Salon double - Nouvelles http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/323/0 fr État plus que critique http://salondouble.contemporain.info/article/etat-plus-que-critique <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/lefort-favreau-julien">Lefort-Favreau, Julien</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/hors-les-murs-perspectives-decentrees-sur-la-litterature-quebecoise-contemporaine">Hors les murs : perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Il est certes utile de s'interroger sur la place que peut avoir la littérature dans l'espace public en des termes quantitatifs. Voilà une démarche qui nécessiterait des données empiriques, chiffres à l'appui, chronomètre à la main, décompte de mots dans les colonnes des journaux<em>.</em> Nous ne parviendrions toutefois qu'à une réponse partielle, qui laisserait en plan toute la question de la <em>qualité </em>de la place de la littérature au Québec. Partons plutôt de l'idée qu'il importe de mesurer la portion congrue accordée à la critique, notamment parce qu'il s'agit d'un agent à notre avis indispensable dans la formation d'une vie littéraire digne de ce nom, mais également parce qu'elle constitue un antagoniste nécessaire à la vitalité des débats esthétiques. Ou pour le dire autrement: comment penser que la littérature peut s'inscrire dans le vie sociale sans médiation, sans avoir été préalablement <em>reçue. </em>Un champ sans ces tensions et sans ces médiations marque le triomphe d'une industrie culturelle. En lisant le récent <em>Ismes </em>d'Anna Boschetti<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a>, on voit bien l'importance déterminante de la critique dans la formation des différentes avant-gardes des 19e et 20e siècle. Mais est-ce à dire que ce rôle serait périmé et appartiendrait à une époque révolue? Au Québec, il n’est pourtant pas si loin le temps où les critiques, qu'ils soient universitaires ou médiatiques, ou même les deux à la fois (pensons à Gilles Marcotte), avaient encore un rôle prescripteur qui dépassait largement la logique de consommation culturelle. Il est évidemment tentant de pronostiquer le déclin inéluctable des choses. Mais cette vision téléologique supposerait un âge d'or passé. Je ne sais pas si cet éden critique a déjà existé mais, chose sûre, les problèmes avaient déjà commencé en 1992, lorsque le documentariste Marcel Jean signe <em>État critique</em><a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup>[2]</sup></a><em>.</em></p> <p>Dans ce film disponible pour gratis sur le site de l'ONF, on aborde au moins trois problèmes. Marcel Jean s'intéresse d'abord aux rapports pour le moins compliqués entre artistes et critiques. S'il s'agit d'un enjeu quelque peu anecdotique, les interventions geignardes de Sylvie Drapeau, Michel Tremblay ou André Brassard ont le mérite de mettre en évidence une frilosité du milieu culturel qui a fini, sur la longue durée, tuer la possibilité pour les critiques les plus exigeants de pratiquer leur métier en toute liberté. Force est de constater que de ce côté-là, les choses n'ont pas guère changé, la litanie des artistes incompris jouant encore assez régulièrement sur nos ondes. Cette manière qu'ont plusieurs artistes bien de chez nous d'opposer création et critique révèle un anti-intellectualisme qui ne favorise pas exactement une hauteur dans les débats.</p> <p>Le deuxième aspect du film est toutefois plus intéressant pour notre propos. En effet, Marcel Jean se demande quels sont les critères discriminatoires nous permettant d'identifier le métier de critique. Claude Gingras, critique musical de <em>La Presse</em>, et Robert Lévesque, alors directeur des pages culturelles du <em>Devoir</em>, sont interrogés. On y suit également René Homier-Roy, Chantal Jolis et Nathalie Petrowski, notamment sur le plateau de <em>La Bande des Six,</em> émission souvent évoquée avec bienveillance comme un exemple réussi de critique culturelle télévisée. Ceux qui sont maintenant respectés pour leur esprit critique apparaissent, avec le recul, aussi pitoyables que les chroniqueurs d'aujourd'hui dont il peut nous arriver de ricaner entre amis. Homier-Roy et Jolis qui plantent un film de Léa Pool (pauvre Patricia Tulasne qui en prend pour son rhume) avec des arguments d'une très grande faiblesse intellectuelle (sur le mode: «On n’y <em>croit</em> pas») n'est pas un spectacle particulièrement édifiant, même vingt ans plus tard. <em>A contrario, </em>la vigueur critique de Lévesque et Gingras laisse songeur et nous fait regretter une époque où il y avait davantage de fonds disponibles dans les médias écrits et électroniques. Il n'existe maintenant que très peu de critiques qui peuvent pleinement se consacrer à leur mériter, et approfondir leur champ de compétence sur plusieurs décennies. Le film de Jean expose avec beaucoup de clarté un divorce qui est alors en train de se produire, et qui est maintenant totalement accompli, entre les critiques dits professionnels et les pigistes, qui, pour être bon joueur,&nbsp; n'ont pas les moyens matériels de s'extraire du dilettantisme.</p> <p>Le troisième problème exposé par le film s'incarne en la personne de Jean Larose, autrement plus combattif alors que sort son essai <em>L'amour du pauvre. </em>On le voit, en entrevue et sur le plateau de <em>La Bande des Six,</em> tenter de démonter la vaste fraude idéologique que constitue la critique littéraire (ou plus largement culturelle) à la télévision, mettant en cause le triomphe du j'aime/j'aime pas, réflexe qui ne s'appuie ni sur une connaissance historique, ni sur une mise à distance des objets convoqués. Mais plus encore, Larose, qui n'est par ailleurs pas exactement vierge de toute dérive idéologique, fait preuve d'une grande acuité en ce qui concerne le rapport entre la critique et le public. En s'attaquant à l'ensemble du <em>dispositif </em>critique télévisuel, qui ne laisse aucune place à la réflexion et à l'explication des œuvres d'art, la présumée volonté populiste de s'adresser au grand public se transforme en dialogue de sourds où plus personne ne semble s'adresser à quiconque. Larose cerne bien le phénomène: on présume toujours que le public ne s'intéresse pas aux choses «sérieuses», à la réflexion, à la critique informée — on leur en sert donc une version diluée.</p> <p>En 1991-1992, le mal est déjà fait. On parle certes encore de littérature à la télévision, mais on en parle si mal qu'il serait plutôt malvenu d'être nostalgique. Vérification faite, ce n'est donc pas il y a vingt ans que l'air était plus respirable. Quarante ans peut-être? Ça reste à voir. Le champ était passablement exigu dans les années soixante. M'est avis qu'il n'était pas toujours évident de parler sérieusement de littérature sans piler sur l'orteil de son voisin.</p> <p>Les médias électroniques sont incontestablement en déclin. Mais ce n'est certainement pas un déclin qui ne concerne que la littérature et il me semble de peu d'utilité de le déplorer, ou à tout le moins de le déplorer à l'infini. La fermeture de la Chaîne culturelle était une bêtise. Mais on se rend compte qu'elle ne visait pas tant à ostraciser la culture ou la littérature qui y prenait tant de place; elle faisait partie d'un plus vaste sabordage, dans lequel la science ou l'information internationale sont au final tout aussi perdants.</p> <p>La bataille doit se mener sur plusieurs fronts. D'une part, il y a un combat politique à mener pour éviter la précarisation absolue de tous les métiers intellectuels, parmi lesquels on retrouve les journalistes et les critiques. Il serait candide de croire que les débats intellectuels sont indépendants des conditions de vie matérielles de ses différents protagonistes. L'autre bataille à mener fait écho aux propos de Larose dans <em>État critique </em>et concerne la possibilité d'offrir en quelque sorte une voie intermédiaire entre la critique spécialisée universitaire et la critique «promotionnelle». Ce créneau, jadis occupé par la Chaîne Culturelle, existe toujours dans la presse écrite anglo-saxonne. Il n'y pas de&nbsp; raisons pour qu'aucun équivalent à la <em>New York Review of Books </em>se retrouve au Québec, quitte à en adapter les dimensions ou la fréquence à notre marché. Il est nécessaire de multiplier les initiatives, sur diverses plates-formes, afin de résister à cet amenuisement de la parole critique. La bonne santé de la littérature québécoise semble faire consensus (nombre de nouvelles maisons d'édition ont fait leur apparition durant les dix dernières années ainsi que plusieurs auteurs de talent). Le milieu n'est donc pas sclérosé et présente des signes certains de vitalité. Pourtant, tout ce renouveau n'est que trop rarement accompagné par une pensée critique élaborée, qui tenterait d'identifier les nouvelles voix, de dénoncer les impostures intellectuelles, de baliser les pratiques émergentes, de circonscrire l'impact des mutations technologiques ou institutionnelles. Sans cet apport inestimable, il est à redouter que le champ ne soit dominé que par des intérêts mercantiles. Il ne faudrait pas sous-estimer l'ampleur des guerres idéologiques qui font rage dans le monde du livre<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup>[3]</sup></a>.</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> Anna Boschetti, <em>Ismes, </em>Paris, CNRS éditions, 2014.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a> Marcel Jean, <em>État critique, </em>ONF, 1992, 53 minutes.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a> Voir à ce propos:&nbsp; André Schiffrin, <em>L'édition sans éditeurs, </em>Paris, La fabrique, 1999; <em>Le contrôle de la parole, </em>Paris, La fabrique, 2005, <em>L'argent et les mots</em>, La fabrique, 2010.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> Québec Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Théâtre Wed, 22 Oct 2014 14:21:06 +0000 Julien Lefort-Favreau 882 at http://salondouble.contemporain.info Comment les médias parlent-ils de littérature? http://salondouble.contemporain.info/article/comment-les-medias-parlent-ils-de-litterature <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dionne-charles-0">Dionne, Charles</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/hors-les-murs-perspectives-decentrees-sur-la-litterature-quebecoise-contemporaine">Hors les murs : perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>La définition de l’objet «littérature» construite par les acteurs du champ médiatique serait-elle insatisfaisante? La littérature aurait-elle perdu toute sa place chez les médias&nbsp; dits conventionnels?</p> <p>Aborder cette impression de vide&nbsp;littéraire m’a inévitablement fait réfléchir à ce qu’est le <em>conventionnel</em> chez les médias; s’il existe, même, considérant l’investissement du web et des réseaux sociaux opéré par les chaînes télé et radio; si le <em>non conventionnel</em> existe encore; s’il n’est pas disparu avec l’ouverture des blogues, des pages Facebook et des comptes Twitter de <em>V télé</em> et de l’émission <em>Les Chefs</em>. Si la convention appelle le conformisme alors que le non conventionnel agirait sans ces règles ou sans toujours s’y soumettre, il faut maintenant se demander à quel genre de conformisme nous avons affaire dans les médias.</p> <p>Le média <em>plus</em> conventionnel&nbsp;serait, selon ma définition non scientifique, celui grâce auquel on peut apprécier un contenu disponible à un rythme régulier sans avoir à interagir avec un écran, c’est-à-dire qu’après avoir syntonisé une station, ouvert un document papier ou cliqué sur le titre d’un article numérique sur son fil Facebook, il ne reste qu’à écouter ou à lire. À première vue, une certaine idée de passivité se dégage de cette catégorie. On attend de ce type de média qu’il nous informe ou qu’il commente des sujets précis en matière de littérature: nouvelle parution, critique de livre et entrevue avec un auteur par exemple. Télévision, radio, journaux, revues, sites web culturels qui s’inscrivent dans ce type de tradition médiatique semblent appartenir à cette catégorie.</p> <p>De l’autre côté, le média <em>moins</em> conventionnel&nbsp;serait celui qui sait aussi agir autrement (ou mieux, qui agit toujours d’une manière différente): rendant disponible du contenu de manière ponctuelle sans respecter un horaire précis; il produit selon l’urgence et l’instantané autant que selon la fermentation lente des idées qui lui est permise, faute de limites de mots et de date de tombée. On attend, entre autres, de ce type de média qu’il ne répète pas une information disponible chez un média conventionnel et qu’à travers chacun de ses contenus se lise aussi une signature bien reconnaissable: humour, contenu de marge, etc. Média natif du web, fanzine ou blogue qui n’est pas le pendant web d’un autre média viennent tout de suite en tête.</p> <p>La séparation n’est évidemment pas simple. Je la trouve même impossible à réaliser. Mais il me semble possible de dégager des concepts généraux. Ces deux catégories sont des vases communicants: un internaute n’est pas moins passif en lisant sur lapresse.ca une entrevue avec un auteur qu’en lisant sur un blogue une liste des dix meilleures façons, selon l’œuvre de Bukowski, de boire en bobettes un scotch dans un motel sale. Mais c’est peut-être plutôt dans la manière dont on traite la littérature dans un média par rapport à un autre qui peut servir de séparation entre le <em>plus</em> conventionnel et le <em>moins</em> conventionnel. Il me semble que la manière dont les destinataires entretiennent une conversation avec le contenu et ses auteurs permet de réfléchir au concept du conventionnel chez les médias: s’agit-il uniquement d’un simple like, d’un retweet, d’un partage avec le message «Lawl!» en guise de statut Facebook ou est-ce une habitude sur ce média d’entamer une discussion de fond sans limites de mots ou de nombre de réponses entre les lecteurs et les auteurs?</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Médias conventionnels et littérature</strong></span></p> <p>Reste que règne un format connu sur les ondes télé et radio: l’émission littéraire. À la télévision québécoise se partagent le temps d’antenne les émissions <em>Tout le monde tout lu</em> (MATV), <em>Lire</em> (ARTV), <em>La bibliothèque de…</em> (Canal Savoir) et <em>Le Club</em> (Bazzo.tv). À la radio québécoise se partagent les ondes quinze émissions littéraires<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> dont <em>Plus on est de fou plus on lit</em> (RC), <em>Dans le champ lexical</em> (CIBL<em>), Tout nouveau tout biblio</em> (CIAX) et <em>Encrage</em> (CKRL). Le mot d’ordre est souvent la légèreté et le partage d’expériences personnelles&nbsp; de lecture.</p> <p>Les journaux, les revues, les blogues et les médias web, de leur côté, publient actualité, critiques et chroniques littéraires. Se lisent le cahier <em>Livres</em> tiré les fins de semaine par <em>Le</em> <em>Devoir</em>, le cahier «&nbsp;Culture&nbsp;» de <em>La Presse</em>, les articles de voir.ca, les revues <em>Spirale</em>, <em>Entre les lignes</em>, <em>Liberté</em>, <em>Nouveau projet</em>, <em>Lettres québécoises</em>, les articles des <em>bangbangblog.com</em>, etc.</p> <p>Rapidement, l’abondance d’émissions et de médias installe l’idée que la littérature (et même la <em>vraie</em>) est très présente dans les médias. À cet effet, <em>Toutes mes solitudes</em> de Marie-Christine Lemieux Couture publié aux éditions <em>Ta Mère</em> a fait l’objet d’une chronique à <em>Bazzo.TV</em>, tout comme certains livres de Nelly Arcand, de Jean Simon Desrochers et de Catherine Mavrikakis, par exemple. Le premier est publié par une jeune et petite maison d’édition de la <em>marge</em>, les autres sont issues de la littérature enseignée et étudiée à l’université. On ne parle donc pas, dans ces médias, uniquement de l’essai qui a gagné le «&nbsp;prix du public&nbsp;»&nbsp; au Salon du livre 2013 de Ricardo<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>, loin de là.</p> <p>Pourtant, la forme qui entoure ces contenus, elle, est plutôt figée. Que ce soit à la télévision ou à la radio, par exemple, le contenu produit autour de la littérature reste principalement de l’ordre du club de lecture où l’on livre ses impressions personnelles et où parfois des gens issus de la périphérie culturelle (les <em>personnalités</em>) sont invités à participer, ce qui a amené certains commentateurs du milieu littéraire à parler de <em>gildorisation</em> de la littérature (en référence au comédien/chanteur Gildor Roy, participant au club de lecture à Bazzo.tv). Il s’agit d’inviter un intervenant à poser un regard néophyte sur le monde du livre et à jouer le rôle de critique.</p> <p>Mais qu’on se console: c’est une tendance générale. <em>Rotten Tomatoes</em>, par exemple, et <em>IMBD</em> servent à hiérarchiser l’importance des films, mais utilisent principalement l’opinion du public sous la forme de commentaires anonymes pour le faire.</p> <p>Et qu’on comprenne que plusieurs acteurs très pertinents travaillent dans le cadre d’émissions culturelles: Bertrand Laverdure, Alain Farah, Fabien Cloutier, Pascale Navarro, etc.</p> <p>Comme je l’ai annoncé en début d’article, il&nbsp; est très difficile de répondre à la question de la place de la <em>littérature</em> dans&nbsp; les médias.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Médias </strong><strong><em>moins</em></strong><strong> conventionnels et littérature</strong></span></p> <p>De leur côté, témoignant d’une pluralité des approches en matière de littérature, les médias <em>moins</em> conventionnels s’inscrivent, eux, dans une tendance au contenu de niche. En musique, des sites comme <em>10kilos.us</em> s’intéressent uniquement au rap contemporain; en cinéma, <em>Hors Champ</em> publie un contenu critique de fond uniquement; etc. Ainsi, des sites comme <em>Baise livres, Littéraire après tout, Salon double</em>, <em>Cousin de personne</em> ou <em>Poème sale</em> vont tous parler de littérature à leur manière, sans vraiment avoir de visibilité ou de pendant chez les médias conventionnels. Ces médias sont exclusivement accessibles sur le Web. <em>Littéraire après tout</em> utilise l’humour pour commenter le milieu littéraire; <em>Salon Double</em> s’intéresse aux articles de fond; et <em>Poème sale</em> publie directement de la poésie et commente l’actualité en riant de son lectorat, par exemple. La signature d’un média <em>moins</em> conventionnel apparaît à la première lecture.