif dans le m&ecirc;me bulletin de nouvelles. Aussi, il y a une mise en abyme de la structure du roman avec les propos de Basu sur Premendra Mitra dans l&rsquo;&eacute;pilogue: &laquo;Ce qui me surprenait &mdash;et me surprend encore &agrave; ce jour en tant que lecteur et en tant qu&rsquo;&eacute;crivain&mdash;, c&rsquo;est la trajectoire suivie par l&rsquo;auteur Premendra Mitra, &agrave; un certain niveau, et celle suivie par l&rsquo;un des plus c&eacute;l&egrave;bres narrateurs du monde, Ghanada, pour raconter leurs histoires (ench&acirc;ss&eacute;es dans une histoire)&raquo; (p.243). Ce processus est utilis&eacute; par Indrajit Hazra dans l&rsquo;&eacute;criture du roman <em>Le Jardin des d&eacute;lices terrestres</em>, et aussi par Manik Basu, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, dans son roman <em>Le Jardin des d&eacute;lices terrestres </em>(bis), qui met en sc&egrave;ne le &laquo;narrateur&raquo; Ghanada aux c&ocirc;t&eacute;s du narrateur Hiren.</p> <p>L&rsquo;intertextualit&eacute; occupe aussi une place importante dans le roman d&rsquo;Hazra. D&rsquo;abord, Premendra Mitra (1904-1988) est un auteur r&eacute;el et une figure &eacute;minente de la litt&eacute;rature bengali. Il a publi&eacute; des po&egrave;mes, des romans et des nouvelles et est surtout connu pour ses textes de science-fiction comme <em>The Twelfth Manu</em> <a name="note4" href="#note4b"><strong>[4]</strong></a>. Mitra a remport&eacute; de nombreux prix litt&eacute;raires dont certains tr&egrave;s prestigieux. Il a cr&eacute;&eacute; en 1945 le personnage de Ghanada, qui est rapidement devenu tr&egrave;s c&eacute;l&egrave;bre en Inde: plusieurs romans mettent en vedette le personnage et les autres r&eacute;sidents du 72, Banamali Nashkar Lane et certains ont &eacute;t&eacute; adapt&eacute;s pour la radio et sous forme de bandes dessin&eacute;es, dont l&rsquo;une est toujours publi&eacute; par le p&eacute;riodique pour enfants Anandamela. Le personnage de Ghanada que l&rsquo;on rencontre dans le roman d&rsquo;Hazra est &agrave; quelques d&eacute;tails pr&egrave;s le m&ecirc;me que celui cr&eacute;&eacute; par Premendra Mitra; il habite le m&ecirc;me lieu, avec les m&ecirc;mes hommes (Shibu, Shishir, Gaur et les autres) et raconte le m&ecirc;me genre d&rsquo;histoires invraisemblables, proches de la science-fiction mais truff&eacute;es de v&eacute;ritables donn&eacute;es scientifiques et historiques. Par exemple: il r&eacute;v&egrave;le comment il aurait pu emp&ecirc;cher &laquo;que se produise le trou de la couche d&rsquo;ozone&raquo; (p.92), comment il a sauv&eacute; de la mort un homme emprisonn&eacute; dans un monast&egrave;re espagnol par le p&egrave;re Ra&uacute;l qui croyait &ecirc;tre une r&eacute;incarnation de l&rsquo;Inquisiteur Tom&aacute;s de Torquemada, comment aussi la cigarette lui a un jour sauv&eacute; la vie lors d&rsquo;un feu de brousse en Australie, etc. Ce dialogue entre le roman d&rsquo;Hazra et ceux de Premendra Mitra est l&rsquo;emprunt transfictionnel le plus consid&eacute;rable dans Le Jardin des d&eacute;lices terrestres. N&eacute;anmoins, un personnage important du r&eacute;cit de Manik Basu est emprunt&eacute; &agrave; un tout autre univers de fiction. En effet, vers la fin du roman, Irma Van der Lubbe affirme avoir d&eacute;j&agrave; rencontr&eacute; Bianca Castafiore, qui &eacute;tait de passage &agrave; Prague pour chanter dans <em>La Damnation de Faust</em> de Berlioz. Pour un lecteur qui ne conna&icirc;t qu&rsquo;en partie <em>Les Aventures de Tintin et Milou</em> d&rsquo;Herg&eacute;, l&rsquo;allusion &agrave; la soprano italienne (fictive) peut para&icirc;tre &eacute;trange. Hazra r&eacute;v&egrave;le, dans un article paru dans le journal <em>Hindustan Times</em>, avoir &laquo;emprunt&eacute;&raquo; le personnage d&rsquo;Irma &agrave; Herg&eacute;, ce qui explique l&rsquo;allusion au&nbsp;&laquo;rossignol milanais&raquo;: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">A few years ago, I wrote a book in which I used (borrowed or stole, being the more appropriate word) one of Herg&eacute;&rsquo;s minor characters from his Tintin books, Irma, Bianca Castifiore&rsquo;s quiet maid, for my own nefarious purpose. While the original Irma was nothing but Bianca&rsquo;s appendage &mdash;her &lsquo;high point&rsquo; being when she assaults Thompson and Thomson with a walking stick in <em>The Castafiore Emerald</em><a name="note5" href="#note5b"><strong>[5]</strong></a> when the two detectives accuse her of stealing the soprano&rsquo;s emerald&mdash; &lsquo;my&rsquo; Irma was a full-blown woman with a mysterious past and an unsettling presence. I must say, I felt rather smug about plucking Irma out of a children&rsquo;s comic book and placing her in a work of, ahem, literature.