Salon double - COOPER, Denis http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/336/0 fr Game Over http://salondouble.contemporain.info/lecture/game-over <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/guilet-anais">Guilet, Anaïs</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/dieu-jr">Dieu Jr.</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>&nbsp;</p> <div><em>Dieu Jr</em>., roman de Dennis Cooper, est le r&eacute;cit des souffrances, des interrogations et de la culpabilit&eacute; de Jim, un homme endeuill&eacute; par la mort de son fils Tommy. Celui-ci est d&eacute;c&eacute;d&eacute; des suites d&rsquo;un accident de voiture, qui a &eacute;galement co&ucirc;t&eacute; au p&egrave;re l&rsquo;usage de ses jambes, son travail d&rsquo;agent immobilier et sans doute son mariage.&nbsp;Jim sombre alors dans une folie volontaire qu&rsquo;il nourrit par la marijuana. Il se donne ensuite pour mission d&rsquo;apprendre &agrave; mieux conna&icirc;tre son fils en finissant sa derni&egrave;re partie de jeu vid&eacute;o, lequel a obs&eacute;d&eacute; le fils comme il obs&egrave;de le p&egrave;re. Tommy en a d&rsquo;ailleurs dessin&eacute; des &eacute;l&eacute;ments &eacute;pars, dont un monument que Jim, ignorant dans un premier temps qu&rsquo;il &eacute;tait tir&eacute; du jeu, s&rsquo;empresse de prendre pour un projet architectural g&eacute;nial. Il se met &agrave; construire, dans le jardin familial, une exacte r&eacute;plique de ce mausol&eacute;e bariol&eacute; et incongru, qualifi&eacute; tour &agrave; tour par son entourage de &laquo;montagnes russes miniatures &agrave; moiti&eacute; effondr&eacute;es&raquo; (p.22), de &laquo;gigantesque bonbon immangeable&raquo; (<em>id.</em>), ou encore de &laquo;produit d&eacute;lirant de l&rsquo;art populaire&raquo; (<em>id.</em>). En bref, le monument repr&eacute;sente le dernier d&eacute;lire commun d&rsquo;un fils et d&rsquo;un p&egrave;re trop &laquo;d&eacute;fonc&eacute;s&raquo;.<br /> &nbsp;</div> <div>La violence, le trauma et la mort sont les sujets principaux de <em>Dieu Jr.</em>, ainsi que d&rsquo;un bon nombre de romans de Dennis Cooper, comme <em>My Loose Thread </em>(2002)<em>.</em> Il s&rsquo;agit de th&eacute;matiques que l&rsquo;on retrouve fr&eacute;quemment en litt&eacute;rature mais qui arborent ici des aspects tr&egrave;s contemporains en &eacute;tant trait&eacute;es &agrave; travers la perspective du jeu vid&eacute;o.<br /> &nbsp;</div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Dissection d&rsquo;un deuil</strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>Jim est un p&egrave;re qui cherche avant tout &agrave; donner un sens &agrave; la mort de son fils et &agrave; soulager sa peine. Pour d&eacute;crire un tel drame, Dennis Cooper, dont la marque de fabrique reste plut&ocirc;t sexe, violence et culture <em>queer</em>, n&rsquo;offre pas un r&eacute;cit path&eacute;tique ou compatissant. Il n&rsquo;y aura pas de r&eacute;elle r&eacute;demption possible pour Jim, pas plus que de v&eacute;ritable r&eacute;confort et encore moins de <em>happy end</em>. Le style de Dennis Cooper est direct, rigoureux, incisif, presque aust&egrave;re parfois, ponctu&eacute; d&rsquo;un humour caustique et de r&eacute;f&eacute;rences &agrave; la culture populaire. On retrouve ainsi parmi les grandes figures et h&eacute;ros du jeune Tommy Tony Hawk, Christina Ricci ou encore Ozzy Osbourne.<br /> &nbsp;</div> <div><em>Dieu Jr</em>, m&ecirc;lant violence et humour, laisse souvent son lecteur aux prises avec un malaise que l&rsquo;auteur ne cherche aucunement &agrave; dissiper. Le lecteur est conduit sans concession au c&oelig;ur d&rsquo;un processus morbide. Il doit faire face, &agrave; l&rsquo;image de Jim, &agrave; la difficult&eacute; des relations p&egrave;re-fils ainsi qu&rsquo;au poids du traumatisme. Dans ce roman, le traitement des mots et des personnages pr&eacute;sente une duret&eacute; presque physique qui entre en r&eacute;sonance avec la force &eacute;motionnelle du roman tout entier. Nous n&rsquo;avons pas affaire &agrave; la description chirurgicale d&rsquo;actes sexuels ou sadomasochistes, comme souvent dans les romans pr&eacute;c&eacute;dents de Cooper (Cf. <em>Le George Miles Cycle</em><a name="_ednref1" href="#_edn1"><span><span>[1]</span></span></a>). Dans <em>Dieu Jr</em>., la th&eacute;matique se fait moins sulfureuse, tout