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Une posture de la littérature</strong></span></p> <p>Pour éviter de reprendre les poncifs qui entourent les citations de Marshall McLuhan, je dirai que le format choisi par les différents médias révèle une posture par rapport à la littérature. Si l’humour et l’autodérision de <em>Littéraire après tout</em> et <em>Poème sale</em> viennent calmer le jeu de la lourde artillerie universitaire, le club de lecture dans le format actuel génère l’idée que lire, c’est principalement faire partie d’un grand groupe de lecture mondial dans lequel l’impression personnelle sert de baromètre; que théorie et critique littéraire n’ont plus de place dans ce qu’on considère être la littérature; que n’importe qui a la compétence d’agir en tant que critique littéraire; mais, surtout, que le débat sur la présence, sur l’absence et sur la nuance du rôle du critique littéraire est terminé: plus personne n’a besoin de se faire dire ce qui est bon pour soi.</p> <p>Néanmoins, un déplacement s’est opéré en matière de littérature chez les médias <em>plus</em> conventionnels. <em>Zone d’écriture</em>, la plateforme web de <em>Radio-Canada</em> dédiée à la littérature, n’existe plus. Claude Deschênes a démissionné de son poste de journaliste culturel chez RC, car, selon lui, il n’y a plus assez de place pour la culture en ondes. Sa solution: créer un blogue. Le cahier<em> Auto</em> est beaucoup plus gros que le cahier <em>Culture</em> dans <em>La Presse</em>. Le cahier <em>Livre</em>s du <em>Devoir</em> n’est publié que les fins de semaine. Tout semble indiquer que la littérature est laissée au territoire vierge du Nouveau Monde du Web.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Rejoindre un public</strong></span></p> <p>La réception des textes ou des <em>productions</em> des blogues est un peu différente de celle des médias <em>plus</em> conventionnels. S’il s’agit pour une chaîne déjà existante d’ajouter une émission littéraire au programme, le bassin de destinataires potentiels existe d’office, ce qui n’est pas le cas lors de la création d’un blogue. Pour le blogue, l’idée est donc de rejoindre un public qui n’a jamais visité ce site web, qui ne connait pas encore son existence. Dans tous les cas, l’objectif est identique: rejoindre le plus grand nombre de personnes, tous les intérêts confondus. Simplement, chez les blogues, tout est à faire, chaque fois, pour attirer leurs lecteurs; c’est une éternelle <em>tabula rasa</em>.</p> <p>Néanmoins, le public d’un blogue comme <em>Poème sale</em> me semble assez différent, du moins, du point vue de ses habitudes virtuelles: la recherche active de contenu <em>versus</em> la réception passive du contenu d’une programmation télé ou radio; l’implication prolongée dans une toujours potentielle discussion de fond <em>versus</em> l’écoute et les partages/retweets dirigés. C’est donc en s’intéressant à un sujet spécifique (la poésie contemporaine) d’une manière précise (l’ironie) que Fabrice et moi visons, somme toute, un public qui ne retrouve pas l’expérience d’information qu’il cherche chez les médias actuels. Nos articles et les poèmes que nous publions se retrouvent dans un espace mitoyen, entre notre désir de rejoindre des lecteurs et le désir de certains lecteurs d’être rejoints.</p> <p>Pour ce faire, les outils que nous choisissons et qui nous sont extrêmement utiles pour maximiser notre potentiel de lecture se trouvent évidemment sur le web. Facebook et Twitter sont à la fois des moyens de transmission (partages et retweets d’un article) et de discussion (commentaires sous un article et échange de tweets). Nous n’avons pas d’espaces publicitaires pour inviter les lecteurs à se rendre sur notre site et ne produisons pas d’annonces pour la télé et la radio. Mais je crois que même si nous tentions l’aventure marketing, nous ne serions pas vus par les bonnes personnes. Qui écoute encore la télé?</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Figure du critique</strong></span></p> <p>Dans le milieu littéraire, c’est un truisme qui s’approche de l’insulte à l’intelligence que d’annoncer la disparition de la figure du critique, mais, selon moi, le sujet fait émerger une autre figure, celle du lecteur.</p> <p>Je connais le travail extraordinaire que font les revues littéraires et les sites web qui y sont dévoués, mais l’image construite autour du concept de critique littéraire est complètement désarticulée. Le débat littéraire n’existe pas; les critiques sont neutres ou démesurément dithyrambiques; et le champ lexical du style des auteurs tourne complètement à vide (un style incisif, coup de poing, dîtes-vous). Je ne sais pas si les médias nés du web y pourront quelque chose. Nous utilisons la forme sans limites que nous avons en publiant des articles qui dépassent largement la limite papier habituelle, mais comme l’exprimait Julien Lefort-Favreau<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a>, le lecteur/critique capable de lire une revue littéraire en entier et de tenir une discussion littéraire sans utiliser sans cesse la métaphore de la madeleine de Proust me semble très romantique, mais bien peu présente hors des murs des universités.</p> <p>Pour moi, tout est parti de ce constat: en pleine fin de baccalauréat en littérature, je sentais la vie littéraire se resserrer autour de mes travaux de fin de session et de mes soirées passées au local étudiant de mon département. Où allait la littérature en dehors des mémoires, des thèses et des tablettes des centres de recherche? Nulle part.</p> <p>Quelque chose d’extrêmement heureux s’est produit, pourtant, depuis trois ans: jamais je n’ai vu autant d’événements littéraires. Tout le monde s’y met: librairies, éditeurs, auteurs, producteurs d’événement, universités, galeries. Les réseaux sociaux sont un mécanisme d’encouragement et d’invitations de masse. Être témoin d’une vie littéraire donne envie d’y participer et d’en être un acteur.</p> <p>Fabrice et moi cherchions la littérature de notre époque, nous voulions la lire et la faire lire. Il me semble que jamais elle n’a autant pris la parole.</p> <p>(Fin heureuse)</p> <div> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> UNEQ, en ligne: <a href="http://www.uneq.qc.ca/ecrivains/la-grille-horaire-des-emissions-litteraires-a-la-radio-et-a-la-television">http://www.uneq.qc.ca/ecrivains/la-grille-horaire-des-emissions-litteraires-a-la-radio-et-a-la-television</a>, (Page consultée le 20 septembre 2013).</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[<sup>2</sup>]</a> Le livre «La mijoteuse - de la lasagne à la crème brûlée» a remporté le prix du grand public Salon du livre de Montréal /La Presse dans la catégorie Vie pratique/Essai en 2013.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a> Lors de la table ronde <em>Hors les murs</em>:<em> perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine</em> tenue le 18 octobre 2013 à la librairie Olivieri.</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> Québec Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Théâtre Wed, 22 Oct 2014 14:03:30 +0000 Charles Dionne 881 at http://salondouble.contemporain.info Vendre le livre sans parler de littérature. Le cas du Salon du livre de Montréal et des émissions littéraires télévisées. http://salondouble.contemporain.info/article/vendre-le-livre-sans-parler-de-litterature-le-cas-du-salon-du-livre-de-montreal-et-des <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/letendre-daniel">Letendre, Daniel</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/savoie-bernard-chloe">Savoie-Bernard, Chloé</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/hors-les-murs-perspectives-decentrees-sur-la-litterature-quebecoise-contemporaine">Hors les murs : perspectives décentrées sur la littérature québécoise contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>L’un des lieux communs propagés par les «intellectuels» — universitaires, écrivains et autres spécialistes — est l’amenuisement de la place laissée à l’art dans la sphère publique: diminutions des subventions, disparition des formes d’expressions artistiques dans les médias de masse, etc. On expose chiffres, données, sondages pour convaincre de la véracité de ces propos qui dévoilent, en même temps qu’une insatisfaction quant au traitement public des arts, l’inquiétude de leur survivance. Si le travail des artistes est diffusé avec moins d’ampleur, en effet, ceux-ci ne sont-ils pas relégués à une certaine marge, voire à l’anonymat? Les discours entourant la littérature apparaissent, au Québec comme à l’étranger<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a>, métonymiques de ceux qui concernent l’art. Or pour le dire avec Dominique Viart, «[d]ans le seul univers culturel, les articles et pamphlets sur la “crise” de la littérature et son “déclin” ne datent pas d’aujourd’hui<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a>». Dans le même esprit que celui de ces remarques, il observe que «la fin nous accompagne depuis le commencement. Elle est notre avenir, elle est notre angoisse<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a>.»</p> <p>Cette angoisse naît, d’une part, de la valeur symbolique que l’on attribue à la littérature, souvent placée dans un statut d’exception. Il découle de cette quasi sacralisation la volonté d’assurer coûte que coûte la vitalité et le rayonnement maximum de la littérature et donc, aussi, une éternelle insatisfaction. D’autre part, les racines de cette angoisse se nourrirait également&nbsp; d’un paradoxe qui s’établit entre ce crépuscule de la littérature qu’on ne cesse de dénoncer et la réalité indéniable de la présence du livre dans l’espace public au Québec. Le cœur de la littérature est loin d’avoir cessé de battre, en témoignent&nbsp;le foisonnement des blogues littéraires et les multiples chroniques littéraires publiées dans tous les magazines grand public. C’est à cet écart entre discours et réalité que nous nous attacherons. Les émissions de télévision dédiées à la littérature et les Salon du livre — plus spécifiquement le Salon du livre de Montréal&nbsp; (SLM) —, parce qu’ils sont largement publicisés, se sont révélés les lieux de diffusion possédant la meilleure visibilité. En ce sens, ils constituent les objets d’études que nous privilégierons dans le cadre de cet article pour répondre à la question qui nous occupe: de quoi parle-t-on, lorsqu’on parle de «littérature québécoise»?</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>Le texte en vedette(s) </strong></span></p> <p>Le Festival international de littérature de Montréal, fondé par l’Union des écrivains du Québec en 1994, a pour objectif de faire la promotion de la littérature sous la forme de spectacles et autres évènements où la matière textuelle est mis de l’avant. Le SLM se présente sous d’autres auspices puisqu’il indique, dès son nom, qu’il n’est pas dédié à la littérature, mais bien à l’objet-livre, monnaie d’échange qui permet d’accéder, après l’acquisition du livre, au littéraire. L’aspect commercial de l’évènement se révèle dès qu’on souhaite entrer dans l’enceinte de la Place Bonaventure, où il a lieu chaque année: on doit débourser le coût d’un billet pour être admis au Salon du livre. D’entrée de jeu, le ton est donné.</p> <p>Le mandat du SLM, affirme sa directrice, est de «contribuer au dynamisme du monde de l’édition<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a>». Présentée de cette manière, la visée de l’événement semble d’abord commerciale, le «monde de l’édition&nbsp;» étant le versant monétaire du livre. La qualité, voire le type de <em>textes</em> passe au second plan lorsque vient le temps, pour les organisateurs, de réfléchir à la composition des séances de dédicace et autres tables rondes qui sont parmi les évènements les plus populaires — c’est-à-dire générant le plus d’entrées payantes — du SLM. Les écrivains, non les textes, sont choisis pour attirer les gens. Les mots cèdent leur place aux vedettes littéraires. Comme le remarque Bourdieu, «aujourd’hui, de plus en plus, le marché est reconnu comme instance légitime de légitimisation<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a>». S’il y eut des époques où être populaire était mal vu par les écrivains, qui concevaient le succès monétaire comme une forme de prostitution intellectuelle pour se soumettre aux lois du marché, depuis une quarantaine d’années, c’est <em>a contrario</em> la quantité de livres vendus qui construit la crédibilité d’un auteur. Il n’est ainsi pas fortuit que le&nbsp; conseil d’administration du SLM soit composé de gens dont le métier est de participer à l’essor commercial du livre, soit des libraires, des éditeurs et des distributeurs.</p> <p>De son côté, Radio-Canada, financée par le Ministère du Patrimoine Canadien possède le mandat, selon la loi sur la radiodiffusion de 1991, de «contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a>»; Télé-Québec, subventionnée par le Ministère de la culture et de la communication, est aussi tenue de mettre l’accent sur une programmation culture<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a>. Jusqu’au milieu des années 2000, la programmation des deux chaînes généralistes a conjugué émissions culturelles&nbsp; —&nbsp; ou de variétés — possédant un volet littéraire à des émissions uniquement consacrées à la littérature. Aujourd’hui, il n’existe plus d’émissions strictement littéraires. Les segments dédiés à la littérature sont insérés à des émissions cherchant à rejoindre un public large. Souvent sous un format «clip», ces chroniques font, pour le dire avec Bourdieu, que «la limitation du temps impose au discours des contraintes telles qu’il est peu probable que quelque chose puisse se dire.<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a>»</p> <p>On a varié les formules, les animateurs, les tons, les plages de programmation, tout en désavouant de plus en plus une télévision ayant un parti pris pour l’intellectualisme et l’analyse de fond. La présentation de l’émission <em>Sous les jaquettes</em>, animée par Marie Plourde à TVA en 2005, nous la vendait comme une «émission qui parle de livres, mais sans être une émission littéraire<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><sup><sup>[9]</sup></sup></a>». Jean Barbe, de son côté souhaitait « parler de littérature avec le ton des émissions sportives » à son émission <em>Tout le monde tout lu</em>, toujours diffusée à MaTV. Ce désinvestissement intellectuel se remarque aussi dans le choix des animateurs des défuntes émissions littéraires: Sylvie Lussier et Pierre Poirier, par exemple, vétérinaires de profession, étaient à la barre de <em>M</em><em>’</em><em>as tu lu</em>, diffusé à Télé-Québec de 2004 à 2005. Leur notoriété tenait auparavant à la scénarisation d’émissions jeunesse et de téléromans n’ayant rien à voir avec la littérature, comme <em>B</em><em>ê</em><em>tes pas b</em><em>ê</em><em>tes plus</em> et <em>4 et demi</em>. Ce qui était vrai au début des années 2000 l’est encore aujourd’hui: la peur du discours informé sur la littérature dirige toujours les segments qui l’ont pour objet. En témoigne, toujours à Télé-Québec, les membres du «Club de lecture» de l’émission <em>Bazzo.tv</em>, qui sont issus de tous horizons. Si Pascale Navarro détient une maîtrise en littérature et une solide expérience dans le domaine culturel, ayant entre autres été responsable de la section «Livres» à l’hebdomadaire <em>Voir</em>, on ne peut pas en dire autant de ses collègues, comme le comédien devenu politicien Pierre Curzi ou encore l’animateur Vincent Gratton. Le choix de ces intervenants apparait symptomatique d’une tendance plus large: l’autorité du sujet d’énonciation sur une matière ou un autre provient davantage de son capital symbolique dans le champ médiatique que de ses connaissances réelles du contenu qu’il formule. La <em>personae </em>des critiques littéraires télévisuels, comme celle des écrivains invités sur un plateau télé ou au SLM, prime sur l’objet littéraire et sur les textes. Tant du côté des émissions littéraires que de celui du SLM, la littérature est considérée comme une force d’attraction pour le public, et non pour ce qu’elle est: une forme d’art. L’expérience esthétique que la littérature offre au lecteur est reléguée au second rang, loin derrière sa valeur économique potentielle pour l’industrie culturelle.</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="color:#808080;"><strong>La litt</strong><strong>é</strong><strong>rature comme app</strong><strong>â</strong><strong>t</strong></span></p> <p>«[C]e n'est pas le salon de la littérature, c'est celui du&nbsp;livre<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><sup><sup>[10]</sup></sup></a>», dixit Jean-Claude Germain, président d’honneur du SLM de 1990 à 1998. Cette simple phrase résume parfaitement la confusion qui règne au Salon du livre, comme à la télévision, quant à la réalisation du mandat fixé. Si les incohérences des émissions littéraires télévisées tiennent davantage au médium — nous y reviendrons —, celles mises en lumière par Germain au sujet du SLM ont plus à voir avec la composition du champ littéraire lui-même. Divisé en une sphère de grande production, fondée sur la reconnaissance économique, puis une autre de diffusion restreinte, où les pairs sont les juges de la valeur d’une oeuvre<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><sup><sup>[11]</sup></sup></a>, le champ littéraire inclus également les lieux de diffusion que sont le SLM et la télévision. Alors que le FIL s’installe dans l’espace mitoyen dessiné par l’entrecroisement du champ de production restreinte et celui de grande production, le Salon du livre, lui, n’a pas à prendre position puisque le <em>livre</em> et les auteurs sont à l’honneur et non le texte, la littérature<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><sup><sup>[12]</sup></sup></a>.</p> <p>Les liens entre les différents actants de la scène du livre au SLM n’est pourtant pas aussi simple qu’il en paraît au premier abord. La plus grande confusion règne quant au statut des écrivains qui y sont invités. Leur présence à la Place Bonaventure dépend de l’équilibre entre les capitaux symbolique et économique amassés. Sans succès public l’écrivain n’a, aux yeux des organisateurs, aucun pouvoir d’attraction. Or une fois dans l’enceinte du SLM, le symbolique acquis au fil des ventes de livres se met au service de l’économique, l’écrivain étant sur place pour deux raisons: susciter des entrées payantes et faire vendre des livres. Les séances de signatures et les rencontres de type «confidences d’écrivain» participent à cette transformation du symbolique en économique. Passé la guérite, l’écrivain perd une part de son capital symbolique pour devenir, en priorité, le producteur d’un bien culturel. Bien que le texte ait attiré le public vers les guichets du SLM, c’est le livre, objet de papier et d’encre nécessitant une dépense, qui a le pouvoir de permettre le face à face entre le lecteur et l’écrivain lors des séances de signature. De même, les rencontres avec les auteurs sont orientées vers leur vie personnelle, leurs habitudes d’écriture, les contraintes de la vie d’écrivain et très rarement vers le texte lui-même, l’expérience esthétique qu’il condense et propose<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><sup><sup>[13]</sup></sup></a>.