<a name="note6" href="#note6b"><strong>[6]</strong></a> <p></p></span></div> <p>Ces deux emprunts, le premier majeur et le second plus ponctuel, participent, il me semble, &agrave; la cr&eacute;ation d&rsquo;une fiction en forme d&rsquo;hommage rendu &agrave; la bande dessin&eacute;e et &agrave; la litt&eacute;rature jeunesse &mdash;&agrave; tout le moins &agrave; deux figures embl&eacute;matiques de ces champs particuliers. Coupl&eacute;e aux mises en abyme pr&eacute;sent&eacute;es plus t&ocirc;t, la pr&eacute;sence de ces personnages qui passent d&rsquo;une &oelig;uvre de fiction &agrave; une autre me semble inscrire Indrajit Hazra &agrave; la suite d&rsquo;autres &eacute;crivains associ&eacute;s &agrave; la m&eacute;tafiction, comme Italo Calvino, Paul Auster, Julio Cort&aacute;zar, et bien d&rsquo;autres encore &mdash; c&rsquo;est sans oublier Enrique Vila-Matas, fier h&eacute;ritier de Cervant&egrave;s et de Borges, dont l&rsquo;un des romans a &eacute;t&eacute; comment&eacute; ici par Simon Brousseau<a name="note7" href="#note7"><strong>[7]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Quand l&rsquo;auteur se joue des th&eacute;ories litt&eacute;raires: de la litt&eacute;rature &laquo;postmoderne&raquo;</strong></span></p> <div>J&rsquo;ajoute enfin: m&ecirc;me si <em>Le Jardin des d&eacute;lices terrestres</em> ne me semble pas &ecirc;tre une fiction critique &agrave; proprement parler, il n&rsquo;en reste pas moins qu&rsquo;on retrouve dans le roman quelques r&eacute;f&eacute;rences &agrave; certaines th&eacute;ories litt&eacute;raires qui m&eacute;ritent d&rsquo;&ecirc;tre relev&eacute;es. D&rsquo;abord, Hiren fait r&eacute;f&eacute;rence de fa&ccedil;on directe, lorsqu&rsquo;il traite des r&eacute;cits de Ghanada, au concept de suspension volontaire de l&rsquo;incr&eacute;dulit&eacute; (<em>willing suspension of disbelief</em> <a name="note8" href="#note8b"><strong>[8]</strong></a>) d&eacute;velopp&eacute;e par Samuel Taylor Coleridge dans <em>Biographia Literaria</em>:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Au d&eacute;but, quand le r&eacute;cit est encore cr&eacute;dible, Shibu se contente de grommeler, avec soit un sourire narquois, soit un rire moqueur, soit encore une remarque destin&eacute;e &agrave; renvoyer le conteur dans ses cordes. Mais Ghanada poursuit, piquant une cigarette ou m&ecirc;me un paquet entier, et continue &agrave; nous raconter une autre histoire tir&eacute;e de son pass&eacute; tout aussi difficile &agrave; gober &agrave; moins de suspendre volontairement son incr&eacute;dulit&eacute;, comme disait Coleridge. (p.67) <p></p></span></div> <div>Cette r&eacute;f&eacute;rence d&eacute;note &agrave; tout le moins une connaissance de cette th&eacute;orie en particulier par l&rsquo;auteur, sinon un jeu, une raillerie de cette m&ecirc;me th&eacute;orie. L&rsquo;auteur, dans un but ludique, met la th&eacute;orie &agrave; contribution pour livrer un roman m&eacute;tafictionnel, sinon postmoderne; tout le roman semble pr&eacute;cis&eacute;ment travailler &agrave; faire en sorte que le lecteur ne puisse pas s&rsquo;abandonner &agrave; cette suspension volontaire de l&rsquo;incr&eacute;dulit&eacute;, ou encore qu&rsquo;il s&rsquo;y abandonne totalement et choisisse de tout accepter de ce que l&rsquo;auteur fait subir au r&eacute;cit et &agrave; ses personnages. Manik Basu utilise d&rsquo;ailleurs le terme &laquo;postmoderne&raquo; pour qualifier de fa&ccedil;on retorse les romans de Premendra Mitra, en &eacute;pilogue: &laquo;Ghanada constitue ma premi&egrave;re et ma plus stimulante rencontre avec ce que de nombreux critiques s&rsquo;obstinent &agrave; appeler non sans une certaine pesanteur &ldquo;la litt&eacute;rature postmoderne&rdquo;&raquo; (p.244). Ici encore, le terme est moqu&eacute;, utilis&eacute; de fa&ccedil;on consciente par l&rsquo;auteur implicite, dans un but d&eacute;tourn&eacute;. Et si la m&eacute;tafiction &mdash;et tous ses avatars&mdash; n&rsquo;est pas exclusivement contemporaine (je pense notamment &agrave; James Joyce et au <em>Hamlet</em> de Shakespeare), il n&rsquo;en reste pas moins que les motifs relev&eacute;s dans <em>Le Jardin des d&eacute;lices terrestres</em> font, il me semble, de ce roman d&rsquo;Indrajit Hazra une fiction&nbsp;&laquo;postmoderne&raquo;, si tant est que l&rsquo;on puisse s&rsquo;entendre sur la signification d&rsquo;un tel concept. Sans prendre part au d&eacute;bat, sans m&ecirc;me tenter d&rsquo;offrir une d&eacute;finition de la postmodernit&eacute; litt&eacute;raire &mdash;l&rsquo;exercice d&eacute;passerait d&rsquo;ailleurs largement les objectifs de cette lecture&mdash;, je me permet de proposer en conclusion que le roman d&rsquo;Indrajit Hazra ne fait que jouer, sans rien critiquer ou remettre en question: le r&eacute;cit et sa structure probl&eacute;matique, les r&eacute;f&eacute;rences au monde du livre et &agrave; la litt&eacute;rature, les emprunts transfictionnels &agrave; la bande dessin&eacute;e et &agrave; la litt&eacute;rature de jeunesse ainsi que les mises en abyme sont autant de fa&ccedil;ons de rendre hommage &agrave; un type de production litt&eacute;raire qui a court depuis plusieurs si&egrave;cles d&eacute;j&agrave; et qui ne semble pas pr&egrave;s de s&rsquo;essouffler, malgr&eacute; les redites. Une production litt&eacute;raire maintenue en vie &agrave; coups de clins d&rsquo;&oelig;il, notamment.<br /> &nbsp;</div> <hr /> <a name="note1b" href="#note1">1</a> Paru pour la premi&egrave;re fois en fran&ccedil;ais aux &eacute;ditions Le Cherche Midi en 2006. &Eacute;dition originale: <em>The Garden of Early Delights</em>, New Delhi, RST IndiaInk Publishing Company Private Limited, 2003.