Salon double - Philosophie http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/402/0 fr Penser au présent http://salondouble.contemporain.info/antichambre/penser-au-present <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/hope-jonathan">Hope, Jonathan</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> La conférence d&#039;Alain Badiou et de Slavoj Žižek </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <span class="Apple-style-span" style="color: rgb(128, 128, 128); font-weight: bold; "><br /> Pourquoi le philosophe?&nbsp;<br /> </span><br /> Quel est le r&ocirc;le du philosophe aujourd&rsquo;hui? Quelle est sa place dans la soci&eacute;t&eacute;, dans l&rsquo;organisation du travail, dans la vie intellectuelle?</p> <p>Au moins depuis Socrate, nous savons que le philosophe trouve des probl&egrave;mes et tente de les formuler correctement &mdash;il n&rsquo;y apporte pas n&eacute;cessairement des solutions. Mais cette d&eacute;finition ne fait pas n&eacute;cessairement consensus; on pourrait douter, de mani&egrave;re tout &agrave; fait juste, de la primaut&eacute; de la forme probl&eacute;matisante de la philosophie. Si la pens&eacute;e ne pose que des probl&egrave;mes, comment expliquer la formulation de v&eacute;rit&eacute;s g&eacute;n&eacute;rales? La question est tout &agrave; fait capitale compte tenu du fait que la pens&eacute;e s&rsquo;organise souvent, voire prioritairement, autour de concepts universaux.</p> <p>Cette h&eacute;sitation ne doit pas nous concerner dans l&rsquo;imm&eacute;diat, nous y reviendrons. Pour l&rsquo;instant, c&rsquo;est plut&ocirc;t le r&ocirc;le du &laquo;philosophe entremetteur&raquo; qui nous int&eacute;resse. Alain Badiou et Slavoj Žižek, deux penseurs qui ont une certaine r&eacute;putation &agrave; cet &eacute;gard<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>, ont publi&eacute; ensemble une conf&eacute;rence intitul&eacute;e <em>Philosophy in the Present</em> qui d&eacute;fend et revalorise cette position. Il s&rsquo;agit d&rsquo;un texte oral et spontan&eacute; qui devrait, dans les mots de mots de l&rsquo;&eacute;diteur, &laquo;stimuler la contradiction, la pens&eacute;e et des lectures suppl&eacute;mentaires.&raquo; (XI)<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> Badiou et Žižek ne sont pas unanimes dans leurs positions philosophiques. N&eacute;anmoins, ils s&rsquo;entendent et r&eacute;affirment syst&eacute;matiquement cette entente au cours de l&rsquo;entretien. C&rsquo;est la nature complexe de cette entente et de son incidence sur la pens&eacute;e qui fera l&rsquo;objet d&rsquo;analyse ici.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les d&eacute;buts conjoints de la pens&eacute;e et la politique</strong></span></p> <p>Tous deux extr&ecirc;mement politis&eacute;s, Badiou et Žižek jugent capitale l&rsquo;articulation entre la philosophie fondamentale et la philosophie politique. Cela ne signifie pas qu&rsquo;&agrave; leurs yeux ces deux domaines se recouvrent enti&egrave;rement. Au contraire, la politique porte sur des situations collectives, tandis que le philosophe est concern&eacute; par les probl&egrave;mes. N&eacute;anmoins, consid&eacute;rant leur exp&eacute;rience politique, c&rsquo;est sans surprise que les auteurs d&eacute;finissent le philosophe comme quelqu&rsquo;un qui intervient dans les affaires du monde et qui s&rsquo;implique dans les affaires communes. Cet engagement est pourtant bien particulier. Selon Badiou et Žižek, il n&rsquo;est pas attendu du philosophe qu&rsquo;il prenne position dans un d&eacute;bat en se justifiant avec des arguments plus intelligents que la moyenne. Fondamentalement, la philosophie ne g&eacute;n&egrave;re pas des opinions. L&rsquo;engagement politique du philosophe consiste plut&ocirc;t &agrave; reformuler les termes du d&eacute;bat, &agrave; montrer que ces termes, institu&eacute;s typiquement par les m&eacute;dias ou par les politiciens, posent de faux probl&egrave;mes.</p> <p>Par cons&eacute;quent, les auteurs s&rsquo;entendent tout particuli&egrave;rement &agrave; dire que, essentiellement, le philosophe probl&eacute;matise et d&eacute;sordonne. Cette id&eacute;e partag&eacute;e donne un ton plus ou moins uniforme &agrave; l&rsquo;ensemble du livre. Par exemple, Badiou affirme: <span style="color: rgb(128, 128, 128);"></span></p> <p></p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">C&rsquo;est cette histoire que la philosophie nous dit toujours, sous plein d&rsquo;allures diff&eacute;rentes: d&rsquo;&ecirc;tre dans l&rsquo;exception, dans le sens de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, de garder ses distances du pouvoir, et d&rsquo;accepter les cons&eacute;quences d&rsquo;une d&eacute;cision, aussi recul&eacute;es et difficiles qu&rsquo;elles puissent &ecirc;tre. (13)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Badiou revient avec insistance sur l&rsquo;id&eacute;e et d&eacute;clare quelques pages plus loin:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je crois que c&rsquo;est tr&egrave;s important &agrave; comprendre: un engagement philosophique authentique, dans des situations, cr&eacute;e une &eacute;tranget&eacute;. Dans un sens g&eacute;n&eacute;ral, il est &eacute;tranger. Et quand il est simplement quelconque, quand il ne poss&egrave;de pas cette &eacute;tranget&eacute;, quand il n&rsquo;est pas immerg&eacute; dans ce paradoxe, alors c&rsquo;est un engagement politique, un engagement id&eacute;ologique, l&rsquo;engagement d&rsquo;un citoyen, mais ce n&rsquo;est pas n&eacute;cessairement un engagement philosophique. L&rsquo;engagement philosophique est marqu&eacute; par son &eacute;tranget&eacute; interne. (23-24)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Žižek tient des propos similaires:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&agrave; o&ugrave; je veux diriger l&rsquo;attention, c&rsquo;est vers ce moment d&rsquo;&eacute;tranget&eacute; qui &eacute;merge par d&eacute;placement; depuis les touts d&eacute;buts &mdash;c&rsquo;est ce que veut nous dire Heidegger&mdash; la philosophie n&rsquo;&eacute;tait pas le discours de ceux qui ressentent la certitude d&rsquo;&ecirc;tre chez soi. Elle a toujours n&eacute;cessit&eacute; un minimum d&rsquo;effondrement de la soci&eacute;t&eacute; organique. Depuis Socrate nous rencontrons encore et encore cette alt&eacute;rit&eacute;, ces trous, et c&rsquo;est int&eacute;ressant que nous puissions m&ecirc;me d&eacute;couvrir l&rsquo;&eacute;tranger chez Descartes &mdash;et donc exposer ses d&eacute;tracteurs. Dans la seconde section du <em>Discours de la m&eacute;thode</em>, il y a, je crois, sa remarque c&eacute;l&egrave;bre o&ugrave; il raconte comment il a d&eacute;couvert dans les voyages non seulement l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; des autres coutumes, mais aussi le fait que sa propre culture &eacute;tait encore plus &eacute;trange, m&ecirc;me risible, vu d&rsquo;ailleurs. &Agrave; mon opinion, c&rsquo;est l&agrave; le point z&eacute;ro de la philosophie. Chaque philosophe adopte ce lieu de d&eacute;placement. (70-71)</span><br /> &nbsp;</div> <div>La pens&eacute;e appara&icirc;t ainsi essentiellement comme une affaire de ruptures. Ces ruptures &mdash;des relations impossibles&mdash; sont des moments cl&eacute;s de la philosophie. Que l&rsquo;on con&ccedil;oive ces ruptures en termes de d&eacute;cisions, d&rsquo;instants, de paradoxes ou d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements, le r&eacute;sultat est le m&ecirc;me: il s&rsquo;agit de d&eacute;finir la philosophie comme la discipline qui brise la douce cyclicit&eacute; du sens. La pens&eacute;e a n&eacute;cessairement un d&eacute;but radical, une naissance qui se d&eacute;terminent par opposition &agrave; tout ce qui est autre. La pens&eacute;e est essentiellement n&eacute;gative et &eacute;merge lorsque le sujet d&eacute;cide de se positionner hors de lieux communs. Comme la plupart des textes qu&rsquo;ont publi&eacute;s ces auteurs, <em>Philosophy in the Present</em> est un plaidoyer pour des philosophies radicales et des politiques r&eacute;volutionnaires actuelles. <p>Dans ce sens, la pens&eacute;e ne consiste pas &agrave; g&eacute;n&eacute;rer des applications dites &laquo;concr&egrave;tes&raquo;. Selon Žižek, rien de plus &eacute;loign&eacute; de la philosophie que la liste des dix crises humanitaires (ch&ocirc;mage, drogue, etc.) que J. Derrida compile dans les <em>Spectres de Marx</em> (1993). La pens&eacute;e doit r&eacute;sister &agrave; la tentation pragmatique de s&rsquo;immiscer dans le monde et doit, au contraire, assumer sa nature id&eacute;ale. Un exemple donn&eacute; par Žižek est tout &agrave; fait &eacute;clairant: dans les d&eacute;bats concernant la biog&eacute;n&eacute;tique, la t&acirc;che du philosophe n&rsquo;a rien &agrave; voir avec les probl&egrave;mes &eacute;thiques. Ou, du moins, si le philosophe offre une r&eacute;ponse &agrave; ces d&eacute;bats, ce n&rsquo;est pas <em>en tant que</em> philosophe &mdash;il n&rsquo;en sait rien de plus que n&rsquo;importe quel citoyen. La t&acirc;che du philosophe consiste plut&ocirc;t &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir aux implications qu&rsquo;ont les pratiques biologiques nouvelles sur <em>l&rsquo;id&eacute;e</em> de l&rsquo;homme.