Salon double - Luttes des classes
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frDerrière les rideaux de scène
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<a href="/equipe/cote-fournier-laurence">Côté-Fournier, Laurence </a> </div>
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<a href="/biblio/le-ravissement-de-britney-spears">Le Ravissement de Britney Spears</a> </div>
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<p style="text-align: justify;">Pour observer la roue tournante des gloires éphémères et des déclins abrupts, peu de destins, à l’heure actuelle, valent celui de Britney Spears. Devenue célèbre il y a quinze ans, la chanteuse a depuis été maintes fois condamnée à disparaître, survivant de peine et de misère à une longue phase de déchéance exemplifiée par sa séance publique de rasage de crâne, son mariage avec Kevin Federline et un nombre affolant de photographies de son entrejambe. Peut-être en raison de cet écart sidérant entre la popularité connue par Britney Spears en tant que Lolita quasi-officielle des États-Unis et le ridicule dont ont été couverts la plupart de ses agissements par la suite, peut-être aussi en raison de l’impression paradoxale d’innocence et de naïveté qu’elle projette malgré sa tendance à abuser des chorégraphies sulfureuses et des sorties sans sous-vêtements, celle-ci possède une aura particulière parmi les stars populaires. Son nom évoque immédiatement le cirque médiatique dans ce qu’il a de plus tapageur, invite au divertissement facile, annonce le ridicule. Pour bien des gens qui n’ont pourtant rien de <em>hipster</em>, ce nom ne se prononce qu’avec ironie, comme la promesse d’un mauvais goût qu’on peut partager avec un sourire complice.</p>
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<p>Dans <em>Le Ravissement de Britney Spears</em>, Jean Rolin s’intéresse à l’interprète de «…Baby, One More Time» alors qu’elle est timidement revenue sur scène et qu’elle semble avoir retrouvé une certaine forme de santé mentale, bien qu’elle soit désormais un peu plus bouffie et usée que dans sa prime jeunesse. Nous sommes en 2010, et une autre star remporte cette fois la palme du comportement le plus scandaleux: Lindsay Lohan. Ni Britney ni Lindsay ne sont toutefois les véritables héroïnes de l’intrigue, bien qu’elles occupent toutes deux une place considérable dans le roman. Le personnage principal et narrateur est plutôt un agent des services secrets français, anonyme, exilé au Tadjikistan depuis le sabordage de la mission spéciale à laquelle il participait: prévenir une tentative d’enlèvement contre Britney Spears organisée par un groupuscule islamiste radical, et couvrir de gloire la France et ses services d’information grâce à cette réussite. L’agent avait à cet effet été délégué en Californie pour amasser des renseignements sur les habitudes de la chanteuse. Or, d’emblée, rien dans cette histoire n’a de sens, et l’agent lui-même ne comprend pas quelles sont les visées exactes de sa mission: pourquoi envoyer à Los Angeles un agent qui ne sait pas conduire? Et pourquoi baptiser une opération déjà passablement saugrenue «Poisson d’avril»? À Los Angeles, le principal allié de l’agent s’avère être le chef des paparazzis, l’énigmatique Fuck (François-Ursule de Curson Karageorges), et l’entreprise du narrateur se résume de plus en plus à la pure et simple récolte de potins sur la chanteuse, qu’il n’aperçoit qu’une fois en deux mois de traque, et à qui il préfère de toute façon la plus toxique Lindsay Lohan. Une grande part du roman est donc constituée de rumeurs sur la vie privée et les sorties des vedettes, de celles qu’on trouve dans une panoplie de sites et de magazines et qui sont rapportées telles quelles par le narrateur: «en ce 8 avril 2010, si l’on en juge d’après les sites spécialisés, Britney n’a rien fait de plus intéressant que de se rendre en compagnie de Jason Trawick au centre commercial Commons, à Calabasas, et de s’y arrêter quelques instants chez Menchies afin de consommer un yaourt glacé après l’avoir préparé <em>elle-même</em>» (p.58). Après qu’a été sabordée la mission, ce sont ces faits divers triviaux sur les vedettes hollywoodiennes que l’agent raconte jour après jour à Shotemur, son collègue d’exil, comme une sorte de Shéhérazade qui émiette ses contes merveilleux pour ne pas être tuée par son geôlier.</p>
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<p>Jean Rolin, qui a travaillé pour une pléthore de journaux français tels que <em>Libération </em>et <em>Le Figaro</em>, est surtout reconnu pour ses ouvrages consacrés à des sujets –le monde des syndicats (<em>L’organisation</em>), des docks (<em>Terminal Frigo</em>), de la rue (<em>La clôture</em>)– qui lui permettent de dresser le portrait de microcosmes particuliers et fragiles, qu’il dépeint avec le souci du détail et la précision d’information qu’on associe à l’idéal journalistique, que ses livres soient fictionnels ou non. <em>Le Ravissement de Britney Spears</em>, avec son titre «pop» et l’aspect insolite de sa trame narrative, peut de prime abord apparaître comme une simple parenthèse comique au sein de la bibliographie de Rolin. Néanmoins, quelque chose dans les rapports entre politique et culture qui se déploient dans ce roman invite à approfondir la réflexion à ce sujet. En effet, si on trouve certainement en avant-plan du roman une exploration attendue de l’inhumanité et de la vacuité du <em>star system</em>, une lecture plus subtile et moins aisément saisissable des enjeux politiques que sous-tend la culture de masse se dessine en creux de la trame narrative.</p>
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<p><span style="color:#808080;"><strong>L’établissement nouveau genre</strong></span></p>
<p>Dans <em>L’organisation</em>, chronique semi-fictionnelle des années d’«établissement» en usine d’un Rolin alors maoïste, la culture représentait un des enjeux centraux de la lutte révolutionnaire, les intellectuels devant être rééduqués par un contact soutenu avec le prolétariat. Cette rééducation ne donne cependant pas les résultats escomptés pour le narrateur, militant portant un amour un peu trop vif à <em>Pierrot le fou</em> et à l’art moderne. Avec un peu d’imagination, il me semble possible de lire la mission de l’agent du <em>Ravissement de Britney Spears</em>, amateur de Malcom Lowry et de films d’auteurs, condamné à scruter le quotidien vide d’une des représentantes les plus caricaturales de la culture populaire, comme une forme dégradée d’établissement, façon dérisoire de se plonger dans la masse. En effet, au premier coup d’œil, quelle meilleure représentante de cette culture que Britney Spears, elle qui, pour ceux qui la suivent à distance, paparazzis comme admirateurs, est d’autant plus admirable que malgré sa richesse et sa célébrité, elle n’en possède pas moins des goûts <em>populaires </em>et des racines qui le sont tout autant? «Elle est exactement comme nous, partie de rien […], elle mange les mêmes cochonneries que nous» (p. 245), affirme ainsi un photographe attendri par le comportement de la chanteuse.</p>