<br /> <a name="note2b" href="#note2">2</a> &laquo;La vraisemblance pragmatique, &agrave; laquelle Cavillac a consacr&eacute; un article fort &eacute;clairant (1995), renvoie [&hellip;] &agrave; la performance narrative, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; la cr&eacute;dibilit&eacute; du narrateur et de la situation &eacute;nonciative&raquo;, &eacute;crit Andr&eacute;e Mercier dans un &eacute;tat de la question sur la vraisemblance. Voir: Andr&eacute;e Mercier, &laquo;La vraisemblance: &eacute;tat de la question historique et th&eacute;orique&raquo;, dans <em>temps z&eacute;ro. Revue d&rsquo;&eacute;tude des &eacute;critures contemporaines</em>, no 2 [en ligne]. <a href="http://tempszero.contemporain.info/document393" title="http://tempszero.contemporain.info/document393">http://tempszero.contemporain.info/document393</a> [Page consult&eacute;e le 18 ao&ucirc;t 2010]. Voir aussi: C&eacute;cile Cavillac, &laquo;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle&raquo;, dans <em>Po&eacute;tique</em>, no 101, f&eacute;vrier 1995, p.23-46.<br /> <a name="note3b" href="#note3">3 </a>Je pense par exemple au roman <em>Les Faux-monnayeurs</em> d&rsquo;Andr&eacute; Gide, ou encore &agrave; <em>Je suis un &eacute;crivain japonais</em> de Dany Laferri&egrave;re, dont Genevi&egrave;ve Dufour a rendu compte ici. Voir: Genevi&egrave;ve Dufour, &laquo;Le Japon de poche&raquo;, dans Salon double [en ligne]. <a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-japon-de-poche" title="http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-japon-de-poche">http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-japon-de-poche</a> [Texte en ligne depuis le 5 d&eacute;cembre 2008]. <br /> <a name="note4b" href="#note4">4</a> Traduit en anglais en 1972 par Enakshi Chatterjee, ce court roman d&rsquo;anticipation mythologique est notamment recueilli dans l&rsquo;anthologie <em>Contemporary Bengali Litterature: Fiction</em>, parue en 1972 chez Academic Publishers et dirig&eacute;e par Sukumar Ghose.<br /> <a name="note5b" href="#note5">5</a> Herg&eacute;, <em>Les Bijoux de la Castafiore</em>, Bruxelles, Casterman, 1963.<br /> <a name="note6b" href="#note6">6</a> Indrajit Hazra, &laquo;Tintin, how Art thou?&raquo;, dans <em>Hindustan Times</em>, [en ligne]. <a href="http://www.hindustantimes.com/News-Feed/nm14/Tintin-how-Art-thou/Article1-130366.aspx" title="http://www.hindustantimes.com/News-Feed/nm14/Tintin-how-Art-thou/Article1-130366.aspx">http://www.hindustantimes.com/News-Feed/nm14/Tintin-how-Art-thou/Article...</a> [Texte en ligne depuis le 30 juillet 2006 et consult&eacute; le 16 juillet 2010].<br /> <a name="note7" href="#note7">7 </a>Voir: Simon Brousseau, &laquo;De l&rsquo;exploration &agrave; l&rsquo;obsession&raquo;, dans <em>Salon double</em> [en ligne]. <a href="http://salondouble.contemporain.info/lecture/de-l-exploration-a-l-obsession" title="http://salondouble.contemporain.info/lecture/de-l-exploration-a-l-obsession">http://salondouble.contemporain.info/lecture/de-l-exploration-a-l-obsession</a> [Texte en ligne depuis le 5 mars 2009].<br /> <a name="note8b" href="#note8">8</a> Samuel Taylor Coleridge, <em>Biographia Literaria</em>, volume II, &eacute;dit&eacute; par James Engell et Jackson Bate, Princeton, Princeton University Press (Bolligen Series LXXV / The Collected Works of Samuel Taylor Coleridge. 7), 1983 [1817], p.6. http://salondouble.contemporain.info/lecture/quand-l-auteur-joue-avec-la-metafiction#comments Autorité narrative BORGES, Jorge Luis CAVILLAC, Cécile CERVANTÈS COLERIDGE, Samuel Taylor CORTAZAR, Julio Culture populaire GIDE, André HAZRA, Indrajit Hergé Inde Intertextualité JOYCE, James MERCIER, Andrée Métafiction MITRA, Premendra Postmodernité SHAKESPEARE VILAS-MATAS, Enrique Vraisemblance Roman Thu, 19 Aug 2010 14:48:38 +0000 Pierre-Luc Landry 252 at http://salondouble.contemporain.info Lire les dédales d’un étrange labyrinthe http://salondouble.contemporain.info/lecture/lire-les-dedales-d-un-etrange-labyrinthe <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/perdu-dans-un-supermarche">Perdu dans un supermarché</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Svetislav Basara frappe encore. Son dernier livre traduit en fran&ccedil;ais, <em>Perdu dans un supermarch&eacute;</em>, regroupe vingt-deux nouvelles plac&eacute;es sous le signe des identit&eacute;s narratives troubles. Vingt-deux nouvelles qui pr&eacute;sentent autant de situations &eacute;tranges face auxquelles le lecteur ne sait pas toujours comment r&eacute;agir. Vingt-deux nouvelles qui font penser, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on, &agrave; celles de Kafka, de Borges et de Cort&aacute;zar. J&rsquo;aborderai ce petit ouvrage fascinant en passant par l&rsquo;identit&eacute; des personnages narrateurs, les mises en sc&egrave;nes probl&eacute;matiques de la transmission narrative et les invraisemblances empiriques. </p> <p><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Qui sont donc ces personnages narrateurs?&nbsp;</span></strong></p> <p class="MsoNormal">La majorit&eacute; des nouvelles du recueil sont men&eacute;es par un personnage narrateur &eacute;crivain dont l&rsquo;identit&eacute; rappelle celle de l&rsquo;auteur. Le narrateur, dans la plupart des nouvelles, porte le m&ecirc;me nom que l&rsquo;&eacute;crivain serbe, Svetislav Basara. Il se montre tr&egrave;s souvent en train de performer son geste d&rsquo;&eacute;criture et fait sans cesse r&eacute;f&eacute;rence aux personnages de ses livres pr&eacute;c&eacute;dents (on note plusieurs renvois &agrave; <em>Histoires en disparition</em><strong><a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a></strong>, paru en 2001, entre autres). &Agrave; l&rsquo;occasion, le personnage principal peut s&rsquo;appeler Bob Horn, mais il n&rsquo;agit pas &agrave; titre de narrateur dans ces cas particuliers, puisqu&rsquo;un narrateur extradi&eacute;g&eacute;tique se charge de raconter son (ses) histoire(s). Les nouvelles racontent en