Salon double - Représentation du corps http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/341/0 fr Performance toxicomaniaque : comment recoller ensemble des milliers de petits bouts de soi http://salondouble.contemporain.info/article/performance-toxicomaniaque-comment-recoller-ensemble-des-milliers-de-petits-bouts-de-soi <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/monette-annie">Monette, Annie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/a-million-little-pieces">A Million Little Pieces</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/critures-sous-influence-pr-sence-des-drogues-en-litt-rature-contemporaine">Écritures sous influence: présence des drogues en littérature contemporaine</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Lorsqu’on s’intéresse à ce qui est le plus souvent nommé la littérature de la drogue, on remarque très rapidement un consensus chez les critiques et les historiens: cette littérature particulière serait plus ou moins morte à la fin des années 1960. C’est effectivement le constat que fait Max Milner (2000), pour qui Henri Michaux<strong><a href="#1a" name="1">[1]</a></strong> représente le dernier auteur de la drogue<strong><a href="#2a">[2]</a></strong><a name="2"></a>. Cette conclusion soulève un problème si on souhaite réfléchir aux textes de la drogue du point de vue de la littérature contemporaine. Car en apposant une date de péremption au-delà de laquelle toute littérature de la drogue devient impossible, Milner tire en effet un trait sur toutes les productions littéraires publiées après les années 1960, qui ont pourtant elles aussi traité de l’expérience de la drogue. Ce découpage assez artificiel, sans ignorer complètement ces textes, postule par avance leur non-valeur. Il est vrai que cette vision repose en partie sur un véritable désintérêt envers les substances toxiques: désintérêt de la psychiatrie, qui cesse d’y voir un outil pour comprendre la maladie mentale ou un remède pour la soigner; désintérêt des entreprises pharmaceutiques qui abandonnent leur production et leurs recherches; désintérêt «social» également, qui se traduit notamment par une moins grande acceptabilité de l’usage des drogues (qui peut être en partie expliquée par le durcissement des lois contre le trafic et la possession de substances illicites); désintérêt, au moins apparent, des artistes, poètes et intellectuels pour des substances de moins en moins exotiques<strong><a href="#3a">[3]</a></strong><a name="3"></a>.<br /><br />Mais plutôt qu’un point de non-retour, ne faudrait-il pas plutôt voir une transformation, un changement dans/de la littérature de la drogue? À mon sens, il est plus intéressant de chercher à voir ce que cette littérature est devenue que d’annoncer prématurément sa fin, sur la base que les moyens ne sont plus les mêmes.</p> <p style="text-align: justify;"><br />C’est en ayant en tête ces prémisses que j’ai abordé <em>A Million Little Pieces</em> (2003), de James Frey et c’est en considérant ce texte comme un exemple d’une potentielle «nouvelle» écriture de la drogue que je l’ai parcouru et que je souhaite, dans les pages suivantes, y réfléchir.<br /><br /><strong><span style="color:#808080;">Du vrai et du faux</span></strong><br /><br />Le «scandale» autour de la publication de ce texte est connu. Frey a présenté, d’abord à son éditeur, puis à son lectorat, <em>A Million Little Pieces</em> comme un récit «totalement» authentique sur le plan biographique: ce «cauchemar américain» était le sien et il le livrait, sans pudeur, aux yeux des lecteurs — ce qui a achevé, on le comprend, de les émouvoir et d’attiser leur curiosité (et de mousser les ventes). En effet, le succès, tant populaire que critique, a été très rapide. Frey a enchaîné les entrevues télévisuelles et a été l’invité d’Oprah qui l’a rapidement sacré l’un des auteurs les plus géniaux de sa génération. Or on sait qu’il y avait une part de jeu, de contrefaçon, voire de fraude dans cette affaire. Tout ce qu’a écrit Frey n’est pas vrai. Des faits ont été gonflés, d’autres inventés. C’est au site Internet «The Smoking Gun» qu’on doit la révélation de ce «scandale»<strong><a href="#4a" name="4">[4]</a></strong>. Frey nie d’abord, puis jongle avec les idées de «vérité» et d’«authenticité» avant d’avouer. Son éditeur, qui d’emblée le défend bec et ongles, doit se rétracter devant les faits. Une note de l’auteur et une autre de l’éditeur accompagnent désormais la nouvelle édition.<br /><br />Au-delà de ce prétendu scandale<strong><a href="#5a" name="5">[5]</a></strong>, ce qui m’apparaît particulièrement intéressant est l’idée de la performance. Se présenter sur les plateaux de télévision, arguer que son récit est «purement autobiographique», établir une correspondance sans équivoque entre le narrateur et l’auteur, témoigner devant tous de sa «vie de toxico» relève en effet d’une certaine forme de performance, d’un certain <em>acting</em>. En effet, Frey s’est en quelque sorte composé un personnage (le narrateur du texte) qu’il a ensuite incarné, interprété: c’est dans la peau de ce narrateur qu’il s’est présenté à ses lecteurs, aux critiques, aux caméras. Certes, la ligne est ici mince entre la réalité et la fiction: malgré les inventions, Frey demeure proche de ce personnage de toxicomane. Mais démêler le vrai du faux, l’invention de l’authentique, est-ce au fond intéressant ou important? Ce qui m’apparaît digne d’intérêt, c’est que Frey a intentionnellement levé la frontière, il a prétendu qu’elle n’existait pas. Il s’est dès lors mis, dans une certaine mesure, à performer son texte, à incarner «James», à jouer son propre rôle. Cette performance s’est toutefois menée <em>autour</em> du texte. On peut alors se demander comment elle agit <em>dans</em> le texte.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Le corps du toxicomane, objet d’une performance</strong></span></p> <p style="text-align: justify;"><br />L’idée de la performance, considérée au sens de représentation, implique de façon presque inévitable le corps. Dans la performance artistique, par exemple, c’est lui qu’on met de l’avant, c’est lui qu’on soumet à l’action exécutée en même temps qu’aux regards des spectateurs. Dans le texte de la drogue, le corps est pareillement sujet à la représentation: parce que c’est en lui que la drogue a pénétré, sur lui qu’elle s’est imprimée et qu’elle a laissé des traces, parfois ineffaçables. Chez Frey, le corps trouve plusieurs formes de «performation». D’abord, dans les descriptions inévitables de l’agonie, des maux, des blessures et de l’état d’abjection dans lequel se retrouve le corps. C’est d’ailleurs sur un tel tableau disgracieux que s’ouvre <em>A Million Little Pieces</em>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />I wake to the drone of an airplane engine and the feeling of something warm dripping down my chin. I lift my hand to feel my face. My front four teeth are gone, I have a hole in my cheek, my nose is broken and my eyes are swollen nearly shut. […] I look at my clothes and my clothes are covered with a colorful mixture of spit, snot, urine, vomit and blood. (p. 1)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cet incipit introduit assez brutalement le lecteur à ce qui lui sera, dans la suite du texte, constamment re-présenté: une enveloppe corporelle malmenée, incomplète, trouée, d’où fuient des fluides écœurants, comme si le corps se recrachait lui-même. Les scènes répétitives de dégurgitation montrent en ce sens non seulement un corps malade, mais encore un corps qui se désagrège de l’intérieur:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />[…] I crawl into the Bathroom and I grab the sides of the toilet and I wait. It sweat and my breath is short and my heart palpitates. My body lurches and I close my eyes and I lean forward. Blood and bile and chunks of my stomach come pouring from my mouth and my nose. (p. 20)<br />&nbsp;</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">À l’écoulement et à l’expulsion répond une action contraire, mais en même temps complémentaire: le remplissage. Le corps du toxicomane en est un qui demande sans cesse à être rempli. De drogues, évidemment, mais, lorsque la cure de désintoxication est entamée, de tout ce qui peut être ingurgité: nourriture, fumée du tabac, café sont consommés en quantité et de façon constante, comme s’il était impossible d’atteindre la satiété: «Get something. Get something hard and get something fast. Fill me. Fill me till I die.» (p. 81) «Once a junky, always a junky» (2003, p. 97), disait Burroughs: qu’on se bourre de crack jusqu’aux yeux ou qu’on mange jusqu’à s’en faire éclater, peu importe. Il est question de combler un besoin:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />The food is a drug, a drink, a chemical, a substance. No one cares that they are getting all they can handle, that they have more than they need. If they could, the men would eat the furniture, the bookshelves, the plates, the napkins, the banquet tables, the coffee machine. (p. 334)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />La double action récursive vider/emplir, emplir/vider devient donc une expression, une&nbsp; manifestation de la consommation. La mécanique toxicomaniaque est incarnée, elle est <em>incorporée</em>.<br /><br />D’autres scènes récurrentes dans<em> A Million Little Pieces</em> participent de façon similaire à la mise en scène du corps. Les scènes que j’appellerais «du miroir», dans lesquelles James observe d’abord les ravages et les blessures, puis, lentement, les améliorations, les guérisons ont évidemment pour but de montrer le corps, non seulement au lecteur, mais encore au narrateur qui se retrouve à se (re)voir: la difficulté éprouvée par James à regarder (dans) ses yeux illustre d’ailleurs la peine éprouvée à la monstration du corps; le spectacle du corps du toxicomane n’en est pas un facile à contempler. Les «scènes de la douche», quant à elles, montrent la souffrance imposée par le drogué sur son corps: l’eau volontairement trop chaude qui pique et brûle la peau de James reproduit la souffrance que le toxicomane s’est infligée avec la drogue. Ici, cependant, il s’agit de reprendre contact avec le corps, par le moyen contradictoire de la douleur.<br /><br />Mais je pense plus précisément à la scène effroyable de l’opération chez le dentiste; James, étant toxicomane, ne peut recevoir d’anesthésiant. Il doit subir «à froid» la reconstruction de sa dentition<strong><a href="#6a">[6]</a></strong><a name="6"></a>:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />The drills come out and a vacuum starts sucking the dying flesh surrounding my root from the canal that holds it. The agony does not subside. The vacuum stops and the remaining flesh is scraped from the interior of the canal with some sort of sharp pointed instrument. The agony does not subside. The vacuum goes back and comes out, the scraping continues. The agony does not subside. (p. 63)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br /><br />Je ne donne qu’un très court extrait de cette scène qui s’étend sur plusieurs pages. On se trouve ici à la limite du soutenable, pour le narrateur comme pour le lecteur: le dernier seuil de la souffrance est franchi. La performance du corps dans cet épisode dépasse la représentation: le but consiste moins à décrire en mots la torture horrible à laquelle James doit se soumettre que d’utiliser les mots pour rejouer la scène, pour réactiver par eux la douleur et refaire cette expérience corporelle extrême.<br /><br /><strong><span style="color:#808080;">Les mots comme outils de la performance</span></strong></p> <p style="text-align: justify;"><br />La performance, justement, c’est aussi une affaire de mots, d’écriture et de langage. En effet, performer signifie un mode d’expression, une mise en acte de la parole. Dans l’écriture de la drogue, la performance consiste à soumettre le langage à une opération qui permet de <em>dire</em> la drogue. Car l’expérience vécue (parce qu’elle est avant tout affaire de perception, parce qu’elle correspond à une réalité unique, non partageable et non reproductible) dépasse très souvent les capacités langagières de l’auteur. Elle tient de l’indicible. En cela, Frey n’est pas différent de ses prédécesseurs: sa performance textuelle repose sur une série de moyens employés pour faire correspondre l’écrit et l’expérience. Je ne les passerai pas tous en revue<strong><a href="#7">[7]</a></strong><a name="7"></a>, mais je signale par exemple l’usage de phrases très courtes qui décrivent les gestes posés entre les paroles échangées par les protagonistes: «She pulls away and we stand. She speaks./ Have a good night./ I will. She turns and she starts to walk away. I speak./Lilly./ She stops and she looks back./ What?/ I’ll miss you./ She smiles./ Good.» Ces passages donnent au texte un rythme particulier, en venant en quelque sorte découper les dialogues et en leur ajoutant une dimension «visible»: au-delà des paroles prononcées, le lecteur «voit» les réactions, les gestes, les mimiques. Le corps refait surface par/dans la lettre. Je remarque également la façon dont Frey construit ses dialogues (nous en avons déjà un exemple dans la citation précédente). Ceux-ci ne sont pas indiqués par des tirets et sont dépourvus des renvois (tel «dit-il» ou «demande-t-elle») qui permettent normalement de bien suivre l’échange et qui distinguent le dialogue de la narration. Ses dialogues se présentent plutôt comme une succession de phrases (souvent brèves) placées les unes sous les autres, comme à la chaine:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p style="text-align: justify;"><br />Tell me a story.<br />It’s your turn.<br />I want you to start.<br />Why?<br />Because you’re braver than me.<br />Why do you think that.<br />Just tell me a story.<br />What do you want to hear?<br />Tell me a story about love. (p. 204)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;"><br />Cette façon d’écrire les dialogues produit un certain effet graphique<strong><a href="#8a">[8]</a></strong><a name="8"></a>: la disposition des lignes sur la page attire automatiquement l’œil et déclenche en même temps un rythme particulier de lecture, rapide, descendant. L’absence d’artifices expressifs donne de même l’impression d’une oralité renforcée: dans une véritable conversation, évidemment, on ne dispose pas de tirets et d’indications sur les renvois de parole. Les dialogues de Frey tendent à reproduire ce réalisme de l’échange, à mettre en acte une «parole parlée». Si on rapproche cette écriture particulière du dialogue de la stratégie précédente (les deux se confondent souvent, d’ailleurs), on s’aperçoit que la performance appelle la performativité: par l’écriture, il s’agit de réaliser ce qui a été vécu.</p> <p style="text-align: justify;">Frey fait aussi un usage répété et orthographiquement incorrect de la majuscule en début de mots. Outre accorder une importance à certains termes, je pense que ce procédé relève d’une certaine fonction identificatrice. En effet, «I», en anglais, s’écrit invariablement avec une majuscule; le «je» est toujours un nom propre. On pourrait donc avancer que les mots auxquels Frey met une majuscule sont des termes qui lui servent à s’identifier, à s’affirmer, à se reconnaître. L’exemple le plus illustratif réside sûrement en cette phrase, répétée en plusieurs endroits dans le texte: «I am an Alcoholic and I am a Drug Addict and I am a Criminal.» Frey affirme ce qu’il est, ce qu’il sera toujours, malgré la désintox, malgré le renoncement à la drogue et à l’alcool, malgré la réinsertion sociale: «I am what I am because I made myslef so.» (p. 221). L’utilisation de la majuscule en début de mots apparaît ainsi comme un procédé de re-présentation de soi.<br /><br /><strong><span style="color:#808080;">Nouvelle littérature de la drogue ou nouveau regard sur une littérature singulière?