<p>Ce jeu d’écho entre les romans de Jean Rolin a cependant ses limites: les deux établissements, le réel et le fantasmé, ne peuvent véritablement être comparés sans que soit évoqué le fossé séparant l’idéal de la culture prolétaire et la réalité de la culture de masse. L’idée même de «prolétariat» semble insolite dans le monde <em>glamour</em> et sereinement capitaliste du <em>Ravissement de Britney Spears, </em>digne représentant de cette culture de masse que décrivait Hannah Arendt dans <em>La crise de la culture</em>, incarnée par une «industrie des loisirs […] confrontée à des appétits gigantesques» et qui doit «sans cesse fournir de nouveaux articles» (Arendt, 1972: 265). Les vies de Britney Spears ou de Lindsay Lohan, toutes éminemment interchangeables puisque représentant un «produit» similaire, sont littéralement consommées pour satisfaire les besoins de cette industrie perpétuellement avide de fraîcheur et de nouveauté. Au cœur de ce processus qui transforme les êtres humains en marchandise, il n’est pas anodin que le narrateur, toujours à la recherche d’une Britney Spears pour le moins fuyante, en vienne à s’amouracher d’une prostituée slave qui travaille aussi comme double de la chanteuse sur Hollywood Boulevard, se consolant dans ses bras comme on se console avec la copie à rabais d’un sac Louis Vuitton. Coup de chance, dans ce cas-ci, la copie a de surcroît l’avantage d’être «bien plus jolie que l’original, ne serait-ce que dans la mesure où elle avait pris pour modèle la chanteuse de “Breathe on Me”, ou de “Touch of My Hand”, plutôt que la personne un peu bouffie, et dodue, que celle-ci était devenue entre-temps» (p.182). Tant dans le roman de Rolin que dans la réalité, l’œuvre musicale ou cinématographique de vedettes comme Lindsay Lohan ou Britney Spears demeure secondaire en regard de ce que leur propre personne en vient à représenter.</p>
<p>Guy Debord, dans <em>La société du spectacle</em>, décrit le statut de vedette comme «la spécialisation du<em> vécu apparent</em>»: incarnant le pouvoir et les vacances, les vedettes exemplifient l’idéal de la masse, «le résultat inaccessible du travail social» (Debord, 1967: 55). Relayant par la voix en apparence objective du narrateur ce «vécu apparent» des stars rempli d’un nombre improbable de sorties chez le coiffeur ou dans les restaurants huppés de la ville, <em>Le Ravissement de Britney Spears </em>recrée cette illusion d’importance accordée à des gestes pourtant insignifiants. Toutefois, les vedettes issues de l’industrie culturelle ne représentent qu’un type de vedettes parmi tant d’autres, la «société du spectacle» ne connaissant pas de frontières et égalisant stars de la chanson et stars du politique, tous les domaines se donnant désormais à lire de la même manière: «Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante» (Debord, 1967: 17). La nature «spectaculaire» d’une réalité «considérée partiellement» (p.15) est reproduite dans le roman de Rolin, où tout événement se donne à lire sous la forme d’un fait divers, tant les derniers agissements de Britney Spears que le désastre pétrolier dans le Golfe du Mexique qui survient au même moment, sans que soit opérée une classification ou une lecture de la réalité permettant d’enchâsser les informations dans un contexte de signification plus large. Dans un des innombrables autobus qu’emprunte le narrateur pour parcourir la ville, les questions quiz projetées sur un écran de télévision pour permettre «aux usagers de tester le niveau de leur culture générale» (p.67) entremêlent sans discernement les devinettes sur le règne d’Hailé Sélassié, les discours de Winston Churchill et les enfants des Spice Girls. Le narrateur, visiblement homme de culture, n’a aucun mal à trouver les réponses à toutes ces questions.</p>
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<p><span style="color:#808080;"><strong>Mark Rothko contre les bourgeois</strong></span></p>
<p>S’il n’est pas d’une grande originalité d’affirmer que la place démesurée tenue par les faits divers et les potins dans l’espace médiatique est occupée au détriment de lectures plus approfondies des événements politiques, idéologiques et sociaux, <em>Le Ravissement de Britney Spears</em> ne s’arrête pas à ce constat et creuse cette piste plus en profondeur. En effet, une réflexion ambiguë sur le pouvoir politique réel de l’art se dessine en filigrane du roman, réflexion portée en grande partie par le personnage de Fuck, le chef des paparazzis. Présenté originellement comme un simple intermédiaire fourni par les services français pour aider leur agent à se rapprocher de Britney Spears, Fuck gagne peu à peu en importance au fil du roman, jusqu’à finalement être à l’avant-plan. À mesure que progresse le récit, le narrateur voit se multiplier autour de lui les signes d’activités du Parti communiste révolutionnaire des États-Unis, preuve que malgré tout, au cœur d’une des villes-modèles du capitalisme, le prolétariat s’agite toujours. Un tract du parti, dont le narrateur se moque en le jugeant rempli de ces «truismes dont la propagande révolutionnaire a toujours été prodigue» (p.135), annonce une révolution imminente. Or, Fuck semble traîner dans nombre de lieux peu orthodoxes qui ne sont pas sans rapport avec cette étrange organisation, que l’agent français, particulièrement mal informé pour quelqu’un associé aux services secrets, ne connaît pas.</p>
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<p>L’assassinat de Fuck, peut-être abattu par les mêmes services secrets qui avaient dépêché le narrateur à Los Angeles, dévoile ce qu’on devine être la teneur réelle de la mission de l’agent français: fournir à son insu des informations sur ce paparazzi aux tendances trop radicales pour qu’il soit liquidé. Le rideau de scène devant lequel les vedettes se donnaient en spectacle est finalement tiré pour exposer au grand jour les véritables enjeux du récit, ses coulisses: dans toute cette affaire, la pauvre Britney n’aurait servi que de prétexte pour leurrer l’agent secret naïf envoyé auprès d’elle. Obnubilé par les vies de Britney et Lindsay, le narrateur n’arrive que trop tard à saisir la nature de la mission qui était la sienne. À mon sens, toutefois, l’incapacité qu’a le narrateur à lire les événements ne signifie pas simplement que l’existence même du «spectacle» annihile toute possibilité de prise de conscience. Plutôt, elle expose le rôle des coulisses et des tractations qui y sont menées et dirige le regard vers celui qui, au final, est sans doute le héros de l’affaire: Fuck. Les luttes militantes, telles celles que menait l’anachronique Parti communiste des États-Unis, ne peuvent se dérouler qu’à l’arrière-plan dans un contexte où tout paraît prêt à être transformé en objet consommable, comme l’exemplifie par la caricature le monde d’Hollywood. Les marges sont ici plus riches que le centre, au même titre que le personnage de Fuck, malgré sa périphérie, s’avère ultimement de plus d’intérêt que le narrateur.</p>
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<p>Du vivant de Fuck, les propos qu’il tenait ressemblaient parfois à des énigmes que devait déchiffrer le narrateur et pointaient déjà vers des activités souterraines bien plus radicales que la simple filature des stars. Comme pour inculquer une leçon à l’agent français, il se lance un jour dans une longue parenthèse sur le destin de Mark Rothko, qui aurait jadis tenté d’employer l’espace et les moyens conférés par un contrat à l’hôtel Four Seasons pour susciter un impact émotif fort chez les clients fréquentant l’établissement. Or, il abandonne finalement l’idée de cette grande fresque qui devait décorer la salle à manger et bouleverser les dîneurs:</p>
