Salon double - Conte http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/317/0 fr Temps et contretemps dans le conte quignardien http://salondouble.contemporain.info/lecture/temps-et-contretemps-dans-le-conte-quignardien <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/st-onge-simon">St-Onge, Simon </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/triomphe-du-temps-quatre-contes">Triomphe du temps, quatre contes</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify">Par-del&agrave; un intitul&eacute; qui fait tinter l&rsquo;oratorio haendelien, <em>Triomphe du temps</em> emprunte &agrave; la musique son souffle, &agrave; la voix son geste. Il s&rsquo;agit de &laquo;<em>sonates de conte</em><a name="_ftnref1" title="_ftnref1" href="#_ftn1"><strong>[1]</strong></a>&raquo; devant &ecirc;tre port&eacute;es par la voix de Marie Vialle<a name="2x" href="#2xx"><strong>[2]</strong></a>, une voix qui tant&ocirc;t parle, tant&ocirc;t hurle et finalement chante. De la mati&egrave;re scripturale &agrave; sa mise en sc&egrave;ne, de l&rsquo;&eacute;criture quignardienne au jeu vocal de Vialle, le lecteur ou le spectateur est convi&eacute; &agrave; suivre les traces d&rsquo;une recherche, dont Quignard ignore l&rsquo;objet : &laquo;nous cherchons ensemble quelque chose que j&rsquo;ignore.&raquo; (p.i.) Mais cet objet situ&eacute; dans l&rsquo;inconnaissance, gr&acirc;ce au temps du conte, par l&rsquo;exp&eacute;rience temporelle modalis&eacute;e par le conte, on peut le reconna&icirc;tre comme un <em>objet petit a</em>, &laquo;qui bouche un peu le trou de la mort parce que c&rsquo;est aussi la chose qui rempla&ccedil;a un peu le perdu &agrave; la naissance.<a name="_ftnref2" title="_ftnref2" href="#_ftn2"><strong>[3]</strong></a>&raquo; Et cet objet n&rsquo;est pas de notre monde, sinon la fronti&egrave;re entre le royaume des ombres et celui des vivants, la trace du perdu merveilleux, la mati&egrave;re m&ecirc;me du conte qui se rev&ecirc;t de l&rsquo;anachronique.</p> <p align="justify">Chez Quignard, le temps que fait &eacute;prouver le conte est une exp&eacute;rience du Jadis, qui triomphe toujours du temps chronologique pour faire de l&rsquo;extr&ecirc;me contemporain un r&eacute;gime temporel originaire, un &laquo;ce fut&raquo; d&rsquo;aoriste qui fait du maintenant une pointe d&rsquo;enchantement, un contretemps qui fracture le <em>continuum </em>temporel. Cette pointe est pour ainsi dire lanc&eacute;e dans une &laquo;langue au-dessous des langues&raquo;, que Quignard d&eacute;finit comme &laquo;le son d&rsquo;un fragment de peur commune, que chacun &eacute;met sans doute &agrave; sa fa&ccedil;on, et plus ou moins, mais qui erre de l&egrave;vres en l&egrave;vres, sur la protrusion presque sexuelle et toujours d&eacute;nud&eacute;e des visages, au cours des mill&eacute;naires.<a name="_ftnref3" title="_ftnref3" href="#_ftn3"><strong>[4]</strong></a>&raquo; Cette langue en contrebas des langues, ou la &laquo;mutique sous les musiques<a name="_ftnref4" title="_ftnref4" href="#_ftn4"><strong>[5]</strong></a>&raquo; pour le dire comme Lyotard, est une modalisation du silence : elle parle dans le mutisme et dans les tacets comme dans les cris et la musique qui assaille de tous les c&ocirc;t&eacute;s, donc n&rsquo;est pas muette, mais mugit et murmure: elle est le g&eacute;missement originaire. Les quatre contes de <em>Triomphe du temps</em> brisent, d&eacute;passent et d&eacute;coupent ce silence qui n&rsquo;est pas muet, ce qui est une fa&ccedil;on de dire qu&rsquo;ils phrasent et chantent le pathos. Et phraser et chanter le pathos, c&rsquo;est s&rsquo;adonner &agrave; une &laquo;arch&eacute;opathie<a name="7x" href="#7xx"><strong>[6]</strong></a>&raquo; pour reprendre un n&eacute;ologisme de Dominique Viart, &agrave; une recherche de <em>l&rsquo;objet petit a</em>, qui se loge dans cet inconnaissable que Quignard nomme le Jadis.