Salon double - Écrits théoriques http://salondouble.contemporain.info/taxonomy/term/411/0 fr Entretien avec La Peuplade http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-la-peuplade <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/voyer-marie-helene">Voyer, Marie-Hélène</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-jpeg" alt="icône image/jpeg" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/Image pour page éditeur.jpg" type="image/jpeg; length=1851247">Image pour page éditeur.jpg</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p><strong>La Peuplade édite des ouvrages de littérature canadienne francophone actuelle. La maison publie de la poésie contemporaine, du roman ainsi que des entretiens sur les arts. Soucieuse d’enrichir son catalogue d’œuvres originales et fortes, la jeune maison d’édition demeure réceptive à la publication d’autres genres littéraires, notamment les essais en sciences humaines et sur les arts visuels. La maison publie des auteurs issus de l’ensemble du territoire. Elle propose une littérature de découverte et se tourne naturellement vers la nouvelle génération d’écrivains, vers les auteurs émergents.</strong><br /><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Salon Double [SD] -</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé votre décision de fonder une nouvelle maison d’édition ? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>La Peuplade [LP] - </strong></span>C’était en 2005, nous arrivions au Lac-St-Jean, la région choisie pour l’achat d’une maison sur le territoire. L’idée en tête : créer un projet artistique tout en faisant le pari de la vie en région. Un matin, la une du cahier <em>Livres</em> du journal <em>Le Devoir</em> annonçait l’acquisition de Sogides par Quebecor. Ça été un déclencheur pour nous : il fallait contrer le grand par le petit et redonner leurs lettres de noblesse à Roland Giguère (Éditions Typo, l’Hexagone), à Gaston Miron (l’Hexagone), et les autres (chez VLB) qui devaient se retourner dans leurs tombes – ou dans leurs salons. À la création de La Peuplade en 2006, nous ne pouvions nous imaginer ce chemin que nous allions parcourir et cette réelle place que nous allions occuper dans le paysage éditorial et littéraire québécois. La reconnaissance s’est vite fait sentir, par des recensions dans les médias, par des commentaires opportuns, par les réussites de chaque jour. Nous avons lancé la maison au Pied de Cochon le 6 juin 2006 et, déjà, la curiosité était piquée. Je ne saurais dire quelle est la nature du manque que nous comblons maintenant, mais nous avons amené sur l’échiquier des pions uniques, authentiques, à têtes rêveuses.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BUC_FINAL_300%20-%20copie%20600%20ko.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BUC_FINAL_300%20-%20copie%20600%20ko.jpg" alt="116" title="" width="345" height="552" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnés, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente ? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Au départ, il a été clair que nous allions nous concentrer sur des collections de littérature précises : la poésie et la fiction. Nous avions également envie de développer l’entretien littéraire comme genre pratiquement inexistant au Québec, sinon avec les journaux ou avec le travail de Jean Royer. Deux livres d’entretien ont été réalisés – le premier sur le travail de l’écrivain Hervé Bouchard et le second sur le travail du cinéaste Hugo Latulippe. Ce sont des livres complexes à faire et ils ont pour but d’immortaliser, dans le temps et dans la mémoire collective, les démarches et les idées de créateurs importants qui, même si l’on peut juger – ou non – qu’ils ne le sont pas au moment de l’entretien, marquent ou marqueront leur époque dans leur pratique respective.<br /><br />La Peuplade choisit le texte avant tout. La seule façon d’aborder la littérature est de le faire à partir du texte. C’est ce qui prime. Il arrive aussi qu’une autre question se pose, une fois qu’un texte avec des qualités exceptionnelles ait été déniché : « Est-ce que ça vient chez La Peuplade ? » La Peuplade a son identité propre, des goûts personnels.<br /><br />L’idée que l’art doit peupler le territoire s’inscrit également dans notre politique éditoriale, idée que nous gardons comme cap et qui nous ramène inlassablement à nos origines. Nous occupons le territoire. Nous désirons éviter la centralisation du savoir, des pratiques, des arts, du succès. Établie en région, notre maison est sans frontières.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BEANTE%20COUV_FINAL%20-%20copie.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/BEANTE%20COUV_FINAL%20-%20copie.jpg" alt="117" title="" width="580" height="928" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les&nbsp; manuscrits que vous recevez?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Il n’y a pas de livre sans écrivain. Dans un premier temps, l’écriture doit être celle d’un écrivain, car celui-ci fabrique, avec le temps, la littérature. Nous nous attardons à priori à la démarche de l’auteur d’un manuscrit proposé, nous questionnons les motivations de l’auteur d’un projet, nous voulons en savoir plus sur ce qui est imaginé pour le futur. Choisir un texte dans le but d’en faire un livre signifie choisir de marcher dans un sillon – tracé ou à tracer – en compagnie de l’éclaireur dudit chemin, aux côtés d’un artiste de la littérature.<br /><br />Aussi, nous regarderons consciencieusement l’écriture, l’indicateur premier de la maîtrise que l’auteur a de son art. La maîtrise de la langue permet à l’écrivain de développer de grandes qualités comme la nuance, le raffinement, la précision. Les mots justes ouvrent la voie aux idées les plus alambiquées. Nous recherchons des écrivains qui sont des passionnés de la langue, bien avant l’idée de l’utiliser pour écrire un livre. Nous recherchons des gens curieux, qui veulent apprendre, qui veulent aller plus loin, qui veulent prendre part à un échange sur le texte – la matière –, qui veulent contribuer à faire d’un texte le meilleur livre. Le processus de publication nécessite de la générosité.<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture_coit300%20-%20copie.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/couverture_coit300%20-%20copie.jpg" alt="118" title="" width="580" height="772" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un « petit » joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le « petit » joueur ou la petite boîte d’édition doit trouver, avant tout, le distributeur québécois qui sera le plus à même de défendre et de diffuser ses collections. Chaque distributeur a ses forces et ses spécialités. En dehors de cela, chaque maison d’édition doit élaborer ses stratégies de médiatisation et de représentation du travail de ses auteurs, grâce à quoi petite maison deviendra grande. Ce n’est pas la visibilité qui est le plus difficile à obtenir, mais la légitimité et la reconnaissance du contenu. Quand la place est taillée à même l’arbre, quand on juge votre travail désormais nécessaire, tout est possible. Il faut alors s’organiser.<br /><br />S’organiser sur tous les plans. Penser à tout, à tous les intervenants de la chaîne du livre. Être toujours en avance. Peser les mots. Être acteurs. Être joueurs. Pour le numérique, il a fallu rapidement devenir un joueur. Prendre la place du marché qui nous était offerte. Rapidement, on est devenu joueur et, progressivement, La Peuplade apprivoise sa nouvelle peau, en proposant ses nouveautés en numérique, en numérisant peu à peu son fond, en réfléchissant sur les avenues, sur l’avenir du numérique et comment l’aborder. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Nous avons envie d’aborder le livre numérique différemment que le livre papier (encore, pour nous, l’objet parfait que nous aimons profondément).<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/PE_COUV_FINAL.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/PE_COUV_FINAL.jpg" alt="119" title="" width="580" height="928" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> On a le sentiment que le milieu littéraire québécois est très petit, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le milieu littéraire québécois est peuplé de gens inspirants et formidables. On fait sa rencontre et on n’a plus envie de le quitter. On souhaite l’enrichir et le développer. En effet, le milieu est petit et tout le monde vient à se connaître. En vivant loin de Montréal – le lieu de toutes les rencontres –, La Peuplade n’est parfois pas à jour dans ses relations avec les communautés d’auteurs, d’éditeurs et de libraires. Or, cela est garant de l’indépendance que nous recherchons dans l’exercice de notre métier. C’est d’abord et avant tout une indépendance de choix qui guide notre travail. Les écrits que nous choisissons nous transportent suffisamment pour s’imaginer les défendre pour toujours (du moins, le temps d’un contrat !). Les auteurs qui viennent vers La Peuplade nous adoptent pour notre rigueur et notre passion, peu importe la distance qui nous sépare.<br /><br />À cet égard, il faut ajouter que <em>rigueur</em> ne s’oppose pas nécessairement à <em>commercial</em>. Quelle maison d’édition espère entasser ses livres dans un entrepôt ? Vouloir vendre des livres n’est pas un mal. Vendre un livre signifie que celui-ci sera lu par une personne de plus et non destiné au pilonnage, pratique que nous dénonçons. &nbsp;<br /><br /><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Wigrum-Cover---copie-1-600-ko.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Wigrum-Cover---copie-1-600-ko.jpg" alt="120" title="" width="580" height="871" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Le texte demeure, pour nous, central. Il en est autrement dans les médias. Par exemple, les livres à l’émission <em>Tout le monde en parle</em> sont tout à fait éclipsés de la table, alors qu’à priori ils sont l’objet de l’invitation de l’écrivain. En matière d’art littéraire, cette puissante équipe de télévision passe la plupart du temps à côté de l’essentiel. Comme il aurait été intéressant que Guy A. Lepage demande à Vickie Gendreau : « Pourquoi écrire un livre quand on est condamnée à mourir ? »… Ce n’est malheureusement pas sous cet angle qu’on aborde d’habitude la littérature et l’écriture dans les médias québécois.<br /><br />Sur une note plus positive, nous voulons souligner les nouvelles maquettes de livres de nombreux éditeurs québécois. Depuis 2000, on a vu l’apparition de plusieurs maisons d’édition, ce qui n’a pas été sans transformer le milieu éditorial québécois. L’émergence conduit au progrès, au renouvellement de tous.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span> En tant que maison d’édition située loin de la métropole, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste du Québec, tant dans le circuit littéraire que dans les oeuvres qui sont publiées actuellement ? Ou qu’il y a un retour du balancier (voir numéro de <em>Liberté</em> et certains de leurs propres auteurs).<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>Montréal est Montréal. Québec est Québec. St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins est St-Fulgence-de-l’Anse-aux-Foins. Il n’en tient qu’aux écrivains de rendre lisibles les histoires qui se dissimulent dans les paysages. La Peuplade croit sincèrement que l’art doit peupler le territoire, jusque dans les villages. Nous résistons aux phénomènes qui voudraient exclure, ou simplement oublier, d’autres réalités. La métropole génère évidemment bien des trajectoires, mais on gagne toujours à élargir les horizons.<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[SD] -</strong></span>&nbsp; Alors qu’une maison d’édition choisit habituellement une police de caractère unique pour toutes ses œuvres afin de contribuer à se faire une « image de marque », vous semblez choisir une nouvelle typographie pour chaque œuvre. Comment se déroule ce processus ? En collaboration avec l’écrivain ou selon votre propre choix ?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>[LP] - </strong></span>L’image de marque de La Peuplade se situe principalement dans ses couvertures, puisque chaque œuvre qui les orne est celle d’un artiste contemporain québécois qui reçoit le manuscrit après qu’il ait été sélectionné pour publication. Nous avons, jusqu’à maintenant, privilégié le dessin. Le dessin est la base des arts visuels. Il n’est pas rare que l’artiste produise plus d’une œuvre.<br /><br />La typographie vient s’ajouter ensuite, une fois que l’œuvre finale a été approuvée par les éditeurs et par l’auteur.</p> <p style="text-align: justify;"><em>Pour en savoir plus :</em> <a href="http://www.lapeuplade.com/">http://www.lapeuplade.com/</a></p> <p style="text-align: justify;"><a href="http://salondouble.contemporain.info/intersections-et-collisions">Lisez la brève à propos du recueil Point d'équilibre de Mélissa Verreault ici. </a><br />&nbsp;</p> Québec Entretiens Écrits théoriques Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Tue, 04 Dec 2012 17:00:20 +0000 Marie-Hélène Voyer 644 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Les Éditions David http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-les-ditions-david <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/fontille-brigitte">Fontille, Brigitte</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/ditions david.png" type="image/png; length=7399">ditions david.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec Les éditions David. Marc Haentjens a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Les <a href="http://editionsdavid.com/">Éditions David</a> sont une maison d’édition littéraire établie à Ottawa depuis 1993. La maison publie des textes de création (romans, nouvelles, poésie) ainsi que des études et essais traitant de la littérature canadienne-française. La maison accueille en priorité des auteurs francophones de l’Ontario mais aussi des auteurs d’autres régions du Canada. Son catalogue compte aujourd’hui près de 250 titres, répartis à travers huit collections.<br /><br />Les œuvres de création représentent le volet le plus porteur de la maison d’édition avec cinq collections principales :<br /><br />-&nbsp;&nbsp; &nbsp;trois collections de prose: la collection <em>Voix narratives</em>, composée de romans, nouvelles et récits, la collection <em>Indociles</em>, ouverte à des romans de facture plus contemporaine, et la collection <em>14/18 </em>dirigée vers le public adolescent (14 ans et plus);<br /><br />-&nbsp;&nbsp; &nbsp;deux collections de poésie : la collection Voix intérieures, ouverte à des textes de poésie actuelle, et la collection <em>Voix intérieures – Haïku</em>, une collection de « niche » dédiée spécifiquement à la publication de textes liés à ce genre poétique (dans ses différentes variations: haïku, renku et, récemment, haïbun).<br /><br />Les ouvrages de réflexion continuent néanmoins d’alimenter quelques collections axées sur la connaissance et l’étude de la littérature francophone au Canada : la collection <em>Voix savantes</em>, réunissant des études et des essais collectifs, la collection <em>Voix retrouvées</em>, accueillant des éditions critiques de textes anciens ou oubliés, et la collection <em>Voix didactiques</em> consacrée à des auteurs de littérature jeunesse.<br /><br />À travers ce programme, la maison d’édition veut contribuer à l’expression d’une littérature originale qui reflète les diverses réalités de la francophonie canadienne. Elle souhaite aussi développer un lectorat – et un lectorat critique - susceptibles d’apprécier et de suivre cette littérature.</strong><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Brigitte Fontille [BF] –</strong></span> Qu’est-ce qui a motivé la décision de fonder une nouvelle maison d’édition? Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis de combler un manque dans la scène littéraire contemporaine? Qu’est-ce qui a motivé la création de la collection «Indociles»?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>Marc Haentjens [MH] –</strong></span> Les Éditions David ont été fondées par Yvon Malette en 1993. La motivation souvent invoquée par Yvon était de publier sa thèse de doctorat - une étude sur Gabrielle Roy - que plusieurs maisons d'édition tardaient à accepter. En réalité, plusieurs collègues dans son entourage (Yvon enseignait alors à l'Université d'Ottawa et au Cégep de l'Outaouais) se montraient intéressés à voir naître dans la région une maison avec un profil littéraire au sein de laquelle ils pourraient publier ou collaborer.