<blockquote><div class="quote_start">
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<div class="quote_end">
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<p style="margin-left:35.4pt;"><span style="color:#808080;">Il semble que Rothko, avec une particulière acuité lors de ce dîner au Four Seasons, ait compris que son ambition de châtier la clientèle de cet établissement, ou, plus modestement, de susciter chez elle un malaise, était absolument vaine. Il comprend que l’art, et notamment le sien, n’a pas ce pouvoir, et qu’aucun client du Four Seasons n’y verra jamais autre chose qu’un ornement. Et c’est ainsi qu’il rompt le contrat, reprend ses toiles et rend l’argent (p.119).</span></p>
</blockquote>
<p> </p>
<p>Ainsi, l’œuvre d’art ne pourrait être un cheval de Troie infiltré parmi les philistins: art et politique ne peuvent se rejoindre et œuvrer ensemble pour transformer la culture de masse, qui dévore tout. Pourtant, <em>Le Ravissement de Britney Spears </em>essaie, avec une grande part d’autodérision, d’employer cette tactique d’infiltration, en se jouant des armes mêmes de cette culture. Évoquant le divertissement grâce à la présence dans son titre de la sémillante Britney Spears, interpellant le lecteur par une histoire absurde et volontairement décalée, multipliant les potins et anecdotes cocasses sur les vedettes, le roman prend néanmoins une autre tangente à mesure qu’il progresse, inscrivant dans sa structure même la présence d’un autre champ d’action, plus riche, au-delà des paillettes du spectacle et de l’omniprésence du fait divers qui sont mis en scène.</p>
<p> </p>
<p><strong>Bibliographie</strong></p>
<p> </p>
<p>ARENDT, Hannah, « La crise de la culture » dans <em>La crise de la culture</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 1972.</p>
<p>DEBORD, Guy, <em>La société du spectacle</em>, Paris, Gallimard (coll. Folio), 1992 [1967].</p>
<p>ROLIN, Jean, <em>L’organisation</em>, Paris, Gallimard, 1996.</p>
<p>------, <em>Le Ravissement de Britney Spears</em>, Paris, P.O.L., 2011.</p>
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<a href="/equipe/larrivee-stephane">Larrivée, Stéphane</a> </div>
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<a href="/biblio/lust">Lust</a> </div>
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</div>
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Volupté, envie, plaisir, luxure, désir. Autant de mots qui auraient pu traduire en français le titre allemand de ce roman de Jelinek que l’on a finalement laissé intact, par souci d’en préserver la polysémie. <em>Lust</em> se voulait initialement un contre-projet à <em>L’Histoire de l’œil</em> de Georges Bataille<a name="note1" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>, mais Jelinek s’est révélée incapable de construire une esthétique pornographique selon une perspective féminine. Ainsi explique-t-elle son «échec»: «il ne PEUT y avoir de langue spécifiquement féminine du plaisir et de l’obscénité, parce que l’objet de la pornographie ne peut développer de langue qui lui soit propre<a name="note2" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>». Selon l’auteure, la seule option qui s’offre aux femmes est de dénoncer le langage pornographique en le ridiculisant. C’est d’ailleurs un ton ironique qui domine toute la narration de ce roman. <em>Lust</em> met en scène, dans une villa bourgeoise, les ébats d’un couple auxquels assiste parfois leur jeune fils. L’homme, directeur d’une usine de papier, n’attend de sa femme qu’une seule chose: qu’elle soit toujours prête à satisfaire ses moindres pulsions sexuelles. De nombreuses scènes de violence et d’obscénité, comme celle-ci, se succèdent:</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Il la retient par les cheveux comme s’il tenait encore le volant. Approchant du dénouement, frémissante, sa queue s’abat dans les broussailles. Au dernier moment il dérape, parce qu’elle se crispe. L’homme lui assène un coup de poing dans la nuque, oriente puissamment la voix dans sa direction (p.162).
<p></p></span></div>
<p>Dans une tentative d’échapper au contrôle de son époux, Gerti, complètement ivre, s’enfuit du domicile conjugal et rencontre Michael, un jeune étudiant en droit, qui devient son amant. Ce dernier se révèle cependant tout aussi violent que le mari qui l’a faite fuir et il la viole en compagnie de ses amis lors de leur deuxième rencontre. De retour à la maison, Gerti s’accroche tout de même à ce nouvel espoir et, quelques jours plus tard, trompant la vigilance de son mari, elle s’enfuit à nouveau et se dirige chez son amant, qui refuse de lui ouvrir. Hermann rattrape alors sa femme et la viole dans la voiture, sous les yeux de Michael qui se masturbe derrière la fenêtre. Finalement, Gerti tue son fils en lui recouvrant la tête d’un sac de plastique et abandonne son corps dans une rivière à proximité.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> L’envers du roman psychologique<br />
</strong></span><br />
Sur le plan formel, l’une des particularités les plus visibles de <em>Lust</em> est certainement le fait que la voix narrative envahisse tout le roman. En effet, la narratrice fait sentir sa présence à tout moment à travers les nombreux commentaires, jugements et digressions dont le texte regorge. Ainsi, l’instance narrative s’affirme dans sa posture de médiatrice en assujettissant le récit à sa vision subjective. L’histoire racontée semble alors n’être plus qu’un prétexte à l’instauration de cette voix qui deviendrait, en quelque sorte, l’essence même de ce roman.</p>
<p>De plus, le lecteur remarquera aisément que, dans <em>Lust</em>, les personnages perdent toute consistance psychologique. En effet, l’individualité des protagonistes semble être compromise en raison de leurs lacunes identitaires: bien qu’ils aient des prénoms, ceux-ci ne sont révélés qu’après un certain moment —à la page dix-neuf pour l’homme et à la page cinquante-neuf pour la femme— et sont, par la suite, rarement utilisés. On leur préfère les simples dénominations «l’homme» et «la femme», ce qui a pour effet de contribuer à établir Hermann et Gerti comme modèles universels de la masculinité et de la féminité. Les personnages ne sont donc plus que des représentants de leur genre et de leur classe sociale. Leurs motivations psychologiques sont évincées au profit d’une description de leurs comportements, qui joue volontairement sur l’ambiguïté entre le cas particulier et le général. En ce sens, l’écriture de Jelinek relève davantage de la sociologie que de la psychologie: plutôt que de montrer l’évolution d’un personnage tout au long d’un parcours linéaire, elle tente de mettre au jour les structures sociales qui expliquent et déterminent les comportements décrits.</p>
<p>La structure linéaire de l’intrigue est aussi abandonnée dans <em>Lust</em>. Jelinek a plutôt opté pour une série de tableaux qui s’inscrivent dans la discontinuité. Hormis quelques passages un peu plus continus, les scènes qui nous sont présentées, et en particulier les scènes de sexualité, sont rarement ancrées dans une temporalité précise et ne relèvent pas d’une logique causale. On a affaire ici davantage à une logique de l’accumulation, où les scènes reprennent sans cesse des actions semblables, comme pour cristalliser les comportements décrits dans la généralité.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> La marchandisation de la femme<br />