g&eacute;n&eacute;ral la crise d&rsquo;identit&eacute; du narrateur Basara, crise qu&rsquo;il vit &agrave; travers des &eacute;v&eacute;nements parfois anodins, parfois extraordinaires. Par exemple, dans la nouvelle &laquo;Histoire d&rsquo;une chute, accompagn&eacute;e d&rsquo;interventions parano&iuml;aques sous forme de corrections, et qui par son titre rappelle les tableaux de Dal&iacute; de la p&eacute;riode 1932-1940&raquo;, le narrateur raconte son histoire tandis qu&rsquo;il tombe du haut de la tour Eiffel (j&rsquo;y reviendrai); dans &laquo;Le cin&eacute;ma o&ugrave; l&rsquo;on projette de mauvais r&ecirc;ves&raquo;, il entre dans l&rsquo;histoire d&rsquo;un film projet&eacute; au cin&eacute;ma auquel le titre de la nouvelle fait r&eacute;f&eacute;rence; dans &laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, le narrateur est enferm&eacute; la nuit dans un supermarch&eacute; et discute de sa condition de personnage avec Dieu; et ainsi de suite. La question de l&rsquo;identit&eacute; traverse presque tous les r&eacute;cits et se d&eacute;cline &agrave; chaque fois un peu de la m&ecirc;me fa&ccedil;on: &laquo;Par moments j&rsquo;ai cru &ecirc;tre toi. En s&rsquo;adressant &agrave; moi, Dieu m&rsquo;a appel&eacute;: po&egrave;te! Je pensais alors &ecirc;tre Bob Horn. Je ne sais pourquoi. Sais-tu, toi, qui je suis? Si tu le sais, pourquoi me le caches-tu? Pourquoi ne veux-tu pas me le dire?&raquo; (&laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, p. 147) Ou encore: &laquo;Je t&eacute;l&eacute;phonais de quelque part pour v&eacute;rifier si j&rsquo;&eacute;tais &agrave; la maison. Je ne voulais pas d&eacute;crocher. Un autre moi se balan&ccedil;ait, pendu dans la salle de bain.&raquo; (&laquo;Un mur&raquo;, p. 89) Aussi: &laquo;J&rsquo;entre dans une chambre et me surprends en train de d&eacute;chirer mes po&eacute;sies de l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; je m&rsquo;appelais Solima B&rsquo;sra, du temps o&ugrave; je m&rsquo;appelais Swetislaw Van de Bassara, du temps o&ugrave; je m&rsquo;appelais Svsltvae Brsaa, et je ne sais si je dois me plaindre ou me m&eacute;priser.&raquo; (&laquo;Explosion&raquo;, p. 117) Qui est donc ce narrateur qui se d&eacute;double, qui se voit lui-m&ecirc;me, qui ne conna&icirc;t parfois m&ecirc;me plus son nom? Les pistes sont brouill&eacute;es, et on pourrait penser qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;une strat&eacute;gie de dispersion et d&rsquo;effacement, que le narrateur ne cherche qu&rsquo;&agrave; perdre celui &agrave; qui il s&rsquo;adresse &agrave; travers ces brouillages d&rsquo;allure &eacute;trange. Notamment, dans la nouvelle &laquo;Un crime parfait&raquo;, celui qui raconte l&rsquo;histoire est bizarrement omniscient, bien qu&rsquo;il ne s&rsquo;identifie pas comme tel dans le r&eacute;cit: &laquo;C&rsquo;est alors que Gruber est entr&eacute; dans le caf&eacute;. Bien entendu, je ne pouvais le savoir puisque je ne suis pas un observateur privil&eacute;gi&eacute;.&raquo; (p. 18) Il ajoute, un peu plus loin: &laquo;[&hellip;] j&rsquo;ai entendu un grincement de freins, puis un coup sourd, semblable au coup de matraque que Gruber recevait sur les reins dans le commissariat voisin o&ugrave; on le tabassait.&raquo; (p. 19) Comment a-t-il pu savoir que Gruber entrait dans le caf&eacute;, comment a-t-il pu savoir qu&rsquo;il se faisait ensuite tabasser, s&rsquo;il n&rsquo;est pas un &laquo;observateur privil&eacute;gi&eacute;&raquo;? Il arrive aussi &agrave; ce narrateur de se prendre pour Dieu, d&rsquo;une certaine fa&ccedil;on: &laquo;Gruber a &eacute;t&eacute; chass&eacute; de son logis parce que j&rsquo;ai eu envie d&rsquo;&eacute;crire une histoire &agrave; la troisi&egrave;me personne&raquo;, dit-il dans la nouvelle &laquo;R&eacute;formateur&raquo; (p. 119), mais il ajoute ensuite que &laquo;[c]&rsquo;&eacute;tait peut-&ecirc;tre aussi la volont&eacute; de Dieu.&raquo; (p. 119) L&rsquo;identit&eacute; et la posture du narrateur sont fuyantes, donc, et le lecteur, &agrave; l&rsquo;image du personnage de la nouvelle qui a donn&eacute; son titre au recueil, se retrouve en quelque sorte &laquo;perdu dans un supermarch&eacute;&raquo; qui vend des narrateurs ambigus, contradictoires.</p> <p class="MsoNormal"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Sc&eacute;nographies &eacute;nonciatives probl&eacute;matiques</span></strong></p> <p class="MsoNormal">En plus des troubles identitaires du narrateur, le lecteur de <em>Perdu dans un supermarch&eacute; </em>doit composer avec certaines situations de transmission narrative qui sont peu probables et qui posent probl&egrave;me. Le lecteur se demande en effet &ndash; et &agrave; juste titre &ndash; comment le personnage peut &eacute;crire son histoire s&rsquo;il est en train de tomber du haut de la tour Eiffel. D&rsquo;autant plus que le r&eacute;cit met l&rsquo;accent sur l&rsquo;acte d&rsquo;&eacute;criture dans ce type de situation tout &agrave; fait impossible: le narrateur tient un discours sur l&rsquo;&eacute;criture de sa chute pendant qu&rsquo;il tombe. Il y a l&agrave; une m&eacute;talepse int&eacute;ressante, &agrave; tout le moins un court-circuit entre les diff&eacute;rents mondes (le monde du personnage qui agit et le monde du personnage qui raconte, entre autres), entre les diff&eacute;rents cadres du texte:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&laquo;Comment arr&ecirc;ter cette chute?