Salon double - ŽIŽEK, Slavoj http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/393/0 fr Penser au présent http://salondouble.contemporain.info/antichambre/penser-au-present <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/hope-jonathan">Hope, Jonathan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> La conférence d&#039;Alain Badiou et de Slavoj Žižek </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span class="Apple-style-span" style="color: rgb(128, 128, 128); font-weight: bold; "><br /> Pourquoi le philosophe?&nbsp;<br /> </span><br /> Quel est le r&ocirc;le du philosophe aujourd&rsquo;hui? Quelle est sa place dans la soci&eacute;t&eacute;, dans l&rsquo;organisation du travail, dans la vie intellectuelle?</p> <p>Au moins depuis Socrate, nous savons que le philosophe trouve des probl&egrave;mes et tente de les formuler correctement &mdash;il n&rsquo;y apporte pas n&eacute;cessairement des solutions. Mais cette d&eacute;finition ne fait pas n&eacute;cessairement consensus; on pourrait douter, de mani&egrave;re tout &agrave; fait juste, de la primaut&eacute; de la forme probl&eacute;matisante de la philosophie. Si la pens&eacute;e ne pose que des probl&egrave;mes, comment expliquer la formulation de v&eacute;rit&eacute;s g&eacute;n&eacute;rales? La question est tout &agrave; fait capitale compte tenu du fait que la pens&eacute;e s&rsquo;organise souvent, voire prioritairement, autour de concepts universaux.</p> <p>Cette h&eacute;sitation ne doit pas nous concerner dans l&rsquo;imm&eacute;diat, nous y reviendrons. Pour l&rsquo;instant, c&rsquo;est plut&ocirc;t le r&ocirc;le du &laquo;philosophe entremetteur&raquo; qui nous int&eacute;resse. Alain Badiou et Slavoj Žižek, deux penseurs qui ont une certaine r&eacute;putation &agrave; cet &eacute;gard<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>, ont publi&eacute; ensemble une conf&eacute;rence intitul&eacute;e <em>Philosophy in the Present</em> qui d&eacute;fend et revalorise cette position. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un texte oral et spontan&eacute; qui devrait, dans les mots de mots de l&rsquo;&eacute;diteur, &laquo;stimuler la contradiction, la pens&eacute;e et des lectures suppl&eacute;mentaires.&raquo; (XI)<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> Badiou et Žižek ne sont pas unanimes dans leurs positions philosophiques. N&eacute;anmoins, ils s&rsquo;entendent et r&eacute;affirment syst&eacute;matiquement cette entente au cours de l&rsquo;entretien. C&rsquo;est la nature complexe de cette entente et de son incidence sur la pens&eacute;e qui fera l&rsquo;objet d&rsquo;analyse ici.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les d&eacute;buts conjoints de la pens&eacute;e et la politique</strong></span></p> <p>Tous deux extr&ecirc;mement politis&eacute;s, Badiou et Žižek jugent capitale l&rsquo;articulation entre la philosophie fondamentale et la philosophie politique. Cela ne signifie pas qu&rsquo;&agrave; leurs yeux ces deux domaines se recouvrent enti&egrave;rement. Au contraire, la politique porte sur des situations collectives, tandis que le philosophe est concern&eacute; par les probl&egrave;mes. N&eacute;anmoins, consid&eacute;rant leur exp&eacute;rience politique, c&rsquo;est sans surprise que les auteurs d&eacute;finissent le philosophe comme quelqu&rsquo;un qui intervient dans les affaires du monde et qui s&rsquo;implique dans les affaires communes. Cet engagement est pourtant bien particulier. Selon Badiou et Žižek, il n&rsquo;est pas attendu du philosophe qu&rsquo;il prenne position dans un d&eacute;bat en se justifiant avec des arguments plus intelligents que la moyenne. Fondamentalement, la philosophie ne g&eacute;n&egrave;re pas des opinions. L&rsquo;engagement politique du philosophe consiste plut&ocirc;t &agrave; reformuler les termes du d&eacute;bat, &agrave; montrer que ces termes, institu&eacute;s typiquement par les m&eacute;dias ou par les politiciens, posent de faux probl&egrave;mes.