Salon double - Origine http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/366/0 fr Des vertus de la rumination http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-vertus-de-la-rumination <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/parent-marie">Parent, Marie</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/atavismes-0">Atavismes</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Comment parler du Québec aujourd’hui? Comment parler d’histoire nationale, de projet politique, d’identité collective sans verser ni dans un pessimisme radical ni dans un enthousiasme chauvin? Question ô combien usée et en apparence encore irrésolue. En saturant l’espace public de débats stériles et sclérosants, le discours <em>politicien</em> a contribué à réduire la possibilité même de penser le Québec en dehors des ornières idéologiques. Alors qu’en 2006, Jacques Godbout prédisait la «disparition» du Québec pour 2076<a name="note1"></a><a href="#note1a">[1]</a>, la revue <em>Liberté</em> répliquait quelques mois plus tard avec un numéro intitulé «La mort du Québec: pour qui sonne le glas?» où Alain Farah, dans un texte qui mettait tout en œuvre pour échapper au langage figé de la parole militante, nous enjoignait à «renouer avec l’invention.» (Farah, 2007 : 102) Dans un numéro subséquent de <em>Liberté</em> aussi consacré à l’avenir du Québec, Catherine Mavrikakis réfléchissait à son tour à l’identité québécoise en termes d’invention, affirmant que la tâche des intellectuels était «de trahir, de traduire en d’autres termes, souvent très peu fidèles, ce qui [leur] a été confié, afin d’arriver à quelque chose comme une pensée natale ou une terre natale. […] De détourner, de défaire, de traduire et même parfois de détruire ce dont ils sont les gardiens.» (Mavrikakis, 2008 : 36)<br /><br />Il me semble avoir reconnu un tel projet dans <em>Atavismes</em><a name="note2"></a><a href="#note2a">[2]</a> de Raymond Bock, publié il y a tout juste un an au Quartanier. Les treize nouvelles qui composent ce recueil pourraient être considérées comme de multiples variations sur «l’art de la défaite», selon l’expression d’Aquin, treize récits mêlant petite et grande histoire du Québec, entrecroisant époques et décors, de la rude terre de l’Abitibi s’ouvrant à la colonisation vers 1900 aux ruelles du Montréal contemporain. Le principal fil conducteur constitue, pour reprendre les mots de Christian Desmeules du <em>Devoir</em>, «cette défaite-génome inscrite au cœur même de l’homme et du peuple québécois.» (Desmeules, 2011 : F4) L’écriture de la défaite offrira ici l’occasion de trahir l’histoire, de la tordre pour mieux la penser.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>La révolution n’était pas dans le texte</strong></span></p> <p><br />J’ai voulu m’attarder sur un texte en particulier, celui qui m’intriguait le plus et me semblait pourtant fournir une «clé» pour lire ce recueil étrange, d’une rare cohérence malgré la diversité des voix et des styles empruntés. Dans la nouvelle «Effacer le tableau», nous nous retrouvons au sein d’un groupe de révolutionnaires québécois-français, dans un Québec du 23e siècle où, selon le texte, «la minorisation des francophones du Québec [est] achevée depuis longtemps» (153). Le jour de la révolution venu, la cellule Blaireau aura pour mission de protéger le pavillon québécois du Musée des arts canadiens, situé à Montréal, avant d’organiser le déménagement des œuvres à Québec, future capitale. Mais la prise du Musée tourne mal. Après avoir perdu deux hommes au combat, les cinq survivants de la cellule, réussissant à emporter avec eux quelques tableaux, tenteront de se cacher dans un tunnel sans issue, rattaché aux voies du métro. C’est un cri de désespoir qui permettra à leurs opposants de les repérer, cri poussé par Lalonde, chef de la cellule, alors qu’elle découvre que le seul tableau ayant échappé au feu des mitraillettes est une œuvre d’Edwin Holgate, peintre canadien ayant vécu la majeure partie de sa vie à Montréal. Cette mission courageuse se termine donc sur un échec retentissant, presque comique.<br /><br />Dans cette fiction spéculative hautement pathétique, la culture avec un grand C occupe une place centrale, à la fois comme moteur de la révolution et objet de sa dévotion, une culture élevée au statut de fétiche. Ce qu’on tente de sauver est symbolisé par cette toile qu’on arrache du mur en désespoir de cause, dont on ne connaît ni l’auteur ni ce qu’elle représente, pourvu qu’on arrive à préserver une preuve tangible de cette Culture qui semble tenir entièrement dans quelques morceaux choisis.</p> <p><br />Tout ce qui constitue la culture québécoise se résume à cette chose précieuse, fragile, extérieure au corps et à l’esprit humain, tendue sur un cadre, pouvant être réduite en miettes à la moindre offensive. Si le but de cette opération révolutionnaire se réduit à la protection d’œuvres d’art, la mission en tant que telle peut être considérée comme un simple projet artistique. Le texte s’ouvre sur une phrase qui souligne la beauté de l’action vue de haut, comme depuis le balcon d’un théâtre: «Si cette échappée avait été mise en scène, on aurait salué le génie esthétique de Bernatchez et Lalonde, leur habileté à diriger les figurants dans les espaces que le hasard offre à l’interprétation, leur incomparable audace dans l’usage des accessoires.» (151) Ainsi dès le début de la nouvelle, le cadrage de la fiction est souligné, la qualité esthétique du drame mise de l’avant. La révolution, l’effort de survivance, le désir de liberté qui y sont racontés sont immédiatement mis en abyme; on nous signifie que nous sommes encore et toujours dans le cadre d’un récit. En se posant d’abord et avant tout comme représentation, le texte évoque bien davantage qu’un fantasme de passage à l’acte radical, bien davantage qu’une politique-fiction à demi-sérieuse. Il enferme plutôt ce fantasme de révolution dans un texte qui se sait texte, réduit l’énergie que porte cette violence à la force d’une représentation. Ainsi il porte un diagnostic plus dur qu’il n’y paraît, et réécrit à sa manière un constat formulé par René Lapierre, en 1995, dans <em>Écrire l’Amérique</em>.