</p> <p align="justify">Quignard pose les indications pr&eacute;liminaires &agrave; la mise en sc&egrave;ne des quatre contes de <em>Triomphe du temps</em> en &eacute;crivant qu&rsquo;il &laquo;fa[ut] un com&eacute;dien masculin muet et Marie seule &agrave; parler &ndash; non seulement seule &agrave; parler mais devant aller jusqu&rsquo;aux hurlements. Puis au chant.&raquo; (p.i.) C&rsquo;est entre le silence de l&rsquo;un et la musique de l&rsquo;autre, c&rsquo;est dans cet entre-deux que point <em>l&rsquo;objet petit a</em>, l&rsquo;<em>agalma</em>, &laquo;l&rsquo;identificateur en personne de ce qui dispara&icirc;t dans la disparition<a name="_ftnref6" title="_ftnref6" href="#_ftn6"><strong>[7]</strong></a>&raquo;, dont le conte cadre et les trois autres qui le ponctuent sont d&eacute;j&agrave; les garants. Car l&rsquo;&eacute;criture quignardienne s&rsquo;emploie d'avance &agrave; r&eacute;v&eacute;ler dans une langue son contrebas, dans la musique annonc&eacute;e le mutique, et ce, dans l&rsquo;&eacute;trange mouvement de la <em>revenance</em>,<em> </em>&agrave; savoir ce qui apporte au pr&eacute;sent un pass&eacute; d&eacute;tach&eacute; de toute chronologie, ce qui r&eacute;actualise la naissance par le tr&eacute;pass&eacute;, ce qui, au final, fait de la naissance et la mort le double tempo de la temporalit&eacute; du conte.</p> <p align="justify">Cette &oelig;uvre est une variation de ce mouvement, une m&eacute;diation d&rsquo;objets petit <em>alter</em>. Le premier conte le manifeste via un &laquo;souvenir&raquo; qui &laquo;&eacute;meut&raquo; (p. 9) et qui condense en lui-m&ecirc;me le lointain et le proche, o&ugrave; le proche se fait tr&egrave;s lointain : &laquo;Mon gars, &ccedil;a fait un si&egrave;cle! disait-elle, m&ecirc;me si je l&rsquo;avais vue un quart d&rsquo;heure plus t&ocirc;t.&raquo; (p. 10) Cette m&egrave;re, toute s&eacute;nescente, s&rsquo;autorise &agrave; toucher &agrave; son fils qu&rsquo;au seuil de la disparition, donnant &agrave; lire dans ses mains ravin&eacute;es le triomphe du temps. Ce m&ecirc;me triomphe est pr&eacute;sent &agrave; la fin de ce conte-cadre, qui reconduit, dans une distension temporelle, le fils vers l&rsquo;enfance et la m&egrave;re &agrave; la grand-m&egrave;re. Apr&egrave;s un &laquo;cri comme seul enfant peut crier&raquo; (p. 72) un cri qui marque le r&eacute;veil de l&rsquo;enfant, la grand-m&egrave;re &laquo;murmure une chanson de son pays&raquo; (p. 74) qui fait aussit&ocirc;t retomber l&rsquo;enfant dans le sommeil, dans l&rsquo;autre royaume. Cette chanson &eacute;voque une &laquo;eau qui chante&raquo; et qui &laquo;porte&raquo; &laquo;l'ombre&raquo; (p. 75) de l&rsquo;enfant, une eau qui fait &eacute;cho &agrave; un des <em>objets petit a</em> que montre la m&egrave;re &agrave; son fils avec un visage extasi&eacute; au d&eacute;but du conte, &agrave; savoir une mare d&rsquo;o&ugrave; la m&egrave;re toute rid&eacute;e revient : &laquo;Elle me montrait sur l&rsquo;herbe l&rsquo;eau de la mare. Elle revenait. Elle s&rsquo;asseyait.