</span></strong></p> <p style="text-align: justify;"><br />Cette performance que je me suis efforcée de mettre au jour dans ces quelques pages constitue sans aucun doute une particularité de l’écriture de la drogue chez Frey. Mais peut-elle être plus largement comprise comme une marque distinctive d’une «nouvelle» littérature de la drogue? Il me parait difficile d’affirmer que la re-présentation de soi et du corps consiste en une innovation: dès<em> Confessions of an English Opium-Eater</em>, de Thomas de Quincey (1821), considéré comme le premier texte de la drogue, il a été question de mettre le sujet et son corps sous les projecteurs. De même pour la performance de/dans l’écriture, le langage: Michaux, qui a voulu saisir dans l’instant le phénomène psychotrope, et Burroughs, qui a établi tout un langage du toxicomane, avaient tous deux déjà ouvert la voie à ce type de performance. Cependant, un changement semble s’être opéré: la performance, au moins chez Frey, est <em>devenue</em> texte (et elle est, dans un second temps, venue du texte, comme le montre le jeu joué par l’auteur après sa publication). Et ce texte-performance m’apparaît, plus qu’un témoignage, plus qu’un compte rendu expérientiel, plus qu’une expérience d’écriture, comme une vaste entreprise d’énonciation de soi. La «performance toxicomaniaque» à laquelle se livre James Frey vise à parvenir à recoller ensemble des milliers de petits bouts de soi. Il serait bon, à la lumière de cette réflexion, de dépasser les limites (im)posées par les historiens et les critiques pour voir comment cette performance peut se retrouver dans d’autres œuvres littéraires contemporaines de la drogue et comment elle peut renouveler notre regard sur cette littérature singulière.</p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>BURROUGHS, William S., <em>Junky</em>, Londres, Penguins Book, 2003 [1953].<br /><br />FREY, James, <em>A Million Little Pieces</em>, New York,Knopf Publishing Group, 2003.<br /><br />MICHAUX, Henri, <em>Misérable miracle</em>, Paris, Gallimard, 2003 [1956].<br /><br />MILNER, Max, <em>L’imaginaire des drogues. De Thomas De Quincey à Henri Michaux</em>. Paris: Gallimard, 2000.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><a href="#1">[1]</a></strong><a name="1a"></a> Le «corpus mescalinien» d’Henri Michaux est composé de quatre ouvrages: <em>Misérable miracle</em> (1956), <em>L’Infini turbulent</em> (1957), <em>Connaissance par le gouffre</em> (1961) et <em>Les Grandes épreuves de l’esprit </em>(1966).</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#2">[2]</a></strong><a name="2a"></a> Selon Milner, la consommation des drogues après cette époque n’engendre plus, comme c’était le cas au XIXe siècle et jusqu’à la moitié du XXe siècle, de poètes et de créateurs. Sa conclusion pose problème. En effet, sans tout à fait reposer la question du potentiel créateur et inspirateur de la drogue — invalidée déjà par Baudelaire dans ses <em>Paradis artificiels</em> en 1860 et récusée à nouveau par Michaux, un peu plus de cent ans plus tard, dans <em>Misérable miracle</em>, où le poète affirme que la mescaline est «l’ennemie de la poésie» (1961, p. 64) —, Milner semble du moins inverser l’équation: selon sa formulation, la drogue paraît produire le poète, l’écrivain, l’artiste. Les substances psychotropes ont pu représenter pour certains une voie singulière d’exploration — tantôt littéraire ou poétique, tantôt spirituel ou métaphysique. Elles ont tout à fait pu participer d’une démarche esthétique ou ont pu infléchir, par leur action, le processus d’écriture ou l’entreprise de création. Mais la démarche consistait à voir ce qui pouvait ou non être tiré de la drogue: celle-ci a été un instrument; ce n’est pas l’écrivain ou le poète qui a été instrumentalisé. Aussi faut-il selon moi déplacer le rapport et s’attarder à ce qu’a produit l’auteur des suites de la consommation d’une ou de plusieurs drogues: le texte qui, pour le lecteur, demeure la seule trace toujours visible, le seul effet encore «actif» du psychotrope absorbé.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#3">[3]</a></strong><a name="3a"></a> Ici, on pourrait suggérer un glissement de la sphère artistique et littéraire à celle de la culture populaire: le milieu de la musique, notamment, aurait-il pris le relais des artistes et écrivains des générations précédentes?</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#4">[4]</a></strong><a name="4a"></a> Je ne donnerai pas le détail de ce que The Smoking Gun révèle, mais on peut lire le texte «A million little lies» à cette adresse : <a href="http://www.thesmokinggun.com/documents/celebrity/million-little-lies" title="http://www.thesmokinggun.com/documents/celebrity/million-little-lies">http://www.thesmokinggun.com/documents/celebrity/million-little-lies</a></p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#5">[5]</a></strong><a name="5a"></a> Ce qui me semble le plus étonnant, ce n’est pas que <em>A Million Little Pieces</em> ne soit pas aussi «véridique» que l’auteur l’ait laissé entendre, mais qu’autant de gens aient pu croire que tout dans ces quelques trois cent quatre-vingts pages était entièrement vrai…</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#6">[6]</a></strong><a name="6a"></a> L’effet que produit ce passage sur le lecteur est puissant, notamment à cause de la longueur de la scène et des nombreuses répétitions et de la profusion de détails, très concrets, immédiats, crus qui rendent la douleur plus vive encore, plus violente.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#">[7]</a></strong><a name="7a"></a> Je signale tout de même, à titre illustratif, quelques-unes de ces stratégies. La syntaxe disruptive exprime certainement le décalage du drogué d’avec la réalité, son inadéquation; les nombreuses répétitions&nbsp; mettent en évidence des moments clés, mais sont aussi les marques d’une temporalité détraquée, de gestes qui s’épuisent dans la compulsion: «I breathe and I shake and I can feel it coming and rage and need and confusion regret horror shame and hatred fuse into a perfect Fury a great and beautiful and terrible and perfect Fury the Fury and I can’t stop the Fury or control the Fury I can only let the Fury come come come come come come.»&nbsp; (p. 153). Les différents niveaux de langage, en particulier les mots et expressions issus d’un langage plus populaire, voire vulgaire («fuck», «fucking», «fuck you», utilisés à toutes les sauces) font écho à la rudesse, dans les mœurs comme dans les paroles, du toxicomane et de son univers; l’utilisation des caractères gras et des lettres majuscules («<strong>How clean are the toilets now, Motherfucker?</strong> […] HELP HELP HELP […] <strong>HOW CLEAN ARE THEY NOW?</strong>» (p. 45) renforcent ces deux derniers moyens.</p> <p style="text-align: justify;"><br /><strong><a href="#8">[8]</a></strong><a name="8a"></a> Cette technique ajoute de même une part de subjectivité aux dialogues. Les paroles prononcées par James et ses interlocuteurs sont désormais ramenées sur un même plan, comme s’il n’y avait plus vraiment de distinction entre l’échange et l’introspection. La narration s’arroge le dialogue; le narrateur se réapproprie les discours.</p> Autobiographie Autofiction BURROUGHS, William Contemporain Effet de réel États-Unis d'Amérique FREY, James Manque MICHAUX, Henri MILNER, Max Représentation du corps Témoignage Roman Mon, 05 Nov 2012 00:03:14 +0000 Annie Monette 621 at http://salondouble.contemporain.info Freak Show http://salondouble.contemporain.info/article/freak-show <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/beaulieu-guillaume">Beaulieu, Guillaume </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-label">Référence bibliographique:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/like-a-velvet-glove-cast-in-iron">Like a Velvet Glove Cast in Iron</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/daniel-clowes">Daniel Clowes</a> </div> </div> </div> <p>Le corps pose problème. Il naît, grandit, fait défaut, est amputé, meurt, se décompose… Le corps est ce qui fuit. Il s’enfuit à l’impératif de dire, d’écrire, de parler et de rencontrer. C’est avant toute chose un ensemble organique en souffrance, dans le manque comme dans la douleur. Face à une corporalité maladive, handicapée voir symptomatique, peut-on y entendre l’agonie d’une société qui se meurt en écho? Des regards se posent et questionnent. Une parole en quête de sens émerge. La représentation du corps dans<em> Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> de Daniel Clowes est problématique. Cette bande dessinée présente un corps étranger, transformé, en mutation, s’ouvrant sur un regard qui renvoie à un malaise.</p> <p><em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> illustre un récit sans queue ni tête qui se termine littéralement en queue de poisson. L’histoire débute au moment où Clay, le protagoniste principal, entre dans un cinéma érotique et s’étonne, voire s’alarme, de constater que l’actrice du film qu’il y visionne est son ex-femme. Sous le choc, il part à la recherche de la maison de production qui emploie sa femme. Un ami l’aide à regret en lui prêtant sa voiture. Sur la route, il est battu et détenu par des policiers. Clay se retrouve sans voiture à errer entre ses rêves et des lieux insolites. Il rencontre un amalgame étonnant de gens étranges qui l’aideront ou lui nuiront dans sa quête, allant même jusqu’à causer son démembrement à la fin. Un récit enchâssé met en scène une scénariste et un réalisateur de films gores aux prétentions de cinéma d’auteur. Bien contre lui, Clay&nbsp; se retrouve embarqué dans un de leur film qui met en scène la mort de sa femme. La pornographie est l’élément déclencheur du récit et elle participe également à son dénouement. &nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove001.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove001.jpg" alt="38" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25" width="580" height="296" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 25</span></span></span></p> <p>Au cours de sa quête, Clay est happé par différentes mésaventures. Dès le début de son parcours, il est arrêté brusquement par l’intervention brutale de policiers aux méthodes douteuses. Les agents corrompus, en plus de le battre et de graver au scalpel sur son talon un dessin représentant un « Mister Jones » (une sorte d’entité des eaux), violent une prostituée à trois yeux. Le corps de Clay est marqué et celui de la prostituée est violé. Ces éléments renvoient à une commercialisation, à une possession (on peut relier la marque sur le talon au marquage du bétail) et à une consommation maladive des corps (par le viol et la pornographie). Ces gestes témoignent non seulement d’une cruauté, mais aussi d’une volonté d’inscrire le corps dans une perspective d’inadéquation avec le réel. Comme si le corps n’appartenait plus à celui qui l’habite, mais bien à celui qui le regarde ou qui le prend. Cette consommation des corps se voit sous plusieurs aspects dans l’œuvre de Clowes. Notamment, les films pornographiques sont soumis à des critiques qui félicitent le réalisateur pour ses nouveaux exploits enregistrés sur pellicule. Cinéaste qui, dès les premières planches, est considéré par un malade par Clay. Par ailleurs, le titre du film est le même que celui de la bande dessinée. Les personnages du réalisateur et du bédéiste se confondent, nous y voyons une sorte d’autocritique et de dérision de la part de Daniel Clowes. Plus encore, ce dernier informe le lecteur que ce qu’il tient entre ses mains, ces images mettant scène viole, meurtre et violence, il en est le seul réalisateur.&nbsp;&nbsp; &nbsp;</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove002.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove002.jpg" alt="39" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51" width="580" height="291" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 51</span></span></span></p> <p>D’autres occurrences dans <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> présente un corps déraillant ou mutant&nbsp;: L’ami de Clay a des crevettes dans les yeux, la serveuse du restaurant est une femme poisson, Clay voit, dans un rêve, une femme avec une queue en pointe de cœur, un tenant de commerce a un nez en forme de tige, un chien n’a pas d’orifice et, à la fin de la bande dessinée, Clay est estropié de tous ses membres par un homme drogué à la testostérone. Ces occurrences, bien qu’elles soient sorties de leur contexte d’énonciation, dénotent tout de même la volonté de Clowes d’inscrire sa bande dessinée dans une perspective d’une représentation des corps problématique. C’est un «freak show» à la hauteur du film de Tod Browning, <em>Freaks <a name="renvoi1"></a></em><a href="#note2">[1]</a>, que ce bédéiste façonne. <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, présente deux types de «freak». Le premier est d’ordre psychologique et s’encre à l’intérieur de perversion sexuelle, comme le spectateur du film «Darling Baby Love», film qui se rapproche d’une production pornographique juvénile. Le second cas est physique et s’arrime à une représentation fictionnelle du corps humain en mutation ou infesté par un corps étranger. Tandis que <em>Freaks</em> met en scène des «freaks», dans sa définition la plus péjorative (littéralement monstre), qui incarnent leur propre rôle, à savoir un lilliputien, un homme-tronc, etc. Tout comme dans l’œuvre de Browning, les vrais monstres dans cette bande dessinée, ce ne sont pas Tina ou la femme aux trois yeux, mais bien les clients du restaurant, les policiers et les spectateurs des films d’un hétéroclite réalisateur.</p> <p><strong>Le Marquis à l’ère du 3.0</strong></p> <p>Daniel Clowes exploite un élément controversé de la culture populaire en représentant une scénariste et un réalisateur de «<em>snuff movie</em>». <a name="renvoi2"></a><a href="#note2">[2]</a> Lorsque Clay entre dans une salle de cinéma «underground», il y voit son ancienne femme tenant la vedette du film «Barbara Allen». Celle-ci a une relation sexuelle avec un étudiant, après quoi celui-ci la tue. Le film se termine sur deux hommes masqués qui la jettent dans une fosse. Clay participera aussi à ce film, mais involontairement. Après avoir déposé une rose sur la tombe de sa défunte femme, il est surpris par l’homme qui cherchait à l’exécuter. Le réalisateur, là par hasard, saisit l’occasion au vol et film le démembrement de Clay. L’utilisation de ce type particulier de cinéma par Daniel Clowes renvoie à une dégénérescence de la production qui trouve par le biais du «snuff» une manière d’accéder à un type de cinéma artistique inédit qui se trouve même un public admiratif qui en redemande. Ce n’est plus de la fiction, mais cela se présente comme tel. On peut prétendre que, dans l’univers de <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, il n’y a pas de limite, de barrière, de garde-fou aux personnages. Nous entrons dans un délire pas si délirant que cela en actualisant l’œuvre de Clowes à la réalité présente du Web. Celle qui a éclaté carrément les limites des fantasmes et des perversions, les rendant réels et palpables avec un potentiel de production le plus minimaliste (webcam, ordinateur, connexion Internet) et avec une possibilité de consommation encore plus simple. D’un côté, nous voyons que le public de ce gore extrême est important, mais de l’autre, qui est de loin le plus intéressant, est celui qui permet de s’interroger sur cette désacralisation de la mort et de la souffrance des corps.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove004.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove004.jpg" alt="40" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139" width="494" height="805" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 139</span></span></span></p> <p>Récemment, le film <em>A Serbian Film</em> de Srđan Spasojević fit scandale, on y représentait une production malsaine de «<em>snuff movie</em> » incluant des jeunes enfants. Le film se présente d’emblée comme une fiction dans lequel un acteur porno à la retraite et un peu à court financièrement reprend du service sans savoir pour qui il s’engage vraiment.&nbsp;L’acteur, sous l’effet de stimulant sexuel pour taureau, commettra des scènes d’une violence inouïe, même pour une fiction. Selon Spasojević, la violence extrême que mettait en scène son film était le reflet de celle qui fit ravage lors du conflit de la Bosnie-Herzégovine. <a name="renvoi3"></a><a href="#note3">[3]</a> Spasojević part de la bestialité éprouvée par une réalité de temps guerre pour présenter une guerre de corps qui affrontent carrément le spectateur dans le confort de ses croyances en une humanité. L’acteur n’a plus le contrôle sur lui-même, il est drogué à son insu et il ne peut faire autrement que d’exécuter les ordres qu’il reçoit du réalisateur sadique. On ne peut s’empêcher de faire l’analogie avec le soldat. L’œuvre de Clowes, quant à elle, présente une jungle urbaine <em>harum-scarum</em> dont la sexualité et la cruauté déroutante en sont le symptôme. Le <em>snuff movie</em> prend même la place d’une sorte de cinéma d’auteur, où la principale esthétique est celle des corps qui se trucident. Par ailleurs, <em>A Serbian Film</em> et <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> développent tous deux le personnage «réalisateur» au pouvoir quasi divin, c’est-à-dire de vie ou de mort sur ceux qu’ils mettent en scène.