</strong></span><br />
Au-delà de la structure, qui en favorisant l’inscription de l’histoire dans une visée universelle contribue à instaurer une véritable critique sociale, ce sont les thèmes du pouvoir et de l’autorité qui soutiennent la charge critique du roman. En accordant tous les pouvoirs à Hermann, le texte joue à établir des parallèles entre l’épouse et les prolétaires qui, tous, subissent les abus d’autorité du directeur: «L'homme neutralise la femme de tout son poids. Pour neutraliser les ouvriers qui alternent dans la joie travail et repos, sa signature suffit, nul besoin de peser sur eux de tout son corps» (p.20). Ainsi, en un seul homme se condensent deux crimes: l’exploitation capitaliste et l’exploitation sexuelle de la femme. Le rapprochement entre ces deux crimes est de plus en plus clair à mesure que l’on comprend que la relation maritale représente en fait une forme de prostitution et que la femme reçoit des compensations matérielles pour son travail sexuel. Gerti se voit d’ailleurs décrite comme une employée: «Via catalogues [Hermann] procure à sa femme force lingerie affriolante, afin que chaque jour son corps puisse se présenter décemment à son travail<a name="note3" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>» (p.36). De même, à l’image de l’État qui légitime l’exploitation capitaliste, la violence au sein du mariage est cautionnée par l’Église: «La société chrét. qui jadis les maria, leur a accordé ce divertissement. Le père peut savourer la mère à l'infini, la froisser, ainsi que ses vêtements, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus peur pour ses secrets<a name="note4" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>» (p.135).</p>
<p>Ces parallèles entre la femme et les travailleurs insistent sur le fait que, dans la vision du monde du directeur, Gerti n’échappe pas aux règles de la société marchande. La narratrice ironise d’ailleurs sur l’attitude de Hermann qui, constatant la disparition de son épouse, se tournerait davantage vers son assureur que vers la police: «Le directeur a-t-il déjà contacté son assurance, pour éviter que sa femme ne le remplace tout simplement par un citoyen plus jeune?» (p.133). Contestée par la narratrice, la conduite du directeur suscite également la dérision lorsque celui-ci pousse jusqu’à l’absurde l’appropriation de sa femme: «Depuis quelque temps il a aussi interdit à sa petite Gerti de se laver, car même ses odeurs lui appartiennent» (p. 59). Le pouvoir exercé par Hermann, excessif et arbitraire, est donc constamment l’objet de l’ironie de la narratrice.</p>
<p>L’exploitation et l’abus de pouvoir qui semblent tant critiqués par le roman débouchent cependant sur un étonnant paradoxe: tout en critiquant l’autorité, la voix narrative se montre elle-même très autoritaire. En effet, la narratrice met en évidence son pouvoir sur la fiction qu’elle raconte: «Oui, aujourd'hui il y a du soleil, ainsi en ai-je décidé» (p.174). Elle se présente alors comme une créatrice qui tire toutes les ficelles de l’histoire qu’elle met en scène. Sa présence autoritaire dans l’œuvre se confirme également par ses manifestations idéologiques, qui passent par de nombreux jugements sur les personnages. Elle qualifie par exemple Michael de «trou du cul» (p.204) et dit de Hermann qu’il «n’a pas de cœur» (p.145). Ces interventions contribuent à instaurer un rapport de force entre le texte et le lecteur, au détriment de ce dernier qui voit son pouvoir d’interprétation réduit au maximum à la suite de telles indications. Ainsi la narratrice reconduit-elle avec le narrataire les mêmes gestes autoritaires qu’elle s’évertue à dénoncer chez Hermann et chez Michael.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong> Détruire le plaisir de la lecture<br />
</strong></span><br />
Dans son essai <em>L’effet-personnage dans le roman</em><a name="note5" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a>, Vincent Jouve divise l’instance lectorale en trois parties, dont l’une d’elles, le «lu», est surtout liée aux plaisirs inconscients de la lecture et à une certaine forme de voyeurisme. C’est sur cette composante que semble jouer <em>Lust</em> lorsque la narratrice s’adresse au narrataire. En effet, les diverses interventions qui mettent en scène le lecteur contribuent à associer le plaisir de la lecture avec le désir sexuel des personnages masculins du roman, assimilant du coup la lecture à une sorte de perversion. C’est ce qui se produit ici par exemple: «De son bijou [celui de Gerti] ne part plus qu'une étroite sente où lui, l'étudiant, homme instruit et d'humeur clémente, se tient et attend, ainsi que tous mes lecteurs, le moment de pouvoir enfin y retourner<a name="note6" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>» (p. 154). Dans cet extrait, «bijou» est la traduction de «Muschi», un terme populaire qui désigne les parties génitales de la femme. La curiosité des lecteurs est ainsi comparée au désir de Michael, ce qui tend à mettre en évidence la perversité inhérente à l’acte de lecture.</p>
<p>Jouve associe le plaisir voyeuriste de la lecture à la figure de l’enfant qui surprend ses parents pendant l’acte: «Le lecteur, seul comme l’enfant de la scène primitive, observe des personnages qui, à l’instar du couple parental, ignorent qu’ils sont observés<a name="note7" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>». Or, dans <em>Lust</em>, cette figure est fictionnalisée à travers le fils qui espionne constamment ses parents. Cet enfant pourrait ainsi être une représentation du lecteur ou, du moins, d’un certain type de lecteur. Mais il faut alors se rendre jusqu’au bout d’un tel raisonnement: la finale du roman, dans laquelle Gerti assassine son fils, représenterait donc aussi la condamnation de ce regard pornographique qui participe à l’objectivation de la femme. Cette critique devient de plus en plus évidente à mesure que le rapport au lecteur se fait plus condescendant. En présentant une structure atypique et une suite d’événements qui tend à repousser le lecteur, <em>Lust</em> décourage l’œil lubrique et la narratrice se moque d’une telle posture de lecture: «Avez-vous toujours plaisir à lire et à vivre? Non? Vous voyez bien» (p.181).</p>
<p>En somme, la structure de <em>Lust</em> attribue à l’histoire une valeur exemplaire qui la fait apparaître comme une critique acerbe des rapports d’appropriation dont la femme est victime. En ce sens, l’œuvre de Jelinek peut paraître se détacher de la production contemporaine: alors qu’un certain mouvement de retour au récit est observé, les textes de Jelinek, et <em>Lust</em> en particulier, semblent dénaturer le récit afin de l’assujettir à la critique sociale. Ainsi, non seulement le plaisir du lecteur n’est-il pas convoqué dans l’œuvre; il est ce que <em>Lust</em> cherche à détruire. On peut dès lors rappeler la célèbre distinction de Roland Barthes:</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"> Texte de plaisir: celui qui contente, emplit, donne de l’euphorie; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture. Texte de jouissance: celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (peut-être jusqu’à un certain ennui), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage<a name="note8" href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>.