</p> <p>La soumission du symbolique à l’économique englobe également le «mode de production» de la littérature, c’est-à-dire les règles et codes d’écriture qui définissent les genres. En choisissant d’honorer tel ou tel écrivain, le SLM donne son appui à certains genres plutôt qu’à d’autres. C’est sans surprise que le roman prend la pôle position des modes de production privilégiées par les organisateurs du SLM. Si l’on s’en tient seulement aux invités d’honneur québécois, 54 % d’entre eux sont romanciers, alors que leurs plus proches rivaux, les poètes, forment 12,5 % des invités. Selon les mots écrits en 1995 par Mario Cloutier, alors journaliste au <em>Devoir</em>, «pour attirer [l]e public, qui s'ignore parfois, le roman sert toujours d'appât<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><sup><sup>[14]</sup></sup></a>». En apparence anodine, cette citation révèle de manière précise la logique qui sous-tend l’usage de la littérature pour le SLM: elle est un <em>leurre</em> pour un public qui, si ce n’étaient de ces écrivains vedettes, se préoccuperait sans doute peu de ce salon. La mise en évidence de la littérature au SLM n’est pas au service des textes et de l’art, mais bien à celui de l’industrie.</p> <p>L’incongruité entre la mission des émissions littéraires télévisées et sa concrétisation est moins pernicieuse: elle tient davantage à une réalité du champ médiatique. La télévision appartient à ce qu’on appelle communément un «média de masse», une voie de communication qui peut rejoindre et influencer un très grand nombre de gens en même temps. La télévision est le plus efficace de ces médias puisqu’elle répond parfaitement aux quatre traits essentiels des médias de masse définis par Marshall McLuhan<a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><sup><sup>[15]</sup></sup></a>: la communication à sens unique, l’unilatéralité du message, l’indifférenciation et la linéarité de l’information. Toute personne regardant la télé — mais il faudrait maintenant revoir ces conclusions à l’ère des médias sociaux —, qu’il soit spécialiste ou non, est inclus dans l’entité «spectateur». L’écueil rencontré par les émissions littéraires télévisées n’est pas le fait, comme le laisse entendre le lieu commun, de l’écart entre la culture de masse, dont la télé serait le mode de diffusion privilégié, et la «haute culture» dont la littérature ferait partie<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><sup><sup>[16]</sup></sup></a>; il tient plutôt à l’indistinction entre la masse à laquelle s’adresse la télévision, et le lecteur, à la fois unique et multiple, concerné par le livre lu. Impliqué dans sa lecture, le lecteur ne trouve aucune trace de cette expérience dans le compte rendu qui lui est fait d’un livre à la télévision, qu’il soit produit par un spécialiste ou non. À l’opposé, il trouvera un intérêt à entendre parler l’auteur du livre, non seulement parce qu’il possède une réserve plus ou moins élevée de capital symbolique, mais parce que l’expérience de la lecture peut trouver une forme d’élucidation dans l’expérience de l’écriture. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris les dirigeants de Radio-Canada, comme le rapporte Guylaine O’Farrell, porte-parole de Radio-Canada en 2006: «On pense que c'est plus intéressant pour le public d'avoir une émission culturelle dans laquelle on parle de livres, comme <em>Tout le monde en parle</em>, <em>La Fosse aux Lionnes</em>, <em>Bons Baisers de France</em>, etc. Des auteurs y sont souvent invités.» Or les émissions énumérées ici n’ont rien de culturelles: elles appartiennent à la catégories des émissions de variétés, des «talk show» où les invités partagent anecdotes et autres expériences personnelles. On n’y parle pas littérature, mais vie d’auteur, tout comme les intervieweurs se restreignent souvent à l’expérience d’écriture des auteurs lorsque vient le temps, au Salon du livre, de le rassembler pour une table ronde. Notons par ailleurs que les écrivains invités dans les émissions culturelles sont souvent les mêmes: on peut penser à Dany Laferrière, qui poursuit depuis les années 80 une carrière médiatique importante en tant que chroniqueur dans différentes émissions de Télé-Québec et&nbsp; de Radio-Canada. Plus que son travail d’écrivain, par ailleurs légitimé par plusieurs instances, c’est davantage sa personnalité médiatique, charismatique, qui est recherchée par les producteurs qui se l’arrachent. Autre exemple du rabattement du texte sur la personnalité de son auteur: le passage polémique de Nelly Arcan sur le plateau de <em>Tout le monde en parle</em>, où Guy A. Lepage l’interrogeait sur des sujets qui n’avaient rien à voir avec son œuvre, se penchant plutôt sur ses vêtements révélateurs et son passé de prostituée. Parce la littérature ne passe pas à la télévision, on en fait donc un spectacle.</p> <p>Si l’impression tenace des universitaires et écrivains ne passe pas l’épreuve des faits — la littérature n’a en effet jamais disparu de la sphère publique et des lieux de diffusion de masse, au contraire —, force est de constater qu’il y a tout de même confusion dans les lieux de grande diffusion sur l<em>’</em><em>objet</em> désigné comme «littérature». Tant les émissions littéraires que les Salons du livre présentent sous cette appellation l’une ou l’autre de ses dimensions: le livre, l’écrivain, le processus d’écriture, etc. Or cette métonymie ne devrait-elle pas réjouir les passionnés? Comme le dit l’adage: «Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en!» On peut déplorer la transformation en spectaculaire de la littérature ou encore sa soumission aux lois économiques, mais il faut tout de même reconnaître qu’elle occupe un espace privilégié dans le milieu culturel, espace auquel n’ont droit ni la danse ni les arts visuels. Si on persiste à insérer des segments sur la littérature dans les émissions de variétés, à faire une large place aux écrivains dans les Salons du livre, c’est peut-être qu’on considère la littérature non seulement comme un argument de vente, mais comme une donnée essentielle de la culture. C’est une bonne nouvelle.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <div><br clear="all" /><br /> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><sup>[1]</sup></sup></a> Pensons notamment au débat qui a opposé Donald Morrisson et Antoine Compagnon, alors que le premier arguait que la culture en France ne possédait plus l’aura de lustre qui l’auréolait depuis plusieurs siècles, thèse que réfute le second. Leurs réflexions sont présentées de façon simultanée dans <em>Que reste-il de la culture fran</em><em>ç</em><em>aise </em>suivi de <em>Le souci de la grandeur</em>, Paris, Denoël, 2008.</p> </div> <div id="ftn2"> <p><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><sup>[2]</sup></sup></a>Dominique Viart, «Les menaces de Cassandre et&nbsp;le&nbsp;présent de la littérature. Arguments et enjeux des discours de la fin» dans Dominique Viart (dir.), <em>Fins de la litt</em><em>é</em><em>rature, esth</em><em>é</em><em>tique de la fin</em>, Paris, Armand Colin, page.</p> </div> <div id="ftn3"> <p><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><sup>[3]</sup></sup></a> <em>Idem</em>.</p> </div> <div id="ftn4"> <p><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><sup>[4]</sup></sup></a>&nbsp;Communiqué&nbsp;de&nbsp;presse&nbsp;«Thème&nbsp;du&nbsp;Salon»&nbsp;2010.&nbsp;En&nbsp;ligne&nbsp;:&nbsp;<a href="http://www.salondulivredemontreal.com/dossierdepresse_2010.asp">http://www.salondulivredemontreal.com/dossierdepresse_2010.asp</a>. (Page consultée le 10 septembre 2014)</p> </div> <div id="ftn5"> <p><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><sup>[5]</sup></sup></a> Pierre Bourdieu, <em>Sur la t</em><em>é</em><em>l</em><em>é</em><em>vision</em>, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2008 (1996), p. 28</p> </div> <div id="ftn6"> <p><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><sup>[6]</sup></sup></a> Mission de CBC/Radio-Canada, en ligne : <a href="http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-et-politiques/programmation/politique-des-programmes/1-1-1/">http://www.cbc.radio-canada.ca/fr/rendre-des-comptes-aux-canadiens/lois-et-politiques/programmation/politique-des-programmes/1-1-1/</a>. (Page consultée le 7 septembre 2014)</p> </div> <div id="ftn7"> <p><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a> Tout sur Télé-Québec, en ligne: <a href="http://www.telequebec.tv/corporatif/?section=presentationprojetemission">http://www.telequebec.tv/corporatif/?section=presentationprojetemission</a>. Dernière consultation le 7 septembre 2014. (Page consultée le 7 septembre 2014)</p> </div> <div id="ftn8"> <p><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><sup>[8]</sup></sup></a>Pierre Bourdieu, <em>op.cit.</em>, p.13.</p> </div> <div id="ftn9"> <p><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><sup><sup>[9]</sup></sup></a>Steve Proulx, <em>Bons baisers de France</em>, <a href="http://voir.ca/chroniques/angle-mort/2005/05/12/bons-baisers-de-france-cellule-antigang-sous-les-jaquettes-defi-guerrier-miss-america-2/">http://voir.ca/chroniques/angle-mort/2005/05/12/bons-baisers-de-france-cellule-antigang-sous-les-jaquettes-defi-guerrier-miss-america-2/</a>, (page consultée le 5 septembre 2014).</p> </div> <div id="ftn10"> <p><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><sup><sup>[10]</sup></sup></a> Cité par Mario Cloutier, «Salon du livre. Le livre, ça se mange&nbsp;!», <em>Le Devoir</em>, mercredi 8 novembre 1995, p. A3.</p> </div> <div id="ftn11"> <p><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><sup><sup>[11]</sup></sup></a> Sur la composition du champ littéraire, voir Pierre Bourdieu, <em>Les r</em><em>è</em><em>gles de l</em><em>’</em><em>art. Gen</em><em>è</em><em>se et structure du champ litt</em><em>é</em><em>raire</em>, Paris, Seuil, 1992.</p> </div> <div id="ftn12"> <p><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><sup><sup>[12]</sup></sup></a> On ne peut évidemment soustraire le FIL du champ économique : certains spectacle sont payants, et parfois à un prix non négligeable. Néanmoins, si le SLM vend des livres, le FIL vend des textes (et du spectacle).</p> </div> <div id="ftn13"> <p><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><sup><sup>[13]</sup></sup></a> On peut trouver les enregistrement des «Confidences d’écrivain» de 2005 à 2013 sur le site Internet du SLM, en ligne : <a href="http://www.salondulivredemontreal.com/invites.asp?annee=2005">http://www.salondulivredemontreal.com/Invites.asp?Annee=2005</a></p> </div> <div id="ftn14"> <p><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><sup><sup>[14]</sup></sup></a> Mario Cloutier, «Salon du livre. Le livre, ça se mange!», <em>loc. cit</em>.</p> </div> <div id="ftn15"> <p><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><sup><sup>[15]</sup></sup></a> Marshall McLuhan, <em>Pour comprendre les m</em><em>é</em><em>dias. Les prolongements technologiques de l</em><em>’</em><em>homme</em>, trad. de Jean Paré, Montréal, HMH, 1968 [1964].</p> </div> <div id="ftn16"> <p><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><sup><sup>[16]</sup></sup></a> Cette idée reçue a la couenne dure, non seulement dans le discours des dirigeants d’entreprises médiatiques et animateurs d’émission littéraires, mais également chez les universitaires occupés de littérature. Si les premiers disent ouvertement considérer la littérature comme un loisir, ou vouloir faire un émission littéraire aux allures d’«une émission sportive», pour rapporter de nouveau les propos de Jean Barbe, les seconds s’interrogent sérieusement à savoir si «la grande littérature, celle qui se trouve marquée du sceau de la durabilité, pourra […] survivre dans ce marché de consommation rapide.» (Denis St-Jacques)</p> </div> </div> <p>&nbsp;</p> Québec Sacré Société de consommation Sociologie Essai(s) Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Théâtre Wed, 22 Oct 2014 13:47:51 +0000 Chloé Savoie-Bernard 880 at http://salondouble.contemporain.info La perversion, variations mineures et tableaux grandeur nature http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-perversion-variations-mineures-et-tableaux-grandeur-nature <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/herve-martin">Hervé, Martin</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/variations-endogenes">Variations endogènes</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/lenfer-en-bouteille">L&#039;Enfer en bouteille</a> </div> </div> </div> <p>Des corps déchiquetés, des corps suicidés, malades, violés, farandole de corps désarticulés, abattus par les soubresauts de l’excès ou de la démence, corps scotchés ou corps <em>sadisisés</em>: la gesticulation charnelle et macabre à laquelle invite le nouveau livre de Karoline Georges, <em>Variations endogènes</em>, affiche indéniablement un goût pour l’outrance. Outrance que l’auteure injecte en intraveineuses aux personnages traversant les nouvelles de son recueil apparenté à un «cabinet des perversités». Ces monstres du quotidien, individus non pas éperdument abjects mais tranquillement repoussants, tiennent-ils les promesses du programme énoncé par l’écrivaine ou bien se cantonnent-ils à ne susciter que malaise et aversion?</p> <p><!--break--><!--break--></p> <p><span style="font-family: Arial; color: rgb(35, 35, 35);">Certes, la poubelle de l’âme humaine s’hume ici à pages ouvertes.&nbsp;</span><span style="font-family: Helvetica;">Certes, la poubelle de l’âme humaine s’hume ici à pages ouvertes. On y renifle à pleins poumons les fumets sordides d’une mère accueillant sur son lit de mort sa fille vengeresse et fratricide, ceux d’une épouse qui se repaît du calme retrouvé auprès du cadavre refroidi de son poitrinaire de mari, ou encore, les remugles rejetés par des enfants aguichant des pédophiles pas franchement finauds pour mieux les détrousser.</span>&nbsp;Sensations glaçantes et dégoût assurés. Karoline Georges maîtrise son sujet avec brio, elle mène ses récits tambour battant. N’est pas finaliste au prix des libraires du Québec 2012 le premier écrivaillon venu (pour son récit <em>Sous bêton</em>, paru lui-aussi chez Alto). Les chutes surgissent ici à point nommé, plongeant le lecteur dans un effroi que les pages précédentes avaient tâché d’attiser. Pourtant, le procédé, tout rôdé qu’il soit, finit par (s’)épuiser, la machine s’enroue à force de répétitions et l’on se prend à devancer les combines d’écriture de l’auteure qui s’évertue sans cesse à mieux nous troubler. Reconnaissons toutefois que certains textes du recueil ressortent du lot, tel ce délire kafkaïen et résolument à part qu’est le «&nbsp;Lieu&nbsp;». Des projets d’agrandissement et de rénovation d’une maison conduisent un couple d’amoureux acheteurs à plonger toujours plus loin dans l’angoisse, car la ruine se dévoile au fur et à mesure que les travaux percent toujours plus loin le corps de granit de la bâtisse, alourdissant tant la facture que la belle passion. L’effondrement est un créancier insatiable.</p> <p>Le style de Karoline Georges n’est pas en reste, se montrant tant alerte que polymorphe, capable de tirer de ses circonvolutions toute une gamme d’émotions et de descriptions percutantes. Nonobstant tous ces bons points, le lecteur l’aura compris, la <em>sauce perverse</em> ne prend pas. La faute sans doute au traitement qu’en fait l’auteure – flirtant par certains moments avec un angélisme douteux – et sans doute aussi, à l’architecture même de ses récits indépendants. Catalogue des rêves les plus noirs, les <em>Variations endogènes</em> ne parviennent pas à éveiller le lecteur à la démesure renversante de la scène de la perversion, à ce manège d’illusions, de mensonges et de faux-semblants où autrui n’est promis qu’à la destinée d’objet. Si Karoline Georges retient le gras de la perversion, ses aberrations et déviances sexuelles, ses tueries réelles ou fantasmées et son cynisme, elle en oublie la substantifique moelle : l’art du déni, sublime grâce du sujet pervers, et sa volonté subversive qui n’a jamais totalement fait une croix sur l’Autre.</p> <p>Au lecteur assez tordu pour désirer contempler l’abîme pervers, nous ne pouvons que recommander la spirale cauchemardesque du <em>Rêve québécois</em> de Victor-Lévy Beaulieu, paru pour la première fois en 1972 et dont le pouvoir d’abjection ne s’est toujours pas effrité. Plus récemment, la publication de <em>l’Enfer en bouteille</em> présente aux plus téméraires une mise en images de fantasmes grouillants par le maître du manga horrifique japonais et de l’<em>ero guro</em>, Suehiro Maruo. Si les histoires compilées dans ces mangas pêchent souvent par leur légèreté narrative, force est de constater qu’elles sont le terreau privilégiée pour une moisson visuelle de délires pétris de ténèbres que le style du maître sublime. Sous ses doigts, c’est la nature même qui conspire à rapprocher indiciblement les corps d’un frère et d’une sœur prisonniers d’une île déserte et d’une passion grandissant sous l’œil borgne d’un Dieu de rocailles et d’embruns. Insectes, serpents, fleurs aux pistils menaçants et pieuvres déployées, un essaim de créatures, doucement, s’avance et envahit la page pour mieux manifester le désir étreignant les adolescents, autrefois enfants aimables élevés dans la foi catholique, mais dont le retour à l’état de nature et la puberté annoncent la montée des eaux sauvages. Incontestablement, le texte qui donne son titre au recueil en est le joyau.</p> <p>Même si elles sont plus secondaires, il ne faut toutefois pas négliger les variations japonisantes autour de la tentation de Saint-Antoine ou le récit de la concupiscence ordinaire rehaussé par le motif quasi fétichiste de la rondeur – rondeur du crâne chauve d’un masseur ô combien vénal, rondeur du miroir ou du trou par lequel on épie et convoite son voisin, rondeur des gâteaux de riz que l’on avale jusqu’à l’étouffement… L’imaginaire a ici ses quartiers, et chacun des personnages délicatement tracés par Maruo ne paraît pouvoir échapper à son emprise aliénante. La jouissance, elle, demeure marquée du sceau de l’<em>im-monde</em>, de l’hors-monde. Au lieu de s’abandonner au plaisir, on divague et vagabonde dans des rêves de liberté, de richesse et de transgression. Le royaume pervers n’est jamais vraiment à notre portée, mais il a ses enclaves bien gardées que nous serions bien en peine de reconnaître, sises à l’ombre des monts de notre conscience éclairée. Ainsi, plus que des histoires de pervers, Maruo propose une série de tableaux <em>pervertis</em> où l’imaginaire totalitaire et saturé de fantasmes trouve un écrin des plus réussis. Si, suivant Freud, la perversion s’ancre à l’orée de la sexualité, il y a tout lieu de penser que ce qui se trame sous&nbsp;<span style="color: rgb(0, 0, 0); font-family: Helvetica;">les yeux du lecteur médusé trouve quelques reflets dans l'arrière-fond de ses prunelles</span>. Pour son plus grand désarroi? Qui sait, il suffit de tourner la page et de jeter son regard par le trou ainsi dévoilé...