</p> <p>Daniel Clowes exploite plusieurs formes de violence dans sa bande dessinée. Une scène en particulier exprime la problématique de la représentation des corps s’inscrivant dans une perversion sans nom.&nbsp; Le protagoniste Clay, en cherchant le film qui met en vedette son ex-femme, arrive à une salle où est projeté «Darling Baby Love». Ce film montre deux bambins habillés en Monsieur et en Madame, plaqués l’un à l’autre par des bâtons. Ils sont forcés, pour ainsi dire, à s’embrasser étant donné leur inaptitude à comprendre le langage qu’on leur adresse. Déjà, du haut de leurs quelques mois, contraints à être manipulés comme des marionnettes et à répondre à des fantasmes qui les dépassent. Cette violence faite aux corps, dans la bande dessinée de Clowes, témoigne véritablement d’un malaise face aux contradictions qui émanent de la société dans laquelle <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> a vu le jour. Le <em>snuff movie</em> serait peut-être une forme d’archétype répondant à une forte pulsion de mort qui trouve, dans la bande dessinée de Clowes, l’espace parfait pour sa représentation. D’une certaine manière, Daniel Clowes, en surreprésentant le corps, vient l’inscrire dans une problématique sociétale, mais aussi littéraire, à l’intérieur d’un récit en image.</p> <p><strong>Le désir à néant</strong></p> <p>Ce qui est frappant dans <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> c’est qu’on ne sait d’où viennent les mutations. On sait que le «Mister Jones» y est lié, mais sans plus. Nous postulerons que les inscriptions, les marques, les mutations sur les corps témoignent d’une faille, d’un sentiment de vide, d’un aspect non représentable du corps humain qui propulse les protagonistes dans leur condition de marginal ou de solitaire désabusé. Dans un même ordre d’idée, après que Clay soit tombé inconscient suite à son passage à tabac par les policiers, il rêve (on le remarque par l’irrégularité des lignes qui bordent les cases,) et se voit couché sur son lit. La première case du rêve montre un petit bibelot que Clay semble regarder (on ne voit pas son visage) une main sur le sexe. Cette petite figurine rappelle la Vénus de Willendorf, quoique le visage de celle-ci soit habituellement caché. La case suivante montre ce dernier en train de regarder des photos pornographiques. Cette représentation des corps expose deux canons de beauté totalement différents. La première case présente une femme obèse symbolisant la fertilité et la vie, la seconde case exhibe des femmes aguichantes présentées par des titres aussi éloquents que «Slutty Garbage» ou encore «Shaved and oiled secretaries». Ceci témoigne de la volonté de Daniel Clowes de situer son protagoniste principal dans une réalité en distorsion par la juxtaposition des corps qui s’opposent.</p> <p><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove003.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110"><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/velvet%20glove003.jpg" alt="41" title="Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110" width="522" height="810" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'><span class='image_title'>Daniel Clowes, Like a Velvet Glove Cast in Iron, p. 110</span></span></span></p> <p>En représentant un corps souffrant, violé, mutant ou à l’article de la mort, l’auteur porte un regard en abyme par le biais de son alter ego qu’il insère à l’intérieur de son œuvre (le réalisateur des <em>snuff movies</em>). Comme si d’une certaine manière les corps en souffrance agissaient en miroir, reflétant les maux dont les structures, les institutions et les individus sont atteints. Ce rapport malaisé aux corps, dans l’œuvre de Clowes, témoigne d’autant plus de sujets laissés pour compte dans leur désir de parvenir à se saisir de l’objet de leur fantasme. Le langage subversif dans le texte et les images de <em>Like a Velvet Glove Cast in Iron</em> permet à cette beauté froide d’éclore, empêchant au lecteur, pris au corps par le corps de l’œuvre, de la refermer sur elle-même. Nous sommes témoins et voyeurs impuissants, tout comme les protagonistes, des obsessions de ce bédéiste qui s’encrent toujours déjà d’une réalité témoin, elle aussi, d’un réel en souffrance et d’une perte de sens du côté du lecteur.&nbsp;&nbsp;</p> <p><em>Les </em><em>directeurs du dossier</em><em> tiennent à remercier chaleureusement Alvin Buenaventura, agent de Daniel Clowes, qui leur a accordé une autorisation de reproduction d'extraits des oeuvres de ce dernier.</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>BROWNING, Tod, <em>Freaks</em>, Metro-Goldwym Mayor, 1932</p> <p>CLOWES, Daniel,<em> Like a Velvet Glove Cast in Iron</em>, Seattle, Fantagraphics, 1993.</p> <p>&nbsp;</p> <p><a name="note1"></a><a href="#renvoi1">[1]</a> Long Métrage de Tod Browning sorti en 1932. Met en scène un cirque composé de monstres de foire. Hans, lilliputien, reçoit un héritage et un complot malsain s’élabore pour le lui substituer.</p> <p><a name="note2"></a><a href="#renvoi2">[2] </a>« Le&nbsp;snuff movie&nbsp;(ou&nbsp;snuff film) est un&nbsp;film, généralement&nbsp;pornographique, qui met en scène la&nbsp;torture&nbsp;et le&nbsp;meurtre&nbsp;d'une ou plusieurs personnes. Dans ces films clandestins, la victime est censée ne pas être un&nbsp;acteur,&nbsp;mais une personne véritablement assassinée. » Source : « Snuff Movie », dans<em> Wikipédia</em>, en ligne: <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Snuff_movie">http://fr.wikipedia.org/wiki/Snuff_movie</a> [consulté le 10 décembre 2011]</p> <p><a name="note3"></a><a href="#renvoi3">[3]</a> Je paraphrase ici les propos du réalisateur Srđan Spasojević recueillis lors de la première Canadienne du film <em>A Serbian Film </em>présenté lors du festival Fantasia à l’été&nbsp;2010.</p> Aliénation Altérité Cinéma CLOWES, Daniel Crime États-Unis d'Amérique Mort Obscénité et perversion Pornographie Pouvoir et domination Représentation de la sexualité Représentation du corps Société du spectacle Tabous Violence Bande dessinée Thu, 12 Jul 2012 19:55:06 +0000 Guillaume Beaulieu 545 at http://salondouble.contemporain.info Les mélancomiques http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/joubert-lucie">Joubert, Lucie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> ou pourquoi les femmes en littérature ne font pas souvent rire </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-podcast"> <div class="field-label">Podcast:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <embed height="15" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/luciejoubertmars2012 - copie.mp3" autostart="false"></embed> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/lucie_joubert_web_3.jpg" type="image/jpeg; length=136302">lucie_joubert_web.jpg</a></div> </div> </div> </div> <p style="text-align: justify; ">On a beaucoup glosé sur la quasi-absence des femmes humoristes sur les scènes québécoises et françaises. Si la situation évolue depuis quelques années, la question reste toujours d’actualité quand on se tourne vers le texte littéraire. Où sont les auteures comiques? La difficulté à nommer ne serait-ce que quelques noms ou titres de roman comme exemples atteste une apparente et trompeuse rareté du rire féminin. Certes, les auteures qui font œuvre d’humour et d’esprit existent mais elles demeurent (elles et leurs textes) méconnues. Une des raisons qui expliquent ce malentendu se trouve du côté de la <em>nature</em> de l’humour qu’elles mettent de l’avant. En effet, l’esprit féminin puise partiellement, mais souvent, sa source dans une mélancolie née d’une expérience des déterminismes de la condition des femmes: la difficulté à se définir en tant que sujet social, la constatation d’une impuissance à changer le cours des choses, la conscience d’exprimer un point de vue qui ne touchera que la partie congrue d’un public tourné vers les «vraies affaires»</p> <p style="text-align: justify; ">Dans une telle optique, les femmes, en fines observatrices des travers de la société, font preuve d’un humour qui suscite un rire de connivence quelquefois un peu triste, loin des grands éclats en tout cas, mais qui revendique, dans sa lucidité même, la possibilité de changer la défaite en victoire par l’esprit, fût-il marqué par la mélancolie. Cette conférence se veut donc une invitation à relire ou découvrir des auteures comme, entre autres, Benoîte Groult, Christiane Rochefort, Amélie Nothomb, Monique Proulx, Hélène Monette, Marie-Renée Lavoie et Suzanne Myre.</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/les-m-lancomiques#comments Absurde Adultère Aliénation ALLARD, Caroline Altérité Arts de la scène Arts de la scène Autodénigrement Autodérision BADOURI, Rachid BALZANO, Flora BARBERY, Muriel Belgique BEN YOUSSEF, Nabila BESSARD-BLANQUY, Olivier BISMUTH, Nadine BLAIS, Marie-Claire BOOTH, Wayne BOSCO, Monique BOUCHER, Denise Canada CARON, Julie CARON, Sophie Chick litt. / Littérature aigre-douce Condition féminine Conditionnements sociaux Culture populaire CYR, Maryvonne Désillusion Déterminismes Deuil DEVOS, Raymond Dialectisme hommes/femmes DION, Lise DIOUF, Boucar Discrimination Divertissement Études culturelles FARGE, Arlette Féminisme Féminité Femme-objet FEY, Tina France FRÉCHETTE, Carole Freud GAUTHIER, Cathy Genres sexuels GERMAIN, Raphaëlle GIRARD, Marie-Claude GROULT, Benoîte GROULT, Flora Histoire Humour Humour Humour littéraire Identité Improvisation Improvisation Industrie de l'humour Institution Ironie JACOB, Suzanne LAMARRE, Chantal LAMBOTTE, Marie-Claude LARUE, Monique LAVOIE, Marie-Renée LEBLANC, Louise Les Folles Alliées Les Moquettes Coquettes Littérature migrante Marchandisation Maternité Mélancolie MÉNARD, Isabelle MERCIER, Claudine MEUNIER, Claude et Louis SAÏA MONETTE, Hélène MPAMBARA, Michel MYRE, Suzanne NOTHOMB, Amélie OUELLETTE, Émilie Parodie Pastiche PEDNEAULT, Hélène Platon Pouvoir et domination PROULX, Monique Psychanalyse Psychologie Québec Représentation du corps Rire ROBIN, Régine ROCHEFORT, Christiane ROY, Gabrielle Satire Scatologie SCHIESARI, Juliana Séduction SMITH, Caroline Société de consommation Société du spectacle Sociologie Stand up comique Stand up comique STEINER, George Stéréotypes STORA-SANDOR, Judith Télévision Théâtre Théorie du discours Théories de la lecture TOURIGNY, Sylvie Tristesse VAILLANT, Alain VIGNEAULT, Guillaume Viol Violence Roman Théâtre Fri, 09 Mar 2012 14:12:02 +0000 Lucie Joubert 471 at http://salondouble.contemporain.info Scènes de cul postmodernes et autres allusions à la neuvième porte du corps http://salondouble.contemporain.info/lecture/scenes-de-cul-postmodernes-et-autres-allusions-a-la-neuvieme-porte-du-corps <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/tremblay-karrick">Tremblay, Karrick </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/la-canicule-des-pauvres">La canicule des pauvres</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><br /> En mars dernier, je faisais paraître, dans le cahier <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Champ libre</em> du journal <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Le mouton noir</em>, un article critique<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn1"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[1]</span></span></strong> sur le roman <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn2"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[2]</span></span></strong> de Jean-Simon DesRochers. Sans le savoir, j’y exposais un croquis du plan de ce présent travail. <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> est un des rares romans québécois contemporains à être reconnu à la fois comme succès commercial et littéraire. Pour donner un avant-goût de l’histoire, ou plutôt des histoires puisque le roman est construit en calquant la méthode des téléromans populaires, c'est-à-dire plusieurs histoires qui s’entrecoupent ou pas,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>disons seulement que la pornographie est omniprésente et présentée de manière explicite, que la drogue est souvent l’élément rassembleur entre toutes ces histoires, mais, surtout, que ce sont les personnages et leur évolution qui génèrent celles-ci. <br /> <br /> Nous avons donc entre les mains un «roman adressé à ceux qui ne lisent pas<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn3"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[3]</span></span></strong>» et, ironiquement, c’est en faisant une analyse plus poussée des éléments inhérents à la littérature postmoderne que le lecteur plus aguerri trouve son compte.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>C’est donc dans cette optique que j’ai choisi de lire <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> et je vais montrer comment les multiples mises en abyme, l’intertextualité et les différentes formes d’intermédialité servent à générer l’autoréflexivité de l’œuvre et de son contexte d’édition.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> </span><br /> Étant donné que le roman renferme plusieurs histoires, je propose de faire plusieurs microanalyses de cette autoréflexivité. Chaque partie de cette analyse sera donc dédiée à un personnage et aux enjeux qui s’y rapportent. C’est autour de ces derniers que je développerai mon étude en mettant en lumière le ou les rôles de créateurs, acteurs, observateurs ou récepteurs<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>dont chacun d’entre eux a hérité. Il est à noter que l’ordre dans lequel j’ai décidé de présenter les personnages n’est pas tributaire de leur importance dans le roman, mais relève plutôt d’un choix visant à favoriser un meilleur cheminement de mes idées. <br /> <br /> <span style="color: #808080;"><strong>Sade se paie une pute <br /> </strong></span> </p> <div>Je vais commencer par l’histoire de Trevor Adamson qui se paie Jade, la prostituée du Gallant. Pour vous situer un peu, Adamson a des tumeurs au cerveau et il va mourir. Il décide donc, à partir d’un raisonnement tordu, de se payer une prostituée qui ressemble à sa femme en vue de lui faire voir les pires atrocités possible. Or, il apparaît que cet Adamson est en fait en train de réécrire à sa manière sur un blogue <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Les cent vingt journées de Sodome</em>. En effet, avant la première rencontre entre ces deux personnages, «comme convenu, Jade avait lu <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Les cent vingt journées de Sodome</em> en s’arrêtant à la description de Michette, huitième et dernière fillette du sérail. (CP, p.&nbsp;201)» À leur deuxième rencontre, Adamson brûlera le livre, ainsi que sa chemise et son pantalon pour que Jade se recouvre le corps de la cendre ainsi produite. Nous n’avons pas accès à ce qu’Adamson écrit sur le blogue. En revanche, Jean-Simon DesRochers nous en offre un genre de tableau&nbsp;:&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">Après une heure d’expérimentations, de pénétrations sans capote négociées au triple du prix original, de sexe anal sans lubrifiant, d’insertion de poings dans les divers orifices des grosses, d’orgasmes feints et parfois franchement atteints, de saignements légers, de foutre avalé, de claques distribuées, de sueurs mêlées, de salives crachées… (CP, p.&nbsp;355)</span></div> <div><br /> Ou, pire :&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">La brunette fardée, venue s’introduire en levrette dans l’anus déjà occupé par Adamson. […] Jade voit les deux verges pilonner à mort le cul de la fausse blonde sur un <em style="mso-bidi-font-style: normal;">high</em> de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">meth</em>. La blonde profite de cette torture sanglante pour atteindre un étrange niveau de plaisir. Son visage a tous les traits de la douleur. Mais son sexe, rigide et courbé laisse pendre un long fil de liquide préséminal jusqu’aux draps […] avec le sang qui s’échappe du cul de la blonde, avec la somme des lésions engendrées par les frottements, il est clair qu’Adamson reçoit une généreuse part de VIH. […]La brunette lui chie dessus maintenant. […] De la merde liquide coule de son ventre jusqu’à ses cuisses (CP, p.