</p> <p>Par cons&eacute;quent, les auteurs s&rsquo;entendent tout particuli&egrave;rement &agrave; dire que, essentiellement, le philosophe probl&eacute;matise et d&eacute;sordonne. Cette id&eacute;e partag&eacute;e donne un ton plus ou moins uniforme &agrave; l&rsquo;ensemble du livre. Par exemple, Badiou affirme: <span style="color: rgb(128, 128, 128);"></span></p> <p></p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">C&rsquo;est cette histoire que la philosophie nous dit toujours, sous plein d&rsquo;allures diff&eacute;rentes: d&rsquo;&ecirc;tre dans l&rsquo;exception, dans le sens de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, de garder ses distances du pouvoir, et d&rsquo;accepter les cons&eacute;quences d&rsquo;une d&eacute;cision, aussi recul&eacute;es et difficiles qu&rsquo;elles puissent &ecirc;tre. (13)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Badiou revient avec insistance sur l&rsquo;id&eacute;e et d&eacute;clare quelques pages plus loin:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je crois que c&rsquo;est tr&egrave;s important &agrave; comprendre: un engagement philosophique authentique, dans des situations, cr&eacute;e une &eacute;tranget&eacute;. Dans un sens g&eacute;n&eacute;ral, il est &eacute;tranger. Et quand il est simplement quelconque, quand il ne poss&egrave;de pas cette &eacute;tranget&eacute;, quand il n&rsquo;est pas immerg&eacute; dans ce paradoxe, alors c&rsquo;est un engagement politique, un engagement id&eacute;ologique, l&rsquo;engagement d&rsquo;un citoyen, mais ce n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement un engagement philosophique. L&rsquo;engagement philosophique est marqu&eacute; par son &eacute;tranget&eacute; interne. (23-24)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Žižek tient des propos similaires:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&agrave; o&ugrave; je veux diriger l&rsquo;attention, c&rsquo;est vers ce moment d&rsquo;&eacute;tranget&eacute; qui &eacute;merge par d&eacute;placement; depuis les touts d&eacute;buts &mdash;c&rsquo;est ce que veut nous dire Heidegger&mdash; la philosophie n&rsquo;&eacute;tait pas le discours de ceux qui ressentent la certitude d&rsquo;&ecirc;tre chez soi. Elle a toujours n&eacute;cessit&eacute; un minimum d&rsquo;effondrement de la soci&eacute;t&eacute; organique. Depuis Socrate nous rencontrons encore et encore cette alt&eacute;rit&eacute;, ces trous, et c&rsquo;est int&eacute;ressant que nous puissions m&ecirc;me d&eacute;couvrir l&rsquo;&eacute;tranger chez Descartes &mdash;et donc exposer ses d&eacute;tracteurs. Dans la seconde section du <em>Discours de la m&eacute;thode</em>, il y a, je crois, sa remarque c&eacute;l&egrave;bre o&ugrave; il raconte comment il a d&eacute;couvert dans les voyages non seulement l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; des autres coutumes, mais aussi le fait que sa propre culture &eacute;tait encore plus &eacute;trange, m&ecirc;me risible, vu d&rsquo;ailleurs. &Agrave; mon opinion, c&rsquo;est l&agrave; le point z&eacute;ro de la philosophie. Chaque philosophe adopte ce lieu de d&eacute;placement. (70-71)</span><br /> &nbsp;</div> <div>La pens&eacute;e appara&icirc;t ainsi essentiellement comme une affaire de ruptures. Ces ruptures &mdash;des relations impossibles&mdash; sont des moments cl&eacute;s de la philosophie. Que l&rsquo;on con&ccedil;oive ces ruptures en termes de d&eacute;cisions, d&rsquo;instants, de paradoxes ou d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements, le r&eacute;sultat