<br /><br />René Lapierre y proposait une série de textes à travers lesquels il tentait entre autres de faire l’autopsie de l’échec référendaire de 1980. Le poète déplorait que le projet d’indépendance ait été piégé dans l’ordre du texte, du symbolique, élevé au statut d’œuvre d’art jusqu’à être définitivement figé, coupé du réel: «Le discours de l’indépendance à partir de 1976 […] a évolué à l’intérieur d’une logique abstraite et close de représentation, il a voulu se résoudre <em>d’abord</em> dans le langage. […] tout devint en même temps de plus en plus rigide, et de plus en plus sommaire.» (Lapierre, 1995 : 33) Comme si la parole, se voulant toute-puissante, avait remplacé le passage à l’acte, et en avait ainsi annulé la pertinence.</p> <p><br />Dans la nouvelle de Bock, cette tension entre discours et action est constamment reconduite. Lalonde profite de toutes les occasions possibles pour prononcer une allocution, sorte de liturgie de la parole qui ponctue les étapes de leur action, dans l’espoir peut-être que le Verbe s’incarne, que le langage fonde à lui seul le pays à naître et les libère de leurs lourdes responsabilités. Mais cette prise de parole n’est pas dénuée de cynisme, de complaisance. Tandis qu’elle parle pour fouetter ses troupes, Lalonde a bien conscience qu’il s’agit «du sursaut de conscience du mourant» (157) plutôt que d’une véritable révolution. Une fois dans le musée, elle choisit de s’adresser à ses combattants devant <em>L’étoile noire</em> de Borduas, puisque, selon ses mots, «un épilogue concédant leur défaite aurait gagné en gravité devant le grand tableau» (164). Dans la toile de Borduas, les formes «convergent vers une impossibilité, une antimatière, un néant à l’attraction incoercible» (164). Comme dans <em>L’étoile noire</em>, le discours de Lalonde et le projet qu’il porte convergent eux-mêmes vers cette impossibilité, ce néant. Toute cette mise en scène de l’acte révolutionnaire semble équivaloir à une savante programmation de la défaite, en la réduisant à un jeu toujours à recommencer, sans aboutissement. Dans le texte «L’art de la défaite», publié en 1965, l’analyse que propose Aquin de la débandade des patriotes se situe dans le même registre: dans la pièce tragique que serait la révolte de 1837, la victoire de Saint-Denis-sur-Richelieu constitue «un événement qui n’était pas dans le texte.» (Aquin, 1998 : 133) Les patriotes n’auraient pas su quoi en faire, au point de fomenter leur échec. La révolution n’a pu avoir lieu, selon Aquin, parce qu’elle ne faisait pas partie des possibles.</p> <p><br />Dans la nouvelle de Bock, la chef Lalonde formule devant ses complices un objectif bien clair: ancrer l’horizon de leur combat dans le réel: «[…] notre mission héroïque aura rendu les discours inutiles, les envolées lyriques retourneront à la littérature, les obus seront fondus pour qu’on en fasse des maisons et nous pourrons enfin nous consacrer à l’essentiel […].» (156) Mais le discours ne fait pas ce qu’il dit. Il retourne plutôt la violence contre le sujet qui la profère, le passage à l’acte est saboté de l’intérieur, puisque le discours semble griser le sujet, l’avaler, le mener vers sa propre disparition plutôt que vers l’avènement d’un ordre nouveau.</p> <p><br />Dans ce cheminement conscient vers l’échec, Lalonde, qui tient autant de l’écrivaine que de la révolutionnaire, adopte une position douloureuse, sacrificielle. Puisque la victoire n’est écrite nulle part, puisque «de toute manière l’histoire fera d’eux des traîtres et des terroristes» (151), autant faire de la défaite un art, une pratique qui comporte ses exigences, sa rigueur. Même si on lit dans ce projet la jouissance de l’insoumis qui restera aux yeux de l’histoire l’élément inassimilable, non réhabilitable, on perçoit surtout la détresse du perdant qui n’a pas su s’inventer d’autres rôles, qui n’a pas su sortir du cadre étroit d’un scénario inlassablement répété.<br /><br />La critique féroce que formule ce texte peut sembler reconduire un constat défaitiste de l’avenir du Québec, lequel s’inscrit dans un certain discours dominant<a name="note3"></a><a href="#note3a">[3]</a>. En effet, les personnages représentés ici, tout en tentant courageusement de s’extraire d’un cul-de-sac, sont eux-mêmes porteurs d’un projet sans issue. Leur révolution vise à reproduire un idéal figé, dans lequel l’œuvre de Holgate, par exemple, ne cadre pas, puisqu’elle ne représente pas le «bon» Québec. Leur vision du pays, bien que le récit se situe au 23e siècle, ne semble pas avoir évolué depuis Refus global et se résume à ce pavillon d’art québécois, où sont exposés les restes d’une culture pratiquement déjà morte. Leur aveuglement les empêche de voir qu’ils sacrifient leur vie pour protéger un héritage déjà folklorisé.<br /><br />Mais il faut resituer la nouvelle dans le contexte de son recueil. Il y a une vitalité dans la fiction de Bock qui s’écarte d’un discours de rejet, de répudiation du «destin» québécois. Même si on suit tout au long d’<em>Atavismes</em> «l’homme typique, errant, exorbité» d’Aquin, «fatigué de son identité atavique et condamné à elle<a name="note4"></a><a href="#note4a">[4]</a>», il y a chez ce sujet la soif de traquer partout les traces de son histoire, une histoire ancrée dans la mémoire du corps. Les photographies, les meubles, les amulettes anciennes trouvées au fond des boîtes servent à raconter le Québec, à en épouser complètement les formes pour mieux les repousser, les malmener. Il s’y dessine exactement le contraire d’une Culture réduite à ses effigies et à «ses envolées lyriques», telle qu’elle est critiquée dans la nouvelle «Effacer le tableau», on y perçoit plutôt toute la force d’évocation d’une culture matérielle, dont les objets les moins sacrés sont les sources infinies de fictions individuelles et collectives.<br /><br /><span style="color:#808080;"><strong>Le choix de l’héritier</strong></span></p> <p><br />La thématique de l’héritage dans <em>Atavismes</em> est placée sous le signe du legs concret, physique. Dans deux autres nouvelles à caractère fantastique, il est question d’un personnage héritant de la demeure familiale. Dans «Le ver», la maison se trouve envahie par les plantes et les animaux, et finit par s’enfoncer dans la terre en emportant avec elle le narrateur, enfin apaisé, son titre de propriété implanté sous la peau. Dans «Le voyageur immobile», qui clôt le recueil, un archiviste, en cherchant à se débarrasser des souvenirs de ses ancêtres accumulés au sous-sol, découvrira un œil de métal qui le mettra sur les traces d’un Québec encore plus ancien que celui des premiers colons français, celui des Basques, des Inuit et des Viking. Le narrateur en viendra à recomposer une «histoire nationale» débordant les limites du territoire québécois, faisant voler en éclats la linéarité de nos récits d’origine. Dans les deux cas, les personnages choisissent d’habiter un lieu qui leur échoit, mais le premier est avalé par ce lieu, tandis que l’autre se l’approprie en ne conservant parmi ses souvenirs poussiéreux que l’artéfact mystérieux, voire dangereux, qui le forcera à affronter l’inconnu.