&nbsp;448).<br /> <br /> </span></div> <div>Ce qui ne nous fait plus douter de l’éventuelle intertextualité entre <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> et le livre de Sade dont il est question, c’est le moment où il est dit que «dans trois ans, pour en finir avec ce traumatisme, Jade lira les pages restantes des <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Cent vingt journées de Sodome</em>. Elle découvrira qu’Adamson, dans sa folie organique, était parvenu à créer des perversions absentes de cette encyclopédie du vice. (CP, p.&nbsp;452)» Ce propos tend à montrer que <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> se revendique comme une reprise de l’œuvre<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn4"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[4]</span></span></strong> du Marquis de Sade.</div> <div><br /> En représentant Adamson comme figure d’auteur et Jade comme figure de lecteur,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>nous observons la tension qui existe entre ces derniers. Premièrement, Adamson doit écrire, sinon il va mourir; on l’a bien averti&nbsp;: «Deux jours où tu publies rien sur le forum de Montréal [merb.ca], j’envoie un gars pour t’effacer…&nbsp;(CP, p.&nbsp;298)» L’insistance<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn5"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[5]</span></span></strong> qu’on accorde à cet état de fait instaure une mise en abyme qui représente bien un des éléments de la recette aporétique de Jean-Simon DesRochers&nbsp;: Il faut écrire chaque jour. Non seulement, et les auteurs s’accordent sur ce point, il faut écrire chaque jour pour se proclamer auteur, encore faut-il publier régulièrement si on veut rendre son public dépendant. De plus, il y a cette Jade qui est obligée de regarder les scènes décrites plus haut. Mais qui est cette Jade si ce n’est le lecteur? Dans toutes les scènes précédentes, on dit que Jade est forcée d’assister aux scénarios tordus d’Adamson. Pourtant, jusqu’à la fin, elle le fait par choix; rien ne l’oblige à continuer sauf l’argent qui est en jeu. Le lecteur non plus n’est pas obligé, il pourrait passer les pages ou lire en diagonale,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>mais il ne le fait pas. Il se retrouve, bien malgré lui, attaché à sa chaise, tout comme Jade au moment où elle assiste à la scène la plus horrible.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> <br /> </span></div> <div>Cette scène finira avec Adamson qui dira&nbsp;: «Je... (CP, p.&nbsp;451)» Ce retournement vient mettre en abyme un autre processus de création&nbsp;: il faut incarner ses personnages, les habiter. Dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, Adamson n’a plus que Jade pour entretenir ce lien avec le réel. À la fin, il se perd; il devient Samuel Nolan, pseudonyme de l’auteur qui écrit sur le blogue. Il devient fou. Tout ça tend à illustrer la perte de contrôle inhérente au processus d’écriture et les dangers que cela occasionne. Pour Adamson, le livre s’écrit tout seul ce n’est plus lui qui dicte, ce n’est plus lui qui fait le plan, lui, il n’écrit plus et cela signe sa mort.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> <br /> </span></div> <div><span style="color: #808080;"><strong>Zach et Daphnée font un porno </strong></span> <br /> <br /> Zach et Daphnée forment un pseudocouple. Si j’ai terminé la dernière partie avec l’idée de l’incarnation de l’auteur dans ses personnages, c’est pour amener celle-ci&nbsp;: L’auteur doit composer avec le fait qu’il va être lu et assumer son texte suite à la publication. Dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, Zach se fait embobiner par Kaviak (par l’entremise de Takao) et tourne un film porno amateur qui se retrouve sur Internet, ce à quoi il se dit&nbsp;: «Putain… si jamais Daphnée voit ce truc. MERDE! (CP, p.&nbsp;369)»<br /> <br /> En réalité, ce n’est ni Takao ni Kaviak qui embobinent Zach; c’est Daphnée qui veut égaliser les choses parce qu’elle a fait de même; elle a joué dans un porno de Kaviak. Alors elle établit un plan. Pourtant, le rôle qui lui est donné<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;&nbsp; </span>dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> est celui de l’actrice; celle qui n’a pas de personnalité propre, qui incarne tout ce qu’on lui dit d’être.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>Paradoxalement, le rôle de créateur (celui sans qui rien ne serait arrivé) est attribué à celle qui joue un personnage, celle qui tourne des films pornos et des publicités. Ici, l’intelligence est donnée à celle qui incarne le dernier rôle, au même titre que Samuel Nolan incarnait un rôle inventé par Adamson. Encore une fois, une sorte de fusion vient souder le personnage et le créateur, au point de se demander qui tire les ficelles. Il ne faudrait pas oublier qu’écrire c’est avoir la capacité d’incarner plusieurs rôles,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>notamment celui du lecteur. <br /> <br /> <span style="color: #808080;"><strong>Claudette abattage et l’héritage de la contre-culture</strong></span>&nbsp; <br /> <br /> <em>La canicule des pauvres</em>, à l’image des habitants du Gallant, tire sa substance à la fois de la culture populaire et à la fois de la contre-culture. Le cinquième étage du Gallant est habité par un groupe de sidéens qui passent leur temps à faire des orgies et à créer de la musique&nbsp;: «quelque chose [qui se situe quelque part] entre la musique punk et l’expérimental. Une fusion sans homogénéité, un son rempli d’impureté. Quelque chose de vivant, d’imparfait, de grossier…de réel… (CP, p.&nbsp;378)». Plusieurs idées jailliront d’une discussion entre les membres du groupe qui exclue Lulu, la tête dirigeante du groupe&nbsp;: «Moi je suis écœuré de sa manière de nous contrôler, il y a pas juste elle qui peut lire des essais pi faire des théories… [… ] T’sais, Lulu, elle se pense postmoderniste parce qu’elle dirige un groupe de postpunk. (CP, p.&nbsp;586)» L’association des mots postpunk et postmoderniste donne à penser que ce qui est dénoncé ici tient de l’aporie que représente la marginalité; quand la mode devient la marge, qu’est-ce qui devient la marge? Les autres éléments que je retiendrai de ces conversations pourraient représenter les questionnements intérieurs auxquels sont confrontés, probablement, tous les artistes qui choisissent la voix de la contre-culture. En voici des bribes&nbsp;:<br /> </div> <div class="rteindent2"><span style="color: #808080;">J’ai senti que la musique de Claudette Abattage – je veux pas dire que j’en ai honte… pas pantoute… c’est super bon, ce qu’on fait. Non. Ce que je veux dire, c’est qu’avec le talent qu’on a… on pourrait faire mieux. […] C’est pas juste une question de cash. Oui, OK… je suis tanné d’être pauvre… […] je me dis qu’on pourrait essayer de composer un hit… une toune qui vendrait. […] C’est ben <em style="mso-bidi-font-style: normal;">cute</em>, l’underground… ça parait super bien au niveau de l’intégrité artistique. Mais j’ai pas envie de vivre ce qui me reste avec juste de l’intégrité dans les poches… […] Ils ont fait du cash avec le temps[en parlant de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Sex Pistols</em> et <em style="mso-bidi-font-style: normal;">The Ramones</em>]. Pis nous autres, du temps, on en a pas. (CP, p.&nbsp;528)<br /> </span></div> <div>Ces affirmations constituent en effet une forme de réflexivité de l’œuvre elle-même, une œuvre inclassable appartenant à tout et à rien. Elle est à la fois postmoderne, ce dont je suis en train de débattre, et marginale.</div> <p>Encore une fois, nous avons droit à un retournement semblable aux deux précédents; le personnage se libère de l’emprise du créateur. En effet, les membres de Claudette abattage prennent, en quelque sorte, conscience de leur existence, existence qui est symbolisée par la mort imminente&nbsp;: «À moins qu’un hostie de génie se dégraisse les neurones pis accouche d’un miracle, ma vie va être courte… pareil pour Chloé… pareil pour toi…j’ai pas envie de m’accomplir dans le symbolisme… pis encore moins dans le symbolisme d’une autre personne que moi… (CP, p.&nbsp;585)» Cette affirmation se présente comme un écho symbolique au monde de la marge. On pourrait aussi être tenté de dire que «l’hostie de génie&nbsp;» dont il est question est l’auteur et que <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> est le miracle dont on parle. À ce sujet, puisqu’on a commencé à parler d’intermédialité, le disque audio enregistré par le groupe Claudette abattage pourrait s’avérer lui aussi être une forme de mise en abyme de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>; en plus d’être postpunk marginal postmoderne, il est prévu qu’il verra le jour en «septembre [puisque] la compagnie dit qu’il se vendra mieux comme cela (CP, p.&nbsp;108)». Outre le fait que nous observons ici un processus de réflexivité du monde commercial de l’édition, ce qui vient encore une fois s’opposer à la notion même de marginalité, cela nous rappelle que le roman dont la citation provient a été lui-même lancé en septembre 2009<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn6"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[6]</span></span></strong>.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span></p> <p><span style="color: #808080;"><strong>Ce qui entre par le cul, et ce qui en ressort&nbsp; </strong></span><br /> <br /> Dans le paragraphe précédent, j’ai<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>évoqué la notion d’intermédialité sans la définir. C’est donc sous cet angle que je propose d’amener le personnage de Kaviak, pornographe amateur et philosophe à temps partiel.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span></p> <div>L’intermédialité consiste à intercaler dans une œuvre une autre œuvre n’utilisant pas le même média que l’œuvre dont il fait partie. Dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, il y a Claudette Abattage qui enregistre un album, Henriette qui passe sa vie à écouter des téléromans, Adamson, alias Simon Nolan, qui écrit son blogue, et Takao, à qui la prochaine partie sera consacrée, qui dessine sa bande dessinée. Ces modes d’intermédialité, qui sont seulement évoqués et commentés, ont tous en commun d’être des mises en abyme complexes de l’œuvre qui les contient. Les films tournés par Kaviak n’échappent pas à cette règle et, au contraire, sont beaucoup plus explicites que les autres; ils sont représentés dans l’œuvre, soit sous la forme de films que Zach écoute sur internet, soit comme description des scènes au moment du tournage.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> </span></div> <div><br /> Pour arriver à ce qu’ont en commun la pratique de Kaviak et <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, je dois retourner à Lulu de Claudette Abattage. J’ai déjà parlé des orgies que s’offrait le groupe de musique. Pendant une de ces scènes, quelqu’un «se tient derrière elle, équip[é] d’un gode-à-cul plus petit, bien mouillé. Lulu relève son derrière pour l’inviter à suivre la voie socratique. (CP, p.&nbsp;280)» Cette voie socratique, cette voix philosophique c’est celle du deuxième discours de Kaviak. En effet, Kaviak tourne des films pornographiques –on peut encore parler de mise en abyme par intermédialité– mais il se sert aussi de son studio pour enregistrer des capsules philosophiques. Dans le chapitre intitulé «La philosophie des lumières»&nbsp;(CP, p.&nbsp;113-116), Kaviak installe son studio. Il utilisera la formulation «le vice suit la voie de la lumière (CP, p.&nbsp;115)&nbsp;» pour nous donner la puce à l’oreille concernant son double discours. Or, c’est seulement par l’entremise du site pornographique de ce dernier qu’on peut y avoir accès. En effet, le lien qui permet d’aller sur le site logeant les enregistrements de ses idées, «More on kaviakmind.com (CP, p.&nbsp;578)&nbsp;» n’apparaît à l’écran seulement qu’après le cent vingt-deuxième clic sur le site logeant les films pornographiques. Cette philosophie arrive de manière subliminale, elle arrive par la porte de derrière, elle entre par le cul pris au sens large. <br /> <br /> En comparant <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> avec le double discours de Kaviak,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>on y constate plusieurs similarités. Le discours philosophique de Kaviak est souvent confiné dans quelques chapitres<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn7"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[7]</span></span></strong> facilement repérables. Le lecteur, tout comme Zach, a le choix de cliquer ou non sur kaviakmind.com; il peut choisir de ne pas lire ces chapitres (tout comme il peut le faire avec les chapitres sadiques). De plus, plusieurs phrases émanant du discours de Kaviak servent à défendre sa pratique et, par extension, ce que <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> représente&nbsp;:&nbsp;«Je me demande ce qu’on retiendra de moi dans vingt ans. Le cul ou les idées… ce serait bien que ce soit les deux… Non… c’est pas possible… (CP, p.&nbsp;231)» ou «L’idée admise dans nos sociétés suggère qu’un participant à la culture pornographique ne jouit d’aucune crédibilité en dehors de la pornographie. (CP, p.&nbsp;418)» Ces deux extraits reflètent les craintes qu’auraient pu soulever pour l’auteur l’écriture de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>. N’avons-nous pas affaire ici à une mise en abyme, par extension, du postmodernisme? D’autres réflexions de Kaviak permettent de mettre en lumière le lien étroit qui s’établit entre le créateur et son public&nbsp;: «Pour vivre la scène dans son intensité, tu dois avoir un lien particulier avec les personnages… Regarder un film, XXX ou pas, c’est comme lire un livre, ça comble la solitude, ça efface les angoisses… c’est du rêve instantané… Les vrais voyeurs cherchent pas un spectacle, ils cherchent des apparences de vérité… (CP, p.&nbsp;488-489)». Ces extraits rappellent l’aporie du réel telle que décrite par Forest dans «Reprendre et revenir»<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn8"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[8]</span></span></strong>. On le voit, Jean-Simon DesRochers brouille la distinction entre le personnage et le créateur, mais surtout, et en plus, il vient brouiller la distance entre le lecteur et l’auteur&nbsp;: «Je me considère à la fois comme un produit et un créateur du carnaval perpétuel qu’est notre époque… Je suis la parade, je suis le spectateur. (CP. p. 419)»<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>La rhétorique de Kaviak apparaît également dans un livre mis en abyme dans le roman; <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Les aphorismes barbares</em>. Ce livre, qui est qualifié de «livre à un dollar», et qui est écrit dans le même style que les idées de kaviakmind.com, est critiqué sévèrement par Sarah, un personnage qui n’a rien à voir avec ce dernier&nbsp;: «Qu’est ce que je dis? Je vais pas me mettre à philosopher…je connais rien en philosophie…ouais, peut-être, mais ça ferait passer le temps…avec cette chaleur…pas grand-chose d’autre à faire que de réfléchir en silence… ça ou lire les idées d’un type qui pense à ma place…n’importe quoi sauf ce vide infernal…(CP, p.&nbsp;309)». <br /> </div> <div>Enfin,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>le lien entre <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> et la dualité kaviakmind/kaviaksex,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>apparaît avec netteté dans le chapitre «Caméra à l’épaule (CP,&nbsp;p.&nbsp;314)». Imitant la forme cinématographique, le narrateur donne littéralement la télécommande au lecteur&nbsp;et utilise outrancièrement les fonctions primaires de cette dernière dans l’énonciation: «Stop […] Rewind […]<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>Stop. […] Mute […] Avance rapide […] play. (CP, p.