est le m&ecirc;me: il s&rsquo;agit de d&eacute;finir la philosophie comme la discipline qui brise la douce cyclicit&eacute; du sens. La pens&eacute;e a n&eacute;cessairement un d&eacute;but radical, une naissance qui se d&eacute;terminent par opposition &agrave; tout ce qui est autre. La pens&eacute;e est essentiellement n&eacute;gative et &eacute;merge lorsque le sujet d&eacute;cide de se positionner hors de lieux communs. Comme la plupart des textes qu&rsquo;ont publi&eacute;s ces auteurs, <em>Philosophy in the Present</em> est un plaidoyer pour des philosophies radicales et des politiques r&eacute;volutionnaires actuelles. <p>Dans ce sens, la pens&eacute;e ne consiste pas &agrave; g&eacute;n&eacute;rer des applications dites &laquo;concr&egrave;tes&raquo;. Selon Žižek, rien de plus &eacute;loign&eacute; de la philosophie que la liste des dix crises humanitaires (ch&ocirc;mage, drogue, etc.) que J. Derrida compile dans les <em>Spectres de Marx</em> (1993). La pens&eacute;e doit r&eacute;sister &agrave; la tentation pragmatique de s&rsquo;immiscer dans le monde et doit, au contraire, assumer sa nature id&eacute;ale. Un exemple donn&eacute; par Žižek est tout &agrave; fait &eacute;clairant: dans les d&eacute;bats concernant la biog&eacute;n&eacute;tique, la t&acirc;che du philosophe n&rsquo;a rien &agrave; voir avec les probl&egrave;mes &eacute;thiques. Ou, du moins, si le philosophe offre une r&eacute;ponse &agrave; ces d&eacute;bats, ce n&rsquo;est pas <em>en tant que</em> philosophe &mdash;il n&rsquo;en sait rien de plus que n&rsquo;importe quel citoyen. La t&acirc;che du philosophe consiste plut&ocirc;t &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir aux implications qu&rsquo;ont les pratiques biologiques nouvelles sur <em>l&rsquo;id&eacute;e</em> de l&rsquo;homme.</p> <p>Pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu&rsquo;ils r&eacute;sistent &agrave; la tentation pragmatique, Badiou et Žižek s&rsquo;en prennent aux philosophes de la signification, de l&rsquo;ordre et de la continuit&eacute;<a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>. Le probl&egrave;me qu&rsquo;ils exposent ne concerne pas le rapport de la pens&eacute;e au monde, mais la (re)formulation d&rsquo;une philosophie qui reconna&icirc;t le caract&egrave;re essentiellement et excessivement transcendantal de la pens&eacute;e. D&rsquo;ailleurs, que <em>Philosophy in the Present</em> soit une transcription d&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement <em>oral</em> n&rsquo;est pas un hasard, compte tenu du fait que la parole est de l&rsquo;ordre du pr&eacute;sent, un &eacute;ternel maintenant arrach&eacute; de son contexte temporel<a href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>. De mani&egrave;re analogue, l&rsquo;organisation des id&eacute;es immuables, c&rsquo;est-&agrave;-dire la pens&eacute;e, est absolument actuelle. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L&rsquo;organisation politique et la v&eacute;rit&eacute;</strong></span></p> <p>Dans la d&eacute;mocratie telle que nous la vivons en Occident, on ne cesse de pr&ocirc;ner l&rsquo;harmonie entre les termes. On fait l&rsquo;&eacute;loge du dialogue o&ugrave; tous les partis se parlent confortablement et conform&eacute;ment &agrave; certaines r&egrave;gles. Le dialogue est la manifestation d&rsquo;une commensurabilit&eacute; entre les diff&eacute;rents discours. Le dialogue est, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, le sympt&ocirc;me du sens raisonn&eacute;, harmonieux et triomphant. La politique telle qu&rsquo;elle se d&eacute;ploie dans la majorit&eacute; des pays dits civilis&eacute;s, o&ugrave; r&egrave;gne une forme standardis&eacute;e et tranquille de parlementarisme, est une image claire de ce triomphe. Les diff&eacute;rents partis politiques sont commensurables, sinon carr&eacute;ment interchangeables. Une rotation assez courtoise des r&ocirc;les est la norme: l&rsquo;opposition devient &eacute;ventuellement la majorit&eacute;, tous ont leur tour pour &ecirc;tre chef.