<br /><br />De fait, la maison a rapidement reçu de nombreuses propositions et, après seulement quelques années, elle publiait en même temps des études littéraires, des romans, des nouvelles et de la poésie. Elle se donnait aussi plusieurs directeurs de collection formant, autour d'Yvon Malette, une équipe éditoriale solide. À son quinzième anniversaire (2008), la maison franchissait la barre des 200 titres, avec une réputation acquise dans le milieu littéraire et universitaire.<br /><br />Le changement de direction, en 2009, a légèrement infléchi l'orientation éditoriale de la maison. Me distançant un peu du milieu universitaire, j'ai surtout cherché depuis quelques années à accentuer la place de la maison dans la vie littéraire environnante, en Ontario notamment. Cela a d'abord conduit à développer une collection pour adolescents, la collection 14/18, qui venait à peine de naître à mon arrivée, et à lui donner une place centrale dans le catalogue; puis à créer, en 2011, une nouvelle collection de romans, la collection Indociles, ouverte à de jeunes auteurs et à des textes de facture plus contemporaine.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Jepromets_Ouellet%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Jepromets_Ouellet%281%29.jpg" alt="85" title="" width="580" height="975" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée, quelle ligne directrice ou vision de la littérature vous oriente? Est-ce que votre politique éditoriale a changé depuis le début de vos activités?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Plusieurs lignes directrices orientent les Éditions David depuis leur création en 1993. Je dirais: un intérêt marqué pour la langue et la littérature, un souci d'excellence et une ouverture à la francophonie canadienne, dans ses différentes manifestations régionales. Ces lignes n'ont pas fondamentalement changé au fil des ans.<br /><br />S'y sont cependant ajoutées ces dernières années quelques autres préoccupations: le dépistage de nouveaux auteurs, un enracinement (ou un ancrage) plus profond en Ontario français et une volonté de développement du lectorat, particulièrement chez les jeunes.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Qu’est-ce qui vous intéresse dans une écriture ou un projet, vous amène à choisir un texte en particulier parmi les manuscrits que vous recevez? Notamment pour la collection «Indociles».<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Notre intérêt pour un manuscrit varie évidemment selon les collections. Pour notre collection Voix narratives (romans, nouvelles), l'intérêt et la portée de l'histoire viennent sans doute en premier, suivis de près par la qualité de l'écriture. Travaillant dans un contexte minoritaire, nous sommes toutefois plus portés à accepter des œuvres imparfaites que nous le serions dans un autre contexte, ce qui signifie, bien sûr, d'investir davantage dans un travail d'édition.<br /><br />Pour notre collection Indociles, c'est beaucoup plus le propos, le style ou le ton qui nous intéressent, de même que la nature du commentaire porté sur la société. Nous souhaitons aussi avec cette collection nous permettre d'accueillir de nouveaux auteurs. Enfin, nous sommes concernés par l'accueil que pourrait recevoir l'œuvre chez un lectorat plus jeune.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Unjour_Martin%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Unjour_Martin%281%29.jpg" alt="87" title="" width="580" height="896" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Je trouve particulièrement intéressant qu’une des orientations de la collection sur la poésie porte sur le haïku, forme très codifiée. Pourriez-vous nous parlez de l’intérêt que les Éditions David ont manifesté envers cette forme poétique peu commune et qui n’est pas d’ici?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> La collection «Voix intérieures – Haïku» est née aux Éditions David sous l'impulsion de quelques auteurs (Francine Chicoine, André Duhaime, Jeanne Painchaud...) intéressés par cette forme poétique et désireux de la diffuser plus largement au Québec et au Canada. La réalisation de plusieurs recueils collectifs (comme <em>Dire le Nord</em>, <em>Dire la faune</em>, <em>Dire la flore</em>), puis l'institution d'un camp littéraire annuel axé sur le haïku à Baie-Comeau ont alors contribué à développer un vaste réseau de haïkistes qui nourrissent aujourd'hui le catalogue de la collection. Avec tout près de 60 titres publiés, celle-ci représente aujourd'hui une collection unique, au Canada et même au sein de la francophonie. Elle ne cesse par ailleurs de s'enrichir de nouveaux auteurs, mais aussi de nouvelles formes, comme le renku (dialogue entre deux haïkistes) et le haïbun (combinaison de prose et de haïku).</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Agripper_Collectif_RVB.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Agripper_Collectif_RVB.jpg" alt="88" title="" width="580" height="943" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un « petit » joueur dans le monde de l’édition, où quelques groupes d’éditeurs, notamment québécois, obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias? Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> La diffusion reste évidemment un enjeu de taille. Nous trouvant, par notre taille et notre situation géographique, dans la périphérie de l'industrie du livre, nous&nbsp; devons travailler deux fois plus fort pour réussir à intéresser les médias, les libraires et les autres intervenants de la chaîne du livre. Nous n'y réussissons pas autant que nous l'aimerions, mais nous gagnons quand même notre place et nous réalisons, de temps en temps, quelques bons coups.<br /><br />Le numérique apparaît, dans ce contexte, comme une occasion à saisir. Bien qu'il obéisse lui aussi à des intérêts commerciaux dominants (qu'on pense à Amazon ou à Archambault), il est encore en friche et permet, de ce fait, de se démarquer un peu plus. C'est pourquoi, d'ailleurs, plusieurs maisons d'édition francophones hors Québec (dont la nôtre) sont déjà bien positionnées sur ce marché.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Yeuxexil_Resch_RVB%281%29.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/Yeuxexil_Resch_RVB%281%29.jpg" alt="86" title="" width="510" height="840" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> En tant que maison d’édition francophone située hors du Québec, pensez-vous que la réalité montréalaise éclipse celle du reste de la francophonie canadienne, tant dans le circuit littéraire que dans les œuvres qui sont publiées actuellement?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Il est en effet très difficile d'être inclus ou considéré dans le milieu littéraire québécois quand on est situé à l'extérieur de Montréal (et de Québec). Cette réalité, qui vaut sans doute pour les éditeurs québécois établis «en région», est encore plus sensible pour les éditeurs franco-canadiens qui souffrent en outre d'être perçus - et classés par de nombreux acteurs du livre - comme des&nbsp; éditeurs «étrangers».<br /><br />Pratiquement, cela se traduit par une très grande difficulté à obtenir l'attention des médias, à être invité dans des événements littéraires ou des salons du livre et à obtenir une présence en librairie. Trois conditions presque incontournables pour réussir à intéresser un public lecteur.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/191/CB-III_Poirier_RVB_2.jpg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/191/CB-III_Poirier_RVB_2.jpg" alt="95" title="" width="580" height="896" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;">&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color: rgb(105, 105, 105); "><strong>BF –</strong></span> On a le sentiment que le milieu littéraire francophone hors Québec est exigu, et encore plus réduit quand on se concentre sur ceux qui s’éloignent de pratiques littéraires à vocation commerciale et optent pour une vision plus rigoureuse, plus audacieuse de l’écriture. Quelle importance a la communauté, celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires, pour vous?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Le milieu du livre est avant tout un écosystème où tous les acteurs sont liés et interdépendants. L'éditeur n'existe qu'à travers des auteurs, mais aussi, pour la diffusion de ses livres, à travers des libraires, des critiques littéraires, des professeurs de littérature, des bibliothécaires, des événements littéraires, des plateformes médiatiques, etc.&nbsp; Or, c'est un fait que cet écosystème est (beaucoup) moins complet dans la francophonie canadienne qu'il ne l'est au Québec et, particulièrement, dans les principales métropoles québécoises.<br /><br />Beaucoup d'énergie est donc mise, dans nos milieux, pour réunir ou aller chercher tous les intervenants en présence et s'efforcer de créer un effet dynamique autour des livres, des auteurs et de la littérature. L'effervescence qu'on peut ressentir dans certains salons du livre, comme ceux de Sudbury, de Hearst, de Toronto (en Ontario), de Shippagan ou de Dieppe (au Nouveau-Brunswick), témoigne de cette cohésion. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/ITHURIEL_LAFRAMBOISE_CMYK%281%29.JPG" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/ITHURIEL_LAFRAMBOISE_CMYK%281%29.JPG" alt="90" title="" width="580" height="980" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><br /><span style="color:#696969;"><strong>BF –</strong></span> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires dans la francophonie canadienne?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>MH –</strong></span> Le développement de l'édition - et de l'écosystème littéraire - est dans la francophonie canadienne une œuvre de longue haleine. On ne pense donc pas tellement en termes de coups de cœur ou de coups de gueule, mais plutôt en termes de consolidation et de durée.<br /><br />À cet égard, on peut se féliciter de voir comment certaines de nos maisons d'édition ont réussi au fil des ans à se tailler une place dans le milieu du livre. On peut également se réjouir de voir notre bassin d'auteurs s'élargir et se renouveler, en nous apportant des textes d'une diversité et d'une qualité littéraire de plus en plus grandes. Enfin, on peut s'enthousiasmer devant la réaction du public lecteur devant certaines de nos publications.<br /><br />En revanche, il faut malheureusement assumer que ce soit toujours aussi difficile de convaincre les principaux décideurs de la chaîne du livre - à tous les niveaux - de notre bien-fondé. Mais ça, c'est le lot, il faut croire, de nos structures petites et périphériques...</p> <p style="text-align: justify;"><em>Téléchargez en pièce jointe le communiqué de la rentrée littéraire de l'automne 2012 des Éditions David.</em></p> Canada Collectif Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Roman Tue, 23 Oct 2012 21:07:17 +0000 Brigitte Fontille 606 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Élise Bergeron, des Éditions du remue-ménage http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-lise-bergeron-des-ditions-du-remue-m-nage <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/bergeron-marie-andr-e">Bergeron, Marie-Andrée</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-filefield field-field-image"> <div class="field-label">Image:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <div class="filefield-file"><img class="filefield-icon field-icon-image-png" alt="icône image/png" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/all/modules/contrib/filefield/icons/image-x-generic.png" /><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/remue-ménage.png" type="image/png; length=3735">remue-ménage.png</a></div> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <p style="text-align: justify;">Afin d'aborder la rentrée littéraire automnale, Salon Double a mené une série d'entretiens avec plusieurs éditeurs afin de découvrir leur historique, leurs politiques éditoriales et leurs vues plus larges sur la littérature contemporaine. La série se poursuit par un entretien avec les Éditions du remue-ménage. Élise Bergeron a accepté de répondre à nos questions.</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Engagées à rendre aux féministes une voix pour porter leurs revendications et leur culture, <a href="http://www.editions-rm.ca/">les Éditions du remue-ménage</a> remplissent depuis trois décennies une fonction critique et éditoriale en partie fondatrice d’un mouvement en constante redéfinition.&nbsp; Rencontre avec Élise Bergeron, féministe, militante et éditrice depuis 10 ans aux Éditions du remue-ménage.</strong><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">Marie-Andrée Bergeron [MAB]</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> En quelle année la maison d’édition a-t-elle été fondée, par qui, pour quels motifs?<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">Élise Bergeron [EB] —</span></strong> En 1976, par un collectif de femmes. C’était dans la mouvance de la Librairie des femmes et les filles se sont dit : « Pourquoi on n’aurait pas une maison d’édition faite par les femmes, pour les femmes ».</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/f%C3%A9minismes%20%C3%A9lectriques.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/f%C3%A9minismes%20%C3%A9lectriques.png" alt="76" title="" width="263" height="330" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Est-ce que vous sentez que votre maison d’édition a permis –et permet toujours– de combler un manque sur la scène littéraire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Totalement. Il y a eu quelques maisons d’édition féministes indépendantes dans les années 1970 ailleurs au Canada, surtout dans le milieu anglophone, mais il n’y en a presque plus. Elles ont pour la plupart été rachetées par des grands groupes. Des maisons d’édition qui produisent juste des textes féministes, ça n’existe plus et donc c’est clair que si à l’époque, c’était déjà important, ce l’est d’autant plus aujourd’hui. Il faut que ça existe pour publier des textes qui ne sont pas nécessairement mis de l’avant chez les autres éditeurs. Encore aujourd’hui, c’est important et je me le fais dire chaque fois que je fais des présentations des textes de remue-ménage. Il y a des textes féministes qui paraissent chez d’autres éditeurs, mais c’est vraiment minuscule, c’est une goutte d’eau dans l’océan alors je pense que c’est vraiment pertinent que remue-ménage continue d’exister.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Sur le plan littéraire, considérez-vous que remue-ménage a joué un rôle dans l’émergence de l’écriture des femmes au Québec, avec des publications des textes de <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=556">Nicole Brossard</a> par exemple?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">— </span></strong>Oui. Les premiers textes que remue-ménage a publiés étaient des pièces de théâtre, mais du théâtre très militant ; ensuite, nous avons publié plusieurs poètes comme<a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=326"> Louise Warren</a>, <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=331">Louise Dupré</a>, <a href="http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=555">Louise Cotnoir</a> et des essais littéraires, plus formels, comme Nicole Brossard, dont on a réédité le recueil d’essais la <em><a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1245">Lettre aérienne</a></em> dernièrement.<br /><br />&nbsp;<span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la%20lettre%20a%C3%A9rienne.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la%20lettre%20a%C3%A9rienne.jpeg" alt="72" title="" width="265" height="451" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Pourquoi vous êtes-vous éloignées de la sphère plus strictement littéraire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> En ce qui concerne la poésie, principalement pour des raisons économiques malheureusement. C’est aussi une question de circonstances. Les auteures qui étaient dans notre entourage étaient de plus en plus des chercheures. Francine Pelletier, au colloque du 20e anniversaire de Polytechnique, a offert à cette question une piste de réflexion intéressante. Après la tuerie de Polytechnique, en 1989, c’est comme si les féministes s’étaient un peu repliées sur elles-mêmes et avaient pris le parti de travailler dans des sphères plus spécifiques et donc de s’attaquer à des choses plus circonscrites. Je pense que ça paraît dans notre catalogue aussi. Dans ces années-là, on a publié des textes plus pointus en sociologie, en histoire, en science politique et donc moins de textes qui parlent du féminisme et du mouvement plus largement, ce que permet la littérature, je pense. On s’est dès lors plutôt attaqué à des sujets précis comme la violence conjugale par exemple. Les filles se sont mises à travailler dans des champs d’études plus « terrain », d’une part, mais c’est aussi comme si on avait décidé de cibler des sujets, des lieux où on voulait que les choses changent, plutôt que d’investir l’imaginaire et l’espace créatif. Avec Polytechnique, c’est comme si les féministes s’étaient fait dire « taisez-vous », et elles se sont peut-être dit on va être moins sur la place publique, on va être plus en arrière pour faire bouger les choses, mais pas nécessairement comme les poètes et les artistes le font, c’est-à-dire à travers l’investissement d’un lieu où on entend plus distinctement leur voix.