Salon double - DICKNER, Nicolas http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/356/0 fr Réécrire Babel à l’ère médiatique http://salondouble.contemporain.info/lecture/reecrire-babel-a-l-ere-mediatique <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/simard-houde-melodie">Simard-Houde, Mélodie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/tarmac">Tarmac</a> </div> </div> </div> <p>Le deuxi&egrave;me roman de Nicolas Dickner, <em>Tarmac</em>, raconte l&rsquo;histoire de deux adolescents, Michel (dit Mickey) Bauermann et Hope Randall, qui se rencontrent par hasard &agrave; Rivi&egrave;re-du-Loup, &agrave; l&rsquo;&eacute;t&eacute; 1989, et s&rsquo;adoptent imm&eacute;diatement. Au fil des journ&eacute;es pass&eacute;es dans le sous-sol du bungalow de la famille de Michel, surnomm&eacute; le &laquo;bunker&raquo;, les complices se laissent impr&eacute;gner par les images m&eacute;diatiques qui d&eacute;filent &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision: des &eacute;missions de David Suzuki aux &eacute;chos de la guerre froide, en passant par <em>The Price Is Right</em>, la chute du mur de Berlin et les films de zombies, tout est bon pour leurs solides app&eacute;tits. L&rsquo;actualit&eacute; politique internationale est largement pr&eacute;sente dans le roman, o&ugrave; les grands &eacute;v&eacute;nements m&eacute;diatiques qui ont marqu&eacute; notre m&eacute;moire collective depuis 1989 deviennent autant de points de rep&egrave;re pour la temporalit&eacute; du r&eacute;cit.</p> <!--break--><!--break--><p class="MsoNormal">Tout comme la Joyce de Nikolski, descendante d&rsquo;une grande lign&eacute;e de pirates, Hope poss&egrave;de cependant d&rsquo;&eacute;tranges racines familiales. Ses a&iuml;eux&nbsp;ont en effet tous re&ccedil;u, en r&ecirc;ve, une illumination leur r&eacute;v&eacute;lant comment se passerait la fin du monde&nbsp;et la date o&ugrave; celle-ci se produirait. Mais Hope, elle, attend toujours sa r&eacute;v&eacute;lation&hellip; Scientifique dans l&rsquo;&acirc;me, elle se laissera pourtant s&eacute;duire par le myst&eacute;rieux 17 juillet 2001, date de p&eacute;remption de tous les emballages de ramen Capitaine Mofoku. On reconna&icirc;t d&rsquo;embl&eacute;e l&rsquo;amour des d&eacute;tails et l&rsquo;humour un peu absurde de Dickner.</p> <p class="MsoNormal">Une qu&ecirc;te identitaire prend forme, qu&ecirc;te des origines, aussi bizarres soient-elles, afin de s&rsquo;inscrire dans un pass&eacute;, dans une lign&eacute;e familiale. &Agrave; nouveau, tout comme dans Nikolski, cette qu&ecirc;te est indissociable du voyage&nbsp;: Hope, abandonnant Michel &ndash; le narrateur &ndash; dans son bunker, part &agrave; la poursuite du &laquo;proph&egrave;te&raquo; Charles Smith, auteur d&rsquo;un livre pr&eacute;voyant la fin du monde pr&eacute;cis&eacute;ment pour le 17 juillet 2001. Un voyage qui m&egrave;nera Hope&nbsp;de Rivi&egrave;re-du-Loup jusqu&rsquo;&agrave;... Tokyo.<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La nouvelle vitesse du monde</strong></span></p> <p><strong> </strong></p> <p>Le monde de Tarmac est aux prises avec les al&eacute;as d&rsquo;un changement perp&eacute;tuel: Hope, &agrave; Tokyo, court jour apr&egrave;s jour, sans succ&egrave;s, &agrave; la recherche de la fuyante entreprise Mekiddo pour laquelle travaille Charles Smith, entreprise dont les bureaux d&eacute;m&eacute;nagent sans cesse. Tokyo, comme l&rsquo;affirme Merriam, jeune fille qui recueille Hope dans la capitale nippone, est une ville &laquo;en constante mutation&nbsp;: rien ne restait en place tr&egrave;s longtemps et le paysage se m&eacute;tamorphosait &agrave; une vitesse stup&eacute;fiante. On pouvait emprunter la m&ecirc;me rue tous les matins et, du jour au lendemain, ne plus rien reconna&icirc;tre.&raquo; (p. 192) Tarmac est ainsi porteur d&rsquo;une interrogation sur la <a>r&eacute;alit&eacute;</a>&nbsp;d&rsquo;un r&eacute;el en constante m&eacute;tamorphose, et sur la possibilit&eacute;, dans de telles conditions, d&rsquo;une m&eacute;moire collective. Qui se souviendrait des constructions &eacute;ph&eacute;m&egrave;res, motifs en constant mouvement?