&raquo; me suis-je demand&eacute; en commen&ccedil;ant &agrave; prendre conscience de la situation. Je disposais de trois possibilit&eacute;s: 1. rayer &laquo;du haut de la tour Eiffel&raquo; au moyen du signe convenu |----| qui indiquerait au metteur en pages qu&rsquo;il fallait remplacer ce membre de phrase, puis reproduire le m&ecirc;me signe dans la marge et &eacute;crire &agrave; c&ocirc;t&eacute; de celui-ci quelque chose de moins haut, &laquo;d&rsquo;un arbre&raquo;, par exemple; 2. attirer l&rsquo;attention du correcteur sur les cons&eacute;quences possibles, aussi bien litt&eacute;raires et th&eacute;oriques que juridiques; et 3. WU WEI: ne rien faire! (p. 21-22)</span></p> <p class="MsoNormal">D&rsquo;autres situations de transmission narrative sont tout aussi improbables, comme celle de la nouvelle&nbsp;&laquo;Ch&ouml;nyid Bardo&raquo;. D&egrave;s l&rsquo;incipit, le narrateur expose sa position probl&eacute;matique: &laquo;Je suis mort peu avant l&rsquo;aube, mais je n&rsquo;ai pas cess&eacute; d&rsquo;&eacute;crire.&raquo; (p. 127) Plus loin, Bob Horn (son alter ego, peut-&ecirc;tre &ndash; un autre &eacute;crivain, du moins) lui dit: &laquo;Tu t&rsquo;es trop attach&eacute; aux objets et quand tu seras redevenu un mannequin en plastique tu &eacute;criras sur ce sujet dans ta nouvelle Perdu dans un supermarch&eacute;.&raquo; (p. 128) Si l&rsquo;on prend cet avertissement au pied de la lettre, on pourrait penser que la narration de la nouvelle &laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo; est tout aussi impossible: un mannequin en plastique n&rsquo;&eacute;crit habituellement pas d&rsquo;histoires, encore moins s&rsquo;adresse-t-il &agrave; Dieu en lui parlant de &laquo;son auteur&raquo; (celui qui &eacute;crit son histoire, celui qui est responsable de son existence). Le narrateur a parfois des acc&egrave;s de conscience et est inform&eacute; de son statut de personnage. Il dit: &laquo;&Ccedil;a y est. L&rsquo;auteur a profit&eacute; d&rsquo;un de mes moments d&rsquo;inattention pour me marier. Ma femme s&rsquo;appelle Anna, elle a dix-neuf ans et, &eacute;videmment, elle joue du piano.&raquo; (&laquo;Perdu dans un supermarch&eacute;&raquo;, p. 144) Ou encore&nbsp;: &laquo;Il [l&rsquo;auteur] &eacute;crit pendant une ou deux heures, trois tout au plus, puis il sort, alors que moi je reste ici, dans ses plates phrases monotones, dans le supermarch&eacute;.&raquo; (p. 146) Cette situation est d&rsquo;autant plus probl&eacute;matique que le lecteur a &eacute;t&eacute; encourag&eacute; d&egrave;s le d&eacute;but du recueil &agrave; consid&eacute;rer le narrateur comme &eacute;tant une sorte d&rsquo;avatar de l&rsquo;auteur r&eacute;el. Or, si tel &eacute;tait v&eacute;ritablement le cas, il aurait &eacute;t&eacute; lui-m&ecirc;me son propre auteur, comme on l&rsquo;a vu ailleurs (dans &laquo;Histoire d&rsquo;une chute&hellip;&raquo;, par exemple). N&rsquo;emp&ecirc;che que les deux situations soul&egrave;vent chacune leur lot de questions insolubles.&nbsp;</p> <p class="MsoNormal"><strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">D&rsquo;autres impossibilit&eacute;s, encore</span></strong></p> <p class="MsoNormal">Et ce n&rsquo;est pas tout. Il y a dans les nouvelles du recueil quelques infractions au code de vraisemblance empirique, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; ce type de vraisemblance d&eacute;fini par C&eacute;cile Cavillac et qui concerne la conformit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience commune<a name="_ftnref" href="#_ftn2"><strong>[2]</strong></a>. Entre autres, dans la nouvelle &laquo;Le monde merveilleux d&rsquo;Agatha Christie&raquo;, le narrateur a un serpent dans son sein. Ou encore, dans &laquo;La boum fatale&raquo;, les invraisemblances envahissent la di&eacute;g&egrave;se d&egrave;s l&rsquo;incipit:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Tout s&rsquo;est pass&eacute; tr&egrave;s vite: par m&eacute;garde, quelqu&rsquo;un a touch&eacute; Bobby avec le bout embras&eacute; de sa cigarette; l&rsquo;air s&rsquo;est mis &agrave; chuinter et Bobby, en plein milieu de son monologue sur les &eacute;v&eacute;nements les plus r&eacute;cents de la vie londonienne, s&rsquo;est d&eacute;gonfl&eacute;. Il gisait dans un coin, bidimensionnel comme un poster qui se serait d&eacute;coll&eacute; du mur. Mais il ne montrait aucun signe d&rsquo;inqui&eacute;tude; c&rsquo;est tout juste s&rsquo;il regardait avec m&eacute;pris l&rsquo;empot&eacute; qui l&rsquo;avait d&eacute;gonfl&eacute;. (p. 57)</span></p> <p class="MsoNormal">Puis c&rsquo;est tout le monde qui se d&eacute;gonfle ou qui prend en feu. Le monde fictionnel mis en place dans cette nouvelle d&eacute;tonne de l&rsquo;ensemble et positionne ce texte en particulier plut&ocirc;t du c&ocirc;t&eacute; du fantastique, &agrave; tout le moins de la fantaisie. D&rsquo;autres nouvelles pr&eacute;sentent un monde de r&eacute;f&eacute;rence somme toute assez r&eacute;aliste, mais ponctu&eacute; d&rsquo;invraisemblances empiriques plut&ocirc;t d&eacute;rangeantes. Dans &laquo;Souvenirs de la saison de football 1959-1960&raquo;, le narrateur a ferm&eacute; les yeux mais affirme pouvoir continuer de tout voir et continue sa narration comme s&rsquo;il n&rsquo;avait jamais &eacute;t&eacute; incapacit&eacute; par son geste. Et il explique: &laquo;Parce que je traite par le m&eacute;pris la dichotomie POSSIBLE-IMPOSSIBLE. Si je n&rsquo;agissais pas de la sorte, il est peu probable que tout ceci serait possible.