</p> <p><br />Si le mot «atavisme» désigne une forme de transmission inconsciente, passive, ces textes situent plutôt le processus de transmission au cœur de la conscience du sujet, à travers ses sensations, sa vision du monde, sa lecture du paysage. Contrairement à ce que le titre de la nouvelle analysée plus tôt laisse supposer, il n’y est jamais question «d’effacer le tableau» pour repartir à zéro, mais plutôt de s’immiscer dans ce «tableau en perpétuelle réécriture» (139), de «remettre le passé au travail», pour reprendre une expression de Robert Richard.</p> <p><br />Par son énergie à réécrire l’histoire, à en jouer, à en détisser et en retisser les fils, <em>Atavismes</em> nous invite à nous écarter d’un ressassement stérile pour instaurer ce qu’on pourrait appeler une poétique de la rumination, rumination ludique, productive, qui réussit à explorer certains aspects de «notre identité atavique» qui ressortent de l’impensé, de l’indéterminé, qui réussit à y dégager quelque chose comme un espace de liberté. Chez Bock, l’imaginaire de la défaite devient le principe opérant d’une réappropriation quasi sensorielle de l’Histoire, d’une relecture intime du «texte national», un texte national traversé d’étrangetés et de scories, joyeusement souillé par la trahison, la lâcheté, la perversion.</p> <p>À la question «Comment parler du Québec aujourd’hui?», <em>Atavismes</em> ne fournit pas une réponse facile mais propose un projet ambitieux: nous enfoncer dans le lieu que nous occupons pour y déterrer des objets hétéroclites, abîmés, non identifiables et recomposer à partir d’eux d’autres fictions que celles qui gisent inertes à la surface. Accepter ce bordel en héritage à condition de pouvoir sauter dedans à pieds joints et d’écraser au passage quelques pièces précieuses.<br />&nbsp;</p> <p><em>* Ce texte est une version remaniée d’une communication présentée dans le cadre de la table ronde «Le Québec malgré tout» tenue le 13 janvier 2012 à l’Université de Montréal et organisée par le CRIST (Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes).</em></p> <hr /> <p><strong>Bibliographie</strong></p> <p>AQUIN, Hubert, <em>Blocs erratiques</em>, Montréal, Typo, 1998 [1977].<br />DESMEULES,Christian, «Littérature québécoise – L’art ancien de la défaite», <em>Le Devoir</em>, 16 avril 2011, p. F4.<br />FARAH, Alain, «L’épisode des provinces», <em>Liberté</em>, no 275-276, mars 2007.<br />GODBOUT, Jacques, «2076: la fin du Québec!», <em>L’Actualité</em>, 1er septembre 2006, En ligne : <a href="http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0" title="http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0">http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0</a> (page consultée le 7 février 2012).<br />LAPIERRE, René, <em>Écrire l’Amérique</em>, Montréal, Les Herbes rouges, 1995.<br />MAVRIKAKIS, Catherine, «Trahir la race. Portrait de l’intellectuel québécois en Judas», <em>Liberté</em>, no 279, février 2008, p. 36-39.<br />RICHARD, Robert, «Scouiner la littérature nationale pour lire Aquin…», <em>Liberté</em>, no 278, novembre 2007, p. 78.<br />&nbsp;</p> <p><a href="#note1">[1]</a><a name="note1a"></a> Godbout déplorait en fait la disparition du Québec tel qu’il l’avait connu et rêvé, un Québec dont «la tribu canadienne-française» constituait le coeur. Michel Vastel, «2076: la fin du Québec!», <em>L’Actualité</em>, 1er septembre 2006, <a href="http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0" title="http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0">http://www.lactualite.com/societe/2076-la-fin-du-quebec?page=0,0</a> (7 février 2012).</p> <p><a href="#note2">[2]</a><a name="note2a"></a> Raymond Bock, <em>Atavismes</em>, Montréal, Le Quartanier, (coll. Polygraphe), 2011, 230 p. Toutes les références à ce recueil seront désormais intégrées entre parenthèses au corps du texte.<br />&nbsp;</p> <p><a href="#note3">[3]</a><a name="note3a"></a> Dans un billet, l’éditorialiste Mario Roy reprochait lui aussi à la mouvance souverainiste d’être «convaincue que la victoire de l’option ne dépend que de quelques… mots de plus.» «La liturgie de la parole», <em>Cyberpresse (Le blogue de l’édito)</em>, 17 août 2011, <a href="http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2011/08/17/la-liturgie-de-la-parole/" title="http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2011/08/17/la-liturgie-de-la-parole/">http://blogues.cyberpresse.ca/edito/2011/08/17/la-liturgie-de-la-parole/</a> (7 février 2012).</p> <p><a href="#note4">[4]</a><a name="note4a"></a> La citation exacte, tirée de «La fatigue culturelle du Canada français», se lit comme suit: «Je suis moi-même cet homme “typique”, errant, exorbité, fatigué de mon identité atavique et condamné à elle.» Hubert Aquin, <em>op. cit.</em>, p.&nbsp;110.<br />&nbsp;</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-vertus-de-la-rumination#comments Action politique BOCK, Raymond Combat Engagement Filiation GODBOUT, Jacques Histoire Identité LAPIERRE, René MAVRIKAKIS, Catherine Mémoire Origine Politique Québec Résistance culturelle Solitude Tradition Nouvelles Fri, 24 Feb 2012 01:35:30 +0000 Marie Parent 461 at http://salondouble.contemporain.info Des charognes et des hommes http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-charognes-et-des-hommes <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/grenier-daniel">Grenier, Daniel</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/epique">Épique</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>De Trois-Pistoles &agrave; Bedsford<br /> </strong></span><br /> Il est difficile, &agrave; la lecture du premier roman de William S. Messier, <em>&Eacute;pique</em>, de ne pas se souvenir de cette lettre-ouverte aux jeunes romanciers que Victor-L&eacute;vy Beaulieu avait fait para&icirc;tre dans La Presse, il y a de cela quelques ann&eacute;es<a href="fckeditor.html?InstanceName=oFCK_1&amp;Toolbar=DrupalFull#note1a"><strong>[1]</strong></a>. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, la lettre avait cr&eacute;&eacute; tout un &eacute;moi dans la communaut&eacute; litt&eacute;raire et avait forc&eacute; les &eacute;crivains vis&eacute;s directement et indirectement &agrave; r&eacute;agir ainsi qu&rsquo;&agrave; prendre position. Beaulieu reprochait plusieurs choses aux &eacute;crivains de la g&eacute;n&eacute;ration montante, comme leur absence d&rsquo;exp&eacute;rimentation langagi&egrave;re, leur renfermement sur eux-m&ecirc;mes et leur obsession pour un Plateau Mont-Royal de trentenaires d&eacute;sabus&eacute;s. Il les accusait de ne pas s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; leurs anc&ecirc;tres et de se confiner &agrave; une &eacute;tude fragmentaire et fragment&eacute;e de leur propre nombril.</p> <p>Cette lettre-ouverte, qui date de 2004, s&rsquo;adressait &agrave; des &eacute;crivains et &eacute;crivaines n&eacute;(e)s dans les ann&eacute;es soixante-dix, &agrave; la queue de ce qu&rsquo;on a appel&eacute; la g&eacute;n&eacute;ration X. Qu&rsquo;on soit d&rsquo;accord ou non avec le plaidoyer et les constats de l&rsquo;auteur du <em>Don Quichotte de la d&eacute;manche</em>, il est int&eacute;ressant de constater qu&rsquo;en quelques six ann&eacute;es, le vent a tourn&eacute;, et qu&rsquo;il lui serait maintenant difficile d&rsquo;atteindre les m&ecirc;mes conclusions. L&rsquo;arriv&eacute;e sur le march&eacute; d&rsquo;une toute nouvelle g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;&eacute;diteurs y est peut-&ecirc;tre pour quelque chose, en ce que l&rsquo;offre litt&eacute;raire qu&eacute;b&eacute;coise traditionnelle s&rsquo;est vue transform&eacute;e profond&eacute;ment. L&rsquo;apparition durant les derniers dix ans de jeunes maisons dynamiques et t&eacute;m&eacute;raires comme Les Allusifs (2001), Marchand de feuilles (2001), Le Quartanier (2003), ou Alto (2005), t&eacute;moigne non seulement de la vigueur de la rel&egrave;ve &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me du champ litt&eacute;raire, mais &eacute;galement d&rsquo;un v&eacute;ritable renouveau des enjeux, des th&egrave;mes et des espaces fictionnels abord&eacute;s et investis par les jeunes cr&eacute;ateurs. Par exemple, il n&rsquo;est plus tout &agrave; fait soutenable d&rsquo;avancer que le Montr&eacute;al contemporain soit la seule &laquo;&nbsp;sc&egrave;ne d&rsquo;&eacute;nonciation&nbsp;&raquo; possible, alors que quantit&eacute; de romans et r&eacute;cits qu&eacute;b&eacute;cois se r&eacute;clament d&rsquo;une identit&eacute; r&eacute;gionale forte ainsi que d&rsquo;un cheminement historique particulier. On n&rsquo;a qu&rsquo;&agrave; penser au <em>Tarmac</em> de Nicolas Dickner (2009) ou au <em>Bestiaire</em> d&rsquo;&Eacute;ric Dupont (2008).</p> <p>Publi&eacute; cette ann&eacute;e aux &eacute;ditions Marchand de feuilles, le roman <em>&Eacute;pique</em> de William S. Messier appartient &agrave; ce nouveau souffle &eacute;ditorial. Il s&rsquo;inscrit dans cette lign&eacute;e particuli&egrave;re de r&eacute;cits qu&eacute;b&eacute;cois contemporains qui ne t&eacute;moignent pas d&rsquo;un besoin de s&rsquo;interroger sur le fait d&rsquo;&ecirc;tre en p&eacute;riph&eacute;rie puisque le centre n&rsquo;est plus un concept programmatique. <em>&Eacute;pique</em> est le second livre de Messier, apr&egrave;s le recueil de nouvelles conceptuel intitul&eacute; <em>Townships</em>, &eacute;galement paru au Marchand de feuilles, en 2009, et sous-titr&eacute; &laquo;&nbsp;R&eacute;cits d'origine &raquo;. Comme le premier, le second livre installe son r&eacute;cit et sa narration dans les Townships, les Cantons-de-l&rsquo;Est, &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;un bateau jetant l&rsquo;ancre, autant pour observer prudemment un paysage connu et ch&eacute;ri par l&rsquo;auteur que pour survivre &agrave; un d&eacute;luge de r&eacute;f&eacute;rences symboliques fortes qui viennent nourrir l&rsquo;histoire et le folklore de la r&eacute;gion. Les individus l&eacute;gendaires comme les magasins &agrave; rayons ont leur place ici, agrandis et/ou d&eacute;form&eacute;s par le langage hyperbolique de l&rsquo;imaginaire&nbsp;:</p> <div class="rteindent1">&nbsp;&nbsp;&nbsp;<span style="color: rgb(128, 128, 128);"> -Sais-tu ce qu&rsquo;ils devraient faire? Ils devraient obliger tout le monde &agrave; magasiner chez Korvette. En plus de forcer le propri&eacute;taire &agrave; changer sa christie de vitrine ultra-laide, &ccedil;a ferait r&eacute;aliser au monde entier &agrave; quel point c&rsquo;est le magasin le plus incroyablement <em>hot</em> de l&rsquo;existence.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -Qu&rsquo;est-ce que t&rsquo;as achet&eacute;?<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -&laquo;&nbsp;Achet&eacute;&nbsp;&raquo;? Non, non, tu, ouvre les guillemets, ach&egrave;tes, ferme les guillemets, du lait. Tu, ouvre les guillemets, ach&egrave;tes, ferme les guillemets, des bobettes. OK, d&rsquo;accord, tr&egrave;s bien. Mais, chez Korvette, t&rsquo;ach&egrave;tes rien. T&rsquo;adoptes et t&rsquo;assimiles une fa&ccedil;on de vivre, de consommer. T&rsquo;ach&egrave;tes rien, <em>man</em>.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; [&hellip;]<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -J&rsquo;avoue quand m&ecirc;me que le Korvette a sa fa&ccedil;on unique de nous charmer. Savais-tu que celui &agrave; Stanstead a chang&eacute; la typo de son affiche? &Ccedil;a ressemble &agrave; une pancarte de <em>bed and breakfast </em>&agrave; th&eacute;matique de donjons et dragons.