&nbsp;Ce ph&eacute;nom&egrave;ne de transformation urbaine n&rsquo;est pas le propre de la grande m&eacute;tropole qu&rsquo;est Tokyo, il s&rsquo;&eacute;tend jusqu&rsquo;&agrave; Rivi&egrave;re-du-Loup, comme le remarque Michel, lorsque le stade municipal de baseball est d&eacute;truit: &laquo;Je m&rsquo;&eacute;tonnais de la vitesse &agrave; laquelle on avait organis&eacute; ce projet. Quelqu&rsquo;un, quelque part, semblait press&eacute; d&rsquo;escamoter toute trace du vieux stade, de l&rsquo;effacer de la m&eacute;moire collective. C&rsquo;&eacute;tait presque suspect.&raquo; (p. 241)</p> <p class="MsoNormal">Le temps acc&eacute;l&eacute;r&eacute;, dans le monde moderne, c&rsquo;est aussi celui de la communication, des m&eacute;dias, des nouvelles retransmises par satellite&nbsp;: assister en direct &agrave; la chute du mur de Berlin, c&rsquo;est quelque chose, mais que dire alors d&rsquo;assister en direct &agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e d&rsquo;un morceau du Grenzmauer fra&icirc;chement d&eacute;mantel&eacute; dans le port de Tokyo? &Agrave; c&ocirc;t&eacute; de ce temps acc&eacute;l&eacute;r&eacute;, c&rsquo;est aussi un espace r&eacute;tr&eacute;ci qui est celui du roman, espace mondial singuli&egrave;rement accessible aux voyageurs qui passent chaque jour sur le Tarmac. C&rsquo;est ce que constate Merriam&nbsp;:&nbsp; &laquo;De nos jours, tout le monde se d&eacute;place grosso modo &agrave; la m&ecirc;me vitesse. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, &ccedil;a variait beaucoup &ndash; et, par cons&eacute;quent, la distance per&ccedil;ue variait beaucoup.&raquo; (p. 233)<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Entre Bible et t&eacute;l&eacute;: un imaginaire de la fin</strong></span></p> <p><strong> </strong></p> <p>Reprenant au sujet de la perception nouvelle du temps, Merriam ajoute:<br /> &nbsp;</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">&Ccedil;a jette un &eacute;clairage int&eacute;ressant sur le Nouveau Testament, non? Le r&eacute;cit commence avec une femme enceinte qui se dirige vers Bethl&eacute;em &agrave; dos d&rsquo;&acirc;ne. L&rsquo;image m&ecirc;me de la vuln&eacute;rabilit&eacute;. L&rsquo;&eacute;poque est trouble, les routes sont dangereuses &ndash; mais la femme prend son temps. Elle sait des choses que le lecteur ignore. Elle sait qu&rsquo;il reste encore sept cent pages avant l&rsquo;Apocalypse (p. 234)<br /> </span></p> <p class="MsoNormal">La Bible est le principal intertexte de Tarmac, intertexte qui, dans un jeu de mise en abyme, n&rsquo;est pas sans rappeler le myst&eacute;rieux Livre &agrave; trois t&ecirc;tes de Nikolski. L&rsquo;Apocalypse &laquo;que le lecteur ignore&raquo;, c&rsquo;est aussi bien la derni&egrave;re page du roman, et au c&oelig;ur de Tarmac comme de l&rsquo;Apocalypse&nbsp;se retrouve le m&ecirc;me imaginaire de la fin. Hope, en effet, a au moins trois bonnes raisons d&rsquo;&ecirc;tre obs&eacute;d&eacute;e par la fin du monde: mis &agrave; part la fatalit&eacute; g&eacute;n&eacute;alogique d&rsquo;&ecirc;tre une Randall, elle a grandi entre deux sources signifiantes pour l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un imaginaire apocalyptique: la Bible, d&rsquo;une part, et les m&eacute;dias, d&rsquo;autre part. La Bible, c&rsquo;est la principale lecture de la m&egrave;re de Hope, et donc l&rsquo;univers dans lequel l&rsquo;enfance de la jeune fille est <a>berc&eacute;e</a>, du moins jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e de la t&eacute;l&eacute;vision:<br /> &nbsp;</p> <p class="MsoNormal rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;apparition de la t&eacute;l&eacute;vision marqua un point tournant dans la vie de Hope. Jusque-l&agrave;, l&rsquo;unique source d&rsquo;information dans cette maison avait &eacute;t&eacute; la collection de bibles de sa m&egrave;re. [&hellip;] D&eacute;sormais, tous les soirs, elle s&rsquo;enfermait dans sa garde-robe pour &eacute;couter les actualit&eacute;s internationales de CBC News (p. 27).