en restant en continuit&eacute; avec l&rsquo;&oelig;uvre enti&egrave;re de Dennis Cooper, puisqu&rsquo;elle propose, malgr&eacute; tout, une forme d&rsquo;intrusion dans l&rsquo;intimit&eacute; du personnage principal: l&rsquo;intimit&eacute; d&rsquo;un deuil. <br /> <span style="color: rgb(51, 51, 51);"><br /> </span></div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La catharsis vid&eacute;oludique</strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>La troisi&egrave;me section du roman, intitul&eacute;e &laquo;Le gribouillage pu&eacute;ril&raquo;, est la partie la plus &eacute;mouvante, mais aussi la plus ing&eacute;nieuse du roman. Elle propose un r&eacute;cit all&eacute;gorique du parcours de Jim, que l&rsquo;on pourrait qualifier d&rsquo;initiatique, dans la partie de jeu vid&eacute;o laiss&eacute;e par Tommy. Le p&egrave;re y incarne un ours, &agrave; travers lequel se r&eacute;v&egrave;lent son &eacute;tat &eacute;motionnel ainsi que l&rsquo;&eacute;tendue de sa culpabilit&eacute; vis-&agrave;-vis de son fils. L&rsquo;objectif de Jim dans le jeu est avant tout de trouver le moyen de p&eacute;n&eacute;trer dans le fameux monument qui a inspir&eacute; les croquis de son fils. Encore une fois, humour et trag&eacute;die se m&ecirc;lent &agrave; travers une r&eacute;appropriation captivante du jeu vid&eacute;o. Tr&egrave;s rapidement l&rsquo;ours, jou&eacute; successivement par Tommy et Jim, essaie de se faire passer pour Dieu aupr&egrave;s des autres personnages du jeu:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;ours avait recrut&eacute; une petite arm&eacute;e de lapins admiratifs, de tortues en forme de losange, et de trucs multipattes comme des insectes. Ils nous pistaient, bruissants et paillet&eacute;s comme des appareils de paparazzis tomb&eacute;s sur le sol et auxquels des pattes auraient pouss&eacute; (p. 118). </span></div> <div>Le jeu vid&eacute;o d&eacute;crit dans <em>Dieu Jr. </em>n&rsquo;est pas identifi&eacute;, mais il semble &ecirc;tre une variation entre les univers de Shigeru Miyamoto<a name="_ednref2" href="#_edn2"><span><span>[2]</span></span></a> et le <em>Banjo-Kazooie</em> de Greggory Mayles, tous deux travaillant chez Nintendo.<br /> &nbsp;</div> <div><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Du jeu m&eacute;diatique au processus de deuil </strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>L&rsquo;usage du jeu vid&eacute;o dans une &oelig;uvre litt&eacute;raire t&eacute;moigne de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t toujours pr&eacute;gnant de Dennis Cooper pour l&rsquo;environnement m&eacute;diatique contemporain. Les nouvelles technologies &eacute;taient d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s pr&eacute;sentes dans <em>Period</em> (2001) et <em>The</em> <em>Sluts </em>(2005): deux romans dont les intrigues se passaient en ligne. L&rsquo;auteur s&rsquo;inscrit ainsi en plein c&oelig;ur de ce que l&rsquo;on pourrait appeler, &agrave; la suite de N. Katherine Hayles, &laquo;l&rsquo;&eacute;cologie m&eacute;diatique contemporaine&raquo; (<em>medial ecology</em>):</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;expression sugg&egrave;re que les relations entre les diff&eacute;rents m&eacute;dias sont aussi vari&eacute;es et complexes que celles entre des organismes diff&eacute;rents qui coexistent au sein du m&ecirc;me &eacute;cotone, incluant mimicry, duperie, coop&eacute;ration, agitation, parasitisme et hyperparasitisme (ma traduction).</span><a name="_ednref3" href="#_edn3">[3]</a><sup><span><a name="_ednref3" href="#_edn3"></a></span></sup><span><a name="_ednref3" href="#_edn3"><span> <p></p></span></a> </span></div> <div>Parce qu&rsquo;il oscille entre deux m&eacute;dias, <em>Dieu Jr. </em>appartient &agrave; ce nouveau syst&egrave;me contemporain o&ugrave; un nombre toujours plus grand de m&eacute;dias s&rsquo;hybrident, s&rsquo;influencent et s&rsquo;opposent, engendrant de nouvelles voies pour la litt&eacute;rature.<br /> &nbsp;</div> <div>Le jeu m&eacute;diatique op&eacute;r&eacute; par Dennis Cooper passe avant tout par un proc&eacute;d&eacute; de rem&eacute;diatisation. Ce terme initi&eacute; par Jay David Bolter et Richard Grusin dans <em>Remediation: Understanding New Media</em> (2000) d&eacute;crit la m&eacute;diation d&rsquo;un m&eacute;dia. Soit ici: <em>Dieu Jr.