<p></p></span></div>
<p><em>Lust</em>, qui présente une logique déceptive, s’inscrit de toute évidence dans la seconde catégorie. En condamnant l’acte même de lecture, la narratrice confine le lecteur à une zone d’inconfort et le prend au piège. Ainsi, Jelinek marque son opposition à toute une tradition occidentale de récits pornographiques écrits par des hommes, pour des hommes, en s’attaquant à la lecture complaisante de ces œuvres qu’elle désigne, au final, comme un acte coupable.<br />
<a href="#note1a"><br />
</a><br />
<hr />
<a name="note1a" href="#note1"><strong>[1]</strong></a> <em>L’Histoire de l’œil</em> fait partie des récits pornographiques de Bataille, dans lesquels l’acte sexuel est considéré par bon nombre de critiques comme l’expérience de la transgression. Il s’agirait en fait d’une métaphore de l’écriture littéraire, vue comme pratique transgressive du langage. Par contre, d’autres critiques, provenant majoritairement des études féministes, voient plutôt les textes de Bataille comme une manifestation de la domination patriarcale (cf. Susan Suleiman, «La pornographie de Bataille: Lecture textuelle, lecture thématique», Poétique, vol. 16, n° 64 (nov. 1985), pp.483-493).</p>
<p><a name="note2a" href="#note2"><strong>[2]</strong></a> <em>Entretien avec Elfriede Jelinek</em>, propos recueilli par Yasmin Hoffmann, dans Elfriede Jelinek, <em>Lust</em>, op. cit., p.280.</p>
<p><a name="note3a" href="#note3"><strong>[3]</strong></a> Précisons ici que la femme n’a aucun emploi, son «travail» consistant à satisfaire, à tout moment, les désirs sexuels de son mari.</p>
<p><a name="note4a" href="#note4"><strong>[4]</strong></a> Le mot «chrét.» est écrit ainsi dans le texte. Jelinek utilise fréquemment de telles abréviations avec des mots qui ne portent pas à confusion. Dans le texte original, elle a opté pour «christl.» au lieu de «christlichen».</p>
<p><a name="note5a" href="#note5"><strong>[5]</strong></a> Vincent Jouve, <em>L’effet-personnage dans le roman</em>, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, 271 p.</p>
<p><a name="note6a" href="#note6"><strong>[6]</strong></a> La connotation sexuelle est beaucoup plus explicite dans le texte original: «Von ihrer Muschi führt nur noch ein schmales Wegerl weg, wo er, der Student, mit all meinen Lesern steht und wartet, daß er, gebildet, mild in seiner Witterung, wieder herein darf», Elfriede Jelinek, <em>Lust</em>, Hambourg, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1989, p. 145.</p>
<p><a name="note7a" href="#note7"><strong>[7]</strong></a> Vincent Jouve, <em>L’effet-personnage dans le roman</em>, <em>op. cit</em>., p. 91.</p>
<p><a name="note8a" href="#note8"><strong>[8]</strong></a> Roland Barthes, <em>Le plaisir du texte</em>, Paris, Seuil (Points – Essais), 1973, pp. 22-23.</p>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-lecture-coupable#commentsAutorité narrativeAutricheBARTHES, RolandBATAILLE, GeorgesFéminismeJELINEK, ElfriedeJOUVE, VincentLuttes des classesObscénité et perversionPlaisirPouvoir et dominationReprésentation de la sexualité Théories de la lectureTransgressionViolenceRomanFri, 25 Jun 2010 20:51:09 +0000Stéphane Larrivée243 at http://salondouble.contemporain.infoLa rassurante présence des déclassés
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<div class="field field-type-nodereference field-field-auteurs">
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<a href="/equipe/paquet-amelie">Paquet, Amélie </a> </div>
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<a href="/biblio/teen-spirit">Teen Spirit</a> </div>
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<a href="/biblio/bye-bye-blondie">Bye Bye Blondie</a> </div>
</div>
</div>
<!--break--><!--break--><div> </div>
<div>«D’un certain point de vue, ça m’aurait contrariée, je veux pas y aller de mon couplet marxiste, mais j’aurais pas trouvé moral qu’on épargne le seul vrai bourge qu’on croise.»<br />
Virginie Despentes, <em>Baise-moi</em></div>
<div> </div>
<div>À l’évidence, la lutte des classes dans la littérature tient d’une autre époque. La théorie littéraire marxiste est passée de mode, et sans doute nos contemporains espèrent-ils que la littérature d’aujourd’hui se soit enfin débarrassée des divisions de classe. Comme l’explique Frederic Jameson dans la conclusion d’<em>Aesthetics and Politics </em>[1977], un livre qui retrace les célèbres débats à propos de l’esthétique de plusieurs penseurs d’inspiration marxiste tels que Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Bertolt Brecht et Georg Lukács, l’attaque la plus récurrente et percutante contre les marxistes est celle qui leur reproche l’utilisation des classes sociales pour appréhender les textes littéraires : «Nothing has, of course, more effectively discredited Marxism than the practice of affixing instant class labels (generally ‘petty bourgeois’) to textual or intellectual objects<a name="note1b" href="#note1a"><strong>[1]</strong></a>». Le travail de Lukács, qui a notamment contribué aux développements théoriques du concept de médiation<a name="note2b" href="#note2a"><strong>[2]</strong></a>, a montré la désolante réification du monde inhérente à l’œuvre chez les écrivains naturalistes. D’une certaine manière, on reproche à leur tour aux penseurs marxistes de réifier les individus par l’utilisation des classes sociales. Or, Jameson montre que l’analyse idéologique des discours que défendent les intellectuels marxistes est indissociable d’une conception théorique des classes sociales. La théorie littéraire marxiste ne peut pas se passer d’une réflexion en profondeur à propos des divisions de classe. Elle ne peut donc pas s’en détacher pour plaire à ses détracteurs. Les penseurs postmodernes, qui nous ont montré que les étiquettes sont fautives et dangereuses, sont du nombre. Tous les termes qui désignent un groupe d’individus, comme ceux de «prolétaire» et «bourgeois», sont suspects selon eux, car ils sont trop limités et pas suffisamment nuancés pour décrire le monde rempli de différences qui est le nôtre. Dans les deux derniers romans de Virginie Despentes, <em>Teen Spirit</em> [2002] et <em>Bye Bye Blondie </em>[2004], les divisions de classe ne sont pourtant pas désuètes; elles sont bien au contraire au cœur des déchirements que vivent les personnages qu’ils mettent en scène. J’aimerais réfléchir à cette tension importante dans ces romans entre prolétaire et bourgeois afin de comprendre pourquoi Despentes juge pertinent d’utiliser ces nominatifs dans un contexte littéraire. Elle tire ces catégories de la culture politique punk de gauche radicale, qui s’est complètement réappropriée le vocabulaire marxiste.</div>