&raquo; (p. 39-40) Il est en effet peu probable que tout ceci soit possible. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre ce m&eacute;pris du narrateur pour les lois de la physique, pour l&rsquo;exp&eacute;rience commune de la r&eacute;alit&eacute;, qui fait en sorte que ses troubles identitaires, les situations de transmission narrative impossibles et les invraisemblances empiriques sont rendues possibles dans les nouvelles du recueil. Le lecteur, plut&ocirc;t habitu&eacute; &agrave; cette attitude &laquo;d&rsquo;arrogance&raquo; du narrateur qui se moque du possible et de l&rsquo;impossible, lui accordera peut-&ecirc;tre le droit &agrave; l&rsquo;invraisemblance, &agrave; tout le moins cessera-t-il de chercher &agrave; comprendre; tout, dans Perdu dans un supermarch&eacute;, ne serait en fait que fantaisie.</p> <p class="MsoNormal">En somme, tous les d&eacute;nuements de la fiction, toutes ces fa&ccedil;ons qu&rsquo;a le narrateur de brouiller les pistes, de confondre les niveaux de fiction, tous les accrocs aux codes de vraisemblance contribuent en quelque sorte &agrave; rendre le narrateur encore plus autoritaire. Il d&eacute;montre de cette fa&ccedil;on sa toute puissance, son pouvoir de faire ce qu&rsquo;il veut du r&eacute;cit qu&rsquo;il est en train de construire. Par contre, on pourrait croire que sa cr&eacute;dibilit&eacute; et sa fiabilit&eacute; seraient &eacute;corch&eacute;es au passage. Puisqu&rsquo;on se dit, &agrave; la lecture du recueil, que rien n&rsquo;est vraiment &laquo;vrai&raquo;, que tout n&rsquo;est qu&rsquo;une invention du narrateur, on a peut-&ecirc;tre moins tendance &agrave; adh&eacute;rer &agrave; son r&eacute;cit. Mais encore&hellip; Le lecteur oscille ici, il me semble, entre cr&eacute;dulit&eacute; et incr&eacute;dulit&eacute;, sans pour autant discriminer l&rsquo;une ou l&rsquo;autre des deux postures. C&rsquo;est cette lecture du d&eacute;dale caract&eacute;ristique de l&rsquo;&oelig;uvre de Basara qui le place au-del&agrave; du soup&ccedil;on, parmi ces autres romanciers qui par leur travail participent eux aussi &agrave; la remise en question du contrat de lecture, de l&rsquo;adh&eacute;sion au racont&eacute; et du pacte de l&rsquo;illusion consentie.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;Svetislav Basara, <em>Histoires en disparition</em>, Montfort-en-Chalosse, Ga&iuml;a &Eacute;ditions, 2001.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" href="#_ftnref"><strong>2</strong></a>&nbsp;C&eacute;cile Cavillac, &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle&nbsp;&raquo;, dans <em>Po&eacute;tique</em>, no 101, f&eacute;vrier 1995, p. 23-46.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/lire-les-dedales-d-un-etrange-labyrinthe#comments Autorité narrative BASARA, Svetislav CAVILLAC, Cécile Identité Serbie Vraisemblance Nouvelles Thu, 03 Dec 2009 15:23:00 +0000 Pierre-Luc Landry 200 at http://salondouble.contemporain.info «Est-ce un roman, ou le délire?»: petit voyage dans une Mongolie fabulée http://salondouble.contemporain.info/lecture/est-ce-un-roman-ou-le-delire-petit-voyage-dans-une-mongolie-fabulee <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/guide-de-mongolie">Guide de Mongolie</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Basara, narrateur &eacute;crivain et personnage principal du roman <em>Guide de Mongol</em><em>ie</em> de l&rsquo;auteur serbe du m&ecirc;me nom, doit se rendre en Mongolie pour &eacute;crire un guide, un &laquo;<em>grand reportage sur ce pays perdu au bout du monde</em>&raquo; (p. 20), &agrave; la demande de son ami N.V. qui vient tout juste de se suicider et qui avait promis ce guide/reportage &agrave; la revue <em>&Eacute;poque</em>. Basara voyage donc jusqu&rsquo;&agrave; ce pays d&rsquo;Asie centrale et fait la connaissance de quelques personnages plut&ocirc;t singuliers: Van den Garten, un &eacute;v&ecirc;que n&eacute;erlandais qui a perdu la foi et qui s&rsquo;est retrouv&eacute; l&agrave;-bas pour des raisons &eacute;tranges (pour faire une histoire courte, il a &eacute;t&eacute; fait prisonnier de &laquo;l&rsquo;or&eacute;e o&ugrave; r&ecirc;ve et r&eacute;alit&eacute; s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent&raquo; (p. 32)); Chuck, &laquo;reporter d&rsquo;un journal &eacute;teint depuis longtemps, le <em>Boston Evening New</em>s&raquo; (p. 41); le lama Vladimir Tihonov, un soldat de l&rsquo;arm&eacute;e sovi&eacute;tique converti au bouddhisme; et M. Mercier, un cadavre transfictionnel immigr&eacute; du film <em>Emmanuelle</em> de Just Jaeckin. Charlotte Rampling s&eacute;journe au m&ecirc;me h&ocirc;tel que cette bande de pas-si-joyeux lurons, ainsi que le docteur Andreotti, &laquo;ancien disciple de Jung&raquo;. (p. 51) Le r&eacute;cit est une longue suite de digressions, avec peu d&rsquo;action et beaucoup de bavardage. Pendant une s&eacute;ance de psychanalyse gratuite offerte &agrave; Basara dans une chambre de l&rsquo;h&ocirc;tel Gengis Khan, le Dr Andreotti se transforme en Joseph Kowalsky, &laquo;[f]igure d&rsquo;initiateur qui appara&icirc;t dans plusieurs romans de l&rsquo;auteur, notamment dans <em>Le miroir f&ecirc;l&eacute;</em><a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a>&nbsp;(p. 84) et annonce au personnage qu&rsquo;il est en train de r&ecirc;ver. En apprenant ce fait, celui-ci se r&eacute;veille chez lui, en Yougoslavie. Il se met &agrave; &eacute;crire cette histoire, non sans digresser sur de multiples sujets: son enfance, ses superstitions, la