</p> <p>Pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu&rsquo;ils r&eacute;sistent &agrave; la tentation pragmatique, Badiou et Žižek s&rsquo;en prennent aux philosophes de la signification, de l&rsquo;ordre et de la continuit&eacute;<a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>. Le probl&egrave;me qu&rsquo;ils exposent ne concerne pas le rapport de la pens&eacute;e au monde, mais la (re)formulation d&rsquo;une philosophie qui reconna&icirc;t le caract&egrave;re essentiellement et excessivement transcendantal de la pens&eacute;e. D&rsquo;ailleurs, que <em>Philosophy in the Present</em> soit une transcription d&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement <em>oral</em> n&rsquo;est pas un hasard, compte tenu du fait que la parole est de l&rsquo;ordre du pr&eacute;sent, un &eacute;ternel maintenant arrach&eacute; de son contexte temporel<a href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>. De mani&egrave;re analogue, l&rsquo;organisation des id&eacute;es immuables, c&rsquo;est-&agrave;-dire la pens&eacute;e, est absolument actuelle. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L&rsquo;organisation politique et la v&eacute;rit&eacute;</strong></span></p> <p>Dans la d&eacute;mocratie telle que nous la vivons en Occident, on ne cesse de pr&ocirc;ner l&rsquo;harmonie entre les termes. On fait l&rsquo;&eacute;loge du dialogue o&ugrave; tous les partis se parlent confortablement et conform&eacute;ment &agrave; certaines r&egrave;gles. Le dialogue est la manifestation d&rsquo;une commensurabilit&eacute; entre les diff&eacute;rents discours. Le dialogue est, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, le sympt&ocirc;me du sens raisonn&eacute;, harmonieux et triomphant. La politique telle qu&rsquo;elle se d&eacute;ploie dans la majorit&eacute; des pays dits civilis&eacute;s, o&ugrave; r&egrave;gne une forme standardis&eacute;e et tranquille de parlementarisme, est une image claire de ce triomphe. Les diff&eacute;rents partis politiques sont commensurables, sinon carr&eacute;ment interchangeables. Une rotation assez courtoise des r&ocirc;les est la norme: l&rsquo;opposition devient &eacute;ventuellement la majorit&eacute;, tous ont leur tour pour &ecirc;tre chef.</p> <p>Selon Badiou et Žižek ce dialogue est justement non-philosophique. Ce n&rsquo;est pas dans les rapports (dialogue) entre les diff&eacute;rents termes qu&rsquo;&eacute;merge la philosophie, mais dans les ruptures (parole). Parce que la philosophie est contrariante, cela implique que la politique l&rsquo;est &eacute;galement &mdash;ou plut&ocirc;t elle devrait l&rsquo;&ecirc;tre. C&rsquo;est ainsi que les auteurs pourfendent la politique usuelle: le parlementarisme standard, douce&acirc;tre et mou, propageant ses valeurs de bon sens et de continuit&eacute;, est ce qu&rsquo;il y a de plus &eacute;loign&eacute; de la pens&eacute;e. La politique doit se mettre &agrave; l&rsquo;heure de la philosophie, en s&rsquo;ouvrant &agrave; sa r&eacute;alit&eacute; paradoxale et en reconnaissant qu&rsquo;elle est effectivement fond&eacute;e sur une impossible r&eacute;solution. Choisir une option c&rsquo;est &eacute;galement en refuser une autre: tout se joue dans ces instants d&eacute;cisifs et insens&eacute;s o&ugrave; les sujets penchent vers les exc&egrave;s.</p> <p>Embo&icirc;tant le pas sur Badiou, Žižek affirme: &laquo;Il n&rsquo;y aura &agrave; peine un dialogue entre nous, parce que nous sommes en grande partie d&rsquo;accord. Mais est-ce que cela pourrait &ecirc;tre &mdash;pour commencer avec une provocation&mdash; un signe de philosophie r&eacute;elle?&raquo; (49) L&rsquo;accord &eacute;voqu&eacute; ici n&rsquo;est pas d&rsquo;ordre dialogique, ni le fruit d&rsquo;un pseudod&eacute;bat concernant de petites nuances. D&rsquo;ailleurs, il s&rsquo;agit moins d&rsquo;un commun accord que d&rsquo;un m&ecirc;me combat radical: la philosophie n&rsquo;est pas une entreprise o&ugrave; se consolide le sens, mais une activit&eacute; de destruction. Le <em>take home</em> message, comme disent les Anglais, c&rsquo;est que la r&eacute;volte ne suffit pas.<em> Philosophy in the Present</em> est, ni plus ni moins, qu&rsquo;un appel &agrave; la pleine r&eacute;volution, l&rsquo;exigence philosophique par excellence<a href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>.</p> <p>Un doute se profile peut-&ecirc;tre &agrave; la r&eacute;ception d&rsquo;un discours si frappant et engag&eacute;. Si la philosophie est essentiellement contrariante et si, de surcro&icirc;t, elle formule des probl&egrave;mes afin de d&eacute;sordonner, qu&rsquo;en est-il de la <em>v&eacute;rit&eacute;</em>? Si l&rsquo;on d&eacute;finit le travail de la pens&eacute;e philosophique et politique comme disrupteur, comment soutenir des affirmations universelles? Car &agrave; lire Badiou et Žižek on constate sans difficult&eacute; que leurs affirmations sur la philosophie et la politique sont &eacute;nonc&eacute;es avec assurance. J&rsquo;ai signal&eacute; en introduction cette h&eacute;sitation: la forme probl&eacute;matisante de la pens&eacute;e est-elle originale? La question est cruciale, car la pens&eacute;e n&eacute;gocie avec des id&eacute;es, des repr&eacute;sentations abstraites, des formes infinies et immuables. Mais comment y arrive-t-elle?</p> <p>Ce probl&egrave;me n&rsquo;en est qu&rsquo;un qu&rsquo;&agrave; condition que l&rsquo;on voie une sorte d&rsquo;opposition entre la rupture singuli&egrave;re et la v&eacute;rit&eacute; universelle. Cette opposition a &eacute;t&eacute; soutenue par des &laquo;d&eacute;constructivistes de carri&egrave;re&raquo; (86); mais Badiou et Žižek se distinguent des philosophes de cette g&eacute;n&eacute;ration pr&eacute;c&eacute;dente en d&eacute;clarant que l&rsquo;on doit cesser les valses-h&eacute;sitations devant des choix, oser prendre des d&eacute;cisions et postuler des v&eacute;rit&eacute;s. C&rsquo;est dans ce sens qu&rsquo;il faut lire les huit th&egrave;ses que formule Badiou &agrave; propos de l&rsquo;universalit&eacute;<a href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>. Il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire d&rsquo;&eacute;tudier ici m&eacute;ticuleusement l&rsquo;institution technique et m&eacute;thodique de l&rsquo;universalit&eacute; (sur laquelle Badiou a longtemps &oelig;uvr&eacute;) pour voir ce qu&rsquo;elle implique. Essentiellement ces th&egrave;ses d&eacute;fendent l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle l&rsquo;universalit&eacute; se manifeste dans les exceptions, dans les d&eacute;cisions radicales et renversantes d&rsquo;un instant. L&rsquo;universel se r&eacute;v&egrave;le dans les situations paradoxales, la multiplicit&eacute; infinie de singularit&eacute;s &eacute;v&eacute;nementielles, pr&eacute;cis&eacute;ment ce que Badiou d&eacute;signe &mdash;&agrave; la suite de Lacan&mdash; comme &laquo;le vide de n&rsquo;importe quel et chaque sujet.