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; -C&rsquo;est &agrave; peu pr&egrave;s les quatre seules affaires qu&rsquo;ils ne vendent pas&nbsp;: des lits, des d&eacute;jeuners, des donjons et des dragons. (p. 42-43)&nbsp; </span></div> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong><br /> Sur la route des Cantons<br /> </strong></span><br /> La premi&egrave;re partie du roman, justement intitul&eacute;e &laquo;&nbsp;Un d&eacute;bit maximal de donn&eacute;es&nbsp;&raquo;, nous pr&eacute;sente le narrateur, &Eacute;tienne, un jeune homme litt&eacute;ralement sans histoire, mais assailli par les anecdotes et les souvenirs, qu&rsquo;il tentera de r&eacute;unir dans un r&eacute;cit coh&eacute;rent, &agrave; la mani&egrave;re d&rsquo;une de ses idoles, Einstein&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Je me dis qu&rsquo;entre mon pr&eacute;nom, &Eacute;tienne, et le nom d&rsquo;Einstein, il n&rsquo;y a que tr&egrave;s peu de diff&eacute;rence. C&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;on pourrait facilement faire une faute en &eacute;crivant &laquo;&nbsp;Einstein&nbsp;&raquo; et &ccedil;a donnerait mon pr&eacute;nom, et vice-versa. Entre l&rsquo;homme et moi, c&rsquo;est autre chose. Il est grandiose et moi, je suis quoi? Je suis convaincu, en tous cas, qu&rsquo;apr&egrave;s avoir surv&eacute;cu au d&eacute;luge qui a frapp&eacute; la r&eacute;gion de Brome-Missisquoi en 2005, j&rsquo;ai atteint une salle voisine de celle des grands hommes comme Einstein, dans le Temple de la renomm&eacute;e de la race humaine. (p. 13)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Que ce r&eacute;cit soit en bout de ligne &laquo; &eacute;pique&nbsp;&raquo;, cela ne fait aucun doute, dans la mesure o&ugrave; l&rsquo;histoire que nous raconte &Eacute;tienne n&rsquo;est ni la sienne, ni celle de Valvoline, son amie &laquo;&nbsp;costaude&nbsp;&raquo;, mais celle d&rsquo;une situation &agrave; la fois banale et catastrophique, et des moyens entrepris par des hommes et des femmes &agrave; la fois ordinaires et mythiques afin de s&rsquo;y adapter.</div> <p> &Eacute;tienne, d&egrave;s l&rsquo;incipit, nous pr&eacute;vient que son r&ocirc;le n&rsquo;a &eacute;t&eacute; qu&rsquo;accessoire dans &laquo;&nbsp;les &eacute;v&eacute;nements de 2005&nbsp;&raquo; (p. 13), et que s&rsquo;il fait figure de protagoniste, c&rsquo;est uniquement parce qu&rsquo;en racontant, il devient automatiquement le centre de la perception. Mais son r&eacute;cit en est un parmi tant d&rsquo;autres, qui s&rsquo;inscrira id&eacute;alement dans un folklore, dans la mythologie d&eacute;j&agrave; grandissante du d&eacute;luge de juin 2005 et dans l&rsquo;imaginaire toujours un peu plus d&eacute;bordant de la r&eacute;gion enti&egrave;re. &Eacute;tienne, en prenant la parole, cherche &agrave; la fois &agrave; nous faire part d&rsquo;une surabondance de r&eacute;cits et &agrave; appartenir &agrave; cette m&ecirc;me surabondance.</p> <p>Au moment o&ugrave; le roman commence, &Eacute;tienne est en train de terminer son dernier quart de travail &agrave; l&rsquo;entrep&ocirc;t de produits pharmaceutique de McStetson Canada Inc. et s&rsquo;appr&ecirc;te &agrave; faire un choix qui va changer le cours de son &eacute;t&eacute;, pour ne pas dire de son existence. Lors de la pause du souper, apr&egrave;s avoir longuement pes&eacute; le pour et le contre, le jeune employ&eacute; d&eacute;cide en effet de quitter son poste et de retourner sur le march&eacute; du travail. Il appelle alors sa grande amie Valvoline qui vient le chercher en voiture. Dans les jours qui suivent, &Eacute;tienne se pr&eacute;sente au Centre local d&rsquo;emploi o&ugrave; il fait la connaissance de la jolie &Eacute;lizabeth qu&rsquo;il surnomme la licorne, &agrave; cause de sa beaut&eacute; mythique, qui lui trouve rapidement une place d&rsquo;&eacute;quarisseur-pigiste aux c&ocirc;t&eacute;s du non moins mythique Jacques Prud&rsquo;homme, l&eacute;gende vivante du comt&eacute;.</p> <p>Commence alors l&rsquo;histoire d&rsquo;un &eacute;t&eacute; fatidique pass&eacute; &agrave; ramasser des carcasses d&rsquo;animaux le long des routes qui sillonnent les cantons. &Eacute;tienne raconte avec un bonheur teint&eacute; d&rsquo;un doux sarcasme la relation qu&rsquo;il entretient durant quelques semaines avec Prud&rsquo;homme, cet &ecirc;tre dou&eacute; d&rsquo;ubiquit&eacute; qui tr&ocirc;ne au sommet du panth&eacute;on des personnages de la mythologie r&eacute;gionale. On le dit fort comme dix hommes et aussi infatigable qu&rsquo;une locomotive. On dit de lui qu&rsquo;il a tout fait, et souvent qu&rsquo;il a r&eacute;alis&eacute; trois ou quatre exploits en m&ecirc;me temps. Les r&eacute;cits sur sa vie et sur son compte sont aussi in&eacute;puisables que la pluie qui commence &agrave; s&rsquo;abattre sur le tout Brome-Missisquoi &agrave; la fin juin 2005.</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Son nom figure en lettres attach&eacute;es sous chaque viaduc, sous chaque pont, enfin sous chaque structure en b&eacute;ton de la r&eacute;gion. Quelqu&rsquo;un sillonne les villages depuis qu&rsquo;il est tout jeune pour repasser par-dessus les lettres qu&rsquo;on aurait effac&eacute;es ou que la pluie aurait lav&eacute;es, avec un morceau de charbon, de sorte que personne ne l&rsquo;oublie. La directrice de l&rsquo;&eacute;cole primaire Sainte-Famille, &agrave; Granby, &eacute;tait une fan finie et lui vouait un culte semi-&eacute;rotique&nbsp;: chaque ann&eacute;e, les enfants du deuxi&egrave;me cycle avaient comme projet de compiler les r&eacute;cits qui circulaient au sujet de Prud&rsquo;homme, pendant que les jeunes du premier cycle devaient tenter d&rsquo;en faire le portrait, en fonction des descriptions que la directrice leur donnait. M&ecirc;me les plus r&eacute;alistes le dessinaient comme un g&eacute;ant disproportionn&eacute; et monstrueux, certains lui faisaient cracher du feu, d&rsquo;autres le faisaient voler. (p. 75-76)</span><br /> &nbsp;</div> <p>Accol&eacute; &agrave; Prud&rsquo;homme, et au fil des anecdotes et des &eacute;pisodes racont&eacute;s sous forme de chapitres courts, le narrateur nous fait part de ses interrogations et de ses angoisses, parfois existentielles, parfois pu&eacute;riles. Les p&eacute;rip&eacute;ties se succ&egrave;dent, sur fond de pluie battante qui m&egrave;nera aux pires inondations que la r&eacute;gion ait connues. Le ton du r&eacute;cit reste toutefois l&eacute;ger et digressif. &Eacute;tienne nous explique entre autres comment s&rsquo;est form&eacute;e la &laquo;&nbsp;secte&nbsp;&raquo; des Charognards, nous montre comment ramasser un cadavre de moufette, nous rappelle en dialoguant avec Valvoline qu&rsquo;il est difficile de choisir entre deux super-pouvoirs aussi diff&eacute;rents que l&rsquo;invisibilit&eacute; et la capacit&eacute; de voler&nbsp;:</p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> -&Eacute;coute &ccedil;a&nbsp;: entre voler pis &ecirc;tre invisible, c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e de justice qui fait la diff&eacute;rence. Lequel des deux pouvoirs permet de combattre le crime de la fa&ccedil;on la plus compl&egrave;te et efficace?