</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-perversion-variations-mineures-et-tableaux-grandeur-nature#comments Altérité GEORGES, Karoline Japon MARUO, Suehiro Perversion Psychanalyse Québec Bande dessinée Nouvelles Wed, 08 Oct 2014 14:08:13 +0000 866 at http://salondouble.contemporain.info Entre la honte et l’image http://salondouble.contemporain.info/article/entre-la-honte-et-limage <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gravel-jean-philippe">Gravel, Jean-Philippe</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/burqa-de-chair">Burqa de chair</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/litteratures-doutre-tombe-ouvrages-posthumes-et-esthetiques-contemporaines">Littératures d’outre-tombe: ouvrages posthumes et esthétiques contemporaines</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Nelly Arcan (Isabelle Fortier) s’est tuée le 24 septembre 2009. Le tranchant de son verbe, la précision constante de sa phrase prouvaient qu’elle traitait l’écriture en orfèvre, quel qu’en soit le support, de la publication au Seuil aux chroniques qu’elle publia dans le maintenant défunt hebdomadaire culturel de Québecor, <i>Ici</i>, qui furent d’ailleurs les seuls textes que je lus d’elle de son vivant. En apprenant qu’elle s’était tuée, je me rattrappai aussitôt, lisant tous ses livres en succession, non sans éprouver la honte de m’être mis à la lire parce qu’elle était morte. Je me sentais idiot.</p> <p class="p1">Quand Nelly était vivante il m’arrivait de penser à elle. L’apparition de cette voisine de pupitre lors d’un séminaire sur des textes freudiens, élégante jusqu’à l’intimidation, avait été notre seule «rencontre» et nous n’avions pas échangé un mot, à mon grand regret, parce qu’elle écrivait un mémoire sur le Président Shreber dont le cas m’obsédait également. Ça, c’était Isabelle Fortier. Arcan, quant à elle, serait cette créature médiatique propulsée dans le monde par <i>Putain</i>, corsetée dans une image dont elle dénonçait par ailleurs l’emprise perverse. Le personnage n’était pas à une contradiction près, mais le chaland ne se doutait pas d’à quel point ces contradictions lui étaient déchirantes. &nbsp;</p> <p class="p1">La mort n’est pas tragique en soi. Le suicide, cependant, l’est, et le suicide d’un écrivain (j’avoue mon biais en cette affaire)&nbsp;l’est peut-être un peu plus encore. Se tuer, c’est arracher une mort qui aurait dû rester confiée au vieillissement, aux maladies, aux accidents, à ces forces de hasard qui nous dépassent toujours un peu, afin d’en faire sa propre chose; c’est conférer à sa mort l’allure d’une question à jamais soulevée sans espoir de réponse, à la fois dernier mot et secret emporté avec soi. Le suicide est une manière de faire tomber sa mort sous le sens, et on comprend qu’il tente les écrivains, pour qui se pose la question du sens avec acuité.&nbsp;</p> <p class="p1">Là encore, quand il se suicide, l’écrivain fait entendre à quel point il se place <i>contre </i>une vision établie des choses. Le geste dément avec éclat le fantasme de l’«écriture réparatrice», sorte de voie royale du dépassement des traumatismes et de la souffrance personnels couramment promulguée par les gourous de la résilience. On ne se reconstruit pas toujours par le biais de ce qu’on écrit. Le contraire peut tout autant se produire, et c’est alors les puissances mortifères qui gagnent ici en puissance à force de s’incarner dans des formes artistiques «légitimes». À son tour, l’identification fusionnelle de l’auteur à sa parole, opérée de l’extérieur, vient apporter des munitions. <i>Putain</i><b> </b>a eu beau être un récit ayant la rigueur d’un traité, c’est, trop souvent, au passé d’escorte de Nelly Arcan que les médias l’ont ramené, ramenant ainsi l’auteure vers ce avec quoi elle cherchait peut-être à rompre. Or, pour peu qu’on sache concevoir que, dans un texte, <i>ça</i> parle, un récit devrait pouvoir se tenir tout seul, hors de ses référents biographiques, auctoriaux. <i>Putain</i><b> </b>s’autosuffisait parfaitement: avec son titre en forme d’anathème et de label infâmant, <i>Putain</i><b> </b>(comme <i>Folle</i><b> </b>après lui), accomplit ce que devrait accomplir toute littérature&nbsp;la moindrement sérieuse. Il atteint un niveau fondamental de l’expérience par lequel l'écrit se présente comme l’objet-dépositaire d’une <i>conscience du monde</i> ou d’un monde qui, à la manière d’une lentille phénoménologique, se pose ensuite sur le nôtre afin que nous puissions l’observer par ses yeux.&nbsp;</p> <p class="p1"><b>Le regard de «Putain»</b></p> <p class="p1">On devine facilement qu’un discours comme celui de <i>Putain</i><b> </b>n’a pas été facile à porter, que son origine se trouve dans une grande souffrance, et ainsi de suite, mais le livre n’en est pas moins écrit de telle sorte –c’est un de ses grands mérites– que c’est moins Nelly Arcan (son passé, son histoire) qu’il cherche à nous faire entendre que <i>le sujet même de la prostitution</i> –prostitution promue ici au rang d’expérience générale et absolue. La prostitution devient alors une sorte de métaphore fondamentale à partir de laquelle l’humanité se redistribue en un étrange bestiaire (la larve qu’est la mère, la schtroumpfette qu’est la putain, le loup qu’est le client) soumis à une logique de prédation dans ses rapports et ses échanges: «[I]l n’y a que les animaux qui savent rester honnêtes, voilà ce qui est vrai, tout le reste n’est que pitrerie et religion, une consolation qu’on s’accorde pour ne pas mourir de la vérité» (Arcan, 2001: 64).</p> <p class="p1">Partant, qu’est-ce qui distingue ici l’homme de la bête? Réponse: le semblant de l’argent, qui permet de pouvoir acheter le désir de l’autre et la désirabilité pour soi. C’est l’argent qui engage la putain et le client dans un mécanisme où tous deux se définissent par rapport à lui, maître du jeu. «[P]eut-être que si, enfin ça pourrait les gêner s’ils savaient éprouver la honte d’avoir dû remplacer la séduction par l’argent, mais peut-être aiment-ils une fois de plus faire l’étalage de leur pouvoir d’achat» (p.57-58), dit la putain, avant d'ajouter aussitôt qu’exercer ce pouvoir la grise aussi puisque&nbsp;</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p class="p3">lorsque je rentre chez moi le soir, je ne me souviens bien que de l’argent, […] jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un chiffre unique que je décompose ensuite en une multitude de choses à acheter […], [alors] j’en ai pour deux jours à ne plus me souvenir [de mes clients], deux jours où […] il n’y aura plus rien à penser que l’argent et ce qu’il y a à acheter, comme si j’en mourais d’envie, comme si la robe, le fard et les fleurs allaient se mettre à la place de tout ce que j’ai à oublier (p.61).</p> </blockquote> <p class="p1">La came parfaite, disait William Burroughs, n’est pas un produit qui se vend au client, mais une marchandise pour laquelle le client serait prêt à se vendre au plus bas prix possible. Or la came parfaite, chez Arcan, c’est le désir même et ses signes extérieurs, tant du côté de la parade que de la convoitise. Mais comment se fait-il, quand on possède une telle intelligence de ces pièges, qu’on s’y laisse engloutir quand même?&nbsp;</p> <p class="p1">Là-dessus, le mystère reste entier. Pas de réponse sur ce plan-là: juste l’affirmation, interrompue dramatiquement, de cette posture intenable.&nbsp;</p> <p class="p1"><b>Dans la fosse aux humoristes&nbsp;</b></p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p class="p4"><i>Elle avait mal d’une honte profonde, globale [...]. [Car la honte] arrivait toujours trop tard, le lendemain seulement, et qu’elle venait surtout de son défaut, des moments où elle était requise, où elle devait accourir pour empêcher le pire et où elle n’intervenait pas, enfin pas à temps</i> (Nelly Arcan, 2007: 102-103).</p> </blockquote> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p class="p4"><i>La douleur ne s’émousse pas dans la répétition. Au contraire: la douleur finit par souffrir encore plus de se découvrir sans cesse rejouée, de se savoir si prévisible</i>&nbsp; (Nelly Arcan, 2009: 42).</p> </blockquote> <p class="p1">En 2007, Nelly Arcan fait paraître son troisième livre, <i>À Ciel ouvert</i>, qui est sa première vraie incursion en territoire romanesque (focalisation externe, nombreux passages dialogués, etc.), à la suite de <i>Putain</i><b> </b>et de <i>Folle</i>, qui se présentent comme des récits. Partant, l’auteure se produit à l’émission <i>Tout le monde en parle</i> et commet le faux pas d’arborer un décolleté provocant qui fera les choux gras des panelistes en présence (tous de sexe masculin, dont trois humoristes). Avec une évidente cruauté, le souci de plaire de l’auteure se retournera contre elle, et la question de ce dont traite ou de ce que raconte son livre s’en trouvera complètement occultée.&nbsp;</p> <p class="p1">J'avais assisté à cette scène gênante autrefois&nbsp;–celle du décolleté jeté dans la fosse aux humoristes– et ce n’est pas la moindre des ironies que tout cela se soit produit à la parution d’<i>À Ciel ouvert</i>. Le livre met en scène deux petites gourdes bandantes menées par le bout du nez de leur convoitise, qui les jette (parfois littéralement) dans les bras des experts de la chirurgie plastique pour pousser leur rivalité esthétique jusqu’aux limites du possible. Accessoirement, elles se disputent aussi l’attention d’un personnage pathétique, Charles, un pauvre bougre fasciné par la pornographie virtuelle et traumatisé dans son enfance par la viande morte (car son père était boucher et violent), et qui semble surtout représenter pour elles ce désir masculin qu’il leur faut à tout prix, bien qu’accessoirement, soudoyer. Préoccupées, comme le dit la rumeur, que la population humaine mâle soit en sérieux déclin, les deux héroïnes se livrent à une lutte férocement concurrentielle (par scalpels et botox interposés) afin d’attirer sur leur corps le maximum du peu (tant en nombre, suis-je tenté de dire, qu’en qualité) de ce qu’il restera bientôt de virilité masculine disponible. &nbsp;</p> <p class="p1">Cette proposition narrative fait peut-être d’<i>À ciel ouvert</i><b> </b>le roman le plus proche d'une comédie qu’Arcan ait écrit, sa contribution la plus soutenue et la plus paroxystique dans le domaine de l’humour noir. Ici, un littéral «coup de foudre» scelle d’entrée de jeu la rivalité des deux anti-héroïnes, un garçon se suicide pendant qu’une fille expose son sexe remodelé par la chirurgie à une cohorte de fêtards ivres, la stupidité tragique de l’ivresse alcoolique et surtout de ses honteux lendemains de veille (l’évocation de la «gueule de bois» étant un genre auquel tout auteur sérieux doit se mesurer tôt ou tard) sont évoqués avec éloquence. Les occasions d’entendre le rire de Nelly Arcan fuser entre les lignes semblent nombreuses, selon moi, autant que son désespoir: désespoir, par exemple, qu’il ne puisse se trouver de chambre à soi où échapper à l’enclave de l’autoreprésentation. À la fois chronique d’un Plateau Mont-Royal bien différent de celui de Michel Tremblay –car désormais gentrifié par une infestation de «créatifs» dépravés– et cauchemar ballardien, le décor d’<i>À Ciel ouvert</i><b> </b>décline une succession de salles de gym, de bars branchés, de terrasses en été et de cliniques de chirurgie esthétique où l’impératif de négocier le regard de l’autre entraîne une escalade de métamorphoses physiques par laquelle le sujet tâche de plier son corps à l’impératif marchand qui consiste à toujours présenter du nouveau: lèvres redessinées, bronzage intégral, remorquage des seins et des fesses, etc. Bref, le roman<i> </i>nous plonge dans le désœuvrement du présent comme en pleine science-fiction.&nbsp;</p> <p class="p1">Il y a de quoi se demander alors comment les panelistes de TLMEP auraient pu entrer dans ce livre sans commettre un faux pas tactique, tant il est clair que l’émission s’inscrit dans le droit fil de ce que qu’il déplore. <i>À ciel ouvert </i>caricature par contagion bon nombre de choses que TLMEP représente: ambiance branchée, convivialité de façade, humour «décalé», allure bon chic bon genre des artistes ripolinés qui y vont non seulement pour placer leur dernier spectacle, leur dernier livre ou leur dernier cédé, mais aussi –c’est important– la dernière cause humanitaire dont ils ont accepté bénévolement de devenir les porte-parole et la tête d’affiche, juste au moment où leurs «créations» envahissent les présentoirs. Plus souvent qu’autrement, TLMEP est une vitrine où des images publiques bien gérées font la réclame de leurs produits comme de leur personne. Que peut y faire une écrivaine timide (oui, quand même) et bizarrement accoutrée, sinon se faire dévorer vive, d’autant plus que sa relation de «dépendance-haine» avec ce régime du tout-à-l’image était inscrite à même son corps?&nbsp;</p> <p class="p1">Évidemment qu’à regarder ce curieux entretien on s’était dit que c’était bien fait pour sa pomme, qu’elle avait dû l’avoir cherché quelque part. Et honte à nous de l’avoir pensé, mais il reste que la scène, comme la plupart de ce que présente la télévision, n’avait pas laissé sur le coup d’impression bien durable. Au deuxième coup d’œil cependant, et à la lumière de ce que l’on a su après, il faut bien reconnaître qu’il se passe quelque chose de dégradant sur le plateau ce soir-là. En occultant complètement son roman, en réduisant l’auteure à sa maladresse, en faisant des gorges chaudes de son décolleté pendant 12 minutes de télévision, les panelistes qui participent à cette triste farce font front commun pour démolir sa position et sa crédibilité d’écrivaine, qui puisaient <i>justement</i> leur force à occuper ce lieu-limite, et torturant, où l’on se trouve à la fois juge et partie dans cette foire du tout-à-l’image. Or refuser à l’écrivain le droit d’occuper cette position, ce n’est pas seulement en faire une caricature. C’est nier l’ambiguïté fondatrice de son écriture, nier sa singularité même. En somme, c’est réduire l’une et l’autre à rien.&nbsp;</p> <p class="p1"><b>Arcan posthume, une revanche</b></p> <p class="p1">Mais la littérature, bien malmenée en cette affaire, ne se laisserait pas si docilement écraser par la botte de la télé. Elle rappliquerait avec un texte qui, eusse-t-il été achevé, aurait sans doute constitué un tournant majeur pour Arcan. Les événements voudraient, hélas, que la réponse ne soit entendue que beaucoup plus tard, trop tard sans doute –comme les remous qu’elle provoquerait.</p> <p class="p1">En octobre 2011, alors que le site nellyarcan.com s’ouvre au public, les éditions du Seuil publient <i>Burqa de chair</i>, recueil de textes et d’ébauches dont la quatrième de couverture joue le va-tout posthume d’une auteure présentée comme «[entrée] avec fracas dans la littérature [...] pour s’échapper du monde tout aussi violemment».<b> </b>C’est un livre problématique, mais qui impose deux textes (soit «La Robe» et surtout «La Honte», inachevés tous les deux) qui font présumer qu’Arcan était en voie de cristalliser, de porter sa prose romanesque à un degré de coalescence qui l’aurait débarrassée du genre de scories qui rendaient, selon moi, <i>Paradis, clefs en mains </i>si hésitant. Un renouvellement de ses forces, en somme, et bien fait pour nous plonger en plein cauchemar spéculaire.&nbsp;</p> <p class="p1">Cauchemar spéculaire: il est certain que le concept psychanalytique du «stade du miroir» apporte un éclairage théorique tout trouvé pour l’analyse de l’aliénation dans le corpus arcanien. Je me contenterai de retenir que d’après celui-ci, reconnaître son propre reflet dans le miroir permet au tout jeune enfant, à l’<i>infans</i>, d’appréhender son unité corporelle, de s’anticiper comme un corps unifié et coordonné –moment qui s’avère décisif dans sa constitution de sujet, tant sur le plan social que narcissique. Or dans les textes d’Arcan, le miroir est toujours déformant. Il renvoie du corps, de soi, une image étrangère, fissurée et disjointe qui menace d’engloutir non seulement le sujet mais aussi l’équilibre du monde (ou la perception qu’il en a). Face au miroir, le sujet n’est plus qu’une somme de traits ataviques et de défauts corporels en lesquels il ne se reconnaît pas, qui le dévorent autant qu’ils dévorent le monde. «Vouloir mourir [...] est une chose qui arrive quand on est mangé par son propre reflet dans le miroir»,&nbsp;est-il écrit dans <i>La Robe </i>(2011: 39).&nbsp;</p> <p class="p1">En plongeant de plain-pied, et plus loin peut-être que ses livres antérieurs, dans cette faille et dans ce défaut du miroir, le fragment édité de «La Honte» nous fait dès lors sentir une conscience de soi et du monde qui ont perdu toute mesure. Pour le développer, l’auteure, élaborant sur le sens traumatique de son passage à TLMEP, use d’une technique d’amplification et de grossissement formidablement efficaces dans ses effets délirants. Il s’agit, en somme, d’excéder le moindre détail –défaut physique, mot anodin–jusqu’au seuil de la folie. Revenue du plateau humiliant, Nelly (le personnage du fragment) «n’allait pas [...] sortir [de son décolleté] tant qu’il ne lui aurait pas révélé une vérité claire et nette, la vérité dernière de son échec» (2011: 96). Les avis divergents de deux amies sur son décolleté deviennent une preuve alarmante que les interprétations de la réalité «pouvaient exister en nombre illimité et ouvrir encore plus la béance de son décolleté en ne s’excluant pas» (p.100). Quand une vendeuse de Holt-Renfrew s’absente quinze minutes pour voir s’il reste un modèle de la même taille dans son magasin, «l’ignorance [de la raison de son absence]&nbsp;ouvrait sur la vastitude des impondérables et ratissait trop large dans la catastrophe» (p.124). N’importe quel détail, n’importe quel défaut peut déboucher sur un sentiment d’apocalypse imminent. Et pourtant il ne me semble pas avoir vu ailleurs chez Arcan de texte qui parvienne aussi adroitement à équilibrer la proximité (de la folie) avec sa mise à distance, grâce à un regard en surplomb. Le récit, après tout, se raconte à la troisième personne: il use d’une focalisation variable qui permet d’habiter tour à tour cette folie naissante de Nelly comme le désarroi lucide des amies qui tâchent alors de l’aider. C’est peut-être un des exemples les plus maîtrisés qu’Arcan ait su proposer en matière de narration romanesque et il ne fait pas de doute que «La Honte» aurait pu être un roman majeur de sa production.