</p> <p>Selon Badiou et Žižek ce dialogue est justement non-philosophique. Ce n&rsquo;est pas dans les rapports (dialogue) entre les diff&eacute;rents termes qu&rsquo;&eacute;merge la philosophie, mais dans les ruptures (parole). Parce que la philosophie est contrariante, cela implique que la politique l&rsquo;est &eacute;galement &mdash;ou plut&ocirc;t elle devrait l&rsquo;&ecirc;tre. C&rsquo;est ainsi que les auteurs pourfendent la politique usuelle: le parlementarisme standard, douce&acirc;tre et mou, propageant ses valeurs de bon sens et de continuit&eacute;, est ce qu&rsquo;il y a de plus &eacute;loign&eacute; de la pens&eacute;e. La politique doit se mettre &agrave; l&rsquo;heure de la philosophie, en s&rsquo;ouvrant &agrave; sa r&eacute;alit&eacute; paradoxale et en reconnaissant qu&rsquo;elle est effectivement fond&eacute;e sur une impossible r&eacute;solution. Choisir une option c&rsquo;est &eacute;galement en refuser une autre: tout se joue dans ces instants d&eacute;cisifs et insens&eacute;s o&ugrave; les sujets penchent vers les exc&egrave;s.</p> <p>Embo&icirc;tant le pas sur Badiou, Žižek affirme: &laquo;Il n&rsquo;y aura &agrave; peine un dialogue entre nous, parce que nous sommes en grande partie d&rsquo;accord. Mais est-ce que cela pourrait &ecirc;tre &mdash;pour commencer avec une provocation&mdash; un signe de philosophie r&eacute;elle?&raquo; (49) L&rsquo;accord &eacute;voqu&eacute; ici n&rsquo;est pas d&rsquo;ordre dialogique, ni le fruit d&rsquo;un pseudod&eacute;bat concernant de petites nuances. D&rsquo;ailleurs, il s&rsquo;agit moins d&rsquo;un commun accord que d&rsquo;un m&ecirc;me combat radical: la philosophie n&rsquo;est pas une entreprise o&ugrave; se consolide le sens, mais une activit&eacute; de destruction. Le <em>take home</em> message, comme disent les Anglais, c&rsquo;est que la r&eacute;volte ne suffit pas.<em> Philosophy in the Present</em> est, ni plus ni moins, qu&rsquo;un appel &agrave; la pleine r&eacute;volution, l&rsquo;exigence philosophique par excellence<a href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>.</p> <p>Un doute se profile peut-&ecirc;tre &agrave; la r&eacute;ception d&rsquo;un discours si frappant et engag&eacute;. Si la philosophie est essentiellement contrariante et si, de surcro&icirc;t, elle formule des probl&egrave;mes afin de d&eacute;sordonner, qu&rsquo;en est-il de la <em>v&eacute;rit&eacute;</em>? Si l&rsquo;on d&eacute;finit le travail de la pens&eacute;e philosophique et politique comme disrupteur, comment soutenir des affirmations universelles? Car &agrave; lire Badiou et Žižek on constate sans difficult&eacute; que leurs affirmations sur la philosophie et la politique sont &eacute;nonc&eacute;es avec assurance. J&rsquo;ai signal&eacute; en introduction cette h&eacute;sitation: la forme probl&eacute;matisante de la pens&eacute;e est-elle originale? La question est cruciale, car la pens&eacute;e n&eacute;gocie avec des id&eacute;es, des repr&eacute;sentations abstraites, des formes infinies et immuables. Mais comment y arrive-t-elle?