&raquo; (47)</p> <p>D&eacute;gag&eacute; de tout contexte partisan, de toute particularit&eacute; nationale, ou de toute condition naturelle, la philosophie et, dans son sillage, la politique, doivent se r&eacute;concilier avec leur potentiel universaliste. Žižek affirme clairement:<br /> &nbsp;</p></div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un d&eacute;bat intellectuel qui brise avec l&rsquo;ordre particulier, d&eacute;ment la doctrine conservatrice selon laquelle seule l&rsquo;identification compl&egrave;te avec nos racines rend possible l&rsquo;&ecirc;tre humain dans le sens emphatique du terme. Vous n&rsquo;&ecirc;tes compl&egrave;tement humain que lorsque vous &ecirc;tes compl&egrave;tement autrichien, slov&egrave;ne, fran&ccedil;ais et ainsi de suite. Le message fondamental de la philosophie dit, plut&ocirc;t, que vous pouvez imm&eacute;diatement participer &agrave; l&rsquo;universalit&eacute;, au-del&agrave; des identifications particuli&egrave;res. (72)</span><br /> &nbsp;</div> <div>Dans la m&ecirc;me veine, Badiou d&eacute;clare:<br /> &nbsp;</div> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Je pense que, depuis Platon, la philosophie a fait face &agrave; l&rsquo;inhumain, et c&rsquo;est l&agrave; que se dessine sa vocation. Chaque fois que la philosophie se confine &agrave; l&rsquo;humanit&eacute; telle qu&rsquo;elle a &eacute;t&eacute; historiquement constitu&eacute;e et d&eacute;finie, elle se diminue et &agrave; la fin elle se supprime. Elle se supprime, parce que sa seule utilit&eacute; devient celle de conserver, r&eacute;pandre et consolider le mod&egrave;le &eacute;tabli de l&rsquo;humanit&eacute;. (74-75) <p> </p></span></div> <div>Si la philosophie doit effectivement d&eacute;passer l&rsquo;homme et assumer l&rsquo;universalit&eacute;, la politique devra &eacute;galement prendre les moyens n&eacute;cessaires afin de r&eacute;pondre &agrave; de telles exigences. Pour Badiou et Žižek c&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e du communisme qui se pr&eacute;sente comme &eacute;tant la r&eacute;ponse politique la plus ad&eacute;quate, sinon la seule r&eacute;ellement adapt&eacute;e, a cette exigence de la pens&eacute;e<a href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>. En effet, loin d&rsquo;&ecirc;tre morte, seule l&rsquo;id&eacute;e du communisme poss&egrave;de le caract&egrave;re fondamentalement &eacute;mancipatoire &mdash;allant bien au-del&agrave; de contingences historiques et humaines&mdash; n&eacute;cessaire &agrave; la rupture et le renouveau. <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Bilan</strong></span></p> <p>Badiou et Žižek insistent sur une d&eacute;finition contrariante de la philosophie. En d&eacute;coulent des implications politiques: finis les pseudod&eacute;bats et le parlementarisme mou, les politiques radicales et r&eacute;volutionnaires doivent &ecirc;tre prises au s&eacute;rieux, car seules elles posent les probl&egrave;mes en leurs termes v&eacute;ritables. </p> <p>Ce qui rend le projet de Badiou et Žižek d&rsquo;autant plus novateur et urgent, tient du fait qu&rsquo;ils restaurent l&rsquo;exigence de la v&eacute;rit&eacute; entendue comme principe universel. De cette mani&egrave;re, ils d&eacute;veloppent une filiation philosophique &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; des th&eacute;ories du sens qui ont domin&eacute; le XXe si&egrave;cle, mod&eacute;lis&eacute;es trop souvent sur les totalit&eacute;s rhizomatiques et organiques. Les auteurs optent plut&ocirc;t pour une dialectique radicale et deviennent ainsi les repr&eacute;sentants d&rsquo;une forme d&rsquo;id&eacute;alisme mutante et nouvelle. Leur entente particuli&egrave;re s&rsquo;&eacute;tablit pr&eacute;cis&eacute;ment sur ce terrain transcendantal d&rsquo;id&eacute;es et de paroles pures.</p> <p>Dans ce sens, les relativismes culturels, nationaux, sexuels, naturels, etc., sont trop &eacute;troits pour d&eacute;finir la philosophie et la politique actuelle &mdash;m&ecirc;me l&rsquo;humanit&eacute; ne suffit plus. Si le penseur trouve et formule des probl&egrave;mes, comme je l&rsquo;ai indiqu&eacute; en introduction, il ne doit pas pour autant se m&eacute;fier de la v&eacute;rit&eacute;. Au contraire, il doit la rechercher et se risquer &agrave; affirmer les choses qui l&rsquo;ont convaincu de leur caract&egrave;re absolu. Pour aborder les probl&egrave;mes philosophiques et les situations collectives politiques, la pens&eacute;e doit dor&eacute;navant assumer son caract&egrave;re excessif et universel.<br /> <a href="#note1a"><strong><br /> </strong></a><a name="note1a" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a><strong> </strong>En effet, les deux philosophes n&rsquo;ont pas leur langue dans la poche. Badiou a provoqu&eacute; toute une pol&eacute;mique en France avec son livre <em>De quoi Sarkozy est-il le nom?</em> (2007), o&ugrave; il a attaqu&eacute; vigoureusement le gouvernement fran&ccedil;ais actuel, qualifiant le pr&eacute;sident de la r&eacute;publique &laquo;d&rsquo;homme au rats&raquo;. Žižek a, quant &agrave; lui, une forte notori&eacute;t&eacute; acad&eacute;mique. Dans sa conf&eacute;rence &laquo;On the Idea of Communism. A Year After&raquo; (The Birkbeck Institute for the Humanities, University of London, 1er mars 2009), il a provoqu&eacute; un toll&eacute; dans l&rsquo;assistance apr&egrave;s avoir d&eacute;clar&eacute; que Ghandi pouvait bien aller se faire enculer&hellip;<strong> </strong>&Eacute;videmment, ce sont l&agrave; des cas singuliers dans des contextes tr&egrave;s particuliers. Mais la pol&eacute;mique parcourt leur &oelig;uvre et dans bien des cas la fonde. &Agrave; la fin de sa conf&eacute;rence, Žižek a d&eacute;clar&eacute; que la pens&eacute;e doit n&eacute;cessairement &ecirc;tre travers&eacute;e par l&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute;. Bien qu&rsquo;il n&eacute;gocie l&rsquo;obsc&eacute;nit&eacute; mieux que quiconque &mdash;Badiou inclus&mdash; Žižek a r&eacute;v&eacute;l&eacute; l&rsquo;importance qu&rsquo;accordent les deux penseurs &agrave; l&rsquo;antagonisme et au conflit.<strong></strong></p> <p><a name="note2a" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a> Toutes les citations sont des traductions personnelles d&rsquo;un texte anglais, lui-m&ecirc;me d&eacute;j&agrave; traduit de l&rsquo;allemand.<strong></strong></p> <p><a name="note3a" href="#note4a"><strong>[3]</strong></a> Le sens n&rsquo;a pas sa place dans la pens&eacute;e. C&rsquo;est ainsi que Heidegger, &eacute;minent penseur du sens (qui s&rsquo;est &eacute;vertu&eacute; &agrave; critiquer le th&egrave;me Moderne de rupture et de r&eacute;volution) se retrouve dans la ligne de mire de nos auteurs. Žižek d&eacute;clare: &laquo;fondamentalement, Heidegger n&rsquo;a compris personne&raquo; (50). Cette critique extr&ecirc;mement s&eacute;v&egrave;re et crue n&rsquo;est pas d&rsquo;hier. Žižek consacre le premier tiers de son ouvrage <em>The Ticklish Subject. The Absent Centre of Political Ontology</em> (1999) &agrave; une minutieuse d&eacute;construction de la philosophie du Dasein et montre qu&rsquo;elle est fondamentalement corrompue. Badiou s&rsquo;est &eacute;galement mesur&eacute; &agrave; Heidegger depuis longtemps, rejetant dans <em>L&rsquo;&Ecirc;tre et l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement</em> (1988), l&rsquo;&eacute;quivalence heidegg&eacute;rienne entre l&rsquo;ontologie et la v&eacute;rit&eacute;.</p> <p><a name="note4a" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a> Je ne peux d&eacute;velopper cette id&eacute;e plus longuement &mdash;cela n&eacute;cessiterait un long d&eacute;tour de Lacan jusqu&rsquo;&agrave; Hegel, en passant par Heidegger, trois r&eacute;f&eacute;rences cruciales dans les pens&eacute;es de Badiou et Žižek. Cela dit, l&rsquo;on peut intuitivement saisir le caract&egrave;re pr&eacute;sent de la parole. En effet, la parole s&rsquo;efface au fur et &agrave; mesure qu&rsquo;elle s&rsquo;exprime; elle rel&egrave;ve ainsi d&rsquo;une sorte d&rsquo;intemporalit&eacute; et n&rsquo;est pas soumise aux conditions humaines. La parole offre un d&eacute;but radical de la pens&eacute;e et se constitue, comme l&rsquo;avait bien vu Lacan, de purs signifiants. &Agrave; son tour, le sujet qui s&rsquo;en sert se voit conf&eacute;rer le statut ambigu de &laquo;transcendantal&raquo;.<br /> <strong><br /> </strong><a name="note5a" href="#note6a"><strong>[5]</strong></a><strong> </strong>Paraphrasant et critiquant Miller et Kristeva, Žižek affirme: &laquo;Les r&eacute;voltes sont bonnes, elles apportent de l&rsquo;&eacute;nergie cr&eacute;atrice, elles rendent les choses dynamiques; la r&eacute;volution est mauvaise, car elle introduit un nouvel ordre. C&rsquo;est incroyable: dans un sens, une vulgarit&eacute; absolument lib&eacute;rale.