<br /> -Euh, j&rsquo;ai pas trop pens&eacute; &agrave; &ccedil;a, ts&eacute;.<br /> -Dans un braquage de d&eacute;panneur mettons, &ccedil;a te donne pas grand-chose de voler, &agrave; moins d&rsquo;&ecirc;tre dans un d&eacute;panneur ultramoderne, ts&eacute; avec un plafond cath&eacute;drale comme en sortant de l&rsquo;autoroute 10, &agrave; Bromont. Encore l&agrave;, imagine que tu voles au-dessus du criminel. Apr&egrave;s, tu fais quoi? (p. 221-222)</span> <br /> &nbsp;</div> <p>Par l&rsquo;entremise de la voix d&rsquo;&Eacute;tienne, Messier nous informe sur la vie comme elle est v&eacute;cue &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un syst&egrave;me g&eacute;ographique et identitaire quasi autarcique, en retrait des grands centres urbains et pr&egrave;s d&rsquo;une certaine r&eacute;alit&eacute; plus grande que nature. Les Cantons que le lecteur d&eacute;couvre, visite ou revisite, sont un lieu hybride, profond&eacute;ment teint&eacute; par le m&eacute;lange in&eacute;dit des cultures qui s&rsquo;y est op&eacute;r&eacute; depuis que les Loyalistes sont venus s&rsquo;y installer lors de la R&eacute;volution Am&eacute;ricaine. Le bilinguisme ambiant, l&rsquo;influence de la culture am&eacute;ricaine frontali&egrave;re, la recrudescence d&eacute;mographique francophone des trois derni&egrave;res g&eacute;n&eacute;rations, sont quelques-uns des aspects de la r&eacute;gion qui sont int&eacute;gr&eacute;s &agrave; l&rsquo;univers de Messier &agrave; travers une fascination pour la topographie, par exemple, ou &agrave; travers l&rsquo;appropriation douce-am&egrave;re d&rsquo;un certain kitsch nostalgique propre au passage g&eacute;n&eacute;rationnel.<br /> &nbsp;&nbsp;&nbsp; <br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le banal et l&rsquo;extraordinaire</strong><br /> </span><br /> Loin du Plateau Mont-Royal et de ses 5 &agrave; 7 branch&eacute;s, <em>&Eacute;pique</em> est un roman d&rsquo;apprentissage en <em>pick-up</em> rapaill&eacute; sur fond de d&eacute;luge biblique. Le lecteur y est invit&eacute; &agrave; faire la connaissance de personnages qui sont &agrave; la fois plus complexes qu&rsquo;ils ne paraissent et bien plus simples que ce qu&rsquo;on en dit. Les quelques semaines pass&eacute;es en compagnie de Jacques Prud&rsquo;homme, le h&eacute;ros surhumain des Townships, vont faire comprendre &agrave; &Eacute;tienne que ce n&rsquo;est pas tant les l&eacute;gendes qui font les hommes que leur capacit&eacute; &agrave; se d&eacute;finir et &agrave; agir au milieu d&rsquo;un continuel tourbillon de l&eacute;gendes. Et &agrave; l&rsquo;inverse, que ce n&rsquo;est pas tant dans les l&eacute;gendes qu&rsquo;on trouve les surhommes, mais plut&ocirc;t dans les hommes qu&rsquo;on trouve les l&eacute;gendes&nbsp;: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> Je pus le regarder ramasser une douzaine de charognes dans diff&eacute;rents coins de la ville, pliant les genoux et poussant un soupir &eacute;nergique en se relevant, Jacques n&rsquo;avait vraiment rien d&rsquo;h&eacute;ro&iuml;que. Je le vis effectuer le m&ecirc;me genre de mouvement dans son salon pour ramasser une miette de biscuit soda ou dans sa cour pour arracher une mauvaise herbe. Dans ma t&ecirc;te, il n&rsquo;avait jamais fracass&eacute; de record sportif&nbsp;: il nettoyait sa piscine, il d&eacute;montait son abri Tempo, il chauffait un tracteur &agrave; gazon dont il aiguisait r&eacute;guli&egrave;rement les lames. (p. 81)</span></div> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp; <br /> Lui-m&ecirc;me personnage &eacute;nigmatique et difficile &agrave; cerner, en sa qualit&eacute; confuse d&rsquo;adulte-enfant, oscillant sans cesse entre son d&eacute;sir de voler et son d&eacute;sir d&rsquo;invisibilit&eacute;, &Eacute;tienne d&eacute;crit le monde qui l&rsquo;entoure avec les yeux d&rsquo;un conteur &agrave; la fois exp&eacute;riment&eacute; et na&iuml;f, avec la voix d&rsquo;un jeune homme &agrave; la fois d&eacute;sabus&eacute; et fascin&eacute; par les personnages hauts en couleur qui peuplent son quotidien et son imagination. De la premi&egrave;re charogne de raton &eacute;cras&eacute; sur le bord de la route 139 entre Cowansville et Dunham jusqu&rsquo;&agrave; la mont&eacute;e fulgurante des eaux qui donnera son vrai sens au nom du mont Pinacle, &agrave; Coaticook, &Eacute;tienne am&egrave;ne le lecteur avec lui sur les chemins raboteux de son &eacute;t&eacute; aussi orageux que merveilleux. Le ton de sa narration est celui du raconteur, rappelant le <em>tall tale</em><a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> am&eacute;ricain, qui se doit d&rsquo;&ecirc;tre d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; banalisant et de l&rsquo;autre incroyable. </p> <p>En fait, c&rsquo;est l&agrave; tout son charme; et c&rsquo;est l&agrave; toute la force de l&rsquo;&eacute;criture de Messier, &agrave; la fois archa&iuml;que et oralisante, dans son jeu constant sur le vernaculaire et le pass&eacute; simple, qui s&rsquo;ancre dans une r&eacute;flexion sur les origines de nos r&eacute;cits communs. Avec <em>&Eacute;pique</em>, Messier reconduit la puissance du conte et du conteur, cet &ecirc;tre un peu sournois qui sait tr&egrave;s bien que c&rsquo;est &agrave; travers une apparente banalisation des &eacute;v&eacute;nements et des acteurs aux prises avec leurs cons&eacute;quences que ceux-ci acqui&egrave;rent leur r&eacute;elle dimension extraordinaire.<br /> <a href="#note1a"><br /> </a><br /> <hr /> <strong><a href="#note1a">[1]</a> </strong>Victor-L&eacute;vy Beaulieu, &laquo;Nos jeunes sont si seuls&raquo;, <em>La Presse</em>, 29 f&eacute;vrier 2004. La lettre n&rsquo;est pas disponible sur le web, mais il est encore possible de lire la r&eacute;ponse de l&rsquo;&eacute;crivaine Marie H&eacute;l&egrave;ne Poitras, dans les archives du journal <em>Voir</em> : Marie H&eacute;l&egrave;ne Poitras, &laquo;Nous ne sommes pas si seuls&raquo;, dans <em>Voir</em>, [en ligne]. <a href="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096" title="http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096">http://www.voir.ca/publishing/article.aspx?zone=1&amp;section=10&amp;article=30096</a> [Texte en ligne depuis le 11 mars 2004].