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mots%20de%20d%C3%A9sordre.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/mots%20de%20d%C3%A9sordre.png" alt="77" title="" width="257" height="324" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> On peut donc dire que c’est en quelque sorte un retrait de la Cité, des champs culturels et artistiques.</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Il y en a plusieurs qui ont continué, mais ce n’était pas l’effervescence qu’on avait connu, avec des artistes comme Jovette Marchessault par exemple, une artiste à laquelle est dédiée une de nos publications de la rentrée 2012, d’ailleurs.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quelle politique éditoriale vous êtes-vous donnée à la base? Qu’en est-il maintenant?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Ça n’a pas changé vraiment. Chez remue-ménage, l’idée a toujours été donner la parole aux femmes, à « toutes les femmes », pas seulement les artistes ou les chercheures. Au début, il y a eu des textes qui allaient dans ce sens-là comme <em><a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1052">La vie d’une femme avec un alcoolique</a></em>, <a href="http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1155"><em>Il n’y a pas lieu, madame</em></a> sur la médicalisation. L’Agenda des femmes c’est un espace pour ça aussi. Il y a en même temps des textes de chercheures, des textes plus universitaires, plus théoriques. Maintenant on ne fait plus de témoignage, mais on collabore beaucoup avec des groupes qui travaillent sur le terrain comme le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, des organismes comme La Rue des femmes et qui donnent la parole à des femmes qui travaillent plus sur le terrain et aussi des chercheures en études féministes dans différentes disciplines spécifiques.</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la_vie_dune_femme_avec.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/la_vie_dune_femme_avec.jpeg" alt="73" title="" width="265" height="428" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/il_ny_a_pas_lieu_madame.jpeg" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/il_ny_a_pas_lieu_madame.jpeg" alt="74" title="" width="265" height="420" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span><br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Qu’est-ce qui vous intéresse dans un projet et qui vous amène à choisir un texte?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> C’est sûr que comme tous les éditeurs, on cherche des plumes, on cherche des voix, des gens qui ont quelque chose à dire et qui le disent bien. Évidemment la politique éditoriale commande une sensibilité féministe; il faut un biais féministe, ça c’est clair.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Comment peut-on assurer sa diffusion et sa survie quand on est un «petit» joueur dans le monde de l’édition québécois, où quelques groupes d’éditeurs obtiennent pratiquement toute la visibilité, tant en librairie que dans les médias?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">— </span></strong>Le fait d’avoir une politique éditoriale féministe est un couteau à double tranchant, c’est-à-dire que, d’une part, ça nous garantit un lectorat de chercheur.es et de gens qui sont intéressés par le féminisme. Ce lectorat est circonscrit : on sait où sont nos lectrices qui constituent de fait un bassin plus ou moins acquis parce qu’on est les seules à publier des textes sur ces sujets-là. Ensuite, d’un point de vue plus éditorial, je pense que de plus en plus les groupes d’édition deviennent tellement gigantesques et prennent de plus en plus des décisions sur la seule base des profits ou des bénéfices économiques et donc vont publier plus d’exemplaires du même titre pour inonder le marché avec un best-seller. Ultimement, ils finissent par produire moins de contenu; or, nous on peut investir cet interstice-là. Ça nous garantit une originalité. On prend plus de risques que les grands groupes et prendre des risques, ça peut être extrêmement payant, pas nécessairement financièrement, mais du point de vue de la critique, du succès d’estime. On prend donc plus de risque à publier des gens moins connus, des sujets moins mainstream: c’est vrai qu’on peut se planter, mais on peut aussi avoir un grand succès, même un succès commercial. Car les gens cherchent ça aussi. Les gens ne veulent pas juste lire Harry Potter.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quel rôle joue le numérique dans votre stratégie de commerce?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> C’est une place inévitable que nous commande le marché. On prend le virage numérique assez lentement, à la hauteur de nos moyens. On pense que dans la mesure où on est à peu près la seule maison d’édition féministe dans la francophonie, le passage vers le numérique peut nous permettre de rejoindre un lectorat hors Québec, par exemple. Ensuite, on a de plus en plus de jeunes lectrices qui lisent peut-être davantage sur les iPad et autres liseuses. On envie que les nouveautés soient disponibles en format numérique, mais on en profite aussi pour rééditer certains titres qui seraient dispendieux à republier et réimprimer et que le format numérique permet de re-diffuser à moindre coût. C’est une façon de redonner un second souffle à certains ouvrages pour les garder vivants.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quelle importance Les éditions du remue-ménage accordent-elles à la « communauté littéraire », celle des auteurs, des autres éditeurs, des libraires? De quelles façons vous inscrivez-vous dans ce réseau-là et pourquoi, le cas échéant, est-il important de vous y inscrire?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Dans la mesure où on est des petits, c’est plaisant de faire partie d’un groupe et de créer des solidarités. Par contre on choisit notre gang. Il y a des alliances qui se font plus naturellement que d’autres. On réseaute avec les éditeurs engagés, ceux qui font de la critique sociale, comme Écosociété et Lux par exemple. C’est hyper stimulant parce qu’on partage des infos, un bassin de lecteurs et lectrices. En ce qui concerne les auteur.es, ce sont aussi nos lecteurs et lectrices ; elles se nourrissent les unes des autres et même si parfois dans le mouvement féministe tout le monde n’est pas d’accord, mais le fait d’être ensemble ça compte beaucoup.<br /><br /><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Quels sont vos coup de cœur et coup de gueule du moment, par rapport à la situation littéraire ou aux derniers événements littéraires au Québec?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Mon coup de cœur revient à des espaces comme <a href="http://fermaille.com/">Fermaille</a> par exemple, aux autres initiatives qui ont gravité autour du mouvement étudiant, de la grève. Les voix qui sont sorties de ça, pour nous, c’est extrêmement stimulant. La place que les jeunes féministes ont prise dans tout ça, c’est clair qu’on trouve ça vraiment enthousiasmant. Ça fait plaisir.<br /><br />Je suis franchement déçue du peu de place qu’on a accordé à la culture dans la dernière course électorale. On nous parle de souveraineté, de notre culture, mais pas de culture.</p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> De quelles manières voulez-vous investir le milieu pour les années à venir?<br /><br /><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Nous c’est sûr qu’on n’a pas l’intention de changer notre ligne éditoriale, on veut continuer à faire des textes féministes et on pense qu’il y a toujours de la place pour le faire. Cette place-là est aussi nécessaire et urgente qu’il y a 36 ans. On n’a pas l’intention de changer notre façon de faire. On n’a pas l’intention de faire partie d’un grand groupe, on veut rester indépendantes. &nbsp;</p> <p style="text-align: justify;"><span class='wysiwyg_imageupload image imgupl_floating_none_left 0'><a href="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/agenda%20des%20femmes.png" rel="lightbox[wysiwyg_imageupload_inline]" title=""><img src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/wysiwyg_imageupload_lightbox_preset/wysiwyg_imageupload/11/agenda%20des%20femmes.png" alt="75" title="" width="215" height="331" class="imagecache wysiwyg_imageupload 0 imagecache imagecache-wysiwyg_imageupload_lightbox_preset" style=""/></a> <span class='image_meta'></span></span></p> <p style="text-align: justify;"><strong><span style="color:#696969;">MAB</span> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Comment se renouveler après plus de 36 ans d’existence?</p> <p style="text-align: justify;"><span style="color:#696969;"><strong>EB</strong></span><strong> <span style="color:#808080;">—</span></strong> Ce sont les auteures qui le font. La condition des femmes évolue avec le temps, ça change et on suit l’air du temps, on suit l’époque et les préoccupations des femmes. Dans ce sens-là, on n’a pas besoin de chercher à se renouveler : la vie le fait pour nous. Les domaines de recherche évoluent, nous on suit ça de près. On continue de se coller au mouvement des femmes, et à ce mouvement qui émerge. Il ne s’agit pas juste de suivre le mouvement des femmes, mais les femmes. Les jeunes féministes de CLASSE, celles qui ont participé à la grève, elles ont fait ça seules. Elles sont parties évidemment des acquis, mais nous on les regarde aller et on les suit.&nbsp; On reste au fait de ce qui est en émergence et on veut pouvoir servir ça. Mais il y a aussi des organismes comme La Centrale qui se re-questionnent, se re-positionnent et qui ont redéfini leurs objectifs. Pour nous aussi c’est important de rester ouvertes à l’autocritique.<br />&nbsp;</p> Entretiens Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Nouvelles Roman Wed, 03 Oct 2012 14:08:41 +0000 Marie-Andrée Bergeron 594 at http://salondouble.contemporain.info Jacques Lacan trente ans après http://salondouble.contemporain.info/article/jacques-lacan-trente-ans-apr-s <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-label">Auteur(s):&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/balint-babos-adina-0">Balint-Babos, Adina</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-nodereference field-field-dossier-referent"> <div class="field-label">Dossier Reférent:&nbsp;</div> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/dossier/les-meilleurs-vendeurs">Les meilleurs vendeurs</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p>Le palmarès des ventes de livres met en lumière la préférence des lecteurs contemporains pour un certain type de fiction, d’essai ou de biographie. Les ventes de livres disent aussi quelque chose du désir d’être au courant des «nouveautés», des prix littéraires, des titres que les médias mettent de l’avant dans les journaux ou sur les plateaux de télévision. En France, l’automne est une période d’engouement commercial dans le domaine des livres: c’est la rentrée littéraire, le temps du Goncourt et des autres prix, et tout particulièrement en septembre 2011, il y a eu le trentième anniversaire de la mort de Jacques Lacan. C’est de ce dernier événement dont je voudrais parler ici, en posant deux questions: Qu’est-ce qui nous reste aujourd’hui de la pensée de Lacan? Ses écrits et les écrits sur lui se vendent-ils?</p> <p>En tant que lectrice basée au Canada anglais, je choisis d’interroger la réception de Jacques Lacan en France aujourd’hui, en avançant quelques hypothèses à partir des textes lus dans des quotidiens et magazines, <em>Le Monde</em>,<em> Lire, Magazine Littéraire</em>,<em> Lacan Quotidien</em>, en passant par des vidéos sur Internet (le documentaire <em>Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée</em>) et des blogues d’idées ou littéraires, ceux de Daniel Sibony et de Pierre Assouline. Il s’agira de réfléchir aux sens du contemporain par le biais d’un penseur psychanalyste marquant de la modernité, Jacques Lacan.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Jacques Lacan: la pensée réinventée</strong></span></p> <p>Né au début du XXe siècle, et ayant vécu les deux Guerres mondiales, Lacan commence à être reconnu dès les années 1930. Mais c’est entre 1950 et 1975 qu’il exerce la plus grande influence sur la pensée française, lors de son fameux Séminaire, à une période où des intellectuels débattent les sens du gaullisme et du communisme, puis de la décolonisation, vivent le dynamisme culturel de Mai 1968 et pensent les valeurs de la République française. Dans ce contexte d’aspirations fondées sur le progrès, le projet de Lacan, qui s’obstine à affirmer que l’avancée freudienne est l’horizon possible par où on peut saisir toutes les facettes de la complexité humaine, le pire comme le meilleur, prend à merveille. C’est réactionnaire, et surtout, il est question d’améliorer collectivement le sort de ceux atteints de troubles psychiques: névrosés, psychotiques, dépressifs, délinquants. Le mythe Lacan est suffisamment connu pour que je ne m’y attarde pas longuement. Des «fans» et des rivaux ont nourri et continuent de nourrir sa mémoire, et de transmettre ses écrits. Mais que comprend-on de cette transmission? Et de quoi est-elle faite?&nbsp;</p> <p>Daniel Sibony, psychanalyste et écrivain français, dans un texte sur son blogue, «30 ans après Lacan, que reste-t-il de son discours?», met en garde contre le danger de se retrouver trop en adoration avec l’homme et sa pensée. Il parle du décalage entre le discours de l’homme et ses textes, en soulignant que «son discours était vivant tant que l’homme qui le tenait était vivant» (Sibony, 2011: <a href="http://danielsibony.typepad.fr/danielsibony/2011/09/30-ans-apr%C3%A8s-que-reste-t-il-du-discours-de-lacan.html">en ligne</a>). Ceux de sa génération se souviennent des séminaires où, avec érudition, Lacan déroulait des références, de la Bible à Homère, Parménide, Héraclite, en passant par Shakespeare, Sade, Mallarmé ou Joyce. Pourtant, les écrits lacaniens demeurent hermétiques, difficiles à comprendre. Envie de poser cette autre question: si on est dans la trentaine aujourd’hui, et qu’on n’a pas fréquenté ses séminaires, comment entrer dans ses écrits? Daniel Sibony, ayant assisté aux séminaires dans les années 70, et depuis, ayant réfléchi entre autres à la pensée de Lacan, confie avec justesse que «la jouissance de Lacan était de tenir cet auditoire en haleine le plus longtemps possible» (Sibony, 2011: <a href="http://danielsibony.typepad.fr/danielsibony/2011/09/30-ans-apr%C3%A8s-que-reste-t-il-du-discours-de-lacan.html">en ligne</a>), ce qu’il a bien réussi pendant un quart de siècle. &nbsp;<br /><br />Vu ces affirmations, et peut-être grâce à elles, je souhaite aller plus loin: acheter les derniers Séminaires parus chez Seuil, <em>Le Séminaire: Livre XIX…ou pire</em> (1971-1972) et <em>Je parle aux murs</em>, et lire, tenter de décrypter. Mais en lisant, très vite, je bute contre des mots alambiqués, compliqués, des raisonnements et des analogies complexes, au point où j’abandonne: comment cette pensée sert-elle aujourd’hui à la vie? Ces questions, Daniel Sibony se les pose avec précision, et à travers son expérience de psychanalyste et de penseur, il est sceptique; il avoue avoir de la difficulté à transférer la méthode et les idées de Lacan dans le travail avec des patients. Cela m’amène à imaginer qu’il y a des lecteurs et des psychanalystes qui achètent les <em>Séminaires</em> de Lacan sans nécessairement parvenir à les lire. Bien entendu, ces ventes bénéficient aux librairies et aux maisons d’édition, et maintiennent une certaine aura d’illusion autour de la figure du maître. Le trentième anniversaire de sa mort joue aussi à emballer la machine commerciale. Suivront peut-être dans les prochaines années des temps morts, d’oubli ou presque, quand Lacan dormira dans les rayons des bibliothèques, jusqu’à ce qu’une nouvelle secousse ne le remette au premier plan, car sa légende est désormais suffisamment ancrée dans la mémoire culturelle pour pouvoir rebondir.</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Jacques Lacan: la mémoire culturelle</strong></span></p> <p>Cette mémoire, de quoi est-elle faite?