&nbsp;</p> <p class="p6"><strong>***</strong></p> <p class="p1">En toute bonne foi, il est donc impossible de «réduire» «La Honte<b>» </b>à son anecdote de départ, tant l'expansion –littéraire–&nbsp;y règne comme un principe qui transforme l'humiliation vécue en quelque chose d’autre, une sorte de métaphore totale (telle la prostitution pour la totalité des rapports humains, prédateurs, dans <i>Putain</i>) par laquelle observer la culture, le rock, la vie moderne et ses rituels, etc., dans le regard d’un personnage (à ne pas confondre avec la voix narrative) maintes fois tenté par la dérive psychotique:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p class="p7">En femme décomposée mais non dépourvue d'intelligence, elle comprit que sa honte était précieuse et qu'il fallait donc la garder, la serrer contre elle, car c'était peut-être grâce à elle, à cette honte, que le monde autour n'avait pas encore tout à fait sombré (p.113).</p> </blockquote> <p class="p1">On regrette un peu alors que Nelly Arcan ait effectivement gardé sa «Honte» pour elle si longtemps qu’elle n’a pas pu, ou su, finir ce texte. Et impossible de deviner ce qu’elle aurait pensé, et peut-être écrit, du retentissement de ce fragment d’œuvre qui est parvenu, à sa sortie, à ramener un peu les médias à quelque chose comme de la mauvaise conscience. En tournant sa mésaventure télévisuelle «décrédibilisante» en objet littéraire tout à fait crédible, Arcan aura, une dernière fois, semé l’émoi et la confusion, ébranlé les certitudes, reconquis son statut d’Écrivain, et pas de la plus mince façon. Le milieu des médias, avec sa tendance à consulter les humoristes pour tout et rien (question, sans doute, de s’assurer que rien ne soit pris au sérieux trop longtemps en temps d’antenne), a dû redécouvrir, ces journées-là, que la honte existait, et que le fait qu’elle lui fasse cruellement défaut n’était pas nécessairement une bonne chose. Il suffit d’imaginer comment un Richard Martineau ou d’autres agiraient, les discours qu’ils tiendraient, ou ce qu’il adviendrait des <i>Occupation double </i>de ce monde si ces milieux avaient conservé leurs facultés de honte intactes.&nbsp;</p> <p class="p8">De <i>Putain </i>à <i>Burqa de chair</i>, l’œuvre d’Arcan aura en quelque sorte réalisé l’une des choses auxquelles l’œuvre littéraire aspire souvent sans y arriver toujours: intervenir dans le réel en transformant le regard qu’on lui porte, à force, je dirais, de puissance de style et d’intégrité de propos. Parce qu’elle a creusé ces figures à l’extrême, le bestiaire et l’économie prédatrice de <i>Putain</i>, le délire du culte de la beauté, ou encore le sérieux déficit de honte qui stigmatise la vacuité du monde où nous sommes et la représentation qu’en donnent les médias, nous sommes contraints d’y repenser hors de tout <i>statu-quo</i>, d’en creuser le tunnel assez pour qu’il recouvre cette gravité, ce potentiel de folie, cette nature mortifère qu’il prend lorsqu’il s’érige en totalité. <span class="s1">Le don de cette gravité, qui lui a peut-être tout pris, mais qui nous a donné beaucoup, n’est pas rien. </span><span class="s2">Au fond, sa honte est sa victoire</span><span class="s3">.&nbsp;</span></p> <p class="p8"><b>Références bibliographiques</b></p> <p class="p8">ARCAN, Nelly, <i>À ciel ouvert</i>, Paris, Seuil, 2007.</p> <p class="p8">ARCAN, Nelly, <i>Burqa de chair</i>, Paris, Seuil, 2011.</p> <p class="p8">ARCAN, Nelly, <i>Paradis, clef en mains</i>, Montréal, Coup de tête, 2009.</p> <p class="p8">ARCAN, Nelly, <i>Putain</i>, Paris, Seuil, 2001.</p> <p class="p8">Sites d’archives de Nelly Arcan&nbsp;: <span class="s4">www.nellyarcan.com</span></p> Québec Nouvelles Roman Wed, 10 Apr 2013 19:29:51 +0000 Jean-Philippe Gravel 754 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec La Peuplade http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-la-peuplade <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/voyer-marie-helene">Voyer, Marie-Hélène</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Image pour page éditeur.jpg" type="image/jpeg; length=1851247">Image pour page éditeur.jpg</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><strong>La Peuplade édite des ouvrages de littérature canadienne francophone actuelle. La maison publie de la poésie contemporaine, du roman ainsi que des entretiens sur les arts. Soucieuse d’enrichir son catalogue d’œuvres originales et fortes, la jeune maison d’édition demeure réceptive à la publication d’autres genres littéraires, notamment les essais en sciences humaines et sur les arts visuels. La maison publie des auteurs issus de l’ensemble du territoire. Elle propose une littérature de découverte et se tourne naturellement vers la nouvelle génération d’écrivains, vers les auteurs émergents.</strong><br /><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Salon Double [SD] -</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition ? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>La Peuplade [LP] - </strong></span>C’était en 2005, nous arrivions au Lac-St-Jean, la région choisie pour l’achat d’une maison sur le territoire. L’idée en tête : créer un projet artistique tout en faisant le pari de la vie en région. Un matin, la une du cahier <em>Livres</em> du journal <em>Le Devoir</em> annonçait l’acquisition de Sogides par Quebecor. Ça été un déclencheur pour nous : il fallait contrer le grand par le petit et redonner leurs lettres de noblesse à Roland Giguère (Éditions Typo, l’Hexagone), à Gaston Miron (l’Hexagone), et les autres (chez VLB) qui devaient se retourner dans leurs tombes – ou dans leurs salons. À la création de La Peuplade en 2006, nous ne pouvions nous imaginer ce chemin que nous allions parcourir et cette réelle place que nous allions occuper dans le paysage éditorial et littéraire québécois. La reconnaissance s’est vite fait sentir, par des recensions dans les médias, par des commentaires opportuns, par les réussites de chaque jour. Nous avons lancé la maison au Pied de Cochon le 6 juin 2006 et, déjà, la curiosité était piquée. Je ne saurais dire quelle est la nature du manque que nous comblons maintenant, mais nous avons amené sur l’échiquier des pions uniques, authentiques, à têtes rêveuses.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BUC_FINAL_300%20-%20copie%20600%20ko.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BUC_FINAL_300%20-%20copie%20600%20ko.jpg" alt="116" title="" width="345" height="552" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnés, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente ? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Au départ, il a été clair que nous allions nous concentrer sur des collections de littérature précises : la poésie et la fiction. Nous avions également envie de développer l’entretien littéraire comme genre pratiquement inexistant au Québec, sinon avec les journaux ou avec le travail de Jean Royer. Deux livres d’entretien ont été réalisés – le premier sur le travail de l’écrivain Hervé Bouchard et le second sur le travail du cinéaste Hugo Latulippe. Ce sont des livres complexes à faire et ils ont pour but d’immortaliser, dans le temps et dans la mémoire collective, les démarches et les idées de créateurs importants qui, même si l’on peut juger – ou non – qu’ils ne le sont pas au moment de l’entretien, marquent ou marqueront leur époque dans leur pratique respective.<br /><br />La Peuplade choisit le texte avant tout. La seule façon d’aborder la littérature est de le faire à partir du texte. C’est ce qui prime. Il arrive aussi qu’une autre question se pose, une fois qu’un texte avec des qualités exceptionnelles ait été déniché : « Est-ce que ça vient chez La Peuplade ? » La Peuplade a son identité propre, des goûts personnels.<br /><br />L’idée que l’art doit peupler le territoire s’inscrit également dans notre politique éditoriale, idée que nous gardons comme cap et qui nous ramène inlassablement à nos origines. Nous occupons le territoire. Nous désirons éviter la centralisation du savoir, des pratiques, des arts, du succès. Établie en région, notre maison est sans frontières.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BEANTE%20COUV_FINAL%20-%20copie.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BEANTE%20COUV_FINAL%20-%20copie.jpg" alt="117" title="" width="580" height="928" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les&nbsp; manuscrits que vous recevez?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Il n’y a pas de livre sans écrivain. Dans un premier temps, l’écriture doit être celle d’un écrivain, car celui-ci fabrique, avec le temps, la littérature. Nous nous attardons à priori à la démarche de l’auteur d’un manuscrit proposé, nous questionnons les motivations de l’auteur d’un projet, nous voulons en savoir plus sur ce qui est imaginé pour le futur. Choisir un texte dans le but d’en faire un livre signifie choisir de marcher dans un sillon – tracé ou à tracer – en compagnie de l’éclaireur dudit chemin, aux côtés d’un artiste de la littérature.<br /><br />Aussi, nous regarderons consciencieusement l’écriture, l’indicateur premier de la maîtrise que l’auteur a de son art. La maîtrise de la langue permet à l’écrivain de développer de grandes qualités comme la nuance, le raffinement, la précision. Les mots justes ouvrent la voie aux idées les plus alambiquées. Nous recherchons des écrivains qui sont des passionnés de la langue, bien avant l’idée de l’utiliser pour écrire un livre. Nous recherchons des gens curieux, qui veulent apprendre, qui veulent aller plus loin, qui veulent prendre part à un échange sur le texte – la matière –, qui veulent contribuer à faire d’un texte le meilleur livre. Le processus de publication nécessite de la générosité.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture_coit300%20-%20copie.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture_coit300%20-%20copie.jpg" alt="118" title="" width="580" height="772" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un « petit » joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le « petit » joueur ou la petite boîte d’édition doit trouver, avant tout, le distributeur québécois qui sera le plus à même de défendre et de diffuser ses collections. Chaque distributeur a ses forces et ses spécialités. En dehors de cela, chaque maison d’édition doit élaborer ses stratégies de médiatisation et de représentation du travail de ses auteurs, grâce à quoi petite maison deviendra grande. Ce n’est pas la visibilité qui est le plus difficile à obtenir, mais la légitimité et la reconnaissance du contenu. Quand la place est taillée à même l’arbre, quand on juge votre travail désormais nécessaire, tout est possible. Il faut alors s’organiser.<br /><br />S’organiser sur tous les plans. Penser à tout, à tous les intervenants de la chaîne du livre. Être toujours en avance. Peser les mots. Être acteurs. Être joueurs. Pour le numérique, il a fallu rapidement devenir un joueur. Prendre la place du marché qui nous était offerte. Rapidement, on est devenu joueur et, progressivement, La Peuplade apprivoise sa nouvelle peau, en proposant ses nouveautés en numérique, en numérisant peu à peu son fond, en réfléchissant sur les avenues, sur l’avenir du numérique et comment l’aborder. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Nous avons envie d’aborder le livre numérique différemment que le livre papier (encore, pour nous, l’objet parfait que nous aimons profondément).<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/PE_COUV_FINAL.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/PE_COUV_FINAL.jpg" alt="119" title="" width="580" height="928" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le milieu littéraire québécois est peuplé de gens inspirants et formidables. On fait sa rencontre et on n’a plus envie de le quitter. On souhaite l’enrichir et le développer. En effet, le milieu est petit et tout le monde vient à se connaître. En vivant loin de Montréal – le lieu de toutes les rencontres –, La Peuplade n’est parfois pas à jour dans ses relations avec les communautés d’auteurs, d’éditeurs et de libraires. Or, cela est garant de l’indépendance que nous recherchons dans l’exercice de notre métier. C’est d’abord et avant tout une indépendance de choix qui guide notre travail. Les écrits que nous choisissons nous transportent suffisamment pour s’imaginer les défendre pour toujours (du moins, le temps d’un contrat !). Les auteurs qui viennent vers La Peuplade nous adoptent pour notre rigueur et notre passion, peu importe la distance qui nous sépare.<br /><br />À cet égard, il faut ajouter que <em>rigueur</em> ne s’oppose pas nécessairement à <em>commercial</em>. Quelle maison d’édition espère entasser ses livres dans un entrepôt ? Vouloir vendre des livres n’est pas un mal. Vendre un livre signifie que celui-ci sera lu par une personne de plus et non destiné au pilonnage, pratique que nous dénonçons. &nbsp;<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Wigrum-Cover---copie-1-600-ko.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Wigrum-Cover---copie-1-600-ko.jpg" alt="120" title="" width="580" height="871" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le texte demeure, pour nous, central. Il en est autrement dans les médias. Par exemple, les livres à l’émission <em>Tout le monde en parle</em> sont tout à fait éclipsés de la table, alors qu’à priori ils sont l’objet de l’invitation de l’écrivain. En matière d’art littéraire, cette puissante équipe de télévision passe la plupart du temps à côté de l’essentiel. Comme il aurait été intéressant que Guy A. Lepage demande à Vickie Gendreau : « Pourquoi écrire un livre quand on est condamnée à mourir ? »… Ce n’est malheureusement pas sous cet angle qu’on aborde d’habitude la littérature et l’écriture dans les médias québécois.<br /><br />Sur une note plus positive, nous voulons souligner les nouvelles maquettes de livres de nombreux éditeurs québécois. Depuis 2000, on a vu l’apparition de plusieurs maisons d’édition, ce qui n’a pas été sans transformer le milieu éditorial québécois. L’émergence conduit au progrès, au renouvellement de tous.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> En tant que maison d’édition située loin de la métropole, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste du Québec, tant dans le circuit littéraire que dans les oeuvres qui sont publiées actuellement ? Ou qu’il y a un retour du balancier (voir numéro de <em>Liberté</em> et certains de leurs propres auteurs).<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Montréal est Montréal. Québec est Québec. St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins est St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins. Il n’en tient qu’aux écrivains de rendre lisibles les histoires qui se dissimulent dans les paysages. La Peuplade croit sincèrement que l’art doit peupler le territoire, jusque dans les villages. Nous résistons aux phénomènes qui voudraient exclure, ou simplement oublier, d’autres réalités. La métropole génère évidemment bien des trajectoires, mais on gagne toujours à élargir les horizons.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span>&nbsp; Alors qu’une maison d’édition choisit habituellement une police de caractère unique pour toutes ses œuvres afin de contribuer à se faire une « image de marque », vous semblez choisir une nouvelle typographie pour chaque œuvre. Comment se déroule ce processus ? En collaboration avec l’écrivain ou selon votre propre choix ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>L’image de marque de La Peuplade se situe principalement dans ses couvertures, puisque chaque œuvre qui les orne est celle d’un artiste contemporain québécois qui reçoit le manuscrit après qu’il ait été sélectionné pour publication. Nous avons, jusqu’à maintenant, privilégié le dessin. Le dessin est la base des arts visuels. Il n’est pas rare que l’artiste produise plus d’une œuvre.<br /><br />La typographie vient s’ajouter ensuite, une fois que l’œuvre finale a été approuvée par les éditeurs et par l’auteur.</p> <p style="text-align: justify;"><em>Pour en savoir plus :</em> <a href="http://www.lapeuplade.com/">http://www.lapeuplade.com/</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="http://salondouble.contemporain.info/intersections-et-collisions">Lisez la brève à propos du recueil Point d'équilibre de Mélissa Verreault ici. </a><br />&nbsp;</p> Québec Entretiens Écrits théoriques Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Tue, 04 Dec 2012 17:00:20 +0000 Marie-Hélène Voyer 644 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Éric Simard, de la collection Hamac (éditions du Septentrion) http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-eric-simard <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/landry-pierre-luc">Landry, Pierre-Luc </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/hamac.jpg" type="image/jpeg; length=16064">hamac.jpg</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Éric Simard, responsable des communications et directeur de la collection Hamac aux éditions du Septentrion.</p> <p><strong>Entièrement consacré à la fiction, </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/"><strong>Hamac</strong></a><strong> se décline de trois façons. Il y a la </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/"><strong>collection Hamac</strong></a><strong>, consacrée à la littérature contemporaine (romans et nouvelles), </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-carnet/"><strong>Hamac-carnets</strong></a><strong>, vouée à la publication de blogues et de carnets de voyage et </strong><a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-classique/"><strong>Hamac classique</strong></a><strong>, dédiée, entres autres, aux romans historiques ou d'époque. </strong></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Pierre-Luc Landry [PLL]: </strong>Pour le néophyte qui œuvre à l’extérieur du «&nbsp;milieu du livre&nbsp;», les choses peuvent être floues&nbsp;: Hamac n’est pas vraiment une maison d’édition, mais plutôt une collection qui jouit d’une certaine indépendance par rapport aux éditions du Septentrion auxquelles elle est rattachée. À quel moment la collection Hamac a-t-elle vu le jour? Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder cette nouvelle collection dont les objectifs s’éloignent quand même beaucoup de ceux des éditions du Septentrion? Est-ce que vous sentez que votre collection a permis de combler un vide qui existait sur la scène littéraire contemporaine?</p> <p><strong>Éric Simard [ES]: </strong>La collection Hamac a été créée à l’automne&nbsp;2005 avec la parution de deux romans. Le but était de différencier les publications littéraires des essais. Comme Septentrion est spécialisé en histoire, les romans qu’ils publiaient se confondaient aux essais quand ils ne passaient pas inaperçus. En créant Hamac, il y avait aussi une volonté de développer le volet littéraire.</p> <p>Je ne sais pas si Hamac vient combler un vide, mais une chose est certaine, on s’inscrit dans le renouveau que connaît la littérature québécoise depuis une dizaine d’années.</p> <p><strong>PLL: </strong>Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?</p> <p><strong>ES</strong>: Ce qu’on recherche avant tout dans les textes, c’est d’abord une voix. Ça peut sembler banal, mais des véritables voix littéraires, c’est assez rare à trouver. Si la voix est là, il faut que ce qu’elle raconte nous captive, nous happe, nous rejoigne, nous touche. À partir de là, ils peuvent prendre des formes différentes. Jusqu’à présent, nous avons publié plusieurs fictions qui tournaient autour de l’intime. Mais nous nous ne confinons pas uniquement dans ce créneau.</p> <p>Au début, Hamac était moins défini. Un roman historique avait autant de chance de se retrouver dans la collection qu’un roman policier ou contemporain, par exemple. C’était littéraire dans son sens très large. Maintenant, Hamac se consacre uniquement à la littérature contemporaine. &nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Hamac publie de la fiction, mais aussi des carnets. Cela a commencé par la parution successive de trois blogues transformés en livres. Parlez-nous un peu de cette «&nbsp;collection dans la collection&nbsp;».</p> <p><strong>ES:</strong> Ces trois premiers titres, dont faisaient partie <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac-carnet/chroniques-une-mere-indigne-les-2628.html"><em>Les Chroniques d’une mère indigne</em></a>, sont parus en 2007 à une époque où les blogues envahissaient la toile. Comme il y en avait en abondance, et de très bons, on essayait de repérer les meilleurs pour les transformer en livres. C’était une idée très originale et assez avant-gardiste. On a d’ailleurs été dans les premiers à le faire. Évidemment, on reste à l’affut pour dénicher de bons blogues (ils sont rares, mais il en reste encore). Mais avec l’arrivée des médias sociaux, on a vu la blogosphère s’essouffler un peu. Pour éviter que cette collection s’essouffle à son tour, ce qui serait arrivé tôt ou tard, on a décidé d’élargir son mandat en restant dans l’idée du carnet. On publie maintenant des carnets de voyage et on est ouvert à faire paraître de bons textes qui empruntent à la forme du carnet. C’est une collection qui plaît et qui a encore un bel avenir devant elle.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/LES-CHRONIQUES-D-UNE-MERE-INDIGNE_COUV-HR." rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Les chroniques d&#039;une mère indigne"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/LES-CHRONIQUES-D-UNE-MERE-INDIGNE_COUV-HR." alt="109" title="Les chroniques d&#039;une mère indigne" width="220" height="286" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Les chroniques d'une mère indigne</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Votre catalogue s’est modifié encore tout récemment après la création d’Hamac classique, une autre «&nbsp;collection dans la collection&nbsp;» consacrée aux romans historiques. Considérant que les premiers titres publiés chez Hamac étaient parfois assez près du genre historique, qu’est-ce qui a motivé cette segmentation de votre catalogue?</p> <p><strong>ES:</strong> Effectivement, les premiers titres publiés dans la collection Hamac pouvaient s’apparenter aux romans historiques, mais comme je l’ai mentionné, au début Hamac n’était pas encore défini. C’est en 2007 qu’on l’a fait et c’est devenu clair qu’on y publierait que de la littérature contemporaine. Entre-temps, puisque l’histoire, c’est la force du Septentrion, on continuait de recevoir beaucoup de manuscrits de romans historiques. C’était un naturel pour les auteurs de penser à nous. Plutôt que de les ignorer, surtout que le genre est de plus en plus populaire, on a créé Hamac classique. &nbsp;</p> <p><strong>PLL: </strong>Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «&nbsp;petit&nbsp;» joueur dans le monde de l’édition québécoise,&nbsp;où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?</p> <p><strong>ES:</strong> C’est certain que lorsqu’on lance une nouvelle collection en littérature, on ne s’attend pas à avoir autant de visibilité que les autres, ce qui est un peu normal. On finit par ne plus trop penser à cet aspect en se concentrant sur la production; le but étant de faire paraître les meilleurs livres possibles en se disant qu’à un moment donné on reconnaîtra leur qualité et notre apport. Pour tirer notre épingle du jeu, conscient qu’on n’était pas le premier choix des auteurs, on a décidé de les accompagner pour les aider à peaufiner leur manuscrit. Cinq ans plus tard, non seulement on commence à recevoir la reconnaissance du milieu littéraire, on devient une option pour bien des auteurs. Ce qui est plutôt une progression rapide.</p> <p>Côté numérique, Septentrion est l’un des chefs de file au Québec. On a pris le train avant la plupart des autres éditeurs (on offre du numérique depuis au moins cinq ans, alors que certains ne sont pas encore rendus à ce stade). D’année en année, on voit une progression des ventes et des habitudes des lecteurs. Malgré tout, ça ne représente pas encore un gros pourcentage de nos ventes globales. Au moins, on est prêt à faire face à la musique si le secteur prend de l’expansion.</p> <p><strong>PLL: </strong>On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale. Hamac et Septentrion publient à Québec, en dehors de la sphère d’influence de Montréal. Quelle importance a la communauté immédiate, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?</p> <p><strong>ES:</strong> Comme Septentrion a su prendre sa place au fil du temps au point de devenir un éditeur important au Québec, plusieurs pensent qu’on est basé à Montréal. Ça nous fait sourire, car ça sous-entend qu’un éditeur important doit nécessairement être basé à Montréal.</p> <p>C’est certain que la communauté immédiate nous soutient. On sent même de leur part une certaine fierté par rapport à ce qu’on fait. C’est encore plus palpable pendant le Salon du livre de Québec. En ce qui concerne les auteurs de Québec, on remarque qu’ils ont tendance à nous soumettre plus facilement leurs manuscrits à cause de la proximité. Hamac a d’ailleurs publié plusieurs auteurs de la région. Mais ce n’est pas un prérequis. Une certaine confrérie s’est créée avec les autres éditeurs de Québec. On a évidemment des liens plus étroits avec les libraires du coin.</p> <p><strong>PLL: </strong>Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte&nbsp;en particulier parmi les manuscrits que vous recevez?</p> <p><strong>ES: </strong>La force de l’écriture avant toutes choses. Comme tout a pratiquement déjà été raconté, c’est la voix de l’auteur qui fait la différence. La plupart des manuscrits que nous recevons sont corrects (il y en a très peu de mauvais). La plupart mériteraient une bonne note pour la structure, l’écriture et la cohérence. Malheureusement, la plupart ne possèdent pas une voix qui leur est propre. Le taux de refus des maisons d’édition est d’au moins 90&nbsp;%. Comme dans n’importe quelle discipline, nous ne prenons que les meilleurs et c’est normal. Il ne suffit pas de vouloir être médecin pour le devenir. Ça s’applique aussi à l’écriture. Il ne suffit pas d’écrire pour accéder à la publication. Il faut savoir se démarquer et la seule façon, c’est de bûcher sur un texte.</p> <p><strong>PLL: </strong>Quels sont vos coups de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?</p> <p><strong>ES:</strong> La littérature québécoise vit de belles années en ce moment grâce à tout ce renouveau issu des Alto, Quartanier, Peuplade, Marchand de feuilles et de combien d’autres maisons qui ont vu le jour depuis une dizaine d’années. Le renouveau se sent aussi dans les liens que les éditeurs ont développés entre eux loin de la compétition de base. Ça, je trouve ça beau.</p> <p>Dans les choses qui me dérangent énormément depuis quelques temps, c’est que, à trop vouloir démocratiser la lecture, les sphères culturelles et médiatiques ont fini par évacuer sa dimension intellectuelle. Les lecteurs plus exigeants que ceux faisant partie du «grand public» ne trouvent pratiquement plus leur compte et on accepte ça comme si ce n’était pas grave, comme si ça allait maintenant de soi de ne plus vouloir rejoindre cette clientèle. C’est navrant. Je dirais même plus: c’est méprisant.</p> <p><strong>PLL: </strong>Y a-t-il des nouveautés que vous aimeriez nous présenter? Des livres que vous avez publiés qui n’ont pas reçu autant d’attention que vous auriez souhaité et dont vous aimeriez parler?</p> <p><strong>ES:</strong> Le premier qui me vient en tête, c’est <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/louee-2857.html"><em>La Louée</em></a> de Françoise Bouffière. Au niveau de l’écriture et de l’intensité dramatique, je compare ce roman au <em>Grand cahier</em> d’Agota Kristof ou <em>La fille laide </em>d’Yves Thériault. Les deux livres d’Emmanuel Bouchard <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/passage-2811.html"><em>Au passage</em></a> (nouvelles) et <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/depuis-les-cendres-3251.html"><em>Depuis les cendres</em></a> (roman) méritent un plus grand lectorat. Son univers est un heureux mélange de rigueur, de poésie et de sensibilité. Emmanuel s’inscrit dans une réelle démarche d’écrivain et j’espère qu’avec le temps les gens reconnaîtront son talent. J’aimerais aussi que Stéphane Libertad (<a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/trajectoire-3129.html"><em>La trajectoire</em></a> et <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/baleine-parapluie-3012.html"><em>La Baleine de parapluie</em></a>) soit plus lu. Dans ses romans, il fait ressortir les travers de la nature humaine en utilisant un certain cynisme non dénué d’humour derrière lequel se tapie souvent une amertume très touchante. J’adore ce mélange. Je ne voudrais pas terminer cet entretien sans vous inciter à lire le superbe roman d’Hélène Lépine <a href="http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/leger-desir-rouge-3278.html"><em>Un léger désir de rouge</em></a>.&nbsp; De la belle et haute voltige littéraire. &nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/DEPUIS-LES-CENDRES_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Depuis les cendres"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/DEPUIS-LES-CENDRES_COUV-HR.jpg" alt="110" title="Depuis les cendres" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Depuis les cendres</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/LA-BALEINE-DE-PARAPLUIE_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="La Baleine de parapluie"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/LA-BALEINE-DE-PARAPLUIE_COUV-HR.jpg" alt="114" title="La Baleine de parapluie" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>La Baleine de parapluie</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/24/UN-LEGER-DESIR-DE-ROUGE_COUV-HR.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Un léger désir de rouge"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_preview/wysiwyg_imageupload/24/UN-LEGER-DESIR-DE-ROUGE_COUV-HR.jpg" alt="113" title="Un léger désir de rouge" width="220" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_preview" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Un léger désir de rouge</span></span></span></p> Québec Récit de voyage Récit(s) Nouvelles Roman Thu, 22 Nov 2012 15:30:42 +0000 Pierre-Luc Landry 638 at http://salondouble.contemporain.info Pour une écriture sous ecstasy : Beigbeder coke en stock http://salondouble.contemporain.info/article/pour-une-criture-sous-ecstasy-beigbeder-coke-en-stock <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/larange-daniel-s">Larangé, Daniel S.</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/vacances-dans-le-coma">Vacances dans le coma</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/99-francs">99 francs</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/nouvelles-sous-ecstasy">Nouvelles sous ecstasy</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/biblio/legoiste-romantique">L&#039;égoïste romantique</a> </div> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/un-roman-francais">Un roman français</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/critures-sous-influence-pr-sence-des-drogues-en-litt-rature-contemporaine">Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p>La consommation endémique de toute espèce d’excitant, si fréquente dans les sociétés postindustrielles, dénonce le besoin d’artificialité dans un monde où toute réalité plonge inexorablement dans l’absurde et le grotesque. La cohérence de l’univers se déconstruit avec la fin des Grands récits (Lyotard, 1979) et ouvre ainsi l’ère du «bonheur paradoxal» en régime d’hyperconsommation (Lipovetsky, 2006). Les romans de Frédéric Beigbeder, qui se revendique haut et fort être un écrivain de la postmodernité, sont disponibles dans les magasins de grandes surfaces. Aussi n’hésite-t-il pas à qualifier son écriture comme celle d’un «&nbsp;néo-néo-hussard de gauche, d[’un] sous-Blondin aux petits pieds pour cocaïnomanes germanopratins, truffé[e] d’aphorismes lourdingues dont même San-Antonio n’aurait pas voulu dans ses mauvais trimestres&nbsp;». (Beigbeder, 1994&nbsp;: 10) On l’a compris: l’artiste postmoderne, jouisseur du totalitarisme des loisirs, se parodie lui-même; il est ce «bouffon» qui se prend au sérieux à force de mêler un égocentrisme exaspéré à de pseudo-révolutionnaires stupéfiants.</p> <p><br />Ainsi Octave, publicitaire à succès, se complaît-il dans l’autodénigrement en s’adressant à son propre reflet:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Tu es tellement coké que tu sniffes ta vodka par la paille. Tu sens le collapse arriver. Tu vois ta déchéance dans le miroir: savais-tu qu’étymologiquement «narcissique» et «narcotique» viennent du même mot? (Beigbeder, [2000] 2007: 119)</p> </blockquote> <p><br />L’engourdissement et le sommeil permettent en effet de rêver d’une meilleure vie. La drogue apparaît alors comme la solution artificielle à tous les problèmes existentiels car elle crée une accoutumance à une «ère de l’éphémère» (Lipovetsky, 1987) où fidélité et constance sont devenues des mots dénués de sens.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Je me frotte les gencives, elles me démangent sans cesse. En vieillissant, j’ai de moins en moins de lèvres. J’en suis à quatre grammes de cocaïne par jour. Je commence au réveil, la première ligne précède mon café matinal. Quel dommage de n’avoir que deux narines, sinon je m’en enfilerais davantage: la coke est un «briseur de souci», disait Freud. Elle anesthésie les problèmes. (Beigbeder, [2000] 2007: 53)</p> </blockquote> <p><br />Le thème de la drogue forme un leitmotiv sous la plume de Beigbeder. Dans son univers romanesque, c’est un phénomène de société. Sa consommation relève justement d’une manière d’être postmoderne, dans la mesure où elle procure l’assurance nécessaire pour sortir du nombrilisme et améliorer les rapports aux autres en effaçant toute inhibition. Elle devient alors un mode d’existence permettant sortir de soi-même, de s’oublier, de se libérer de soi. Car l’homme est devenu un monstre pour lui-même.</p> <p>À cet égard, <em>Vacances dans le coma</em> (1994) met en scène l’esseulement tragique de l’homme contemporain, malade de son bien-être et malheureux de son bonheur. Marc Maronnier, son personnage fétiche, sorte de projection fantasmagorique de l’écrivain, souffre justement de cette incapacité d’empathie dans un univers obnubilé par le tout-multi-média:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Chroniqueur-nocturne, concepteur-rédacteur, journaliste-littéraire: Marc n’exerce que des métiers aux noms composés. Il ne peut rien faire entièrement. Il refuse de choisir une vie plutôt qu’une autre. De nos jours, selon lui, «tout le monde est fou, on n’a plus le choix qu’entre la schizophrénie et la paranoïa: soit on est plusieurs à la fois, soit on est seul contre tous». Or, comme tous les caméléons (Fregoli, Zelig, Thierry Le Luron), s’il y a une chose qu’il déteste, c’est bien la solitude. Voilà pourquoi il y a plusieurs Marcs Marroniers. (Beigbeder, 1994: 17)</p> </blockquote> <p><br />L’univers postmoderne se caractérise en général par l’impossibilité de définir la moindre identité dans un système qui ne cesse de vous immatriculer, classer et ordonner. L’homme se retrouve morcelé en une infinité d’éclats. S’il ne cherche plus qu’à «s’éclater», c’est que justement il y voit un mode d’existence et l’opportunité de se valoriser. Autrement, il ne reste plus qu’à se recomposer en <em>hommes-valises</em>. Le paradoxe est ainsi mondialisé et la vie n’est plus concevable que comme une interminable mascarade où chacun (se) joue de tous:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Dans une société hédoniste aussi superficielle que la nôtre, les citoyens du monde entier ne s’intéressent qu’à une chose: la fête. (Le sexe et le fric étant, implicitement, inclus là-dedans: le fric permet la fête qui permet le sexe.) (Beigbeder, 1994&nbsp;: 18)</p> </blockquote> <p>Le constat reste flagrant: les relations manquent de profondeur, de stabilité et de sincérité pour déboucher sur la copulation où même le plaisir égotiste reste en deçà d’un désir toujours inassouvi. Les personnages dissimulent difficilement un romantisme rabroué derrière leur <em>je-m’en-foutisme</em> de rigueur, comme c’est le cas de <em>L’égoïste romantique</em> (2005). Seuls l’alcool et la drogue permettent donc de jouir librement de nos émotions, puisque la société ne juge plus que sur les apparences forcément trompeuses. C’est pourquoi «Paris est un faux décor de cinéma. [Marc Maronnier] voudrait que toute cette ville soit volontairement factice au lieu de se prétendre réelle». La consommation d’excitants capables d’amplifier les sens, «donne sens» à l’existence: «Euphoria. Tu en gobes une comme ça et tu deviens ce que tu <em>es</em>. Chaque gélule contient l’équivalent de dix pilules d’ecstasy.» (Beigbeder, 1994: 33) Aussi l’hyperbole est la figure grotesque d’une vie magnifiée une fois vidée de son essence: sans elle, il n’y aurait plus de signification. Il n’y a plus de proportion dans une société comprise entre Alberto Giacometti et Fernando Botero, entre la modèle anorexique et l’homme d’affaire ventru.