&nbsp;320)». De plus, Kaviak mentionne vouloir recréer un évènement qui avait été un succès, c'est-à-dire produire un deuxième <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Summer Fuck Fest</em>. Il ne dit pas de quoi est fait un <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Summer Fuck Fest </em>(on se doute qu’il s’agit de films pornographiques), mais il dit que: «Le premier <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Summer Fuck Fest</em> lui [a]<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>permis de doubler son nombre d’abonnés en un rien de temps, au grand plaisir de sa boîte de production. (CP,&nbsp;p.&nbsp;217) »<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>Encore une fois, on en revient à <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>. En effet, le titre du livre aurait très bien pu être <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Summer Fuck Fest</em>, puisque cela aurait été cohérent avec le propos et que <em style="mso-bidi-font-style: normal;">canicule</em> se rapporte incontestablement a <em style="mso-bidi-font-style: normal;">été</em>. De plus, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> aura probablement fait bien plus que doubler son nombre de lecteurs, au grand plaisir de sa maison d’édition.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> <br /> </span></div> <div>Avant d’abandonner les scènes de sexe au profit des bandes dessinées, j’aimerais attirer votre attention sur une autre scène d’orgie qui nous faisait connaître les membres de Claudette Abattage (CP, p.&nbsp;35-40). Dans ce chapitre, les scènes sont découpées par tableaux. Entre les tableaux, il y a toujours un «CLIC» qui en fait représente le déclic généré par un appareil photo qui prend des clichés en continu.» Nous avons déjà vu que la séparation en tableaux des scènes rappelle la manière télégraphique qu’avait Sade de rendre compte de ce genre de scène. Il faudrait aussi se rappeler que Zach a eu accès à kaviakmind.com en accumulant les clics sur le site kaviaksex.com. Dans le chapitre, il y a trente-et-un clics. C’est encore loin des cent vingt-deux clics de Zach, mais en considérant les choses ainsi, nous pouvons voir un processus de mise en abyme paradoxal venant miner la crédibilité de l’autorité narrative. En effet, en soutenant l’hypothèse que les orgies décrites sont des scènes prises par Kaviak, nous arrivons à la conclusion que même le narrateur devient confondu dans l’entité globale auteur-lecteur-narrateur-personnage. Pour finir avec ce dernier, à un certain moment du livre il affirme faire un rêve où il se voit «octogénaire, à la tête d’une organisation ou d’un mouvement majeur. (CP,&nbsp;p.&nbsp;614)». Si, encore une fois, il faut voir une mise en abyme dans cette affirmation, peut-être faudrait-il y voir la prétention nécessaire au travail de l’auteur, celle qui lui permet de briser le silence et d’écrire, celle qui lui permet d’aspirer à quelque chose. <br /> </div> <div><span style="color: #808080;"><strong>Je suis un écrivain japonais&nbsp; </strong></span> <br /> <br /> Le dernier personnage que je veux aborder ici m’amène à établir un lien d’intertextualité avec <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Je suis un écrivain Japonais</em> de Dany Laferrière. En effet, Takao Ibata est un bédéiste japonais qui vient observer les Montréalais du Gallant pour écrire une bédé. Ce n’est pas du simple fait qu’il soit Japonais que j’extrapole dans un lien intertextuel. En effet, les épisodes mettant en vedette le bédéiste soulèvent le même débat que dans le livre de Laferrière&nbsp;: le problème d’appartenance. Cependant, dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, il ne s’agit pas du personnage de Laferrière transposé, mais de son antithèse. En effet, Takao est vraiment Japonais et il se rend vraiment à Montréal pour, et il insiste, «voir comment [ses] voisins vivent dans ce pays... c’est une recherche… (CP, p.&nbsp;233, 243)», tout en admettant vouloir «s’acclimater au milieu d’abord. (CP, p.&nbsp;99)» Encore en opposition avec <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Je suis un écrivain japonais</em>, Takao dit devoir&nbsp;«comprendre leurs intentions profondes… leur manière d’agir… pas question de recycler les clichés sur l’Amérique… il y en a trop en circulation (CP, p.&nbsp;539)». Une des choses qu’on relève en premier dans le roman de Laferrière est justement l’utilisation de clichés sur le Japon, par exemple, l’onomastique des noms des deux Japonais qui viennent rendre visite à l’écrivain&nbsp;: Mishima et Tanizaki dont les terminaisons respectives réfèrent à Hiroshima et Nagasaki. Pour finir de nous convaincre de cette intertextualité, dans les deux livres comparés nous pouvons observer un conflit entre l’écrivain japonais et son éditeur, ainsi qu’une avance de 5000&nbsp;$. </div> <div><br /> En procédant à la fois par mise en abyme et intertextualité, c’est maintenant la frontière entre les auteurs eux-mêmes qui est sublimée. En effet, tous les indices associant Takao Ibata à <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Je suis un écrivain japonais,</em> en plus d’être des indices de réflexivité, se révèlent comme des mises en abyme de quelques éléments relatifs aux processus de création. Nous venons de voir l’étape de la recherche, mais avant la recherche, il faut établir un plan&nbsp;: «Il fait un autre pas en direction de son ordinateur. Son cerveau développe une structure linéaire à une vitesse fulgurante. Il trace le parcours de son prochain gekiga, choisit l’angle d’approche, anticipe les recherches nécessaires. (CP. P. 426)» <br /> </div> <div>Dans la citation suivante&nbsp;: «Je crois que le terme exact serait… autobiographique.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>Je dessine ma vie et celle des gens qui gravitent autour de moi. (CP. P. 128)», en plus de montrer que la création de personnage se fait surtout en observant ceux qui nous entourent, et puisque Takao observe les personnages de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> (ou ceux du <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Summer Fuck Fest</em> de Kaviak, étant donné que nous avons précédemment montré ces niveaux de mise en abyme), il va sans dire que la bédé que Takao projette de faire sera aussi une mise en abyme réflexive de l’œuvre. Tout comme le narrateur de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Je suis un écrivain Japonais</em>, Takao est un personnage auteur qui utilise l’autofiction;<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>ce n’est cependant pas le cas du narrateur de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres </em>qui est, lui, hétérodiégétique.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> <br /> </span></div> <div>Dans une conférence intitulée La création littéraire&nbsp;: recette pour n’en avoir aucune<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn9"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[9]</span></span></strong>, Jean-Simon DesRochers nous avait parlé de la citation de Picasso&nbsp;: «Les bons artistes copient, les grands artistes volent». Dans un dialogue où Zach discute de son éventuelle apparition dans un épisode de bédé, il dit à Takao se réserver un droit de Veto. Ce dernier se répond à lui-même&nbsp;: «Cette demande est la pire qu’on puisse lui adresser. Tu peux te le foutre dans le cul ton veto… je publie rien tant que je suis dans ce pays… et tu ne viendras certainement pas me chercher à Osaka…(CP, p.&nbsp;407)» <span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;<br /> <br /> </span></div> <div>La dernière étape de création représentée dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> est celle de la mise en intrigue. Takao&nbsp;«devra créer une histoire. Pousser cette idée d’explorer les secondes où ses personnages ont sombré dans l’échec. Dessiner ne suffit pas. Il devra apprendre, rechercher, analyser. (CP, p.&nbsp;539)» &nbsp;Ce dont il est question ici, c’est la «boucherie nécessaire (CP, p.&nbsp;618)»,<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>la fin sanglante de l’histoire d’Adamson, sa mort en plusieurs morceaux aux mains de cette même Sarah qui refusait de lire les idées des autres, et par extension tout jugement moral. </div> <div><br /> Le personnage de Takao est celui dont l’évolution est la plus perceptible. Au début, il est observateur et prend des clichés<a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftnref" href="#_ftn10"></a><strong><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[10]</span></span></strong>. «Il mitraille. Il numérise des milliards de photons qui composent une vision atroce. Une vision aussi sordide que la réalité…(CP, p.&nbsp;405)». Mais au fur et à mesure que l’intrigue avance, il remet en question sa propre capacité à la gérer.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;&nbsp; </span>C’est à lui que la voix finale du roman est donnée&nbsp;: «Mon personnage principal sera le climat. Pas moi…le climat. C’est bien mieux. Il sera seul à être de toutes les scènes. (CP,&nbsp;p.&nbsp; 670)» En plus de renvoyer à <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, cette dernière affirmation vient brouiller une dernière carte; l’auteur s’efface. Il ne reste plus qu’un seul personnage qui n’ait pas été malmené et c’est à la toute fin qu’on comprend qu’auteur, narrateur, personnages et histoire ont tous été confondus dans une seule entité, le Gallant, microcosme de Montréal. Après ses constatations d’échec, «Takao détermine qu’il mérite un temps d’arrêt. De brèves vacances pour transformer son quotidien en un doux privilège, celui de réanimer ce visage fermé qu’est le sien, celui de vivre le fiasco fonctionnel qu’est Montréal, celui de se promener, libre et sans attentes, parmi les jours de la canicule des pauvres. (CP,&nbsp;p.&nbsp;672)»<br /> </div> <div>Nous avons donc vu que sous la couverture de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> se dissimule plus qu’un simple roman. Monté à la manière d’un téléroman, d’un film de pornographie <em style="mso-bidi-font-style: normal;">hardcore</em>, d’un traité de philosophie, d’un album postpunk, d’un roman postmoderne et subversif, d’un montage photographique, et d’une bande dessinée, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> renferme implicitement la vision de l’auteur au sujet de la<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>création littéraire agrémentée d’un reflet du monde qui la contient.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>À cet effet, j’ai aussi montré que les personnages opéraient divers renversements et revendiquaient leur droit à leur existence propre. C’est d’ailleurs l’idée qui finit par s’imposer (de manière subliminale, conséquence de nombreux clics sur le roman, mais moins que 122): Le créateur doit laisser vivre ses personnages, s’interposer le moins possible, et faire fi de la morale; c’est donc sur un même pied d’égalité, sans considérations morales, que la pornographie et la philosophie sont traitées.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> <br /> </span></div> <div>C’est par contre à partir de l’hybridité utilisée à bon escient que nous pouvons affirmer le talent de DesRochers&nbsp;: <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, malgré sa richesse (de la simple mise en abyme à l’intermédialité, en passant par l’intertextualité et la confusion des voix narratives), ne se laisse pas dissimuler derrière le masque du postmodernisme; ce dernier, tout comme la philosophie, tout comme les idées, nous arrive par derrière. Il ne provoque pas de mise à distance et n’interfère pas dans la lisibilité.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>Dans le cas présent, le lecteur ne se bute pas à des codes dont il n’a pas la clé; s’il n’a pas la clé, il ne voit pas le code.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; <br /> </span>&nbsp;</div> <div>Finalement, il est intéressant de constater que Jean-Simon DesRochers a réussi à construire un roman subversif en exploitant des sous-genres dont les succès commerciaux ne sont plus à prouver. On pourrait y voir une nouvelle manière de se placer en marge de la marge, en inventant une contre-culture populaire. D’ailleurs, je verrais très bien ce Kaviak, âgé de 80 ans, réaliser son fantasme&nbsp;: être «à la tête d’une organisation ou d’un mouvement majeur<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span>(CP,&nbsp;p.&nbsp;614)»; la contre-culture pop, tout paradoxal que cela puisse paraître.<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp; </span></div> <div style="mso-element: footnote-list;"> <div>&nbsp;</div> <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <div><a href="#_ftnref">[1]</a>&nbsp;Karrick Tremblay, «<em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>: un roman dédié à ceux qui ne lisent pas» <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Champ libre</em> dans <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Le mouton noir</em>, Rimouski, vol. 16 no 4, 2011, p.&nbsp;2<span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;</span></div> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn2" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[2]</span></span> Jean-Simon DesRochers, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>, Montréal, Les Herbes Rouges, 679 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle CP, suivi de la page, et placé entre parenthèses dans le corps du texte.</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn3" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[3]</span></span> Sous-titre de mon article qui fait référence aux remerciements de Jean-Simon DesRochers&nbsp;:&nbsp;«Et parce que l’ironie dépasse les prétentions à la sagesse, je dédie ce livre à ceux qui ne lisent pas. (CP, p.&nbsp;674)» Karrick Tremblay, «&nbsp;<em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em>: un roman dédié à ceux qui ne lisent pas&nbsp;» ouvr. cité, p.&nbsp;2.</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn4" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[4]</span></span> En effet, bien qu’il ne mentionne <em style="mso-bidi-font-style: normal;">que Les cent vingt journées de Sodome</em>, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La canicule des pauvres</em> partage aussi des procédés avec d’autres livres de Sade. Par exemple, les scènes d’orgies sont comparables, autant par la manière de les amener que le vocabulaire utilisé (à part ici, je n’avais vu le verbe «enconner» que dans les livres de Sade). De plus, la dernière scène avec Adamson rappelle la fin de <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La philosophie dans le boudoir</em>; celle où un vérolé jette sa semence dans le con et le cul d’une femme et qu’ensuite Eugénie lui «&nbsp;couse et le con et le cul, pour que l’humeur virulente, plus concentrée, moins sujette à s’évaporer…&nbsp;» Sade, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">La philosophie dans le boudoir</em>, Paris, Gallimard, coll. Folio classique, p.&nbsp;283</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn5" href="#_ftnref"></a><span style="mso-special-character: footnote;">[5]</span> À deux autres reprises, on insiste sur ce fait&nbsp;: «God, I must write… (CP, p.&nbsp;102)» et «Si Adamson ne publie pas un texte sur merb.ca avant minuit demain, ce sera le signal définitif pour activer le plan B. (CP,&nbsp;p.&nbsp;486)»</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn6" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[6]</span></span> «Lancement officiel le lundi 28 septembre de 18 à 20h au Pub Quartier Latin, rue Ontario Est à Montréal».</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn7" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[7]</span></span> «Parler seul (CP, p.&nbsp;115)» qui, ironiquement ressemble au titre d’un recueil de poésie publié par Jean-Simon DesRochers&nbsp;(<em style="mso-bidi-font-style: normal;">Parle seul</em>) <span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;</span>«Les superstitions ordinaires (CP, p.&nbsp;229)», «La raison est sans morale (CP,&nbsp;p.&nbsp;291)» et «La souhaitable décadence (CP, p.&nbsp;418)».</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn8" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[8]</span></span> Philippe Forest, <span style="mso-spacerun: yes;">&nbsp;</span>«Reprendre et revenir», dans Laurent Zimmerman (dir.), <em style="mso-bidi-font-style: normal;">L’aujourd’hui du roman</em>, Nantes, Éditions Cécile Defaut, (Littérature), 2010.