&raquo; (103-104)<strong></strong></p> <p><a name="note6a" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a><strong> </strong>Ces &laquo;Huit th&egrave;ses sur l&rsquo;universel&raquo; sont &eacute;galement disponibles &agrave; l&rsquo;adresse suivante: <a href="http://www.lacan.com/baduniversel.htm" title="http://www.lacan.com/baduniversel.htm">http://www.lacan.com/baduniversel.htm</a> [consult&eacute; le 13 mai 2010].<strong></strong></p> <p><a name="note7a" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a> R&eacute;cemment parus, <em>L&rsquo;hypoth&egrave;se communiste. Circonstances 5</em>&nbsp; (Badiou, 2009), ainsi que <em>L&rsquo;id&eacute;e du communisme. Conf&eacute;rence de Londres 2009</em> (Badiou, Žižek et al., 2010) indiquent clairement, ne serait-ce que par leurs titres, que les auteurs sont d&rsquo;abord et avant tout int&eacute;ress&eacute;s par le communisme comme notion. Une forme d&rsquo;id&eacute;alisme est ainsi au c&oelig;ur de leur entreprise.</p></div> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/penser-au-present#comments BADIOU, Alain Communisme Engagement France Idéologie Ontologie Philosophie Politique Slovénie ŽIŽEK, Slavoj Conférence Mon, 14 Jun 2010 17:42:03 +0000 Jonathan Hope 233 at http://salondouble.contemporain.info L’écume du contemporain http://salondouble.contemporain.info/antichambre/l-ecume-du-contemporain <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le contemporain III </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p></p> <p class="MsoNormal" style="line-height: 150%;"><span lang="FR" style="">Le contemporain est un objet difficile &agrave; cerner. <o:p></o:p></span></p> <p>Ce n&rsquo;est pas un territoire, simple &agrave; circonscrire et &agrave; baliser, c&rsquo;est un temps, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment le temps pr&eacute;sent. Or, le pr&eacute;sent, notre pr&eacute;sent, n&rsquo;est pas un temps homog&egrave;ne; il est fait de temporalit&eacute;s diff&eacute;rentes, de tensions multiples et de vecteurs pluriels. Pour Paul Zawadzki, &laquo;Les temps sociaux se structurent dans la multiplicit&eacute;, l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; et la conflictualit&eacute;<a name="note1" href="#note1a">[1]</a>&raquo;. Et il a raison d&rsquo;affirmer que Chronos obs&egrave;de notre &eacute;poque. Nous ne sommes pas seulement dans le temps, nous sommes fascin&eacute;s par le temps et sa perception, par notre place dans le temps, par la place de notre temps dans l&rsquo;histoire humaine, par le jeu des temps qui se croisent et s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent.</p> <p>Pour Jean-Fran&ccedil;ois Hamel, il est &eacute;vident que &laquo;&nbsp;Dans une m&ecirc;me &eacute;poque, tout n&rsquo;est pas imm&eacute;diatement pr&eacute;sent, il y a toujours aussi des fragments de pass&eacute; et d&rsquo;avenir qui coexistent et s&rsquo;amalgament dans des configurations toujours nouvelles. On est contemporain d&rsquo;une chose quand on est avec cette chose dans le m&ecirc;me temps, mais ce temps n&rsquo;est pas seulement le pr&eacute;sent&nbsp;: c&rsquo;est aussi un certain pass&eacute; et un certain avenir. On peut &ecirc;tre contemporain de ce qui a &eacute;t&eacute; et de ce qui sera en m&ecirc;me temps que contemporain de ce qui est. &Agrave; vrai dire, une &eacute;poque n&rsquo;est pas une r&eacute;alit&eacute; homog&egrave;ne&nbsp;: c&rsquo;est un rassemblement de fragments temporels h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes qui parfois s&rsquo;accordent de mani&egrave;re organique, parfois provoquent des anachronismes<a name="note2" href="#note2a">[2]</a>&raquo;.</p> <p>Notre relation au temps est faite d&rsquo;une n&eacute;gociation complexe, o&ugrave; ce que l&rsquo;on gagne d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, on le perd syst&eacute;matiquement de l&rsquo;autre.<span lang="FR" style=""> Parfois, le pass&eacute; semble se faire de plus en plus lointain, et c&rsquo;est le futur qui pousse de tout son poids sur le pr&eacute;sent, orientant son d&eacute;veloppement. Les progr&egrave;s technologiques nous incitent &agrave; r&ecirc;ver de jours meilleurs, o&ugrave; tout sera r&eacute;solu, m&ecirc;me s&rsquo;il y a l&agrave; une utopie, un leurre dangereux. &Agrave; d&rsquo;autres moments, c&rsquo;est le pass&eacute; qui para&icirc;t s&rsquo;&eacute;terniser et qui ne desserre pas ses griffes sur le pr&eacute;sent, neutralisant le futur et l&rsquo;&eacute;loignant comme une aube impossible &agrave; rejoindre. La tradition fige les institutions et projette un monde qui ne parvient plus &agrave; se renouveler. Il arrive aussi que le pass&eacute; et l&rsquo;avenir pressent fortement sur le pr&eacute;sent, ou alors se font tous les deux distants et inaccessibles, et le pr&eacute;sent entre dans une crise, o&ugrave; tout para&icirc;t boulonn&eacute;, o&ugrave; les horizons d&rsquo;attente se disloquent. Ce ne sont jamais que des perceptions, fond&eacute;es sur ces rapports imaginaires que nous entretenons avec le r&eacute;el, mais elles teintent la conception de notre propre temps. <br /> <o:p></o:p><br /> </span> D&rsquo;ailleurs, ce pr&eacute;sent, comment le construit-on? De haut en bas ou de bas en haut? Cette r&eacute;alit&eacute; qu&rsquo;est notre pr&eacute;sent se d&eacute;ploie-t-elle &agrave; partir de principes que les &eacute;v&eacute;nements du monde rendent manifestes, ou est-ce plut&ocirc;t que les &eacute;v&eacute;nements par le jeu des contingences cr&eacute;ent notre r&eacute;alit&eacute;&nbsp;? Celle-ci d&eacute;coule-t-elle d&rsquo;une vision du monde ou se construit-elle &agrave; partir des faits&nbsp;? <br /> <o:p><br /> </o:p> Quel que soit le mod&egrave;le impliqu&eacute;, le pr&eacute;sent se construit n&eacute;cessairement dans la relation du sujet au monde, et l&rsquo;imaginaire en est l&rsquo;interface par excellence. C&rsquo;est une interface extraordinairement complexe o&ugrave; de multiples vecteurs entrent en tension, o&ugrave; les liens entre attention, attente et m&eacute;moire se multiplient, constituant de la sorte un paysage d&rsquo;une grande complexit&eacute;. Le temps y appara&icirc;t soumis &agrave; de multiples situations de rupture, qui requi&egrave;rent des sutures que l&rsquo;imaginaire s&rsquo;empresse de pourvoir. Avant de passer &agrave; la question cruciale de la d&eacute;finition du contemporain comme v&eacute;ritable r&eacute;gime d&rsquo;historicit&eacute; (sujet d&rsquo;une prochaine r&eacute;flexion), il convient d&rsquo;examiner bri&egrave;vement la relation entre le contemporain et le pass&eacute;. <o:p><b><br /> </b></o:p></p> <p align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center; line-height: 150%;"><span style="">*<o:p></o:p></span></p> <p>Dans sa <a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu">r&eacute;flexion sur le contemporain</a>, pr&eacute;sent&eacute;e sur&nbsp;<i style="">Salon double</i>, Ren&eacute; Audet&nbsp;propose que &laquo;<span style="">Le contemporain commence au point de rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;&raquo;, et que </span><span style="">&nbsp;</span><span style="">&laquo;Le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant&raquo; Arr&ecirc;tons-nous </span>quelque peu sur ces assertions, afin d&rsquo;en bien comprendre les tenants et aboutissants. <span style=""><o:p></o:p></span></p> <p>La premi&egrave;re de ces deux propositions stipule que c&rsquo;est l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; du moment pr&eacute;sent, son &eacute;tonnant ach&egrave;vement (aussit&ocirc;t commenc&eacute;, aussit&ocirc;t termin&eacute;), de m&ecirc;me que son perp&eacute;tuel inach&egrave;vement (il rena&icirc;t au moment m&ecirc;me o&ugrave; il meurt), qui provoquent la rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. C&rsquo;est que l&rsquo;instant pr&eacute;sent est paradoxal&nbsp;: il s&rsquo;ach&egrave;ve dans le mouvement m&ecirc;me de son amorce. Il n&rsquo;a aucune densit&eacute;, c&rsquo;est une ligne verticale qui vient briser la ligne horizontale du temps. La rupture surgit dans la relation entre les deux plans. Mais la question de savoir o&ugrave; &laquo;conduit&raquo; la p&eacute;riode contemporaine est d&eacute;licate (Ren&eacute; Audet compl&egrave;te sa premi&egrave;re pr&eacute;misse en affirmant qu&rsquo;il &laquo;est facile de discuter de la p&eacute;riode contemporaine et de voir o&ugrave; elle conduit &mdash; pour l'instant, elle s'arr&ecirc;te l&agrave;, maintenant, au moment de la lecture de ce texte.