falsification du r&eacute;el par les communistes, une &laquo;divagation m&eacute;taphysique sur la litt&eacute;rature&raquo; (p. 110), son exp&eacute;rience &agrave; travers deux des sept ciels existants, etc. Finalement, alors qu&rsquo;on croit comprendre que tout cela n&rsquo;est qu&rsquo;une invention, que le personnage n&rsquo;est probablement pas all&eacute; en Mongolie et que son ami N.V. ne s&rsquo;est jamais suicid&eacute; (il lui paie d&rsquo;ailleurs une visite et lui parle de son voyage, ce qui en soit pose probl&egrave;me&hellip;), voil&agrave; que Basara re&ccedil;oit une lettre de l&rsquo;&eacute;v&ecirc;que Van den Garten qui lui raconte qu&rsquo;il a retrouv&eacute; la foi et qu&rsquo;il est retourn&eacute; aux Pays-Bas de la m&ecirc;me mani&egrave;re qu&rsquo;il s&rsquo;&eacute;tait rendu en Mongolie. Le roman se termine sur un fac-simil&eacute; d&rsquo;une lettre de l&rsquo;organisation &laquo;Faucons&raquo;, probablement en lien avec les &laquo;Cyclistes &eacute;vang&eacute;liques rosicruciens [&hellip;], [s]oci&eacute;t&eacute; secr&egrave;te fictive<a name="_ftnref" href="#_ftn2">[2]</a>&nbsp;pr&eacute;sente dans plusieurs &oelig;uvres de l&rsquo;auteur&raquo; (p. 76) dont le roman ne parle pas, ou presque. Tout comme le personnage principal, qui se demande &laquo;est-ce un roman, ou le d&eacute;lire?&raquo; (p. 76), le lecteur du <em>Guide de Mongolie</em> peut se demander comment interpr&eacute;ter tout ce qui se trouve dans ce pourtant si petit roman. Je m&rsquo;y attarderai, en empruntant les chemins de la vraisemblance et de l&rsquo;autorit&eacute; narrative pour tenter de mettre un peu d&rsquo;ordre dans ce voyage fabul&eacute; dans une Mongolie tout aussi fabul&eacute;e.<br /> &nbsp;<br /> <strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Invraisemblances empiriques d&eacute;samorc&eacute;es</span></strong></p> <p>C&eacute;cile Cavillac, dans un article intitul&eacute; &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle<a name="_ftnref" href="#_ftn3">[3]</a>&nbsp;&raquo;, d&eacute;finit la vraisemblance empirique comme le type de vraisemblance qui concerne la conformit&eacute; des &eacute;v&eacute;nements &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience commune. Ainsi, un &eacute;v&eacute;nement &eacute;trange ou surnaturel peut &ecirc;tre invraisemblable au point de vue empirique si on ne parvient pas &agrave; l&rsquo;expliquer &agrave; l&rsquo;aide des lois de la nature ou encore s&rsquo;il diverge trop de notre exp&eacute;rience collective de la r&eacute;alit&eacute;. De cette fa&ccedil;on, de nombreux &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit pourraient &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme des invraisemblances empiriques dans <em>Guide de Mongolie</em>: la neige en &eacute;t&eacute;, la terre qui est plate, le temps qui avance par d&eacute;crets, les morts qui forment un syndicat, etc. Toutefois, ces invraisemblances sont pour la plupart d&eacute;samorc&eacute;es par la narration qui tente de les neutraliser en d&eacute;nudant le proc&eacute;d&eacute;. Par exemple, apr&egrave;s &ecirc;tre pass&eacute; &agrave; travers un mur, le narrateur indique qu&rsquo;il n&rsquo;y a &laquo;[r]ien d&rsquo;&eacute;tonnant &agrave; ce que quelqu&rsquo;un passe &agrave; travers un mur. Tout le monde pourrait le faire, mais, par habitude, personne n&rsquo;essaie.&raquo; (p. 25) De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, lorsque celui-ci fait le r&eacute;cit de son enfance, les invraisemblances empiriques de cette gen&egrave;se sont imm&eacute;diatement rattrap&eacute;es par leur caract&egrave;re probablement fictionnel et indiqu&eacute; comme tel par le narrateur lui-m&ecirc;me:</p> <p class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;histoire de ma vie est fondamentalement diff&eacute;rente. Un pur merdier. Je n&rsquo;ai ni p&egrave;re ni m&egrave;re. Je n&rsquo;ai personne. Dieu m&rsquo;a cr&eacute;&eacute; de rien (comme tous les autres hommes) pour que j&rsquo;accomplisse quelques besognes insignifiantes en rapport avec la Providence. Rien de remarquable. Simplement, le 6 septembre d&rsquo;une certaine ann&eacute;e, je suis apparu dans la classe de premi&egrave;re d&rsquo;une &eacute;cole primaire. Avec tout ce qu&rsquo;il fallait&nbsp;: livres, cahiers, mat&eacute;riel scolaire au complet. Et sans aucun complexe, surtout pas freudien. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, je connaissais d&eacute;j&agrave; <em>Hamlet</em> par c&oelig;ur. Mais tout cela n&rsquo;est que divagations. (p. 43)</span></p> <p>Ce mouvement que la narration a, celui de pointer du doigt les invraisemblances de son propre r&eacute;cit, semble souligner le caract&egrave;re d&eacute;lirant de cette fantaisie litt&eacute;raire identifi&eacute;e comme un &laquo;roman&raquo; par l&rsquo;&eacute;diteur (page de garde), mais aussi comme un &laquo;conte philosophique&raquo; en quatri&egrave;me de couverture. Les nombreuses infractions &agrave; la vraisemblance empirique agissent donc ici comme autant de fa&ccedil;ons de souligner la fiction, de la mettre en &eacute;vidence, plut&ocirc;t que comme des accrocs &agrave; un quelconque code. Comme s&rsquo;il fallait mettre &agrave; mal l&rsquo;illusion r&eacute;f&eacute;rentielle, montrer le caract&egrave;re construit de l&rsquo;objet litt&eacute;raire, &agrave; tout le moins r&eacute;v&eacute;ler que &laquo;r&eacute;cit&raquo; est g&eacute;n&eacute;ralement synonyme de &laquo;affabulation&raquo;. La remise en question de la cr&eacute;dibilit&eacute; et de l&rsquo;autorit&eacute; du narrateur participe du m&ecirc;me mouvement.