<div class="rteright"> </div>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Despentes, la parvenue</strong></span></p>
<p>En 1998, à l’émission culturelle française <em>Le Cercle de minuit</em>, Virginie Despentes est reçue le même jour que Sophie Calle pour la sortie de leurs derniers livres respectifs. Pour Despentes, il s’agit de la parution de <em>Les jolies choses</em>. L’animateur tient à opposer les deux écrivaines. Défendant l’idée que Calle travaille à partir de sa vie imaginaire et que Despentes écrit plutôt à partir de sa vie réelle, il dit de Despentes qu’elle est l’anti-Sophie Calle. Despentes, qui affirme être devenue écrivaine «par inadvertance», rétorque qu’elle invente beaucoup au contraire. Elle considère la différence entre les deux femmes comme une différence de classe sociale. Sophie Calle, fille de petits bourgeois<a name="note3b" href="#note3a"><strong>[3]</strong></a>, écrit pour son milieu, un milieu qui connaît bien l’écriture, alors que Despentes appartient, au moment où elle rédige son premier roman <em>Baise-moi</em> [1993], au monde de ceux qui n’écrivent pas, comme elle l’explique à l’animateur : </p>
<div class="rteindent1">
<span style="color: rgb(128, 128, 128);">Il y a un courage de ma part, d’où je viens, de faire des livres. Il y a un courage comme ça, mais à part ça, il n’y a rien d’autre. […] Je ne suis pas rendue compte que j’étais en train de faire un truc qui n’appartenait pas à ma classe sociale, je ne m’en suis pas rendue compte du tout, je m’en suis rendue compte une fois que je suis arrivée dans une classe sociale nouvelle<a name="note4b" href="#note4a"><strong>[4]</strong></a>. </span><br />
</div>
<p>Au tout début de <em>Teen Spirit</em> apparaît d’ailleurs cette idée que la parole des bourgeois serait plus légitime que celle des prolétaires : </p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><br />
Une jolie voix de femme, très classe, petit accent de bourge pointu, une façon de dire les voyelles et de prononcer chaque mot nettement, comme font les gens qui savent qu’ils ont le droit au temps de parole et à l’articulation précieuse, m’a tout de suite mis une légère gaule. Une voix qui évoquait le tailleur et les mains bien manucurées. (TS, p. 11)</span><br />
</div>
<p>La bourgeoise qui téléphone au narrateur ne parle pas mieux que les autres parce qu’elle serait plus éduquée, mais parce qu’elle se sait détenir «le droit au temps de parole», droit qui lui permet de prendre son temps lorsqu’elle s’exprime et de rendre tous les mots dans l’entièreté de leur forme. Cette voix séduit tout autant qu’elle dégoûte le narrateur. </p>
<p>Sur le plateau de <em>Tout le monde en parle</em>, en 2002, Thierry Ardisson demande à Despentes : «Dites-moi, Virginie, vous êtes embourgeoisée ou non?» On peut déceler dans cette question une critique qui viserait à remettre Despentes à sa place; elle ne peut plus jouer à l’écrivaine <em>trash</em> et rebelle si elle appartient désormais au monde des petits bourgeois. La question contient aussi une injonction à travers la formule «oui ou non» : elle impose de faire le point une fois pour toutes sur le statut de «parvenue» de l’écrivaine. Pas du tout heurtée par la question, Despentes répond sans hésitation<a name="note5b" href="#note5a"><strong>[5]</strong></a> : «Par rapport à l’époque de <em>Baise-moi</em> [le roman], oui carrément. C’est pas vraiment la même vie quoi<a name="note6b" href="#note6a"><strong>[6]</strong></a>». Pour cette émission, elle était d’ailleurs habillée selon les mœurs de sa nouvelle classe, tailleur et lunettes sérieuses, elle ne s’y présentait pas habillée en punk comme elle a pu le faire à d’autres occasions. De toute évidence, elle accepte sa nouvelle place dans le monde. Peut-être déçu qu’elle réagisse si bien à sa question, Ardisson renchérit : «Vous avez l’impression d’avoir été récupérée par le système? ». Elle répond le sourire aux lèvres : « Non, vu la sortie du film [<em>Baise-moi</em><a name="note7b" href="#note7a"><strong>[7]</strong></a>], ça va. Je suis tranquille de ce côté-là.» L’écrivaine s’est embourgeoisée peut-être, mais loin est encore l’époque où le film <em>Baise-moi</em> fera partie du grand répertoire cinématographique bourgeois. La frontière trop mince entre le film d’auteur et la pornographie <em>hardcore</em> fait de <em>Baise-moi</em> un film qui résiste à une récupération par le système. Du moins, pour le moment<a name="note8b" href="#note8a"><strong>[8]</strong></a>. </p>
<p>Dans <em>King Kong Théorie</em>, essai féministe puissant et important de Despentes, elle donne un exemple bien concret de la parole nécessairement irrecevable de certains individus. Elle se réfère aux sorties médiatiques qu'elle a entreprises pour la promotion du film <em>Baise-moi </em>avec Coralie Trinh Thi, ex-porn star et co-réalisatrice du film. Elle s'est aperçue que certaines citations de Trinh Thi lui étaient souvent injustement attribuées :</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Les uns et les autres tombaient d’accord sur un point essentiel : il fallait lui ôter [à Coralie Trinh Thi] les mots de la bouche, lui couper la parole, l’empêcher de parler. Jusque dans les interviews, où ses réponses ont souvent été imprimées, mais m’étaient attribuées. Je ne focalise pas ici sur des cas isolés, mais sur des réactions quasi systématiques. Il fallait qu’elle disparaisse de l’espace public. Pour protéger la libido des hommes, qui aiment que l’objet du désir reste à sa place, c’est-à-dire désincarné, et surtout muet<a name="note9b" href="#note9a"><strong>[9]</strong></a>. </span><br />
</div>
<p>Entre les deux femmes, l'écrivaine, nouvellement petite bourgeoise, a plus d’autorité auprès de la classe dominante que l'ex-porn star. Il est plus logique que ce soit elle qui parle, parce qu'elle est la seule des deux qui a un certain droit à la parole.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>Les moins que rien du </strong><em><strong>Lumpenproletariat</strong></em></span></p>
<p>Je ne tenterai pas dans ce texte de démontrer la validité ou l’invalidité politique des classes sociales aujourd’hui. Cependant, pour réfléchir à <em>Teen Spirit</em> et à <em>Bye Bye Blondie</em>, cette question refait nécessairement surface. Virginie Despentes, l’écrivaine, aborde le monde autour d’elle selon ces divisions de classes, sa sensibilité connaît cette tension entre prolétaires et bourgeois. C’est à partir de cette séparation que Despentes se positionne. Je l’ai montré avec l’exemple de <em>Tout le monde en parle</em>, c’est aussi à partir des classes sociales qu’on s’adresse à elle. Bruno, le narrateur de <em>Teen Spirit</em>, et Gloria, le personnage principal de <em>Bye Bye Blondie</em>, sont tous les deux des prolétaires. On pourrait même dire, pire encore, qu’ils appartiennent au <em>Lumpenproletariat</em><a name="note10b" href="#note10a"><strong>[10]</strong></a>. Ils sont des ratés, des déclassés, des êtres totalement sans intérêt pour le monde bourgeois puisqu’ils ne s’adaptent même pas à la vie de salarié. Le scénario des deux romans se ressemblent beaucoup, d’où l’intérêt de réfléchir à ces livres ensemble. Bruno reprend contact au tout début du roman avec une ancienne amante bourgeoise, Alice Martin, et Gloria revoit un ex-amoureux bourgeois, Éric, vingt ans après leur séparation.</p>