&raquo;). Doit-on dire que cette p&eacute;riode conduit au temps pr&eacute;sent ou, au contraire, qu&rsquo;elle en &eacute;mane ou en provient. La fl&egrave;che du temps est-elle dirig&eacute;e vers le temps pr&eacute;sent ou au contraire s&rsquo;en &eacute;loigne-t-elle?</p> <p>Cette premi&egrave;re assertion propose une dynamique pr&eacute;cise &agrave; trois termes&nbsp;: contemporain, histoire et actualit&eacute;, o&ugrave; les deuxi&egrave;me et troisi&egrave;me apparaissent comme des vecteurs en opposition. Le r&eacute;sultat de leur tension est d&rsquo;ailleurs pr&eacute;sent&eacute; comme &eacute;tant le <i style="">contemporain</i>.</p> <p>On remarque d&rsquo;embl&eacute;e le choix des mots de Ren&eacute; Audet. Pour lui, le contemporain ne commence pas au point de <i style="">r&eacute;union</i> de l&rsquo;historicit&eacute; et de l&rsquo;actualit&eacute;, mais de <i style="">rupture</i>. En quoi est-ce une rupture? Pourquoi n&rsquo;est-ce pas une simple jonction, une relation? Poser qu&rsquo;il y a rupture est s&ucirc;rement une fa&ccedil;on d&rsquo;expliciter la tension au c&oelig;ur de la d&eacute;finition m&ecirc;me du contemporain, de ce pr&eacute;sent qui est le n&ocirc;tre et qui ne se d&eacute;ploie pas sans ses zones de relations pr&eacute;caris&eacute;es. Le contemporain est au point de rupture, parce qu&rsquo;il est un temps en crise, un temps o&ugrave; les disjonctions se multiplient. Et c&rsquo;est un temps qui requiert une suture, ce que les repr&eacute;sentations culturelles permettent, ce que l&rsquo;imaginaire comme interface implique.</p> <p>Si l&rsquo;expression utilis&eacute;e avait &eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;jonction&nbsp;&raquo; plut&ocirc;t que &laquo;&nbsp;rupture&nbsp;&raquo;, l&rsquo;assertion de Ren&eacute; Audet aurait pr&eacute;suppos&eacute; que l&rsquo;histoire et l&rsquo;actuel sont faits pour &ecirc;tre joints, qu&rsquo;il y a l&agrave; une relation naturelle, ayant de fortes chances d&rsquo;&ecirc;tre ent&eacute;rin&eacute;e. Or, le choix du terme de rupture nous indique plut&ocirc;t qu&rsquo;il n&rsquo;y a rien de naturel entre les deux termes. Nous ne sommes pas dans une repr&eacute;sentation rassurante du temps, o&ugrave; les jonctions peuvent &ecirc;tre facilement actualis&eacute;es et repr&eacute;sent&eacute;es; nous sommes plut&ocirc;t confront&eacute;s &agrave; une conception vectorielle, o&ugrave; les relations entre pass&eacute; et futur cr&eacute;ent une tension.</p> <p>Par contre, s&rsquo;il n&rsquo;y a pas de jonction, la rupture n&rsquo;est pas non plus une pure b&eacute;ance. Le contemporain n&rsquo;est pas une masse de donn&eacute;es, d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements et de situations &agrave; l&rsquo;&eacute;tat brut ou qui r&eacute;sistent &agrave; tout traitement. Pour exister, le contemporain se doit d&rsquo;&ecirc;tre s&eacute;miotis&eacute; par un sujet ou une communaut&eacute; interpr&eacute;tative, il se doit d&rsquo;&ecirc;tre int&eacute;gr&eacute; &agrave; un processus de description et de compr&eacute;hension. S&rsquo;il y a ruptures, &eacute;v&eacute;nements, modifications du cours des choses, ces faits doivent &ecirc;tre objets de perception, ils doivent &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;s et soumis &agrave; un jeu d&rsquo;interpr&eacute;tants qui leur donnent sens et fonction. De cette fa&ccedil;on, la pr&eacute;misse de Ren&eacute; Audet peut &ecirc;tre reformul&eacute;e :&nbsp;<span style="">le contemporain commence au point de suture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. &nbsp;Et cette suture </span>est n&eacute;cessairement orient&eacute;e vers l&rsquo;un ou l&rsquo;autre des bornes du temps pr&eacute;sent, &agrave; savoir le pass&eacute; ou le futur.</p> <p>Il manque, on le voit maintenant, un terme &agrave; l&rsquo;assertion de Ren&eacute; Audet. Il n&rsquo;y est question que du pass&eacute; par le biais de l&rsquo;historicit&eacute;. Or, l&rsquo;actualit&eacute; du temps pr&eacute;sent ne peut &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;e qu&rsquo;en fonction de ses deux bornes, l&rsquo;histoire ou le pass&eacute;, l&rsquo;avenir ou le futur. Il en va de notre fa&ccedil;on de comprendre comment nous construisons notre r&eacute;alit&eacute;. <span lang="FR" style="">Celle-ci d&eacute;coule-t-elle d&rsquo;une vision du monde, h&eacute;rit&eacute;e du pass&eacute;, ou se construit-elle &agrave; partir des faits qui t&eacute;moignent d&rsquo;une nouvelle situation?</span></p> <p> De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, si<span style=""> &laquo;le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant&raquo;, il se d&eacute;ploie tout de m&ecirc;me &agrave; la jonction du pass&eacute; et de l&rsquo;avenir, et il se manifeste par le biais d&rsquo;une mise en r&eacute;cit ou en discours. Il ne peut y avoir de contemporain sans une s&eacute;miotisation des donn&eacute;es du temps pr&eacute;sent, sans une construction de cette r&eacute;alit&eacute; qui nous sert d&rsquo;interface avec le monde. Il est essentiellement un objet de pens&eacute;e et, par la force des choses, il engage &agrave; une interpr&eacute;tation et &agrave; une projection. Il est un produit, le r&eacute;sultat du jeu d&rsquo;un ensemble de forces et de tensions. Le contemporain est, en tant que construction, ce qui permet de rattacher le pr&eacute;sent au pass&eacute;, maillon d&rsquo;une cha&icirc;ne qui se continue jusque dans l&rsquo;avenir.<span style="">&nbsp; </span>S&rsquo;il est hors de l&rsquo;histoire, il cherche pourtant &agrave; la r&eacute;int&eacute;grer, &agrave; en faire partie. Les productions culturelles actuelles permettent de donner &agrave; ce contemporain une identit&eacute;. Elles participent de son imaginaire, elles en sont une manifestation.<b style=""><o:p></o:p></b></span><b><br /> </b></p> <p align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center; line-height: 150%;"><span style="">*<o:p></o:p></span><span style=""><o:p>&nbsp;</o:p></span></p> <p>Le contemporain est l&rsquo;&eacute;cume de l&rsquo;actualit&eacute;. <br /> <o:p><br /> </o:p> Plus qu&rsquo;&agrave; Boris Vian, l&rsquo;expression fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la figure que d&eacute;ploie<b style=""> </b>Peter Sloterdijk dans le troisi&egrave;me tome de ses sph&egrave;res, <i>&Eacute;cumes</i><a name="note3" href="#note3a">[3]</a>. L&rsquo;&eacute;cume, &laquo;cette liaison &eacute;ph&eacute;m&egrave;re de gaz et de liquides&raquo; (p. 24), lui permet de penser la complexit&eacute;, car chacune des bulles de l&rsquo;&eacute;cume, chacune des sph&egrave;res g&eacute;n&eacute;r&eacute;es par le m&eacute;lange de mol&eacute;cules liquides et gazeuses, repr&eacute;sente un &eacute;quilibre instable et &eacute;ph&eacute;m&egrave;re. L&rsquo;&eacute;cume, c&rsquo;est &laquo;presque rien, et pourtant&nbsp;: pas rien. Un quelque chose, et cependant&nbsp;: seulement un tissu form&eacute; d&rsquo;espaces creux et de parois tr&egrave;s subtiles. Une donn&eacute;e r&eacute;elle et pourtant&nbsp;: une entit&eacute; qui redoute le contact, qui s&rsquo;abandonne et &eacute;clate &agrave; la moindre tentative de s&rsquo;en emparer. C&rsquo;est l&rsquo;&eacute;cume telle qu&rsquo;elle se montre dans l&rsquo;exp&eacute;rience quotidienne.&raquo; (p. 23)</p> <p>Le contemporain est une telle &eacute;cume g&eacute;n&eacute;r&eacute;e par la rencontre du pr&eacute;sent et de ses temps limitrophes. Il est produit par l&rsquo;union de l&rsquo;actuel, cette masse fluide dont les vagues nous emportent sans coup f&eacute;rir, et de cet &eacute;tonnant m&eacute;lange de potentialit&eacute;s que repr&eacute;sente le futur et de r&eacute;manences d&rsquo;un pass&eacute; qui s&rsquo;accroche encore. Il est difficile &agrave; manipuler, parce que &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, n&rsquo;existant r&eacute;ellement que le temps que dure le pr&eacute;sent.