</p> <p>Ce probl&egrave;me n&rsquo;en est qu&rsquo;un qu&rsquo;&agrave; condition que l&rsquo;on voie une sorte d&rsquo;opposition entre la rupture singuli&egrave;re et la v&eacute;rit&eacute; universelle. Cette opposition a &eacute;t&eacute; soutenue par des &laquo;d&eacute;constructivistes de carri&egrave;re&raquo; (86); mais Badiou et Žižek se distinguent des philosophes de cette g&eacute;n&eacute;ration pr&eacute;c&eacute;dente en d&eacute;clarant que l&rsquo;on doit cesser les valses-h&eacute;sitations devant des choix, oser prendre des d&eacute;cisions et postuler des v&eacute;rit&eacute;s. C&rsquo;est dans ce sens qu&rsquo;il faut lire les huit th&egrave;ses que formule Badiou &agrave; propos de l&rsquo;universalit&eacute;<a href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>. Il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire d&rsquo;&eacute;tudier ici m&eacute;ticuleusement l&rsquo;institution technique et m&eacute;thodique de l&rsquo;universalit&eacute; (sur laquelle Badiou a longtemps &oelig;uvr&eacute;) pour voir ce qu&rsquo;elle implique. Essentiellement ces th&egrave;ses d&eacute;fendent l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle l&rsquo;universalit&eacute; se manifeste dans les exceptions, dans les d&eacute;cisions radicales et renversantes d&rsquo;un instant. L&rsquo;universel se r&eacute;v&egrave;le dans les situations paradoxales, la multiplicit&eacute; infinie de singularit&eacute;s &eacute;v&eacute;nementielles, pr&eacute;cis&eacute;ment ce que Badiou d&eacute;signe &mdash;&agrave; la suite de Lacan&mdash; comme &laquo;le vide de n&rsquo;importe quel et chaque sujet.&raquo; (47)</p> <p>D&eacute;gag&eacute; de tout contexte partisan, de toute particularit&eacute; nationale, ou de toute condition naturelle, la philosophie et, dans son sillage, la politique, doivent se r&eacute;concilier avec leur potentiel universaliste. Žižek affirme clairement:<br /> &nbsp;</p></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un d&eacute;bat intellectuel qui brise avec l&rsquo;ordre particulier, d&eacute;ment la doctrine conservatrice selon laquelle seule l&rsquo;identification compl&egrave;te avec nos racines rend possible l&rsquo;&ecirc;tre humain dans le sens emphatique du terme. Vous n&rsquo;&ecirc;tes compl&egrave;tement humain que lorsque vous &ecirc;tes compl&egrave;tement autrichien, slov&egrave;ne, fran&ccedil;ais et ainsi de suite. Le message fondamental de la philosophie dit, plut&ocirc;t, que vous pouvez imm&eacute;diatement participer &agrave; l&rsquo;universalit&eacute;, au-del&agrave; des identifications particuli&egrave;res. (72)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Dans la m&ecirc;me veine, Badiou d&eacute;clare:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je pense que, depuis Platon, la philosophie a fait face &agrave; l&rsquo;inhumain, et c&rsquo;est l&agrave; que se dessine sa vocation. Chaque fois que la philosophie se confine &agrave; l&rsquo;humanit&eacute; telle qu&rsquo;elle a &eacute;t&eacute; historiquement constitu&eacute;e et d&eacute;finie, elle se diminue et &agrave; la fin elle se supprime. Elle se supprime, parce que sa seule utilit&eacute; devient celle de conserver, r&eacute;pandre et consolider le mod&egrave;le &eacute;tabli de l&rsquo;humanit&eacute;. (74-75) <p> </p></span></div> <div>Si la philosophie doit effectivement d&eacute;passer l&rsquo;homme et assumer l&rsquo;universalit&eacute;, la politique devra &eacute;galement prendre les moyens n&eacute;cessaires afin de r&eacute;pondre &agrave; de telles exigences. Pour Badiou et Žižek c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e du communisme qui se pr&eacute;sente comme &eacute;tant la r&eacute;ponse politique la plus ad&eacute;quate, sinon la seule r&eacute;ellement adapt&eacute;e, a cette exigence de la pens&eacute;e<a href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>. En effet, loin d&rsquo;&ecirc;tre morte, seule l&rsquo;id&eacute;e du communisme poss&egrave;de le caract&egrave;re fondamentalement &eacute;mancipatoire &mdash;allant bien au-del&agrave; de contingences historiques et humaines&mdash; n&eacute;cessaire &agrave; la rupture et le renouveau. <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bilan</strong></span></p> <p>Badiou