<strong><br /> <a href="#note2a"><br /> </a> <a href="#note2a">[2]</a></strong> Le <em>tall tale</em> est un r&eacute;cit typique de la tradition orale am&eacute;ricaine qui raconte des &eacute;v&egrave;nements extraordinaires tout en les ins&eacute;rant dans une narration banalisante, de mani&egrave;re &agrave; donner l&rsquo;impression qu&rsquo;ils sont v&eacute;ridiques. Par l&rsquo;entremise de l&rsquo;hyperbole, de l&rsquo;exag&eacute;ration et autres techniques rh&eacute;toriques, le conteur raconte habituellement ses propres exploits et m&eacute;saventures ou celles d&rsquo;un h&eacute;ros que tout le monde conna&icirc;t, tel Davy Crockett ou Paul Bunyan.</p> <p></p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/des-charognes-et-des-hommes#comments BEAULIEU, Victor-Lévy Culture populaire Espace Événement Identité Mémoire MESSIER, William S. Mythologie Oralité Origine POITRAS, Marie-Hélène Québec Théorie des champs Tradition Roman Thu, 09 Sep 2010 16:04:27 +0000 Daniel Grenier 259 at http://salondouble.contemporain.info Un bourgeois en proie aux événements http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-bourgeois-en-proie-aux-evenements <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-biblio"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/biblio/d-ou-viens-tu-berger">D’où viens-tu, berger?</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><em>Mon troupeau, mon troupeau de milliers de milliers de moutons d&eacute;ferle en moi&hellip; et je bous d&rsquo;une violente r&eacute;conciliation avec le </em>monde<em>. De mes propres mains, je me suis p&eacute;tri, p&eacute;tri &agrave; en c&eacute;l&eacute;brer la sortie du nihilisme.</em> (p. 252)</span></p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>La vie au sein de la violence pastorale</strong></span><strong><br /> </strong></p> <p align="justify">En lisant les p&eacute;rip&eacute;ties de sa douce en train d&rsquo;&eacute;gorger des moutons en France, le narrateur de <em>D&rsquo;o&ugrave; viens-tu, berger?</em> r&ecirc;ve &agrave; son tour d&rsquo;&eacute;pouser l&rsquo;&eacute;toffe du berger. Puisqu&rsquo;on entre dans le terroir comme on entre en religion, il lui faut se d&eacute;faire de tout. Il accepte gaiement et quitte sa vie paisible de jeune professionnel en publicit&eacute; pour la Provence. Un Qu&eacute;b&eacute;cois retourne &agrave; la terre, et &ccedil;a se passera dans les montagnes fran&ccedil;aises. La qu&ecirc;te tant souhait&eacute;e s&rsquo;offre &agrave; lui avec ses emb&ucirc;ches et ses r&eacute;compenses. Il peine, travaille fort et arrive &agrave; obtenir le paradis: son troupeau de moutons en montagne. La tranquillit&eacute; n&rsquo;est que de courte dur&eacute;e, mais pour un jeune h&eacute;ros de la terre, tous les d&eacute;fis sont bons. Le loup vient de surgir. La panique s&rsquo;installe en montagne et les cadavres de moutons se multiplient. &laquo;Vais-je abdiquer? Me rendre &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence que je ne suis qu&rsquo;un id&eacute;aliste de l&rsquo;ovin? (p. 120)&raquo; L&rsquo;id&eacute;al n&rsquo;a pas de prix et se nourrit, malgr&eacute; tout, de ses d&eacute;ceptions. Le narrateur reste donc en poste, savourant la solitude des hauteurs.</p> <p align="justify">Le roman relate en d&eacute;tail la transition de sa vie de professionnel &agrave; sa vocation de berger. Il apprend le m&eacute;tier sur le tas, &agrave; la dure. M&ecirc;me s&rsquo;il raconte avec un soin particulier les transformations, souvent brutales, du monde pastoral fran&ccedil;ais contemporain, sa nouvelle vie est toujours plus enviable que la pr&eacute;c&eacute;dente et elle lui offre enfin une occasion de se consacrer &agrave; l&rsquo;&eacute;criture :</p> <p align="justify" class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128); ">La prop&eacute;deutique au pr&eacute; se poursuit, chaque jour, dans des t&acirc;ches manuelles rudes, des risques de blessures, et de l&rsquo;enfermement toujours plus loin, toujours plus profond, en moi-m&ecirc;me, un retrait face &agrave; l&rsquo;hostilit&eacute; des violences faites aux moutons, des crises de rage du patron et de l&rsquo;antipathie croissante de Mohamed, qui voit bien les limites de mes capacit&eacute;s manuelles, et surtout que je ne l&rsquo;ai pas pris pour mentor. Je persiste, car il va n&eacute;cessairement y avoir la r&eacute;compense de la garde, de partir seul au loin en tirant mille brebis. Et le soir, cette vive lumi&egrave;re rena&icirc;t en moi, celle de la force de l&rsquo;&eacute;criture, celle d&rsquo;une transcendance permanente au monde. (p. 88-89)</span></p> <p align="justify">Si l&rsquo;apprentissage du m&eacute;tier fut d&eacute;j&agrave; bien ardu pour le Qu&eacute;b&eacute;cois en exil, l&rsquo;&eacute;pisode des loups sera le point culminant de son s&eacute;jour qui d&eacute;terminera son d&eacute;sir de se consacrer tout entier &agrave; sa vocation. &nbsp;<br /> &nbsp;<br /> <strong> </strong><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>La relation au pass&eacute;<br /> </strong></span></p> <p align="justify">On pourrait voir dans ce d&eacute;part une qu&ecirc;te initiatique, un retour vers un pass&eacute; perdu. Le titre du livre nous invite &agrave; cette lecture. Et pourtant notre jeune berger n&rsquo;a que faire de la m&eacute;moire! En quittant le Qu&eacute;bec, il diss&eacute;mine sa biblioth&egrave;que : &laquo;Les biblioth&egrave;ques et leur orgueil vertical m&rsquo;ont toujours rebut&eacute; &ndash; quand j&rsquo;ai &eacute;lagu&eacute; la mienne dans le d&eacute;part pour la montagne, j&rsquo;ai eu le sentiment de me d&eacute;partir de kilos de m&eacute;moire en trop, de l&acirc;cher prise face &agrave; un absolu platonicien attard&eacute;.