</p> <p>Le contemporain, comme l&rsquo;&eacute;cume, n&rsquo;existe par contre que s&rsquo;il y a vie, c&rsquo;est-&agrave;-dire dynamisme, agitation, mouvement, r&eacute;action, forces contradictoires&hellip; &laquo;&nbsp;D&egrave;s que cesse l&rsquo;agitation du m&eacute;lange, celle qui assure l&rsquo;acheminement d&rsquo;air dans le liquide, la majest&eacute; de l&rsquo;&eacute;cume retombe rapidement sur elle-m&ecirc;me.&nbsp;&raquo; (p. 24) Le contemporain ne s&rsquo;impose &agrave; notre esprit que parce que l&rsquo;agitation du temps pr&eacute;sent en commande la saisie.</p> <p>L&rsquo;&eacute;cume a trop souvent servi de &laquo;m&eacute;taphore &agrave; l&rsquo;inessentiel et &agrave; l&lsquo;intenable. [&hellip;] &Ccedil;a enfle, &ccedil;a fermente, &ccedil;a tremble, &ccedil;a explose. Que reste-t-il?&raquo; (p. 24) Pourtant, le contemporain le dit bien&nbsp;: l&rsquo;&eacute;cume est le signe de l&rsquo;agitation du monde, le r&eacute;sultat des m&eacute;langes et des tensions qui fondent notre r&eacute;alit&eacute;. L&rsquo;&eacute;cume est un langage et il parle des forces qui en provoquent l&rsquo;apparition. Essayer d&rsquo;en rendre compte ne peut proc&eacute;der que par un &laquo;proc&eacute;d&eacute; global d&rsquo;admission du fortuit, du momentan&eacute;, du vague, de l&rsquo;&eacute;ph&eacute;m&egrave;re et de l&rsquo;atmosph&eacute;rique &ndash;&nbsp;un proc&eacute;d&eacute; auquel participe les arts, les th&eacute;ories et les formes de vie, chacun avec ses propres types d&rsquo;engagement.&raquo; (p. 30) En rendre compte ne peut proc&eacute;der que par une th&eacute;orisation de l&rsquo;imaginaire qui seul permet de consid&eacute;rer le rapport au monde comme une interface, et les diverses production culturelles comme des manifestations de son action n&eacute;cessairement polymorphe.</p> <p>Le contemporain est un pr&eacute;cipit&eacute;. D&rsquo;o&ugrave; peut-&ecirc;tre l&rsquo;illusion que notre modernit&eacute; s&rsquo;y pr&eacute;cipite, fascin&eacute;e par sa propre image.</p> <p><a name="note1a" href="#note1">1</a>&nbsp;<span lang="FR">Paul&nbsp;</span>Zawadzki,&nbsp;&laquo;&nbsp;Les &eacute;quivoques du pr&eacute;sentisme&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Esprit</i>, juin 2008, p. 114.<br /> <a name="note2a" href="#note2">2</a> Tir&eacute; d'un texte pour le&nbsp;s&eacute;minaire &laquo;&nbsp;Construction du contemporain&nbsp;&raquo;, UQAM, automne 2006.<br /> <a name="note3a" href="#note3">3</a> Peter&nbsp;Sloterdijk, <em>&Eacute;cumes</em>,&nbsp;Paris, Hachette, 2005, [2003]. </p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/l-ecume-du-contemporain#comments AUDET, René Contemporain HAMEL, Jean-François Philosophie SLOTERDIJK, Peter Temps ZAWADZKI, Paul Écrits théoriques Mon, 14 Sep 2009 12:51:55 +0000 Bertrand Gervais 158 at http://salondouble.contemporain.info Le contemporain et l'actuel http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-contemporain-et-lactuel <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le contemporain II </div> </div> </div> <p>Le contemporain est-il l&rsquo;actuel?</p> <p>La question m&eacute;rite d&rsquo;&ecirc;tre pos&eacute;e car, comme le signale Giorgio Agamben, reprenant &agrave; son compte une d&eacute;claration de Roland Barthes tir&eacute;e d&rsquo;une note de ses cours au Coll&egrave;ge de France, &laquo;Le contemporain est l&rsquo;inactuel&raquo;.</p> <p>Agamben, dans cette br&egrave;ve introduction &agrave; un s&eacute;minaire donn&eacute; &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Venise et publi&eacute; sous le titre de <em>Qu&rsquo;est-ce que le contemporain?</em> (Paris, Payot/Rivages, 2008), affirme &agrave; la suite de Barthes et de Nietzsche l&rsquo;inactualit&eacute; du contemporain: &laquo;Celui qui appartient v&eacute;ritablement &agrave; son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne co&iuml;ncide pas parfaitement avec lui ni n&rsquo;adh&egrave;re &agrave; ses pr&eacute;tentions, et se d&eacute;finit, en ce sens, comme inactuel; mais pr&eacute;cis&eacute;ment pour cette raison, pr&eacute;cis&eacute;ment par cet &eacute;cart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres &agrave; percevoir et &agrave; saisir son temps&raquo; (p.9-10).</p> <p>Il continue plus loin, en pr&eacute;cisant: &laquo;La contemporan&eacute;it&eacute; est donc une singuli&egrave;re relation avec son propre temps, auquel on adh&egrave;re tout en prenant ses distances; elle est tr&egrave;s pr&eacute;cis&eacute;ment la relation au temps qui adh&egrave;re &agrave; lui par le d&eacute;phasage et l&rsquo;anachronisme&raquo; (p.11).</p> <p>De telles affirmations sont int&eacute;ressantes, mais elles viennent buter contre le projet de d&eacute;crire et de comprendre l&rsquo;imaginaire contemporain, expression qui, on l&rsquo;a vu pr&eacute;c&eacute;demment, repose sur l&rsquo;ad&eacute;quation du contemporain et de l&rsquo;actuel. Les deux termes, en effet, ont comme signification courante le fait d&rsquo;&ecirc;tre de notre temps, imm&eacute;diatement.</p> <p>Si le contemporain est ce qui r&eacute;siste &agrave; son temps, comment rendre compte de l&rsquo;imaginaire contemporain, qui serait donc l&rsquo;imaginaire de ce qui r&eacute;siste &agrave; sa propre actualit&eacute;? Appliqu&eacute;e &agrave; l&rsquo;imaginaire, une telle conception du contemporain semble impliquer une r&eacute;gression &agrave; l&rsquo;infini.<br /> En fait, il convient d&rsquo;examiner de plus pr&egrave;s la posture d&rsquo;Agamben, car elle consiste essentiellement &agrave; d&eacute;finir une <em>figure</em>, et non &agrave; &eacute;tudier un imaginaire. Et cette figure qu&rsquo;il d&eacute;crit, c&rsquo;est celle d&rsquo;un intellectuel, de ce sujet qui, identifi&eacute; comme Sujet Contemporain, est capable de comprendre son si&egrave;cle et d&rsquo;en prendre la mesure.</p> <p>Ce n&rsquo;est pas n&rsquo;importe quelle forme de contemporan&eacute;it&eacute; qui est en jeu, mais celle d&rsquo;un sujet, d&rsquo;un &ecirc;tre dot&eacute; d&rsquo;un esprit critique qui parvient &agrave; adopter une position de retrait face au monde, &agrave; ses &eacute;v&eacute;nements et &agrave; leurs lignes de force. Il n&rsquo;adh&egrave;re pas au monde et &agrave; ses app&acirc;ts, il reste critique, suspicieux, en porte-&agrave;-faux, posture qui lui permet de r&eacute;sister &agrave; l&rsquo;envo&ucirc;tement que le chant du monde contemporain suscite. Le Contemporain n&rsquo;est pas plong&eacute; dans ce monde, il ne baigne pas dans ses eaux ensorcelantes. Il ne prend pas des vessies pour des lanternes et, comme le philosophe platonicien, il est capable de consid&eacute;rer ce qu&rsquo;il voit comme de simples ombres, ombres&nbsp; d&rsquo;une v&eacute;rit&eacute; que le d&eacute;tachement permet de ramener &agrave; leur juste valeur.</p> <p>Le Contemporain est un &ecirc;tre capable de voir &agrave; travers la lumi&egrave;re, surtout celle qui se donne comme pure totalit&eacute;. &laquo;[Le] contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumi&egrave;res, mais l&rsquo;obscurit&eacute;&raquo; (p.19). Il parvient donc &agrave; d&eacute;celer les zones d&rsquo;ombre l&agrave; o&ugrave; les moins percevants, esclaves de leur temps, ne voient qu&rsquo;un spectacle baign&eacute; de lumi&egrave;re. Si le monde &eacute;tait une sc&egrave;ne, il en verrait les coulisses et saurait retrouver la source des faisceaux lumineux qui &eacute;clairent le tout. Il verrait qu&rsquo;il n&rsquo;y a l&agrave; que des projections, dont les dispositifs, quelque magiques qu&rsquo;ils puissent para&icirc;tre, peuvent &agrave; tout instant &ecirc;tre d&eacute;mont&eacute;s.<br /> &nbsp;<br /> Le Contemporain est po&egrave;te (p.19).&nbsp; Il n&rsquo;est pas un &ecirc;tre de lumi&egrave;re, mais d&rsquo;obscurit&eacute;, d&rsquo;une obscurit&eacute; r&eacute;v&eacute;l&eacute;e comme v&eacute;rit&eacute;, tandis que la lumi&egrave;re visible n&rsquo;est qu&rsquo;une apparence trompeuse. Nous sommes avec Agamben en plein mythe de la caverne: &laquo;Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumi&egrave;res du si&egrave;cle et parvient &agrave; saisir en elles la part de l&rsquo;ombre, leur sombre intimit&eacute;&raquo; (p.21).