</em> rem&eacute;diatise le jeu vid&eacute;o dans un livre. Ce proc&eacute;d&eacute; permet une perspective originale et tr&egrave;s contemporaine sur la probl&eacute;matique du deuil. Dans le jeu vid&eacute;o, la mort n&rsquo;est rien, un simple <em>game over</em> dans une partie qui, si on l&rsquo;a sauvegard&eacute;e correctement, peut &agrave; jamais recommencer. Le jeu vid&eacute;o est finalement &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de la vie; c&rsquo;est pourquoi il constitue l&rsquo;endroit r&ecirc;v&eacute; pour un p&egrave;re endeuill&eacute; qui refuse la r&eacute;alit&eacute;. Gr&acirc;ce au truchement du jeu, la probl&eacute;matique de la mort dans <em>Dieu Jr. </em>prend une tout autre acuit&eacute;. Jim, &agrave; travers l&rsquo;ours qu&rsquo;il manipule, entre en conversation philosophique avec un ours polaire, &laquo;petit morveux qui porte un short Hip Hop qui pendouille&raquo; (p. 131):</div> <div class="rteindent1">&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je sais que mourir n&rsquo;est pas une grosse affaire. Je comprends que &ccedil;a &eacute;quivaut &agrave; une petite sieste. Mais o&ugrave; je vis, la mort c&rsquo;est la fin de tout. Un effacement. Si terrible qu&rsquo;on d&eacute;cide que la mort est invisible et muette. La mort est quelque chose de si mauvais qu&rsquo;on pr&eacute;f&egrave;re devenir fou plut&ocirc;t que de savoir qu&rsquo;un seul d&rsquo;entre nous n&rsquo;existe plus. &Ccedil;a c&rsquo;est moi (p. 133).</span></div> <div>Ce que Jim va apprendre gr&acirc;ce au jeu vid&eacute;o, c&rsquo;est qu&rsquo;il y a des r&eacute;ponses introuvables et des ch&acirc;teaux dont les portes n&rsquo;ont pas de cl&eacute;s. Cependant, il existe en contrepartie toujours une voie de sortie et le prix &agrave; gagner n&rsquo;est ni un &laquo;m&eacute;ga-saut&raquo; ni l&rsquo;impunit&eacute; mais, ainsi que l&rsquo;&eacute;crit Dennis Cooper, le choix d&rsquo;accorder &agrave; l&rsquo;amour un r&ocirc;le existentiel:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;amour est cette chose dans la vie &agrave; laquelle on donne le plus gros prix. C&rsquo;est comme ce monument ou comme toi [Jim], pour que tu n&rsquo;aies pas trop la grosse t&ecirc;te. Tu veux &ecirc;tre &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de cet amour, m&ecirc;me si c&rsquo;est vide, et m&ecirc;me si ceux qui le cachent divorcent de toi ou sont mort. (p.&nbsp;149) </span></div> <div><em>Dieu Jr</em>. offre ainsi une sorte de parabole douce-am&egrave;re sur le cheminement du deuil. Le mausol&eacute;e, issu du jeu et de l&rsquo;imagination de Tommy, prendra feu dans la derni&egrave;re partie du roman. Un feu purificateur, d&rsquo;origine inconnue, mais dont Jim est, pour le lecteur, le principal suspect. Le monument, symbolique de la d&eacute;mesure de la souffrance du p&egrave;re, devait dispara&icirc;tre, tout comme en parall&egrave;le la partie de jeu vid&eacute;o, dernier lien avec son fils, devait &ecirc;tre achev&eacute;e: dans un ultime <em>game</em> <em>over</em>.</div> <div> <div>&nbsp;</div> <hr size="1" width="33%" /> <div id="edn1"> <div><a name="_edn1" href="#_ednref1"><span>1</span></a> Le <em>George Miles Cycle</em> est compos&eacute; de cinq romans: <em>Closer</em>, <em>Frisk</em>, <em>Try</em>, <em>Guide</em> et <em>Period,</em> dont les th&egrave;mes de pr&eacute;dilection sont le sexe et la violence. Ces romans interrogent les statuts sociaux et culturels d&rsquo;un petit groupe de f&eacute;tichistes, qui t&acirc;che de r&eacute;sister aux pr&eacute;jug&eacute;s d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; bourgeoise.</div> </div> <div id="edn2"> <div><a name="_edn2" href="#_ednref2"><span><span>2</span></span></a> Shigeru Miyamoto est le cr&eacute;ateur de <em>Donkey Kong</em>, <em>Mario Bros.</em> et <em>Zeld</em>a entre autres, jeux phares de la soci&eacute;t&eacute; Nintendo.</div> </div> <div id="edn3"> <div><a name="_edn3" href="#_ednref3"><span><span>3</span></span></a> N. Katherine Hayles, <em>Writing</em> <em>Machines</em>, Cambridge &amp; Londres, Mediawork, MIT Press, 2002, p.5.</div> </div> </div> <div>&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/game-over#comments COOPER, Denis Deuil Dialogue médiatique États-Unis d'Amérique HAYLES, N. Katherine Violence Roman Tue, 20 Oct 2009 01:01:54 +0000 Anaïs Guilet 139 at http://salondouble.contemporain.info