</p> <p>Du Séminaire, on retient le corps de Lacan en train de parler. Philippe Sollers, dans une entrevue intitulée «Lacan même», publiée dans la revue<em> L’Infini</em> en 2002, parle «du corps impressionnant qui sort de la voix et pas le contraire» (2002: 23). On retient l’effet séducteur, chamanique, le parler qui n’est pas du semblant, la liberté, l’insolence qui produit quelque chose de dérangeant, de l’effervescence. On a aussi entendu parler de ses fameuses «séances courtes», de ses formules qui traversent l’horizon jusqu’à nous comme des sentences ou des maximes: «Dieu est inconscient», «la Femme n’existe pas», «il n’y a pas de rapport sexuel», le «parlêtre». Avec Lacan s’impose d’emblée la nécessité d’être assez ouvert et détaché pour pouvoir entendre ce que l’homme est en train de dire; entendre, être à l’écoute, tenter d’être présent. Pourtant, Daniel Sibony le dit: «tout cela était possible lors du vivant de Lacan». Mais aujourd’hui?</p> <p>Comment «utiliser»&nbsp; Lacan pour penser notre époque, pour penser à notre époque? Acheter ses livres, ce serait peut-être la réponse la plus simple: lire, découvrir sa pensée, comprendre les croisements qu’il a tenté de tisser entre le discours philosophique et le théâtre, entre la mythologie grecque et le surréalisme... Il s’agirait aussi de reconnaître notre monde habité par l’incertitude, la désorientation et la crise, questions auxquelles Lacan a réfléchi pendant un demi-siècle, dans ses efforts de saisir l’ordre immanent dans le désordre, la perte du symbolique, l’omniprésence de la monnaie. Malgré tout, il faudrait pouvoir imaginer que l’accès à ces idées est impossible sans passer par «l’objet» livre, sans se procurer les <em>Séminaires</em> ou les<em> Écrits</em> de Lacan, d’où l’intérêt pour un sujet comme celui du présent dossier: «les meilleures ventes». Lacan se vend pour sa pensée; il se vend parce qu’il y a quelque chose d’énigmatique autour de lui, qui ne cesse d’appeler à être décrypté: une sorte de multiplicité inhérente à sa personne et à ses textes.</p> <p>Mais qu’en est-il de Lacan et la littérature? Lacan et la philosophie?</p> <p>Si Freud fait figure d’écrivain du XIXe siècle, par son écriture riche, à laquelle s’ajoute une correspondance impressionnante, pour sa part, Lacan entretient un rapport fécond, pas avec le romanesque, mais avec le théâtre, avec la phrase orale, brève et alerte. Ce dernier est un grand commentateur de dramaturgie, surtout de Shakespeare et de Sophocle. Lacan n’est pas autant attiré par le roman que par les maximes et les sentences philosophiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Une formule comme «il n’y a pas de rapport sexuel… ou pire», rappelle La Rochefoucauld, par exemple. Bien entendu, il y a aussi Lacan qui ramène la philosophie à la psychanalyse, qui traverse la phénoménologie de Sartre et de Merleau-Ponty et le structuralisme de Lévi-Strauss, pour inventer des concepts, tels «la crise des idées», qui servent aujourd’hui à penser l’Histoire de la culture.</p> <p>Lacan reste «vendable» aujourd’hui, car il est à la fois un «révolutionnaire» de la psychanalyse et un penseur des sciences humaines et de la culture. Naturellement, Lacan est étudié dans des départements de psychiatrie, aussi bien que dans des centres d’anthropologie ou de Queer Studies. Après tout, Lacan demeure une figure marquante du contemporain parce qu’il nous oblige à penser la fictionnalité du mythe qu’il incarne lui-même, et les effets de réalité que celui-ci produit trente ans après la mort de l’homme. Difficile d’affirmer que l’héritage lacanien est ceci ou cela, que c’est la refonte de la psychanalyse de Freud ou la théorie du sujet, ou sa pensée hétéroclite. Toutes ces composantes forment et déforment le «mythe» Lacan, et entretiennent une ambigüité fertile, qui entraîne l’intérêt pour ses livres, et certes, leur achat. Trente ans après, on pourrait toujours poser cette question sur l’envie de connaître: pourrait-elle laisser ouverte la possibilité qu’une image «vivante» de Lacan se renouvelle? Comment serait-ce possible?</p> <p><span style="color:#696969;"><strong>Jacques Lacan: le palmarès des ventes de livres</strong></span></p> <p>Je reviens au propos initial du palmarès des meilleures ventes, pour parler de deux biographies de Lacan qui sont parues à l’automne 2011, et qui ont attiré l’attention des médias et des lecteurs. D’une part, <em>Vie de Lacan</em> de Jacques-Alain Miller, psychanalyste, rédacteur des<em> Séminaires</em> de Lacan, marié à sa fille, qui nous livre un portrait de Lacan au quotidien, assez loin de l’image du savant. Et d’autre part, l’ouvrage de l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco, <em>Lacan, envers et contre tout</em>, qui parle à son tour d’un Lacan personnel, et révèle des épisodes marquants d’une vie et d’une œuvre à laquelle toute une génération fut mêlée:</p> <blockquote><div class="quote_start"> <div></div> </div> <div class="quote_end"> <div></div> </div> <p>un vagabondage dans des sentiers méconnus: un envers et une face cachée venant éclairer l’archive comme dans un tableau crypté où les figures de l’ombre, autrefois dissimulées, reviennent à la lumière. J’ai voulu évoquer par brins un autre Lacan confronté à ses excès, à sa «passion du réel», à ses objets: en un mot, à son réel, à ce qui a été forclos de son univers symbolique. Un Lacan des marges, des bords, du littéral, transporté par sa manie du néologisme (Roudinesco, 2011b: <a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/lacan-envers-et-contre-tout-d-elisabeth-roudinesco_1028245.html">en ligne</a>).</p> </blockquote> <p>Ces deux livres se sont très bien vendus à leur parution en septembre dernier (voir «Le Palmarès répond aux questions de Français»,<em> L’Express</em>, 9 septembre 2011); par analogie, et pour des raisons énoncées plus haut, je pourrais présupposer qu’ils continuent de se vendre aujourd’hui. Encore faudrait-il demander: pourquoi?</p> <p>Une dernière hypothèse s’impose: le fait que Lacan, dans son enseignement et sa pensée, a su annoncer les temps qui sont devenus les nôtres. Il a prévu la société du spectacle et la fascination pour l’image, pour les apparences; il a pressenti la montée du racisme, la passion de l’ignorance et le mépris des idées, la haine entre peuples et communautés, le marché de la dépression, les impasses de l’humanisme, des Lumières et de la Révolution en France; et à la fois, le danger de réduire l’être humain à son existence biologique. «Nous allons être submergés avant pas longtemps, disait-il en 1971, de problèmes ségrégatifs que l’on appellera le racisme et qui tiennent au contrôle de ce qui se passe au niveau de la reproduction de la vie, chez des êtres qui se trouvent en raison de ce qu’ils parlent, avoir toutes sortes de problèmes de conscience» (Lacan, 2001a: 87). Parler de Lacan aujourd’hui, et assumer que ses deux derniers <em>Séminaires</em> se vendent, c’est aussi croire à une aventure intellectuelle qui tient une place importante dans notre contemporanéité; aventure porteuse d’un certain souffle pour qui peut et veut l’entendre: espoir de comprendre la folie, la famille, le désir; plaisir des transgressions, liberté de parole et des mœurs, envie d’émancipation.</p> <p>Depuis un demi-siècle, Lacan n’a pas fini de nous étonner. Les hommages à la mémoire du maître s’accompagnent paradoxalement de dissensions assez tonitruantes. Après quarante-cinq ans de fidélité, Jacques-Alain Miller interrompt la collection «Champ freudien», et claque la porte du Seuil. C’est à la Martinière que Miller devrait désormais publier les dix livres restants du <em>Séminaire</em> (Assouline, 2011: <a href="http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/11/16/mort-et-resurrection-de-jacques-lacan-au-tribunal/">en ligne</a>). Pourtant, ces incidents ne sauraient être surprenants, car Lacan semble nous avoir avertis que tout peut se renverser en son contraire, que la vie déjoue la programmation, d’où peut-être une certaine sympathie pour sa figure, qui était ce qu’elle était: «gourou», «maître spirituel» et, à la fois, homme avec des forces et des faiblesses, en quête de «points d’amour» (Sibony, 2007: 209), joueur avec des mots et des mathèmes; vers la fin de sa vie, un être immergé dans le silence de plus en plus vaste, happé par la mélancolie. De Jacques Lacan, c’est ce paradoxe même qui se transmet jusqu’à nous, et qui continuera probablement à se transmettre après nous; un Lacan qui est un grand moment dans la culture du XXe siècle, et dont la résonnance nous touche aujourd’hui par la modernité de ses idées: crise, transgression, événement inconscient…, et une aura énigmatique autour de son legs. Comment ne pas acheter ses livres et des livres sur lui, dans cette pulsion infiniment humaine de savoir plus, ou d’un plus de savoir?</p> <p><strong>Références bibliographiques</strong></p> <p>ASSOULINE, Pierre (2011), «Mort et résurrection de Jacques Lacan au tribunal»,[en ligne]. <a href="http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/11/16/mort-et-resurrection-de-jacques-lacan-au-tribunal/">http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/11/16/mort-et-resurrection-de-jacques-lacan-au-tribunal/</a> (Page consultée le 19 novembre 2011).</p> <p>HECHT, Emmanuel (2011), «Le palmarès répond aux questions de Français», <em>L’Express</em>, 9 septembre 2011, p. 46.</p> <p>LACAN, Jacques (2011a), <em>Le Séminaire: Livre XIX…ou pire(1971-1972)</em>, Paris, Seuil,(Champ freudien).</p> <p>LACAN, Jacques (2011b), <em>Je parle aux murs</em>, Paris, Seuil, (Paradoxes Lacan).</p> <p>MILLER, Jacques-Alain (2011), <em>Vie de Lacan</em>, Paris, Navarin.</p> <p>ROUDINESCO, Elisabeth (2011a),<em> Lacan, envers et contre tout</em>, Paris, Seuil,(Débats).</p> <p>ROUDINESCO, Elisabeth (2011b), <em>Lacan, envers et contre tout</em>, d’Elisabeth Roudinesco, Lire, 9 septembre 2011, [en ligne]. <a href="http://www.lexpress.fr/culture/livre/lacan-envers-et-contre-tout-d-elisabeth-roudinesco_1028245.html" title="http://www.lexpress.fr/culture/livre/lacan-envers-et-contre-tout-d-elisabeth-roudinesco_1028245.html">http://www.lexpress.fr/culture/livre/lacan-envers-et-contre-tout-d-elisa...</a> (Page consultée le 19 novembre 2011).</p> <p>SOLLERS, Philippe (2005), <em>Lacan même</em>, Paris, Navarin,(Cliniques).</p> <p>SIBONY, Daniel (2007), <em>L’Enjeu d’exister. Analyse des thérapies</em>, Paris, Seuil,(La couleur des idées). &nbsp;<br /><br />SIBONY, Daniel (2011), « 30 après, que reste-t-il du discours de Lacan?», [en ligne]. <a href="http://danielsibony.typepad.fr/danielsibony/2011/09/30-ans-apr%C3%A8s-que-reste-t-il-du-discours-de-lacan.html">http://danielsibony.typepad.fr/danielsibony/2011/09/30-ans-après-que-reste-t-il-du-discours-de-lacan.html</a> (Page consultée le 19 novembre 2011).</p> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> <div id="myEventWatcherDiv" style="display:none;">&nbsp;</div> AGAMBEN, Giorgio HECHT, Emmanuel LACAN, Jacques MILLER, Jacques-Alain ROUDINESCO, Elisabeth SIBONY, Daniel SOLLERS, Philippe Écrits théoriques Essai(s) Thu, 12 Jan 2012 22:57:26 +0000 Adina Balint-Babos 440 at http://salondouble.contemporain.info Entretien avec Mathieu Arsenault http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/salon-double">Salon double</a> </div> <div class="field-item even"> <a href="/equipe/arsenault-mathieu">Arsenault, Mathieu</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> L’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle </div> </div> </div> <!--break--><!--break--> <div class="rtecenter"><img alt="" src="http://salondouble.contemporain.info/sites/salondouble.contemporain.info/files/imagecache/Antichambre/boitier-face.jpg" /></div> <p>Il remet des trophées à des œuvres actuelles qu’il juge marquantes, des prix prestigieux qui font bien des jaloux tel le fameux <em>Bouillon de poulet pour fuck all</em> qui a été décerné cette année à Simon Paquet pour son roman <em>Une vie inutile</em>. Visiblement animé par le désir de participer à l’élaboration d’une communauté littéraire active et vivante qui ne se résumerait pas à la circulation de livres, Mathieu Arsenault est un acteur important des soirées de poésie et de divers événements littéraires qui ont lieu à Montréal. Ses livres sont porteurs d’une liberté langagière et intellectuelle que peu d’auteurs se permettent aujourd’hui, malmenant aussi bien la syntaxe que les idées reçues. Son premier livre de fiction, <em>Album de finissants</em> (2004), propose une série de fragments polyphoniques posant un regard sagace sur l’école, qui apparaît être bien davantage une «fabrique de gens compétents pour la vie professionnelle» qu’un lieu de formation de citoyens lucides et libres-penseurs. Son livre <em>Vu d’ici</em> (2008) poursuit l’exploration des différents flux idéologiques qui parcourent l’esprit de nos contemporains, s’attardant cette fois à la culture populaire, notamment au pouvoir hypnotique de la télévision et des désirs serviles que celle-ci véhicule, induisant l’inertie crasse des sujets dépolitisés. Mathieu Arsenault a aussi publié un essai, <em>Le lyrisme à l’époque de son retour</em> (2007), où il analyse la dialectique de l’innovation et de la tradition qui traverse la production contemporaine en prenant pour exemple la question de la résurgence du lyrisme. Ce livre, qu’il qualifie lui-même d’autothéorie, ou encore d’autobiographie théorique, parvient à joindre avec finesse des questions théoriques à l’expérience concrète que nous avons de la littérature aujourd’hui. Et c’est ultimement la question de la possibilité d’une communauté littéraire qui surgit de sa réflexion&nbsp;: «Quand je me pose la question de la possibilité de dire ‘je’ aujourd’hui, c’est une communauté que je cherche, la possibilité de créer des communautés dans un système historiquement répressif.» Mathieu Arsenault collabore également de façon régulière à la revue <em>Spirale</em>, en plus d’être l’un des membres fondateurs du magazine <em>OVNI</em>. Depuis 2008, il propose ses réflexions sur la culture populaire actuelle dans son blogue <a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>. Il passe aujourd’hui au Salon pour nous entretenir de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle, un projet qu’il a mis en branle en 2009.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> À Salon double, nous cherchons des façons de mettre en valeur et de commenter la littérature contemporaine. Nous sommes intéressés par ta série de «15 publications intéressantes 2010 selon l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle», publiée sur ton blogue&nbsp;<a href="http://doctorak-go.blogspot.com/"><em>Doctorak, GO!</em></a>, parce que tu y valorises aussi, à ta façon, des œuvres québécoises qui ont été plus ou moins ignorées en 2010. Alors que les critiques des médias&nbsp;<em>mainstream</em>&nbsp;collectionnent tous les mêmes cartes d’écrivains au style de jeu plus ou moins convenu, tu sembles avoir un penchant pour les jeunes recrues qui tentent d’imposer de nouvelles manières de concevoir la joute littéraire. La liste d’œuvres que tu proposes, plutôt éclectique, montre bien qu’il existe une relève. On y retrouve des romans, de la poésie, de la bande dessinée, des textes inclassables, des textes publiés en fanzines... Selon quels critères avez-vous constitué cette liste? Désiriez-vous mettre en lumière des mouvements ou des tendances particulières dans la littérature québécoise contemporaine?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Le projet de l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle est de prendre le contrepied de l’image médiatique de la littérature québécoise actuelle, qui construit un programme finalement assez réducteur dans ses propositions esthétiques: du roman, du roman, du roman, avec «du souffle», de la «maîtrise» et, assez souvent, une retenue, un art de la concision. Mais ce programme est assurément moins dommageable que le public qu’il associe à la littérature. Car ce public est en déclin, il vieillit sans se renouveler et s’accroche à une idée du littéraire qui lui appartient, mais qui ne se renouvelle pas nécessairement. Quand on parle de relève dans les médias, c’est d’ordinaire à ceci qu’on fait référence: l’espoir que survive ce rapport à la littérature et les pratiques qui lui sont associées. Mais cette idée de la relève n’incarne qu’une forme parmi d’autres de rapport à la tradition littéraire. Pour cette raison, ce à quoi nous travaillons, ce n’est pas à identifier des tendances émergentes en littérature québécoise. Notre projet serait plutôt d’inventer un public, de trouver à quoi ressemble le désir de notre époque pour la chose littéraire. Le public que nous cherchons ne ressemble pas à celui plein de révérence des années 80, ni à celui presque inexistant des années 90. Les littéraires d’aujourd’hui sont plus éclectiques dans leurs goûts. Ils sont peut-être détachés d’une manière salutaire de l’industrie du livre, du système des rentrées littéraires et de la promotion médiatique. Même si ce ne sont pas toujours des livres, ils lisent globalement plus, sans discrimination.