et Žižek insistent sur une d&eacute;finition contrariante de la philosophie. En d&eacute;coulent des implications politiques: finis les pseudod&eacute;bats et le parlementarisme mou, les politiques radicales et r&eacute;volutionnaires doivent &ecirc;tre prises au s&eacute;rieux, car seules elles posent les probl&egrave;mes en leurs termes v&eacute;ritables. </p> <p>Ce qui rend le projet de Badiou et Žižek d&rsquo;autant plus novateur et urgent, tient du fait qu&rsquo;ils restaurent l&rsquo;exigence de la v&eacute;rit&eacute; entendue comme principe universel. De cette mani&egrave;re, ils d&eacute;veloppent une filiation philosophique &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; des th&eacute;ories du sens qui ont domin&eacute; le XXe si&egrave;cle, mod&eacute;lis&eacute;es trop souvent sur les totalit&eacute;s rhizomatiques et organiques. Les auteurs optent plut&ocirc;t pour une dialectique radicale et deviennent ainsi les repr&eacute;sentants d&rsquo;une forme d&rsquo;id&eacute;alisme mutante et nouvelle. Leur entente particuli&egrave;re s&rsquo;&eacute;tablit pr&eacute;cis&eacute;ment sur ce terrain transcendantal d&rsquo;id&eacute;es et de paroles pures.</p> <p>Dans ce sens, les relativismes culturels, nationaux, sexuels, naturels, etc., sont trop &eacute;troits pour d&eacute;finir la philosophie et la politique actuelle &mdash;m&ecirc;me l&rsquo;humanit&eacute; ne suffit plus. Si le penseur trouve et formule des probl&egrave;mes, comme je l&rsquo;ai indiqu&eacute; en introduction, il ne doit pas pour autant se m&eacute;fier de la v&eacute;rit&eacute;. Au contraire, il doit la rechercher et se risquer &agrave; affirmer les choses qui l&rsquo;ont convaincu de leur caract&egrave;re absolu. Pour aborder les probl&egrave;mes philosophiques et les situations collectives politiques, la pens&eacute;e doit dor&eacute;navant assumer son caract&egrave;re excessif et universel.<br /> <a href="#note1a"><strong><br /> </strong></a><a name="note1a" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a><strong> </strong>En effet, les deux philosophes n&rsquo;ont pas leur langue dans la poche. Badiou a provoqu&eacute; toute une pol&eacute;mique en France avec son livre <em>De quoi Sarkozy est-il le nom?</em> (2007), o&ugrave; il a attaqu&eacute; vigoureusement le gouvernement fran&ccedil;ais actuel, qualifiant le pr&eacute;sident de la r&eacute;publique &laquo;d&rsquo;homme au rats&raquo;. Žižek a, quant &agrave; lui, une forte notori&eacute;t&eacute; acad&eacute;mique. Dans sa conf&eacute;rence &laquo;On the Idea of Communism. A Year After&raquo; (The Birkbeck Institute for the Humanities, University of London, 1er mars 2009), il a provoqu&eacute; un toll&eacute; dans l&rsquo;assistance apr&egrave;s avoir d&eacute;clar&eacute; que Ghandi pouvait bien aller se faire enculer&hellip;<strong> </strong>&Eacute;videmment, ce sont l&agrave; des cas singuliers dans des contextes tr&egrave;s particuliers. Mais la pol&eacute;mique parcourt leur &oelig;uvre et dans bien des cas la fonde. &Agrave; la fin de sa conf&eacute;rence, Žižek a d&eacute;clar&eacute; que la pens&eacute;e doit n&eacute;cessairement &ecirc;tre travers&eacute;e par l&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute;. Bien qu&rsquo;il n&eacute;gocie l&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute; mieux que quiconque &mdash;Badiou inclus&mdash; Žižek a r&eacute;v&eacute;l&eacute; l&rsquo;importance qu&rsquo;accordent les deux penseurs &agrave; l&rsquo;antagonisme et au conflit.<strong></strong></p> <p><a name="note2a" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> Toutes les citations sont des traductions personnelles d&rsquo;un texte anglais, lui-m&ecirc;me d&eacute;j&agrave; traduit de l&rsquo;allemand.