</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn9" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[9]</span></span> Conférence donnée le 21 février 2011 à l’Université du Québec à Rimouski.</p> </div> <div id="ftn" style="mso-element: footnote;"> <p class="MsoFootnoteText" style="text-align: justify;"><a style="mso-footnote-id: ftn;" title="" name="_ftn10" href="#_ftnref"></a><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote;">[10]</span></span> Encore une fois, on pour observer que Takao est l’antithèse de l’écrivain de Laferrière. En effet, le chapitre «&nbsp;Le japonais de la tour Eiffel&nbsp;» commence ainsi&nbsp;: «&nbsp;Je n’ai jamais eu d’appareil photo.&nbsp;» Dany Laferrière<em style="mso-bidi-font-style: normal;">, Je suis un écrivain japonais</em>, Montréal, Boréal, coll. Boréal compact, 2009, p.&nbsp;42.</p> </div> </div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/scenes-de-cul-postmodernes-et-autres-allusions-a-la-neuvieme-porte-du-corps#comments Blogue littéraire Contre-culture Culture populaire DESROCHERS, Jean-Simon Dialogue médiatique FOREST, Philippe Intertextualité LAFERRIÈRE, Dany Musique Pornographie Postmodernité Québec Représentation de la sexualité Représentation du corps SADE, Marquis de Roman Thu, 26 May 2011 10:53:45 +0000 Karrick Tremblay 344 at http://salondouble.contemporain.info Mourir de sa belle mort http://salondouble.contemporain.info/lecture/mourir-de-sa-belle-mort <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/dufour-genevieve">Dufour, Geneviève</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/journal">Journal</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div>Le <em>Journal</em> de Marie Uguay, paru en 2005 chez Bor&eacute;al, offre, comme d&rsquo;autres avant lui &mdash; qu&rsquo;on pense &agrave; ceux d&rsquo;Hector de Saint-Denys Garneau et d&rsquo;Hubert Aquin, pour ne nommer que ceux-l&agrave; &mdash;, une proximit&eacute; peu commune, non pas avec une repr&eacute;sentation fabul&eacute;e de l&rsquo;auteur, mais bien avec l&rsquo;auteure r&eacute;elle<span>&nbsp; </span>elle-m&ecirc;me.&nbsp;Le journal &eacute;tant une trace contextualis&eacute;e et temporelle d&rsquo;une &eacute;poque, d&rsquo;une p&eacute;riode, les &eacute;crits de Marie Uguay ne ressemblent donc pas &agrave; ceux des autres &eacute;crivains qu&eacute;b&eacute;cois, aussi diaristes (quoiqu&rsquo;en disent les rumeurs<a name="_ftnref" href="#_ftn1"><span>[1]</span></a>). Marie Uguay ne partage pas le sacr&eacute; et la pr&eacute;ciosit&eacute; de Garneau, ni la fougue violente, dense et tumultueuse d&rsquo;Aquin. Il s&rsquo;agit plus s&ucirc;rement, dans le cas de Marie Uguay, d&rsquo;une qu&ecirc;te litt&eacute;raire existentielle mue par des pr&eacute;occupations esth&eacute;tiques et sociales: la recherche d&rsquo;une &eacute;criture affranchie de ses ali&eacute;nations (comme Qu&eacute;b&eacute;coise, comme femme, comme &eacute;crivaine) et d&rsquo;une po&eacute;sie prosa&iuml;que, &eacute;l&eacute;mentaire, qui s&rsquo;&eacute;labore &agrave; partir du quotidien tangible, de ses manifestations mat&eacute;rielles. La transcendance et la v&eacute;rit&eacute; du po&egrave;me ne repr&eacute;sentent pas une fin en soi comme pour les &eacute;crivains mystiques. Uguay poursuit un projet: la r&eacute;activation du banal et de la r&eacute;alit&eacute; rudimentaire. Joli paradoxe s&rsquo;il en est un: le <em>Journal</em>, contrairement &agrave; la po&eacute;sie de l&rsquo;auteure, n&rsquo;est pas tellement un espace o&ugrave; le quotidien s&rsquo;introduit de fa&ccedil;on nette. Il est plut&ocirc;t d&eacute;vi&eacute; de son ancrage initial pour mieux &ecirc;tre transfigur&eacute; en une fresque r&eacute;flexive, le quotidien &eacute;tant davantage un tremplin qu&rsquo;un aboutissement.</div> <p>&nbsp;</p> <div>Po&egrave;te qu&eacute;b&eacute;coise connue notamment pour son texte sur C&eacute;zanne &laquo;Il existe pourtant des pommes et des oranges&raquo; (<em>L&rsquo;Outre-vie</em>, Noro&icirc;t, 1979), Marie Uguay se voue compl&egrave;tement &agrave; la conqu&ecirc;te du po&egrave;me, mais plus g&eacute;n&eacute;ralement &agrave; l&rsquo;&eacute;criture en elle-m&ecirc;me, une &eacute;criture qui &laquo;tranche nettement par rapport &agrave; la po&eacute;sie des ann&eacute;es 1970. Elle cesse d&rsquo;&ecirc;tre un soliloque ou un dialogue pour initi&eacute;s, et s&rsquo;autorise &agrave; nouveau le plaisir et la chaleur de la s&eacute;duction<a name="note2" href="#note2b">[2]</a>&raquo;. Atteinte du cancer des os &agrave; l&rsquo;&acirc;ge de vingt-deux ans puis amput&eacute;e d&rsquo;une jambe, Marie Uguay a travers&eacute; maintes &eacute;preuves alors qu&rsquo;elle venait &agrave; peine de publier son premier recueil de po&egrave;mes, <em>Signe et rumeur,</em> en 1976 aux &eacute;ditions du Noro&icirc;t (le recueil fut d&rsquo;abord accept&eacute; chez Gallimard, mais le projet &eacute;choua &agrave; la suite de la publication au Noro&icirc;t). Le <em>Journal</em> s&rsquo;amorce sur ce pivot, au moment o&ugrave; elle vient tout juste de subir son amputation: &laquo;15 novembre 1977. Premi&egrave;re neige ce matin sur mon corps mutil&eacute;, parcelles silencieuses de la mort. Je suis couch&eacute;e sous des bancs de glaces ce matin. La neige m&rsquo;est d&rsquo;une tristesse infinie et sereine.&raquo; (<em>Journal</em>, p. 17)</div> <p>&nbsp;</p> <div>C&rsquo;est donc &agrave; cette &eacute;poque que Marie Uguay entame l&rsquo;&eacute;criture de ses cahiers (qu&rsquo;elle poursuivra jusqu&rsquo;&agrave; sa mort en 1981). Son compagnon St&eacute;phan Kovacs remaniera des ann&eacute;es plus tard l&rsquo;ensemble de ces textes pour en faire, ultimement, une publication en dix cahiers. Plusieurs ann&eacute;es s&eacute;parent la mort de la po&egrave;te et la diffusion de son journal. En sa qualit&eacute; d&rsquo;&oelig;uvre intime, le <em>Journal</em> de Marie Uguay n&rsquo;expose pas seulement les tumultes de l&rsquo;&eacute;criture; il met &eacute;galement au jour une passion amoureuse maintenue secr&egrave;te pour son m&eacute;decin, Paul. St&eacute;phan Kovacs mentionne d&rsquo;ailleurs subtilement, en introduction, quel travail d&eacute;licat qu&rsquo;a repr&eacute;sent&eacute; la restructuration de ces cahiers renfermant une part de confidences&nbsp;troublantes: &laquo;Beaucoup d&rsquo;ann&eacute;es se sont &eacute;coul&eacute;es depuis le d&eacute;c&egrave;s de Marie Uguay; ce temps &eacute;tait sans doute n&eacute;cessaire pour accueillir avec plus d&rsquo;objectivit&eacute; cette part occulte de sa vie, ce tragique intime&raquo; (14). C&rsquo;est &agrave; lui que l&rsquo;on doit le travail d&rsquo;assemblage et d&rsquo;&eacute;lagage qu&rsquo;implique une &oelig;uvre aussi personnelle, laiss&eacute;e en suspend depuis la mort de l&rsquo;&eacute;crivaine.</div> <div><span style="font-family: Arial;">&nbsp;</span></div> <div><span style="color: #808080;"><strong>Reformuler l&rsquo;intime</strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>Contrairement &agrave; ce que l&rsquo;on pourrait croire d&rsquo;embl&eacute;e, en raison de la souffrance physique affront&eacute;e, les textes du <em>Journal</em> ne suintent pas la douleur et les sanglots. Certes les premiers moments de l&rsquo;&oelig;uvre sont empreints de cette &eacute;preuve que repr&eacute;sente l&rsquo;amputation, mais cet &eacute;cueil est rapidement remplac&eacute; par d&rsquo;autres, pour l&rsquo;heure plus pr&eacute;occupants pour l&rsquo;&eacute;crivaine&nbsp;: le d&eacute;sir du po&egrave;me et le d&eacute;sir amoureux. J&rsquo;emploie le terme &laquo;&eacute;cueils&raquo; puisque tant le po&egrave;me que l&rsquo;amour sont &eacute;lev&eacute;s au rang des combats quotidiens. Alors que la po&eacute;sie de Uguay prend appui sur la mat&eacute;rialit&eacute; du r&eacute;el &mdash; &laquo;[La po&eacute;sie] est &eacute;minemment de ce monde, et je pense que les aspects les plus palpables du r&eacute;el forment le lieu privil&eacute;gi&eacute; de ses investigations&raquo; (183) &mdash;, le <em>Journal</em> pour sa part ne fait pas la recension des gestes anodins et ne convoque pas le monde prosa&iuml;que. Il s&rsquo;agit v&eacute;ritablement d&rsquo;un carnet d&rsquo;&eacute;criture o&ugrave; l&rsquo;on interroge l&rsquo;appr&eacute;hension du monde, la composition du po&egrave;me, l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;&eacute;crire, et o&ugrave; l&rsquo;on travaille &agrave; des &eacute;bauches de roman (dont un qui aurait eu pour titre <em>Ma&icirc;tre et paria</em>). Y est m&ecirc;me &eacute;nonc&eacute;e l&rsquo;id&eacute;e de transformer &eacute;ventuellement le journal en une &oelig;uvre romanesque: &laquo;&nbsp;Nul ne doit lire ces lignes, elles serviront peut-&ecirc;tre plus tard &agrave; un roman&nbsp;&raquo; (19). L&rsquo;&eacute;criture, comme objet de r&eacute;flexion, est la mati&egrave;re premi&egrave;re de ces cahiers, &agrave; tel point que l&rsquo;actualit&eacute; et le monde du dehors en sont presque compl&egrave;tement &eacute;vacu&eacute;s, &agrave; quelques exceptions pr&egrave;s: le r&eacute;f&eacute;rendum de 1980 fait l&rsquo;objet de deux entr&eacute;es et la mort de Sartre est &eacute;voqu&eacute;e sur quelques lignes. Autre signe de la pr&eacute;sence du monde ext&eacute;rieur: des extraits de correspondance ont &eacute;t&eacute; joints au reste &mdash; ces lettres sont, qui plus est, r&eacute;dig&eacute;es avec une &eacute;gale po&eacute;sie:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">Ma ch&egrave;re douce, J&rsquo;ai renou&eacute; avec la po&eacute;sie ce soir. Je ne t&rsquo;apprendrai rien &agrave; te dire qu&rsquo;elle est l&rsquo;extr&ecirc;me de la clart&eacute;, le basculement vers l&rsquo;indicible, l&rsquo;obscur. [&hellip;] Tous les lieux-dits de mon amour se sont concentr&eacute;s en une seule &eacute;pop&eacute;e lyrique, celle d&rsquo;un vieux m&eacute;decin enterr&eacute; dans le ventre d&rsquo;une femme. [&hellip;] J&rsquo;ai renou&eacute; avec la po&eacute;sie la plus &eacute;l&eacute;mentaire, celle de l&rsquo;oubli avec le soir le plus diffus, celui des rayonnements tendres du noir. (130)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Ces occurrences sont les quelques indices qui relient l&rsquo;&eacute;crivaine &agrave; son &eacute;poque, avec le monde social &mdash; sans compter la nomenclature des jours qui chapeaute chaque texte. Comme je l&rsquo;ai &eacute;voqu&eacute; plus t&ocirc;t, le monde selon Marie Uguay transite par une exp&eacute;rimentation personnelle et ph&eacute;nom&eacute;nologique du r&eacute;el. C&rsquo;est une mani&egrave;re, en fait, de s&rsquo;introduire en lui, de le faire sien malgr&eacute; sa r&eacute;sistance premi&egrave;re,&nbsp;comme elle le formule dans les <em>Entretiens</em> r&eacute;alis&eacute;s par Jean Royer: &laquo;Je ne me suis jamais int&eacute;gr&eacute;e &agrave; la r&eacute;alit&eacute;<a name="#_ftn3"><span>[3]</span></a>&raquo;; &laquo;L&rsquo;&eacute;criture me met au monde<a name="_ftnref" href="#_ftn4"><span>[4]</span></a>&raquo;; &laquo;La po&eacute;sie est peut-&ecirc;tre la recherche d&rsquo;un absolu tr&egrave;s humble. Un absolu non m&eacute;taphysique mais qui cherche au contraire &agrave; fixer les choses de la vie de tous les jours<a name="_ftnref" href="#_ftn5"><span>[5]</span></a>&raquo;. Peu &agrave; peu, le fondement de ce sentiment de marginalit&eacute; se d&eacute;place: ce n&rsquo;est plus tant le r&eacute;el dans sa globalit&eacute; qui pose probl&egrave;me mais plut&ocirc;t le statut de femme.</div> <div>&nbsp;</div> <div><span style="color: #808080;"><strong>Le seuil marginal du corps</strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>C&rsquo;est le fait d&rsquo;&ecirc;tre n&eacute;e femme, pour Marie Uguay, qui cause la frustration et rend difficile l&rsquo;affranchissement. Le d&eacute;chirement se consolide dans un lieu: le corps, &laquo;seule preuve de l&rsquo;existence (de son existence au monde)&raquo; (302). Il s&rsquo;exprime de deux mani&egrave;res: le corps-ali&eacute;nant (celui qui est soumis &agrave; ses d&eacute;sirs, domin&eacute; par eux) et le corps-jouissance (celui qui cultive les pulsions de chair, les exploite &agrave; bon escient pour en extraire le potentiel de cr&eacute;ation):</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">Je suis scind&eacute;e, une partie de moi cherche &agrave; se valoriser par l&rsquo;amour d&rsquo;un homme qu&rsquo;elle a choisi prestigieux, et une autre est fi&egrave;re d&rsquo;elle et de ses capacit&eacute;s et s&rsquo;aime pour elle-m&ecirc;me. C&rsquo;est-&agrave;-dire en moi la femme et l&rsquo;individu. L&rsquo;individu est cr&eacute;ateur et libre, la femme est insatisfaite et d&eacute;pendante. De la femme vient un &eacute;ternel d&eacute;sir maladroit et autodestructeur, de l&rsquo;individu, le plaisir. Et l&rsquo;individu cherche sans cesse &agrave; r&eacute;cup&eacute;rer cette femme par l&rsquo;&eacute;criture, faire de cette ali&eacute;nation un lieu de cr&eacute;ation. J&rsquo;&eacute;cris pour ne pas &ecirc;tre d&eacute;truite par moi-m&ecirc;me. (50) <p></p></span></div> <div>Elle parle &agrave; plusieurs reprises d&rsquo;ali&eacute;nation pour d&eacute;signer ce d&eacute;chirement qui l&rsquo;habite:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">Rien ne m&rsquo;emp&ecirc;chera d&rsquo;aller au bout de mes ali&eacute;nations, car c&rsquo;est pour moi la meilleure fa&ccedil;on d&rsquo;en revenir, de les transgresser, et de voir surgir, au-del&agrave;, l&rsquo;individu et la femme r&eacute;unis ensemble dans la cr&eacute;atrice. (50) <p></p></span></div> <div>Ce corps-ali&eacute;nant est certainement celui qui la torture le plus. Une v&eacute;ritable lutte s&rsquo;instaure entre la volont&eacute; d&rsquo;atteindre Paul et d&rsquo;&eacute;crire une po&eacute;sie satisfaisante, et l&rsquo;impossible r&eacute;alisation de ces d&eacute;sirs, le d&eacute;sir se caract&eacute;risant d&rsquo;ailleurs par cette fuite incessante de l&rsquo;objet convoit&eacute;. Cette lutte est personnifi&eacute;e par Paul, le m&eacute;decin de Marie Uguay qui l&rsquo;accompagne presque jusqu&rsquo;&agrave; la fin de ses traitements. Il demeure la manifestation la plus tangible du combat que m&egrave;ne l&rsquo;&eacute;crivaine pour rester en vie, qu&ecirc;te intimement li&eacute;e &agrave; une autre, celle d&rsquo;assouvir le d&eacute;sir amoureux.</div> <div>&nbsp;</div> <div><span style="color: #808080;"><strong>Le d&eacute;sir, ce pharmakon</strong></span><strong> <p></p></strong></div> <div>M&eacute;decin mais &eacute;galement homme mari&eacute; et p&egrave;re de famille, Paul est l&rsquo;un des personnages les plus marquants du <em>Journal</em>. Il est celui par lequel le discours transite sans cesse, sorte de filtre vorace et douloureux qui mine et anime &agrave; la fois l&rsquo;univers de l&rsquo;&eacute;crivaine:&nbsp;&laquo;J&rsquo;aime jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;an&eacute;antissement de toutes limites, et je voudrais aimer avec une d&eacute;sinvolture sauvage, avec une aisance primesauti&egrave;re, aimer avec la seule certitude qu&rsquo;un jour tout s&rsquo;accomplira et chaque instant serait une mesure de lumi&egrave;re, un renforcement de ma solitude, tout serait utile.