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Votre projet vient en effet combler un vide dans l’espace littéraire québécois. Il répond à un désir de renouveau de l’espace littéraire qui semble partagé par plusieurs. Pourrais-tu nous parler de la façon dont il a vu le jour? Comment fonctionne l’attribution des prix de l’Académie? As-tu établi des critères précis pour la sélection des œuvres récompensées?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> J’ai fondé l’Académie à l’hiver 2009 lors d’<a href="http://doctorak-go.blogspot.com/2009/01/les-prix-de-lacademie-de-la-vie.html">une note</a> au ton humoristique sur <a href="http://doctorak-go.blogspot.com"><em>Doctorak, GO!</em></a> Lucide et amusé, je voulais illustrer ma conviction que mon travail n’était pas trop fait pour remporter des prix en faisant croire en blague que même si je fondais une académie, les honneurs finiraient par m’échapper. J’avais établi une liste de livres de récipiendaires faite de livres que j’avais lus dans l’année et que j’avais trouvés curieux ou intéressants. Cette note a été très populaire, pas parce qu’elle était drôle ou particulièrement bien tournée, mais parce qu’on y mentionnait des livres qui n’apparaissaient nulle part ailleurs sur le Web, sinon sur le site de leurs éditeurs. Et, qui plus est, certains auteurs ont été très flattés que je leur remette un prix, même si c’était sans prétention. L’année suivante, j’ai voulu pousser l’exercice plus loin en organisant un gala. Catherine Cormier-Larose, organisatrice de lectures hors pair, est alors entrée au «comité», et nous avons décidé ensemble des prix à remettre. Grâce à elle, le gala a pris la forme d’une soirée de lecture originale un peu trash et faussement officielle, dans l’esprit de la liste des prix. L’Académie a pris avec elle une direction plus convaincante, elle lit beaucoup et possède un excellent jugement. Pour l’édition de cette année, Vickie Gendreau s’est jointe à son tour au comité, car elle confectionne les trophées. Ces trophées prennent le contrepied des statuettes de gala&nbsp;: ils sont uniques, chacun illustrant une image, une scène ou une phrase tirée du livre primé.<br /><br /> Ce que j’aime de ce projet, c’est que nous essayons de maintenir délibérément le flottement entre la parodie d’académie et l’institution sérieuse. Si nous essayons de garder le côté mordant des prix, nous effectuons maintenant la sélection avec plus de sérieux qu’au début, car d’une part, nous sentons un réel engouement de la communauté littéraire pour notre entreprise et d’autre part, on y voit également l’occasion de donner une représentation des différentes potentialités de forme et de contenus littéraires propres à notre époque.<br /><br /> Le choix des textes se fait&nbsp;en comité. On y discute non seulement de ce qu’on a lu mais aussi des livres dont on a entendu parler et que nous nous promettons de lire. Il arrive souvent que nous nous emportions à cause de véritables injustices, des livres extraordinaires qui n’auront de visibilité nulle part. Et ce n'est même pas une question d’injustice à l’égard de leur auteur, c'est une injustice à l’égard de notre époque. Beaucoup de prix travaillent à la perpétuation d’une image conventionnelle de la littérature, à entretenir une sorte de synthèse la plus réussie de formes du roman ou de la poésie qui datent au mieux d’une quinzaine d’années. De notre côté, on aime mieux les livres un peu chambranlants qui pointent vers les potentialités de notre époque. Tu sais, tu lis un texte et tu te dis&nbsp;que c'est étrange de ne pas retrouver plus souvent cette forme, ce langage, ce sujet tellement il appartient à l’expérience de notre époque?<br /><br /> Par ailleurs, le nom ridiculement long d’«Académie de la vie littéraire au tournant du vingt et unième siècle» est ironiquement sentencieux, mais il reflète aussi ce désir de répondre à la nécessité qu’il existe une communauté littéraire vivante, que les auteurs se rencontrent, prennent la mesure de la diversité et comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans leur volonté de s’inscrire dans leur époque. Nous sommes fatigués de ces auteurs qui s’imaginent avoir inventé la roue faute d’avoir convenablement lu leurs contemporains.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Il est intéressant que tu retournes la question des tendances émergentes en insistant sur «le désir de notre époque pour la chose littéraire.»&nbsp; Les œuvres qui ont été sélectionnées par l’Académie de la vie littéraire au tournant du 21e siècle témoignent certes d’une belle diversité, mais on y trouve tout de même des textes qui se revendiquent en tant que roman. Pensons par exemple à <em>Une vie inutile</em> de Simon Paquet, ou encore à <em>Épique</em> de William S. Messier. Depuis la mise en ligne de Salon double, nous avons accueilli des lectures critiques portant essentiellement sur le roman, alors que l’essai, la nouvelle et la poésie sont largement sous représentés. Cela porte à croire que nos contemporains, du moins ceux qui gravitent autour du monde académique, s’intéressent toujours au roman et y voient une pratique importante qui mérite l’attention. Pourrais-tu expliquer davantage ta pensée sur l’écriture romanesque? Pourquoi les romans de Simon Paquet et de William S. Messier sont-ils de bons textes à tes yeux?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> Nous n'avons a priori rien contre le roman. Le 20e siècle a donné des romans fascinants de Proust à Don DeLillo, des expériences d'écriture qui ont véritablement pris la mesure de ce dont était capable la forme romanesque. Mais cette volonté de travailler cette forme est peu suscitée aujourd'hui. Les médias, les librairies et le grand public n’ont qu’un intérêt très marginal pour ce travail, ce qui pousse les romanciers à chercher la maîtrise et la retenue dans le style comme dans la structure. Cela dit, des textes comme ceux de Simon Paquet et William S. Messier trouvent un usage, une justification au roman. Le roman de Paquet essaie de donner une structure à un florilège de mots d'esprit absurdes et désespérés, et celui de Messier prend le prétexte du roman pour inscrire la tradition du conte traditionnel dans le réalisme d'un quotidien contemporain. Les romanciers qui nous intéressent se posent des questions, assez indépendamment finalement des critères de maîtrise et de l'actualité de leur sujet. Il importe peu qu'un roman soit mal ficelé, qu'il finisse en queue de poisson, qu'il soit trop long ou surchargé s'il recèle un dispositif esthétique cohérent.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Pour désigner cette communauté qui se constitue autour de la&nbsp;littérature, tu parles d'un public plutôt que de lecteurs. Le choix&nbsp;paraît mûrement réfléchi. Il suggère le rassemblement et l'événementiel. Si la vie littéraire est partagée par ce public, leur&nbsp;relation à la littérature déborderait donc d'une relation strictement livresque. Les rassemblements littéraires que l'on connaît&nbsp;aujourd'hui sous le nom de Salon du livre sont en réalité des foires&nbsp;commerciales où l'objet-livre prend complètement le dessus sur la&nbsp;littérature. Pour l'Académie de la vie littéraire au tournant du 21e&nbsp;siècle, y a-t-il une littérature hors du livre, hors du marché du&nbsp;livre? Qui constituerait ce public à inventer?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span>&nbsp;&nbsp;«Une littérature hors du livre». La formule est intéressante, à une époque où, justement, le livre est en phase de dématérialisation. Et en effet, les textes littérairement intéressants ne sont pas toujours confinés au livre. La littérature à venir se prépare peut-être dans le fanzine, dans la lecture publique, dans la note de blogue. C'est-à-dire que les oeuvres à venir ne seront peut-être pas des fanzines et des blogues, mais elles seront imprégnées de toutes les expérimentations qu'ils auront permises.&nbsp;Cette année, nous avons surtout donné des prix à des livres publiés, mais j'aimerais bien qu’on puisse remettre bientôt des prix pour des personnages inventés sur Facebook ou Twitter.&nbsp; J’aimerais aussi amener au-devant de la scène toute cette culture d’essais plus lyriques au ton vraiment dynamique que la pratique du blogue est en train de développer.<br /><br /> Mais cela dit, la distinction entre public et lecteurs excède aussi la question du format de l'imprimé. Parler de lecteurs et de lectorat revient à parler encore depuis cette configuration de la littérature comme production culturelle. La configuration que nous cherchons est plus proche d'une communauté, et je pense que nous ne sommes pas les seuls à chercher cela. Tout le monde appelle, recherche des communautés littéraires. Elles passent par le livre, oui, mais elles passent aussi par leur circulation, par le discours, par la critique et le commentaire. C'était un peu le projet derrière les cartes critiques d'auteurs que nous avons imprimées: faire circuler des auteurs par le biais des cartes qu'on pourrait garder dans sa poche, avec une photo devant et une critique derrière.<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Tu laisses entendre que l’avenir de la littérature passe peut-être par les différentes marges de la production imprimée et contrôlée par le monde de l’édition traditionnelle, que ce soit par les blogues ou par les fanzines. Nous accordons aussi beaucoup d’importance aux blogues à Salon double et nous avons ajouté cette année sur notre site une section qui recense les billets de nos collaborateurs. Il se dégage de ces pratiques une cohérence qui nous apparaît forte, par exemple par le travail plus ou moins important de l’oralité, ou encore par une volonté de mise à distance du supposé nombrilisme des blogueurs, à propos desquels on affirme souvent qu’ils sont l’incarnation du narcissisme de notre époque. Ces blogues possèdent un lectorat important, peut-être même plus important que celui des livres qui se trouvent sur les tablettes de nos librairies. Pour certains, le statut des blogues pose tout de même problème. Pour assurer la pérennité de ces écritures, il faudrait, dit-on, que le monde de l’édition intervienne d’une façon ou d’une autre. Les Éditions Leméac ont tenté d’imprimer certains blogues, mais ceux-ci ont rapidement décidé de mettre fin à cette collection. Alors que nous observons une littérature Web en pleine effervescence, le directeur de cette maison d’édition, Jean Barbe, y voit plutôt une perte de temps : «Les blogues ont leurs limites, disait-il en 2009, et c’est beaucoup d’énergie créatrice qui n’est pas consacrée à la littérature<strong><a href="#note1a">[1]</a><a name="note1aa"></a>.</strong>» Cette réaction montre bien le fossé qui sépare la culture de l’imprimé et la culture numérique, une forme de culture légitime et une culture qu’on pourrait qualifier de sauvage. Es-tu d’avis qu’un système d’édition et de légitimation est nécessaire sur le Web? N’y a-t-il pas là un danger de dénaturer ces écritures?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault —</strong></span> En effet, le réseau de l’imprimé n’a jusqu’ici considéré que très timidement la scène littéraire du blogue. Mais je ne sais pas s’il faut en imputer la faute aux résistances des éditeurs traditionnels, car le passage de l’entrée de blogue au livre est plus difficile qu’il n’y paraît. Cette entrée qui paraissait infiniment spirituelle, pertinente et vivifiante dans un flux RSS peut étonnamment paraître bête, rien de plus qu’amusante et relever de la redite une fois imprimée. Il faut aussi considérer comment la forme du blogue a évolué rapidement et en marge de plusieurs manières d’écrire qui n’ont pas immédiatement rapport avec le littéraire, comme le journal intime ou le commentaire d’actualité, en plus de développer sa propre forme qui ne pourrait plus aujourd'hui faire l’économie des hyperliens, des vidéos et des images qu’elle intègre. Par exemple, une des grandes libérations que la rédaction de blogue a pu faire subir à ma manière d’écrire vient directement de l’hyperlien. Si je veux faire un rapprochement entre la philosophie de Blanchot et le forum d’image de <a href="http://www.4chan.org/"><em>4chan</em></a>, je dois évoquer les concepts de mèmes, de trollage, mentionner certaines polémiques et certains événements qui d’ordinaire échappent, mais alors complètement, aux littéraires à qui je m’adresse. Si je devais ouvrir une parenthèse explicative pour chacun de ces éléments, le rythme de mon essai se trouverait ralenti et me pousserait subrepticement vers une forme de dissertation sans doute «cool» mais scolaire. L’hyperlien permet de redonner une sorte de fierté et d’ouverture à l’essai qui s’adresse au public indépendamment de l’étendue de ses connaissances. Comme si le texte lui disait&nbsp;: «je ne vulgariserai pas parce que je sais que tu prendras les moyens de suivre le propos si le sujet t’intéresse». L’hyperlien trouve d’autres usages ailleurs, cela peut être vrai aussi pour l’intégration des images et de la vidéo ou encore le système de commentaires.<br /><br /> C'est la raison pour laquelle les seuls blogues imprimables présentement sont ceux qui font le moins usage des spécificités techniques du blogue comme les essais en bloc de Catherine Mavrikakis ou les <a href="http://www.mereindigne.com/"><em>Chroniques d'une mère indigne</em></a> et d’<a href="http://taxidenuit.blogspot.com/"><em>Un taxi la nuit</em></a>. On ne mesure pas encore pour cette raison les substantielles innovations de style et de rythme qui apparaissent en marge du réseau littéraire reconnu qu’aucune forme imprimée ne saurait encore contenir aisément. Il faut encore savoir bricoler son chemin vers le roman, la poésie et l’essai pour les faire passer à l’écrit en plus de combattre les réticences des comités éditoriaux traditionnels à qui manquent les références pour saisir la pertinence de cette manière d’écrire pour notre époque.<br /><br /> Mais les expérimentations textuelles hors des formes conventionnelles ne se sont pas non plus arrêtées au blogue. Beaucoup de blogueurs ont depuis quelque temps déserté la scène pour Facebook ou Twitter où s’intensifie la proximité du texte avec l’immédiateté des communications. Les créations littéraires faites à partir de Facebook (la création de personnages qui interagissent avec le public par exemple) sont d’une nature si différentes qu’il est pour le moment difficile de savoir si un archivage et une recontextualisation de leur expérience esthétique sont possibles. Je veux dire&nbsp;par là que certaines expériences d’écriture sur Facebook ont indéniablement des caractéristiques littéraires, mais pas celle de la durée dans le temps. Si les blogues étaient déjà limite en ce qui concerne leur publication, ces nouvelles expérimentations s’éloignent encore plus de tout ce que représente le livre. Ma conception du littéraire est aussi mise à l’épreuve devant les poussées du numérique!<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Salon double —</strong></span> Avant de terminer cet entretien, nous aimerions parler un peu d’un prix spécial que vous avez remis cette année au recueil posthume de Geneviève Desrosiers : <a href="http://www.oiedecravan.com/cat/catalogue.php?v=t&amp;id=16&amp;lang=fr"><em>Nombreux seront nos ennemis</em></a>. Publié une première fois en 1999&nbsp;par l'Oie de Cravan, il a été réédité en 2006 par le même éditeur. La poésie de Desrosiers se démarque par sa force mélancolique et par son absence de compromis. Comment lis-tu le vers «Tu verras comme nous serons heureux» répété à plusieurs reprises dans le poème «Nous»? Dans le texte de présentation du prix, on note «l'humour ironique» très présent dans le recueil, mais pourrait-on aussi lire derrière cette ironie une trace d'espoir?<br /><br /> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Mathieu Arsenault </strong><strong>—</strong></span> Qu’est-ce que l’ironie? Dans notre compréhension ordinaire, l’ironie apparaît presque indissociable du sarcasme et du cynisme parce que nous considérons comme un signe d’agression la rupture qu’elle instaure dans la communication. Mais il m’apparaît que le sens de l’ironie est en train de changer présentement. Quand la distinction entre la communication publique et la communication privée s’amenuise, et quand le moralisme exacerbé du grand public fait en sorte de rendre suspects les énoncés qui s’éloignent des formules creuses et dominantes, l’ironie apparaît comme un espace intime aménagé dans l’aire ouverte des échanges quotidiens, un espace où l’intention et le sens n’apparaissent qu’à ceux qui connaissent intimement les modulations du ton et de la pensée de l’interlocuteur ironique. Comme posture langagière, l’ironie est d’une immense importance, et seule la poésie me semble à même de la mettre convenablement en scène comme expérience. La poésie de Geneviève Desrosiers me semble annoncer cette période où le poème ne requiert plus l’adhésion de son lecteur ni par un «nous» national ou humaniste, ni par une expérience subjective si singulière qu’elle se refuse à la communication. <a href="http://www.lequartanier.com/catalogue/occidentales.htm"><em>Les occidentales</em></a> de Maggie Roussel m’apparaît être un accomplissement de cette posture propre à notre époque.