<p><em>Bye Bye Blondie</em> raconte l’histoire d'amour entre Gloria, une «punkette destroy» (<em>BBB</em>, p. 95), et Éric, un «skin psychopathe» (<em>BBB</em>, p. 95), qui se rencontrent, adolescents, dans un hôpital psychiatrique alors qu'on tente de les réhabiliter. Ils partagent à ce moment le même mal de vivre, le même dégoût devant l’obligation de s’adapter au système. Gloria ne cède jamais. Pour elle, son dégoût est bien réel, bien trop profond pour que cela passe en vieillissant. Gloria ira jusqu’à s’exclure du monde en refusant le travail salarié, alors qu’Éric travaillera fort pour s’adapter. Il réussit tellement bien qu’il devient une vedette du système, l’icône séduisante de ceux auxquels il refusait jadis de ressembler. Les parents d'Éric sont des bourgeois, cette appartenance de son amoureux à ce milieu la rebute d'emblée. Lorsqu'elle visite sa chambre la première fois, après qu’ils aient tous les deux quitté l’hôpital, elle voit bien leur différence : «Chaîne hi-fi, collection de disques, magnétoscope, télé, jeu vidéo, consoles, maquettes d'avion. Gloria était touchée, en même temps que catastrophée, qu'il n'ait pas honte de l'emmener là» (<em>BBB</em>, p. 97). Comme la voix de la bourgeoise Alice Martin, dans <em>Teen Spirit</em>, qui excite et dégoûte Bruno, Gloria est à la fois attirée et repoussée par cette exhibition de sa fortune familiale. Les parents d'Éric ne trouvent pas que Gloria est une assez bonne fréquentation pour leur fils; ils le menacent donc de l'envoyer dans une école militaire suisse s'il continue de la voir. Il décide alors de quitter la maison. </p>
<p>Avec Gloria, il part en cavale dans la France à la recherche de concerts punk. Au cours du voyage, les amoureux sont arrêtés par la police. Dans les romans de Despentes, on ne fait jamais un bon accueil aux policiers. Il faut dire que ses personnages sont souvent des parias, ils sont de ceux qui connaissent de près la violence que peuvent exercer les forces de l'ordre au nom du maintien des privilèges des mieux nantis. Dans une scène du roman <em>Baise-moi</em>, par exemple, Manu est témoin d’un accident. Elle veut sauver la victime, Karla : «Elle appelle les pompiers dans la foulée ; les flics, elle n’a pas trop confiance parce qu’elle parle trop mal. Mais les pompiers lui inspirent davantage confiance<a name="note11b" href="#note11a"><strong>[11]</strong></a>». Manu se sent condamnée d’avance, elle ne peut demander l’aide des policiers en toute confiance parce qu’elle ne maîtrise pas correctement le langage, le langage de ceux au secours desquels on vient. Après la nuit que Gloria et Éric passent en prison, ils sont séparés. Les policiers, qui jugent le fils de bourgeois inadéquat pour la vie de punk, décident de le remettre à ses parents. Du jour au lendemain, Gloria se retrouve seule. Elle ne peut plus prendre contact avec lui. </p>
<p>Éric et Gloria se retrouvent vingt ans plus tard. Non seulement Éric est-il devenu un bourgeois, il est en plus une star de la télévision, l’animateur en vue d’une émission culturelle. Malgré tout ce succès, il est malheureux et veut revoir Gloria. Il sait que sa nouvelle vie la dégoûte, mais il recherche son aversion. Il désire près de lui cette femme qui rejette son métier plus que toutes les autres. Il a toujours aimé cette colère immense qu’elle porte en elle. Lors de leurs premières rencontres, Éric lui a dit : «Moi, je ne m'énerve jamais. J'aimerais beaucoup que ça m'arrive.» (<em>BBB</em>, p. 67) Il a besoin de sa colère pour survivre. La narratrice de <em>Bye Bye Blondie</em> ne critique pas les divisions sociales, elle se les approprie totalement. Elle explique les problèmes qu’elle vit avec Éric à partir d’une incompatibilité de classe, qu’ils tentent de surmonter pour vivre ensemble<a name="note12b" href="#note12a"><strong>[12]</strong></a>.</p>
<p><span style="color: rgb(128, 128, 128);"><strong>L’étonnant destin d’un raté</strong></span></p>
<p>Comme je l’écrivais, dans <em>Teen Spirit</em>, Despentes construit le scénario similaire. Au tout début du roman, Bruno reçoit un appel d’une ancienne amante qui lui apprend qu’elle a eu un enfant de lui. N’étant plus capable de contrôler sa fille qui veut à tout prix connaître son père, Alice fait ce qu’elle croyait jusqu’alors impensable, elle propose à Bruno d’entrer dans leur vie en rencontrant sa fille. La jeune adolescente est ravie, elle aime ce père que sa mère lui avait présenté comme un «clodo» (<em>TS</em>, p. 81); la présence négative de Bruno, qui est tout le contraire de sa mère, l’enchante. Au grand dam d’Alice, qui espère que cette folie –celle de faire de Bruno un père– ne se prolonge pas trop longtemps, Bruno se révèle plutôt doué dans son rôle : </p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">Alice était déçue que j’arrive à l’heure, en pleine forme et de bonne humeur. Elle s’était fait une idée de moi : zonard, incapable, pas fiable et caractériel. Reposant sur de vieilles images, et sur un fantasme de bad boy. C’était ce genre de bourge, déçue que je ne sois plus destroy. Elle avait toutes ses dents, ses cheveux bien brillants et sa peau bien soignée, mais, pour le folklore, elle aurait bien voulu d’un punk traînant dans ses barrages. (<em>TS</em>, p. 128)</span><br />
</div>
<p>Elle n’a aucune envie de connaître ce Bruno transformé qui prend ses responsabilités et qui s’occupe avec joie de sa fille. Comme sa fille et comme Éric dans <em>Bye Bye Blondie</em>, Alice recherche elle aussi dans sa vie une présence négative. On aime les ratés à leur place, dans leur rôle bien rassurant et apaisant de perdant. </p>