</p> <p>Le Contemporain est philosophe. Il se m&eacute;fie de la lumi&egrave;re du si&egrave;cle, recherche l&rsquo;obscurit&eacute; qui en r&eacute;v&egrave;le le caract&egrave;re factice, et parvient &agrave; retrouver cette v&eacute;ritable lumi&egrave;re qui s&rsquo;y cache. &Ecirc;tre contemporain, &laquo;cela signifie &ecirc;tre capable non seulement de fixer le regard sur l&rsquo;obscurit&eacute; de l&rsquo;&eacute;poque, mais aussi de percevoir dans cette obscurit&eacute; une lumi&egrave;re qui, dirig&eacute;e vers nous, s&rsquo;&eacute;loigne infiniment&raquo; (p.24-25).</p> <p>Le Contemporain se doit de recevoir &laquo;en plein visage le faisceau de t&eacute;n&egrave;bres qui provient de son temps&raquo; (p.22), et surtout d&rsquo;en t&eacute;moigner, de faire l&rsquo;exp&eacute;rience de la contradiction et d&rsquo;en rendre compte. Le Contemporain sait trouver les mots pour diss&eacute;quer cette obscurit&eacute; et faire appara&icirc;tre cette autre lumi&egrave;re, qui ne doit rien au spectacle des repr&eacute;sentations, mais tout aux contraintes de l&rsquo;intelligibilit&eacute;, de la pens&eacute;e rationnelle, de ce regard per&ccedil;ant qui sait se d&eacute;gager des apparences pour rejoindre les v&eacute;rit&eacute;s.</p> <p>Je n&rsquo;ai rien contre cette figure d&rsquo;un Sujet Contemporain, po&egrave;te et intellectuel soucieux de faire ressortir les zones d&rsquo;obscurit&eacute; dans cette lumi&egrave;re qui se donne comme seule r&eacute;alit&eacute;, seule v&eacute;rit&eacute;, totale et actuelle. Mais il faut comprendre qu&rsquo;elle est essentiellement une <em>figure</em>. Si nous avons besoin de ces Contemporains, de ces Agamben au regard p&eacute;n&eacute;trant, ceux-ci ne sont pas le <em>contemporain</em>. Pour le dire simplement, ce contemporain-l&agrave; ne permet pas de comprendre l&rsquo;imaginaire contemporain.</p> <p>Peut-&ecirc;tre cet imaginaire n&rsquo;est-il qu&rsquo;une construction, un savant jeu de lumi&egrave;re qui nous fait prendre une sc&egrave;ne pour notre seule r&eacute;alit&eacute;. Mais cette sc&egrave;ne est notre seul th&eacute;&acirc;tre des op&eacute;rations. Nous ne sortirons jamais de la caverne. Et il convient, non pas de le rabattre au rang d&rsquo;&eacute;cran, mais de l&rsquo;investir comme principale surface de connaissance.</p> <p>Quels r&eacute;cits nous racontons-nous maintenant? (Et non: quels r&eacute;cits devrions-nous nous raconter pour ramener de l&rsquo;inactualit&eacute; et, par cons&eacute;quent, de la densit&eacute; dans notre &eacute;poque?)<br /> Quelles images nous fascinent maintenant?<br /> Quelles zones de tension se profilent? Quelles failles?</p> <p>Il ne s&rsquo;agit pas de prendre un pas de recul, mais au contraire de faire un pas de plus et de se colleter aux difficult&eacute;s que pose l&rsquo;&eacute;tude de ce qui se passe imm&eacute;diatement sous nos yeux. Non pas de refuser le spectacle, mais de pousser &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me sa logique de fa&ccedil;on &agrave; en voir les limites.<br /> Le contemporain n&rsquo;est pas un &eacute;cran, il n&lsquo;est pas un plan &agrave; deux dimensions, mais un espace complexe &agrave; trois dimensions, un espace capable de recueillir des situations, des tensions, tout comme des repr&eacute;sentations.</p> <p>Il ne faut pas se retirer, mais s&rsquo;immerger. Or, s&rsquo;immerger ne veut pas dire abandonner tout esprit critique, mais plut&ocirc;t de travailler de l&rsquo;int&eacute;rieur et de construire, de l&rsquo;int&eacute;rieur, des espaces de r&eacute;flexion et de l&rsquo;analyse. D&rsquo;ailleurs, &agrave; travailler de l&rsquo;int&eacute;rieur, &agrave; ne pas se s&eacute;parer de la situation &eacute;tudi&eacute;e, on peut esp&eacute;rer y intervenir.</p> <p>L&rsquo;approche n&rsquo;est pas exclusivement analytique, elle a une composante pragmatique fondamentale. &Eacute;tudier l&rsquo;imaginaire contemporain, c&rsquo;est agir sur cet imaginaire, sachant fort bien que l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;une id&eacute;e en modifie essentiellement la port&eacute;e ou la forme, &agrave; moins &eacute;videmment de l&rsquo;avoir immobilis&eacute;e pr&eacute;alablement.</p> <p>Le contemporain n&rsquo;est pas une figure d&rsquo;intellectuel, il est une interface, un imaginaire, ce par quoi nous connaissons le monde et parvenons &agrave; nous y retrouver. L&rsquo;imaginaire est une m&eacute;diation, une interface entre le sujet et le monde, une relation singuli&egrave;re qui se complexifie en se d&eacute;ployant, ouverte sur les dimensions culturelles et symboliques au c&oelig;ur de toute soci&eacute;t&eacute;. Cette interface est constitu&eacute;e d&rsquo;un ensemble de r&egrave;gles d&rsquo;interpr&eacute;tation, de compr&eacute;hension ou de mise en r&eacute;cit, fond&eacute;es sur une encyclop&eacute;die et un lexique, qui lui servent d&rsquo;interpr&eacute;tants dynamiques, ainsi que sur une exp&eacute;rience du monde qui leur fournit des &eacute;l&eacute;ments compl&eacute;mentaires et collat&eacute;raux. Ces r&egrave;gles permettent au sujet de se situer dans le monde, de se le repr&eacute;senter et, au besoin, de le transformer.</p> <p>D&rsquo;ailleurs, quand ces r&egrave;gles ne sont plus ad&eacute;quates, quand elles ne sont plus confirm&eacute;es dans leur agir et ne servent plus &agrave; comprendre ad&eacute;quatement, nous voyons appara&icirc;tre des situations de crise. C&rsquo;est le mode de pr&eacute;sence du sujet au monde qui est pr&eacute;caris&eacute; et qui demande &agrave; &ecirc;tre ren&eacute;goci&eacute;. Or, s&rsquo;il est imp&eacute;ratif d&rsquo;&eacute;tudier l&rsquo;imaginaire contemporain, c&rsquo;est que la relation du sujet au monde est actuellement, et sur de nombreux plans, pr&eacute;caris&eacute;e. Et face &agrave; une telle crise, il convient non pas de se retirer, mais de s&rsquo;impliquer, de s&rsquo;engager. La n&eacute;gociation n&rsquo;est possible que de l&rsquo;int&eacute;rieur, que par un investissement dans l&rsquo;objet m&ecirc;me qui est d&eacute;crit.</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-contemporain-et-lactuel#comments AGAMBEN, Giorgio BARTHES, Roland Contemporain Esthétique Philosophie Temps Théories du récit Essai(s) Fri, 11 Sep 2009 13:04:00 +0000 Bertrand Gervais 157 at http://salondouble.contemporain.info Le temps interrompu http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/audet-rene">Audet, René</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <em>Ce texte est un extrait remodel&eacute; d'une communication pr&eacute;sent&eacute;e au colloque &nbsp;&laquo;Po&eacute;tiques et imaginaires de l'&eacute;v&eacute;nement&raquo;, Universit&eacute; du Qu&eacute;bec &agrave; Chicoutimi, 27-28 f&eacute;vrier 2009.</em></p> <p> Comment peut-on envisager la narrativit&eacute; dans l'&eacute;poque contemporaine ? Si je propose de la consid&eacute;rer dans son lien intrins&egrave;que avec l'&eacute;v&eacute;nement,&nbsp; il m'importe d'abord de la situer dans son rapport avec l'historicit&eacute;. &Agrave; cet effet, deux pr&eacute;misses sont n&eacute;cessaires afin de placer la situation du contemporain dans une perspective historique et d'&eacute;tablir le cadre dans lequel nous nous situons. Ces pr&eacute;misses portent sur le d&eacute;but et la fin du contemporain. Cette situation du contemporain me para&icirc;t intimement li&eacute;e &agrave; la condition actuelle du r&eacute;cit, non pas par interversion ou indiff&eacute;renciation, mais par contamination. Raconter aujourd'hui, c'est prendre acte de la position que nous occupons sur le spectre historique, mais c'est aussi refl&eacute;ter, absorber la conception de l'historicit&eacute; qui est n&ocirc;tre au sein m&ecirc;me du geste de raconter. Le d&eacute;fi de cette d&eacute;monstration est s&ucirc;rement d&eacute;mesur&eacute;, mais la port&eacute;e de cette observation peut &ecirc;tre fort importante pour notre compr&eacute;hension de la narrativit&eacute; aujourd'hui.