&raquo; (140) La d&eacute;chirure est pleinement int&eacute;gr&eacute;e, v&eacute;cue comme telle, et en cela se rapproche du concept platonicien de &laquo;pharmakon&raquo;, &laquo;qui signifie quelque chose comme une drogue, &agrave; la fois rem&egrave;de et poison&raquo;<a name="_ftnref" href="#_ftn6"><span>[6]</span></a>. Cette notion appartient &agrave; l&rsquo;implicite du texte de Marie Uguay. Elle se mat&eacute;rialise fr&eacute;quemment dans le texte: la po&egrave;te a besoin de l&rsquo;agitation que suscite le d&eacute;sir amoureux, mais cette passion impossible la ronge et rend l&rsquo;&eacute;criture difficile. Le d&eacute;sir est responsable de l&rsquo;ali&eacute;nation, du d&eacute;sespoir, mais il est &eacute;galement la pierre angulaire de sa po&eacute;sie. C&rsquo;est par lui que le monde arrive:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">D&rsquo;o&ugrave; vient donc ce d&eacute;sespoir du d&eacute;sir qui nous fait regretter sans cesse et poursuivre sans cesse? Les choses apparaissent et s&rsquo;effacent d&rsquo;elles-m&ecirc;mes. [&hellip;] Et moi je suis devant un homme, &eacute;tonn&eacute;e, fascin&eacute;e comme devant un corps inalt&eacute;rable et soumis aux fontaines, aux ab&icirc;mes. L&rsquo;obscurit&eacute; qui occupe tous les hommes multiplie en elle toutes mes pens&eacute;es. Mon d&eacute;sir interpr&egrave;te toujours l&rsquo;homme qui se tient devant moi. Que le d&eacute;sir est long et saisonnier, en lui bat le c&oelig;ur mat&eacute;riel du monde, l&rsquo;instant puissant, tous les signifiants possibles et impossibles. On approche toujours le d&eacute;sir par ellipses. Il nous parle en permanence de nous-m&ecirc;me. Tous les paysages de la terre lui ressemblent. (195)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Puis &agrave; mesure que le texte s&rsquo;&eacute;crit, le corps, sorte de courroie de transmission d&rsquo;o&ugrave; tout part et s&rsquo;ach&egrave;ve, devient peu &agrave; peu transparent et se pr&eacute;pare &agrave; dispara&icirc;tre compl&egrave;tement.</div> <div>&nbsp;</div> <div><span style="color: #808080;"><strong>S&rsquo;acheminer vers sa fin <p></p></strong></span><strong>&nbsp;</strong></div> <div>L&rsquo;ardeur n&rsquo;est plus la m&ecirc;me devant la maladie et la mort. La fatigue s&rsquo;installe. Les diagnostics de m&eacute;tastases ponctuent ses derni&egrave;res ann&eacute;es de vie. Entre le d&eacute;but et la fin du <em>Journal</em>, soit entre 1976 et 1981, Marie Uguay est hospitalis&eacute;e plusieurs fois pour subir des traitements de chimioth&eacute;rapie; la mort revient constamment la terroriser:</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">Il y a trois jours Paul m&rsquo;annon&ccedil;ait une tumeur canc&eacute;reuse au poumon. Il est confiant d&rsquo;en venir &agrave; bout. Tout est devenu si pr&eacute;cieux et si fragile &agrave; la fois. Tout semblait accourir vers moi sans arriver &agrave; m&rsquo;atteindre vraiment. Le beau visage de Paul, la douceur de l&rsquo;air, l&rsquo;agitation des rues. J&rsquo;ai march&eacute; longtemps seule, d&eacute;bord&eacute;e par un trop-plein d&rsquo;amour et par une peur grandissante. La stupeur m&rsquo;a paralys&eacute;e, il n&rsquo;y avait m&ecirc;me plus de po&egrave;mes pour assoupir ma peine. (196)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Peu &agrave; peu, le corps se m&eacute;tamorphose, s'alanguit, alors qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; jusque-l&agrave; le seuil f&eacute;brile par lequel advenait le d&eacute;sir de l&rsquo;autre, le d&eacute;sir du monde. Elle tente de se ressaisir:&nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: #808080;">J&rsquo;ai si peu d&rsquo;espoir. Je dois penser au jour le jour. Chaque jour est un d&eacute;sir &agrave; r&eacute;soudre, une pens&eacute;e &agrave; absoudre, qui m&rsquo;entra&icirc;nent vers la non-pr&eacute;sence au monde et aux choses. Je vis trop dans un r&ecirc;ve. Je dois me forcer de me maintenir en acte de pr&eacute;sence. Investir le r&eacute;el par les capacit&eacute;s informatives de mon &ecirc;tre, apprendre &agrave; respirer. (294)</span></div> <div>&nbsp;</div> <div>Mais malgr&eacute; cette volont&eacute; de se recentrer sur l&rsquo;espoir, le corps s&rsquo;abolit de lui-m&ecirc;me graduellement. Le corps &eacute;chappe &agrave; toute pr&eacute;hension et annonce la fin&nbsp;pr&eacute;sag&eacute;e: &laquo;Je n&rsquo;esp&egrave;re rien ou si peu. C&rsquo;est si vague et si monotone. Je prendrais par milliers des photos de moi pour me convaincre que j&rsquo;ai un visage, un corps. Dans ce monde, je n&rsquo;ai ni signification ni r&eacute;alit&eacute;. Je n&rsquo;existe &agrave; partir de rien ni personne. Je n&rsquo;ai pas de place &agrave; moi, ni de royaume, ni de secret.&raquo; (289) T&eacute;moignant de cet affaiblissement, les derniers cahiers (sans titre quant &agrave; eux)<span class="msoIns"><ins datetime="2010-04-20T10:55" cite="mailto:Pierre-Luc%20Landry"> </ins></span>offrent des textes moins fournis, de plus en plus espac&eacute;s dans le temps, empreints d&rsquo;un d&eacute;sespoir r&ecirc;che et dur. L&rsquo;&eacute;crivaine sombre lentement avec la crainte de laisser une &oelig;uvre mineure, sans int&eacute;r&ecirc;t. Elle redoute l&rsquo;oubli, la derni&egrave;re et v&eacute;ritable diffraction de soi: &laquo;Cette &oelig;uvre si m&eacute;diocre qui ne peut justifier aucune pr&eacute;sence sur terre. Cette &oelig;uvre qui ira mourir dans le grand silence de mes art&egrave;res. &OElig;uvre insignifiante et imb&eacute;cile. Poursuite du po&egrave;me exact, conscient et musical, alors que je suis aveugle et sourde.&raquo; (308)</div> <div>&nbsp;</div> <div>Une peur visc&eacute;rale de s&rsquo;ab&icirc;mer dans l&rsquo;oubli tenaille Marie Uguay. Or quatre &oelig;uvres seront &eacute;labor&eacute;es &agrave; partir de ce carnet d&rsquo;&eacute;criture: le <em>Journal,</em> et ses derniers textes po&eacute;tiques publi&eacute;s de fa&ccedil;on posthume: <em>Po&egrave;mes en marge</em>, <em>Po&egrave;mes en prose</em> et <em>Autoportraits</em>. M&acirc;tin&eacute;es de plusieurs univers textuels &agrave; la fois, ces &oelig;uvres ont &eacute;t&eacute; &eacute;crites en parall&egrave;le. <em>Autoportraits,</em> appareil po&eacute;tique en prose auquel s&rsquo;est consacr&eacute;e Marie Uguay, repr&eacute;sente le dernier grand droit de l&rsquo;&eacute;crivaine. Y est investi le rapport &agrave; soi, sa repr&eacute;sentation. Comme le <em>Journal</em> le propose dans une version plus longue, ces multiples autoportraits d&eacute;peignent une &eacute;crivaine aux interrogations nombreuses, aux d&eacute;sirs multiples, confront&eacute;e &agrave; une conscience aigu&euml; et exigeante d&rsquo;elle-m&ecirc;me et de sa fin: &laquo;Maintenant je marche au dedans de moi / je suis seule inond&eacute;e d&rsquo;une p&acirc;le clart&eacute; l&eacute;g&egrave;rement fauve / maintenant je suis seule &agrave; jamais&raquo;<a name="_ftnref" href="#_ftn7"><span>[7]</span></a>.</div> <div>Il demeure difficile de situer l&rsquo;&oelig;uvre dans un contexte contemporain puisque l&rsquo;&eacute;laboration du <em>Journal</em> de Marie Uguay comprend deux phases chronologiquement distinctes: il fut d&rsquo;abord r&eacute;dig&eacute; dans les ann&eacute;es quatre-vingt puis annot&eacute; et publi&eacute; en 2005. Qui plus est, deux personnes y ont travaill&eacute;: l&rsquo;auteure et son compagnon jouant ici le r&ocirc;le d&rsquo;&eacute;diteur critique. Les singularit&eacute;s du texte &ndash; introspectif, r&eacute;flexif, litt&eacute;raire &ndash; sont directement li&eacute;es au statut du texte comme tel et au statut de po&egrave;te de son auteure; il va donc aller de soi qu&rsquo;un journal d&rsquo;&eacute;crivain repose sur l&rsquo;intimit&eacute;, la litt&eacute;rature et l&rsquo;&eacute;criture. En cela, le <em>Journal</em> de Marie Uguay ne se distingue pas tellement des textes de ce genre, ni m&ecirc;me des textes de la litt&eacute;rature contemporaine &ndash; davantage ax&eacute;s sur l&rsquo;individu, le rapport &agrave; soi, l&rsquo;introspection, l&rsquo;autor&eacute;flexion. En fait, c&rsquo;est plut&ocirc;t le moment de la publication du <em>Journal</em> qui nous m&egrave;ne &agrave; interroger le statut de l&rsquo;&oelig;uvre dans le champ litt&eacute;raire qu&eacute;b&eacute;cois. Plus de vingt ans s&eacute;parent la fin de l&rsquo;&eacute;criture du <em>Journal</em> et sa parution aux &eacute;ditions du Bor&eacute;al. Il est vrai que le remaniement du texte est un travail consid&eacute;rable qui n&eacute;cessite du temps et de l&rsquo;investissement. Or, ne pourrait-on pas y voir un indice quant &agrave; la nature du champ litt&eacute;raire qu&eacute;b&eacute;cois contemporain? Le milieu litt&eacute;raire qu&eacute;b&eacute;cois accueille depuis peu les &oelig;uvres intimes. L&rsquo;&eacute;criture diaristique n&rsquo;a pas toujours re&ccedil;u un accueil favorable &agrave; cause de son statut litt&eacute;raire ambigu. Les lieux dits litt&eacute;raires, et c&rsquo;est l&agrave; la particularit&eacute; de la litt&eacute;rature contemporaine (et non pas seulement de la litt&eacute;rature qu&eacute;b&eacute;coise), ont subi un d&eacute;placement; l&rsquo;institution int&egrave;gre depuis les ann&eacute;es quatre-vingt des &eacute;crits jadis non reconnus, qu&rsquo;on pense &agrave; la paralitt&eacute;rature (le fantastique, la science-fiction, le merveilleux, le n&eacute;o-fantastique, le r&eacute;alisme magique), ou &agrave; litt&eacute;rature dite de masse (le roman historique, l&rsquo;autobiographie, la biographie). La litt&eacute;rature intime (les journaux, les correspondances, les carnets d&rsquo;&eacute;criture) s&rsquo;inscrit dans cette mouvance contemporaine qui fait de l&rsquo;institution le lieu non pas d&rsquo;une r&eacute;sistance, mais plut&ocirc;t d&rsquo;une ouverture, un lieu d&eacute;cloisonn&eacute; de ses r&eacute;ticences pass&eacute;es concernant, dans ce cas-ci, la litt&eacute;rarit&eacute; d&rsquo;une &oelig;uvre. Le <em>Journal</em> de Marie Uguay semble donc favoris&eacute; par cette modification du champ de la litt&eacute;rature nous permettant, certes de lier l&rsquo;&oelig;uvre &agrave; la litt&eacute;rature contemporaine, mais &eacute;galement de repenser la litt&eacute;rarit&eacute; du texte et la pudeur qu&rsquo;on affiche envers les &oelig;uvres personnelles. Le discours critique reste d&rsquo;ailleurs assez discret &agrave; ce sujet, nomm&eacute;ment l&rsquo;<em>Histoire de la litt&eacute;rature qu&eacute;b&eacute;coise </em>(Biron, Dumont, Nardout-Lafarge) dans laquelle le journal ne figure pas en tant que cat&eacute;gorie, ni m&ecirc;me en tant que sous-cat&eacute;gorie. Le faible int&eacute;r&ecirc;t des &eacute;tudes litt&eacute;raires ne d&eacute;signe toutefois en rien la non-pertinence de ces &oelig;uvres.</div> <div> <div>&nbsp;</div> <hr /> <div>&nbsp;</div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn1" href="#_ftnref">[1]</a><span style="font-family: Arial;"> Myl&egrave;ne Durand, &laquo; Marie Uguay et Saint-Denys Garneau, au bord du vide &raquo;, <em>Conserveries m&eacute;morielles</em> [En ligne] </span><a title="http://cm.revues.org/453" href="http://cm.revues.org/453"><span style="font-family: Arial;">http://cm.revues.org/453</span></a><span style="font-family: Arial;"> (Consult&eacute; le 30 mai 2010). <p><a name="note2b" href="#note2">[2]</a> Michel Biron, Fran&ccedil;ois Dumont et &Eacute;lizabeth Nardout-Lafarge, &laquo;La po&eacute;sie et la fiction intimistes&raquo;, dans <em>Histoire de la litt&eacute;rature qu&eacute;b&eacute;coise</em>, Montr&eacute;al, &Eacute;ditions Bor&eacute;al, 2007, p. 605-606.</p></span></div> </div> <div id="ftn"> <div><span style="font-family: Arial;"> <br /> </span></div> </div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn3" href="#_ftnref"><span style="font-family: Arial;">[3]</span></a><span style="font-family: Arial;"> Jean Royer, <em>Entretiens</em>, Montr&eacute;al, &Eacute;ditions du Silence, 1983, p. 19. <p></p></span></div> </div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn4" href="#_ftnref"><span style="font-family: Arial;">[4]</span></a><span style="font-family: Arial;"> <em>Ibid</em>., p. 22. <p></p></span></div> </div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn5" href="#_ftnref"><span style="font-family: Arial;">[5]</span></a><span style="font-family: Arial;"> <em>Ibid</em>., p. 26. <p></p></span></div> </div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn6" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn6" href="#_ftnref"><span style="font-family: Arial;">[6]</span></a><span style="font-family: Arial;"> Jacqueline Lagr&eacute;e,&nbsp;&laquo;&nbsp;<em>Le pharmakon</em>&nbsp;&raquo;, <em>Cours de philosophie de l&rsquo;Universit&eacute; de Rennes</em>, [En ligne] </span><a title="http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/pharmaco/pharmakon.htm" href="http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/pharmaco/pharmakon.htm"><span style="font-family: Arial;">http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/pharmaco/pharmakon.htm</span></a><span style="font-family: Arial;"> (Consult&eacute; le 15 mai 2010). <p></p></span></div> </div> <div id="ftn"> <div><a name="_ftn7" href="#_ftnref"></a><a name="_ftn7" href="#_ftnref"><span style="font-family: Arial;">[7]</span></a><span style="font-family: Arial;"> Marie Uguay, <em>Autoportraits</em>, Montr&eacute;al, Bor&eacute;al compact, 2005, p. 303.</span><span style="font-size: 10pt;">&nbsp;</span></div> </div> </div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/mourir-de-sa-belle-mort#comments Archives BIRON, DUMONT et NARDOUT-LAFARGE Expérience Féminisme Identité Journaux et carnets LAGRÉE, Jacqueline Mort Obsession Québec Quotidien Représentation de la sexualité Représentation du corps ROYER, Jean UGUAY, Marie Poésie Mon, 31 May 2010 14:16:51 +0000 Geneviève Dufour 226 at http://salondouble.contemporain.info Le régime des secrets http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-regime-des-secrets <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/boulanger-julie">Boulanger, Julie</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/highwater">Highwater</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>&Agrave; Highwater, tout prolif&egrave;re. Les ouvriers ont quitt&eacute; depuis longtemps la mine, centre mythique du r&eacute;cit, &laquo;plusieurs maisons des mineurs d&rsquo;alors se sont effondr&eacute;es.&raquo; (p.13) Et pourtant, toute vie ne s&rsquo;en est pas all&eacute;e. De nouvelles existences, animales et humaines, plus clandestines mais toujours palpables, se sont install&eacute;es au milieu des ruines. C&rsquo;est &agrave; Highwater, semble-t-il (rien ne se donne ais&eacute;ment dans le roman), que la narratrice commence &agrave; appr&eacute;hender la multiplicit&eacute; des &laquo;vies secr&egrave;tes de Venise&raquo; (p.19), son amoureuse. Venise et la narratrice s&rsquo;immiscent naturellement dans la faune interlope qui trouve refuge &agrave; Highwater. Dans ce lieu interm&eacute;diaire o&ugrave; tous les temps sont confondus, la curiosit&eacute; de la narratrice engendr&eacute;e par son amour se d&eacute;ploie.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;ombres</strong></span></p> <p class="MsoNormal">&Agrave; travers le corps de son amante, elle cherche &agrave; saisir ce que Venise a &eacute;t&eacute;. Non, comme il est si facile de le r&eacute;duire, dans ce mouvement banal de la jalousie qui souhaiterait abolir le pass&eacute; de l&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute; &ndash;quoique la narratrice &eacute;voque, &agrave; une seule et unique reprise, cette &laquo;[descente] dans le pass&eacute; de Venise [de] l&rsquo;escalier de la jalousie&raquo; (p.83)&ndash;, mais plut&ocirc;t dans une volont&eacute; obsessive de connaissance de chaque parcelle de son existence. Elle ne tente pas moins de s&rsquo;introduire dans certaines des vies ant&eacute;rieures de son amoureuse, dans lesquelles elle partage soudainement le corps de ses anciennes amantes et anciens amants, non en se substituant &agrave; ces corps, mais en s&rsquo;ajoutant &agrave; la sc&egrave;ne pour tout vivre &agrave; ses c&ocirc;t&eacute;s:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&Agrave; mesure que ma bouche rencontrait de nouvelles bouches sous les pins, que ma bouche rencontrait de nouvelles gorges, des torses nouveaux, &agrave; mesure que ma bouche, ouverte maintenant, s&rsquo;attardait aux chattes soyeuses, sous les pins d&rsquo;une c&ocirc;te escarp&eacute;e en bordure de la mer, je descendais dans les eux profondes de Venise et parcourais les lieux secrets, couverts d&rsquo;une mousse &eacute;paisse, de la fin de son adolescence. Je parcourais la peau d&rsquo;un gar&ccedil;on d&rsquo;alors et les fesses caress&eacute;es dans la chaleur &eacute;touffante malgr&eacute; l&rsquo;ombre &eacute;paisse de l&rsquo;appartement aux volets clos. Apr&egrave;s, je fumais moi aussi contre lui. (p.81)</span></p> <p class="MsoNormal">Son propre pass&eacute; &ndash;qui n&rsquo;appara&icirc;t que par de furtives &eacute;vocations<a name="_ftnref" href="#_ftn1">[1]</a>, au contraire de celui de Venise d&eacute;crit avec force d&eacute;tails&ndash;, sa propre existence est ainsi augment&eacute;, &eacute;paissi par toutes ces myst&eacute;rieuses vies de Venise.