<br /> &nbsp;<br /> <strong><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Fiabilit&eacute; lacunaire et toute-puissance du roman</span></strong></p> <p>Cette Mongolie fabriqu&eacute;e, ainsi que le voyage qui y a men&eacute; le narrateur, semblent plus ou moins &laquo;r&eacute;els&raquo;. Quelle valeur de v&eacute;rit&eacute; accorder &agrave; tout ce que le narrateur raconte? sommes-nous en droit de nous demander, puisque celui-ci est visiblement en train de fabuler. Le narrateur se joue en effet du lecteur en faisant r&eacute;f&eacute;rence &agrave; son &oelig;uvre (celle de Basara, l&rsquo;&eacute;crivain serbe publi&eacute; en traduction fran&ccedil;aise aux &eacute;ditions Les Allusifs), &agrave; ses obsessions d&rsquo;&eacute;crivain, etc. Les brouillages entre la r&eacute;alit&eacute; fictionnelle (la r&eacute;alit&eacute; du texte) et la fiction sont fr&eacute;quents, comme lorsque le Dr Andreotti se transforme en Joseph Kowalsky et qu&rsquo;il annonce au narrateur qu&rsquo;il r&ecirc;ve, qu&rsquo;il n&rsquo;est pas en Mongolie. Cette annonce s&rsquo;av&egrave;re vraie, puisque le narrateur se r&eacute;veille aussit&ocirc;t dans son appartement, en Yougoslavie. On pourrait donc croire, puisque ce n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un r&ecirc;ve, que les invraisemblances et les d&eacute;fauts et incoh&eacute;rences de la narration sont automatiquement excus&eacute;s. Mais voil&agrave; que le narrateur &eacute;crivain emp&ecirc;che cette interpr&eacute;tation ou cette compr&eacute;hension du r&eacute;cit en continuant sur la m&ecirc;me lanc&eacute;e&nbsp;: divagations, digressions et nouvelles invraisemblances empiriques se succ&egrave;dent, m&ecirc;me apr&egrave;s son r&eacute;veil en Yougoslavie. Un peu plus loin dans le r&eacute;cit, le personnage narrateur se plaint de la duret&eacute; de son voyage en Asie, mais, avons-nous besoin de le rappeler?, il n&rsquo;y serait jamais all&eacute;, finalement: &laquo;Ah, quelles &eacute;preuves n&rsquo;ai-je pas d&ucirc; endurer en Mongolie, pour qu&rsquo;&agrave; la fin il s&rsquo;av&egrave;re que ce n&rsquo;&eacute;tait qu&rsquo;un r&ecirc;ve!&raquo; (p. 112) Par contre, quand son ami (suicid&eacute;) veut lui parler de ce m&ecirc;me voyage, le brouillage s&rsquo;intensifie et &eacute;chappe &agrave; la saisie: &laquo;Comment aurait-il pu savoir que j&rsquo;&eacute;tais all&eacute; en Mongolie, si je n&rsquo;y &eacute;tais pas all&eacute;? M&ecirc;me le pays des r&ecirc;ves n&rsquo;est plus un lieu s&ucirc;r. Il semble que certains de ses habitants, esprits &agrave; jamais coinc&eacute;s dans le <em>bardo</em> du r&ecirc;ve, soient des d&eacute;lateurs.&raquo; (p. 115) Le narrateur conclut en disant qu&rsquo;&laquo;[u]n roman est toujours un faux et une construction, quelque effort que fassent l&rsquo;auteur et ses complices, les th&eacute;oriciens, pour d&eacute;montrer le contraire.&raquo; (p. 124) Voil&agrave; une id&eacute;e qui fait &eacute;cho &agrave; celle &eacute;nonc&eacute;e plus t&ocirc;t au d&eacute;but du roman, selon laquelle la&nbsp;&laquo;diff&eacute;rence entre mat&eacute;riaux documentaires et mat&eacute;riaux fictifs est d&rsquo;ordre purement formel et en outre &agrave; l&rsquo;avantage des fictifs, ceux-ci &eacute;tant plus vraisemblables et certainement plus proches de la v&eacute;rit&eacute;.&raquo; (p. 33) Faut-il alors cesser de se poser autant de questions sur le r&eacute;cit et accepter qu&rsquo;un roman, puisque ce n&rsquo;est apr&egrave;s tout qu&rsquo;une construction, fictive de surcro&icirc;t, ne doit pas n&eacute;cessairement faire sens? Cette conclusion pr&eacute;cipit&eacute;e permet &agrave; tout le moins au Basara personnage et narrateur d&rsquo;affirmer son autorit&eacute; narrative. Est-il fiable? Est-ce qu&rsquo;il ment? Est-il parano&iuml;aque? Alcoolique? Ces questions deviennent rapidement inutiles: le petit monde (de fiction) construit par le narrateur r&eacute;pond &agrave; ses besoins, et c&rsquo;est tout ce qui lui importe. Finalement, il semble que <em>Guide de Mongolie</em> soit, en quelque sorte, une prise de position en faveur de la toute puissance du roman, de la litt&eacute;rature. En m&ecirc;me temps que le roman de Basara d&eacute;nonce peut-&ecirc;tre l&rsquo;illusion r&eacute;f&eacute;rentielle, il assied sa toute-puissance sur les conventions du genre et sur le statut ontologique de la fiction.</p> <p><a name="_ftn1" href="#_ftnref">1</a>&nbsp;Svetislav Basara, <em>Le miroir f&ecirc;l&eacute;</em>, Montr&eacute;al, Les Allusifs, 2004.</p> <p><a name="_ftn2" href="#_ftnref">2</a>&nbsp;Les rosicruciens existent, l&rsquo;ordre de la Rose-Croix &eacute;tant une fraternit&eacute; chr&eacute;tienne, en quelque sorte. Les Cyclistes &eacute;vang&eacute;liques, par contre, semblent &ecirc;tre une invention de Basara.</p> <p><a name="_ftn3" href="#_ftnref">3</a>&nbsp;C&eacute;cile Cavillac, &laquo;&nbsp;Vraisemblance pragmatique et autorit&eacute; fictionnelle&nbsp;&raquo;, dans <em>Po&eacute;tique</em>, no 101, f&eacute;vrier 1995, p. 23-46.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/est-ce-un-roman-ou-le-delire-petit-voyage-dans-une-mongolie-fabulee#comments Autorité narrative BASARA, Svetislav CAVILLAC, Cécile Fiction Serbie Vraisemblance Roman Tue, 08 Sep 2009 15:09:00 +0000 Pierre-Luc Landry 152 at http://salondouble.contemporain.info