<strong></strong></p> <p><a name="note3a" href="#note4a"><strong>[3]</strong></a> Le sens n&rsquo;a pas sa place dans la pens&eacute;e. C&rsquo;est ainsi que Heidegger, &eacute;minent penseur du sens (qui s&rsquo;est &eacute;vertu&eacute; &agrave; critiquer le th&egrave;me Moderne de rupture et de r&eacute;volution) se retrouve dans la ligne de mire de nos auteurs. Žižek d&eacute;clare: &laquo;fondamentalement, Heidegger n&rsquo;a compris personne&raquo; (50). Cette critique extr&ecirc;mement s&eacute;v&egrave;re et crue n&rsquo;est pas d&rsquo;hier. Žižek consacre le premier tiers de son ouvrage <em>The Ticklish Subject. The Absent Centre of Political Ontology</em> (1999) &agrave; une minutieuse d&eacute;construction de la philosophie du Dasein et montre qu&rsquo;elle est fondamentalement corrompue. Badiou s&rsquo;est &eacute;galement mesur&eacute; &agrave; Heidegger depuis longtemps, rejetant dans <em>L&rsquo;&Ecirc;tre et l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement</em> (1988), l&rsquo;&eacute;quivalence heidegg&eacute;rienne entre l&rsquo;ontologie et la v&eacute;rit&eacute;.</p> <p><a name="note4a" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a> Je ne peux d&eacute;velopper cette id&eacute;e plus longuement &mdash;cela n&eacute;cessiterait un long d&eacute;tour de Lacan jusqu&rsquo;&agrave; Hegel, en passant par Heidegger, trois r&eacute;f&eacute;rences cruciales dans les pens&eacute;es de Badiou et Žižek. Cela dit, l&rsquo;on peut intuitivement saisir le caract&egrave;re pr&eacute;sent de la parole. En effet, la parole s&rsquo;efface au fur et &agrave; mesure qu&rsquo;elle s&rsquo;exprime; elle rel&egrave;ve ainsi d&rsquo;une sorte d&rsquo;intemporalit&eacute; et n&rsquo;est pas soumise aux conditions humaines. La parole offre un d&eacute;but radical de la pens&eacute;e et se constitue, comme l&rsquo;avait bien vu Lacan, de purs signifiants. &Agrave; son tour, le sujet qui s&rsquo;en sert se voit conf&eacute;rer le statut ambigu de &laquo;transcendantal&raquo;.<br /> <strong><br /> </strong><a name="note5a" href="#note6a"><strong>[5]</strong></a><strong> </strong>Paraphrasant et critiquant Miller et Kristeva, Žižek affirme: &laquo;Les r&eacute;voltes sont bonnes, elles apportent de l&rsquo;&eacute;nergie cr&eacute;atrice, elles rendent les choses dynamiques; la r&eacute;volution est mauvaise, car elle introduit un nouvel ordre. C&rsquo;est incroyable: dans un sens, une vulgarit&eacute; absolument lib&eacute;rale.&raquo; (103-104)<strong></strong></p> <p><a name="note6a" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a><strong> </strong>Ces &laquo;Huit th&egrave;ses sur l&rsquo;universel&raquo; sont &eacute;galement disponibles &agrave; l&rsquo;adresse suivante: <a href="http://www.lacan.com/baduniversel.htm" title="http://www.lacan.com/baduniversel.htm">http://www.lacan.com/baduniversel.htm</a> [consult&eacute; le 13 mai 2010].<strong></strong></p> <p><a name="note7a" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a> R&eacute;cemment parus, <em>L&rsquo;hypoth&egrave;se communiste. Circonstances 5</em>&nbsp; (Badiou, 2009), ainsi que <em>L&rsquo;id&eacute;e du communisme. Conf&eacute;rence de Londres 2009</em> (Badiou, Žižek et al., 2010) indiquent clairement, ne serait-ce que par leurs titres, que les auteurs sont d&rsquo;abord et avant tout int&eacute;ress&eacute;s par le communisme comme notion. Une forme d&rsquo;id&eacute;alisme est ainsi au c&oelig;ur de leur entreprise.</p></div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/penser-au-present#comments BADIOU, Alain Communisme Engagement France Idéologie Ontologie Philosophie Politique Slovénie ŽIŽEK, Slavoj Conférence Mon, 14 Jun 2010 17:42:03 +0000 Jonathan Hope 233 at http://salondouble.contemporain.info