<br /><br /> Faire apparaître ce genre de filiation est une des choses qui me tient le plus à cœur dans le projet de l’Académie de la vie littéraire. Nous ne voudrions pas devenir une tribune de plus pour la diffusion des publications courantes. Car l’actualité littéraire est aussi constituée de ces œuvres qui reviennent d’on ne sait trop où et dont on découvre la pertinence à la lumière de ce qui s’écrit aujourd'hui, de l’évolution de la sensibilité et des manières de lire. Par exemple, l’année dernière, nous donnions le prix à <em>On n’est pas des trous de cul</em> de Marie Letellier, une ethnographie de la misère urbaine fascinante surtout pour les retranscriptions d’entrevues que le livre contient. Ce livre n’a jamais été réédité et nous lui avons donné un prix parce que j’en ai entendu parler de manière passionnée à plusieurs reprises dans des circonstances différentes. Ce n’est que tout récemment que m’est apparue une esquisse d’interprétation à cet engouement: le déclin de l’intérêt pour la lecture de fiction québécoise me semble en train d’ouvrir le champ au documentaire écrit, sous la forme de l’autobiographie, de l’essai lyrique ou, comme dans le cas du livre de Letellier, au document qui présente une réalité crue dans une langue brute. Ces œuvres à la redécouverte discrète mais intense trouvent difficilement leur espace. Souvent, elles n’ont pas le raffinement esthétique qui leur permettrait d’apparaître sur la scène de la recherche universitaire. Elles n’ont peut-être pas non plus un potentiel commercial qui justifierait leur réédition ou leur remise en circulation dans l’espace médiatique.<br /><br /> Ce qui est amusant avec un projet comme l’Académie, c'est de chercher à faire plus que la célébration et la diffusion de la production annuelle. Nous construisons un récit sur le thème de la sensibilité littéraire de notre époque.<br /> <a href="#note1aa"><br /> </a></p> <hr /> <p><a href="#note1aa"><br /> </a> <strong><a href="#note1aa">1</a>. </strong>Cité dans Annick Duchatel, «C’est écrit dans la blogosphère», <em>Entre les lignes : le plaisir de lire au Québec</em>, vol. 6, no 1 (2009), p. 20.<br />&nbsp;</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/entretien-avec-mathieu-arsenault#comments Blogue littéraire Communauté littéraire Contre-culture Critique littéraire Cyberespace DESROSIERS, Geneviève Dialogue médiatique Engagement Événement Fiction Hypermédia Ironie Journaux et carnets LALONDE, Pierre-Léon LETELLIER, Marie Média MESSIER, William S. Québec Réalisme Résistance culturelle ROUSSEL, Maggie Style Entretiens Bande dessinée Écrits théoriques Essai(s) Poésie Récit(s) Roman Tue, 31 May 2011 02:40:51 +0000 Salon double 347 at http://salondouble.contemporain.info Le cyberespace : principes et esthétiques http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-cyberespace-principes-et-esthetiques <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le contemporain VII </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><div> <span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br /> </span></div> <div class="rteright">The future has already arrived. It's just not evenly distributed yet.<br /> - William Gibson.</div> <div class="rteright">&nbsp;</div> <p>L&rsquo;un des ph&eacute;nom&egrave;nes les plus marquants de l&rsquo;&eacute;poque contemporaine est la cr&eacute;ation et le d&eacute;veloppement du r&eacute;seau Internet et de l&rsquo;espace virtuel qu&rsquo;il g&eacute;n&egrave;re, le cyberespace. Ce r&eacute;seau a provoqu&eacute; une acc&eacute;l&eacute;ration de la transition que nous connaissons d&rsquo;une culture du livre &agrave; une culture de l&rsquo;&eacute;cran, en surd&eacute;terminant la dimension interactive de ce m&eacute;dia et en reliant cet &eacute;cran &agrave; une toile de plus en plus complexe et dense d&rsquo;informations. Mais &agrave; quelle exp&eacute;rience nous soumet au juste le cyberespace? Quels en sont les principaux traits? J&rsquo;en &eacute;tablirai quatre &ndash; ce sont la <em>traduction</em>, la <em>variation</em>, la <em>labilit&eacute;</em> et <em>l&rsquo;oubli</em> &ndash;&nbsp;et t&acirc;cherai de les d&eacute;finir. </p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Le cyberespace, un mythe d&rsquo;origine</strong></span></p> <p>Le cyberespace est l&rsquo;environnement culturel et artistique soutenu par Internet en tant qu&rsquo;infrastructure technologique. Cet environnement technologique est d&eacute;centralis&eacute;. Il est fait pour r&eacute;sister aux hi&eacute;rarchies simplifiantes et se pr&eacute;sente comme un lieu, initialement du moins, d&eacute;hi&eacute;rarchis&eacute; et d&eacute;cloisonn&eacute;. S&rsquo;il est en train de se transformer en un immense magasin, o&ugrave; tout est offert, de la brocante sur ebay aux corps &eacute;rotis&eacute;s des sites pornos, il est aussi, et doit continuer &agrave; &ecirc;tre, une agora et un espace de diffusion litt&eacute;raire et artistique.</p> <p>Le terme est apparu dans <em>Neuromancer</em>, le roman de science-fiction de William Gibson, paru en 1984. Le cyberespace repr&eacute;sentait pour Gibson une hallucination partag&eacute;e, une repr&eacute;sentation graphique de donn&eacute;es: </p> <div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">A consensual hallucination experienced daily by billions of legitimate operators, in every nation, by children being taught mathematical concepts... A graphic representation of data abstracted from the banks of every computer in the human system. Unthinkable complexity. Lines of light ranged in the nonspace of the mind, clusters and constellations of data. Like city lights, receding<a href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>.</span><br /> &nbsp;</div> <p>Comme les lumi&egrave;res d&rsquo;une ville qui se retirent&hellip; Thomas Pynchon avait d&eacute;crit au d&eacute;but de <em>The Crying of Lot 49</em> (1966), la ville et ses lumi&egrave;res comme un circuit &eacute;lectronique. Gibson a pris le contre-pied de cette description (au c&oelig;ur du d&eacute;veloppement du postmodernisme litt&eacute;raire am&eacute;ricain) et a pouss&eacute; l&rsquo;image aux limites de la perception. Les circuits s&rsquo;&eacute;vanouissent et il ne reste plus que le contour de cette figure, signe instable, mais combien d&eacute;sirable. Une ville imaginaire, comme un vaste r&eacute;seau de signes et de liens&hellip;</p> <p>Le cyberespace engage &agrave; un imaginaire technologique et il permet de penser l&rsquo;&eacute;lectrification de l&rsquo;iconotexte, de pousser la fiction, les modalit&eacute;s de la repr&eacute;sentation et les jeux de la parole, du langage et de l&rsquo;image hors des sentiers battus, dans un espace encore &agrave; d&eacute;fricher. Il est aussi en ce sens une nouvelle fronti&egrave;re, ce qui requiert&nbsp;: l&rsquo;exploration de moyens in&eacute;dits et de strat&eacute;gies originales de repr&eacute;sentation&nbsp;; l&rsquo;exploitation d&rsquo;une ressource qui vient &agrave; peine d&rsquo;appara&icirc;tre et dont l&rsquo;importance est de plus en plus grande&nbsp;; le d&eacute;veloppement d&rsquo;un nouveau langage capable de s&rsquo;adapter &agrave; cette r&eacute;alit&eacute; virtuelle&nbsp;; et le d&eacute;ploiement de nouvelles structures sociales et communicationnelles, d&rsquo;une nouvelle identit&eacute;. L&rsquo;exploration du cyberespace est d&rsquo;ailleurs d&eacute;crite comme une navigation. Une qu&ecirc;te sur un territoire dont les dimensions &eacute;chappent &agrave; une saisie traditionnelle, car il est une pure construction conceptuelle, un espace imaginaire. Un territoire, de plus, qui va du monde virtuel en bon et due forme, &agrave; l&rsquo;image de <em>Second Life</em>, aux agoras num&eacute;riques et autres lieux de partage tels que Myspace, Facebook, Youtube, Flick&rsquo;r, etc.</p> <p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Principes</strong></span></p> <p>La m&eacute;taphore fondatrice du cyberespace n&rsquo;est pas la racine, mais le rhizome, le r&eacute;seau, la multiplication des relations et des connexions (ne serait-ce qu&rsquo;en termes techniques o&ugrave; c&rsquo;est la redondance qui assure la p&eacute;rennit&eacute; du r&eacute;seau). La dynamique des relations n&rsquo;y est pas fond&eacute;e sur la tradition, l&rsquo;identit&eacute;, la p&eacute;rennit&eacute; et la m&eacute;moire, mais sur la traduction, la variation, la labilit&eacute; et l&rsquo;oubli. Ces quatre principes dessinent une exp&eacute;rience singuli&egrave;re et voient &agrave; l&rsquo;apparition de modes de lecture, de spectature et de navigation soumis &agrave; des ajustements in&eacute;dits. </p> <p>Par <strong>traduction</strong>, il faut entendre non seulement la pratique d&rsquo;&eacute;criture qui consiste &agrave; faire passer un texte d&rsquo;une langue &agrave; une autre, mais d&rsquo;abord et avant tout la pratique culturelle qui consiste &agrave; &ecirc;tre en pr&eacute;sence de traductions, de textes et d&rsquo;&oelig;uvres ayant migr&eacute; d&rsquo;une culture &agrave; une autre, et &agrave; &ecirc;tre confront&eacute; &agrave; une diversit&eacute; langagi&egrave;re, culturelle et formelle. C&rsquo;est une attitude qui est vis&eacute;e&nbsp;: non pas un regard tourn&eacute; vers le pass&eacute; (dans la perspective de la tradition), mais une ouverture &agrave; l&rsquo;autre. </p> <p>Dans la traduction, ce ne sont pas la temporalit&eacute; ou encore la stratification qui illustrent le mieux les relations entre les textes, mais le d&eacute;ploiement, la copr&eacute;sence sur un m&ecirc;me territoire, f&ucirc;t-il virtuel comme le cyberespace. Si la tradition joue avant tout sur une seule langue, qui a un r&ocirc;le identitaire, et en fonction de laquelle les autres langues et cultures sont subordonn&eacute;es, la traduction repose sur un nivellement des cultures ou, plut&ocirc;t, sur une oscillation dans le jeu des hi&eacute;rarchies. Les relations ne sont pas fixes ou &eacute;tablies de fa&ccedil;on durable, mais en mouvance continuelle, au gr&eacute; des rapprochements, des itin&eacute;raires personnels. Les hyperliens et la fa&ccedil;on dont Internet est structur&eacute; surd&eacute;terminent cette attitude. De fait, la traduction comme pratique culturelle implique une sp&eacute;cialisation et une individualisation des connaissances et des savoirs&nbsp;: une actualisation chaque fois singuli&egrave;re d&rsquo;une partie du r&eacute;seau. Si notre identit&eacute; en sort de toute fa&ccedil;on assur&eacute;e, ce n'est pas par r&eacute;p&eacute;tition du m&ecirc;me, mais par confrontation &agrave; l'autre, par contraste ou compl&eacute;mentarit&eacute;, et ultimement par ses propres strat&eacute;gies d&rsquo;appropriation. </p> <p>La traduction permet d&rsquo;accepter le flux d&rsquo;information, c&rsquo;est-&agrave;-dire de l&rsquo;ins&eacute;rer dans un processus d&rsquo;interpr&eacute;tation et de transformation. En termes m&eacute;taphoriques, on peut dire qu&rsquo;elle se d&eacute;finit non pas tant comme une digue, qui retient &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur ce qui ne peut &ecirc;tre accept&eacute;, que comme un marais qui s&rsquo;enfle et se r&eacute;sorbe au gr&eacute; des flux et des reflux. </p> <p>Par <strong>variation</strong>, on doit comprendre ces rapports identitaires pr&eacute;caris&eacute;s et relativis&eacute;s rendus possibles par le virtuel, o&ugrave; les avatars et les pseudonymes s&rsquo;imposent, une identit&eacute; avant tout enfil&eacute;e comme un masque. Ce n&rsquo;est pas tant une forme de l&rsquo;intimit&eacute; que l&rsquo;on retrouve dans Internet, que d&rsquo;extimit&eacute;, pour reprendre le n&eacute;ologisme de Michel Tournier, et conceptualis&eacute; par Serge Tisseron (<em>L&rsquo;intimit&eacute; surexpos&eacute;e</em>, Paris, Ramsay, 2001). L&rsquo;extimit&eacute; est l&rsquo;interface entre soi et l&rsquo;autre que l&rsquo;on retrouve exploit&eacute;e de fa&ccedil;on importante dans l&rsquo;environnement virtuel qu&rsquo;est le cyberespace. C&rsquo;est une identit&eacute; num&eacute;rique et cybern&eacute;tique, au sens d&rsquo;une identit&eacute; provisoire &eacute;tablie et mise en partage en situation de communication, surtout si cette situation se d&eacute;ploie en un r&eacute;seau entier. L&rsquo;identit&eacute; est &laquo;&nbsp;le produit du flux des &eacute;v&eacute;nements quotidiens dont le Sujet mobilise certains &eacute;l&eacute;ments dans la perspective de constituer une repr&eacute;sentation&nbsp;&raquo; (F. Georges, <em>Identit&eacute;s virtuelles. Les profils utilisateurs du Web 2.0</em>, Paris, Les &Eacute;ditions Questions th&eacute;oriques 2010, p. 46). Or, ce flux, dans le cyberespace, n&rsquo;est plus une m&eacute;taphore permettant de conceptualiser le mouvement et les processus en acte, il s&rsquo;impose comme une r&eacute;alit&eacute; ph&eacute;nom&eacute;nologique. De nombreux artistes web jouent avec cette identit&eacute;-flux qui appara&icirc;t de plus en plus comme un troisi&egrave;me terme venant complexifier l&rsquo;opposition &eacute;tablie par Paul Ric&oelig;ur entre identit&eacute;-ips&eacute;it&eacute; et identit&eacute;-m&ecirc;met&eacute; (<em>Soi-m&ecirc;me comme un autre</em>, Paris, Seuil, 1990). Au couple oppositionnel du propre (ips&eacute;) et du semblable (m&ecirc;me), r&eacute;pond l&rsquo;identit&eacute;-flux en continuelle ren&eacute;gociation. C&rsquo;est une identit&eacute; diff&eacute;rentielle, en processus permanent d&rsquo;ajustement. </p> <p>La <strong>labilit&eacute;</strong> permet de souligner le caract&egrave;re &eacute;ph&eacute;m&egrave;re des iconotextes et des &oelig;uvres qu&rsquo;on trouve dans le cyberespace, ainsi que la pr&eacute;carit&eacute; des lectures et spectatures qu&rsquo;on y pratique, li&eacute;e entre autres au caract&egrave;re pr&eacute;-d&eacute;termin&eacute; des hyperliens. Les pages-&eacute;crans se succ&egrave;dent sans ordre pr&eacute;&eacute;tabli et initialement partag&eacute; et s&rsquo;exp&eacute;rimentent sur le mode d&rsquo;une v&eacute;ritable d&eacute;rive num&eacute;rique. Cette d&eacute;rive est occasionn&eacute;e par le caract&egrave;re fragmentaire du cyberespace. L&rsquo;exp&eacute;rience &agrave; laquelle il nous convie&nbsp;est celle d&rsquo;une ligne bris&eacute;e que notre navigation r&eacute;pare, le temps d&rsquo;un passage. Entre deux pages-&eacute;crans, entre deux n&oelig;uds r&eacute;unis par un hyperlien, il y a un vide que rien ne permet de s&eacute;miotiser ou de constituer symboliquement. C&rsquo;est un espace non signifiant, sans v&eacute;ritable forme&nbsp;: une distance qui n&rsquo;en est pas une. Et quand une page-&eacute;cran appara&icirc;t, c&rsquo;est sur le mode de la r&eacute;v&eacute;lation, un mode propice &agrave; l&rsquo;&eacute;blouissement.</p> <p>Pour Lunenfeld, cette d&eacute;rive num&eacute;rique d&eacute;pend de l&rsquo;esth&eacute;tique du non fini qui pr&eacute;vaut dans le cyberespace&nbsp;: &laquo;&nbsp;la d&eacute;rive num&eacute;rique est toujours dans un &eacute;tat de non fini, parce qu&rsquo;il y a toujours de nouveaux liens &agrave; &eacute;tablir, toujours plus de sites qui apparaissent, et ce qui a &eacute;t&eacute; catalogu&eacute; par le pass&eacute; risque d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; redessin&eacute; au moment d&rsquo;une nouvelle visite<a href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>. &raquo; Cette d&eacute;rive num&eacute;rique, expression m&ecirc;me du flux et de son type singulier d&rsquo;exp&eacute;rience, est li&eacute;e &agrave; la situation cognitive qui pr&eacute;domine dans le cyberespace. Naviguer dans Internet, c&rsquo;est non pas tant s&rsquo;inscrire dans un processus de d&eacute;couverte, fond&eacute; sur l&rsquo;enqu&ecirc;te et l&rsquo;&eacute;tablissement d&rsquo;hypoth&egrave;ses, que se rendre disponible &agrave; un &eacute;blouissement, c&rsquo;est-&agrave;-dire se mettre en situation de connaissance par r&eacute;v&eacute;lation, reposant sur une interrogation ponctuelle, voire improvis&eacute;e. Dans un processus de d&eacute;couverte, nous sommes responsables des liens &eacute;tablis entre les &eacute;l&eacute;ments; dans une r&eacute;v&eacute;lation, les liens, et &agrave; plus forte raison les hyperliens, sont &eacute;tablis ind&eacute;pendamment de nous et ils nous sont simplement transmis. La distinction repose sur la forme d&rsquo;agentivit&eacute; en jeu&nbsp;: sommes-nous les ma&icirc;tres d&rsquo;&oelig;uvre ou seulement les man&oelig;uvres de la relation entre les pages visit&eacute;es? L&rsquo;hyperlien, l&rsquo;hypertexte dont il est le fondement et le cyberespace qui en est l&rsquo;expression la plus compl&egrave;te nous classent par d&eacute;finition dans la seconde cat&eacute;gorie, celle des man&oelig;uvres, ce qui explique la logique de la r&eacute;v&eacute;lation et de l&rsquo;&eacute;blouissement dans laquelle ils nous placent.