<br /> </span></p> <p class="MsoBodyText">Somme toute, quelle diff&eacute;rence y a-t-il entre le r&eacute;cit biblique et le mart&egrave;lement m&eacute;diatique? Apr&egrave;s une impressionnante, voire maniaque, &eacute;num&eacute;ration des diverses menaces qui planent sur l&rsquo;humanit&eacute;, le narrateur&nbsp;qui affirme avoir &laquo;grandi dans un monde obs&eacute;d&eacute; par l&rsquo;apocalypse&raquo; (p. 244) ironise: &laquo;la liste de nos p&eacute;rils ressemblait de plus en plus aux ingr&eacute;dients imprim&eacute;s sur un paquet de ramen: une liste invraisemblable. Mais nous &eacute;tions d&eacute;sormais au-del&agrave; de toute vraisemblance&raquo; (p. 246), l&agrave; o&ugrave;, finalement, la r&eacute;alit&eacute; rejoint la fiction biblique&hellip; ou alors serait-ce que l&rsquo;imaginaire de la fin relay&eacute; par les m&eacute;dias ne serait &agrave; son tour qu&rsquo;une nouvelle forme de fiction, un nouveau &laquo;livre&raquo; sacr&eacute; &agrave; usage universel?<br /> &nbsp;</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>La nouvelle Babel: jeux de miroir et artifices narrat</strong><strong>ifs</strong></span></p> <p><strong> </strong></p> <p>Usage universel, car le roman met bien en &eacute;vidence &laquo;l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne&raquo; qui caract&eacute;rise la culture &agrave; l&rsquo;&egrave;re contemporaine: partout la m&ecirc;me diversit&eacute;, le m&ecirc;me m&eacute;lange culturel. C&rsquo;est subtilement, mais non moins significativement, que l&rsquo;univers de Rivi&egrave;re-du-Loup est ainsi parsem&eacute; de r&eacute;f&eacute;rences nippones: marques de voiture (Michel conduit une Honda, puis une Toyota), ramen, Tofu&hellip; &laquo;Nous serions, au terme de cette Grande Guerre du Tofu, un tout petit peu plus asiatiques &ndash; mais personne ne s&rsquo;en apercevrait.&raquo; (p. 93) C&rsquo;est &eacute;galement ce que symbolise le tarmac, lieu o&ugrave; les voyageurs &eacute;changent, se rencontrent, se m&ecirc;lent: image moderne de Babel.</p> <p class="MsoNormal">Par ailleurs, un r&eacute;seau d&rsquo;&eacute;chos entre Rivi&egrave;re-du-Loup et Tokyo contribue &agrave; cet effet de globalisation culturelle, tout en permettant de tisser des liens entre les deux trames narratives qui se trouvent s&eacute;par&eacute;es environ &agrave; mi-chemin du livre: celle du voyage de Hope et celle de la vie du narrateur. On retrouve dans chaque trame une exacte sym&eacute;trie des lieux significatifs&nbsp;: deux stades de baseball, deux bars aux noms bibliques (le Jaffa et l&rsquo;Ophir), deux &laquo;refuges&raquo; habitables, la maison secr&egrave;te de Merriam et le bunker. Comme quoi Tokyo et Rivi&egrave;re-du-Loup se ressemblent davantage qu&rsquo;on ne pourrait le croire.<br /> &nbsp;<br /> Vitesse acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e, aplatissement des distances, foisonnante diversit&eacute; des r&eacute;f&eacute;rences culturelles, effacement de la m&eacute;moire collective&nbsp;: ce sont autant de jalons qui inscrivent Tarmac au sein d&rsquo;un certain bassin&nbsp;d&rsquo;&oelig;uvres contemporaines. Ces oeuvres&nbsp; red&eacute;finissent les configurations spatiales et temporelles pour dire un monde o&ugrave; nos perceptions sont&nbsp; modifi&eacute;es en profondeur par les nouvelles technologies, les moyens de transport et de communication; un monde o&ugrave; la qu&ecirc;te de soi s&rsquo;ins&egrave;re quelque part entre la lenteur des grandes mythologies pass&eacute;es et la vitesse d&rsquo;un pr&eacute;sent aux dates de p&eacute;remption toujours plus imminentes.</p> <p>&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/reecrire-babel-a-l-ere-mediatique#comments DICKNER, Nicolas Imaginaire de la fin Média Mémoire Québec Roman Mon, 11 May 2009 12:26:04 +0000 Mélodie Simard-Houde 120 at http://salondouble.contemporain.info