</p> <p>Phénomène social, la consommation en masse de stupéfiants rassure – par marque déposée – un Occident en pleine mutation sociale, économique et culturelle, dans lequel la satisfaction immédiate (et commerciale) doit garantir la fidélisation par <em>manque et procuration</em>. Autrement dit, la drogue devient une métaphore globalisée du système néolibéral qui entretient la masse dans une insatisfaction et une frustration permanentes. Le divertissement généralisé n’est plus seulement un droit garanti par l’État mais un devoir d’état de droit.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Rien n’a changé depuis Pascal: l’homme continue de fuir son angoisse dans le divertissement. Simplement le divertissement est devenu si omniprésent qu’il a remplacé Dieu. (Beigbeder, [2000] 2007: 152)</p> </blockquote> <p>Au faîte de la civilisation, entretenue dans l’attente d’une joyeuse apocalypse, la situation postmoderne est celle d’une fête constante où la jouissance morbide découle de la marchandisation élevée à l’universalité.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Marc a su que la fête serait réussie en voyant le monde qu’il y avait aux toilettes des filles, en train de se remaquiller ou de sniffer de la coke (ce qui revient sensiblement au même, la cocaïne n’étant que du maquillage pour le cerveau). (Beigbeder, 1994: 53)</p> </blockquote> <p>Le discours tenu par Octave est tout aussi déplorable et témoigne de la diffusion de la drogue à une échelle beaucoup plus grande qu’on ne le croit car toute notre société repose sur un mensonge hallucinatoire dont le publicitaire fait l’éloge (de Cortanze, 2012):</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Vous êtes les produits d’une époque. Non. Trop facile d’incriminer l’époque. Vous êtes des produits tout courts. La mondialisation ne s’intéressant plus aux hommes, il vous fallait devenir des produits pour que la société s’intéresse à vous. Le capitalisme transforme les gens en yaourts périssables, drogués au Spectacle, c’est-à-dire dressés pour écraser leur prochain. (Beigbeder, [2000] 2007: 256)</p> </blockquote> <p>Le désenchantement est profond. Plus aucun espoir n’est alors permis dans le réel. D’où le recours immodéré à l’altération de la réalité. Le discours de Beigbeder reflète donc bien un état d’esprit de la (haute) société en période de crise: plus cela va mal plus «l’argent dégouline de partout». (Beigbeder, 1994: 41) L’absence de temps incite l’humanité à en finir par un suicide collectif afin de fuir paradoxalement l’inéluctabilité d’une mort programmée.</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Le monde ne veut plus changer […]. Nous menons tous des vies absurdes, grotesques et dérisoires, mais comme nous les menons tous en même temps, nous finissons par les trouver normales. Il faut aller à l’école au lieu de faire du sport, puis à la fac au lieu de faire le tour du monde, puis chercher un boulot au lieu d’en trouver un… Puisque tout le monde fait pareil, les apparences sont sauves. (Beigbeder, 1994: 78)</p> </blockquote> <p>En effet, «il faut tout pour défaire un monde». (Beigbeder, 1994: 78) <em>Vacances dans le coma </em>durent le temps d’une fête donnée dans le night-club le plus prisé de Paris, «Les Chiottes», et se termine par l’actionnement de la chasse d’eau:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>C’est donc ça, la solution festive: une apocalypse turbide, une dernière transe, une saine noyade. Marc signe son testament de fêtard. Il nage dans le carnage. Du blob dans les bleeps. Du Slime sur Smiley. Amer acid. Le bal est démasqué. (Beigbeder, 1994: 117)</p> </blockquote> <p>Finalement la drogue est tout un système idéologique qui aveugle le citoyen-consommateur lui promettant d’autant plus de liberté qu’il l’asservit (Cohen, 2009). Notre propre copyright s’avère être vérolé. Notre propre ADN ne nous appartient plus car d’anonymes compagnies en ont fait l’acquisition à notre insu pour nous (dé)doubler (Kahn et Papillon, 1998). Octave, toxicomane invétéré, s’est rendu compte que la société fonctionne entièrement sur et par le trafic de stupéfiants. La normalité est dorénavant anormale. Il s’agit bien de sortir des normes par une pratique régulière de l’℮-norme – <em>des règlements numériques</em> où tout bascule dans le nombre transcendant, réel et complexe, formant la constante de Neper, autrement dit symbole de l’emballement et de la précipitation des puissances de la science et des techniques – afin de rester dans le jeu social et le réseau, comme les autres. Ce n’est plus la religion qui est l’opium du peuple mais bien l’opium qui est devenu la religion du peuple. Tel est le message du spot publicitaire conçu par Octave et dans lequel le Christ distribue les doses de crack en guise de nourriture spirituelle à ses apôtres lors de la Cène, alors qu’une voix off (se) signe par un «LA COCAÏNE: L'ESSAYER, C'EST LA RÉESSAYER». (Beigbeder, [2000] 2007: 175) En effet, tout devient itératif, faute de devenir interactif, et les jours, les scènes, les rencontres, les paroles et promesses se répètent de plus en plus souvent, à l’infini, en boucle dans un bogue final.<br /><br />Une pareille production littéraire, à la frontière de la schizophrénie et de la paranoïa, ne peut être exempte de pathologie. Dans un dernier soubresaut de bouffonnerie, l’auteur reconnaît avoir écrit des textes sous l’influence de l’ecstasy, dans l’avertissement au recueil <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, indiquant précisément que la MDMA (méthylène-dioxymétamphétamine), responsable des effets psycho-actifs combinant certains effets des stimulants et ceux des hallucinogènes, et distribuée sous forme de petits bonbons bien innocents, est le pur produit synthétique de notre société: dans un premier temps une certaine euphorie, une sensation de bien-être, une satisfaction et un plaisir de communion et d’empathie avec son entourage, puis une sensation d’angoisse, une incapacité totale à communiquer, une «descente» qui s’apparente à une forme de dépression plus ou moins intense, entraînant des nausées, des sueurs, des maux de tête et aboutissant à une pulsion de mort concrétisée par le suicide, de préférence en public, une fois sur le Web.</p> <p>L’effet se retrouve dans l’écriture même. Langage et pensée se désarticulent:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>Il réfléchit comme quand on donne des coups de poing sur une machine à écrire. Cela donne à peu près ceci&nbsp;: «uhtr&nbsp;!B&nbsp;&nbsp; &nbsp;! jgjikotggbàf&nbsp;! ngègpenkv(&nbsp;&nbsp; &nbsp;ntuj,kguk […]». Ses pensées ressemblent bel et bien à une œuvre de Pierre Guyotat. (Beigbeder, 1994: 132)</p> </blockquote> <p>Autrement le narrateur, sous les effets de la drogue, ne cesse de se poser et reposer des questions qui l’emportent dans une paranoïa totale:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>T’as gobé? T’as gobé? Tagobétagobétagobé? Qui êtes-vous? Pourquoi on se parle à deux centimètres du visage? Est-il exact que vous avez lu mon dernier livre? Pouvez-vous me garantir que je ne rêve pas? Qu’il n’y a plus de fuite possible? Qu’on ne pourra jamais s’évader de soi-même? Que les voyages ne mènent nulle part? Qu’il faut être en vacances toute la vie ou pas du tout? (Beigbeder, 1999: 15)</p> </blockquote> <p>Peu à peu, la langue même devient pour l’écrivain la drogue nécessaire pour se convaincre de son génie. Suite à son interpellation pour consommation de cocaïne sur la voie publique à la sortie d’une boite de nuit, Frédéric Beigbeder est placé en garde à vue au commissariat. Il lutte contre sa claustrophobie en se remémorant son enfance, ce qui le conduit à rédiger <em>Un roman français</em> (2009) qui obtient le prix Renaudot. La fuite est la seule illusion qui demeure. Fuir par l’écriture. Fuir par la lecture. Passer du réel au virtuel car «on peut combattre la réalité de bien d’autres manières qu’en sombrant chaque nuit dans le coma…» (Beigbeder, 1999: 22) Les stupéfiants participent ainsi à la déshumanisation de l’homme (Dyens, 2008) ne faisant plus de lui <em>un roseau pensant</em> mais «un robot qui pense, voilà la vérité». (Beigbeder, 1994: 134)</p> <p>L’écriture sous ecstasy conduit certes à des moments d’extase qui couvrent le travail lancinant de l’angoisse liée à notre mortalité de plus en plus présente: «Attendre que le siècle s’achève. Il meurt de mort lente» (Beigbeder, 1999: 27).</p> <p>La consommation de stupéfiants permet ainsi d’expérimenter l’universel dans le minimalisme. Tel est le sens de la référence à la nouvelle «alchimique» faite à Philippe Delerm – son «négatif» littéraire – dans «La première gorgée d’ecstasy». L’ivresse, première des promesses de l’or, finit par laisser place à la désillusion:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>L’ecstasy fait payer très cher ses quelques minutes de joie chimique. Il donne accès à un monde meilleur, une société où tout le monde se tiendrait par la main, où l’on ne serait plus seul&nbsp;; il fait rêver d’une ère nouvelle, débarrassée de la logique aristotélicienne, de la géométrie euclidienne, de la méthode cartésienne et de l’économie Friedmanienne. Il vous laisse entrevoir tout ça, et puis, tout d’un coup, sans prévenir, il vous claque la porte au nez. (Beigbeder, 1999: 40)</p> </blockquote> <p>«S’il est un terme qui sème, en particulier en France, un effroi dans les esprits, c’est bien celui de postmodernité» (Maffesoli, 2008: 165). L’œuvre de Beigbeder, à la fois sarcastique et dépressive, est fondamentalement eschatologique: elle annonce dès le commencement la fin. Il n’y a donc plus de raison de s’étonner car les bonnes surprises ne font plus partie de ce monde. Toute la réflexion qu’il poursuit au fil de ses textes veut justement témoigner de la <em>peur collective</em> en Occident à l’heure des grands changements. Il ne parvient pas alors à trouver d’autre issue à l’irrémédiable qu’en se débauchant entre Bacchus et Dionysos avant de se réfugier, exténué, dans les bras trompeurs de Morphée.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>Beigbeder, Frédéric, <em>Vacances dans le coma</em>, Paris, Librairie générale française, coll. «Livre de poche; 4070», 2002 [1994].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>99 francs (14,99 €)</em>, Paris, Gallimard, coll. «Folio&nbsp;; 4062», 2007 [2000].<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Nouvelles sous ecstasy</em>, Paris, Gallimard, 1999.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>L’égoïste romantique</em>, Paris, Grasset, 2005.<br />Beigbeder, Frédéric, <em>Un roman français</em>. Paris, Grasset, 2009.<br />Cohen, Daniel, <em>La Prospérité du vice: une introduction (inquiète) à l’économie</em>, Paris, Albin Michel, 2009.<br />Cortanze, Gérard de, <em>Éloge du mensonge</em>, Monaco, Le Rocher, 2012.<br />Dyens, Ollivier, <em>La Condition inhumaine: essai sur l’effroi technologique</em>, Paris, Flammarion, 2008.<br />Kahn, Axel et Papillon, Francis, <em>Copies conformes: le clonage en question</em>, Paris, Nil, 1998.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>Le bonheur paradoxal: essai sur la société d’hyperconsommation</em>, Paris, Gallimard, 2006.<br />Lipovetsky, Gilles, <em>L’Empire de l’éphémère&nbsp;: la mode et son destin dans les sociétés modernes</em>, Paris, Gallimard, 1987.<br />Lyotard, Jean-François, <em>La Condition postmoderne: rapport sur le savoir</em>, Minuit, 1979.<br />Maffesoli, Michel, <em>Iconologies: nos idol@tries postmodernes</em>, Paris, Albin Michel, 2008.<br />&nbsp;</p> Autofiction BEIGBEDER, Frédéric COHEN, Daniel Contre-culture CORTANZE, Gérard de Culture française Cynisme DYENS, Ollivier France Idéologie Imaginaire médiatique Individualisme KAHN, Axel LIPOVETSKY, Gilles LYOTARD, Jean-François Marchandisation PAPILLON, Francis Postmodernité Présentisme Société de consommation Société du spectacle Sociocritique Transgression Nouvelles Roman Sun, 04 Nov 2012 22:01:56 +0000 Daniel S. Larangé 613 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Élise Bergeron, des Éditions du remue-ménage http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-lise-bergeron-des-ditions-du-remue-m-nage <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/bergeron-marie-andr-e">Bergeron, Marie-Andrée</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/remue-ménage.png" type="image/png; length=3735">remue-ménage.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec les Éditions du remue-ménage. Élise Bergeron a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Engagées à rendre aux féministes une voix pour porter leurs revendications et leur culture, <a href="http://www.editions-rm.ca/">les Éditions du remue-ménage</a> remplissent depuis trois décennies une fonction critique et éditoriale en partie fondatrice d’un mouvement en constante redéfinition.&nbsp; Rencontre avec Élise Bergeron, féministe, militante et éditrice depuis 10 ans aux Éditions du remue-ménage.</strong><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">Marie-Andrée Bergeron [MAB]</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> En quelle année la maison d’édition a-t-elle été fondée, par qui, pour quels motifs?<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">Élise Bergeron [EB] —</span></strong> En 1976, par un collectif de femmes. C’était dans la mouvance de la Librairie des femmes et les filles se sont dit : « Pourquoi on n’aurait pas une maison d’édition faite par les femmes, pour les femmes ».</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/f%C3%A9minismes%20%C3%A9lectriques.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/f%C3%A9minismes%20%C3%A9lectriques.png" alt="76" title="" width="263" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis –et permet toujours– de combler un manque sur la scène littéraire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Totalement. Il y a eu quelques maisons d’édition féministes indépendantes dans les années 1970 ailleurs au Canada, surtout dans le milieu anglophone, mais il n’y en a presque plus. Elles ont pour la plupart été rachetées par des grands groupes. Des maisons d’édition qui produisent juste des textes féministes, ça n’existe plus et donc c’est clair que si à l’époque, c’était déjà important, ce l’est d’autant plus aujourd’hui. Il faut que ça existe pour publier des textes qui ne sont pas nécessairement mis de l’avant chez les autres éditeurs. Encore aujourd’hui, c’est important et je me le fais dire chaque fois que je fais des présentations des textes de remue-ménage. Il y a des textes féministes qui paraissent chez d’autres éditeurs, mais c’est vraiment minuscule, c’est une goutte d’eau dans l’océan alors je pense que c’est vraiment pertinent que remue-ménage continue d’exister.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Sur le plan littéraire, considérez-vous que remue-ménage a joué un rôle dans l’émergence de l’écriture des femmes au Québec, avec des publications des textes de <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=556">Nicole Brossard</a> par exemple?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">— </span></strong>Oui. Les premiers textes que remue-ménage a publiés étaient des pièces de théâtre, mais du théâtre très militant ; ensuite, nous avons publié plusieurs poètes comme<a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=326"> Louise Warren</a>, <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=331">Louise Dupré</a>, <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=555">Louise Cotnoir</a> et des essais littéraires, plus formels, comme Nicole Brossard, dont on a réédité le recueil d’essais la <em><a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1245">Lettre aérienne</a></em> dernièrement.<br /><br />&nbsp;<span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la%20lettre%20a%C3%A9rienne.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la%20lettre%20a%C3%A9rienne.jpeg" alt="72" title="" width="265" height="451" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Pourquoi vous êtes-vous éloignées de la sphère plus strictement littéraire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> En ce qui concerne la poésie, principalement pour des raisons économiques malheureusement. C’est aussi une question de circonstances. Les auteures qui étaient dans notre entourage étaient de plus en plus des chercheures. Francine Pelletier, au colloque du 20e anniversaire de Polytechnique, a offert à cette question une piste de réflexion intéressante. Après la tuerie de Polytechnique, en 1989, c’est comme si les féministes s’étaient un peu repliées sur elles-mêmes et avaient pris le parti de travailler dans des sphères plus spécifiques et donc de s’attaquer à des choses plus circonscrites. Je pense que ça paraît dans notre catalogue aussi. Dans ces années-là, on a publié des textes plus pointus en sociologie, en histoire, en science politique et donc moins de textes qui parlent du féminisme et du mouvement plus largement, ce que permet la littérature, je pense. On s’est dès lors plutôt attaqué à des sujets précis comme la violence conjugale par exemple. Les filles se sont mises à travailler dans des champs d’études plus « terrain », d’une part, mais c’est aussi comme si on avait décidé de cibler des sujets, des lieux où on voulait que les choses changent, plutôt que d’investir l’imaginaire et l’espace créatif. Avec Polytechnique, c’est comme si les féministes s’étaient fait dire « taisez-vous », et elles se sont peut-être dit on va être moins sur la place publique, on va être plus en arrière pour faire bouger les choses, mais pas nécessairement comme les poètes et les artistes le font, c’est-à-dire à travers l’investissement d’un lieu où on entend plus distinctement leur voix.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mots%20de%20d%C3%A9sordre.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mots%20de%20d%C3%A9sordre.png" alt="77" title="" width="257" height="324" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> On peut donc dire que c’est en quelque sorte un retrait de la Cité, des champs culturels et artistiques.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Il y en a plusieurs qui ont continué, mais ce n’était pas l’effervescence qu’on avait connu, avec des artistes comme Jovette Marchessault par exemple, une artiste à laquelle est dédiée une de nos publications de la rentrée 2012, d’ailleurs.