&nbsp; Celle-ci nous incite d&rsquo;ailleurs &agrave; accepter le flux d&rsquo;information comme un spectacle en soi, auquel on consent de se soumettre. </p> <p>Par <strong>oubli</strong>, enfin, il s&rsquo;agit de poser non pas un revers de la m&eacute;moire, une lacune ou une absence, mais un oubli positif, une facult&eacute; de r&eacute;tention active (Gervais, 2008, p. 27 et passim), comme une v&eacute;ritable modalit&eacute; de l&rsquo;agir et un principe d&rsquo;interpr&eacute;tation de l&rsquo;exp&eacute;rience. Cet oubli positif est un musement ou une fl&acirc;nerie, une errance qui ne cherche plus &agrave; &eacute;tablir des liens rationnels entre ses diverses pens&eacute;es, mais qui se contente de l&rsquo;association libre, du jeu des ressemblances, de l&rsquo;avanc&eacute;e subjective. C&rsquo;est la pens&eacute;e en tant que flux ininterrompu,&nbsp; &agrave; moins qu&rsquo;un incident ne vienne en perturber le cours. Ce type d&rsquo;oubli caract&eacute;rise la d&eacute;rive dans le cyberespace, faite de mouvements inconstants et de sauts arbitraires. Pour R&eacute;gine Robin, &laquo;Notre vie &agrave; l&rsquo;&eacute;cran, dans l&rsquo;Internet, nous plonge dans l&rsquo;immat&eacute;rialit&eacute; du support. Non fix&eacute;, transitoire, &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, insaisissable, monde du flux, du fluide, parti aussit&ocirc;t que saisi. [&hellip;] &nbsp;Nous serions plong&eacute; dans un &eacute;ternel pr&eacute;sent<a href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>.&raquo;</p> <p>L&rsquo;oubli comme modalit&eacute; de l&rsquo;agir ouvre &agrave; une fictionnalisation de l&rsquo;exp&eacute;rience, &agrave; une invention de tous les instants propos&eacute;e comme principe de coh&eacute;rence et comme ontologie. Et l&rsquo;univers d&eacute;r&eacute;alis&eacute; du cyberespace semble un environnement id&eacute;al pour en permettre le d&eacute;ploiement. Il nous dit &agrave; tout le moins que nous existons &agrave; la crois&eacute;e de flux&nbsp;: flux interne de la pens&eacute;e (musement), flux informationnel d&rsquo;un r&eacute;seau accessible depuis un &eacute;cran d&rsquo;ordinateur (cyberespace). Or, il importe dans ce contexte, comme le sugg&egrave;re Chatonsky, &laquo;de voir pour quelle raison aujourd&rsquo;hui le flux de notre conscience est comme r&eacute;v&eacute;l&eacute; par les flux technologiques et de quelle fa&ccedil;on ils sont devenus ins&eacute;parables dans le mouvement m&ecirc;me qui les diff&eacute;rencie<a href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>.&raquo; </p> <p>Traduction, variation, labilit&eacute; et oubli&nbsp;: ce sont l&agrave; certains des fondements de notre exp&eacute;rience du cyberespace et de la cyberculture &agrave; laquelle il donne lieu. Ils dessinent une nouvelle r&eacute;alit&eacute; culturelle et sociale, une nouvelle interface, c&rsquo;est donc dire un nouvel imaginaire. </p> <hr /> <a name="note1a"><strong>[1]</strong></a> William Gibson, <em>The Neuromancer</em>, texte disponible en ligne &agrave; l'adresse suivante: <a href="http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/" title="http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/">http://project.cyberpunk.ru/lib/neuromancer/</a> (site consult&eacute; le 25 octobre 2010). <br /> <a name="note2a"><strong>[2]</strong></a> Peter Lunenfeld, <em>The Digital Dialectif&nbsp;:&nbsp;New Essays on New Media</em>, Massachussetts/London, MIT Press, 1999, p. 10; Je traduis.<br /> <a name="note3a"><strong>[3]</strong></a> R&eacute;gine Robin, <em>La m&eacute;moire satur&eacute;e</em>, Paris, Stock, 2003, p. 412, 415.<br /> <a name="note4a"><strong>[4]</strong></a> Gr&eacute;gory Chantonsky, &laquo;Flux, entre fiction et narration&raquo;, texte disponible en ligne &agrave; l'adresse suivante : <a href="http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-narration/" title="http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-narration/">http://incident.net/users/gregory/wordpress/19-flux-entre-fiction-et-nar...</a> (site consult&eacute; le 25 octobre 2010). <hr /> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-cyberespace-principes-et-esthetiques#comments Culture de l'écran Cyberespace Esthétique Flux GERVAIS, Bertrand GIBSON, William Identité Imaginaire médiatique Imaginaire technologique LUNENFELD, Peter Média Oubli PYNCHON, Thomas RICOEUR, Paul ROBIN, Régine TISSERON, Serge Écrits théoriques Mon, 01 Nov 2010 13:20:15 +0000 Bertrand Gervais 281 at http://salondouble.contemporain.info L’écume du contemporain http://salondouble.contemporain.info/antichambre/l-ecume-du-contemporain <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/gervais-bertrand">Gervais, Bertrand</a> </div> </div> </div> <div class="field field-type-text field-field-soustitre"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> Réflexions sur le contemporain III </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p></p> <p class="MsoNormal" style="line-height: 150%;"><span lang="FR" style="">Le contemporain est un objet difficile &agrave; cerner. <o:p></o:p></span></p> <p>Ce n&rsquo;est pas un territoire, simple &agrave; circonscrire et &agrave; baliser, c&rsquo;est un temps, et plus pr&eacute;cis&eacute;ment le temps pr&eacute;sent. Or, le pr&eacute;sent, notre pr&eacute;sent, n&rsquo;est pas un temps homog&egrave;ne; il est fait de temporalit&eacute;s diff&eacute;rentes, de tensions multiples et de vecteurs pluriels. Pour Paul Zawadzki, &laquo;Les temps sociaux se structurent dans la multiplicit&eacute;, l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; et la conflictualit&eacute;<a name="note1" href="#note1a">[1]</a>&raquo;. Et il a raison d&rsquo;affirmer que Chronos obs&egrave;de notre &eacute;poque. Nous ne sommes pas seulement dans le temps, nous sommes fascin&eacute;s par le temps et sa perception, par notre place dans le temps, par la place de notre temps dans l&rsquo;histoire humaine, par le jeu des temps qui se croisent et s&rsquo;interp&eacute;n&egrave;trent.</p> <p>Pour Jean-Fran&ccedil;ois Hamel, il est &eacute;vident que &laquo;&nbsp;Dans une m&ecirc;me &eacute;poque, tout n&rsquo;est pas imm&eacute;diatement pr&eacute;sent, il y a toujours aussi des fragments de pass&eacute; et d&rsquo;avenir qui coexistent et s&rsquo;amalgament dans des configurations toujours nouvelles. On est contemporain d&rsquo;une chose quand on est avec cette chose dans le m&ecirc;me temps, mais ce temps n&rsquo;est pas seulement le pr&eacute;sent&nbsp;: c&rsquo;est aussi un certain pass&eacute; et un certain avenir. On peut &ecirc;tre contemporain de ce qui a &eacute;t&eacute; et de ce qui sera en m&ecirc;me temps que contemporain de ce qui est. &Agrave; vrai dire, une &eacute;poque n&rsquo;est pas une r&eacute;alit&eacute; homog&egrave;ne&nbsp;: c&rsquo;est un rassemblement de fragments temporels h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes qui parfois s&rsquo;accordent de mani&egrave;re organique, parfois provoquent des anachronismes<a name="note2" href="#note2a">[2]</a>&raquo;.</p> <p>Notre relation au temps est faite d&rsquo;une n&eacute;gociation complexe, o&ugrave; ce que l&rsquo;on gagne d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, on le perd syst&eacute;matiquement de l&rsquo;autre.<span lang="FR" style=""> Parfois, le pass&eacute; semble se faire de plus en plus lointain, et c&rsquo;est le futur qui pousse de tout son poids sur le pr&eacute;sent, orientant son d&eacute;veloppement. Les progr&egrave;s technologiques nous incitent &agrave; r&ecirc;ver de jours meilleurs, o&ugrave; tout sera r&eacute;solu, m&ecirc;me s&rsquo;il y a l&agrave; une utopie, un leurre dangereux. &Agrave; d&rsquo;autres moments, c&rsquo;est le pass&eacute; qui para&icirc;t s&rsquo;&eacute;terniser et qui ne desserre pas ses griffes sur le pr&eacute;sent, neutralisant le futur et l&rsquo;&eacute;loignant comme une aube impossible &agrave; rejoindre. La tradition fige les institutions et projette un monde qui ne parvient plus &agrave; se renouveler. Il arrive aussi que le pass&eacute; et l&rsquo;avenir pressent fortement sur le pr&eacute;sent, ou alors se font tous les deux distants et inaccessibles, et le pr&eacute;sent entre dans une crise, o&ugrave; tout para&icirc;t boulonn&eacute;, o&ugrave; les horizons d&rsquo;attente se disloquent. Ce ne sont jamais que des perceptions, fond&eacute;es sur ces rapports imaginaires que nous entretenons avec le r&eacute;el, mais elles teintent la conception de notre propre temps. <br /> <o:p></o:p><br /> </span> D&rsquo;ailleurs, ce pr&eacute;sent, comment le construit-on? De haut en bas ou de bas en haut? Cette r&eacute;alit&eacute; qu&rsquo;est notre pr&eacute;sent se d&eacute;ploie-t-elle &agrave; partir de principes que les &eacute;v&eacute;nements du monde rendent manifestes, ou est-ce plut&ocirc;t que les &eacute;v&eacute;nements par le jeu des contingences cr&eacute;ent notre r&eacute;alit&eacute;&nbsp;? Celle-ci d&eacute;coule-t-elle d&rsquo;une vision du monde ou se construit-elle &agrave; partir des faits&nbsp;? <br /> <o:p><br /> </o:p> Quel que soit le mod&egrave;le impliqu&eacute;, le pr&eacute;sent se construit n&eacute;cessairement dans la relation du sujet au monde, et l&rsquo;imaginaire en est l&rsquo;interface par excellence. C&rsquo;est une interface extraordinairement complexe o&ugrave; de multiples vecteurs entrent en tension, o&ugrave; les liens entre attention, attente et m&eacute;moire se multiplient, constituant de la sorte un paysage d&rsquo;une grande complexit&eacute;. Le temps y appara&icirc;t soumis &agrave; de multiples situations de rupture, qui requi&egrave;rent des sutures que l&rsquo;imaginaire s&rsquo;empresse de pourvoir. Avant de passer &agrave; la question cruciale de la d&eacute;finition du contemporain comme v&eacute;ritable r&eacute;gime d&rsquo;historicit&eacute; (sujet d&rsquo;une prochaine r&eacute;flexion), il convient d&rsquo;examiner bri&egrave;vement la relation entre le contemporain et le pass&eacute;. <o:p><b><br /> </b></o:p></p> <p align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center; line-height: 150%;"><span style="">*<o:p></o:p></span></p> <p>Dans sa <a href="http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu">r&eacute;flexion sur le contemporain</a>, pr&eacute;sent&eacute;e sur&nbsp;<i style="">Salon double</i>, Ren&eacute; Audet&nbsp;propose que &laquo;<span style="">Le contemporain commence au point de rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;&raquo;, et que </span><span style="">&nbsp;</span><span style="">&laquo;Le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant&raquo; Arr&ecirc;tons-nous </span>quelque peu sur ces assertions, afin d&rsquo;en bien comprendre les tenants et aboutissants. <span style=""><o:p></o:p></span></p> <p>La premi&egrave;re de ces deux propositions stipule que c&rsquo;est l&rsquo;imm&eacute;diatet&eacute; du moment pr&eacute;sent, son &eacute;tonnant ach&egrave;vement (aussit&ocirc;t commenc&eacute;, aussit&ocirc;t termin&eacute;), de m&ecirc;me que son perp&eacute;tuel inach&egrave;vement (il rena&icirc;t au moment m&ecirc;me o&ugrave; il meurt), qui provoquent la rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. C&rsquo;est que l&rsquo;instant pr&eacute;sent est paradoxal&nbsp;: il s&rsquo;ach&egrave;ve dans le mouvement m&ecirc;me de son amorce. Il n&rsquo;a aucune densit&eacute;, c&rsquo;est une ligne verticale qui vient briser la ligne horizontale du temps. La rupture surgit dans la relation entre les deux plans. Mais la question de savoir o&ugrave; &laquo;conduit&raquo; la p&eacute;riode contemporaine est d&eacute;licate (Ren&eacute; Audet compl&egrave;te sa premi&egrave;re pr&eacute;misse en affirmant qu&rsquo;il &laquo;est facile de discuter de la p&eacute;riode contemporaine et de voir o&ugrave; elle conduit &mdash; pour l'instant, elle s'arr&ecirc;te l&agrave;, maintenant, au moment de la lecture de ce texte.&raquo;). Doit-on dire que cette p&eacute;riode conduit au temps pr&eacute;sent ou, au contraire, qu&rsquo;elle en &eacute;mane ou en provient. La fl&egrave;che du temps est-elle dirig&eacute;e vers le temps pr&eacute;sent ou au contraire s&rsquo;en &eacute;loigne-t-elle?</p> <p>Cette premi&egrave;re assertion propose une dynamique pr&eacute;cise &agrave; trois termes&nbsp;: contemporain, histoire et actualit&eacute;, o&ugrave; les deuxi&egrave;me et troisi&egrave;me apparaissent comme des vecteurs en opposition. Le r&eacute;sultat de leur tension est d&rsquo;ailleurs pr&eacute;sent&eacute; comme &eacute;tant le <i style="">contemporain</i>.</p> <p>On remarque d&rsquo;embl&eacute;e le choix des mots de Ren&eacute; Audet. Pour lui, le contemporain ne commence pas au point de <i style="">r&eacute;union</i> de l&rsquo;historicit&eacute; et de l&rsquo;actualit&eacute;, mais de <i style="">rupture</i>. En quoi est-ce une rupture? Pourquoi n&rsquo;est-ce pas une simple jonction, une relation? Poser qu&rsquo;il y a rupture est s&ucirc;rement une fa&ccedil;on d&rsquo;expliciter la tension au c&oelig;ur de la d&eacute;finition m&ecirc;me du contemporain, de ce pr&eacute;sent qui est le n&ocirc;tre et qui ne se d&eacute;ploie pas sans ses zones de relations pr&eacute;caris&eacute;es. Le contemporain est au point de rupture, parce qu&rsquo;il est un temps en crise, un temps o&ugrave; les disjonctions se multiplient. Et c&rsquo;est un temps qui requiert une suture, ce que les repr&eacute;sentations culturelles permettent, ce que l&rsquo;imaginaire comme interface implique.</p> <p>Si l&rsquo;expression utilis&eacute;e avait &eacute;t&eacute; &laquo;&nbsp;jonction&nbsp;&raquo; plut&ocirc;t que &laquo;&nbsp;rupture&nbsp;&raquo;, l&rsquo;assertion de Ren&eacute; Audet aurait pr&eacute;suppos&eacute; que l&rsquo;histoire et l&rsquo;actuel sont faits pour &ecirc;tre joints, qu&rsquo;il y a l&agrave; une relation naturelle, ayant de fortes chances d&rsquo;&ecirc;tre ent&eacute;rin&eacute;e. Or, le choix du terme de rupture nous indique plut&ocirc;t qu&rsquo;il n&rsquo;y a rien de naturel entre les deux termes. Nous ne sommes pas dans une repr&eacute;sentation rassurante du temps, o&ugrave; les jonctions peuvent &ecirc;tre facilement actualis&eacute;es et repr&eacute;sent&eacute;es; nous sommes plut&ocirc;t confront&eacute;s &agrave; une conception vectorielle, o&ugrave; les relations entre pass&eacute; et futur cr&eacute;ent une tension.</p> <p>Par contre, s&rsquo;il n&rsquo;y a pas de jonction, la rupture n&rsquo;est pas non plus une pure b&eacute;ance. Le contemporain n&rsquo;est pas une masse de donn&eacute;es, d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements et de situations &agrave; l&rsquo;&eacute;tat brut ou qui r&eacute;sistent &agrave; tout traitement. Pour exister, le contemporain se doit d&rsquo;&ecirc;tre s&eacute;miotis&eacute; par un sujet ou une communaut&eacute; interpr&eacute;tative, il se doit d&rsquo;&ecirc;tre int&eacute;gr&eacute; &agrave; un processus de description et de compr&eacute;hension. S&rsquo;il y a ruptures, &eacute;v&eacute;nements, modifications du cours des choses, ces faits doivent &ecirc;tre objets de perception, ils doivent &ecirc;tre interpr&eacute;t&eacute;s et soumis &agrave; un jeu d&rsquo;interpr&eacute;tants qui leur donnent sens et fonction. De cette fa&ccedil;on, la pr&eacute;misse de Ren&eacute; Audet peut &ecirc;tre reformul&eacute;e :&nbsp;<span style="">le contemporain commence au point de suture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. &nbsp;Et cette suture </span>est n&eacute;cessairement orient&eacute;e vers l&rsquo;un ou l&rsquo;autre des bornes du temps pr&eacute;sent, &agrave; savoir le pass&eacute; ou le futur.</p> <p>Il manque, on le voit maintenant, un terme &agrave; l&rsquo;assertion de Ren&eacute; Audet. Il n&rsquo;y est question que du pass&eacute; par le biais de l&rsquo;historicit&eacute;. Or, l&rsquo;actualit&eacute; du temps pr&eacute;sent ne peut &ecirc;tre appr&eacute;hend&eacute;e qu&rsquo;en fonction de ses deux bornes, l&rsquo;histoire ou le pass&eacute;, l&rsquo;avenir ou le futur. Il en va de notre fa&ccedil;on de comprendre comment nous construisons notre r&eacute;alit&eacute;. <span lang="FR" style="">Celle-ci d&eacute;coule-t-elle d&rsquo;une vision du monde, h&eacute;rit&eacute;e du pass&eacute;, ou se construit-elle &agrave; partir des faits qui t&eacute;moignent d&rsquo;une nouvelle situation?