&raquo; (p. 12) Dans un autre des contes, cette <em>revenance </em>est par exemple celle d&rsquo;un homme qui erre et qui retrouve sa premi&egrave;re femme devenue maigre et vieille ; ou, dans un autre encore, celle de Dante, qui revient des morts pour discuter avec l&rsquo;enfant Jean Racine, apr&egrave;s que celui-ci, dans son sommeil, lui ait rendu visite chez les ombres, sur les rives du fleuve G&eacute;missement, donc &agrave; l'or&eacute;e de la langue en contrebas des langues, l&agrave; o&ugrave; s'entend la musique mutique qui monte depuis l'autre royaume.</p> <p align="justify">La variation de ce mouvement de <em>revenance</em>, la m&eacute;diation d&rsquo;<em>objets petit a</em>, fait vibrer une pointe d&rsquo;enchantement ou plus pr&eacute;cis&eacute;ment d&eacute;senchante, en ce sens o&ugrave; &laquo;[d]&eacute;sanchanter, [c]&rsquo;est faire venir l&rsquo;esprit dehors. L&rsquo;enchanter ailleurs, le fixer sur autre chose<a name="_ftnref13" title="_ftnref13" href="#_ftn13"><strong>[8]</strong></a>&raquo;, comme sur un autre temps, dans un contretemps. Ainsi, Quignard ne r&eacute;invente pas le conte, il ne le r&eacute;actualise m&ecirc;me pas, sauf si r&eacute;inventer ou r&eacute;actualiser signifie le faire triompher dans une enti&egrave;re contemporan&eacute;it&eacute;, si c&rsquo;est faire fuser du jadis dans le pr&eacute;sent.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" title="_ftn1" href="#_ftnref1">1</a> Pascal Quignard, <em>Triomphe du temps, quatre contes</em>, Paris, Galil&eacute;e, coll. &laquo;Lignes fictives&raquo;, <em>pri&egrave;re d&rsquo;ins&eacute;rer</em>. Les prochaines r&eacute;f&eacute;rences &agrave; ces pages seront identiqu&eacute;es avec l'abr&eacute;viation &laquo;p.i.&raquo; suivant la citation.</p> <p><a name="2xx" href="#2x">2</a> <em>Triomphe du temps</em> a &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute; pour la premi&egrave;re fois au Th&eacute;&acirc;tre de la cr&eacute;ation, en France, le 26 septembre 2006, par la compagnie Le nom sur le bout de la langue.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn2" title="_ftn2" href="#_ftnref2">3</a> Pascal Quignard, <em>Sordidissimes</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;Folio&raquo;, 2005,<em> </em>p. 50.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn3" title="_ftn3" href="#_ftnref3">4</a> Pascal Quignard, &laquo;XXe trait&eacute;, Langue&raquo;, dans <em>Petit trait&eacute; I</em>,<em> </em>Paris, Gallimard, coll. &laquo;Folio&raquo;, 1990, p. 464.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn4" title="_ftn4" href="#_ftnref4">5</a> Jean-Fran&ccedil;ois Lyotard, &laquo;Musique, mutique&raquo;, dans <em>Moralit&eacute;s postmodernes</em>, Paris, Galil&eacute;e, coll. &laquo;D&eacute;bats&raquo;, p. 192.</p> <p><a name="7xx" href="#7x">6</a> Dominique Viart, &laquo;Les fictions critiques de Pascal Quignard&raquo;, <em>&Eacute;tudes fran&ccedil;aises</em>, vol. 40, no 2, 2004, p.31.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn6" title="_ftn6" href="#_ftnref6">7</a> Pascal Quignard, <em>Sordidissimes</em>, Paris, Gallimard, coll. &laquo;Folio&raquo;, 2005, p. 51.</p> <p align="justify" class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn13" title="_ftn13" href="#_ftnref13">8</a> Pascal Quignard, <em>La haine de la musique</em>, <em>petits trait&eacute;s</em>,<em> </em>Paris, Calmann-L&eacute;vy, 1996, p. 278.</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/temps-et-contretemps-dans-le-conte-quignardien#comments France LYOTARD, Jean-François Mémoire Musique QUIGNARD, Pascal Temps VIART, Dominique Conte Wed, 04 Feb 2009 16:19:00 +0000 Simon St-Onge 40 at http://salondouble.contemporain.info