&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">Le myst&egrave;re auquel la narratrice tente d&rsquo;acc&eacute;der ne repose pas dans un au-del&agrave; de l&rsquo;exp&eacute;rience sensible ni dans une psych&eacute; insaisissable. Les sentiments et motivations de Venise ne sont jamais mis de l&rsquo;avant. Elle nous est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e par ses actions et surtout par ses corps &agrave; corps, souvent brutaux, qui l&rsquo;unissent &agrave; la narratrice ou &agrave; ces amantes et amants qu&rsquo;elles partagent toutes les deux. La sexualit&eacute; appara&icirc;t ainsi dans le roman comme le lieu privil&eacute;gi&eacute; de r&eacute;v&eacute;lation de l&rsquo;&ecirc;tre, &agrave; travers une illustration souvent crue et spectaculaire &shy;&ndash;les sc&egrave;nes o&ugrave; des amants s&rsquo;offrent volontairement au regard d&rsquo;autrui sont nombreuses&shy;&ndash; et, pourtant, radicalement oppos&eacute;e &agrave; la pornographie. La sexualit&eacute;, omnipr&eacute;sente dans <em>Highwater</em>, restitue un voile d&eacute;sormais aboli par les repr&eacute;sentations m&eacute;canis&eacute;es de la pornographie, construite selon le principe que tout est montr&eacute; et qu&rsquo;il n&rsquo;y a rien d&rsquo;autre &agrave; d&eacute;couvrir que cet embo&icirc;tement d&rsquo;organes. Au contraire, dans le roman de Duhamel-Noyer, le moment o&ugrave; l&rsquo;on aper&ccedil;oit cet entrechoquement des sexes n&rsquo;est pas pr&eacute;sent&eacute; comme la fin mais plut&ocirc;t comme le d&eacute;but de la travers&eacute;e de diff&eacute;rentes strates d&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;.</p> <p class="MsoNormal">Du reste, la narratrice se place en porte-&agrave;-faux de son &eacute;poque en prenant le parti de la dissimulation, comme elle le fait lors de la premi&egrave;re visite de Venise dans son studio, alors qu&rsquo;elle lui cache un martinet&nbsp;: &laquo;Je le cachais, parce que je gardais pour moi encore la prolif&eacute;ration des programmes qui se continuaient dans ma t&ecirc;te, et plus que tout de ces choses, je d&eacute;testais la sexualit&eacute; assum&eacute;e comme facteur d&rsquo;&eacute;panouissement.&raquo; (p. 142) Les esprits obtus s&rsquo;empresseront de d&eacute;noncer la contradiction apparente entre cette d&eacute;claration et l&rsquo;abondance de sc&egrave;nes sexuelles dans le roman. C&rsquo;est m&eacute;sestimer la conception de la litt&eacute;rature qui sous-tend l&rsquo;&oelig;uvre&nbsp;: celle d&rsquo;un espace qui, d&rsquo;un m&ecirc;me souffle, permet de divulguer et de pr&eacute;server le secret. La &laquo;sexualit&eacute; assum&eacute;e comme facteur d&rsquo;&eacute;panouissement&raquo; constitue, rappelons-le, l&rsquo;un des leitmotiv du mouvement <em>queer</em>. Pour &ecirc;tre accept&eacute;e l'homosexualit&eacute; a d&ucirc; s'exposer, &ecirc;tre fi&egrave;re d'elle-m&ecirc;me. La sexualit&eacute; fut revendiqu&eacute;e par les homosexuels comme un enjeu sur la sc&egrave;ne politique, ce qui les contraignit tous, dans un second temps, &agrave; souscrire &agrave; cette &eacute;quation entre la vie priv&eacute;e et la sph&egrave;re publique, et leur d&eacute;roba la possibilit&eacute; m&ecirc;me d&rsquo;une vie priv&eacute;e. La narratrice s&rsquo;oppose radicalement &agrave; cette &eacute;quation en exprimant un go&ucirc;t pour la clandestinit&eacute;, pour cette clandestinit&eacute; propre &agrave; l'amour, et un d&eacute;sir de myst&egrave;re dans un monde contemporain o&ugrave; la sc&egrave;ne priv&eacute;e tend &agrave; s&rsquo;&eacute;vanouir. Par ailleurs, nous rappelle ainsi la narratrice, l&rsquo;homosexualit&eacute;, en criant haut et fort son existence, a proclam&eacute; un &eacute;panouissement qui ne va pas de soi. L'homosexuel d&eacute;couvre le secret des chairs au m&ecirc;me titre que les autres; la femme ne conna&icirc;t pas d&rsquo;entr&eacute;e de jeu tous les secrets du sexe f&eacute;minin. Le contact avec une autre femme offre peut-&ecirc;tre la possibilit&eacute; d&rsquo;aller plus avant dans ce myst&egrave;re.</p> <p class="MsoNormal">Certaines sc&egrave;nes du roman sont particuli&egrave;rement port&eacute;es par l&rsquo;esprit de d&eacute;couverte qui caract&eacute;rise le rapport &agrave; la sexualit&eacute; de la narratrice, comme cette sc&egrave;ne o&ugrave; elle entrevoit les ombres &eacute;nigmatiques de corps en plein &eacute;bat:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">D&rsquo;o&ugrave; j&rsquo;&eacute;tais, je pouvais voir une silhouette enfoncer un membre bien d&eacute;coup&eacute; dans une autre silhouette et je m&rsquo;&eacute;tais approch&eacute;e davantage pour quitter le th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;ombres et ses personnages h&eacute;raldiques fig&eacute;s comme des marionnettes trop stylis&eacute;es, pour retrouver plus de chair, m&ecirc;me si je ne voyais plus que des morceaux maintenant, agit&eacute;s de saccades, la peau moite, et puis un harnais qui tenait ce que j&rsquo;avais d&rsquo;abord pris pour un sexe gorg&eacute; de sang. (p. 22-23)&nbsp;</span></p> <p class="MsoNormal">Le trajet de la narratrice vers les acteurs de ce &laquo;th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;ombres&raquo; est significatif du mouvement g&eacute;n&eacute;ral de confrontation directe &agrave; la chair, premier d&eacute;voilement<a name="note2" href="#note2b">[2]</a>&nbsp;qui appelle d&rsquo;autres myst&egrave;res qui ne seront pas r&eacute;solus. Les sc&egrave;nes sexuelles ont ainsi souvent l&rsquo;apparence d&rsquo;un rite et sont empreintes d&rsquo;un caract&egrave;re sacr&eacute;&nbsp;: &laquo;L&rsquo;amant du travesti s&rsquo;enduisait &agrave; pr&eacute;sent les mains de gel et pr&eacute;parait m&eacute;ticuleusement sa victime. Le fondement de sa victime.&raquo; (p. 98) Elles se distinguent radicalement de la pornographie en s&rsquo;inscrivant dans une logique de transgression &ndash;non en raison de leur caract&egrave;re marginal ou &laquo;d&eacute;viant&raquo;, mais plut&ocirc;t en raison de la brutalit&eacute; qui caract&eacute;rise la majorit&eacute; de ces sc&egrave;nes&nbsp;: &laquo;Pour discipliner ma g&ecirc;ne, je voulais que soit abolie toute tendresse.&raquo; (p. 137) L&rsquo;aspect brutal des actes d&eacute;peints s&rsquo;associe &agrave; la promesse de la d&eacute;couverte d&rsquo;une int&eacute;riorit&eacute; sup&eacute;rieure, dissimul&eacute;e sous cette violence.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La mine abandonn&eacute;e</strong></span></p> <p class="MsoNormal">Au c&oelig;ur de cet univers peupl&eacute; de myst&egrave;res<a name="note3" href="#note3b">[3]</a>, de ce &laquo;r&eacute;gime des secrets qui r&eacute;gnait aux abords de Highwater&raquo; (p.16), un seul d&rsquo;entre eux engendre une entreprise de d&eacute;chiffrement&nbsp;: celui de l&rsquo;int&eacute;riorit&eacute; de Venise que la narratrice souhaite percer. En s&rsquo;attardant &agrave; elle, en l&rsquo;aimant, la narratrice s&rsquo;aper&ccedil;oit que quelque chose d&rsquo;elle lui &eacute;chappe. Voil&agrave; comment na&icirc;t le myst&egrave;re, non par une qualit&eacute; intrins&egrave;que d&rsquo;un objet, mais par l&rsquo;attention que lui porte un sujet. Venise est cet &ecirc;tre que la narratrice choisit puis tente par mille et un d&eacute;tours de saisir dans son enti&egrave;ret&eacute;. L&rsquo;excursion &agrave; Highwater, dernier lieu d&rsquo;une longue s&eacute;rie d&rsquo;endroits o&ugrave; se sont d&rsquo;abord crois&eacute;s leurs chemins puis o&ugrave; elles ont voyag&eacute; ensemble, constitue pour la narratrice le d&eacute;but d&rsquo;une compr&eacute;hension plus profonde de son amoureuse. La mine abandonn&eacute;e qu&rsquo;elle trouve l&agrave;-bas lui permet de se repr&eacute;senter enfin Venise telle qu&rsquo;elle s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute;e &agrave; elle. L&rsquo;image de la mine donne une mesure &agrave; l&rsquo;incommensurable qu&rsquo;est Venise, dont les vies semblent se multiplier &agrave; l&rsquo;infini comme les insectes de Highwater, et lui propose une technique pour l&rsquo;appr&eacute;hender.&nbsp; Le travail des mineurs devient un mod&egrave;le pour le travail de l&rsquo;&eacute;crivaine&nbsp;: &laquo;Je me suis rendu compte que des correspondances se sont trac&eacute;es entre mon monologue int&eacute;rieur et la mani&egrave;re dont s&rsquo;organise la myst&eacute;rieuse activit&eacute; humaine qui consiste &agrave; extraire des sols diverses mati&egrave;res min&eacute;rales.&raquo; (p. 10) Cette comparaison &eacute;loigne ces deux activit&eacute;s humaines de nos conceptions habituelles. Elle remet en question le caract&egrave;re faussement banal du travail du mineur et d&eacute;finit l&rsquo;activit&eacute; de l&rsquo;&eacute;criture d&rsquo;une mani&egrave;re concr&egrave;te&nbsp;: travailler la mati&egrave;re.&nbsp;</p> <p class="MsoNormal">&Agrave; travers cette analogie, la narratrice met &agrave; mal la figure mythique du po&egrave;te en se repr&eacute;sentant elle-m&ecirc;me comme un ouvrier dont la fonction est de creuser la mati&egrave;re pour extraire le secret des profondeurs du monde. Dans son roman, Duhamel-Noyer travaille la mati&egrave;re des corps. Le grand secret auquel elle s&rsquo;attaque est celui du sexe f&eacute;minin, des &laquo;chattes myst&eacute;rieusement profondes.&raquo; (p. 77) Elle &eacute;voque ces &laquo;femmes &agrave; la peau douce [qui] entrouvraient leurs cuisses chaudes sur des sexes secrets que l&rsquo;on voyait briller par endroits dans le noir de la nuit&raquo; (p. 84), elle d&eacute;crit tout au long du roman les formes et textures de ces sexes en insistant sur leur caract&egrave;re &eacute;nigmatique&nbsp;: &laquo;L&rsquo;int&eacute;rieur du sexe est gain&eacute; d&rsquo;une membrane magique, comme la bouche de Venise, qui s&rsquo;&eacute;tire sous la pouss&eacute;e de verges douces.&raquo; (p.26) C&rsquo;est donc en entrant dans les profondeurs de Venise qu&rsquo;elle pourra circonscrire les profondeurs de son &ecirc;tre et, du m&ecirc;me coup, saisir une parcelle du pr&eacute;sent&nbsp;: &laquo;Je caressais dans ma t&ecirc;te les cuisses de Venise, puis l&rsquo;int&eacute;rieur de ses cuisses, le sexe ouvert de Venise, puis doucement ferm&eacute; sur la pulsation anonyme du pr&eacute;sent.&raquo; (p. 100) Entreprise d&eacute;risoire, nous pr&eacute;vient d&rsquo;embl&eacute;e la narratrice, puisque &laquo;ni les semaines ni les jours ne se laissent circonscrire &agrave; un temps pr&eacute;sent.&raquo; (p.9)</p> <p class="MsoNormal">Par sa composition complexe, labyrinthique, souterraine, la mine ne constitue pas seulement une image de Venise, mais aussi une image du temps et de l&rsquo;espace &agrave; l&rsquo;aide de laquelle elle parvient &agrave; construire son r&eacute;cit&nbsp;:</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">J&rsquo;ai peine &agrave; d&eacute;crire l&rsquo;espace dans lequel se meuvent les souvenirs, le labyrinthe int&eacute;rieur o&ugrave; courent mille galeries, les passerelles tordues par la m&eacute;moire et encore, les couloirs oscillant, les corridors effondr&eacute;s, les salles disparues, j&rsquo;ai peine &agrave; le faire avec ce mat&eacute;riau mis&eacute;rable qu&rsquo;est la m&eacute;taphore. Je tentais de mettre un peu d&rsquo;ordre dans l&rsquo;invisible de ma t&ecirc;te qui, nuit et jour, m&rsquo;absorbait. (p. 49)</span></p> <p class="MsoNormal">Si elle ne peut que se perdre dans ce &laquo;labyrinthe int&eacute;rieur&raquo;, qui est celui de la m&eacute;moire, elle parvient quand m&ecirc;me &agrave; en d&eacute;finir un trac&eacute; &agrave; partir duquel s&rsquo;organise le texte. La mine structure le roman, qui s&rsquo;ouvre sur un sch&eacute;ma de celle-ci et intitule ses chapitres selon ses parties&nbsp;: apr&egrave;s &ecirc;tre demeur&eacute; &agrave; la surface de la mine (&laquo;Chevalement 01&raquo;, &laquo;Chevalement 02&raquo;, &laquo;Poulies&raquo;, &laquo;Crassier&raquo;), on op&egrave;re un mouvement de plong&eacute;e vers les galeries (&laquo;Travers blanc 01&raquo;, &laquo;Skip&raquo;, &laquo;Morts-terrains&raquo;, &laquo;Galerie 01&raquo;, etc), puis de remont&eacute;e par la cage d&rsquo;extraction (&laquo;C&acirc;bles et poulies&raquo;, &laquo;Cage d&rsquo;extraction&raquo;), avant de revenir &agrave; la surface (&laquo;Carreau&raquo;). Bien que cet agencement soit tr&egrave;s ordonn&eacute;, le r&eacute;cit ne se d&eacute;ploie pas selon une trajectoire aussi d&eacute;termin&eacute;e. Il serait d&rsquo;ailleurs difficile d&rsquo;&eacute;tablir un lien clair entre le titre des chapitres et leur contenu. S&rsquo;il existe, il rel&egrave;ve d&rsquo;un code secret de l&rsquo;auteure, &agrave; jamais inaccessible &agrave; ses lecteurs avec lesquels elle n&rsquo;essaie pas de cr&eacute;er une connivence en leur proposant une &eacute;nigme &agrave; r&eacute;soudre. Le lecteur se rive &agrave; l&rsquo;impossibilit&eacute; de percer tous les secrets.</p> <p class="MsoNormal"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Une transmission imparfaite</strong></span></p> <p class="MsoNormal">Le lecteur est, de plus, soumis &agrave; la lecture imparfaite de Venise que fait la narratrice, aux prises avec ses pr&eacute;tendues carences interpr&eacute;tatives&nbsp;: &laquo;Tout se donne comme un hi&eacute;roglyphe ind&eacute;chiffrable et qui ruine mes maigres facult&eacute;s d&rsquo;interpr&eacute;tation.&raquo; (p. 59) Sans compter qu&rsquo;&agrave; celles-ci s&rsquo;ajoutent ses pr&eacute;sum&eacute;es lacunes de narratrice&nbsp;: &laquo;[la perception temporelle] se d&eacute;ployait suivant un ordre trop complexe pour moi.&raquo; (p. 33) Comble de malheur pour le lecteur, les mots lui manquent parfois pour d&eacute;crire certains &eacute;l&eacute;ments de la r&eacute;alit&eacute;, nous admet-elle humblement&nbsp;: &laquo;Je ne connais pas le nom de ces insectes non plus qui bourdonnent depuis la tomb&eacute;e de la nuit.&raquo; (p. 35), &laquo;J&rsquo;avais peine &agrave; me rappeler le nom de ce grand h&ocirc;tel moderne du bord de mer qui compte une vingtaine d&rsquo;&eacute;tages et dont les &eacute;tages ressemblent &agrave; des labyrinthes hi-tech.&raquo; (p. 25) Nous devons donc nous rendre &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence&nbsp;: au c&oelig;ur de <em>Highwater</em>, la transmission de l&rsquo;exp&eacute;rience sera vou&eacute;e &agrave; l&rsquo;imperfection. L&rsquo;exp&eacute;rience n&rsquo;a, du reste, pas besoin d&rsquo;exactitude. La transmission de l&rsquo;exp&eacute;rience r&eacute;ussit lorsqu&rsquo;elle prend acte des failles de celle-ci. Ce que la narratrice entreprend dans <em>Highwater</em>, c&rsquo;est de nous transmettre l&rsquo;exp&eacute;rience du myst&egrave;re, qui n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une forme d&rsquo;exp&eacute;rience du monde.</p> <p class="MsoFootnoteText"><a name="_ftn1" href="#_ftnref"><strong>1</strong></a>&nbsp;&laquo;On m&rsquo;appelait Madame, m&ecirc;me tr&egrave;s jeune.&raquo; (p.32), &laquo;[&hellip;] j&rsquo;&eacute;tais une jeune femme de 17 ans, seule dans Paris le jour et la nuit, et les gar&ccedil;ons et les hommes surtout m&rsquo;accostaient, et les femmes aussi, certaines croyant que j&rsquo;&eacute;tais un gar&ccedil;on puisque j&rsquo;avais l&rsquo;air autant d&rsquo;un gar&ccedil;on que d&rsquo;une fille&raquo; (p. 134)</p> <p class="MsoFootnoteText"><strong><a name="note2b" href="#note2">2</a>&nbsp;</strong>La sexualit&eacute; est explicitement plac&eacute;e par la narratrice sous le signe de cette succession de voiles: &laquo;Il me semblait que le fonctionnement v&eacute;ritable de l&rsquo;orgasme &eacute;tait ici d&eacute;voil&eacute;&nbsp;: c&rsquo;&eacute;tait une succession de paravents voilant l&rsquo;infini.&raquo; (p. 47)</p> <p class="MsoFootnoteText"><strong><a name="note3b" href="#note3">3</a></strong> Tout au long du roman, divers objets sont marqu&eacute;s du sceau du secret, parmi ceux-ci&nbsp;: &laquo;le paysage secret&raquo; (p. 21), &laquo;le secret des bo&icirc;tes&raquo; (p, 105), &laquo;la villa secr&egrave;te&raquo; (p. 127), etc.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/le-regime-des-secrets#comments DUHAMEL-NOYER, Olga Expérience Mystère Québec Relations humaines Représentation de la sexualité Représentation du corps Roman Fri, 28 Aug 2009 15:12:00 +0000 Julie Boulanger 155 at http://salondouble.contemporain.info