</span></p> <p> De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, si<span style=""> &laquo;le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant&raquo;, il se d&eacute;ploie tout de m&ecirc;me &agrave; la jonction du pass&eacute; et de l&rsquo;avenir, et il se manifeste par le biais d&rsquo;une mise en r&eacute;cit ou en discours. Il ne peut y avoir de contemporain sans une s&eacute;miotisation des donn&eacute;es du temps pr&eacute;sent, sans une construction de cette r&eacute;alit&eacute; qui nous sert d&rsquo;interface avec le monde. Il est essentiellement un objet de pens&eacute;e et, par la force des choses, il engage &agrave; une interpr&eacute;tation et &agrave; une projection. Il est un produit, le r&eacute;sultat du jeu d&rsquo;un ensemble de forces et de tensions. Le contemporain est, en tant que construction, ce qui permet de rattacher le pr&eacute;sent au pass&eacute;, maillon d&rsquo;une cha&icirc;ne qui se continue jusque dans l&rsquo;avenir.<span style="">&nbsp; </span>S&rsquo;il est hors de l&rsquo;histoire, il cherche pourtant &agrave; la r&eacute;int&eacute;grer, &agrave; en faire partie. Les productions culturelles actuelles permettent de donner &agrave; ce contemporain une identit&eacute;. Elles participent de son imaginaire, elles en sont une manifestation.<b style=""><o:p></o:p></b></span><b><br /> </b></p> <p align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center; line-height: 150%;"><span style="">*<o:p></o:p></span><span style=""><o:p>&nbsp;</o:p></span></p> <p>Le contemporain est l&rsquo;&eacute;cume de l&rsquo;actualit&eacute;. <br /> <o:p><br /> </o:p> Plus qu&rsquo;&agrave; Boris Vian, l&rsquo;expression fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la figure que d&eacute;ploie<b style=""> </b>Peter Sloterdijk dans le troisi&egrave;me tome de ses sph&egrave;res, <i>&Eacute;cumes</i><a name="note3" href="#note3a">[3]</a>. L&rsquo;&eacute;cume, &laquo;cette liaison &eacute;ph&eacute;m&egrave;re de gaz et de liquides&raquo; (p. 24), lui permet de penser la complexit&eacute;, car chacune des bulles de l&rsquo;&eacute;cume, chacune des sph&egrave;res g&eacute;n&eacute;r&eacute;es par le m&eacute;lange de mol&eacute;cules liquides et gazeuses, repr&eacute;sente un &eacute;quilibre instable et &eacute;ph&eacute;m&egrave;re. L&rsquo;&eacute;cume, c&rsquo;est &laquo;presque rien, et pourtant&nbsp;: pas rien. Un quelque chose, et cependant&nbsp;: seulement un tissu form&eacute; d&rsquo;espaces creux et de parois tr&egrave;s subtiles. Une donn&eacute;e r&eacute;elle et pourtant&nbsp;: une entit&eacute; qui redoute le contact, qui s&rsquo;abandonne et &eacute;clate &agrave; la moindre tentative de s&rsquo;en emparer. C&rsquo;est l&rsquo;&eacute;cume telle qu&rsquo;elle se montre dans l&rsquo;exp&eacute;rience quotidienne.&raquo; (p. 23)</p> <p>Le contemporain est une telle &eacute;cume g&eacute;n&eacute;r&eacute;e par la rencontre du pr&eacute;sent et de ses temps limitrophes. Il est produit par l&rsquo;union de l&rsquo;actuel, cette masse fluide dont les vagues nous emportent sans coup f&eacute;rir, et de cet &eacute;tonnant m&eacute;lange de potentialit&eacute;s que repr&eacute;sente le futur et de r&eacute;manences d&rsquo;un pass&eacute; qui s&rsquo;accroche encore. Il est difficile &agrave; manipuler, parce que &eacute;ph&eacute;m&egrave;re, n&rsquo;existant r&eacute;ellement que le temps que dure le pr&eacute;sent.</p> <p>Le contemporain, comme l&rsquo;&eacute;cume, n&rsquo;existe par contre que s&rsquo;il y a vie, c&rsquo;est-&agrave;-dire dynamisme, agitation, mouvement, r&eacute;action, forces contradictoires&hellip; &laquo;&nbsp;D&egrave;s que cesse l&rsquo;agitation du m&eacute;lange, celle qui assure l&rsquo;acheminement d&rsquo;air dans le liquide, la majest&eacute; de l&rsquo;&eacute;cume retombe rapidement sur elle-m&ecirc;me.&nbsp;&raquo; (p. 24) Le contemporain ne s&rsquo;impose &agrave; notre esprit que parce que l&rsquo;agitation du temps pr&eacute;sent en commande la saisie.</p> <p>L&rsquo;&eacute;cume a trop souvent servi de &laquo;m&eacute;taphore &agrave; l&rsquo;inessentiel et &agrave; l&lsquo;intenable. [&hellip;] &Ccedil;a enfle, &ccedil;a fermente, &ccedil;a tremble, &ccedil;a explose. Que reste-t-il?&raquo; (p. 24) Pourtant, le contemporain le dit bien&nbsp;: l&rsquo;&eacute;cume est le signe de l&rsquo;agitation du monde, le r&eacute;sultat des m&eacute;langes et des tensions qui fondent notre r&eacute;alit&eacute;. L&rsquo;&eacute;cume est un langage et il parle des forces qui en provoquent l&rsquo;apparition. Essayer d&rsquo;en rendre compte ne peut proc&eacute;der que par un &laquo;proc&eacute;d&eacute; global d&rsquo;admission du fortuit, du momentan&eacute;, du vague, de l&rsquo;&eacute;ph&eacute;m&egrave;re et de l&rsquo;atmosph&eacute;rique &ndash;&nbsp;un proc&eacute;d&eacute; auquel participe les arts, les th&eacute;ories et les formes de vie, chacun avec ses propres types d&rsquo;engagement.&raquo; (p. 30) En rendre compte ne peut proc&eacute;der que par une th&eacute;orisation de l&rsquo;imaginaire qui seul permet de consid&eacute;rer le rapport au monde comme une interface, et les diverses production culturelles comme des manifestations de son action n&eacute;cessairement polymorphe.</p> <p>Le contemporain est un pr&eacute;cipit&eacute;. D&rsquo;o&ugrave; peut-&ecirc;tre l&rsquo;illusion que notre modernit&eacute; s&rsquo;y pr&eacute;cipite, fascin&eacute;e par sa propre image.</p> <p><a name="note1a" href="#note1">1</a>&nbsp;<span lang="FR">Paul&nbsp;</span>Zawadzki,&nbsp;&laquo;&nbsp;Les &eacute;quivoques du pr&eacute;sentisme&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Esprit</i>, juin 2008, p. 114.<br /> <a name="note2a" href="#note2">2</a> Tir&eacute; d'un texte pour le&nbsp;s&eacute;minaire &laquo;&nbsp;Construction du contemporain&nbsp;&raquo;, UQAM, automne 2006.<br /> <a name="note3a" href="#note3">3</a> Peter&nbsp;Sloterdijk, <em>&Eacute;cumes</em>,&nbsp;Paris, Hachette, 2005, [2003]. </p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/l-ecume-du-contemporain#comments AUDET, René Contemporain HAMEL, Jean-François Philosophie SLOTERDIJK, Peter Temps ZAWADZKI, Paul Écrits théoriques Mon, 14 Sep 2009 12:51:55 +0000 Bertrand Gervais 158 at http://salondouble.contemporain.info Le temps interrompu http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu <div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs"> <div class="field-items"> <div class="field-item odd"> <a href="/equipe/audet-rene">Audet, René</a> </div> </div> </div> <!--break--><!--break--><p> <em>Ce texte est un extrait remodel&eacute; d'une communication pr&eacute;sent&eacute;e au colloque &nbsp;&laquo;Po&eacute;tiques et imaginaires de l'&eacute;v&eacute;nement&raquo;, Universit&eacute; du Qu&eacute;bec &agrave; Chicoutimi, 27-28 f&eacute;vrier 2009.</em></p> <p> Comment peut-on envisager la narrativit&eacute; dans l'&eacute;poque contemporaine ? Si je propose de la consid&eacute;rer dans son lien intrins&egrave;que avec l'&eacute;v&eacute;nement,&nbsp; il m'importe d'abord de la situer dans son rapport avec l'historicit&eacute;. &Agrave; cet effet, deux pr&eacute;misses sont n&eacute;cessaires afin de placer la situation du contemporain dans une perspective historique et d'&eacute;tablir le cadre dans lequel nous nous situons. Ces pr&eacute;misses portent sur le d&eacute;but et la fin du contemporain. Cette situation du contemporain me para&icirc;t intimement li&eacute;e &agrave; la condition actuelle du r&eacute;cit, non pas par interversion ou indiff&eacute;renciation, mais par contamination. Raconter aujourd'hui, c'est prendre acte de la position que nous occupons sur le spectre historique, mais c'est aussi refl&eacute;ter, absorber la conception de l'historicit&eacute; qui est n&ocirc;tre au sein m&ecirc;me du geste de raconter. Le d&eacute;fi de cette d&eacute;monstration est s&ucirc;rement d&eacute;mesur&eacute;, mais la port&eacute;e de cette observation peut &ecirc;tre fort importante pour notre compr&eacute;hension de la narrativit&eacute; aujourd'hui.</p> <p>Une premi&egrave;re pr&eacute;misse : le contemporain commence au point de rupture entre historicit&eacute; et actualit&eacute;. Il est facile de discuter de la p&eacute;riode contemporaine et de voir o&ugrave; elle conduit &mdash; pour l'instant, elle s'arr&ecirc;te l&agrave;, maintenant, au moment de la lecture de ce texte. Toutefois, il est plus hasardeux de tenter d'en saisir les premiers moments : en dehors de toute querelle de date, quelle balise peut-on &eacute;tablir comme entr&eacute;e dans le contemporain ? Si cette p&eacute;riode se d&eacute;finit par l'id&eacute;e du moment continu dans lequel on se trouve, la fracture ne peut donc &ecirc;tre &eacute;tablie que par une transition, celle permettant le passage de l'historicit&eacute; &agrave; l'actualit&eacute;. Avant la transition, tout &eacute;v&eacute;nement s'inscrit dans la diachronie qui le voit appara&icirc;tre ; l'interpr&eacute;tation est alors cons&eacute;quente de cette prise en compte du cours du temps. Apr&egrave;s l'histoire, en quelque sorte, se trouve un magma &eacute;v&eacute;nementiel et factuel se caract&eacute;risant fondamentalement par la simultan&eacute;it&eacute; &mdash; c'est le r&egrave;gne du pr&eacute;sentisme, pour reprendre un peu &agrave; la l&eacute;g&egrave;re le terme de Fran&ccedil;ois Hartog (2003). L'horizon est ce pr&eacute;sent, o&ugrave; pass&eacute; et futur sont &eacute;labor&eacute;s en fonction des besoins de l'imm&eacute;diat : le contemporain est ainsi la cl&eacute; de vo&ucirc;te interpr&eacute;tative universelle. Cette vision s'oppose fortement &agrave; la conception du contemporain d&eacute;fendue par Giorgio Agamben (2008), par exemple, qui propose plut&ocirc;t une position typiquement essayistique (avec une prise de distance, un d&eacute;calage par rapport &agrave; son temps, rappelant l'imp&eacute;ratif d'inactualit&eacute; avanc&eacute; par Nietzsche).</p> <p>Si l'entr&eacute;e en contemporan&eacute;it&eacute; se per&ccedil;oit par une plong&eacute;e dans l'actualit&eacute;, c'est bien parce qu'en contrepartie cette &eacute;poque se d&eacute;tache de l'historicit&eacute;, temporellement et discursivement parlant. C'est l&agrave; la deuxi&egrave;me pr&eacute;misse : le contemporain se situe hors de l'histoire, narrativement parlant. Dans <em>&Eacute;vidence de l'histoire</em> (2005), Fran&ccedil;ois Hartog (encore lui) retrace les mutations subies par la discipline de l'histoire &agrave; travers les si&egrave;cles, partant de la charge imm&eacute;moriale de la m&eacute;moire &agrave; une saisie de l'histoire comme construction (&agrave; l'image du corps humain), de la pr&eacute;tention rh&eacute;torique de l'histoire comme discours de v&eacute;rit&eacute; &agrave; l'analogie &eacute;tablie par F&eacute;nelon entre l'histoire et le po&egrave;me &eacute;pique, du d&eacute;sir de retrouver la vie (chez Michelet, &agrave; sa fa&ccedil;on) jusqu'&agrave; l'histoire influenc&eacute;e par les sciences sociales, recentr&eacute;e sur le r&eacute;p&eacute;titif et le s&eacute;riel. Dans toutes ces conceptions, &laquo; l'histoire n'a cess&eacute; de dire les faits et gestes des hommes, nous rappelle Hartog, de raconter, non pas le m&ecirc;me r&eacute;cit, mais des r&eacute;cits aux formes diverses. &raquo; (2005 : 173). Il en est de m&ecirc;me pour l'histoire litt&eacute;raire, dont l'objectif est de &laquo; proposer une intelligence historique des ph&eacute;nom&egrave;nes litt&eacute;raires par une double op&eacute;ration d'int&eacute;gration des &eacute;l&eacute;ments jug&eacute;s pertinents et d'articulation de ces &eacute;l&eacute;ments en un ensemble organis&eacute; et orient&eacute; &raquo; (Goldenstein, 1990 : 58). Ce qui &eacute;merge, c'est tr&egrave;s nettement la dimension construite du r&eacute;cit historique (Michelet disait qu'il faudrait, pour retrouver la vie historique, &laquo; refaire et r&eacute;tablir le jeu de tout cela &raquo; [Hartog, 2005 : 268]) ; ce r&eacute;cit historique est fond&eacute; sur une relation m&eacute;taphorique (un &ecirc;tre-comme), disait Ric&oelig;ur, en tension avec la d&eacute;pendance avec l'effectivit&eacute; du pass&eacute; (un avoir-&eacute;t&eacute; de l'&eacute;v&eacute;nement pass&eacute;). L'histoire conjugue le fait et une op&eacute;ration d'intelligibilit&eacute;.</p> <p>Si Julien Gracq est utopiste en disant que &laquo; L'histoire est devenue pour l'essentiel une mise en demeure adress&eacute;e par le Futur au Contemporain. &raquo; (cit&eacute; dans Hartog, 2005 : 117), il n'en r&eacute;v&egrave;le pas moins la forte charge t&eacute;l&eacute;ologique de l'histoire, r&eacute;v&eacute;lant un point de vue singulier sur les faits dont elle propose une lecture &agrave; la lumi&egrave;re du sens qu'elle leur attribue. Ce sens, c'est en fonction de l'issue des &eacute;v&eacute;nements qu'il se d&eacute;termine : au-del&agrave; de la soumission b&eacute;ate &agrave; la fl&egrave;che du temps, qui va du pass&eacute; au futur, nous sommes en mesure de comprendre &agrave; rebours l'incidence des faits sur le cours des &eacute;v&eacute;nements. &laquo; En lisant la fin dans le commencement et le commencement dans la fin, souligne Ric&oelig;ur, nous apprenons aussi &agrave; lire le temps lui-m&ecirc;me &agrave; rebours, comme la r&eacute;capitulation des conditions initiales d'un cours d'action dans ses cons&eacute;quences terminales. &raquo; (Ric&oelig;ur, 1991 [1983] : 131)</p> <p>Or c'est justement cette capacit&eacute; de lui donner un sens qui stigmatise le contemporain &mdash; ou du moins qui confirme son exclusion de l'historicit&eacute;. En ne sachant pas sur quoi ouvrira la p&eacute;riode dans laquelle nous nous trouvons, nous ne pouvons &eacute;valuer la port&eacute;e et la signification des gestes, des &oelig;uvres, des faits que nous vivons. La t&eacute;l&eacute;ologie historique reste imparfaite, et l'interpr&eacute;tation stagne en raison de l'impossibilit&eacute; de lire et de relire en fonction de la fin de l'histoire, qu'&agrave; l'&eacute;vidence nous ne connaissons pas.</p> <p>Ce malaise se r&eacute;percute tout autant sur les &oelig;uvres narratives, dont la fuite du sens, la chute de l'intrigue d&eacute;stabilisent les lecteurs (les textes d&eacute;pla&ccedil;ant les rep&egrave;res interpr&eacute;tatifs convenus) &mdash; se trouve de la sorte illustr&eacute;e l'analogie avanc&eacute;e entre narrativit&eacute; et contemporan&eacute;it&eacute;. En lien avec la faillite du sens de l'histoire en contexte contemporain, quelle d&eacute;finition donner du r&eacute;cit, de la narrativit&eacute; (si tant est qu'on puisse consid&eacute;rer que ces deux termes renvoient &agrave; une seule et m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute;) ? Plus encore, comment envisager la narrativit&eacute; aujourd'hui, de fa&ccedil;on autonome par rapport &agrave; l'histoire et &agrave; ses obsessions (l'Histoire avec sa grande Hache, comme disait Perec) ? Seule pourra nous &eacute;clairer la lecture d'&oelig;uvres clamant leur foi en une pratique du raconter, du storytelling (&agrave; entendre sans la connotation de manipulation sociale que lui accole un Christian Salmon) &mdash; un storytelling imm&eacute;diatement ancr&eacute; dans l'&eacute;v&eacute;nement.</p> <p>&nbsp;<br /> <strong><br /> Bibliographie</strong></p> <p>Agamben, Giorgio (2008), Qu'est-ce que le contemporain ?, Paris, Payot-Rivages (Petite biblioth&egrave;que).</p> <p>Goldenstein, Jean-Pierre (1990), &laquo; Le temps de l&rsquo;histoire litt&eacute;raire &raquo;, dans Henri B&Eacute;HAR et Roger FAYOLLE (dir.), L&rsquo;histoire litt&eacute;raire aujourd&rsquo;hui, Paris, Armand Colin, p. 58-66.</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2003), R&eacute;gimes d'historicit&eacute;. Pr&eacute;sentisme et exp&eacute;riences du temps, Paris, Seuil (Librairie du XXIe si&egrave;cle).</p> <p>Hartog, Fran&ccedil;ois (2005), &Eacute;vidence de l'histoire. Ce que voient les historiens, Paris, &Eacute;ditions EHESS (Cas de figure).</p> <p>Ric&oelig;ur, Paul (1991 [1983]), Temps et r&eacute;cit. Tome 1 : L'intrigue et le r&eacute;cit historique, Paris, Seuil (Points).</p> <p>Salmon, Christian (2008 [2007]), Storytelling, la machine &agrave; fabriquer des histoires et &agrave; formater les esprits, Paris, La d&eacute;couverte (Poche).</p> http://salondouble.contemporain.info/antichambre/le-temps-interrompu#comments AGAMBEN, Giorgio Contemporain Esthétique GOLDENSTEIN, Jean-Pierre HARTOG, François Philosophie RICOEUR, Paul SALMON, Christian Théories du récit Écrits théoriques Thu, 04 Jun 2009 16:55:25 +0000 René Audet 129 at http://salondouble.contemporain.info