&raquo; (p. 202) Ses livres se perdent. Il n&rsquo;apportera rien. On voudrait le voir surgit de temps ancestraux, mais ce berger vient peut-&ecirc;tre tout simplement de nulle part. Il &eacute;merge avec la lettre de son amoureuse au d&eacute;but du r&eacute;cit. Il admire un pastoral qui nous para&icirc;t s&rsquo;attacher davantage &agrave; un absolu qu&rsquo;&agrave; la tradition. Il est d&rsquo;ailleurs lui-m&ecirc;me sans histoire. Un corps en proie aux &eacute;v&eacute;nements, c&rsquo;est ce qu&rsquo;il devient. Il est aussi un berger archiviste qui conserve des traces de sa vie dans un blogue o&ugrave; il laisse des marques de son parcours. Il se r&eacute;clame des philosophes et affine sa relation avec Nietzsche et Cioran en montagne. M&ecirc;me cette r&eacute;surgence de lectures pass&eacute;es ne restaure pas compl&egrave;tement son lien avec la m&eacute;moire, le berger ne r&eacute;pond plus qu&rsquo;aux mouvements du corps. Il travaille &agrave; rendre son corps et son esprit disponibles aux &eacute;v&eacute;nements qui pourraient s&rsquo;offrir &agrave; lui. Dans ce monde o&ugrave; tout se r&eacute;sout d&rsquo;un coup d&rsquo;opinel, autant le mouton &agrave; abattre que le saucisson &agrave; trancher, il est toujours pr&ecirc;t &agrave; ce que surgisse enfin dans sa vie de v&eacute;ritables &eacute;v&eacute;nements.</p> <p align="justify">L&rsquo;ancien publicitaire veut vivre en montagne loin des c&eacute;l&eacute;brations de son &eacute;poque, et ce, m&ecirc;me si la quatri&egrave;me de couverture nous annonce avec enthousiasme le caract&egrave;re festif du roman. En se d&eacute;tachant de l&rsquo;Histoire, il sort de sa soci&eacute;t&eacute; et du m&ecirc;me coup de l&rsquo;industrie culturelle d&eacute;crite par Adorno et Horkheimer dans <em>La Dialectique de la raison</em><a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>. Le narrateur en trouvant une nouvelle fa&ccedil;on de vivre &eacute;chappe au mode d&rsquo;existence impos&eacute; par son monde qu&rsquo;il a quitt&eacute;. Le livre d&rsquo;Adorno et Hokheimer ne critique pas seulement la culture telle qu&rsquo;elle s&rsquo;est transform&eacute;e &agrave; l&rsquo;&egrave;re industrielle. Les philosophes de l&rsquo;&Eacute;cole de Francfort, en exil aux &Eacute;tats-Unis pendant la publication de l&rsquo;ouvrage, d&eacute;crivent aussi, et c&rsquo;est leur projet principal, leur soci&eacute;t&eacute; enti&egrave;re o&ugrave; les industries culturelles maintiennent l&rsquo;homme dans un &eacute;tat d&rsquo;ali&eacute;nation. L&rsquo;industrie culturelle constitue &mdash;voil&agrave; bien la grande catastrophe contemporaine&mdash; ce monde dans lequel survivent des &ecirc;tres qui ont perdu les composantes bien simples et fondamentales de leur humanit&eacute;. En regardant par la fen&ecirc;tre, l&rsquo;humain d&rsquo;aujourd&rsquo;hui ne peut plus penser par lui-m&ecirc;me, comme il le faisait autrefois, il ne sait plus r&ecirc;ver<a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128); "><strong>L&rsquo;amorce d&rsquo;une r&eacute;conciliation avec le monde</strong></span></p> <p align="justify">En sortant de sa soci&eacute;t&eacute;, le berger retrouve ce que la raison a perdu des mythes, il retrouve la capacit&eacute; de penser par lui-m&ecirc;me. De ce point de vue seulement le roman devient une qu&ecirc;te des origines. Ce n&rsquo;est pas la qu&ecirc;te d&rsquo;un individu, mais celle des hommes r&eacute;ifi&eacute;s de l&rsquo;industrie culturelle qui ne sont pas ma&icirc;tres de leur destin puisqu&rsquo;ils ont depuis longtemps perdu toute conscience de la relation entre le g&eacute;n&eacute;ral et le particulier et de celle entre l&rsquo;homme et la nature. Comme Ulysse &mdash;le premier h&eacute;ros bourgeois&mdash;, le narrateur de <em>D&rsquo;o&ugrave; viens-tu, berger?</em> a la possibilit&eacute; de s&rsquo;encha&icirc;ner de son propre gr&eacute;, &agrave; l&rsquo;alcool par exemple. Il ne subit toutefois plus les flux incessants de l&rsquo;industrie culturelle et du monde capitaliste, comme celui de la publicit&eacute;, qui permet de se croire libre au sein d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; qui n&rsquo;offre aucune r&eacute;elle possibilit&eacute; de libert&eacute; pour l&rsquo;&ecirc;tre humain. Ce qui le surprend le plus en montagne, c&rsquo;est la violence des bergers. Puisqu&rsquo;il a tourn&eacute; le dos &agrave; un monde o&ugrave; la barbarie est si pr&eacute;sente qu&rsquo;on ne la voit plus, il d&eacute;couvre une capacit&eacute; nouvelle &agrave; s&rsquo;&eacute;tonner de la violence. R&eacute;primant doublement la vie, l&rsquo;industrie culturelle en cache le caract&egrave;re affirmatif tout autant que n&eacute;gatif. Le regard neuf, le berger entrevoit la promesse d&rsquo;une libert&eacute; pour l&rsquo;homme aupr&egrave;s de ses moutons. En montagne, l&rsquo;ancien bourgeois pourrait, s&rsquo;il le d&eacute;sirait, s&rsquo;attacher et entendre le chant des sir&egrave;nes. Il ferait ainsi face &agrave; une exp&eacute;rience vraie de laquelle il ressentirait &agrave; la fois le plaisir et la douleur. Il ne s&rsquo;agirait pas alors d&rsquo;un retour vers les origines, mais d&rsquo;un monde qui recommencerait.<br /> &nbsp;<a name="note1a" href="#note1"><br /> 1</a>Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, <em>La Dialectique de la raison</em>, coll. &laquo;Tel&raquo;, Paris, Gallimard, 1983, 281 pages.<br /> <a name="note2a" href="#note2">2</a>Le 20 janvier dernier, j&rsquo;ai entendu, dans un reportage sur le Salon de l&rsquo;auto 2009 au t&eacute;l&eacute;journal de Radio-Canada, un critique automobile s&rsquo;exclamer avec tout l&rsquo;enthousiasme de son innocence : &laquo;&Ccedil;a sera enfin l&rsquo;occasion de r&ecirc;ver!&raquo;. Le r&ecirc;ve dans l&rsquo;industrie culturelle, celui que le narrateur cherche &agrave; tout prix &agrave; fuir, est pr&eacute;cis&eacute;ment offert en payant et se d&eacute;pla&ccedil;ant pour voir les publicit&eacute;s formidables des derni&egrave;res voitures produites par les constructeurs automobiles. &Agrave; cet &eacute;gard, il importe de citer une phrase d'Adorno tir&eacute;e de <em>Le caract&egrave;re f&eacute;tiche dans la musique et la r&eacute;gression de l'&eacute;coute</em>: &laquo;Il suffit des mots: &quot;C'est une Rolls Royce&quot;, prononc&eacute;s au moment du saint sacrement de la grande messe automobile pour que tous les hommes deviennent fr&egrave;res.&raquo; (Theodor W. Adorno, <em>Le caract&egrave;re f&eacute;tiche dans la musique et la r&eacute;gression de l'&eacute;coute,</em> Paris, Allia, 2003, p. 32.)</p> http://salondouble.contemporain.info/lecture/un-bourgeois-en-proie-aux-evenements#comments ADORNO, Theodor W. Événement Expérience HORKHEIMER, Max LEFEBURE, Mathyas Origine Politique Québec Roman Wed, 11 Feb 2009 17:16:00 +0000 Amélie Paquet 70 at http://salondouble.contemporain.info