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée à la base? Qu’en est-il maintenant?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Ça n’a pas changé vraiment. Chez remue-ménage, l’idée a toujours été donner la parole aux femmes, à « toutes les femmes », pas seulement les artistes ou les chercheures. Au début, il y a eu des textes qui allaient dans ce sens-là comme <em><a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1052">La vie d’une femme avec un alcoolique</a></em>, <a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1155"><em>Il n’y a pas lieu, madame</em></a> sur la médicalisation. L’Agenda des femmes c’est un espace pour ça aussi. Il y a en même temps des textes de chercheures, des textes plus universitaires, plus théoriques. Maintenant on ne fait plus de témoignage, mais on collabore beaucoup avec des groupes qui travaillent sur le terrain comme le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, des organismes comme La Rue des femmes et qui donnent la parole à des femmes qui travaillent plus sur le terrain et aussi des chercheures en études féministes dans différentes disciplines spécifiques.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la_vie_dune_femme_avec.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la_vie_dune_femme_avec.jpeg" alt="73" title="" width="265" height="428" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/il_ny_a_pas_lieu_madame.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/il_ny_a_pas_lieu_madame.jpeg" alt="74" title="" width="265" height="420" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Qu’est-ce qui vous intéresse dans un projet et qui vous amène à choisir un texte?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> C’est sûr que comme tous les éditeurs, on cherche des plumes, on cherche des voix, des gens qui ont quelque chose à dire et qui le disent bien. Évidemment la politique éditoriale commande une sensibilité féministe; il faut un biais féministe, ça c’est clair.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">— </span></strong>Le fait d’avoir une politique éditoriale féministe est un couteau à double tranchant, c’est-à-dire que, d’une part, ça nous garantit un lectorat de chercheur.es et de gens qui sont intéressés par le féminisme. Ce lectorat est circonscrit : on sait où sont nos lectrices qui constituent de fait un bassin plus ou moins acquis parce qu’on est les seules à publier des textes sur ces sujets-là. Ensuite, d’un point de vue plus éditorial, je pense que de plus en plus les groupes d’édition deviennent tellement gigantesques et prennent de plus en plus des décisions sur la seule base des profits ou des bénéfices économiques et donc vont publier plus d’exemplaires du même titre pour inonder le marché avec un best-seller. Ultimement, ils finissent par produire moins de contenu; or, nous on peut investir cet interstice-là. Ça nous garantit une originalité. On prend plus de risques que les grands groupes et prendre des risques, ça peut être extrêmement payant, pas nécessairement financièrement, mais du point de vue de la critique, du succès d’estime. On prend donc plus de risque à publier des gens moins connus, des sujets moins mainstream: c’est vrai qu’on peut se planter, mais on peut aussi avoir un grand succès, même un succès commercial. Car les gens cherchent ça aussi. Les gens ne veulent pas juste lire Harry Potter.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> C’est une place inévitable que nous commande le marché. On prend le virage numérique assez lentement, à la hauteur de nos moyens. On pense que dans la mesure où on est à peu près la seule maison d’édition féministe dans la francophonie, le passage vers le numérique peut nous permettre de rejoindre un lectorat hors Québec, par exemple. Ensuite, on a de plus en plus de jeunes lectrices qui lisent peut-être davantage sur les iPad et autres liseuses. On envie que les nouveautés soient disponibles en format numérique, mais on en profite aussi pour rééditer certains titres qui seraient dispendieux à republier et réimprimer et que le format numérique permet de re-diffuser à moindre coût. C’est une façon de redonner un second souffle à certains ouvrages pour les garder vivants.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quelle importance Les éditions du remue-ménage accordent-elles à la « communauté littéraire », celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires? De quelles façons vous inscrivez-vous dans ce réseau-là et pourquoi, le cas échéant, est-il important de vous y inscrire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Dans la mesure où on est des petits, c’est plaisant de faire partie d’un groupe et de créer des solidarités. Par contre on choisit notre gang. Il y a des alliances qui se font plus naturellement que d’autres. On réseaute avec les éditeurs engagés, ceux qui font de la critique sociale, comme Écosociété et Lux par exemple. C’est hyper stimulant parce qu’on partage des infos, un bassin de lecteurs et lectrices. En ce qui concerne les auteur.es, ce sont aussi nos lecteurs et lectrices ; elles se nourrissent les unes des autres et même si parfois dans le mouvement féministe tout le monde n’est pas d’accord, mais le fait d’être ensemble ça compte beaucoup.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Mon coup de cœur revient à des espaces comme <a href="http://fermaille.com/">Fermaille</a> par exemple, aux autres initiatives qui ont gravité autour du mouvement étudiant, de la grève. Les voix qui sont sorties de ça, pour nous, c’est extrêmement stimulant. La place que les jeunes féministes ont prise dans tout ça, c’est clair qu’on trouve ça vraiment enthousiasmant. Ça fait plaisir.<br /><br />Je suis franchement déçue du peu de place qu’on a accordé à la culture dans la dernière course électorale. On nous parle de souveraineté, de notre culture, mais pas de culture.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> De quelles manières voulez-vous investir le milieu pour les années à venir?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Nous c’est sûr qu’on n’a pas l’intention de changer notre ligne éditoriale, on veut continuer à faire des textes féministes et on pense qu’il y a toujours de la place pour le faire. Cette place-là est aussi nécessaire et urgente qu’il y a 36 ans. On n’a pas l’intention de changer notre façon de faire. On n’a pas l’intention de faire partie d’un grand groupe, on veut rester indépendantes. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/agenda%20des%20femmes.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/agenda%20des%20femmes.png" alt="75" title="" width="215" height="331" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Comment se renouveler après plus de 36 ans d’existence?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Ce sont les auteures qui le font. La condition des femmes évolue avec le temps, ça change et on suit l’air du temps, on suit l’époque et les préoccupations des femmes. Dans ce sens-là, on n’a pas besoin de chercher à se renouveler : la vie le fait pour nous. Les domaines de recherche évoluent, nous on suit ça de près. On continue de se coller au mouvement des femmes, et à ce mouvement qui émerge. Il ne s’agit pas juste de suivre le mouvement des femmes, mais les femmes. Les jeunes féministes de CLASSE, celles qui ont participé à la grève, elles ont fait ça seules. Elles sont parties évidemment des acquis, mais nous on les regarde aller et on les suit.&nbsp; On reste au fait de ce qui est en émergence et on veut pouvoir servir ça. Mais il y a aussi des organismes comme La Centrale qui se re-questionnent, se re-positionnent et qui ont redéfini leurs objectifs. Pour nous aussi c’est important de rester ouvertes à l’autocritique.<br />&nbsp;</p> Entretiens Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Wed, 03 Oct 2012 14:08:41 +0000 Marie-Andrée Bergeron 594 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Ta mère http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-ta-m-re <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-gaudette-gabriel">Tremblay-Gaudette, Gabriel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/ta mère.png" type="image/png; length=99998">ta mère.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. Nous inaugurons cette série par un entretien avec la maison d'édition Ta Mère. Maude Nepveu-Villeneuve a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Ta Mère est encore jeune, mais elle a beaucoup d'enfants. Née en 2005, la maison d'édition lancera cette année son dix-septième titre (dix-neuvième, si l'on compte les deux numéros de sa collection spéciale Ta Mère Comic). Depuis le début, Ta Mère a à coeur la diffusion d'une littérature audacieuse et originale et le développement d'une relation solide avec le lecteur. La qualité esthétique de l'objet-livre est aussi au centre de ses préoccupations, et une de ses couvertures a notamment été primée lors du concours LUX 2011. Ses livres lui ont valu des nominations, des mentions ou des prix divers dans le monde de l'édition indépendante ainsi qu'une inscription dans la liste préliminaire du Prix des libraires du Québec 2011. Ce festival de tapes dans le dos institutionnelles lui permet d'élargir toujours davantage son lectorat et son réseau de diffusion, de même que sa crédibilité auprès des recherchistes de Radio-Canada.</strong><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Ta Mère est née en 2005, alors que les trois fondateurs (Maxime Raymond, Rachel Sansregret et Guillaume Cloutier, qui est aujourd’hui parti faire de la musique qui sonne bizarre) étaient encore au cégep. À l’origine, c’était pratiquement de la microédition: la première année, nous avons tout fait nous-mêmes. Dès le départ, nous avions l’idée d’être un peu irrévérencieux et ludiques, tout en offrant un contenu sérieux et de qualité. Faire de beaux objets, grâce au travail de Benoit Tardif, qui est devenu directeur artistique depuis, faisait aussi partie de nos objectifs de départ. On pense qu’il y avait et qu’il y a encore de la place dans le paysage éditorial québécois pour un peu plus d’audace.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-pdr-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Partir de Rien, des éditions Ta mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-pdr-lores.jpg" alt="65" title="Partir de Rien, des éditions Ta mère" width="500" height="875" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Partir de Rien, des éditions Ta mère</span></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;">&nbsp; </span>Au commencement, Ta Mère voulait toucher à tout. On voyait la maison d’édition comme un lieu d’exploration et d’apprentissage, sans limites. Maintenant, nous privilégions plutôt les récits longs, peu importe leur genre, à condition qu’ils aient quelque chose d’unique à proposer. Nous aimons bien les nouvelles, aussi, mais il faut que le recueil soit cohérent, ou même conceptuel. Et pour l’instant, nous ne publions plus de poésie. Par contre, ce qui reste depuis le début, c’est un intérêt marqué pour le design. C’est pourquoi nous publions d’autres types de projets, comme notre série de comics.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-m%C3%A9nagerie-fb.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Ménageries de Ta mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-m%C3%A9nagerie-fb.jpg" alt="66" title="Ménageries de Ta mère" width="580" height="757" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Ménageries de Ta mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double</strong></span><span style="color:#808080;"><strong> —</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les&nbsp; manuscrits que vous recevez?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>Chaque projet est différent, et chaque manuscrit a sa propre façon de nous accrocher. Le point commun, c’est probablement une vision personnelle et singulière du monde et une forme littéraire inventive. Ça prend aussi une certaine dose d’insouciance et d’effronterie, même si le texte lui-même peut être assez sérieux. En gros, nous publions les livres qui nous plaisent assez pour qu’on passe un an à travailler relativement bénévolement dessus.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-michel-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Michel Tremblay de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-michel-lores.jpg" alt="67" title="Michel Tremblay de Ta Mère" width="500" height="878" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Michel Tremblay de Ta Mère</span></span></span><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double</strong></span><span style="color:#808080;"><strong> —</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;">&nbsp; </span>Le réseau de lecteurs se construit petit à petit, événement par événement, livre par livre, librairie par librairie. Ta Mère a toujours voulu développer une identité forte en tant qu’éditeur, pour créer un lien de confiance avec les lecteurs. C’est comme ça qu’ils en viennent à attendre « le prochain Ta Mère » et qu’ils prennent le risque d’acheter un livre dont ils ne savent pas grand-chose. Twitter, Facebook et les relations avec des blogueurs nous aident beaucoup à créer cette identité, mais le travail visuel de Benoit y est aussi pour beaucoup. Et évidemment, des subventions et un diffuseur, ça aide à sortir du cercle initial de lecteurs, à atteindre de plus gros médias et un public plus large. Nous commençons tout juste à transformer notre catalogue pour les liseuses numériques, ce qui pourrait aussi nous permettre de joindre d’autres lecteurs: on verra bien!<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Tout le monde, dans le milieu, sait que l’édition est un travail difficile et un marché dur à percer. Avec les autres éditeurs qu’on connaît (et on finit tous par se connaître à force de fréquenter les mêmes événements), il y a une sorte d’entraide: on se donne des tuyaux (le nom d’un imprimeur, par exemple) et on s’intéresse à ce que font les autres. Quelques éditeurs indépendants ont aussi créé Dynamo-Machines, dont on fait partie. C’est un organe de diffusion de l’édition indépendante, pour maximiser la diffusion des catalogues et faciliter l’accès des petits éditeurs à des salons qui coûtent cher (dynamomachines.com). On ne sent pas vraiment de compétition directe dans la communauté: le but est de faire rayonner les livres le plus possible, pas de devenir riche.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>…quels événements littéraires? Sérieusement, on aime beaucoup tout ce qui se passe en BD en ce moment, ça bouillonne de ce côté-là, avec des gens comme Pow Pow, Colosse, la Mauvaise tête… Et du côté du Quartanier, aussi, il se fait des choses vraiment intéressantes. Ce qu’on n’aime pas: les couvertures de livre fades, qui ne prennent pas de risque; les maisons d’édition qui marchent au cash; tout ce qui ne se réinvente pas.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-glissade-lowres_0.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d&#039;eau) de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-glissade-lowres_0.jpg" alt="68" title="Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d&#039;eau) de Ta Mère" width="500" height="875" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (histoires de glissades d'eau) de Ta Mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span>&nbsp; Vous multipliez les livres collectifs (<em>Le livre noir de Ta mère</em>, <em>Maison de vieux</em>, <em>Les cicatrisés de Saint-Sauvignac</em>). Qu’est-ce qui vous séduit dans ce type de projet?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>— </strong></span>C’est surtout l’intérêt de travailler avec plusieurs auteurs qu’on aime, et aussi la possibilité d’aborder une thématique sous plusieurs angles différents. On aime voir comment les visions personnelles des auteurs peuvent se juxtaposer et se contredire dans un même livre. Et on aime pouvoir publier quelqu’un qui n’a pas encore écrit de roman ou de recueil à lui tout seul, mais qui peut apporter quelque chose de bon à un collectif.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-maisondevieux-cover-lores.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Maison de vieux de Ta Mère"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/c1-maisondevieux-cover-lores.jpg" alt="70" title="Maison de vieux de Ta Mère" width="500" height="872" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Maison de vieux de Ta Mère</span></span></span><br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Salon Double </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span> Beaucoup de vos livres se concentrent sur une problématique inhabituelle ou pouvant avoir l’air «triviale». Trouvez-vous qu’on a une vision trop sérieuse de la littérature? Qu’est-ce qui vous pousse vers ce genre de concept très éloigné de l’idée de la «Grande littérature»?<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Ta Mère </strong></span><span style="color:#808080;"><strong>—</strong></span><span style="color:#808080;"> </span>Pour nous, il y a la littérature tout court, la bonne et la mauvaise, mais pas la «grande» et la «petite», la «vraie» et la «fausse». Nous ne sommes pas les premiers à aborder des thématiques triviales: des auteurs qu’on considère comme des «grands» l’ont fait bien avant nous (<em>Madame Bovary </em>et <em>Orgueil et préjugés</em>, c’est quoi, sinon des histoires de triangles amoureux?). Le sujet importe peu, tout est dans la façon d’en parler.<br /><br /><strong>Les prochains titres à paraître de Ta Mère sont:</strong></p> <div><strong><i>Danser a capella</i>, un recueil de monologues dynamiques par Simon Boulerice (à paraître le 25 septembre, lancement le 2 octobre prochain à partir de 19h00, à la Librairie Raffin, 6330 St-Hubert, Montréal);</strong></div> <div><strong><i>Toutes mes solitudes!</i>, un roman de plage pour intellectuels par Marie-Christine Lemieux-Couture (à paraître mi-novembre).</strong></div> <div>&nbsp;</div> <div>Pour en savoir plus: <span><span><a href="http://www.tamere.org/a-paraitre/" target="_blank">http://www.tamere.org/a-<wbr>paraitre/</wbr></a><br /><br /><em>Salon Double remercie Maude Nepveu-Villeneuve d'avoir accepté de répondre à notre questionnaire au nom des Éditions de Ta Mère, et Benoît Tardif, directeur artistique de la maison d'édition, de nous avoir fourni les couvertures des livres afin d'illustrer l'entretien. </em></span></span><br />&nbsp;</div> Canada Québec Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Tue, 25 Sep 2012 16:19:46 +0000 Gabriel Gaudette 588 at http://salondouble.contemporain.info