<p>À la fin de <em>Teen Spirit</em>, un événement extérieur à la vie des protagonistes survient : les tours du World Trade Center tombent, détruisant au passage le monde financier sur lequel repose la vie d’Alice. Despentes propose ainsi sa lecture à la sauce anticapitaliste du 11 septembre 2001, mais très efficacement elle nuance son portrait. Devant l’événement qui bouleverse Alice, Bruno devient subitement une présence réconfortante, il lui permet de reposer ses craintes sur quelqu’un. Confronté à un événement tragique, Bruno est plus résistant qu’Alice, plus apte qu’elle à s’adapter aux bouleversements du monde : «Je faisais partie des gens mal adaptés que les situations de chaos remettaient paradoxalement en phase» (TS, p. 221) Personne n’est préparé à être confronté à un événement, un événement est toujours de trop, toujours imprévisible. Judith Butler situe brièvement de façon théorique, dans un passage du <em>Pouvoir des mots</em> [1997], l’événement traumatique et le trauma social :</p>
<div class="rteindent1"><span style="color: rgb(128, 128, 128);">L’événement traumatique est une expérience prolongée qui échappe [<em>defies</em>] à la représentation et la propage simultanément. Le trauma social prend la forme non d’une structure qui se répète mécaniquement, mais plutôt celle d’une sujétion continuelle, celle de la remise en scène de l’injure par des signes qui à la fois oblitèrent et rejouent la scène<a name="note13b" href="#note13a"><strong>[13]</strong></a>. </span><br />
</div>
<p>L’événement est un phénomène, au sens philosophique, qui n’est jamais à l’arrêt. Il est fuyant, comme l’écrit Butler, et cette fuite, hors de l’immédiate représentation, lui permet de prolonger son insaisissable bouleversement. Le déclassé, victime d’un certain trauma social, est celui qui a réussi à survivre à sa manière aux violences de ce monde qui l’exclut. Peut-être cette expérience lui donne-t-elle quelque chose de plus pour tenir le coup face à une grande catastrophe ? C’est ce que la finale de <em>Teen Spirit</em> donne à réfléchir. Les deux derniers romans de Despentes nous révèlent ainsi une vérité à la fois belle et horrible : on a besoin des marginaux, des déclassés, pour survivre. </p>
<hr />
<br />
<strong><a name="note1a" href="#note1b">[1]</a> </strong>Frederic Jameson, «Reflections in Conclusion», in Theodor W. Adorno, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Bertolt Brecht et Georg Lukács, <em>Aesthetics and Politics</em>, coll. «Radical Thinkers», London-New York, Verso, 2007, p. 201.<strong><br />
<a name="note2a" href="#note2b">[2]</a> </strong>Au sens marxiste, la «médiation» est le concept qui permet d’expliquer que le sujet n’est en contact directement avec la nature. Il n’y a pas d’immédiateté entre la conscience historique du sujet et sa position dans le monde.<strong> <br />
<a name="note3a" href="#note3b">[3]</a> </strong>L’expression «petits bourgeois» est aussi tirée du vocabulaire marxiste. Elle sert à désigner la classe moyenne qui est plus libre que les prolétaires puisqu’elle possède un certain contrôle sur ses moyens de production, sans être «propriétaire» ou «dirigent d’entreprise» comme le bourgeois. Le père de Calle, par exemple, est médecin.<br />
<a name="note4a" href="#note4b"><strong>[4]</strong></a><strong> </strong>J’ai visionné l’extrait de l’émission en ligne à cette adresse url : <a href="http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-despentes-invitee-au-cercle-de-minuit.fr.html" title="http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-despentes-invitee-au-cercle-de-minuit.fr.html">http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I08007295/virginie-de...</a> [consulté le 17 juin 2010]<br />
<a name="note5a" href="javascript:void(0);/*1276790150881*/"><strong>[5]</strong></a> Enfin, on le suppose en regardant l’émission. S’il y a eu une hésitation, elle fut coupée au montage! <br />
<a name="note6a" href="#note6b"><strong>[6]</strong></a> J’ai visionné l’extrait de l’émission en ligne à cette adresse url : <a href="http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1846747682" title="http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1846747682">http://fr.truveo.com/virginie-despentes-pour-la-sortie-de-son-roman/id/1...</a> [consulté le 17 juin 2010]<br />
<a name="note7a" href="#note7b"><strong>[7]</strong></a><strong> </strong>Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, <em>Baise-moi</em>, France, 2000, 77 minutes.<strong> <br />
</strong><a name="note8a" href="#note8b"><strong>[8] </strong></a>Marie-Hélène Bourcier, qui fait de <em>Baise-moi</em> le grand film de la théorie féministe queer, en résume efficacement l’enjeu : « Baise moi veut dire à la fois Fuck me ! et Fuck off ! C’est là que réside la prouesse du film : constituer une resignification opérée par des femmes, féministe et politique, qui ne fait pas l’économie de la sexualité». Tant que le film constituera une « resignification » inacceptable aux yeux du monde, il continuera, selon elle, de résister à sa récupération. Marie-Hélène Bourcier, <em>Queer zones. Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs</em>, Paris, Balland, 2001, p. 26. <strong><br />
</strong><a name="note9a" href="#note9b"><strong>[9] </strong></a>Virginie Despentes, <em>King Kong théorie</em>, Paris, Le livre de poche, 2007 [2006], p. 97.<strong><br />
</strong><a name="note10a" href="#note10b"><strong>[10]</strong></a><strong> </strong>Le <em>Lumpenproletariat</em>, selon le terme de Marx, qu’on traduit en français par «sous-prolétariat», signifie littéralement en allemand : le prolétariat en haillons. <strong><br />
</strong><a name="note11a" href="#note11b"><strong>[11]</strong></a><strong> </strong>Virginie Despentes, <em>Baise-moi</em>, Paris, J’ai lu, 1994 [2000], p. 68.<strong><br />
</strong><a name="note12a" href="#note12b"><strong>[12]</strong></a><strong> </strong>Il s’agit aussi d’un conflit homme-femme. J’ai choisi de ne pas lire le roman sous cet angle. D’abord, bien qu’il s’agisse d’un thème très important chez Despentes, elle le développe plus efficacement dans <em>Baise-moi</em>, <em>Les chiennes savantes</em> et <em>Les jolies choses</em>. Aussi, dans la version cinématographique de <em>Bye Bye Blondie</em> qui serait actuellement en cours de tournage, Despentes a remplacé Éric par une femme, soulignant ainsi l’aspect secondaire du conflit homme-femme dans le récit.<strong><br />
</strong><a name="note13a" href="#note13b"><strong>[13]</strong></a><strong> </strong>Judith Butler, <em>Le pouvoir des mots. Discours de haine et politique du performatif</em>, Paris, Amsterdam, 2004, p. 59. <br />
<strong>
<p></p></strong>
http://salondouble.contemporain.info/lecture/la-rassurante-presence-des-declasses#commentsBOURCIER, Marie-HélèneBUTLER, JudithCALLE, SophieCommunismeCulture populaireDESPENTES, VirginieEngagementÉvénementFéminismeFranceIdéologieJAMESON, FredericLuttes des classesMARX, KarlMarxismePolitiqueSociocritiqueRomanThu, 17 Jun 2010 15:20:59 +0000Amélie Paquet236 at http://salondouble.contemporain.info