</p> <p>Une premi&egrave;re pr&eacute;misse : le contemporain commence au point de rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. Il est facile de discuter de la p&eacute;riode contemporaine et de voir o&ugrave; elle conduit &mdash; pour l'instant, elle s'arr&ecirc;te l&agrave;, maintenant, au moment de la lecture de ce texte. Toutefois, il est plus hasardeux de tenter d'en saisir les premiers moments : en dehors de toute querelle de date, quelle balise peut-on &eacute;tablir comme entr&eacute;e dans le contemporain ? Si cette p&eacute;riode se d&eacute;finit par l'id&eacute;e du moment continu dans lequel on se trouve, la fracture ne peut donc &ecirc;tre &eacute;tablie que par une transition, celle permettant le passage de l'historicit&eacute; &agrave; l'actualit&eacute;. Avant la transition, tout &eacute;v&eacute;nement s'inscrit dans la diachronie qui le voit appara&icirc;tre ; l'interpr&eacute;tation est alors cons&eacute;quente de cette prise en compte du cours du temps. Apr&egrave;s l'histoire, en quelque sorte, se trouve un magma &eacute;v&eacute;nementiel et factuel se caract&eacute;risant fondamentalement par la simultan&eacute;it&eacute; &mdash; c'est le r&egrave;gne du pr&eacute;sentisme, pour reprendre un peu &agrave; la l&eacute;g&egrave;re le terme de Fran&ccedil;ois Hartog (2003). L'horizon est ce pr&eacute;sent, o&ugrave; pass&eacute; et futur sont &eacute;labor&eacute;s en fonction des besoins de l'imm&eacute;diat : le contemporain est ainsi la cl&eacute; de vo&ucirc;te interpr&eacute;tative universelle. Cette vision s'oppose fortement &agrave; la conception du contemporain d&eacute;fendue par Giorgio Agamben (2008), par exemple, qui propose plut&ocirc;t une position typiquement essayistique (avec une prise de distance, un d&eacute;calage par rapport &agrave; son temps, rappelant l'imp&eacute;ratif d'inactualit&eacute; avanc&eacute; par Nietzsche).</p> <p>Si l'entr&eacute;e en contemporan&eacute;it&eacute; se per&ccedil;oit par une plong&eacute;e dans l'actualit&eacute;, c'est bien parce qu'en contrepartie cette &eacute;poque se d&eacute;tache de l'historicit&eacute;, temporellement et discursivement parlant. C'est l&agrave; la deuxi&egrave;me pr&eacute;misse : le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant. Dans <em>&Eacute;vidence de l'histoire</em> (2005), Fran&ccedil;ois Hartog (encore lui) retrace les mutations subies par la discipline de l'histoire &agrave; travers les si&egrave;cles, partant de la charge imm&eacute;moriale de la m&eacute;moire &agrave; une saisie de l'histoire comme construction (&agrave; l'image du corps humain), de la pr&eacute;tention rh&eacute;torique de l'histoire comme discours de v&eacute;rit&eacute; &agrave; l'analogie &eacute;tablie par F&eacute;nelon entre l'histoire et le po&egrave;me &eacute;pique, du d&eacute;sir de retrouver la vie (chez Michelet, &agrave; sa fa&ccedil;on) jusqu'&agrave; l'histoire influenc&eacute;e par les sciences sociales, recentr&eacute;e sur le r&eacute;p&eacute;titif et le s&eacute;riel. Dans toutes ces conceptions, &laquo; l'histoire n'a cess&eacute; de dire les faits et gestes des hommes, nous rappelle Hartog, de raconter, non pas le m&ecirc;me r&eacute;cit, mais des r&eacute;cits aux formes diverses. &raquo; (2005 : 173). Il en est de m&ecirc;me pour l'histoire litt&eacute;raire, dont l'objectif est de &laquo; proposer une intelligence historique des ph&eacute;nom&egrave;nes litt&eacute;raires par une double op&eacute;ration d'int&eacute;gration des &eacute;l&eacute;ments jug&eacute;s pertinents et d'articulation de ces &eacute;l&eacute;ments en un ensemble organis&eacute; et orient&eacute; &raquo; (Goldenstein, 1990 : 58). Ce qui &eacute;merge, c'est tr&egrave;s nettement la dimension construite du r&eacute;cit historique (Michelet disait qu'il faudrait, pour retrouver la vie historique, &laquo; refaire et r&eacute;tablir le jeu de tout cela &raquo; [Hartog, 2005 : 268]) ; ce r&eacute;cit historique est fond&eacute; sur une relation m&eacute;taphorique (un &ecirc;tre-comme), disait Ric&oelig;ur, en tension avec la d&eacute;pendance avec l'effectivit&eacute; du pass&eacute; (un avoir-&eacute;t&eacute; de l'&eacute;v&eacute;nement pass&eacute;). L'histoire conjugue le fait et une op&eacute;ration d'intelligibilit&eacute;.</p> <p>Si Julien Gracq est utopiste en disant que &laquo; L'histoire est devenue pour l'essentiel une mise en demeure adress&eacute;e par le Futur au Contemporain. &raquo; (cit&eacute; dans Hartog, 2005 : 117), il n'en r&eacute;v&egrave;le pas moins la forte charge t&eacute;l&eacute;ologique de l'histoire, r&eacute;v&eacute;lant un point de vue singulier sur les faits dont elle propose une lecture &agrave; la lumi&egrave;re du sens qu'elle leur attribue. Ce sens, c'est en fonction de l'issue des &eacute;v&eacute;nements qu'il se d&eacute;termine : au-del&agrave; de la soumission b&eacute;ate &agrave; la fl&egrave;che du temps, qui va du pass&eacute; au futur, nous sommes en mesure de comprendre &agrave; rebours l'incidence des faits sur le cours des &eacute;v&eacute;nements. &laquo; En lisant la fin dans le commencement et le commencement dans la fin, souligne Ric&oelig;ur, nous apprenons aussi &agrave; lire le temps lui-m&ecirc;me &agrave; rebours, comme la r&eacute;capitulation des conditions initiales d'un cours d'action dans ses cons&eacute;quences terminales. &raquo; (Ric&oelig;ur, 1991 [1983] : 131)</p> <p>Or c'est justement cette capacit&eacute; de lui donner un sens qui stigmatise le contemporain &mdash; ou du moins qui confirme son exclusion de l'historicit&eacute;. En ne sachant pas sur quoi ouvrira la p&eacute;riode dans laquelle nous nous trouvons, nous ne pouvons &eacute;valuer la port&eacute;e et la signification des gestes, des &oelig;uvres, des faits que nous vivons. La t&eacute;l&eacute;ologie historique reste imparfaite, et l'interpr&eacute;tation stagne en raison de l'impossibilit&eacute; de lire et de relire en fonction de la fin de l'histoire, qu'&agrave; l'&eacute;vidence nous ne connaissons pas.</p> <p>Ce malaise se r&eacute;percute tout autant sur les &oelig;uvres narratives, dont la fuite du sens, la chute de l'intrigue d&eacute;stabilisent les lecteurs (les textes d&eacute;pla&ccedil;ant les rep&egrave;res interpr&eacute;tatifs convenus) &mdash; se trouve de la sorte illustr&eacute;e l'analogie avanc&eacute;e entre narrativit&eacute; et contemporan&eacute;it&eacute;. En lien avec la faillite du sens de l'histoire en contexte contemporain, quelle d&eacute;finition donner du r&eacute;cit, de la narrativit&eacute; (si tant est qu'on puisse consid&eacute;rer que ces deux termes renvoient &agrave; une seule et m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute;) ? Plus encore, comment envisager la narrativit&eacute; aujourd'hui, de fa&ccedil;on autonome par rapport &agrave; l'histoire et &agrave; ses obsessions (l'Histoire avec sa grande Hache, comme disait Perec) ? Seule pourra nous &eacute;clairer la lecture d'&oelig;uvres clamant leur foi en une pratique du raconter, du storytelling (&agrave; entendre sans la connotation de manipulation sociale que lui accole un Christian Salmon) &mdash; un storytelling imm&eacute;diatement ancr&eacute; dans l'&eacute;v&eacute;nement.</p> <p>&nbsp;<br /> <strong><br /> Bibliographie</strong></p> <p>Agamben, Giorgio (2008), Qu'est-ce que le contemporain ?, Paris, Payot-Rivages (Petite biblioth&egrave;que).</p> <p>Goldenstein, Jean-Pierre (1990), &laquo; Le temps de l&rsquo;histoire litt&eacute;raire &raquo;, dans Henri B&Eacute;HAR et Roger FAYOLLE (dir.), L&rsquo;histoire litt&eacute;raire aujourd&rsquo;hui, Paris, Armand Colin, p. 58-66.</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2003), R&eacute;gimes d'historicit&eacute;. Pr&eacute;sentisme et exp&eacute;riences du temps, Paris, Seuil (Librairie du XXIe si&egrave;cle).</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2005), &Eacute;vidence de l'histoire. Ce que voient les historiens, Paris, &Eacute;ditions EHESS (Cas de figure).</p> <p>Ric&oelig;ur, Paul (1991 [1983]), Temps et r&eacute;cit. Tome 1 : L'intrigue et le r&eacute;cit historique, Paris, Seuil (Points).</p> <p>Salmon, Christian (2008 [2007]), Storytelling, la machine &agrave; fabriquer des histoires et &agrave; formater les esprits, Paris, La d&eacute;couverte (Poche).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu#comments AGAMBEN, Giorgio Contemporain Esthétique GOLDENSTEIN, Jean-Pierre HARTOG, François Philosophie RICOEUR, Paul SALMON, Christian Théories du récit Écrits théoriques Thu, 04 Jun 2009 16:55:25 +0000 René Audet 129 at http://salondouble.contemporain.info